SECTION IX

LES OUPANISHADS DANS LA LITTERATURE GNOSTIQUE

 

King nous rappelle, dans son Gnostics and their Remains, que la langue grecque ne possédait qu'un seul mot pour voyelle et voix. Ce fait a donné naissance à de nombreuses interprétations erronées de la part des non-initiés. Cependant, en se basant simplement sur ce fait bien connu, on peut tenter une comparaison et jeter des flots de lumière sur plusieurs significations mystiques. Ainsi les mots "Son" et "Langage" employés si souvent dans les Oupanishads et les Pouranas,  peuvent  être comparés avec les "Voyelles" des Gnostiques et avec les "Voix" des Tonnerres et des Anges dans la Révélation. Les mêmes se retrouvent dans Pistis Sophia et dans d'autres fragments et Manuscrits anciens. Ceci fut remarqué, même par le positif auteur de l'ouvrage que nous venons de mentionner.

Hippolyte, un des premiers Pères de l'Eglise, nous apprend ce que Marcus – un Pythagoricien plutôt qu'un Gnostique Chrétien et très certainement un Cabaliste – avait reçu par révélation mystique. On dit qu'il fut révélé à Marcus que :

Les sept cieux 300 prononcèrent, chacun une voyelle et toutes celles-ci, combinées ensemble, formèrent une doxologie unique "dont le son  transmis en bas (du sein de ces sept cieux) jusqu'à la Terre, devint, le créateur  et le père de toutes les choses qui existent sur la Terre" 301.

300 Les "Cieux" sont identiques aux "Anges", comme il a déjà été dit.

301 Philosophumena, VI. – 48 ; cité par King, op. cit., p. 120.

 

Si nous remplacions la phraséologie Occulte par un langage plus simple, cela voudrait dire : Le Logos Septuple s'étant différencié en sept Logoï, ou Puissances (Voyelles) Créatrices, celles-ci (le Second Logos ou "Son") créèrent tout sur la Terre.

 Celui qui est familiarisé avec la littérature Gnostique, ne peut [IV 147] guère manquer de voir dans l'Apocalypse de saint Jean une œuvre de la même école de pensée. En effet, saint Jean y dit que :

Sept tonnerres firent entendre leurs voix... (et) j'étais sur le point d'écrire... (mais) j'entendis une voix du ciel me dire : les choses que les sept tonnerres ont articulé et ne les écris pas 302.

La même injonction est adressée à Marcus ; la même à tous les autres demi-Initiés ou Initiés complets. L'identité même des expressions employées et des idées latentes trahit toujours une partie des Mystères. Nous devons toujours chercher plus d'un sens à tout mystère allégoriquement révélé, principalement à ceux dans lesquels apparaissent le nombre sept et sa multiplication de sept, par sept, ou quarante-neuf. Or, lorsque, dans Pistis Sophia, le Rabbin Jésus est invité par ses disciples à leur révéler les "Mystères de la Lumière de son Père" – c'est-à-dire du Soi Supérieur illuminé par l'Initiation et le Savoir Divin – Jésus répond :

Cherchez-vous à pénétrer ces mystères ? Aucun mystère n'est meilleur que ceux-ci qui conduiront vos âmes dans la Lumière des Lumières, dans le domaine de la Vérité et de la Bonté, dans l'endroit où il n'y a ni mâle, ni femelle, ni forme, mais seulement la Lumière éternelle dont on ne doit pas parler. Rien n'est donc plus excellent que ces mystères que vous cherchez à pénétrer, sauf le seul mystère des sept Voyelles et de leurs quarante-neuf Puissances, ainsi que de leurs nombres. Et aucun nom n'est plus excellent que toutes ces (Voyelles) 303.

302 Op cit., X. 3, 4.

303 Pistis Sophia, page 378 éd. anglaise, King, ibid., loc. cit.

 

Ainsi que le dit le Commentaire au sujet des "Feux" :

Les Sept Pères et les Quarante-neuf Fils flamboient dans l'Obscurité, mais ils sont la Vie et la Lumière et leur continuation durant le cours dit Grand Age.

 Il devient donc évident que toute interprétation Esotérique de croyances exotériques, exprimées sous une forme allégorique, cache la même idée latente – le nombre basique sept, le composé de trois et de quatre, précédé par le divin trois L et constituant le nombre parfait dix.

