SECTION I
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DOGMES ESOTERIQUES CORROBORES DANS TOUTES LES ECRITURES
En raison de l'étrangeté des renseignements et de bien des doctrines qui doivent paraître absurde, au point de vue de la science moderne, il est nécessaire de fournir quelques explications supplémentaires. Les théories que renferment les stances du deuxième volume sont encore plus difficiles à assimiler que celles qui sont comprises dans le premier volume, sur la Cosmogonie. Il faut donc discuter avec la Théologie, ici dans cette deuxième Partie, comme il faudra discuter avec la Science dans la troisième Partie ; en effet, puisque leurs doctrines diffèrent si complètement des idées qui ont cours dans le Matérialisme et la Théologie, les Occultistes doivent se tenir toujours prêts à repousser les attaques de l'un comme de l'autre.
On ne saurait rappeler trop souvent au lecteur que ces enseignements, ainsi que le prouvent les abondantes citations tirées des antiques Ecritures, sont aussi vieux que le monde et que cet ouvrage ne constitue qu'une simple tentative de traduire, en langue moderne et en phrases qui soient familières aux étudiants scientifiquement érudits, la Genèse Archaïque et l'histoire, telles qu'elles sont enseignées dans certains centres asiatiques de Savoir ésotérique. On doit les accepter ou les repousser, complètement ou partiellement, suivant le mérite, qu'on leur reconnaît, mais pas avant de les avoir soigneusement comparées aux dogmes théologiques et aux théories et spéculations scientifiques modernes auxquels elles correspondent. [IV 4]
On doute sérieusement de pouvoir découvrir, à notre époque, malgré la subtilité intellectuelle de celle-ci, dans chaque nation Occidentale, ne fût-ce qu'un seul savant ou philosophe non-initié, qui soit capable de comprendre d'une façon complète l'esprit de la Philosophie Archaïque. On ne peut attendre cela d'aucun d'eux, avant qu'ils n'aient complètement compris le sens réel de l'Alpha et de l'Oméga de l'ésotérisme Oriental, les termes Sat et Asat, tant employés dans le Rig Véda et ailleurs. Sans cette clef de la Sagesse Aryenne, la Cosmogonie des Richis et des Arhats court le risque de rester lettre morte pour l'Orientaliste ordinaire. Asat n'est pas simplement la négation de Sat et ne veut pas dire, non plus, "n'existant pas encore", car Sat n'est lui-même ni l' "existant", ni l' "être". Sat est l'immuable, l'éternel présent, l'inchangeable et la Racine éternelle, du sein de laquelle tout procède, mais c'est plus encore que la force potentielle renfermée dans le germe et actionnant le processus de développement, ou ce qu'on appelle maintenant l'évolution. C'est ce qui devient toujours sans se manifester jamais 1. Sat est né d'Asat et Asat est engendré par Sat – c'est, en vérité, un perpétuel mouvement circulaire ; toutefois c'est un cercle dont on ne réalise la quadrature qu'au moment de l'Initiation Suprême, sur le seuil du Parinirvâna.
1 La doctrine de Hegel, qui identifie l'Etre Absolu ou "Etreté" avec le "Non-Etre" et qui représente l'Univers comme une chose qui Devient éternellement, est identique à la Philosophie Védânta.
Barth a émis sur le Rig Véda une réflexion qu'on supposait être une sévère critique, une appréciation inusitée et par suite, pensait-on, originale, de ce volume archaïque. Il se trouve cependant que la critique de ce savant révélait une vérité, sans qu'il eût lui-même conscience de toute son importance. Il commençait par dire que "ni dans les termes ni dans la pensée du Rig Véda" il n'avait pu "découvrir cette qualité de simplicité naturelle primitive que tant de personnes prétendent y voir". Barth pensait à, Max Müller, lorsqu'il écrivait ceci. En effet, le fameux professeur d'Oxford a toujours caractérisé les hymnes du Rig Véda en disant qu'ils représentaient la pure expression des sentiments religieux d'un peuple innocent, aux mœurs pastorales. Dans l'opinion de cet érudit en Sanscrit : "les idées et les mythes sont exposés, dans les hymnes védiques, sous leur forme la plus simple et la plus fraîche". Barth est toutefois d'un avis différent.
Les opinions des Sanscritistes sont tellement divisées et personnelles sur l'importance et la valeur intrinsèque du Rig Véda [IV 5] que ces opinions sont entachées de préjugés de quelque côté qu'elles inclinent. Ainsi le professeur Max Müller déclare que :
On n'est jamais plus impressionné par la considérable distance qui sépare les anciens poèmes de l'Inde de la plus ancienne littérature de la Grèce, que lorsqu'on compare les mythes en voie de formation du Véda avec les mythes pleinement développés et déjà affaiblis, sur lesquels est basée la poésie d'Homère. Le Véda constitue la véritable Théogonie des Races Aryennes, tandis que celle d'Hésiode est une caricature déformée de l'image originale.
