CHAPITRE XI

MERVEILLES PSYCHOLOGIQUES ET PHYSIQUES

 

Etrange condition de l'esprit humain qui paraît avoir besoin de s'être longtemps exercé dans l'ERREUR, avant d'oser approcher de la VERITE.

 MAGENDIE.

La vérité que je défends est empreinte sur tous les monuments du passé. Pour comprendre l'histoire, il faut étudier les symboles anciens, les signes sacrés du sacerdoce, et l'art de guérir dans les temps primitifs, art oublié aujourd'hui.

 Baron du POTET.

C'est une vérité éternelle que des faits accumulés en désordre commencent à s'ordonner si une hypothèse leur est jetée.

 Herbert SPENCER.

 

Nous allons maintenant fouiller l'histoire de la magie, pour y trouver des cas analogues à ceux que nous avons cités dans le chapitre précédent. Cette insensibilité du corps humain aux coups les plus violents, et sa résistance à la pénétration d'objets pointus ou de balles est un phénomène assez familier à l'expérience de tous les temps et de tous les pays. Tandis que la science est complètement incapable de donner une explication raisonnable du mystère, la question ne parait pas offrir de difficulté aux mesméristes qui ont bien étudié les propriétés du fluide. L'homme qui, au moyen de quelques passes sur un membre, peut provoquer une paralysie locale telle qu'elle le rend entièrement insensible aux brûlures, aux coupures, aux piqûres d'aiguilles, etc..., ne sera guère étonné des phénomènes des Jansénistes. Quant aux adeptes de la magie, particulièrement dans les Indes Orientales et au Siam, ils sont trop familiarisés avec les propriétés de l'akasha, le mystérieux fluide de vie, pour considérer l'insensibilité des convulsionnaires comme un phénomène bien important. Il est possible de comprimer le fluide astral autour d'une personne de façon à lui en faire une coque élastique absolument impénétrable à tout objet physique, quelque grande que soit la rapidité de sa course. En un mot, ce fluide peut égaler et même dépasser en force de résistance l'eau et l'air. [102]

En Inde, au Malabar, et dans quelques endroits d'Afrique Centrale, les charmeurs permettront au voyageur de tirer sur eux avec un fusil ou un revolver, sans avoir touché l'arme eux-mêmes ni choisi  les projectiles. Dans Travels in Timmannee, Kooranko and Soolima Countries de Laing, on trouve la description d'une scène extrêmement curieuse, par un voyageur anglais, le premier blanc qui ait visité la tribu des Soolimas, près des sources du Dialliba. Un piquet de soldats d'élite fit feu sur un chef, qui n'avait pour se défendre que certains talismans. Bien que leurs fusils fussent parfaitement chargés et amorcés, aucune balle ne l'atteignit. Salverte cite un cas analogue dans sa Philosophie des Sciences Occultes. "En 1563, dit-il, le prince d'Orange condamna un prisonnier espagnol à être fusillé à Juliers ; les soldats l'attachèrent à un arbre et tirèrent, mais il resta invulnérable. A la fin, ils le dépouillèrent pour voir quelle armure il portait, mais ils ne lui trouvèrent qu'une amulette... Celle-ci lui ayant été retirée, il tomba mort au premier coup de feu"

C'est autre chose que le tour habile auquel Robert-Houdin eut recours en Algérie. Il prépara lui-même des balles de suif noircies avec de la suie, et, par un tour de prestidigitation, il les substitua aux balles véritables que les cheiks arabes croyaient mettre dans leurs pistolets. Les naïfs Arabes, ne connaissant que la magie réelle dont ils avaient hérité de leurs ancêtres, et qui consiste, dans la plupart des cas, en certains actes à accomplir, sans en connaître le comment ni le pourquoi, en voyant Robert-Houdin obtenir ce qu'ils croyaient être les mêmes résultats par des moyens plus impressionnants, ils s'imaginèrent qu'il était un plus grand magicien qu'eux. Bien des voyageurs, y compris l'auteur de ce livre, ont été témoins de faits d'invulnérabilité de ce genre, mais dans lesquels toute tromperie était impossible. Il y a quelques années, vivait dans un village d'Afrique, un Abyssin qui passait pour un sorcier. Une fois, quelques Européens se rendant au Soudan s'amusèrent, pendant une heure ou deux, à tirer sur lui des  coups  de  pistolet  et  de  fusil,  chose  à  laquelle  il  avait      consenti moyennant une faible rétribution. Un Français nommé Langlois tira jusqu'à cinq coups simultanément, et les canons des armes n'étaient pas à plus de deux mètres de la poitrine du sorcier. A chaque coup, en même temps que la flamme de la détonation, on voyait la balle apparaître au bout du canon, trembler en l'air, décrire une courte parabole, et tomber, inoffensive, sur le sol. Un Allemand de la troupe, qui voyageait pour acheter des plumes d'autruche, lui offrit cinq francs, pour avoir l'autorisation de tirer, le canon du fusil touchant le corps du sorcier. L'homme refusa d'abord ; mais à la fin, après avoir eu une sorte de colloque avec un être invisible sous [103] terre, il y consentit. L'expérimentateur chargea soigneusement son arme, et appuyant la bouche du canon sur le corps du sorcier, après un moment d'hésitation, tira... le canon éclata en morceaux jusqu'à la crosse, et l'homme ne fut pas blessé.

Cette qualité d'invulnérabilité peut être donnée aux personnes aussi bien par des adeptes vivants que par des esprits. De notre temps, plusieurs médiums bien connus ont souvent, en présence des plus respectables témoins, non seulement manié des charbons ardents à pleines mains, et placé leur visage sur un brasier sans se roussir un cheveu, mais même mis des charbons allumés sur la tête ou dans les mains des assistants, comme dans le cas de lord Lindsay et de lord Adair. L'histoire bien connue du chef indien qui avoua à Washington qu'à la bataille de Braddock il avait fait feu de son rifle sur lui dix-sept fois à une faible distance, sans avoir pu le toucher, reviendra sans doute à la mémoire du lecteur en cette occurrence. Et de fait, beaucoup de grands capitaines ont eu, parmi leurs soldats, la réputation de posséder ce que l'on nomme un charme, et le prince E. de Sayn-Wettgenstein, général russe, passait pour en posséder un.

La même force qui permet de comprimer le fluide astral au point de former une cuirasse impénétrable autour de quelqu'un, peut-être utilisée pour diriger, pour ainsi dire, un jet de fluide sur un objet quelconque avec une force fatale. Beaucoup de vengeances ténébreuses ont été exercées de la sorte ; et, dans ces cas, les enquêtes des magistrats n'y ont jamais découvert qu'un cas de mort subite, résultant en apparence d'une maladie de cœur, d'une apoplexie ou de toute autre cause naturelle qui n'était pourtant pas la véritable. Beaucoup de personnes croient fermement que certains individus possèdent le pouvoir du mauvais œil. Le mal'occhio, ou jettatura, est une croyance très répandue en Italie et dans le Midi de l'Europe. Le pape Pie IX passait généralement pour être doué, inconsciemment sans doute, de ce fâcheux don. Il y a des gens qui peuvent tuer des crapauds rien qu'en les regardant, et qui peuvent même tuer des hommes. La qualité malfaisante de leurs désirs constitue un foyer de forces malignes qui jaillit et frappe comme le projectile d'une arme à feu.

En 1860, dans le département du Var, nous raconte le chevalier des Mousseaux, près du petit village de Brignoles, vivait un paysan nommé Jacques Pelissier, qui gagnait sa vie en tuant des oiseaux par sa seule puissance de volonté. Son cas est rapporté par le célèbre Dr d'Alger, à la requête duquel ce singulier chasseur opéra à plusieurs reprises en présence de quelques savants. Voici comment s'exprime le Dr d'Alger : "A environ quinze ou vingt pas de nous, je vis un charmant petit chardonneret que je montrai à Jacques. "Regardez bien, monsieur, me dit-il, il est à moi". [104] Aussitôt, dirigeant sa main droite vers l'oiseau, il s'en approcha doucement. Le chardonneret s'arrête, lève et baisse sa jolie tête ; il secoue les ailes, mais sans pouvoir s'envoler ; enfin il ne peut même plus bouger, et il se laisse prendre en battant légèrement de l'aile avec un faible cri. J'examinai l'oiseau ; ses yeux étaient entièrement fermés, et son corps avait toute la rigidité d'un cadavre, bien que les battements du cœur fussent encore très perceptibles ; c'était le véritable sommeil cataleptique, et tous les phénomènes produits prouvaient jusqu'à l'évidence l'existence d'une action magnétique. Quatorze petits oiseaux furent pris de la même façon dans l'espace d'une heure ; aucun ne résistait à la puissance de maître Jacques, et tous présentaient les mêmes indices du sommeil cataleptique, sommeil qui, d'ailleurs, se terminait au gré du chasseur, dont ces petits êtres étaient devenus les esclaves soumis.

"Cent fois je demandai à Jacques de rendre la vie et le mouvement à ses prisonniers, de ne les endormir qu'à moitié de façon à ce qu'ils puissent aller et venir sur le sol et de les remettre de nouveau complètement sous le charme. Il fit tout ce que je lui demandai, et ce remarquable Nemrod ne manqua pas une seule fois son coup. Il me dit à la fin : "Si vous le désirez, je ferai mourir, sans les toucher, ceux que vous désignerez. J'en indiquai deux pour faire l'expérience, et à vingt-cinq ou trente pas, en moins de cinq minutes, il avait accompli ce qu'il voulait" 156.

 156 Villecroze, Le Dr d'Alger, 19 mars 1861. Pierrart, vol. IV, p. 254-257.

 

Le trait le plus curieux du cas en question, c'est que Jacques exerçait un pouvoir complet seulement sur les passereaux, les moineaux, les rouges-gorges, les chardonnerets et les mauviettes ; il magnétisait parfois les alouettes, mais "elles m'échappent souvent", disait-il.

Ce même pouvoir est exercé avec une force plus grande encore par les individus connus sous la dénomination de dompteurs. Sur les bords du Nil, certains indigènes peuvent attirer hors de l'eau les crocodiles, au moyen d'un sifflement très doux, particulièrement mélodieux et les manier impunément ; d'autres exercent ce même empire sur les serpents les plus venimeux. Les voyageurs racontent qu'ils ont vu de ces  charmeurs entourés de quantités de ces reptiles, qu'ils éloignent à volonté.

Bruce, Hasselquist et Lampriére 157 attestent avoir vu, en Egypte, au Maroc, en Arabie et surtout dans le Sennaar, quelques naturels qui ne faisaient aucun cas des morsures des vipères les plus venimeuses, ni des piqûres des scorpions. Ils les prennent et [105] jouent avec eux et ils les plongent à volonté dans un état de stupeur. "C'est en vain, dit Salverte, que les auteurs Latins et Grecs nous assurent que le don de charmer les reptiles venimeux était héréditaire depuis un temps immémorial dans certaines familles... ; qu'en Afrique les Psylles en étaient doués, et qu'il était possédé par les Marses en Italie, même au commencement du XVIème siècle, des hommes qui prétendaient descendre de la famille de saint Paul bravaient, comme les Marses les morsures de serpents 158.

"Les doutes sur ce sujet, dit cet auteur, ont été définitivement dissipés à l'époque de l'expédition française en Egypte, et la relation suivante est attestée par des milliers de témoins oculaires. Les Psylles qui prétendent, au dire de Bruce, posséder ce don..., allaient de maison en maison pour... détruire les serpents de toute espèce... Un instinct merveilleux les guidait dès le premier pas vers l'endroit où les serpents se tenaient cachés. Furieux, hurlants, écumants... ils étaient saisis avec les mains et déchirés avec les ongles ou les dents.

 157 Bruce, Travels to Discover the Source of the Nile, vol. x, p. 402-447. Voyages and Travels in the Levant, vol. I, p. 63-65. Lemprière, Voyage dans l'Empire du Maroc, etc., en 1801, p.42-43.

158 Salverte, La Philosophie de la Magie. De l'influence sur les animaux, vol. I.

 

Mettons sur le compte du charlatanisme si l'on veut,  dit le sceptique invétéré qu'était Salverte lui-même, la fureur et les hurlements ; il n'en est pas moins vrai que cet instinct qui avertissait les Psylles de la présence des serpents a quelque chose de plus réel". Aux Antilles, les nègres découvrent par son odeur le serpent qu'ils ne peuvent apercevoir 159". Ce don est encore possédé en Egypte par des hommes qui ont été dressés à l'acquérir depuis leur enfance et qui naissent avec le don supposé héréditaire de découvrir les serpents même à distance où les effluves de ces animaux sont absolument imperceptibles aux sens plus  émoussés  d'un Européen. Le fait principal qui domine tous les autres, la faculté de réduire à l'impuissance les animaux dangereux, simplement en les touchant, est parfaitement  démontré, et il est probable que nous n'en saurons jamais plus long au sujet de la nature de ce secret célèbre dans l'antiquité et conservé jusqu'à notre époque par quelques-uns des hommes les plus ignorants" 160.

159 Thibaut de Chanvallon, Voyage à la Martinique, etc.

160 Salverte, La Philosophie de la Magie.

 

La musique est agréable à tout le monde. Un sifflement doucement modulé, un chant mélodieux ou les accords d'une flûte attireront invariablement les reptiles dans toutes les contrées où on les trouve. Nous en avons été témoins nous-mêmes et nous avons pu vérifier le fait maintes et maintes fois. En Haute-Egypte, partout où notre caravane s'arrêtait, un jeune voyageur qui se croyait un flûtiste distingué amusait la compagnie avec son instrument. [106] Les chameliers et autres Arabes l'arrêtaient invariablement parce que, plus d'une fois, ils avaient été ennuyés par la présence inattendue de spécimens de la tribu des ophidiens, qui évitent généralement avec soin la rencontre de l'homme. Finalement, notre caravane rencontra une société dans laquelle se trouvaient des charmeurs de profession, et le virtuose fut alors requis à déployer son talent afin d'exhiber leur savoir-faire. A peine eut-il commencé à jouer, que l'on entendit un léger frémissement et notre musicien fut saisi de frayeur à la vue d'un énorme serpent qui s'était approché de ses jambes d'une façon inquiétante.  Le  reptile,  la  tête  haute  et  les  yeux  fixés  sur  lui, rampait lentement et comme inconsciemment, en faisant doucement onduler son corps et en suivant chacun de ses mouvements. A ce moment apparut un second serpent, puis un autre et un quatrième bientôt suivi de plusieurs autres, si bien qu'au bout de quelques instants nous en avions toute une bande autour de nous. Plusieurs des voyageurs se réfugièrent sur le dos de leurs chameaux, tandis que d'autres se sauvaient dans la tente de la cantine. Mais ce n'était qu'une fausse alarme. Les charmeurs, au nombre de trois, commencèrent leurs chants et leurs incantations et, attirant les reptiles, ils en furent bientôt couverts de la tête aux pieds. Aussitôt que les serpents approchaient des hommes, ils donnaient des signes de torpeur et ils ne tardaient pas à être plongés dans un profond sommeil cataleptique. Leurs yeux étaient à demi clos et vitreux et leurs têtes retombaient. Il ne restait plus qu'un seul récalcitrant, un grand serpent noir luisant, à la peau tachetée. Ce mélomane du désert s'avançait gracieusement en sautillant, comme s'il eût dansé sur sa queue toute sa vie, et il suivait la mesure des notes de la flûte. Ce serpent ne paraissait pas disposé à se laisser entraîner par les charmes des Arabes, mais il marchait toujours dans la direction du joueur de flûte qui finit par prendre la fuite. Le moderne Psyllie prit alors dans son sac une plante à demi desséchée qu'il agita un moment du côté du serpent. Elle avait une forte odeur de menthe, et dès que le reptile en eut senti le parfum, il suivit l'Arabe, toujours dressé sur sa queue et s'approchant de plus en plus de la plante. Encore quelques secondes, et "l'ennemi traditionnel" de l'homme était enroulé, autour du bras du charmeur, devenait à son tour insensible, et toute la troupe des reptiles était jetée dans une mare, après qu'on leur eut coupé la tête.