Ces nombres s'appliquent aussi à des divisions du temps, à la cosmographie, métaphysique et physique, aussi bien qu'à l'homme et à toutes les autres choses de la Nature visible. Ainsi ces sept Voyelles, avec leur quarante-neuf Puissances sont [IV 148] identiques aux trois et au Sept Feux des Hindous et à leur quarante-neuf Feux ; identiques aux mystères numériques du Simorgh Persan ; identiques à ceux des Cabalistes Juifs. Ces derniers, rapetissant ces nombres (leur manière de "voiler"), ramenèrent la durée de chaque Renouveau successif ou de ce que nous appelons des Rondes en langage Esotérique, à 1.000 ans seulement ou, pour les sept renouveaux du Globe, 7.000 ans, au lieu, comme c'est plus probable, de 7.000.000.000 et assignèrent à l'Univers une durée totale de 49.000 ans seulement 304.

Or, la Doctrine Secrète fournit une clef qui nous révèle, sur la base indiscutable de l'analogie comparative, que Garouda, l'allégorique et monstrueux mi-homme et mi-oiseau – le Vâhana, ou véhicule, sur lequel Vishnou, en sa qualité de Kâla, ou du "Temps", est représenté comme chevauchant – constitue l'origine de toutes les allégories de ce genre. C'est le Phénix Indien, l'emblème du temps cyclique et périodique, l' "homme- lion" (Singha), dont la représentation est si fréquente sur ce que l'on appelle les gemmes Gnostiques 305.

Au-dessus des sept rayons de la couronne du lion et correspondant à leurs pointes, se trouvent les sept voyelles de l'alphabet grec ΑΕΗΙΟΥΩ, pour témoigner des Sept Cieux 306.

304 Voyez la Doctrine Secrète, vol. III, p. 81.

305 Ainsi que l'avoue C. W. King, qui fait autorité au sujet des antiquités gnostiques, ces gemmes "Gnostiques" ne sont pas l'œuvre des Gnostiques, mais appartiennent à des périodes Pré- Chrétiennes et sont l'œuvre de magiciens" (op. cit., p. 241).

306 King, ibid., p. 218.

 

C'est le Lion Solaire et l'emblème du Cycle Solaire, de même que Garouda 307    est  celui  du  Grand  Cycle,  du  Mahâ  Kalpa,  co-éternel avec Vishnou et aussi, bien entendu, l'emblème du Soleil et du Cycle Solaire. Ceci est prouvé par les détails de l'allégorie. Lors de sa naissance, Garouda, en raison de son "éblouissante splendeur", fut pris pour Agni, le Dieu du Feu et fut, en conséquence, [IV 149] appelé Gaganeshvara, "Seigneur du Ciel". Sa représentation en qualité d'Osiris, sur les gemmes Abraxas (Gnostiques) et par de nombreuses têtes de monstres allégoriques, ayant la tête et le bec d'un aigle ou d'un faucon – tous deux des oiseaux solaires – dénote le caractère solaire et cyclique de Garouda. Son fils est Jâtabou, le cycle de 60.000 ans. Comme le fait remarquer, avec raison,   C. W. King :

Quelle qu'ait été sa signification originale (celle de la gemme avec le lion solaire et les voyelles) il fut probablement importé, sous sa forme actuelle, des Indes (cette véritable source de l'iconographie gnostique 308.

Les mystères des sept Voyelles Gnostiques, articulées par les Tonnerres de saint Jean, ne peuvent être déchiffrées que par l'Occultisme primordial et original d'Aryâvarta, apporté aux Indes par les Brahmanes primordiaux, qui avaient été initiés dans l'Asie Centrale. Et c'est cet Occultisme que nous étudions et que nous cherchons à expliquer autant que possible dans ces pages. Notre doctrine de sept Races et de sept Rondes de vie et d'évolution autour de notre chaîne terrestre de Sphères, se retrouve même dans l'Apocalypse 309. Lorsque les sept "Tonnerres", ou "Sons", ou "Voyelles" – un des sons, parmi les sept de chacune de ces voyelles, se rapporte directement à notre propre Terre et à ses sept Races- Mères dans chaque Ronde – "eurent fait entendre leurs voix", mais eurent défendu au Voyant de les noter et lui eurent, fait "sceller ces choses", que fit l'Ange "qui se tenait sur la mer et sur la terre".

