SECTION VI
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L'ŒUF DU MONDE
D'où vient ce symbole universel ? L'Œuf a figuré comme emblème sacré dans les Cosmogonies de tous les peuples de la terre et a été vénéré, tant à cause de sa forme qu'à cause du mystère qu'il renferme. Dès l'origine des premières conceptions mentales de l'homme, il a été considéré comme le symbole qui représentait le mieux l'origine et le secret de l'Etre. Le développement graduel du germe imperceptible dans la coquille fermée ; le travail intérieur qui, sans l'aide apparente d'une force extérieure, avec un rien latent, produit un quelque chose d'actif, sans autre apport que la chaleur et qui, après avoir graduellement évolué une créature vivante et concrète, brise sa coquille et apparaît aux sens extérieurs de tous comme un être auto-généré et auto-créé ; tout cela a dû constituer dès le commencement un miracle permanent.
L'Enseignement Secret explique cette vénération par le Symbolisme des races préhistoriques. Au commencement, la "Cause Première" n'avait pas de nom. Plus tard, elle fut représentée dans l'imagination des penseurs par un Oiseau, toujours invisible et mystérieux, laissant tomber dans le Chaos un Œuf qui devint l'Univers. C'est pourquoi Brahmâ fut appelé Kâlahamsa, le "Cygne dans [l'Espace et] le Temps". Devenant "le Cygne de l'Eternité", Brahmâ pond, au commencement de chaque Mahâmanvantara, un Œuf d'Or qui typifie le grand Cercle, ou 0, qui est lui-même un symbole de l'Univers et de ses corps sphériques.
La seconde raison pour laquelle l'Œuf a été choisi comme la représentation symbolique de l'Univers et de notre Terre, c'est sa forme. C'est un Cercle et une Sphère ; et la forme ovoïde de notre Globe doit avoir été connue dès les débuts de la symbologie, puisque l'œuf a été si universellement adopté. La première manifestation du Cosmos sous la forme d'un Œuf, était la croyance la plus répandue de l'antiquité. Comme le démontre Bryant 125, c'était un symbole adopté chez les Grecs, les Syriens, les Perses et les Egyptiens. Dans le Rituel égyptien, Seb, le Dieu du Temps et de la Terre, est représenté comme ayant pondu un Œuf, ou l'Univers, un [II 72] "Œuf conçu à l'heure du grand un de la Force Double 126".
Ra est représenté, comme Brahmâ, se développant dans l'Œuf de l'Univers. Le Défunt est "resplendissant dans l'œuf du Pays des Mystères 127", car c'est "l'Œuf à qui la Vie est donnée parmi les Dieux 128". "C'est l'Œuf de la grande Poule qui chante, l'Œuf de Seb, qui en sort sous l'aspect d'un faucon 129."
125 An Analysis of Ancient Mythology, III, 165.
126 Livre des Morts.
127 Ch. XXII, 1.
128 Ch. XLII, 13.
129 Ch. Liv. I, 2 ; Ch. LXXVII, 1.
130 Vishnou Pourâna, I, 39 (note).
Chez les Grecs, l'Œuf Orphique est décrit par Aristophane et faisait partie des Mystères Dionysiaques et autres, pendant lesquels l'Œuf du monde était consacré et sa signification expliquée. Porphyre aussi nous le montre comme étant une représentation du Monde "Ερµηνεὺει δὲ τὸ ώὸν τον κόσµον" [L'œuf exprime (représente) le monde]. "Faber et Bryant ont essayé de démontrer que l'Œuf représentait l'Arche de Noé, croyance hardie, à moins de l'accepter comme purement symbolique et allégorique. Il ne peut avoir représenté l'Arche que comme un synonyme de la Lune, comme l'Argha qui porte la semence universelle de vie, mais n'avait assurément rien à faire avec l'Arche de la Bible. En tout cas, la croyance que l'Univers existait au commencement sous la forme d'un Œuf était générale. Et, comme dit Wilson :
Un récit semblable de la première agrégation des éléments sous la forme d'un Œuf est donné dans tous les Pourânas, avec l'épithète habituelle de Haima ou Hiranya "d'or", comme on la trouve dans Manou, I, 9 130.