Bien des gens croient que ces serpents sont dressés et qu'ils sont ou privés de leurs crochets ou que leurs bouche a été préalablement cousue. Sans doute, les supercheries de quelques jongleurs de bas étage ont donné lieu à cette croyance. Mais les authentiques charmeurs de serpents ont trop bien fait leurs preuves en Orient, pour avoir besoin de  recourir  à une fraude de cette nature. Ils ont [107] le témoignage incontestable de trop de voyageurs dignes de foi, y compris des savants, pour qu'on les accuse de semblable charlatanisme. Que les serpents ainsi charmés et amenés à danser et à devenir inoffensifs sont encore venimeux a été démontré par Forbes. "La musique s'étant arrêtée trop subitement, dit-il, ou pour toute autre cause, le serpent qui dansait au milieu d'un cercle s'élança sur les assistants, et infligea une morsure au cou d'une jeune femme, qui mourut dans de cruelles souffrances au bout d'une demi-heure 161".

Suivant les relations des voyageurs, les négresses de la Guyane Hollandaise, les femmes Obi, excellent dans l'art de dompter de très gros serpents nommés ammodites ou papa ; elles les font descendre des arbres, les suivre et leur obéir uniquement en leur parlant 162.

Nous avons vu en Inde une petite confrérie de fakirs rassemblés autour d'un petit lac, ou plutôt d'un étang profond littéralement tapissé d'énormes alligators. Ces monstres amphibies se traînaient et venaient se réchauffer au soleil à quelques pieds des fakirs, dont quelques-uns étaient étendus immobiles, absorbés dans la prière ou la contemplation. Tant que l'un de ces pieux mendiants était en vue, les crocodiles étaient aussi inoffensifs que des petits chats 163. Mais nous n'aurions pas conseillé à un étranger de s'aventurer seul à quelques mètres seulement de ces monstres. Le pauvre Pradin, voyageur Français, trouva une tombe prématurée dans un de ces terribles sauriens, généralement nommés par les hindous Moudelai 164.

161 Forbes, Oriental Memoirs, vol. I, p. 44 ; vol. II, p. 387.

162 Stedman, Narrative of... Expedition... in Surinam, vol. III, p. 64-65.

163 Voyez Edinburgh Review, vol. LXXX, p. 428, etc.

164 [Nihang ou ghariyat en Hindoustani.]

 

Lorsque Jamblique, Hérodote, Pline et quelques autres anciens auteurs nous parlent de prêtres qui faisaient descendre des aspics de l'autel d'Isis, ou de thaumaturges domptant d'un regard les animaux les plus féroces, on les considère comme des menteurs ou comme des imbéciles ignorants. Et quand des voyageurs modernes nous racontent des faits merveilleux analogues accomplis en Orient, on les traite de bavards enthousiastes ou d'écrivains peu dignes de foi.

Mais, n'en déplaise au scepticisme matérialiste, l'homme possède positivement ce pouvoir, ainsi que nous le constatons par les exemples que nous venons de citer. Lorsque la psychologie et la physiologie seront devenues dignes du nom de science, les Européens seront convaincus de l'étrange et formidable puissance qui réside dans la volonté et dans l'imagination de l'homme, qu'il l'exerce consciemment ou non. Et cependant, qu'il serait d'ores [108] et déjà facile de s'en rendre compte, si l'on songeait seulement à cette grande vérité naturelle que l'atome le plus infime existant dans la nature est mû par l'esprit qui est un dans son essence, car la plus petite parcelle représente le tout ; et que la matière n'est, après tout, que la copie concrète d'une idée abstraite. A ce propos, citons quelques exemples de la puissance souveraine de la volonté, même inconsciente, pour créer conformément aux plans dressés par l'imagination, ou plutôt par la faculté de discerner les images dans la lumière astrale.

Il n'y a, pour cela, qu'à se rappeler le phénomène très familier des nævi, ou marques de naissance, dans lesquels certains effets sont produits par l'action involontaire de l'imagination maternelle surexcitée. Le fait que la mère a une influence sur la conformation de son enfant non encore né était si bien connu des anciens que l'usage parmi les Grecs aisés était de placer de belles statues auprès des lits, afin que les mères eussent constamment sous les yeux des modèles de formes parfaites. La ruse à l'aide de laquelle le patriarche Hébreu Jacob obtenait des veaux mouchetés ou non, dans ses troupeaux, est un exemple d'application aux animaux de cette loi naturelle ; et Aucante nous apprend qu'il a connu "quatre portées successives de jeunes chiens nés de parents parfaitement bien conformés et sains, où quelques sujets de la portée étaient bien venus, tandis que les autres étaient dépourvus de membres antérieurs et avaient le bec de lièvre". Les œuvres de Geoffroy Saint Hilaire, de Burdach et d'Elam contiennent des citations d'un grand nombre de cas analogues, et l'important ouvrage du Dr Prosper Lucas, Sur l'Hérédité Naturelle, en rapporte une quantité. Elam cite, d'après Pritchard, un cas dans lequel un enfant d'un noir et d'une blanche était marqué de noir et de blanc sur diverses parties du corps 165. Il ajoute, avec une sincérité digne d'éloges : "Ce sont là des singularités dont la science, dans son état actuel, ne peut fournir aucune explication 166". Il est fâcheux que son exemple ne soit pas plus généralement imité. Parmi les anciens. Empédocle, Aristote, Pline, Hippocrate, Galien, Marc Mamascène et autres citent des cas tout aussi merveilleux que les auteurs contemporains.

165 [Journal de Médecine, etc., vol. XXXII, janv. 1770 : "Lettre sur une production monstrueuse.]

166 C. Elam, A Physician's Problems, p. 25.

167 The Immortality of the Soule, par Henry More, Membre du Christ's College, Cambridge.

 

Dans un ouvrage publié à Londres en 1659 167, un argument puissant est fourni pour réfuter les matérialistes, en montrant la puissance de l'esprit humain sur les forces subtiles de la nature. L'auteur, le Dr More, considère le fœtus comme une substance [109] plastique, qui peut être façonnée par la mère, de manière à lui donner une forme agréable ou repoussante, à ressembler à une seule personne ou à plusieurs dans différentes parties du corps, à être empreinte de certaines marques, ou pour employer un terme plus approprié, d'astrographies de quelque objet qui a plus  vivement frappé son imagination. La mère peut produire ces effets volontairement ou involontairement, consciemment ou inconsciemment, faiblement ou énergiquement, suivant les cas. Cela dépend de son ignorance ou de sa science des profonds mystères de la nature. En prenant les femmes en masse, on doit considérer les marques de l'embryon plutôt comme accidentelles que comme le résultat d'un calcul ; et, comme l'atmosphère de chaque personne dans la lumière astrale est peuplée d'images de personnes de sa famille, la surface sensible du fœtus, qu'on peut comparer à l'émulsion du photographe, peut fort bien prendre l'empreinte de l'image d'un ancêtre immédiat ou non, que la mère peut n'avoir jamais vu, mais qui, dans un moment critique, est venue se présenter pour ainsi dire au foyer de la chambre noire de la nature. Le Dr Elam dit : "Près de moi est assise une visiteuse venue d'un continent éloigné où elle était née et ou elle avait été élevée. Le portrait d'une meule, qui vivait au commencement du siècle dernier, est accroché au mur. Or, dans chaque trait, dans chaque détail de la physionomie, la visiteuse offrait une ressemblance complète et frappante avec le portrait, quoique l'une d'elles n'eût jamais quitté l'Angleterre, tandis que l'outre était Américaine de naissance et par une des branches de sa famille" 168.

La puissance de l'imagination sur notre état physique, même après que nous ayons atteint l'âge mûr, est démontrée de bien des manières. En médecine, un praticien intelligent n'hésite pas à lui attribuer une influence curative ou morbifique bien supérieure à celle de ses pilules et potions. Il l'appelle vis medicafrix naturæ, et son premier effort tend à gagner la confiance de son malade au point que, grâce à elle, il peut forcer la  nature à vaincre le mal. La peur tue souvent ; et la douleur a un tel pouvoir sur les fluides subtils du corps, que non seulement elle dérange les organes internes, mais encore elle fait blanchir les cheveux. Ficino mentionne des signatures de fœtus, formées en forme de cerises ou autres fruits, de couleurs, de poils, d'excroissances, et il reconnaît que l'imagination de la mère peut transformer ces signes en images d'un animal, d'un singe, d'un porc, d'un chien, etc... Marc Damascène parle d'une jeune fille qui était couverte de poils, et portait de la barbe, comme notre moderne Julia Pastrana ; Guillaume [110] Paradin parle d'un enfant dont la peau et les ongles étaient ceux d'un ours ; Balduin Ronsceus en cite un, né avec des barbes de dindon ; Paré dit en avoir vu un avec une tête de grenouille, et Avicenne fait mention de poulets ayant des têtes d'épervier 169. Dans ce dernier cas, qui prouve péremptoirement l'influence de l'imagination chez les animaux, l'embryon a dû être ainsi formé au moment de la conception, l'imagination de la poule ayant été frappée par la vue réelle ou imaginaire d'un épervier. Cela est évident, car le Dr More, qui cite ce cas, sur l'autorité d'Avicenne, observe très justement que comme l'œuf en question aurait pu être couvé et éclore à des centaines de milles de distance de la poule qui l'avait pondu, l'image microscopique du faucon empreinte sur l'embryon a dû croître avec le poulet et, par conséquent, indépendamment de toute influence ultérieure de la poule.

168 [C. Elam, op. cit., p. 27.]

 

Cornelius Gemma nous parle d'un enfant né avec le front blessé et ruisselant de sang, résultat de menaces faites par le père à la mère avec un sabre dirigé contre son front. Sennert rapporte le fait d'une femme enceinte qui, voyant un boucher partager une tête de porc avec son couperet, mit au monde un enfant dont la figure était fendue depuis le palais et la lèvre supérieure jusqu'à la racine du nez. Dans le traité Ortus medicinæ, [sect. "De Injectis Materialibus", § 9] de Van Helmont, on trouve rapportés quelques phénomènes bien surprenants. La femme d'un tailleur de Mechlin se tenait sur le pas de sa porte, lorsqu'elle vit, dans une querelle, couper la main d'un soldat, et cela lui fit une telle impression, qu'elle accoucha avant terme et mit au monde un enfant n'ayant qu'une main, et l'autre bras mutilé saignant. En 1602, la femme de Marcus de Vogeler, marchand d'Anvers, voyant un soldat qui venait de perdre un bras, fut prise des douleurs et accoucha d'une fille dont l'un des bras était mutilé et saignait, comme dans le cas précédent. Van Helmont raconte un troisième fait d'une autre femme qui fut témoin de la décapitation de treize personnes par ordre du duc d'Albe.. L'horreur que lui inspira ce spectacle fut si forte, qu'elle "entra subitement en travail, et donna le jour à un enfant parfaitement conformé, mais dont la tête manquait, et dont le cou saignait comme ceux des suppliciés qu'elle avait vus. Et ce qui vient accroître ces merveilles, c'est que, dans ces divers cas, il fut impossible de retrouver la main, le bras et la tête de ces enfants" 170.

169 [Cf. Licetus, De monstris, Amsterdami, 1668.]

170 Dr H. More, Immortalitg of the Soule, vol. III, ch. VI, p. 392-94.

  

S'il était possible de concevoir un miracle dans la nature, les cas ci- dessus cités de disparition soudaine de parties de corps non encore nés pourraient être donnés comme tels. Nous avons vainement cherché dans les plus récentes autorités qui ont écrit sur la [111] physiologie de l'homme, pour y trouver une théorie satisfaisante qui explique les moins remarquables de ces empreintes ou signatures fœtales. Tout ce que ces auteurs ont pu faire a été de rappeler les exemples de ce qu'ils nomment des "variétés spontanées de types", et de se rejeter ensuite sur les "curieuses coïncidences"de M. Proctor, ou sur les naïfs aveux d'ignorance que l'on rencontre chez les auteurs, qui ne sont pas complètement satisfaits de la somme actuelle des connaissances humaines. Magendie reconnaît que, malgré les recherches scientifiques, on ne sait que relativement fort peu de chose au sujet de la vie fœtale. A la page 518 de l'édition américaine de son Précis Elémentaire de Physiologie, il rapporte "un cas où le cordon ombilical était rompu et parfaitement cicatrisé", et il demande "comment la circulation du sang avait pu avoir lieu" ? A la page  suivante, il dit : "Pour le moment, on ne sait rien relativement à l'utilité de la digestion chez le fœtus". En ce qui concerne sa nutrition, il pose  la question suivante : "Que pouvons-nous donc dire de la nutrition du fœtus ? Les ouvrages de physiologie ne contiennent que de vagues conjectures à ce sujet". A la page 520, il tient le langage suivant : "Par suite d'une cause ignorée, les différentes parties du fœtus se développent quelquefois d'une façon anormale". Mais avec une inconséquence singulière, après avoir admis l'ignorance des savants sur tous ces points, il ajoute : "Il n'y a pas de raison pour croire que l'imagination de ta mère ait une influence quelconque dans la formation de ces monstres ; d'ailleurs, des productions de ce genre sont journellement observées chez les autres animaux et même dans les rejetons des plantes". Quel parfait exemple il nous donne de la manière de procéder des savants ! Dès qu'ils dépassent la limite des faits observés, leur jugement paraît entièrement perverti. Les déductions qu'ils tirent de leurs propres recherches sont souvent très inférieures à celles tirées par d'autres, qui ne tiennent les faits que de seconde main.

 La littérature de la science fournit à chaque pas des preuves de cette vérité ; et lorsque nous examinons les raisonnements des observateurs matérialistes de phénomènes psychologiques, la règle devient manifeste. Ceux qui souffrent de cécité de l'âme sont aussi incapables de discerner les causes psychologiques des effets matériels que les daltoniens sont  inaptes à distinguer le rouge du noir.