 307 Le manque d'intuition des Orientalistes et des Antiquaires, passés et présents, est remarquable. Ainsi Wilson, le traducteur de la Vishnou Pourâna, déclare, dans sa préface, que dans la Garouda Pourânail n'a trouvé "aucun compte rendu de la naissance de Garouda". Considérant qu'un compte rendu de la "Création" en général, y est donné et que Garouda est co-éternel avec Vishnou, le Maha Kalpa, ou Grand Cycle Vital, commençant et finissant avec le Vishnou en manifestation, quel autre compte rendu de la naissance de Garouda pouvait-on espérer !

308 Ibid., loc. cit.

309 Voyez l'Apocalypse, XVIL, 2 et 10 et le Lévitique, 15 à 18 : le premier Passage parle "des sept Rois", dont cinq sont, passés et le second parle des sept Sabbats", etc.

 

Il leva sa main vers le ciel et jura par celui qui vit à jamais qu'il n'y aurait plus de temps, mais qu'au jour de la voix du septième ange, quand il commencera à sonner, le mystère de Dieu (du Cycle) sera consommé 310.

Ceci veut dire, en termes théosophiques, que lorsque la Septième Ronde sera achevée, le temps cessera. "Il n'y aura plus de temps" – tout naturellement, puisque le Pralaya commencera et qu'il ne restera personne sur Terre pour conserver la division [IV 150] du temps, pendant cette dissolution périodique et cet arrêt de la vie consciente.

310 Op. cit., X. 5-7.

311 Pistis Sophia est un document extrêmement important, un Evangile authentique des Gnostiques, attribué au hasard à Valentin, mais qui est bien plus probablement un ouvrage Pré-Chrétien, en ce qui concerne son original. Un manuscrit copte de cet ouvrage fut rapporté d'Abyssinie par Bruce et fut découvert par Schwartze au British Museum, tout à fait accidentellement et fut traduit par lui en latin. Le texte et la version de Schwartze furent publiés par Petermann en l'an 1853. Dans le texte même, la paternité du livre, est attribuée à l'Apôtre Philippe, que Jésus invite à s'asseoir et à écrire la révélation. L'ouvrage est authentique et devrait être aussi canonique que n'importe quel autre Evangile. Malheureusement, il n'a pas encore été traduit en anglais jusqu'à présent. [Depuis la rédaction de "Secret Doctrine" une traduction anglaise a été publiée par G. R. S. Mead, d'après la version française d'Amélineau, Paris, 1895.]

 

Le docteur Kenealy et d'autres croyaient que les calculs des sept et des quarante-neuf cycliques avaient été apportés de la Chaldée par  les Rabbins. Ceci est plus que probable, mais les Babyloniens, qui avaient tous ces cycles et ne les enseignaient que durant leurs grands mystères d'initiations en Magie astrologique, avaient puisé leur sagesse et  leur savoir aux Indes. Il n'est donc pas difficile de reconnaître en eux notre propre doctrine Esotérique. Dans leurs computations secrètes, les Japonais ont les mêmes chiffres pour leurs cycles. En ce qui concerne les Brahmanes, leurs Pouranas et leurs Oupanishads en sont une bonne preuve. Ces dernières sont entièrement passées dans la littérature gnostique et un Brahmane n'a qu'à, lire Pistis Sophia 311 pour reconnaître le bien de ses ancêtres, même dans le style et dans les comparaisons employées. Comparons. Dans la Pistis Sophia, les disciples disent à Jésus :

Rabbin, révèle-nous les mystères de la Lumière (c'est-à- dire le "Peu du Savoir ou de l'Illumination")... attendu que nous avons entendu dire qu'il y a un autre baptême de fumée et un autre baptême de l'Esprit et de la Lumière Sainte (c'est-à-dire de l'Esprit du Feu) 312.

De même que Jean dit, en faisant allusion à Jésus :

En vérité, je vous baptise avec de l'eau ;... mais il vous baptisera avec le Saint-Esprit et avec le feu.