Hiranya, néanmoins, signifie "resplendissant", "brillant", plutôt que "d'or", comme le prouve le grand lettré hindou, feu Swâmi Dayanand Sarasvatî, dans ses polémiques inédites avec le professeur Max Müller. Ainsi qu'il est dit dans le Vishnou Pourâna :
L'Intellect [Mahat]... y compris les éléments grossiers [non manifestés] forma un œuf... et le Seigneur de l'Univers l'habita lui-même, sous le personnage de Brahmâ. Dans cet œuf, O Brâhman, se trouvaient les continents, les mers et les montagnes, les planètes et les divisions de l'univers, les dieux, les démons et le genre humain 131.
En Grèce comme aux Indes, le premier Etre mâle visible réunissant en lui-même la nature des deux sexes, habita l'œuf ; et en sortit. Le "Premier- Né du Monde" était, selon quelques [II 73] Grecs, Dyonysos, le Dieu qui émana de l'Œuf du Monde et de qui furent tirés les mortels et les immortels. Le Dieu Ra, dans le Livre des Morts, est représenté comme reluisant dans son œuf [le Soleil] et il en part aussitôt que le Dieu Shou [l'Energie Solaire] s'éveille et lui donne l'impulsion 132. "Il est dans l'Œuf Solaire, l'Œuf à qui la Vie est donnée parmi les Dieux" 133. Le Dieu Solaire s'écrie "Je suis l'Ame créatrice de l'Abîme Céleste. Nul ne voit mon Nid, nul ne peut briser mon Œuf. Je suis le Seigneur ! 134".
A cause de cette forme circulaire, le "|" émanant du 0 ou de l'Œuf, ou le mâle émanant de la femelle dans l'androgyne, il est étrange de trouver un lettré prétendant que, puisque les manuscrits hindous les plus anciens n'en portent aucune trace, cela prouve que les anciens Aryens ignoraient la notation décimale. Le 10, étant le nombre sacré de l'Univers, était secret et ésotérique, tant en ce qui concernait l'unité, qu'en ce qui concernait le zéro, ou cercle. Le professeur Max Müller nous dit en outre que "les deux mots cipher et zéro, qui n'en font qu'un, suffisent à prouver que nos chiffres sont empruntés aux Arabes 135". Cipher est le mot arabe cifron et signifie "vide" ; c'est une traduction du sanscrit shûnyam, ou "rien", dit le professeur 136. Les Arabes tirèrent leurs chiffres de l'Hindoustan et n'ont jamais prétendu en avoir fait la découverte eux- mêmes. Quant aux Pythagoriciens, nous n'avons qu'à nous reporter aux anciens manuscrits du traité de Bœthius, De Arithmetica, composé au sixième siècle, pour trouver dans la numération Pythagoricienne le "1" et le "0" comme premier et dernier chiffres 137. Et Porphyre, qui cite le Pythagoricien Moderatus 138, dit que la numération de Pythagore consistait en "symboles hiéroglyphiques, au moyen desquels il expliquait des idées concernant la nature des choses" ou l'origine de l'univers.
131 Op. cit., ibid.
132 Chap. XVII, 50, 51.
133 Chap. XLII, 13.
134 Chap. LXXX, 9.
135 Voir "Our Figures", par Max Müller.
136 Un cabaliste serait plutôt porté à croire que, de même que le mot arabe cifron venait du mot indien shûnyam, rien, de même les Sephiroth cabalistiques juifs (Sephrim) venaient du mot cipher, non pas dans le sens d'un vide, mais dans le sens de la création par les nombres et les degrés de l'évolution. Et les Sephiroth sont au nombre de 10 ou.