Elam, sans être le moins du monde spirite, bien mieux, étant ennemi déclaré du spiritisme, exprime l'opinion des savants honnêtes dans les termes suivants : "Il est certainement impossible d'expliquer comment la matière et l'esprit agissent et réagissent l'un sur l'autre ; il est reconnu par tous que ce mystère est insondable, et qu'il restera probablement à jamais insoluble" 171. [112]

L'auteur anglais le plus autorisé en matière de malformation est le   Dr W. Aitken, d'Edimbourg, professeur de Pathologie à l'Ecole de Médecine militaire, à qui l'on doit l'ouvrage intitulé : The Science and Practice of Medicine, dont l'édition américaine, imprimée par les soins du professeur Meredith Clymer de l'Université de Pensylvanie, jouit d'une réputation égale aux EtatsUnis. Au pages 225-26 du premier volume, nous trouvons ce sujet traité tout au long. L'auteur dit : "La superstition, les notions absurdes et les causes étranges attribuées à  ces malformations disparaissent maintenant, assez vite, en présence des lucides explications données par les célèbres anatomistes qui ont fait du développement et de la croissance de l'œuf l'objet d'une étude spéciale. Il suffit de citer ici les noms de J. Muller, Rathke, Bischoff, Saint-Hilaire, Burdach, Allen Thompson, G. et W. Vrolick, Wolff, Meckel, Simpson, Rokitansky et Von Ammon, pour démontrer que les vérités de la science dissiperont à un moment donné les brumes de l'ignorance et de la superstition". On croirait, au ton de complaisante assurance adopté par cet éminent auteur, que nous sommes en possession, sinon des moyens de résoudre immédiatement ce difficile problème, du moins d'un fil pour nous guider dans ce labyrinthe. Mais en 1872, après avoir mis à profit tous les travaux des plus illustres professeurs de pathologie, nous le voyons formuler le même aveu d'ignorance que Magendie en 1838. "Néanmoins, dit-il, un grand mystère enveloppe encore l'origine de ces monstruosités ; on peut envisager ces défauts de conformations à deux points de vue différents : Sont-ils dus à une malformation originaire du germe ? Ou bien sont-ils le résultat de déformations ultérieures de l'embryon par des causes qui agissent sur son développement ? Pour ce qui est de la première question, on pense que le germe a été mal formé à l'origine, ou défectueux à la suite d'une influence soit de la femelle, soit du mâle, comme dans les cas où le même vice de conformation se reproduit par les mêmes parents, qui le transmettent en héritage aux enfants".

171 [Ch. Elam, op. cit., p. 238.]

 

N'ayant aucun système philosophique propre pour expliquer les lésions, les pathologistes, fidèles à leur instinct professionnel, ont recours à la négation. "Que ces difformités puissent être produites par les impressions mentales des femmes enceintes, c'est ce qu'aucune preuve positive ne démontre y, disent-ils. "Les polypes, les marques et taches cutanées doivent être attribués à des états morbides des membranes de l'œuf. Une cause de malformation généralement admise consiste dans l'arrêt de développement du fœtus, mais la cause de ce temps d'arrêt n'est pus toujours manifeste, et elle est, au contraire, le plus souvent cachée... Les formes transitoires de l'embryon humain sont comparables aux formes persistantes de beaucoup d'animaux inférieurs". L'éminent [113] professeur peut-il en donner la raison ? "C'est pourquoi les malformations, résultant d'un arrêt de développement, adoptent souvent un  aspect animal" 172.

172 [Magendie, op. cit., 6ème éd., Londres 1872, pp. 225-26.]

 

C'est juste ; mais pourquoi les pathologistes ne nous en donnent-ils pas la raison ? Tout anatomiste qui a fait une étude spéciale du développement et de la croissance de l'embryon peut dire, sans  beaucoup se creuser la cervelle, ce que l'expérience de tous les jours et le témoignage de ses propres yeux lui montrent, savoir : Que, jusqu'à une certaine période, l'embryon humain est le fac-similé d'un jeune batracien à sa sortie de l'œuf, d'un têtard. Mais aucun physiologiste ou anatomiste ne paraît avoir eu l'idée d'appliquer au développement de l'être humain, depuis le premier moment de son apparition à l'état de germe jusqu'à sa formation définitive complète, et à sa naissance la doctrine ésotérique de la métempsycose de Pythagore, si mal comprise et interprétée par les critiques. Le sens de l'axiome cabalistique : "Une pierre  devient  une plante ; une plante devient un animal ; un animal un homme, etc..." a déjà été indiqué ici relativement à l'évolution spirituelle et physique de l'homme sur cette terre. Nous ajouterons maintenant quelques mots, afin de rendre l'idée plus claire.

Quelle est la forme primitive de l'homme futur ? Un grain, un corpuscule, disent quelques physiologistes ; une molécule, un germe d'œuf disent les autres. S'il pouvait être analysé au moyen du microscope ou autrement, de quoi devrait-on s'attendre à le voir composé ? A cette question, nous répondrions, par analogie, d'un noyau de matière inorganique, déposé par la circulation au point de la germination, et uni à un dépôt de matière organique. En d'autres termes, ce noyau infinitésimal de l'homme futur est formé des mêmes éléments qu'une pierre, des mêmes éléments que la terre, que l'homme est destiné à habiter. Moise est cité par les cabalistes comme une autorité pour sa remarque qu'il a fallu de l'eau et de la terre pour former un être vivant, et c'est ainsi que l'on peut dire que l'homme, au début, apparaît comme une pierre.

Au bout de trois ou quatre semaines, l'œuf prend l'aspect d'une plante, une de ses extrémités devenant sphéroïdale, et l'autre allongée comme une carotte. A la dissection, on trouve qu'elle est formée, comme l'oignon, de membranes très délicates, renfermant un liquide. Ces lamelles se rapprochent de plus en plus à l'extrémité inférieure, et l'embryon pend à la racine de l'ombilic, presque comme un fruit pend à la branche. La pierre s'est maintenant transformée, par la métempsycose, en une plante. Puis la créature embryonnaire commence à bourgeonner [114] ses membres du dedans au dehors et à développer ses traits. Les yeux sont visibles comme deux points noirs ; les oreilles, le nez et la bouche forment des dépressions, comme les points d'un ananas, avant de commencer à se projeter en saillie. L'embryon devient un fœtus animal – ayant d'abord la forme d'un têtard – et vit comme un amphibie dans l'eau où il se développe. Sa monade n'est pas encore humaine ni immortelle, car les cabalistes nous apprennent que la première ne devient humaine qu'à la "quatrième heure". Le fœtus prend alors un à un les caractères de l'être humain, et le premier réveil du souffle immortel traverse son être ; il se meut ; la nature lui ouvre la voie ; elle l'introduit dans le monde, et l'essence divine habite dans le corps de l'enfant, où elle résidera jusqu'à sa mort physique, lorsque l'homme devient un esprit.

Ce mystérieux processus de formation qui dure neuf mois est ce que les cabalistes appellent l'achèvement du "cycle individuel d'évolution". Comme le fœtus se développe dans le liquide amniotique dans la   matrice, de même les terres germent dans l'éther universel, ou fluide astral, dans la matière de l'univers. Ces enfants cosmiques, de même que leurs habitants pygmées, sont d'abord des noyaux ; puis des ovules, et atteignent graduellement la maturité ; devenant mères à leur tour, ils développent les formes minérales, végétales, animales et humaines. Du centre à la circonférence, depuis l'imperceptible vésicule jusqu'aux dernières limites concevables du cosmos, ces glorieux penseurs, les cabalistes, suivent la trace des cycles se fondant dans des cycles, contenants et contenus, en des séries sans fin. L'embryon faisant son évolution dans sa sphère prénatale, l'individu dans sa famille, la famille dans l'état, l'état dans l'humanité, la terre dans notre système, ce système dans l'univers central, l'univers  dans le cosmos, et le cosmos dans la Cause Première, l'Illimité et le Sans-fin. Ainsi procède leur philosophie de l'évolution.

"All are but parts of one stupendous whole Whose body nature is ; and God the soul 173. Worlds without number Lie in this bosom like children 174."

173 [Pope, Essay on Man, I, 267.]

174 Ils sont tous les parties d'un tout prodigieux dont le corps est la nature, et dont Dieu est l'âme, Des Mondes sans nombre Reposent dans ce sein comme des enfants.

 

Tout en s'accordant à reconnaître que les causes physiques, telles que les coups, les accidents et la mauvaise qualité de la nourriture de la mère affectent le fœtus de façon à compromettre son [115] existence, et en admettant aussi que des causes morales, comme la crainte, une terreur subite, un chagrin violent ou même une joie extrême puissent retarder la croissance du fœtus, et même le tuer, beaucoup de physiologistes sont d'accord pour dire avec Magendie : "qu'il n'y a pas de raison pour croire que l'imagination de la mère exerce une influence quelconque sur la formation des monstres", et cela uniquement "parce que tous les jours on observe des phénomènes de ce genre dans la production des autres animaux et même des plantes".

La plupart des principaux tératologistes d'aujourd'hui partagent cette opinion. Bien que Geoffroy Saint-Hilaire ait baptisé la nouvelle science, les faits  sur  lesquels il s'appuie  sont  tirés des expériences décisives de Bichat, qui, en 1802, a été reconnu comme le fondateur de l'anatomie analytique et philosophique. Une des plus importantes contributions à la littérature tératologique est la monographie de G.-J. Fisher de Sing-Sing (New-York), intitulée Diptoteratology ; an Essay on Compound Human Monsters. Cet auteur classe les croissances fœtales monstrueuses en genres et espèces, en faisant suivre chaque cas de réflexions suggérées par ses particularités. Comme Saint-Hilaire, il divise l'histoire du sujet en périodes fabuleuse, positive et scientifique.

Il est suffisant pour l'objet que nous avons en vue de dire, que dans l'état actuel de la science, deux points sont considérés comme établis, savoir : 1° que la condition mentale de la mère n'a aucune influence sur la production des monstruosités ; 2° que la plupart des variétés de monstruosités peuvent être attribuées à la théorie d'un arrêt ou retard de développement. Fisher dit : "Par une soigneuse étude des lois du développement, et de l'ordre dans lequel les divers organes évoluent et se forment dans l'embryon, on a observé que les monstres par défaut ou arrêt de développement sont, jusqu'à un certain point, des embryons permanents. Les organes anormaux ne représentent que la condition primitive de la formation, telle qu'elle existait pendant la première phase de la vie embryonnaire ou fœtale 175.

175 Transactions ot the Medical Society of N Y., 1865, p. 249.

 

Avec la physiologie dont l'état chaotique est admis aujourd'hui, il serait assez difficile pour un tératologiste, quelque grands que soient ses succès en anatomie, en histologie ou en embryologie de soutenir une thèse aussi dangereuse que celle qui prétend que la mère n'a aucune influence sur sa progéniture. Tandis que les microscopes de Haller et de Prolik, de Dareste et de Lereboulet ont découvert nombre de faits intéressants concernant les simples ou doubles traces sur la membrane vitelline, ce que la science a encore [116] à découvrir sur l'embryologie paraît plus important encore. Si nous admettons que les monstruosités sont le résultat d'un arrêt de développement ; bien mieux, si, allant plus loin encore, nous concédons qu'on peut pronostiquer l'avenir du fœtus d'après les traces vitellines, où les tératologistes prendront-ils les éléments nécessaires pour nous apprendre la cause psychologique antérieure de ces deux faits ? Le Dr Fisher peut avoir sérieusement étudié quelques centaines de cas, et se croire  autorisé  à  faire  une  nouvelle  classification  de  leurs  genres et espèces ; mais les faits sont des faits, et en dehors de son champ d'observation, il paraît, même si nous n'en jugeons que par notre expérience personnelle, dans diverses contrées, qu'on peut obtenir d'abondantes preuves que de violentes émotions maternelles sont souvent reflétées dans des déformations tangibles, visibles et permanentes chez l'enfant. Et les cas en question semblent. en outre, contredire l'assertion du Dr Fisher que les développements monstrueux sont dus à des causes que l'on peut retrouver "dans les premières phases de la vie embryonnaire ou fœtale". Un cas à citer est celui d'un Juge de la Cour Impériale à Saratow en Russie, qui portait toujours un bandeau pour cacher une tache en forme de souris sur la joue gauche. C'était une souris parfaitement conformée, dont le corps était représenté en relief sur la joue, et dont la queue, remontant par la tempe, allait se perdre dans la chevelure. Le corps paraissait luisant, grisâtre et tout à fait naturel. De son propre aveu,  sa mère avait une invincible répugnance pour les souris, et elle  avait accouché avant terme à la vue d'une d'entre elles bondissant tout à coup de sa boîte à ouvrage.

Dans un autre cas qu'a vu l'auteur de ces lignes, une dame enceinte, deux ou trois semaines avant ses couches vit un plat de framboises, et elle fut prise d'une violente envie d'en avoir, ce qu'on lui refusa. Elle porta vivement sa main droite à son cou par un geste quelque peu théâtral en s'écriant qu'il lui en fallait absolument. L'enfant, né sous nos yeux, trois semaines plus tard, portait une framboise parfaitement reproduite sur le côté droit du cou ; et jusqu'à ce jour, à l'époque de la maturité du fruit, la marque de naissance devient d'un rouge profond, tandis que durant l'hiver elle est très pâle.

De tels exemples, très familiers aux mères de famille, soit par leur propre expérience ou celle de leurs amies, produisent une  conviction réelle, en dépit des théories de tous les tératologistes d'Europe et d'Amérique. De ce que l'on observe des malformations de l'espèce chez les animaux et chez les plantes, aussi bien que chez les êtres humains, Magendie et son école concluent que les malformations humaines d'un caractère identique ne sont en aucune façon dues à l'imagination maternelle, puisque celles-là ne [117] le sont pas. Si les causes physiques produisent des effets physiques dans les règnes inférieurs de la nature, la déduction est que la même règle doit s'appliquer à nous.

 Mais une théorie tout à fait originale a été émise par le professeur Armor, du collège médical de Long Island, au cours de la discussion qui eut lieu à l'Académie de Médecine de Détroit. En opposition avec la doctrine orthodoxe représentée par le Dr Fisher, le professeur Armor dit que les malformations proviennent de l'une ou l'autre de deux causes, savoir : 1° une insuffisance ou une condition anormale dans la matière générative dans laquelle le fœtus est développé, ou 2° des influences morbides agissant sur le fœtus dans l'utérus. Il soutient que la matière générative représente dans sa composition chaque tissu, chaque structure, chaque forme, et qu'il peut y avoir telles transmissions de singularités structurales acquises, qui rendent la matière générative incapable de produire un rejeton sain et d'un développement équilibré. D'autre part, la matière générative peut être parfaite en elle-même, mais se  trouver soumise à des influences morbides durant la gestation, et l'enfant en deviendra nécessairement monstrueux.