Le véritable sens de cette déclaration est très profond. Cela veut dire que Jean, un ascète non-initié, ne pouvait communiquer à, ses disciples une sagesse plus grande que les Mystères [IV 151] qui se rattachent au plan de la Matière, dont l'eau est le symbole. Sa gnose était celle des dogmes exotériques et rituels, de l'orthodoxie de la lettre morte 313 ; tandis que la sagesse que Jésus, un Initié aux Mystères Supérieurs, leur révélerait, était d'un genre plus élevé, car c'était la sagesse du "Feu" de la véritable Gnose ou de la réelle Illumination Spirituelle. L'une était le Feu, l'autre la Fumée. Pour Moïse, le Feu sur le Mont Sinaï et la Sagesse Spirituelle ; pour la multitude du "peuple" en bas, pour le profane, le Mont Sinaï vu à travers la Fumée, c'est-à-dire l'écorce exotérique du ritualisme orthodoxe ou sectaire.

Tout en pensant à ce qui précède, lisez le dialogue entre les sages Narada et Dévamata, dans l'Anougîtâ 314, un épisode de la Mahâbhrârata, dont on peut apprendre l'antiquité et l'importance dans les "Sacred  Books of the East", édités par le professeur Max Müller 315. Narada parle des "souffles" ou des souffles-vitaux", comme on les appelle dans les maladroites traductions de mots tels que Prâna, Apâna, etc. et dont le sens Esotérique complet, et l'application aux fonctions individuelles, ne peuvent guère être expliquées en anglais. Il dit, à propos de cette science, que :

 312 King, op. cit., p. 200.

313 Dans le Cycle de l'Initiation, qui était très long, l'Eau représentait les premiers degrés, les degrés inférieurs vers la purification, tandis que les épreuves, qui se rattachaient au Feu venaient les dernières. L'Eau pouvait régénérer le Corps de Matière ; le Feu seul, celui de l'Homme Interne Spirituel.

314 Chap. IX.

315 Voyez l'Introduction, par Kâshinâth Trimbak Tolang, M. A.

 

Le Véda nous enseigne que le feu est véritablement toutes les divinités et que la connaissance (du feu) naît parmi les Brahmanes et est accompagnée par l'intelligence 316.

Par "feu", dit le Commentateur, il veut dire le Soi. Par "intelligence", dit l'Occultiste, Narada n'a voulu dire ni "discussion", ni "argumentation" comme le croit Ardjouna Mishra, mais vraiment l' "intelligence", ou l'adaptation du Feu de la Sagesse au ritualisme exotérique pour le profane. C'est le principal souci des Brahmanes qui furent les premiers à donner l'exemple aux autres nations, qui anthropomorphisèrent et firent, charnelles les plus hautes vérités métaphysiques. Narada le démontre clairement et il est amené à dire :

La fumée de ce (feu) qui est d'une excellente gloire (apparaît) sous [IV 152] la forme de... ténèbres (en effet) ; (ses) cendres... (sont) les passions et... la bonté est, par rapport à lui, ce dans quoi l'offrande est jetée 317.

C'est-à-dire, cette faculté du disciple qui saisit la vérité subtile (la flamme) qui s'échappe vers le ciel, tandis que le sacrifice objectif reste comme une preuve de piété pour le profane seul. En effet, que pourrait vouloir dire d'autre Narada, par ce qui suit ?

Ceux qui comprennent le sacrifice, comprennent le Samâna et le Vyâna comme la principale (offrande). Le Prâna et l'Apâna sont des portions de l'offrande... et entre eux se trouvent le feu. C'est l'excellent siège de l'Oudâna telle que la comprennent les Brahmanes. Quand ce qui est distinct de ces paires, écoutez-m'en parler. Nuit et jour, il existe une paire ; entre les deux est le feu... Ce qui existe et ce qui n'existe pas constitue une  paire ; entre eux est le feu... 318.

316 "Sacred Books of the East", Bhagavad-Gîtâ et Anou Gitâ, vol. VIII. p. 276.

317 Ibid.

318 Ibid.

 

Et, après chaque contraste de ce genre, Narada ajoute :

 C'est l'excellent siège de l'Oudâna, telle que la comprennent les Brahmanes.