Or, si, d'une part, les manuscrits indiens les plus anciens ne portent, jusqu'à présent, aucune trace de notation décimale et si Max Müller déclare très nettement qu'il n'y a encore trouvé que neuf lettres initiales des chiffres sanscrits, d'autre [II 74] part nous avons des archives aussi anciennes qui peuvent fournir la preuve demandée. Nous entendons parler des sculptures et des images sacrées qui se trouvent dans les temples les plus antiques de l'Extrême-Orient. Pythagore tira son savoir de l'Inde et nous voyons le professeur Max Müller corroborer cette affirmation tout au moins jusqu'à admettre que les Néo-Platoniciens furent les premiers à enseigner l'art des chiffres chez les Grecs et les Romains ; "Qu'à Alexandrie ou en Syrie, ils apprirent à connaître les chiffres indiens et les adaptèrent à l'Abacus Pythagoricien (nos chiffres)". Cette admission circonspecte implique que Pythagore lui-même ne connaissait que neuf chiffres. Nous pourrions donc répondre avec raison que, bien que nous ne possédions exotériquement aucune preuve absolue établissant que Pythagore, qui vécut à la fin même de l'époque archaïque 139, connaissait la notation décimale, nous avons cependant assez de preuves pour établir que la série complète des chiffres, telle que la donne Bœthius, était connue des Pythagoriciens, même avant la construction d'Alexandrie 140. Nous trouvons ces preuves dans Aristote qui dit que "quelques philosophes prétendent que les idées et les nombres sont de la même nature et sont au nombre de Dix en tout 141". Cela, croyons-nous, suffira pour prouver que la notation décimale leur était déjà connue, au moins quatre siècles avant J.- C., car Aristote ne paraît pas traiter la question comme une innovation des Néo-Pythagoriciens.
Mais nous en savons encore davantage : nous savons que l'humanité des premiers âges archaïques a dû se servir du système décimal, puisque toute la partie astronomique et géométrique de la langue sacerdotale secrète était basée sur le nombre 10, ou la combinaison des principes mâle et femelle et que la "Pyramide de Chéops", comme on l'appelle, est construite d'après des mesures appartenant à cette notation décimale, ou plutôt suivant les chiffres et leurs combinaisons avec le zéro. Nous nous sommes, du reste, assez étendus sur ce sujet dans Isis dévoilée, pour qu'il soit inutile d'y revenir.
137 Voir Gnostics and their Remains, de King, p. 370 (2ème édition).
138 De vita Pythag.
139 On fixe sa naissance à l'an 608 avant J.-C.
140 C'est-à-dire en l'an 332 avant J.-C.
141 Métaphysique, VII, F.
Le symbolisme des Divinités Lunaires et Solaires est mélangé d'une façon si inextricable qu'il est presque impossible de séparer les uns des autres des glyphes tels que l'Œuf, le Lotus et les Animaux "Sacrés". L'Ibis, par exemple, était hautement vénéré en Egypte. Il était consacré à Isis, qui est souvent représentée avec la tête de cet oiseau, et était aussi consacré à Mercure ou Thoth qu'on dit avoir pris sa forme [II 75] au moment où il fuyait Typhon. Il y avait deux sortes d'ibis en Egypte, nous dit Hérodote 142 ; l'une entièrement noire et l'autre noire et blanche. On prétend que la première combattait et exterminait les serpents ailés qui venaient tous les printemps de l'Arabie et infestaient le pays. L'autre était consacrée à la Lune, parce que cette planète est blanche et brillante du côté externe, et noire et obscure du côté qu'elle ne montre jamais à la Terre. De plus, l'ibis tue les serpents de terre et détruit des quantités énormes d'œufs de crocodiles et... par conséquent, protège l'Egypte contre le danger de voir le Nil infesté par ces horribles sauriens. On prétend que l'oiseau accomplit cette besogne au clair de Lune et, par conséquent, avec l'aide d'Isis dont la Lune est le symbole sidéral. Mais la plus correcte vérité ésotérique, cachée sous ces mythes populaires, c'est qu'Hermès, comme l'explique Abenephius 143, veillait sur les Egyptiens sous la forme de cet oiseau et leur enseignait les arts et les sciences Occultes. Cela veut dire tout simplement que l'ibis religiosa possédait, et possède encore, des propriétés "magiques", comme beaucoup d'autres oiseaux, surtout l'albatros et le cygne blanc mythique, le Cygne de l'Eternité ou du Temps, le KALAHANSA.