Pour être conséquente, cette théorie devrait expliquer en même temps les cas diplotératologiques (les monstres à deux têtes ou à doubles membres) ce qui paraît difficile. Nous pourrions peut-être admettre que dans la matière générative défectueuse, la tête de l'embryon ne soit pas représentée, ou que quelque autre partie du corps fasse défaut ; mais il est malaisé d'admettre qu'il puisse y avoir deux, trois modèles ou plus d'un seul membre. En outre, si la matière est atteinte d'une tare héréditaire, il faut croire que toute la progéniture sera également monstrueuse. Or, il arrive que, dans beaucoup de cas, la mère a donné naissance à un grand nombre d'enfants sains, avant que le monstre n'apparaisse, provenant tous du même père. Le Dr Fisher cite de nombreux cas de ce genre ; entre autres, celui de Catherine Corcoran, "femme très robuste et très saine, âgée de trente ans, qui, avant de donner naissance à un monstre, avait eu cinq enfants fort bien conformés, dont aucuns n'étaient jumeaux... Le monstre auquel elle donna le jour avait une tête à chaque extrémité du corps, deux poitrines avec les bras complets, deux cavités abdominales et pelviennes réunies bout à bout avec quatre jambes placées par deux, de chaque côté, à l'endroit ou les deux bassins étaient reliés 176. Toutefois, certaines parties du corps n'étaient pas doubles, de sorte que l'on ne peut citer ce cas comme un fait de deux corps jumeaux réunis en un seul. [118]

 176 Dublin, Quarterly Journal of Medical Science, vol. XV, p. 263, 1853.

 

Un autre exemple est celui de Marie-Thérèse Parodi 177. Cette femme, qui avait précédemment mis au monde huit enfants bien formés, accoucha d'une fille dont la partie supérieure du corps était double. Les cas, où avant et après la production d'un monstre les enfants étaient parfaitement conformés, sont nombreux, et si, d'autre part, le fait que les monstruosités sont aussi communes chez les animaux que chez les hommes est un argument généralement accepté contre la théorie populaire que ces malformations sont dues à l'imagination de la mère ; et si on admet cet autre fait qu'il n'y a aucune différence entre les cellules ovariennes d'un mammifère et ceux d'une femme, que devient dès lors la théorie du professeur Armor ?. Dans ce cas, le fait d'une malformation animale est aussi concluant que celui d'un monstre humain, et c'est ce que nous lisons dans l'article du Dr Samuel Mitchel : On two-headed Serpents. Un serpent femelle fut tué avec toute sa portée, au nombre de 120 petits, parmi lesquels il y avait trois monstres. L'un avait deux têtes bien distinctes ; un autre avait deux têtes, mais seulement trois yeux ; et un troisième avait un double crâne, muni également de trois yeux, mais avec une seule mandibule. Ce dernier avait deux corps 178. Certes, la matière générative qui avait produit ces trois monstres était identique à celle qui avait formé les 117 autres ! Ainsi donc, la théorie du Dr Armor est aussi imparfaite que toutes les autres.

L'erreur provient de la méthode défectueuse de raisonnement habituellement adoptée, l'Induction. C'est une méthode qui prétend rassembler, par l'expérience et l'observation, tous les faits à sa portée, la première recueillant et examinant les faits pour en tirer des conclusions ; et, comme le dit l'auteur de Philosophical Inquiry 179, "comme ces conclusions ne s'étendent pas au delà de ce qui est garanti et démontré par l'expérience, l'Induction est un instrument de preuve et de limitation". Bien que nette limitation se retrouve partout dans les enquêtes scientifiques, on en convient très rarement, mais on bâtit des hypothèses, comme si les expérimentateurs y avaient trouvé des théorèmes, mathématiquement démontrés, au lieu d'être de simples approximations, pour ne pas dire plus.

 177 A.E. Serres, Recherches d'Anatomie Transcendante et Pathologique, etc., Paris, 1832.

178 Silliman's Journal of Science and Art, vol. x, p. 48.

179 [Dans H. Mandsley, Body and Mind.]

 

Pour un homme qui étudie la philosophie occulte et qui, à son tour, rejette la méthode d'induction, en raison précisément de ces limitations perpétuelles, mais qui adopte pleinement la division Platonicienne, c'est-à- dire en causes Efficientes, Formelles, Matérielles, et Finales, aussi bien que la méthode Eléatique consistant [119] à examiner toute proposition émise, il paraît tout naturel de raisonner en partant du principe suivant de l'école Néo-Platonicienne : 1° Le sujet est ou n'est pas tel qu'on le suppose. Par conséquent, nous demanderons : L'Ether universel, connu  des cabalistes sous le nom de "lumière astrale", contient-il de l'électricité et du magnétisme, ou non ? La réponse doit être affirmative, car la "science exacte" nous apprend qu'il y a entre ces deux agents convertibles, saturant tous deux la terre et l'air, un échange constant d'électricité et de magnétisme. La question n°1 étant réglée, nous avons maintenant à examiner ce qui a lieu : 1° Pour lui par rapport à lui-même ; 2° Pour lui relativement aux autres choses ; 3° dans les autres choses par rapport à lui ; 4° enfin, dans les autres choses par rapport à elles-mêmes.

REPONSES. 1° Par rapport à lui-même. Les propriétés inhérentes, d'abord latentes dans l'électricité, deviennent actives sous certaines conditions favorables ; et à un moment donné, la forme de force magnétique est assumée par l'agent subtil et pénétrant tout ; à un autre moment, c'est la forme de force électrique qui est assumée ;

2° Relativement aux autres choses. Il est attiré par tous les corps pour lesquels il a de l'affinité, et repoussé par les autres ;

3° Dans les autres choses par rapport à lui. Il arrive que toutes les fois qu'elles se trouvent en contact avec l'électricité, elles en reçoivent une impression, en proportion de leur conductibilité ;

4° Dans les autres choses par rapport à elles-mêmes. Sous l'impulsion reçue de la force électrique, et proportionnellement à son intensité, leurs molécules changent leurs mutuelles corrélations ; elles sont forcément séparées de façon à détruire l'objet qu'elles forment, organique ou inorganique ; ou bien, si elles étaient dérangées auparavant, elles sont remises en équilibre (comme dans les cas de maladie) ; ou la perturbation ne sera que superficielle, et l'objet recevra l'empreinte d'un autre corps, rencontré par le fluide avant d'arriver à lui.

 Pour appliquer les proportions ci-dessus au cas en question, nous dirons : il y a plusieurs principes scientifiques bien reconnus, comme, par exemple, qu'une femme enceinte se trouve dans un état physique et mental d'une extrême impressionnabilité. La physiologie nous apprend que ses facultés intellectuelles sont affaiblies, et qu'elle est affectée, à un degré anormal, par les événements les plus insignifiants. Ses pores sont ouverts, et elle est sujette à une transpiration cutanée particulière ; elle semble dans une situation qui la rend réceptive à toutes les influences de la nature. Les disciples de Reichenbach affirment que sa condition [120] odique est très intense. Du Potet recommande de prendre des précautions pour la magnétiser, de peur d'affecter l'enfant. Ses maladies l'atteignent, et souvent il les absorbe entièrement ; ses douleurs et ses joies réagissent sur son tempérament, aussi bien que sur sa santé ; les grands hommes passent pour avoir eu des mères de mérite, et vice-versa. "Il est vrai que l'imagination influe sur le fœtus", dit Magendie, qui contredit ainsi une de ses assertions formulées ailleurs ; et il ajoute qu' "une terreur subite peut occasionner la mort du fœtus, ou retarder son développement" 180.

180 Précis Elémentaire de Physiologie, p. 520.

 

Dans le cas, récemment raconté dans les journaux américains, d'un garçon qui fut tué par la foudre, on trouva, en le déshabillant, parfaitement imprimée sur sa poitrine, la reproduction fidèle d'un arbre, qui se trouvait non loin de la fenêtre en face de laquelle il était au moment de la catastrophe, et qui avait été lui-même abattu par la foudre. Cette photographie électrique faite par les forces aveugles de la nature nous fournit une analogie, grâce à laquelle nous pouvons comprendre comment les images mentales de la mère sont transmises à l'enfant encore à naître. Ses pores sont ouverts ; elle exsude une émanation odique qui n'est qu'une forme différente de l'Akasha, l'électricité ou le principe de vie, lequel, d'après Reichenbach, produit le sommeil mesmérique, et par conséquent est du magnétisme. Les courants magnétiques se développent, à leur sortie du corps, en électricité. Un objet faisant une impression violente sur le mental de la mère, son image est aussitôt projetée dans la lumière astrale, ou éther universel, que Jevons et Babbage, de même que les auteurs de Unseen Universe nous disent être le dépôt des images spirituelles de toutes les formes et même des pensées humaines. Ses émanations magnétiques attirent le courant descendant, qui porte déjà l'image, et s'unissent à lui. Il rebondit et, se répercutant plus ou moins violemment, il s'imprime sur le fœtus, d'après la formule même de la physiologie, qui montre comment chaque sentiment maternel réagit sur l'enfant. Est-ce que cette théorie cabalistique est plus hypothétique ou incompréhensible que la doctrine tératologique enseignée par les disciples de Geoffroy Saint-Hilaire ? C'est cette doctrine, dont Magendfe dit, avec tant de raison, "qu'elle a  été trouvée commode et facile à cause de son obscurité et du vague de ses enseignements, et "qu'elle ne Vise à rien moins qu'à la création d'une science nouvelle, dont la théorie repose sur certaines lois pas très intelligibles, telles que celles de l'arrêt, du retard, de la position similaire ou excentrique, et spécialement de ce qu'on appelle la grande loi du soi pour soi" 181. [121]

Eliphas Lévi, qui est certainement une des meilleures autorités sur certains points, parmi les cabalistes, dit : "Les femmes enceintes sont, plus que les autres, sous l'influence de la lumière astrale qui concourt à la formation de leur enfant, et leur présente constamment des réminiscences de formes dont elle est remplie. C'est ainsi que de très vertueuses femmes trompent la malignité des observateurs par des ressemblances équivoques. Souvent elles impriment sur le fruit du mariage une image qui les a frappées durant un rêve, et de la sorte les mêmes physionomies se perpétuent d'âge en âge."

"L'usage cabalistique du pentagramme peut déterminer, par conséquent, les traits de l'enfant encore à naître, et une femme initiée pourrait donner à son enfant les traits de Nérée ou d'Achille, aussi bien que ceux de Louis XV ou de Napoléon" 182.

181 Ibidem, p. 521.

182 Dogme et Rituel de la Haute magie, Vol. I, ch. V.

 

Si cette théorie devait en confirmer une autre que celle du Dr. Fischer, il devrait être le dernier à se plaindre, car, ainsi qu'il le confesse lui-même, confession d'ailleurs que son exemple confirme, "un des obstacles les plus redoutables à l'avancement de la science... a toujours été l'aveugle soumission envers l'autorité... Dégager l'esprit de l'influence de l'autorité, afin qu'il ait les coudées franches dans la recherche des lois et des faits  qui existent   dans   la   nature,   est   la   première   condition   indispensable  aux découvertes scientifiques et au progrès permanent" 183.

183 Transactions of Medical Society of New-York, 1865, etc., p. 246.

 

Si l'imagination maternelle peut arrêter le développement ou détruire la vie du fœtus, pourquoi ne pourrait-elle pas exercer une influence sur son apparence physique ? Il y a des chirurgiens qui ont consacré leur vie et leur fortune à la découverte des causes de ces malformations, mais qui n'ont abouti qu'à l'opinion qu'elles étaient tout simplement des "coïncidences". Il serait aussi éminemment antiphilosophique de dire que les animaux  ne sont pas doués d'imagination ; et bien que l'on puisse considérer comme le comble de la spéculation métaphysique de formuler même l'idée que les individus du règne végétal – par exemple les mimosas et le groupe des plantes insectivores – possèdent un instinct et même une imagination rudimentaire qui leur est propre, cependant cette idée ne manque pas de défenseurs. Si de grands physiciens, comme Tyndall, sont obligés de reconnaître que, même dans le cas de l'homme intelligent et doué du langage, ils sont impuissants à combler l'abîme qui sépare le mental de la matière, et à définir la puissance de l'imagination combien plus grand encore doit être le mystère de ce qui se passe dans le cerveau d'un animal muet ? [122]

Qu'est-ce que l'imagination ? Les psychologues nous disent que  c'est la puissance plastique ou créatrice de l'âme ; mais les matérialistes la confondent avec la fantaisie. La différence radicale qui existe entre les deux a été cependant si clairement indiquée par Wordsworth, dans la préface de ses Lyrical Ballads, que l'on n'a plus d'excuse de confondre ces deux termes. Pythagore soutenait que l'imagination était le souvenir d'états spirituels, mentaux et physiques antérieurs, tandis que la fantaisie est la production désordonnée du cerveau matériel.

De quelque côté que l'on envisage et étudie la matière, la philosophie vieille comme le monde disant qu'elle a été vivifiée et fécondée par l'idée éternelle ou imagination (l'esquisse préparant la forme concrète) s'impose inévitablement. Si nous rejetons cette doctrine, la théorie d'un cosmos évoluant graduellement de son désordre chaotique devient une absurdité ; car rien n'est moins philosophique que d'imaginer une matière inerte, mise uniquement en mouvement par une force aveugle, non dirigée par l'intelligence, se formant spontanément en un univers d'une harmonie aussi admirable. Si l'âme de l'homme est réellement le produit de l'essence de cette âme universelle, une fraction infinitésimale de ce premier principe créateur, il doit nécessairement participer, dans une certaine mesure, à tous les attributs de la puissance démiurgique. De même que le créateur, en brisant la masse chaotique de matière morte et inactive, lui donna la forme, de même l'homme, s'il connaissait sa puissance, agirait aussi, jusqu'à un certain point, de la sorte. Ainsi que Phidias, en réunissant les parcelles éparses de l'argile et en les humectant d'eau, a pu donner une forme plastique à la sublime idée évoquée par sa faculté créatrice, ainsi la mère qui a la conscience de son pouvoir est capable de façonner à son gré l'enfant qui va naître. Ignorant sa force, le sculpteur avec sa matière inerte ne produit qu'une figure ravissante, mais inanimée ; tandis que l'âme de la mère, violemment affectée par l'imagination, projette aveuglément dans la lumière astrale l'image d'un objet qui l'a vivement impressionnée, et, par voie de répercussion, cette image vient s'imprimer sur le fœtus. La science nous apprend que la loi de la gravitation nous assure que tout déplacement s'opérant au centre même de la terre est ressenti dans tout l'univers, "et nous pouvons imaginer que la même chose est vraie des mouvements moléculaires qui accompagnent la pensée" 184. Parlant de la transmission de l'énergie à travers l'éther universel ou lumière astrale, le même auteur dit : "Des photographies continuelles de tous les faits sont de la sorte [123] obtenues et conservées. Une grande partie des énergies de l'univers peut être ainsi employée dans ces images."

184 Fournié, Physiologie du système nerveux, cérébro-spinal. Paris, 1872.

185 Ibidem.

 

Le Dr Fournié de l'Institut national des Sourds et Muets de France au chapitre II de son ouvrage 185, en examinant la question du fœtus, dit que le microscope le plus puissant est incapable de nous montrer la plus légère différence entre la cellule ovarienne d'un mammifère et celle de l'homme ; et en ce qui concerne le premier ou le dernier mouvement de l'ovule, il pose cette question : "Qu'est-ce que c'est ? A-t-il des caractères particuliers qui le distinguent de tout autre ovule ?" Et il répond lui-même avec raison : "Jusqu'à présent, la science n'a pas répondu à ces questions, et sans être pessimiste, je ne crois pas qu'elle y répondra jamais. Du jour où ses méthodes d'examen lui permettront de surprendre le mécanisme caché du conflit entre le principe de vie et la matière, elle connaîtra la vie elle-même et sera capable de la produire. Si notre auteur avait lu le sermon du Père Félix,   comme   il   aurait   répondu   Amen !    à   l'exclamation    du   prêtre : MYSTERE ! MYSTERE !