Or, beaucoup de gens ne connaissent pas le sens complet de la déclaration que Samâna et Vyâna, Prâna et Apâna – que l'on explique comme étant des souffles-vitaux" mais qui sont, disons-nous, des principes, avec leurs facultés et leurs sens respectifs – sont offerts à Oudâna, le soi-disant "souffle-vital", principal, que l'on représente comme agissant à toutes les jointures. Et le lecteur, qui ignore que le mot "Feu", dans ces allégories, veut dire, à la fois, le "Soi" et le Savoir Divin Supérieur, ne comprendra rien à cela et laissera échapper le point principal de notre argumentation, de même que le traducteur et aussi l'éditeur, le grand Sanscritiste d'Oxford, P. Max Müller, ont laissé échapper  le véritable sens des paroles de Narada. Au point de vue exotérique, cette énumération de "souffles-vitaux" veut naturellement dire approximativement ce qui est conjecturé dans les notes marginales, à savoir que :

Le sens parait être le suivant : Le cours de la vie de ce monde est dû à l'action des souffles-vitaux qui sont attachés au soi et produisent ses manifestations en qualité d'âmes individuelles (?) Parmi eux, le Samâna et le Vyâna sont contrôlés et tenus en respect par le [IV 153] Prâna et l'Apâna... Ces deux derniers sont tenus  en respect et contrôlés par Oudâna qui, par suite,  les contrôle tous. Et le contrôle de celui-ci qui constitue le contrôle de tous les cinq... conduit au soi suprême 319.

319 Ibid., 258-259.

320 Ibid., p. 257.

 

Ce qui précède est donné pour expliquer le texte qui rappelle les paroles du Brahmane, racontant comment il atteignit la Sagesse finale de la Yoga et, de la sorte, parvint à la Connaissance Universelle. Il disait qu'il avait "perçu au moyen du soi le siège résidant dans le soi" 320, où demeure le Brahma libre de tout, et il expliquait que ce principe indestructible était entièrement au delà de la perception des sens – c'est-à-dire des cinq "souffles-vitaux" – il ajoutait que :

 Au milieu de ceux-ci (les souffles-vitaux) qui se meuvent dans le corps et s'absorbent les uns les autres, flamboie le septuple feu Vaishvânara 321.

Ce "Feu", d'après le commentaire de Nîlakantha, est identique au "Je", au Soi, qui est le but de l'ascète, car Vaishvânara est un mot  qui est souvent employé pour le Soi. Le Brahmane énumère ensuite ce que veut dire le mot "septuple" et dit :

Le nez (ou odorat), la langue (ou goût), l'œil, la peau, l'oreille, en cinquième qualité, le mental et l'intelligence, telles sont les sept langues du flamboiement de Vaishvânara 322... Tels sont les sept (genres de) combustible pour moi 323... Tels sont les sept grands prêtres officiants.

Ces sept prêtres sont acceptés par Ardjouna-Mishra comme signifiant "l'âme distinguée comme autant (d'âmes ou de principes) par rapport à ces diverses puissances", et, enfin, le traducteur semble recevoir l'explication et il admet à contrecœur "qu'ils peuvent signifier" ceci, bien que lui-même interprète le sens comme voulant dire :

Les facultés de l'ouïe, etc. (les sens physiques, en un mot), qui sont présidés par les  diverses  divinités 324. [IV 154]

Quel que soit le sens, tant au point de vue de l'interprétation scientifique que de l'interprétation orthodoxe, ce passage de la page 259 explique les déclarations de Narada à la page 276 et établit qu'elles se rapportent à des méthodes exotériques et ésotériques qu'elles mettent en contraste. Ainsi le Samâna et le Vyâna, bien qu'ils soient soumis au Prâna et à l'Apâna et que tous les quatre soient soumis à Oudâna dans la question d'acquérir le Prânâyâma (du Hatha Yogî, surtout, ou la forme inférieure de Yoga), sont mentionnés comme l'offrande principale, attendu, comme l'a prétendu avec raison K. Trimbak Telang, que leurs "opérations sont plus pratiquement importantes pour la vitalité" ; c'est-à-dire que ce sont les plus grossiers et qu'ils sont offerts en sacrifice, dans le but de les faire, pour ainsi dire, disparaître dans la qualité ténébreuse de ce feu ou dans sa fumée – simple forme rituelle exotérique. Mais Prâna et Apâna, bien que représentés comme subordonnés (comme étant moins grossiers ou plus purifiés) ont entre eux le Feu ; le Soi et le Savoir Secret possédé par ce Soi. De même pour le bien et le mal et pour "ce qui – existe et ce qui n'existe pas" ; toutes ces "paires" 325 ont le Feu entre elles, c'est-à-dire le Savoir Esotérique, la Sagesse du Soi Divin. Que ceux qui se contentent de la fumée du Feu restent où ils sont, c'est-à-dire dans les ténèbres égyptiennes des fictions théologiques et de l'interprétation au pied de la lettre.