142 Euterpe, 75, 76.
143 De Cultu Egypt.
S'il en avait été autrement, pourquoi tous les peuples anciens, qui n'étaient pas plus bêtes que nous, auraient-ils eu une crainte superstitieuse de tuer certains animaux ? En Egypte, celui qui tuait un ibis ou le Faucon Doré, symbole du Soleil et d'Osiris, risquait la mort et pouvait difficilement y échapper. La vénération que quelques nations avaient pour les oiseaux était telle, que Zoroastre, dans ses préceptes, défend leur destruction comme un crime hideux. De nos jours nous nous moquons de toute espèce de divination et pourtant comment se fait-il que tant de générations aient cru à la divination par les oiseaux et même à la Zoomancie144, apportée, à ce que dit Suidas, par Orphée, qui enseigna à voir, sous certaines conditions, dans le jaune et le blanc d'un œuf, ce que l'oiseau qui devait en naître aurait vu pendant sa courte vie. Cet art Occulte qui, il y a 3.000 ans, exigeait un grand savoir et l'emploi des calculs mathématiques les plus difficiles, est tombé aujourd'hui au dernier degré de la dégradation ; ce sont aujourd'hui les vieilles cuisinières et les diseuses de bonne aventure qui lisent l'avenir dans un blanc d'œuf mis dans un verre, pour les soubrettes à la recherche d'un mari.
Les chrétiens eux-mêmes n'en ont pas moins, de nos jours encore, leurs oiseaux sacrés ; par exemple, la Colombe, [II 76] qui est le symbole du Saint-Esprit. Ils n'ont pas, non plus, négligé les animaux sacrés et la zoolâtrie évangélique, avec son Taureau, son Aigle, son Lion et son Ange– en réalité, le Chérubin ou Séraphin, le Serpent aux ailes ardentes – est aussi Païenne que celle des Egyptiens et des Chaldéens. Ces quatre animaux sont, en réalité, les symboles des quatre Eléments et des quatre Principes inférieurs de l'homme. Ils n'en correspondent pas moins, physiquement et matériellement, aux quatre constellations, qui forment, pour ainsi dire, la suite ou le cortège du Dieu Solaire et qui, pendant le solstice d'hiver, occupent les quatre points cardinaux du cercle zodiacal. On peut voir ces quatre "animaux" dans plusieurs éditions du Nouveau Testament des catholiques romains où se trouvent les portraits des Evangélistes. Ce sont les animaux de la Mercabah d'Ezéchiel.
144 Oomancie dans l'édition de 1893.
Comme le dit Ragon, avec raison :
Les anciens Hiérophantes ont combiné avec tant d'art les dogmes et les symboles de leurs philosophies religieuses, qu'on ne peut expliquer ces symboles d'une manière satisfaisante que par l'emploi et la connaissance de toutes les clefs.
On ne peut les interpréter qu'approximativement, même si l'on découvre trois de ces sept systèmes, c'est-à-dire les systèmes anthropologique, psychique et astronomique. Les deux interprétations principales, la plus haute et la plus basse, la spirituelle et la physiologique, étaient conservées très secrètes, jusqu'au moment où la dernière tomba dans le domaine des profanes. Nous ne parlons que des Hiérophantes préhistoriques, pour lesquels ce qui est devenu maintenant purement – impurement – phallique, était une science aussi profonde et aussi mystérieuse que le sont aujourd'hui la Biologie et la Physiologie. C'était leur propriété exclusive, le fruit de leurs études et de leurs découvertes. Les deux autres interprétations étaient celles qui traitaient des Dieux Créateurs, ou de la Théogonie et de l'homme créateur : c'est-à-dire de l'idéal et de la pratique des Mystères, Ces interprétations étaient si adroitement combinées et voilées, que nombreux étaient ceux qui, tout en découvrant une signification, ne réussissaient pas à déchiffrer les autres et ne pouvaient jamais les démêler assez pour commettre des indiscrétions dangereuses. Les plus hautes de toutes, la première et la quatrième – la Théogonie dans ses rapports avec l'Anthropogonie – étaient presque impossibles à approfondir. Nous en trouvons les preuves dans "l'Ecriture Sainte" des Juifs.