Examinons l'assertion de Magendie à la lumière des exemples cités de la puissance de l'imagination pour produire des difformités monstrueuses, en dehors de la question des femmes enceintes. Il admet que ces anomalies se produisent journellement dans les rejetons des animaux inférieurs ; comment explique-t-il l'éclosion de poulets à tête de faucon, si ce n'est au moyen de la théorie que l'apparition de l'ennemi héréditaire agit sur l'imagination de la poule, qui à son tour imprime à la substance dont le germe est constitué certains mouvements qui, avant de se former, produisent les poussins monstrueux ? Nous avons connu un cas analogue dans lequel une colombe apprivoisée, appartenant à une dame de nos relations, ayant été journellement effrayée par un perroquet, eut à la couvée suivante deux petits avec des têtes de perroquet, la ressemblance avec cet oiseau s'étendant jusqu'à la couleur des plumes. Nous pourrions citer aussi Columella, Youatt, et d'autres auteurs ainsi que les résultats de l'expérience d'éleveurs qui démontrent qu'en agissant sur l'imagination de la robre, l'aspect extérieur du produit peut être grandement modifié. Ces exemples n'affectent en aucune manière la question de l'hérédité, car ils ne sont simplement que des variations spéciales de types produits artificiellement.

186 Night-Side of Nature, par Catherine Crowe, p. 434 et suivantes.

 

Catherine Crowe discute longuement au sujet du pouvoir du mental sur la matière, et elle raconte à son appui une foule de faits parfaitement authentiques 186. Entre autres, le curieux phénomène [124] des stigmates a, à cet égard, une portée décisive. Ces marques sont produites sur des personnes de tout âge, et elles sont toujours le résultat d'une imagination surexcitée. Dans les cas de l'extatique Tyrolienne Catherine Emmerich et de beaucoup d'autres, les plaies de la crucifixion sont, paraît-il, aussi naturelles que possible. Une certaine Mme von N. rêva, une nuit, qu'une personne lui offrait une rose blanche et une rouge, et qu'elle choisissait cette dernière. A son réveil, elle éprouva sur une partie du bras comme la sensation d'une brûlure, et elle y vit apparaître graduellement l'image parfaite de couleur et de forme d'une rose ; elle formait légèrement relief sur la surface de la peau. Cette marque augmenta d'intensité jusqu'au huitième jour, et elle se fana ensuite jusqu'au quatorzième, où elle  disparut complètement. Deux jeunes dames, en Pologne, se tenaient pendant un orage devant une croisée ouverte ; un coup de foudre éclata tout près d'elles, et le collier en or de l'une d'elles fut fondu du coup, en laissant sur la peau une empreinte qui dura toute sa vie. L'autre, effrayée de l'accident survenu à sa compagne, fut saisie d'horreur pendant quelques minutes et s'évanouit. Petit à petit, la même marque d'un collier, qui s'était instantanément produite sur le cou de son amie, apparut aussi sur le sien, et subsista pendant plusieurs années, au bout desquelles il finit par disparaître.

Le Dr Justin Kerner, le distingué auteur allemand, raconte un fait encore plus extraordinaire. "A l'époque de l'invasion française, un cosaque ayant poursuivi un Français, et l'ayant acculé dans une impasse, une lutte terrible s'engagea entre eux, dans laquelle le dernier fut grièvement blessé. Une personne qui avait cherché un refuge dans ce cul-de-sac, et ne put s'échapper, fut tellement effrayée, qu'en rentrant chez elle, on vit se reproduire sur son corps exactement les mêmes blessures que le cosaque avait infligées à son ennemi 187".

187 [Ibid., p. 435.]

 

Dans ce cas, comme dans ceux où des désordres organiques et même la mort physique sont le résultat d'une surexcitation soudaine de l'esprit, réagissant sur le corps, Magendie aurait de la peine à attribuer l'effet à tout autre cause qu'à l'imagination ; et s'il était un occultiste, comme Paracelse ou Van Helmont, la question serait débarrassée du mystère qui l'enveloppe. Il comprendrait la puissance de la volonté et de l'imagination humaine, (la première consciente et la seconde inconsciente), sur l'agent universel, pour porter des atteintes physiques et mentales non seulement à des victimes choisies, mais aussi, par action réflexe, inconsciemment à soi-même. C'est un des principes fondamentaux de la magie, que si un courant de ce fluide subtil n'est pas poussé avec [125] une force suffisante pour atteindre le point objectif, il réagira sur le sujet qui l'a mis en mouvement, de même qu'une balle élastique rebondit dans la main du joueur, après avoir  frappé la muraille qu'elle n'a pu traverser. Il y a, en effet, beaucoup d'exemples où de prétendus sorciers ont été eux-mêmes les victimes. Van Helmont dit : "La puissance d'imagination d'une femme vivement excitée produit une idée, qui sert d'intermédiaire entre le corps et l'esprit. Elle se transfère à l'être avec lequel la femme est en relation la plus immédiate, et elle imprime en lui l'image qui l'a le plus agitée elle-même" 188.

Deleuze a recueilli, dans sa Bibliothèque du Magnétisme animal, un grand nombre de faits remarquables, tirés de Van Helmont„ et parmi ces faits, nous nous contenterons de citer le suivant, faisant pendant au cas du chasseur d'oiseaux, Jacques Pelissier. Il dit "que des hommes en regardant fixement des animaux, occulis intentis, pendant un quart d'heure, peuvent occasionner leur mort ; ce que Rousseau confirme, d'après sa propre expérience en Egypte et en Orient, où il tua de cette manière plusieurs crapauds. Mais lorsqu'il voulut l'essayer à Lyon, le crapaud, sentant qu'il ne pourrait échapper aux atteintes de son regard, s'éveilla et s'élança sur lui avec tant de violence, sans détacher ses yeux de lui, que Rousseau fut pris de faiblesse et s'évanouit, et pendant quelque temps on le crut mort" 189.

188 [Van Helmont, Ort. medic., p. 287 ; éd. 1652.]

189 [Résumé de Bibliothèque du magnétisme animal. Paris 1817-18, Vol. I, pp. 67-68.]

190 Cap. XVIII, col. 453-55, Basileae, 1583.]

 

Mais pour en revenir à la question de tératologie, Wier, dans son livre De Præstigiis Dæmonum 190, parle d'un enfant né d'une femme qui, peu de temps avant sa naissance, avait été menacée par son mari, lui disant qu'elle avait le diable en elle, et qu'il voulait le tuer. L'effroi de la mère fut tel, que l'enfant vint au monde "bien conformé de la ceinture au bas, mais ayant à la partie supérieure le corps moucheté de taches d'un brun rougeâtre, les yeux à fleur de tête, la bouche d'un satyre, des oreilles de chien, et des cornes recourbées sur la tête comme un bouc". Dans un ouvrage de démonologie écrit par Peramatus, on lit l'histoire d'un monstre, né à Saint- Laurent, dans les Indes Occidentales, en 1573, dont l'authenticité est attestée par le duc de Medina-Sidonia. L'enfant, "outre l'horrible difformité de la bouche, des oreilles et du nez, avait deux cornes sur la tête pareilles à celles des jeunes boucs, le corps couvert de longs poils, et vers le milieu du corps une espèce de ceinture charnue, de laquelle pendait un morceau de chair ayant la forme d'une bourse, et une cloche de chair dans la main gauche, comme celles dont se servent les Indiens dans leurs [126] danses ; il avait enfin les jambes emprisonnées dans des bottes à retroussis en chair de couleur blanche. En un mot, tout l'ensemble était horrible et diabolique, et il était à présumer que tout cela provenait d'une frayeur que la mère avait éprouvée, en voyant des Indiens exécuter leurs danses grotesques" 191. Le Dr Fisher rejette tous ces exemples comme dénués d'authenticité et comme fabuleux.

Mais nous ne voulons pas fatiguer davantage le lecteur par le récit des nombreux cas de tératologie que l'on trouve rapportés dans les œuvres des auteurs qui ont écrit sur la matière ; ceux qui précèdent suffisent pour prouver qu'il y a de fortes raisons pour attribuer ces aberrations du type physiologique à la réaction mutuelle de l'esprit maternel et de l'éther universel. Dans le cas où l'on révoquerait en doute l'autorité de Van Helmont, comme homme de science, nous en référerions à l'ouvrage de Fournié, le célèbre physiologiste, dans lequel (à la page 717) on trouve l'appréciation suivante de son caractère : "Van Helmont était un chimiste extrêmement distingué ; il avait tout particulièrement étudié les fluides aériformes, auxquels il avait donné le nom de gaz ; en même temps il poussait la piété jusqu'au mysticisme, s'abandonnant exclusivement à une contemplation constante de la divinité... Van Helmont s'est distingué au- dessus de tous ses prédécesseurs en reliant le principe de la vie directement et en quelque sorte expérimentalement, ainsi qu'il le dit lui-même, aux plus infimes mouvements du corps. C'est l'action incessante de cette entité, qu'il n'associe nullement avec les éléments matériels, mais qui forme une individualité distincte, que nous ne pouvons comprendre. Néanmoins, c'est sur cette entité qu'une célèbre école a établi sa base principale" 192.

"Le principe de vie" de Van Helmont, ou l'archœus, n'est ni plus ni moins que la lumière astrale de tous les cabalistes et l'éther universel de la science moderne. Si les empreintes les plus importantes du fœtus ne sont pas dues à l'imagination de la mère, à quelle autre cause Magendie attribuerait-il la formation des plaques cornées, des cornes de boucs et la peau velue d'animaux que, dans les citations précédentes, nous voyons caractériser les monstrueuses progénitures en question ? Il  n'existait, certes, aucun germe latent de caractères du règne animal, capables d'être développés sous l'impulsion soudaine d'un caprice maternel. Bref, la seule explication possible est celle présentée par les adeptes des sciences occultes. [127]

 191 Henry More, The Immortality of the Souls, III, ch. VII, p. 399.

192 Fournié, Physiologie, p. 717.

 

Avant de quitter ce sujet, nous voudrions encore dire quelques mots relativement aux cas dans lesquels la tête, le bras et la main furent instantanément dissous, bien qu'il soit évident que, dans chacun de ces cas, le corps entier de l'enfant avait été parfaitement formé. Quelle est la composition du corps de l'enfant à sa naissance ? Les chimistes nous diront qu'il comprend une douzaine de livres de gaz solidifiées, quelques onces d'un résidu cendreux, de l'eau, de l'oxygène, de l'hydrogène, de l'azote, de l'acide carbonique, un peu de chaux, de magnésie, de phosphore et quelques autres substances minérales ; et c'est tout ! D'où viennent ces substances ? Comment ont-elles été rassemblées de la sorte ? Comment ces parcelles que M. Proctor nous dit "être attirées des profondeurs de l'espace qui nous environne de toutes parts", pour être façonnées sous la forme d'êtres humains ? Nous avons vu qu'il était inutile de le demander à l'école dominante dont Magendie est l'illustre représentant ; car il avoue qu'elle ne sait rien de la nutrition, de la digestion ou de la circulation du fœtus ; et la physiologie nous apprend que tandis que l'ovule est enfermé dans le follicule de Graaf, il participe à la structure générale de la mère, dont il forme partie intégrante. Mais à la rupture de la vésicule, il devient presque aussi indépendant d'elle pour ce qui doit constituer le corps de l'être futur, que le germe dans un œuf d'oiseau, après que la mère l'a déposé dans le nid. Certes peu de chose, dans les faits démontrés de la science, viennent contredire l'idée que la relation de l'enfant embryonnaire avec la mère est fort différente de celle du locataire envers la maison, l'abri dont il dépend pour sa santé, sa chaleur et son confort.

Suivant Démocrite, l'âme 193 provient de l'agrégation d'atomes, et Plutarque décrit sa philosophie comme suit : "Il y a un nombre infini de substances indivisibles, insensibles, sans différences entre elles, sans qualités, et qui se meuvent dans l'espace, où elles se trouvent disséminées ; lorsqu'elles s'approchent les unes des autres, elles s'unissent, s'accrochent et forment par leur agrégation l'eau, le feu, une plante, un homme. Toutes ces substances, qu'il nomme des atomes en raison de leur solidité, ne peuvent éprouver ni changement, ni altération. "Mais, ajoute Plutarque, nous ne pouvons faire une couleur de ce qui est incolore, ni une substance ou une âme de ce qui n'a ni âme ni qualité" 194. Le professeur Balfour Stewart dit que cette doctrine, dans les mains de John Dalton, "a permis au mental humain de [128] saisir les lois qui règlent les changements chimiques, aussi bien que de se représenter les phénomènes qui y ont lieu". Après avoir cité, en l'approuvant, l'idée de Bacon que l'homme cherche perpétuellement les limites extrêmes de la nature, il formule un étalon d'après lequel, lui et ses collègues en philosophie devraient bien régler leur conduite : "Nous devrions assurément être très prudents  avant d'abandonner une branche quelconque de connaissance ou une direction de pensée, comme essentiellement inutile" 195.

193 Par le mot âme, ni Démocrite ni les autres philosophes n'entendaient ni le Nous ni le Pneuma, l'âme divine immatérielle, mais bien la psyché ou corps astral ; ce que Platon a toujours désigné sous le nom de seconde âme mortelle.

194 Plutarque, Contre Colotes, § 8.

195 Balfour Stewart, L. L. D., F. R. S. : The Conservation of Energy.

196 Fournié, Physiologie du système nerveux, p. 16. 197 A. System of Logic, 8• édit. 1872. Vol. II, p. 165. 198 [Op. cit., ch. XXV.]

 

Vaillantes paroles que celles-là ! Mais combien de savants les mettent en pratique ?

Démocrite d'Abdère nous montre l'espace rempli d'atomes, et nos astronomes contemporains nous font voir comment ces atomes se réunissent pour former les mondes et ensuite les races, y compris la nôtre, pour les peupler. Puisque nous avons signalé l'existence d'une puissance dans la volonté de l'homme, laquelle, en concentrant les courants de ces atomes sur un point objectif, peut créer un enfant conformément à l'imagination de la mère, pourquoi ne serait-il pas admissible que ce même pouvoir exercé par la mère puisse, par un renversement intense, quoique inconscient, de ces courants, dissoudre et faire entièrement disparaître une partie quelconque et même tout le corps de son enfant encore à naître ?Ici se pose actuellement la question des fausses grossesses, qui ont si souvent embarrassé et les médecins et leurs patients. Si la tête, le bras et la main des trois enfants dont parle Van Helmont ont pu disparaître par suite d'un mouvement d'horreur, pourquoi une émotion analogue ou même de toute autre nature, excitée au même degré, ne causerait-elle pas la disparition du fœtus dans ces prétendues fausses grossesses ? Ces cas sont rares, mais ils existent, et, de plus, ils défient totalement les efforts de la science. Il n'y a certainement pas dans la circulation de la mère de dissolvant chimique assez puissant pour dissoudre l'enfant, sans la détruire elle-même. Nous recommandons en conséquence ce sujet à la profession médicale, dans l'espoir qu'elle n'adoptera pas la conclusion de Fournié, qui dit : "Dans cette succession de phénomènes, nous devons nous en tenir au rôle d'historien, car nous n'avons pas même essayé d'expliquer le pourquoi et le comment de ces choses, et elles restent les mystères inscrutables de la vie ; à mesure que nous avançons dans notre exposition, nous sommes obligés de reconnaître que c'est là pour nous le terrain défendu" 196. [129]

Dans les limites de ses capacités intellectuelles, le vrai philosophe ne connaît pas de terrain défendu, et il n'admet pas qu'il y ait dans la nature de mystère inscrutable ou inviolable.