321 Ibid., p. 259.

322 D'après la clef astronomique et cosmique, Vaishvânara est Agni, fils du Soleil, ou Vishvânara, mais d'après le symbolisme psycho-métaphysique, il est le Soi, dans le sens de non-séparation, c'est- à-dire, à la fois divin et humain.

323 Celui qui parle ici personnifie le dit Soi divin.

324 Ibid., p. 259.

325 Comparez à ces "paires d'opposés" de l'Anougitâ, les "paires" d'Æons du système compliqué de Valentin, le Maître le plus instruit et le plus profond de la Gnose. De même que les "paires d'opposés", mâles et femelles, sont toutes dérivées de l'Akâsha (non développées et développées, différenciées et non différenciées, ou Soi, ou Prajâpati), de même le sont les "paires" (de Valentin), d'Æons mâles et femelles représentés comme émanant de Bythos, l'éternel Abîme préexistant et, dans leur émanation secondaire, d'Ampsiou-ouraan, ou de l'Abîme et du Silence éternels, le second Logos. Dans l'émanation Esotérique, il y a sept principales "paires d'opposés" et de même, dans le système Valentinien, elles étaient au nombre de quatorze, ou deux fois sept. Epiphane, selon Mr. C. W. King, "copia la même paire deux fois et ajouta ainsi une paire aux réelles quinze" (The Gnostics and their Remains, pp. 263-264). King tombe ici dans l'erreur opposée ; les paires d'Æons ne sont pas au nombre de quinze (c'est un "voile"), mais de 14, attendu que le premier Æon est Cela du sein duquel d'autres émanent, l'Abîme, et le Silence étant la première et unique émanation de Bythos. Ainsi que le démontre Hippolyte : "Les Æons de Valentin sont reconnus comme n'étant que les six Racines de Simon (le magicien)", avec à leur tête, le septième, le Feu. Ce sont : le Mental, l'Intelligence, la Voix, le Nom, la Raison et la Pensée, subordonnés au Feu, le soi Supérieur, précisément, les "Sept Souffles, ou les "Sept Prêtres" de l'Anougitâ.

 

Ce qui précède n'est écrit que pour les étudiants Occidentaux [IV 155] de l'Occultisme et de la Théosophie. L'auteur ne prétend expliquer ces choses, ni aux Hindous, qui possèdent leurs propres Gourous, ni aux Orientalistes qui s'imaginent en savoir plus que l'ensemble de tous les Gourous et Richis passés et présents. Ces citations et ces exemples un peu longs sont nécessaires, au moins pour indiquer à l'étudiant quels sont les ouvrages qu'il doit consulter pour tirer savoir et profit de la comparaison. Qu'il lise la Pistis Sophiaen s'éclairant à l'aide de la Bhagavad Gitâ, de l'Anougitâ et d'autres ouvrages ; alors les déclarations de jésus dans l'Evangile Gnostique deviendront claires et les "voiles" du texte littéral disparaîtront de suite. Lisez ce qui suit et comparez avec l'explication, tirée des Ecritures hindoues que nous venons de donner :

Et aucun nom n'est plus excellent que tous ceux-ci ; un nom qui renferme tous les Noms et toutes les  Lumières et toutes les (quarante-neuf) Puissances. Connaissant ce Nom, si un homme quitte ce corps de matières 326, aucune fumée (c'est-à-dire, aucune illusion théologique) 327, aucunes ténèbres, aucune Puissance, aucun Souverain de la Sphère (aucun Génie Personnel ou Esprit Planétaire appelé Dieu) du Destin (Karma)… ne sera capable de retenir l'Ame qui connaît ce Nom... S'il articule ce Nom devant le feu... les ténèbres disparaîtront... Et s'il articule ce nom devant... toutes leurs Puissances, oui, même devant Barbilô 328 et devant le Dieu invisible et devant les Dieux à la triple puissance, aussitôt qu'il aura articulé ce nom dans ces lieux, ils seront tous précipités les uns sur les autres, de sorte qu'ils seront prêts à se fondre et à périr et qu'ils crieront à haute voix : "ô Lumière de toute lumière qui réside dans les lumières infinies, souviens-toi aussi de nous et purifie-nous" 329 !

Il est aisé de comprendre ce que sont cette Lumière et ce Nom ; la Lumière de l'initiation et le nom du "Soi-Ardent", qui n'est ni un nom, ni une action, mais une Puissance Spirituelle, éternellement vivante, supérieure même au réel "Dieu invisible", car cette Puissance est Lui- même.