C'est parce que le serpent est ovipare qu'il devient le symbole de la Sagesse et l'emblème des Logoï, ou des NES D'EUX-MEMES. Dans le temple de Philæ, dans la Haute Egypte, [II 77] on préparait artificiellement un œuf, avec de l'argile mêlée à divers encens. On le faisait éclore par un procédé spécial et il en sortait un céraste, ou vipère à cornes. On en faisait jadis autant dans les temples des Indes, pour le cobra. Le Dieu créateur émerge de l'Œuf qui sort de la bouche de Kneph, sous forme d'un Serpent ailé, car le Serpent est le symbole de la Toute Sagesse. Chez les Hébreux, la même Divinité est représentée par les "Serpents Ardents", ou Volants, de Moïse, dans le désert ; et chez les Mystiques d'Alexandrie, elle devint l'Orphio-Christos, le Logos des Gnostiques. Les Protestants essaient de prouver que l'allégorie du Serpent d'Airain et des "Serpents Ardents" a un rapport direct avec le mystère du Christ et de la Crucifixion, tandis qu'en réalité elle a des rapports infiniment plus proches avec le mystère de la génération lorsqu'elle est dissociée d'avec l'Œuf qui a un Germe Central, ou d'avec le Cercle et son Point Central. Les Théologiens Protestants voudraient que nous acceptions leur interprétation [uniquement parce que le serpent d'airain était dressé sur un mât ! Alors que cela se rapportait plutôt à l'Œuf Egyptien, tenu debout et supporté par le Tau sacré, puisque l'Œuf et le Serpent sont inséparables dans l'ancien culte et dans la symbologie de l'Egypte et que les Serpents d'Airain comme les Serpents Ardents, étaient des Séraphins, les Messagers brûlants "Ardents" ou les Dieux-Serpents, les Nâgas de l'Inde. Sans l'Œuf, c'était un symbole purement phallique, mais lorsqu'on l'y associait, il se rapportait à la création cosmique]. Le Serpent d'Airain n'avait nullement la signification sacrée que les protestants voudraient lui attribuer et il ne fut pas non plus glorifié au-dessus des "serpents ardents" contre la morsure desquels il n'était qu'un remède naturel ; la signification symbolique du mot "Airain" étant le principe féminin et celle des mots "Ardent" ou "Or" le principe masculin.
[L'airain était un métal qui symbolisait le monde inférieur... celui de la matrice où doit être donnée la vie... Le mot qui voulait dire serpent en Hébreu était Nachash, mais ce mot signifie aussi airain.
Il est dit dans les Nombres que les Juifs se plaignaient du désert où il n'y avait pas d'eau 145, après quoi "le Seigneur envoya des serpents ardents" pour les mordre et ensuite, pour plaire à Moïse, il lui donna comme remède le serpent d'airain sur un mât, pour qu'ils le regardassent ; après quoi "tout homme, lorsqu'il regarda le serpent d'airain... vécut" (?). Ensuite le "Seigneur", rassemblant le peuple au [II 78] puits de Beer, lui donna de l'eau et Israël reconnaissant entonna le chant, "Jaillis, ô Source" 146. Lorsque, après avoir étudié la symbologie, le lecteur chrétien commence à comprendre la signification intérieure de ces trois symboles, de l'Eau, de l'Airain et du Serpent, et de quelques autres encore, dans le sens qui leur est donné dans la Sainte Bible, il n'a guère envie d'établir un rapport entre le nom sacré de son Sauveur et l'incident du "Serpent d'Airain". Les Séraphins םיפרש ou Serpents Ailés Ardents, sont sans doute inséparablement liés à l'idée du "Serpent de l'éternité – Dieu", comme c'est expliqué dans l'Apocalypse de Kenealy, mais le mot Chérubin signifiait aussi Serpent dans un sens, quoique sa signification courante fût différente, car les Chérubins et les Dragons Ailés des Perses (Γρυ̉πες) qui sont les gardiens de la montagne d'or, ne font qu'un et la composition du nom des premiers explique leur caractère, car il est formé de Kr (רכ) cercle et de aub ou ob (בוא) serpent et signifie, par conséquent, un "serpent dans un cercle". Cela établit le caractère phallique du Serpent d'Airain et justifie Ezéchiel de l'avoir détruit 147. Verbum satis sapienti. !]