C'est là une assertion bien catégorique et peut-être un peu injuste dans son application générale, mais pourquoi ne pas chercher à, nous l'expliquer ? Les Orientalistes en sont incapables, car ils repoussent la chronologie de la Doctrine Secrète et pourraient difficilement admettre que des dizaines de milliers d'années se soient écoulées entre l'époque des hymnes du Rig Véda et celle de la Théogonie d'Hésiode. Ils ne peuvent donc se rendre compte que les mythes grecs ne représentent plus le langage symbolique primitif des Initiés, des Disciples des Dieux Hiérophantes, des antiques "Sacrificateurs" divins et que défigurés par la distance et envahis par le développement exubérant de l'imagination profane, ils ne ressemblent plus qu'au reflet déformé des étoiles sur les vagues mouvantes. Mais si l'on doit considérer la Cosmogonie et la Théogonie d'Hésiode comme des caricatures des images originales, c'est encore bien plus vrai pour les mythes de la Genèsehébraïque, aux yeux de ceux pour qui ce ne sont pas plus des révélations divines que ne l'est la Théogonie d'Hésiode pour M. Gladstone.
Comme le dit Barth :
La poésie qu'il contient (le Rig Véda) me paraît être, au contraire, d'un genre singulièrement raffiné et élaboré avec art, plein d'allusions, et de réticences, plein de prétentions (?) au mysticisme et à l'intuition théosophique et les expressions qui y sont employées sont de nature à nous rappeler plus fréquemment les phrases employées dans certains petits groupes d'Initiés, que le langage poétique d'une communauté considérable 2.
2 The religions of india, p. XIII.
Nous ne nous attarderons pas à, demander au critique ce qu'il peut connaître des phrases en usage parmi les "initiés", ou bien s'il appartient lui-même à l'un de ces groupes, car dans ce dernier cas, il n'aurait probablement pas employé un [IV 6] pareil langage. Toutefois, cette citation fait ressortir le remarquable désaccord qui divise les savants, même en ce qui concerne le caractère extérieur du Rig Véda. Que pourraient donc savoir nos modernes sanscritistes, au sujet de son sens interne ou ésotérique, de plus que la supposition correcte de Barth, d'après laquelle ces écritures ont été compilées par des Initiés ?
Tout l'ouvrage que nous écrivons n'est qu'une tentative ayant pour but de bien établir cette vérité. Les anciens adeptes ont résolu les grands problèmes de la Science, si peu disposé que soit le Matérialisme moderne à admettre le fait. Les mystères de la Vie et de la Mortétaient compris par ces grands et puissants esprits de l'antiquité et s'ils ont observé le silence à leur sujet et les ont gardés secrets, c'est parce que ces problèmes faisaient partie des Mystères Sacrés, qui ont dû rester incompréhensibles pour la majorité des hommes d'alors, comme ils le sont pour ceux d'aujourd'hui Si ces enseignements sont encore considérés comme des chimères par nos adversaires en Philosophie, il peut être consolant pour les Théosophes d'apprendre, avec preuves à l'appui, que les spéculations des Psychologues modernes – qu'il s'agisse d'Idéalistes sérieux, comme Herbert Spencer, ou de Pseudo-Idéalistes sans esprit – sont infiniment plus chimériques encore. Au lieu d'être solidement basées sur des faits naturels, ce ne sont en vérité que de malsains feux follets dus à l'imagination matérialiste des cerveaux dans lesquels ils ont pris naissance et rien de plus. Alors qu'ils nient, nous affirmons et notre affirmation est corroborée par presque tous les Sages de l'antiquité. Ayant de bonnes raisons pour croire à l'Occultisme et à l'existence d'une légion de Puissances invisibles, nous disons : Certus sum, scio quod credidi ; à quoi nos critiques répondent : Credat Judaeus Apella. Aucun des deux n'est converti par l'autre et ce résultat n'affecte même pas notre petite planète. E pur se muove !
Il n'est pas non plus nécessaire de faire des prosélytes. Comme le fait remarquer le sage Cicéron :
Le Temps détruit les spéculations des hommes, mais il confirme le jugement de la Nature.
Attendons notre heure. D'ici là il n'est pas dans la nature humaine d'assister en silence à la destruction de ses Dieux, qu'ils soient vrais ou faux. Comme la Théologie et le Matérialisme se sont mis d'accord pour détruire les Dieux de l'antiquité et pour chercher à défigurer toutes ses antiques conceptions philosophiques, il n'est que juste de la part des fidèles [IV 7] de l'Antique Sagesse de défendre leur position, en prouvant que tout l'arsenal de ses deux adversaires n'est, tout au plus, constitué que par des armes nouvelles forgées avec de très vieux matériaux.