Aucun étudiant de la philosophie hermétique, aucun spirite ne fera d'objection au principe abstrait posé par Hume, que le miracle est impossible ; car supposer sa possibilité serait admettre que l'univers est gouverné par des lois spéciales au lieu de lois générales. C'est là un des points fondamentaux de désaccord entre la science et la théologie. La première, raisonnant d'après l'expérience universelle, soutient qu'il y a dans la nature une uniformité générale, tandis que la seconde prétend que le Mental Dirigeant peut être invoqué et prié de suspendre la loi générale, pour cadrer avec des éventualités spéciales. John Stuart Mill 197, dit : "Si nous ne croyons pas d'avance aux agents surnaturels et à leur action, il  n'y a pas de miracle qui puisse nous prouver leur existence. Le miracle lui- même, considéré simplement comme un fait extraordinaire, peut  être attesté d'une façon satisfaisante par témoignage ou par nos sens ; mais rien ne pourra jamais démontrer que ce soit un miracle. Il y a encore une autre hypothèse possible ; c'est que le fait en question soit le résultat d'une cause naturelle inconnue ; et cette possibilité ne peut en aucun cas être si complètement écartée, qu'il ne nous reste plus d'autre alternative que d'admettre l'existence et l'intervention d'un Etre supérieur à la nature".

Telle est la conviction que nous avons cherché à faire naître chez nos logiciens et nos physiciens. Comme le dit M. Mill lui-même, "nous ne pouvons admettre une proposition comme une loi de la nature, et croire, en même temps, un fait qui est en contradiction manifeste avec elle. Il faut de toute nécessité ou repousser la croyance à un pareil fait, ou admettre que nous avons fait erreur en admettant la loi en question" 198. M. Hume invoque "la ferme et inaltérable expérience" du genre humain, comme établissant les lois dont l'action rend ipso facto les miracles impossibles. La difficulté que présente cette théorie réside principalement dans l'adjectif souligné (inaltérable), qui suppose que notre expérience ne change  jamais, et que, par conséquent, les mêmes expériences et observations serviront de base à notre jugement. Cette opinion suppose également que tous les philosophes auront toujours les mêmes faits à examiner, et elle semble ignorer entièrement les rapports d'expériences philosophiques et de découvertes scientifiques dont nous avons été temporairement  privés. Ainsi l'incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, et la destruction de [130] Ninive ont privé le monde, pendant plusieurs siècles, des données nécessaires pour se former une opinion de la valeur de la véritable connaissance ésotérique et exotérique des anciens. Mais, dans  ces dernières années, la découverte de la pierre de Rosette, des manuscrits d'Ebers, d'Aubigné, d'Anastasi et autres papyrus, et l'exhumation des bibliothèques sur tablette d'argile ont ouvert un vaste champ  aux recherches archéologiques qui, très probablement, aboutiront à des modifications radicales dans cette "expérience fertile et inaltérable". L'auteur de Supernatural Religion fait remarquer, avec raison, "qu'une personne qui croit à quelque chose qui est en contradiction avec la logique, et cela uniquement sur la foi d'une affirmation sans preuve, est tout simplement crédule ; mais cette affirmation ne porte aucune atteinte à l'évidence même de la chose 199.

199 [5ème  éd. ; Londres 1875, p. 88.]

 

Dans une conférence de M. Hiram Corson, professeur de littérature Anglo-Saxonne à l'université de Cornell, à Ithaca (Etat de New-York) faite aux élèves du Collège de Saint-John à Annapolis, en juillet 1875, le conférencier condamne à bon droit la science en ces termes :

"Il y a des choses que la science ne fera jamais, et qu'elle aurait de la présomption à vouloir essayer. Il fut  un temps où la Religion et l'Eglise, dépassant les limites de leur domaine légitime, avaient envahi et harcelé celui de la Science, et imposé à celle-ci un tribut extrêmement lourd ; mais il semblerait que leurs anciennes relations subissent un changement complet ; la Science, à son tour, a franchi ses frontières et a envahi le domaine de la Religion et de l'Eglise, et au lieu d'une Papauté Religieuse, nous courons le risque d'avoir à subir le joug d'une Papauté Scientifique ; en fait, nous sommes déjà

placés sous cette domination ; et de même qu'au XVIème siècle on a protesté, dans l'intérêt de la liberté intellectuelle, contre le despotisme religieux et ecclésiastique, de même, dans notre XIXème siècle, les intérêts spirituels et éternels de l'homme exigent qu'une protestation    soit    formulée    contre    le despotisme scientifique qui va se développant rapidement, afin que les Savants, non seulement restent dans leurs domaine légitime du phénoménal et du conditionné, mais encore aient à "examiner de nouveau tout leur bagage, de façon à s'assurer positivement jusqu'à quel point la masse de numéraire qu'ils ont dans leurs caves, et sur la foi de l'existence duquel on a fait circuler tant de papier- monnaie, est bien réellement l'or pur de la Vérité".

"Si ce n'est pas fait pour la science, comme on le fait pour les affaires ordinaires, les savants sont capables d'évaluer trop haut leur capital et d'entreprendre, par conséquent, des opérations [131] dangereuses d'inflation. Depuis même que le professeur Tyndall a prononcé son discours de Belfast, il a été démontré par les nombreuses répliques qu'il a provoquées que le capital de l'école de la Philosophie d'Evolution, à laquelle il appartient,  n'est pas, à beaucoup près, aussi considérable qu'on l'avait vaguement supposé auparavant, dans les milieux intelligents mais non scientifiques. Pour une personne étrangère au monde de la science, il est fort surprenant de voir combien la science officielle s'entoure d'un domaine de pures hypothèses, dont se vantent souvent les savants en les présentant comme leurs propres conquêtes".

C'est exact ; mais il faudrait ajouter en même temps qu'ils contestent aux autres le même privilège. Ils protestent contre les "miracles"  de l'Eglise et répudient avec tout autant de logique les phénomènes modernes. En présence des aveux d'autorités scientifiques telles que le Dr Youmans et autres, que la science moderne passe par une phase de transition, il semblerait qu'il est temps de cesser de traiter certaines choses d'incroyables, uniquement parce qu'elles sont merveilleuses, et parce qu'elles semblent contraires à ce que l'on est habitué à considérer comme une loi universelle. Il ne manque pas de penseurs sérieux,  dans notre siècle, désireux de venger la mémoire des martyrs de la science, tels qu'Agrippa, Palissy et Cardan, qui n'y arrivent cependant pas, faute des moyens de bien comprendre leurs idées. Ils croient à tort que les néoplatoniciens prêtaient plus d'attention à la philosophie transcendante qu'à la science exacte.

"Les insuccès qu'on constate souvent chez Aristote, dit le professeur Draper, ne sont pas une preuve de l'infiabilité [de sa méthode], mais bien plutôt de sa valeur. Ce sont les insuccès qui résultent de l'insuffisance des faits" 200.

Quels faits demanderons-nous ? Un savant n'admettra jamais que l'on aille les chercher dans les sciences occultes, puisqu'il n'y croit pas. Néanmoins, l'avenir peut en démontrer la vérité. Aristote a légué sa méthode d'induction à nos savants ; mais tant qu'ils ne la compléteront pas par celle des "Universaux de Platon", ils éprouveront plus "d'insuccès" encore que le grand instructeur Alexandre. Les universaux ne sont un article de foi que tant qu'ils ne peuvent être démontrés par la raison et appuyés sur l'expérience ininterrompue. Quel est le philosophe actuel qui pourrait prouver, à l'aide de cette même méthode d'induction, que les anciens n'étaient pas en possession de ces démonstrations par suite de leurs études ésotériques ? Les propres négations de nos philosophes, dénuées qu'elles sont de preuves, attestent suffisamment qu'ils ne restent pas aussi fidèles à la méthode d'induction [132] qu'ils veulent le laisser croire. Forcés qu'ils sont de baser leurs théories, bon gré, mal gré, sur le terrain de la philosophie ancienne, leurs découvertes modernes ne sont que des bourgeons provenant de germes plantés par leurs prédécesseurs de l'antiquité. Et encore, ces découvertes sont généralement incomplètes, quand elles ne sont pas avortées. Leur cause est enveloppée d'obscurité, et leur effet définitif imprévu. "Nous ne sommes pas en état, dit le professeur Youmans, de considérer les théories de l'antiquité comme des erreurs discréditées, ni les théories actuelles comme définitives. Le corps vivant et progressant de la vérité n'a fait que transformer ses téguments anciens dans la marche vers plus de vigueur et de force 201". Ce langage, appliqué à la chimie moderne par un des premiers chimistes philosophes et l'un des auteurs scientifiques les plus enthousiastes du jour, montre bien l'état de transition dans lequel se trouve la science moderne ; mais ce qui est vrai de la chimie l'est aussi de toutes les sciences, ses sœurs.

 200 Draper, Conflit entre la Religion et la Science, p. 22.

201 Edward L. Youmans, M.D., A Class-Book of Chemisiry, préface p. 2.

 

Depuis l'avènement du spiritisme, les médecins et les pathologistes sont plus disposés que jamais à traiter de superstitieux empiriques et de charlatans de grands philosophes comme Paracelse et Van Helmont, et à tourner en ridicule leurs notions au sujet de l'Archæus ou anima mundi, aussi bien que l'importance qu'ils accordent à la connaissance de la structure des astres. Et cependant combien de progrès substantiels la médecine a-t-elle faits depuis l'époque ou lord Bacon la rangeait parmi les sciences conjecturales Des philosophes tels que Démocrite, Aristote, Euripide, Epicure, ou plutôt son biographe Lucrèce, Eschyle et autres anciens auteurs, que les matérialistes citent si volontiers comme des autorités à opposer aux Platoniciens rêveurs, n'étaient que des théoriciens et non pas des adeptes. Les adeptes, lorsqu'ils écrivaient, voyaient leurs ouvrages brûlés par la plèbe chrétienne, ou alors ils les rédigeaient dans des termes qui ne les rendaient intelligibles que pour les initiés. Quel est celui de leurs détracteurs modernes qui peut assurer qu'il sait tout ce qu'ils savaient ? Dioclétien, à lui seul, a brûlé des bibliothèques entières de livres sur les "arts secrets" ; pas un manuscrit traitant de l'art de faire de l'or  et de l'argent n'a échappé à la fureur de ce tyran grossier 202. Les arts et la civilisation avaient atteint un tel développement à l'époque que l'on se plaît à appeler les temps archaïques, que nous apprenons, par Manetho, qu'Athothis, le deuxième roi de la première dynastie, avait écrit un livre sur l'anatomie 203, [133] et le roi Necho un traité d'astrologie et d'astronomie. Blantasus et Cynchrus furent deux savants géographes de ces temps pré-mosaïques. Elien parle de l'Egyptien Iachus, dont la mémoire était vénérée depuis des siècles, pour des découvertes étonnantes en médecine. Il arrêta la marche de plusieurs épidémies, tout simplement au moyen de certaines fumigations. Un ouvrage d'Apollonide, surnommé Orapios, est cité par Théophile, patriarche d'Antioche 204, il était intitulé le Livre Divin et donnait la biographie secrète et l'origine de tous les dieux de l'Egypte. Ammien Marcellin 205 parle d'un ouvrage secret dans lequel était indiqué l'âge précis du bœuf Apis –clé de nombreux mystères et de maint calcul cyclique 206. Que sont devenus ces livres ? Qui connaît les trésors d'érudition et de science qu'ils peuvent avoir contenus ? Nous ne savons avec certitude qu'une chose : c'est que les vandales Païens et Chrétiens ont détruit ces trésors littéraires partout où ils les trouvaient ; que l'Empereur Alexandre Sévère parcourut l'Egypte entière, pour rassembler tous les livres sacrés sur le mysticisme et la mythologie, pillant tous les temples ; que les Ethiopiens, malgré l'antiquité bien démontrée des connaissances des Egyptiens dans les arts et les sciences, prétendaient avoir priorité sur eux ; et du reste, ils le pouvaient puisque ce savoir existait dans l'Inde, dès la première aurore de l'histoire. Nous savons aussi, que Platon apprit plus de secrets en Egypte qu'il ne lui fut permis d'en révéler ; que, suivant Champollion, tout ce qui est réellement bon et scientifique dans l'œuvre d'Aristote, si vanté de nos jours par nos modernes intructionnistes, est dû à son divin Maître 207, et que, comme conséquence logique, Platon ayant enseigné oralement à ses disciples initiés les profonds secrets qu'il avait appris des prêtres de l'Egypte, ces secrets se transmirent ainsi de génération en génération parmi les adeptes, dont les derniers en savent plus sur les pouvoirs occultes de la nature que nos philosophes d'aujourd'hui.

202 [Suidas, Greek Lexicon, I 595. Diocletianos et III 669 Xemeia.]

203 [Manetho. dans Jul. Afric. et Eusèbe.]

204 [Ad Antolycum, II, ch. VI.]

205 [XXII, XIV, 7.]

206 [Champollion-Figéac, Egypte Ancienne, p. 138.]

207 [Ibid., p. 139.]

 

C'est le cas de mentionner ici les ouvrages d'Hermès Trismégiste. Qui les a lus ou combien ont eu occasion de les lire, tels qu'ils existaient dans les sanctuaires d'Egypte ? Dans ses Mystères de l'Egypte, Jamblique attribue à Hermès 1.200 volumes, et Seleucus ne compte pas moins de

20.000 ouvrages de lui avant la période de Ménès. Eusèbe n'en a vu que quarante-deux de son temps, dit-il, et le dernier des six livres sur la médecine traitait de cet art tel qu'on le pratiquait dans les siècles les plus sombres 208 ; [134] et Diodore dit que ce fut le plus âgé des législateurs Mnévis, le troisième successeur de Ménès, qui les reçut d'Hermès.

 208 Sprengel, dans son Histoire de la Médecine, fait voir Van Helmont comme outré du charlatanisme et de la présomption ignorante de Paracelse. "Les ouvrages de ce dernier, dit Sprengel, qu'il (Van Helmont) avait lus avec attention, réveillèrent en lui l'esprit de la réforme ; mais ils ne lui suffirent pas à eux seuls, car son érudition et son jugement étaient infiniment supérieurs à ceux de cet auteur, et il méprisait cet égoiste, ce vagabond ignorant et ridicule qui semble parfois être atteint de folie." Cette affirmation est parfaitement fausse. Nous avons devant nous les ouvrages de Van Helmont lui-même qui viennent le contredire. Dans la célèbre dispute entre les deux écrivains, Goclenius, un professeur de Marburg, qui préconisa l'efficacité du baume sympathique découvert par Paracelse pour guérir toutes les plaies, et le Père Robert, un Jésuite, qui condamna toutes ces guérisons, les ayant attribuées au Diable, Van Helmont entreprit d'arranger le différend. La raison qu'il donna pour son intervention était que toutes ces chicaneries "affectaient Paracelse comme inventeur, et, lui-même, comme son élève". (Voyez Ortus médicinae, sect "De Magnetica vulnerum curatione", p. 594 ; éd. 1652).