145 XXI, 5, et seq.
146 Ibid, 16-7.
Dans le Livre des Morts, comme nous venons de le montrer 148, on parle souvent de l'Œuf. Ra, le puissant, reste dans son Œuf pendant la lutte entre les "enfants de la révolte" et Shou, l'Energie Solaire et le Dragon des Ténèbres. Le défunt est resplendissant dans son Œuf, lorsqu'il s'achemine vers la terre de mystère. Il est l'Œuf de Seb. L'Œuf était le symbole de la Vie dans l'immortalité et l'éternité et, en même temps, le glyphe de la matrice génératrice, tandis que le Tau, qui lui était associé, n'était que le symbole de la vie et de la naissance dans la génération. L'Œuf du Monde était placé dans Khoom, "l'Eau de l'Espace", le principe féminin abstrait, Khoom devenant, après la chute de l'humanité dans la génération et le phallicisme, Ammon le Dieu créateur. Lorsque Ptah, le "Dieu Ardent", porte l'Œuf du Monde dans sa main, le symbolisme devient tout à fait terrestre et concret dans sa signification. Avec le Faucon, le symbole d'Osiris-Soleil, le symbole est double et a trait aux deux vies – la mortelle et l'immortelle. La gravure d'un papyrus, dans l'Œdipus Egyptiacus montre un œuf flottant de Kircher 149, au-dessus de la momie. C'est le symbole de l'espoir et de la promesse d'une seconde naissance pour le Mort Osirifié ; son Ame, après la purification nécessaire dans l'Amenti, accomplira sa période de gestation dans cet Œuf de l'Immortalité, [II 79] pour en renaître dans une nouvelle vie sur la terre. Car cet Œuf, selon la Doctrine Esotérique, est le Dévachan ou demeure de la Félicité ; le scarabée ailé en est un autre symbole. Le "globe ailé" n'est qu'une autre forme de l'Œuf et a la même signification que le scarabée, le Khoproo – de la racine Khoproo devenir, renaître – qui se rapporte à la renaissance de l'homme, aussi bien qu'à sa régénération spirituelle.
147 IIème Livre des Rois, XVIII, 4.
148 Supra, pp. 73-74.
149 III, 124.
Dans la Théogonie de Mochus, nous trouvons d'abord l'Æther, puis l'Air, les deux principes par lesquels Ulom, la Divinité intelligible (Νοητὸς), l'Univers visible de Matière, est né de l'Œuf du Monde 150.
Dans les Hymnes Orphiques, Eros-Phanes évolue hors de l'Œuf divin que les Vents éthériques imprègnent. Le vent signifiant ici "l'Esprit de Dieu" ou plutôt "l'Esprit des Ténèbres Inconnues" – l'Idée Divine de Platon
– que l'on dit se mouvoir dans l'Æther 151. Dans le Kathopanishad hindou, Pourousha, l'Esprit Divin, se tient déjà devant la Matière Originelle "et de leur union sort la grande âme du monde" Mahâ-Atmâ, Brahmâ, l'Esprit de Vie 152, etc. ; [ces dernières appellations étant toutes identiques à l'Anima Mundi, ou "Ame Universelle", la Lumière Astrale du Cabaliste et de l'Occultiste, ou "L'Œuf de Ténèbres"]. Il y a en outre plusieurs allégories charmantes sur ce sujet, que l'on trouve disséminées dans les Livres Sacrés des Brahmanes. Dans l'une d'elles, c'est le créateur femelle qui est d'abord un germe, puis une goutte de rosée céleste, une perle et enfin un œuf. Dans ces cas, qui sont trop nombreux pour être énumérés séparément, l'œuf donne naissance aux quatre Eléments contenus dans le cinquième, l'Ether, et il est couvert de sept enveloppes, qui deviennent plus tard les sept mondes supérieurs et les sept mondes inférieurs. La coquille, se cassant en deux, forme les Cieux et son contenu forme la Terre, le blanc constituant les Eaux terrestres. C'est ensuite Vishnou qui sort de l'Œuf tenant un Lotus à la main. Vinatâ, fille de Daksha et femme de Kashyapa, "l'Auto-généré issu du Temps", l'un des sept "créateurs" de notre Monde, pondit un Œuf qui donna naissance à Garouda, le véhicule de Vishnou ; cette dernière allégorie se rapporte seulement à notre Terre parce que Garouda est le Grand Cycle.
150 MOVERS, Phoinizer, 282.
151 Voir Isis Dévoilée, I, 151.
152 WEBER, Akad-Vorles, 213 et seq.
L'Œuf était consacré à Isis, aussi ses prêtres ne mangeaient-ils jamais d'œufs.
[On représente presque toujours Isis tenant d'une main un Lotus et de l'autre un Cercle et une Croix (crux ansata)]. [II 80]
Diodore de Sicile dit qu'Osiris était né d'un Œuf, de même que Brahmâ. De L'Œuf de Léda naquirent Apollon et Latone, ainsi que Castor et Pollux, les brillants Gémeaux. Et, bien que les Bouddhistes n'attribuent pas la même origine à leur fondateur, cependant, pas plus que les anciens Egyptiens et les Brahmanes modernes, ils ne mangent d'œufs de peur de détruire le germe de vie qui s'y trouve latent et de commettre ainsi un péché. Les Chinois croient que leur Premier Homme naquit d'un Œuf que Tien laissa tomber du Ciel sur la terre, dans les Eaux 153. Ce symbole est encore considéré par quelques-uns comme représentant l'Idée de l'origine de la vie, ce qui est une vérité scientifique, bien que l'ovum humain soit invisible à l'œil nu. Aussi voyons-nous que, dès les temps les plus reculés, ce symbole était tenu en respect par les Grecs, les Phéniciens, les Romains, les Japonais, les Siamois, les tribus de l'Amérique du Nord et du Sud et même par les sauvages des îles les plus éloignées.
Chez les Egyptiens, le Dieu caché était Ammon [ou Mon, le "caché", l'Esprit Suprême]. Tous leurs Dieux étaient doubles – la Réalité scientifique pour le sanctuaire, son double, l'Entité fabuleuse et mythique pour les masses. Par exemple, comme nous l'avons fait remarquer dans la Section intitulée "Chaos, Theos, Cosmos", Horus l'Aîné représentait l'Idée du Monde, encore contenue dans l'Esprit Démiurgique "né dans les Ténèbres, avant la création du Monde" ; le second Horus représentait la même Idée procédant du Logos, se revêtant de matière et assumant une existence réelle 154. [Horus "l'Aîné" ou Haroiri, est un aspect ancien du Dieu Solaire contemporain de Râ et Shou. On confond souvent Haroiri avec Hor (Horsusi), fils d'Osiris et d'Isis. Les Egyptiens représentaient très souvent le Soleil levant sous la forme de Hor, l'Aîné, sortant d'un Lotus épanoui, l'Univers, et l'on trouve toujours le disque solaire sur la tête de faucon de ce Dieu. Haroiri est Khnoom.] Il en est de même de Khnoom et d'Ammon ; tous deux sont représentés avec des têtes de béliers et on les confond souvent, bien que leurs attributions soient différentes. Khnoom est le "modeleur des hommes" tirant les hommes et les choses de l'Œuf du Monde et les façonnant sur un tour de potier. Ammon-Ra, le Générateur, est l'aspect secondaire de la Divinité Cachée. On adorait Khnoom à Elephantine [II 81] et à Philæ 155 et Ammon à Thèbes. Mais c'est Emepht, le Principe Planétaire Unique et Suprême, qui fait jaillir l'Œuf de sa bouche avec son souffle et qui est, par conséquent, Brahmâ. L'ombre de la Divinité Cosmique et Universelle, de ce qui couve l'Œuf et le pénètre de son Esprit vivifiant, jusqu'à ce que le Germe qui y est contenu soit mûr, était le Dieu de Mystère dont le nom ne pouvait pas être prononcé. C'est Ptah, cependant, "celui qui ouvre", qui ouvre la Vie et la Mort 156 et qui sort de l'Œuf du Monde pour commencer son double travail 157.