 

De tous les manuscrits qui sont parvenus jusqu'à nous, la plupart ne sont que des retraductions latines des textes traduits en grec, principalement par les Néoplatoniciens, d'après les ouvrages originaux conservés par quelques adeptes. Marcile Ficin, qui fut le premier à les publier à Trévise, en 1471, ne nous en a donné que de simples extraits et les plus importantes parties paraissent en avoir été négligées ou volontairement omises, comme trop dangereuses à publier dans ces temps d'auto da fé. Aussi, il arrive maintenant que lorsqu'un cabaliste, qui a consacré sa vie entière à étudier l'occultisme et a acquis ainsi le grand secret, se hasarde à faire remarquer que la Cabale seule conduit à la connaissance de l'Absolu dans l'Infini, et de l'Infini dans le Fini, il est tourné en dérision par ceux qui, sous prétexte qu'ils connaissent l'impossibilité de la quadrature du cercle, en tant que problème physique, en contestent la possibilité dans le sens métaphysique.

La psychologie, suivant les autorités les plus considérables, est un département de la science jusqu'à présent presque inconnu. La physiologie, d'après Fournié, un de ses maîtres en France, se trouve dans des conditions tellement mauvaises, qu'il écrit dans la préface de son savant ouvrage : Physiologie du système nerveux : "Nous nous apercevons enfin que non seulement la physiologie du cerveau n'est pas connue, mais encore qu'il n'existe pas de physiologie du système nerveux du tout". La chimie a été entièrement refondue dans ces dernières années ; c'est pourquoi, comme toutes les autres sciences en enfance, elle ne peut être considérée comme très solidement établie sur sa base. La Géologie n'a pas encore pu faire savoir à l'anthropologie depuis combien de temps l'homme existe. L'astronomie, la plus exacte des sciences, en est encore aux tâtonnements et aux recherches sur l'énergie cosmique, et sur beaucoup  d'autres questions aussi importantes. Quant à l'anthropologie, M. Wallace nous apprend qu'il y a parmi ses [135] adeptes une divergence d'opinions énorme, au sujet des questions les plus vitales touchant la nature  et l'origine de l'homme. Plusieurs médecins célèbres estiment que  la médecine n'est tout au plus que des devinettes scientifiques. Ce n'est partout que connaissances incomplètes, et nulle part la perfection. Lorsque nous voyons ces hommes sérieux tâtonnant dans les ténèbres pour y trouver les anneaux manquants de leur chaîne brisée, ils nous font l'effet de personnes émergeant par divers chemins d'un abîme sans fond. Chacun de leurs sentiers aboutit au bord de ce gouffre qu'ils ne peuvent explorer. D'une part, le moyen de descendre dans ses mystérieuses profondeurs leur fait défaut, et de l'autre ils sont repoussés par des sentinelles jalouses, qui leur en interdisent l'accès, à chaque tentative qu'ils font pour y pénétrer. C'est ainsi qu'ils continuent à étudier les forces inférieures de la nature, en initiant de temps à autre le public à leurs grandes découvertes. Ne viennent-ils pas de se lancer dans l'étude de la force vitale, et de définir son rôle dans le jeu des corrélations avec les forces physiques et les forces chimiques ? Certes, ils l'ont fait ; mais si nous leur demandons d'où provient cette force vitale, et comment il se fait que ceux qui, naguère encore, croyaient si fermement que la matière était destructible et sortait de l'existence, ont maintenant appris à croire qu'elle est indestructible, sans pouvoir rien nous dire de plus à ce sujet, ils sont forcés, dans ce cas comme dans bien d'autres, de revenir à une doctrine enseignée par Démocrite il y a vingt-quatre siècles 209. A cette question, en effet, ils répondent : "La création ou la destruction de la matière, son augmentation ou sa diminution sont au-delà du domaine de la science ; son domaine est purement et simplement limité à ce qui concerne les changements de la matière... c'est dans les limites de ces changements qu'est enfermé le domaine de la science, en dehors duquel se trouvent sa création et son anéantissement 210". Oh non ! ils ne se trouvent qu'en dehors des atteintes des savants matérialistes. Pourquoi confondre ainsi les savants avec la science ? S'ils disent que "la force ne peut être détruite que par  la puissance même qui l'a créée", n'est-ce point admettre tacitement l'existence d'une telle puissance, et n'est-ce pas, par conséquent, déclarer que l'on n'a pas le droit de mettre les obstacles sur la route de ceux qui, plus audacieux qu'eux, essayent de pénétrer plus avant, et qui constatent qu'on ne peut le faire qu'en soulevant le Voile d'Isis ? [136]

209 Démocrite a dit que comme rien ne pouvait être produit de rien, de mëme il n'y a rien qui puisse jamais être réduit à néant.

210 J. Le Conte, Correlation of Vital with Chemical and Physical Forces, dans Pop. Sc. Vlonthly, IV, déc. 1873, p. 157.

 

Mais assurément parmi toutes ces branches ébauchées de la science, il doit y en avoir au moins une complète ! Il nous semble que nous avons entendu de grandes clameurs d'approbation„ "comme la voix de grandes eaux", à propos de la découverte du protoplasme. Mais, hélas ! lorsque nous lisons les livres de M. Huxley, le savant progéniteur du   nouveau-né, nous y trouvons l'aveu, "que, strictement parlant, il est vrai que l'examen chimique ne peut nous apprendre directement, que fort peu de chose ou rien du tout, sur la composition de la matière vivante, et... qu'il n'est pas moins exact que nous ne savons rien de la composition d'un corps quelconque tel qu'il est" 211.

Voilà, en vérité, un pénible aveu. Il paraît donc que la méthode d'induction d'Aristote est, après tout, insuffisante, dans bien des cas. Cela expliquerait aussi que ce philosophe modèle, malgré toutes ses études des particuliers avant de s'élever aux universaux, ait enseigné que la terre se trouvait au centre de l'univers ; tandis que Platon, qui s'est perdu dans les méandres des "divagations"pythagoriciennes, et qui parlait des principes généraux, était parfaitement au courant du système héliocentrique. Nous pouvons aisément prouver le fait, en faisant usage de cette même méthode d'induction pour le bien de Platon. Nous savons que le serment Sodalien de l'initié aux Mystères l'empêchait de faire part au monde de ses connaissances, autrement que dans des termes voilés. "C'était le rêve de sa vie", dit Champollion, "d'écrire un ouvrage dans lequel il eût consigné intégralement les doctrines professées par les hiérophantes Egyptiens ; il en parlait souvent, mais il se vit contraint de s'en abstenir, à cause de son "serment solennel" 212.

211 [On the Physical Basis of Life.]

212 [Champollion-Figeac, Egypte Ancienne, p. 139.]

 

Maintenant, jugeant nos philosophes modernes d'après la méthode opposée, c'est-à-dire celle qui procède des universaux aux particuliers, et laissant de côté les savants en tant qu'individus pour donner simplement notre opinion sur leur ensemble, nous sommes forcés de soupçonner cette très respectable corporation de sentiments très mesquins à l'égard de leurs confrères aînés les philosophes anciens et archaïques. On dirait, vraiment, qu'ils ont sans cesse à la mémoire l'ancien adage : "Eteignez le soleil, et les étoiles brilleront".

Nous avons entendu un Académicien français, homme d'une érudition profonde, assurer qu'il sacrifierait très volontiers sa propre réputation pour voir la nomenclature des nombreuses et ridicules erreurs de ses collègues rayées de la mémoire des hommes. Mais ces erreurs ne sauraient être trop souvent rappelées à propos [137] du sujet que nous traitons. Le temps viendra   où   les   enfants   des   savants,   à   moins   qu'ils   n'héritent de l'aveuglement intellectuel de leurs sceptiques parents, auront honte du matérialisme avilissant et de l'étroitesse d'esprit de leurs pères. Pour employer une expression du véritable William Howitt : "Ils détestent les vérités nouvelles, comme les voleurs et les hiboux ont horreur du soleil... L'instruction purement intellectuelle ne veut pas reconnaître celle qui est spirituelle. De même que le soleil éclipse le feu, de même l'esprit éblouit les yeux du seul intellect".

C'est une vieille, vieille histoire. Depuis l'époque où un prédicateur s'écriait : "l'œil n'est pas satisfait de voir, ni l'oreille d'entendre" les savants se sont conduits comme si ces paroles avaient été écrites pour dépeindre leur état mental. Avec quelle fidélité Locky, rationaliste lui-même, dépeint inconsciemment cette tendance des savants à railler toutes les nouveautés dans la description qu'il fait de la manière dont les "hommes instruits"écoutent la relation d'un miracle ! "Ils  l'accueillent,  dit-il, avec une incrédulité absolue et même ironique, qui les dispense d'examiner les preuves fournies à l'appui 213 ! Bien plus, ils sont tellement saturés du scepticisme à la mode, une fois qu'ils ont obtenu accès au sein de l'Académie, qu'ils deviennent persécuteurs à leur tour. "C'est une des curiosités de la Science, dit Howitt, que Benjamin Franklin, qui avait été en butte aux railleries de ses concitoyens, à propos de ses tentatives pour démontrer l'identité de la foudre et de l'Electricité, ait été l'un des membres de la Commission de Savants, à Paris, qui, en 1778 après avoir examiné les titres du mesmérisme, le condamna comme du pur charlatanisme" 214.

213 [Hist. of European Morals, Vol. 1, pp. 369-70 ; éd. 1869.]

214 Howitt, op. cit., 11, p. 240. La date est inexacte ; ce doit être en 1784

215 Ecclésiaste, I, 10.

 

Si les savants se contentaient de jeter le discrédit sur les nouvelles découvertes, ils seraient excusables dans leurs tendances conservatrices née d'une vieille habitude d'étude patiente ; mais non seulement ils ont des prétentions à l'originalité que rien ne justifie, mais encore ils repoussent dédaigneusement toutes les allégations que les anciens en savaient  autant et même plus qu'eux. Il est regrettable que le texte suivant de l'Ecclésiaste ne soit pas affiché dans chacun de leurs laboratoires : "Y a-t-il une chose dont on puisse dire : vois, ceci, c'est nouveau ? cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés" 215. Dans le verset qui suit celui que nous venons de citer, le Sage dit : "On ne se souvient pas de ce qui est ancien" ; de sorte que cette assertion peut, expliquer toutes les négations nouvelles. M. Meldrum peut tirer vanité de ses observations météorologiques des cyclones à [138] Maurice ; M. Baxendell, de Manchester, parler savamment des courants de convection terrestres ; le Dr Carpenter et le commandant Maury tracer le plan du courant équatorial, et le professeur Henry nous montrer comment les vents chargés d'humidité déposent leur fardeau, pour former les ruisseaux et les rivières, uniquement pour être tirés depuis l'Océan et ramenés aux collines d'où ils sortent ; cela n'empêche pas que Koheleth ait dit : "Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord, puis il tourne encore et reprend les mêmes circuits" 216.

"Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n'est point remplie ; ils continuent à aller vers le lieu d'où ils viennent" 217.

216 Ibidem, I, 6.

217 Ibidem, I, 7.

 

La philosophie de la distribution de la chaleur et de l'humidité, au moyen des courants ascendants et descendants entre l'équateur et les pôles, est d'origine très récente ; mais son énonciation est passé inaperçue depuis près de trois mille ans, dans le livre qui nous est le plus familier. Et même aujourd'hui, en le citant, nous sommes obligés de rappeler que Salomon était un cabaliste, et que, dans les textes ci-dessus, il ne fait que répéter ce que l'on avait écrit des milliers d'années avant lui.

Séparés qu'ils sont de l'accumulation de faits d'une moitié de l'univers, et celle-là la plus importante, les savants modernes sont naturellement incapables d'édifier un système de philosophie qui les satisfasse eux- mêmes, pour ne pas parler des autres. Ils sont comme les mineurs dans une mine de houille, qui y restent toute la journée et n'en sortent que le soir, si bien qu'ils sont dans l'impossibilité d'apprécier la beauté et la gloire du Soleil. La vie, pour eux mesure le terme de l'activité humaine, et l'avenir ne présente à leur perception intellectuelle qu'un abîme de ténèbres. Ils n'ont aucun espoir d'une éternité de recherches, de découvertes et de satisfactions qui en sont la conséquence, pour adoucir les aspérités de l'existence présente ; la seule récompense qu'ils entrevoient pour leurs travaux, c'est outre leur subsistance, l'impalpable et vaine conviction que leur nom ne sera pas oublié quelques années après que la tombe se sera refermée sur leurs restes. La mort, à leur sens, signifie l'extinction de la flamme de vie, et la dispersion, dans l'espace sans bornes, des fragments de la lampe. Berzélius, le grand chimiste, à sa dernière heure, s'écriait, les larmes aux yeux : "Ne soyez pas surpris de me voir pleurer ; ne pensez pas que je sois un homme faible, ni que je sois alarmé de ce que m'a annoncé le docteur ; je suis prêt à tout. Mais il faut que je dise adieu à la Science, et ne doutez pas que cela ne soit un grand sacrifice pour moi" 218. [139]

218 P.A. Siljeström, Minnefert öfver J.J. Berzelius, p. 79.

 

Que les réflexions d'un aussi grand étudiant de la nature doivent être amères, lorsqu'il se voit contraint d'interrompre à moitié chemin ses laborieuses études, l'édification d'un système grandiose, la découverte d'un mystère qui avait déjoué les efforts de l'humanité pendant des siècles, et que le philosophe mourant avait osé espérer résoudre ! Regardez le monde savant d'aujourd'hui, et vous verrez ces théoriciens des atomes rapiécer de leur mieux leurs robes en haillons, qui laissent voir partout les imperfections de leurs spécialités séparées ! Voyez-les, raccommodant les piédestaux sur lesquels ils replaceront leurs idoles, tombées de l'endroit où elles avaient été exposées au culte, avant que cette théorie révolutionnaire eût été exhumée par John Dalton du tombeau de Démocrite ! Dans l'océan de la science matérialiste, ils jettent leurs filets dont les mailles se rompent inévitablement, lorsqu'ils rencontrent quelque problème monstrueux et inattendu. Ses eaux sont amères comme celles de la Mer Morte ; elles sont si denses, qu'à peine peuvent-ils s'y plonger et encore moins en atteindre le fond ; elles n'ont ni issue, ni vie dans leur sein, ni sur leurs rives. C'est une immensité sombre, interdite, sans issue ; c'est un désert qui ne produit rien qui vaille, car ce qu'il produit n'a ni vie, ni âme.

Il fut un temps où les Académiciens instruits faisaient des gorges chaudes des simples énonciations de quelques faits merveilleux que les anciens racontaient comme les ayant observés eux-mêmes. Comme ils devaient paraître niais, voire même des imposteurs aux yeux d'un siècle aussi éclairé que le nôtre ! Ne racontaient-ils pas qu'ils avaient vu des chevaux et d'autres animaux, dont les pieds offraient quelques points de ressemblance avec les mains et les pieds des hommes ? Or voici que dans l'an de grâce 1876, M. Huxley, dans d'érudites conférences, nous parle du protohippos, dont l'avant-bras est quasi humain ; du orohippos, avec ses quatre orteils et son origine Eocénienne, et de l'hypothétique pedactyl- equus  grand-oncle  maternel  du  cheval  actuel,  qui  jouent  tous un rôle important. La merveille est donc confirmée ! Les Pyrrhoniens matérialistes du XIXème siècle se vengent des Platoniciens superstitieux et des gobe- mouches antédiluviens. Or, avant M. Huxley, Geoffroy Saint-Hilaire avait cité le cas d'un cheval qui avait positivement des doigts séparés par des membranes 219.