153 Les Chinois paraissent avoir ainsi devancé la théorie de Sir William Thomson, en vertu de laquelle le premier germe vivant serait tombé sur la Terre de quelque comète errante. Une question : Pourquoi cette idée serait-elle considérée comme scientifique et l'idée chinoise comme une théorie superstitieuse et insensée ?
154 Comparez avec le Phoinizer de Movers, 268.
155 Les déesses de sa triade sont Sati et Anouki.
D'après les Grecs, le fantôme de Chemis (Chemi, l'Egypte ancienne) qui flotte sur les vagues éthérées de la Sphère Empyrée, était créé par Horus-Apollon, le Dieu-Soleil, qui le fit évoluer hors de l'Œuf du Monde.
[La Brahmânda Pourâna contient, tout au long, le mystère de l'Œuf d'Or de Brahmâ, et c'est peut-être pour cela que cette Pourâna n'est pas accessible aux Orientalistes qui disent que, pas plus que la Skanda, "on ne peut se la procurer dans son entier", mais "qu'elle est représentée par un certain nombre de Khandas et de Mâhâtmyas que l'on prétend en être tirés". La Brahmânda Pourâna est décrite comme ayant proclamé en
12.200 vers la splendeur de l'Œuf de Brahmâ et comme contenant une description des Kalpas futurs et qu'elle a été révélée par Brahmâ" 158. Tout cela est vrai et bien plus encore peut-être.]
Dans la Cosmogonie Scandinave, que le professeur Max Müller tient pour "bien antérieure aux Védas", dans le poème de Wöluspa (le Chant de la Prophétesse), on retrouve encore l'Œuf du Monde dans le Germe- fantôme de l'Univers, qui est représenté comme gisant dans le Ginnungagap, la Coupe de l'Illusion, Mâyâ, l'abîme sans bornes et vide. Dans la Matrice de ce Monde, autrefois région de nuit et de désolation, NEFELHEIM (le siège de la brume, de la nébuleuse, comme on l'appelle maintenant, dans la Lumière Astrale), fit tomber un Rayon de Lumière Froide qui fit déborder cette coupe et y gela. L'Invisible fit souffler un Vent brûlant qui fit fondre les Eaux gelées et dissipa la brume. Ces Eaux (le Chaos), appelées les torrents d'Elivagar, se répandant en [II 82] gouttes vivifiantes, tombèrent et créèrent la Terre, ainsi que le géant Ymir qui n'avait que "l'apparence d'un homme" (l'Homme Céleste) et la Vache, Adumla ("la Mère", la Lumière Astrale, ou l'Ame Cosmique), des pis de laquelle jaillirent quatre ruisseaux de lait – les quatre points cardinaux ; les quatre sources des quatre rivières de l'Eden, etc. – lesquels "quatre" sont symbolisés allégoriquement par le Cube dans toutes ses multiples et mystiques significations.
156 Ptah fut d'abord le Dieu de la Mort et de la destruction comme Shiva. Il n'est un Dieu solaire qu'en vertu de ce que le feu du Soleil tue en même temps qu'il vivifie. C'était le Dieu national de Memphis, le Dieu radieux et "à la belle figure". (Voir les bronzes de Saquara. Epoque Saïtique.)
157 Book of Numbers.
158 Wilson, Vishnou Pourâna, I, Préf. LXXXIV-V.
Les Chrétiens – surtout les Eglises Grecque et Latine – ont adopté complètement ce symbole et y voient une commémoration de la vie éternelle, du salut et de la résurrection. C'est corroboré par l'ancienne coutume d'échanger des "Œufs de Pâques". Depuis l'anguinum, "l'Œuf" du Druide "païen", dont le nom seul fit trembler Rome de frayeur, jusqu'à l'Œuf de Pâques rouge du paysan Slavon, un cycle s'est écoulé. Et cependant, que ce soit dans l'Europe civilisée, ou parmi les sauvages dégradés de l'Amérique Centrale, nous trouvons toujours la même pensée primitive archaïque, si nous nous donnons simplement la peine de la chercher et si nous n'abusons pas de notre prétendue supériorité mentale et physique, pour défigurer l'idée originale du symbole.
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