218 P.A. Siljeström, Minnefert öfver J.J. Berzelius, p. 79.

219 Séance de l'Académie de Paris, août 1807.

220 Mollien, Voyage dans l'intérieur de l'Afrique, tome II, p. 210.

221 The Popular Science Monthly mai 1876, p. 110.

222 Malte-Brun, Géogr. Math., p 372-373 ; Hérodote, Histoire, IV, p. 25.

223 The Popular Science Monthly, déc. 1874, p. 252.

 

Lorsque les anciens parlaient d'une race de pygmées existant en Afrique, ils furent taxés de mensonges. Et pourtant des pygmées tout à fait conformes à leurs descriptions ont été vus et examinés par un savant français, pendant son voyage dans le Tenda Maia sur les bords du Rio Grande en 1840 220 ; par Bayard Taylor [140] au Caire en 1854 ; et par M. Bond du Comité d'Exploration Trigonométrique de l'Inde, qui a découvert une race sauvage naine vivant dans les Jungles du Galitax Occidental vers le sud-ouest des collines de Palini, race dont on n'avait trouvé aucune trace auparavant, bien qu'il en eût été souvent fait mention. "C'est une nouvelle race de pygmées, ressemblant aux Obongos Africains du Chaillu, aux Akkas de Schweinfurth, et aux Dokos du Dr Krapf, pour la taille, l'aspect et les mœurs" 221.

Hérodote fut tenu pour fou pour avoir parlé d'un peuple dont on disait qu'il dormait pendant une nuit de six mois de durée. Si l'on explique le mot dormir en faisant sentir l'équivoque à laquelle il prête, il sera très facile de comprendre qu'il est fait ici allusion à la nuit des régions polaires 222. Pline, dans ses œuvres, présente une abondance de faits, qui ont été rejetés comme des fables jusqu'à une époque toute récente. Entre autres, il mentionne une race de petits animaux dont les mâles allaitent leurs petits. Cette assertion provoqua naturellement une grande hilarité parmi nos savants. Dans son Rapport de l'exploration géologique des territoires pour 1872, M. C.-H. Merriam décrit une curieuse et rare espèce de lapins (lepus Bairdi) habitant les régions de pins vers les sources des rivières Wind et Yellowstone, dans le Wyoming 223. M. Merriam se procura cinq spécimens de cette race, qui sont les premiers individus de l'espèce qui aient été présentés au monde scientifique. Un fait extrêmement remarquable est que tous les mâles ont des mamelles, et prennent part à l'allaitement de leurs petits... Les mâles adultes avaient des mamelles pleines de lait, et le poil autour du bout de l'une d'elles était mouillé et collé, indiquant qu'au moment où celui-là fut pris, il était en train de donner à téter à son petit". Dans le récit carthaginois des premiers voyages de Hanno, on trouve une longue description d'un "peuple sauvage... dont le corps était tout velu, et que les interprètes appelaient gorillæ", νθροποι ά̉ργιοι, suivant le texte, ce qui implique assez clairement que ces sauvages étaient des  singes. Jusqu'au siècle actuel, ce récit a été considéré comme un conte, et Dodwell rejeta complètement l'authenticité du manuscrit  et  des  récits  qu'il contient 224. [141]

La fameuse Atlantis est envisagée par le plus récent des commentateurs modernes et traducteurs des œuvres de ce sage, comme un des "nobles mensonges" de Platon 225. Le fait d'admettre franchement dans le Timée que "l'on dit que, de leur temps... les habitants de cette île [Poseidonl conservaient une tradition qui leur avait été transmise par leurs ancêtres sur l'existence de l'île Atlantique  d'une  prodigieuse étendue..., etc. 226 n'a pas préservé le grand philosophe de l'accusation de mensonge portée contre lui par "l'infaillible école moderne".

Dans la grande masse de peuples plongés dans la superstitieuse ignorance du moyen âge, il n'y eut que fort peu d'adeptes de l'ancienne philosophie hermétique qui, profitant de ses enseignements, pressentirent les découvertes qui sont l'orgueil de notre siècle ; tandis que les ancêtres de nos modernes grands prêtres du temple de la Sainte Molécule en étaient à découvrir les traces du pied fourchu de Satan, dans le phénomène naturel le plus simple. Le professeur A. Wilder dit : "Roger Bacon [au XIIIème siècle], dans son traité sur Admirable force of Art and Nature 227, consacre la première partie de son œuvre aux faits naturels. Il nous donne quelques vagues notions sur la poudre à canon, et il prédit l'emploi de la vapeur comme force motrice. La presse hydraulique, la cloche à plongeur et le kaléidoscope y sont aussi décrits".

 224 L'original en était exposé dans le temple de Saturne à Carthage. Falconer a publié deux dissertations sur ce document, et il est d'accord avec Bougainville pour l'attribuer au VI" siècle avant l'ère chrétienne (Voir Cory, Ancient Fragments, "Periple de Hannon", p. 207.

225 Professeur Jowett, Dialogues of Plats, 2° éd. 1875, Vol. III, p. 684.

226 Produs, On the Timaeus, cf. Cory, op. cit., p. 233, éd. 1832.

227 New Platonism and Alchemy Albany, 1869 ; Alchemy, or the Hermetic Philosophy, p. 29.

 

Les anciens parlent d'eaux changées en sang, de pluies de sang, de tempêtes de neige pendant lesquelles la terre était couverte sur une étendue de plusieurs milles comme d'une couche de neige sanguinolente. Cette chute de molécules écarlates a été démontrée, comme tout le reste, n'être qu'un phénomène naturel. Elle s'est produite à diverses époques, mais sa cause demeure un mystère jusqu'à ce jour.

De Candolle, un des botanistes les plus distingués de ce siècle, a cherché à prouver en 1825, au moment où les eaux du lac de Morat s'étaient changées, en apparence, en un sang épais, que le phénomène était facile à expliquer. Il l'attribuait au développement de myriades de ces animaux, mi-végétaux, mi-infusoires, qu'il nomme Oscillatoria rubescens, et qui forment le lien entre l'animal et les organismes végétaux 228. Nous donnons ailleurs une explication de la neige rouge que le capitaine Ross a observée dans les régions Arctiques. Un grand nombre de mémoires ont été écrits sur ce sujet par les naturalistes les plus éminents, mais l'on n'en trouve pas deux qui soient d'accord dans leurs hypothèses. Quelques-uns [142] veulent que ce soit "le pollen d'une espèce particulière de pin" ; d'autres de petits insectes ; et le professeur Agardt confesse très franchement qu'il ne sait comment définir la cause de ces phénomènes, ni expliquer la nature de cette substance carminée 229.

Le témoignage unanime du genre humain est reconnu comme la preuve irréfutable d'une vérité ; or sur quel point y a-t-il eu un témoignage plus unanime que pendant des milliers de siècles les peuples civilisés, aussi bien que les barbares, ont eu une foi inébranlable dans la magie ? Celle-ci n'implique une contravention aux lois de la nature que dans l'esprit de l'ignorant ; et si l'on doit déplorer cette ignorance chez les nations anciennes peu instruites, pourquoi ne la déplorerait-on pas chez nos fervents chrétiens des classes élevées et éminemment instruites ? Les mystères de la religion chrétienne ne supportent pas mieux un examen sérieux que les miracles bibliques. La magie seule, dans le véritable sens du mot, fournit la clé des merveilles de la verge d'Aaron et des exploits des mages de Pharaon qui s'opposaient à Moise ; et elle les explique, sans porter atteinte à la véracité des auteurs de l'Exode, ni favoriser, sous ce rapport,  le  prophète  d'Israël  plus  que  ses  adversaires,  et  sans  avoir  à admettre la possibilité d'un seul cas où le "miracle" ait été accompli, en contravention aux lois de la nature. Prenons, par exemple, parmi les "miracles", celui "des eaux du fleuve changées en sang". Le texte dit : "Prends ta verge, et étends tes mains sur les eaux... les cours d'eau, etc., afin qu'elles deviennent du sang" 230.

228 Voyez Revue Encyclopédique, vol. XXXIII, p. 676.

229 Bulletin de la Soc. Géograph., vol. VI, p. 209-219.

230 [Exode, VII, 19.]

231 Voyez Revue Encyclopédique, vol. XXXIII, p. 676 ; XXXIV, p. 395.

 

Nous n'hésitons pas à affirmer que nous avons vu la même chose se reproduire nombre de fois sur une petite échelle, les expériences dont nous avons été témoin n'ayant jamais été faites sur un fleuve. Depuis le temps de Van Helmont qui, au XVIIème siècle et en dépit du ridicule auquel il s'exposait,  a  voulu  donner  les  véritables  explications  de  la   prétendue

production d'anguilles, de grenouilles et d'infusoires de divers genres, jusqu'aux champions de la génération spontanée de notre siècle, il est bien connu que ce hâtif développement des germes est possible, sans appeler à l'aide des miracles en contravention aux lois naturelles. Les expériences de Pasteur et de Spallanzani, et la controverse des panspermistes avec les hétérogénistes, disciples de Buffon, et parmi eux Needham, ont trop longtemps occupé l'attention publique pour nous permettre de douter désormais que des êtres puissent être appelés à l'existence partout où il y a de l'air et des conditions favorables d'humidité et de température. Les rapports des réunions officielles de [143] l'Académie des  Sciences  de Paris 231, contiennent des relations de fréquentes apparitions de telles chutes de neige et de pluie d'un rouge sang. Ces phénomènes étaient dénommés Lepra vestuum, et n'étaient autre chose que ces infusoires de lichen. Ils furent observés d'abord en 786 et en 959, deux années dans lesquelles eurent lieu de grandes calamités. Que ces Zoocarpes fussent des plantes ou des animaux, on ne l'a pas encore déterminé à ce jour, et il n'y a pas de naturaliste qui osât se risquer à dire avec certitude à quelle division du règne organique de la nature ils appartiennent. Les chimistes modernes ne peuvent pas non plus nier que ces germes se développent dans un élément favorable, et dans un espace de temps incroyablement court.

Or, si la chimie, d'une part, a trouvé le moyen de priver l'atmosphère de ses germes flottants, et d'autre part, dans des conditions opposées elle développe ou facilite le développement de ces organismes, pourquoi les magiciens  de  l'Egypte  n'auraient-ils  pas  pu  en  faire  autant,  "par leurs enchantements y ? Il est beaucoup plus aisé d'imaginer que Moise, qui, d'après le dire de Manethon, avait été un prêtre Egyptien et avait appris les secrets de la terre de Khem, produisait des "miracles" conformes aux lois naturelles, que d'admettre que Dieu lui-même violait l'ordre établi par lui dans Son univers. Et nous répétons que nous avons vu nous même cette transformation de l'eau en sang, opérée par des adeptes de l'Orient. Cela peut se faire de deux manières : dans l'un des deux cas, l'expérimentateur se servait d'une baguette magnétique fortement électrisée, qu'il passait sur l'eau contenue dans un bassin métallique, suivant un procédé que nous n'avons pas le droit de décrire plus en détail, pour le moment ; l'eau, au bout d'une dizaine d'heures, se couvrit d'une sorte d'écume rougeâtre qui, deux heures plus tard, était devenue un lichen semblable à la Lepraria kermasina du baron Wrangel. Elle se transforma alors en une gelée d'un rouge de sang, dont l'eau de couleur rouge se peuplait, vingt-quatre heures plus tard, d'une masse innombrable d'organismes vivants. La seconde expérience consista à saupoudrer abondamment la surface d'un ruisseau vaseux à très faible courant, de la poudre d'une plante préalablement séchée au soleil et pulvérisée. Quoique cette poudre, en apparence, eût été entraînée par le courant, une partie sans doute atteignit le fond, car le lendemain matin l'eau s'épaissit à la surface, se couvrit de ce que de Candolle décrit comme l'Oscittatoria rubescens, d'une couleur cramoisi, et qu'il croit être le chaînon entre la vie végétale et la vie animale. [144]

Prenant ce qui précède en considération, nous ne voyons pas pourquoi les alchimistes et les physiciens instruits (nous disons les physiciens) du temps de Moise n'auraient pas été en possession du secret naturel pour faire développer en quelques heures des myriades d'une espèce de ces bactéries, dont les germes se trouvent dans l'air, dans l'eau et dans la plus grande partie des tissus animaux ou végétaux. La verge joue  dans les mains d'Aaron et de Moïse un rôle aussi important que dans toutes les prétendues "momeries magiques" des cabalistes magiciens du moyen âge, que l'on considère aujourd'hui comme une folie superstitieuse ou du charlatanisme. La baguette de Paracelse (son trident cabalistique), et les fameuses verges d'Albert le Grand, de Roger Bacon, et d'Henry Kunrath ne sont pas plus ridicules que la baguette graduée électro-magnétique de nos physiciens. Des choses qui paraissent absurdes et impossibles aux charlatans ignorants, et même aux savants du siècle dernier, commencent maintenant à prendre un vague aspect de probabilités, et, dans certains cas, la tournure de faits accomplis. Aussi certains charlatans instruits et certains savants peu érudits commencent-ils même à admettre cette vérité.

Dans un fragment conservé par Eusèbe, Porphyre, dans sa Lettre à Anebo, fait appel à Chameron "l'hiérogrammatiste", pour prouver que la doctrine des arts magiques, au moyen desquels les adeptes "peuvent frapper de terreur les dieux eux-mêmes", était réellement admise par les sages de l'Egypte 232. Or, si l'on tient compte de la règle des preuves historiques proposée par Huxley dans son discours à Nashville, deux conclusions s'imposent à l'esprit avec une force irrésistible. La première, c'est que Porphyre, ayant une réputation incontestée de haute moralité et d'honorabilité, incapable de tomber dans des exagérations, était par conséquent incapable de proférer un mensonge à cet égard, et qu'il n'a pas menti ; et la seconde, c'est qu'étant parfaitement instruit dans toutes les branches des connaissances humaines dont il parle 233, il était impossible qu'on lui en fît accroire en ce qui concerne les "arts" magiques, et que, par conséquent, on ne lui en a point imposé. C'est pourquoi la doctrine des probabilités, sur laquelle s'appuie la théorie du professeur Huxley, nous oblige à croire : 1° qu'il existait réellement des "arts" magiques ;  et 2° qu'ils étaient connus et pratiqués par les magiciens et les prêtres égyptiens, et même sir David Brewster reconnaît qu'ils étaient profondément versés dans les sciences.

 232 [Cf. Thos. Taylor, lamblichus on the Mysteries, etc., pp. 1-16 ; Londres, 1821 • Eusèbe, Praep. evang. lib. V, cap. X (198).]

233 Porphyre, dit le Dictionnaire classique de Lemprière, était un homme de savoir universel. et, suivant le témoignage des anciens, il dépassait ses contemporains dans la connaissance de l'histoire, des mathématiques, de la musique et de la philosophie.