Si l'auteur habile et érudit de Gnostics and their Remains n'a [IV 156] pas suffisamment tenu compte de l'esprit d'allégorie et de mysticisme dans les fragments de la Pistis Sophiaqu'il a traduits et cités dans l'ouvrage ci-dessus – d'autres Orientalistes ont fait bien pis encore. Ne possédant pas sa perception intuitive de l'origine indienne de la Sagesse Gnostique et moins encore la signification de leurs "gemmes", la plupart d'entre eux, en commençant par Wilson, pour finir par le dogmatique Weber, ont commis les erreurs les plus extraordinaires au sujet de presque tous les symboles. Sir M. Monier Williams fait preuve d'un mépris prononcé pour les "Bouddhistes Esotériques", comme on appelle maintenant les Théosophes ; pourtant aucun étudiant de la Philosophie Occulte n'a jamais confondu un cycle avec un personnage vivant et vice versa, comme cela arrive  souvent à nos savants Orientalistes. Un ou deux peuvent servir de preuves à ce que nous disons. Choisissons le plus connu.

326 Il n'est pas nécessaire que ce soit uniquement lors de la mort, mais aussi durant le Samadhi, ou extase mystique.

327 Tous les mots et toutes les phrases entre parenthèses, sont ajoutés par l'auteur. Ceci est traduit directement d'après la version latine. La traduction de King est trop conforme au Gnosticisme tel que l'expliquent les Pères de l'Eglise.

328 Barbilô est l'un des trois "Dieux Invisibles, et, comme le croit Q W,. King, comprend "la Divine Mère du Sauveur", ou plutôt Sophia Achamoth (cf. Pistis Sophia, p. 356).

329 Pp. 378-379.

330 Dans d'autres Pourânas, Jâtayou est le fils d'Arouna, le frère de Garouda et tous deux fils de Kashyapa ; mais tout ceci n'est que de l'allégorie extérieure.

 

Dans la Râmâyana, Garouda est appelé "l'oncle maternel des 60.000 fils de Sagara" et Anshoumat, le petit-fils de Sagara est appelé "le neveu des 60.000 oncles" qui furent réduits en cendres par le regard de Kapila – le Pouroushottama, ou Esprit Infini, qui fit disparaître le cheval que Sagara réservait pour le sacrifice Ashvamédha. En outre, le fils de Garouda 330 – Garouda étant lui-même le Mahâ-Kalpa ou Grand Cycle – Jâtayou, roi de la tribu emplumée (lorsqu'il était sur le point d'être tué par Râvana, qui enlevait Sitâ), dit, en parlant de lui-même : "ô Roi, il y a 60.000 ans que je suis né ; après quoi, tournant le dos au Soleil – il meurt.

Bien entendu, Jâtayou n'est autre que le cycle de 60.000 ans, compris dans le Grand Cycle de Garouda : il est, par suite, représenté comme son fils et son neveu, ad libitum, puisque tout le sens repose sur le fait de le placer parmi les descendants de Garouda. Il y a encore Diti, la mère des Marouts, dont les descendants et, la progéniture appartenaient à la postérité de Hiranyâksha, "dont le nombre était 77 crores (ou 770 millions) d'hommes", suivant la Padma Pourana.On déclare que tous ces récits ne sont que des "fictions dépourvues de sens" et des absurdités, mais – la vérité est réellement fille du temps et le temps prouvera.

En attendant, rien n'eût été plus facile que d'essayer, au moins, de vérifier la chronologie pouranique ! Il y eut de nombreux [IV 157] Kapilas, mais le Kapila qui massacra la progéniture du roi Sagara – 60.000 hommes robustes – était incontestablement le Kapila qui fonda la philosophie Sankhya, puisqu'on le déclare dans les Pouranas ; bien que l'une d'elles nie complètement le fait, sans en expliquer le sens Esotérique. C'est la Bhagavata Pourâna331  qui s'exprime ainsi :

L'assertion que les fils du roi furent écorchés par  la colère du sage n'est pas exacte. En effet, comment la qualité des ténèbres, le produit de la colère, pourraient- elles exister chez un Sage dont le corps n'était que bonté et qui purifia le monde – la poussière de la terre, en quelque sorte, attribuée aux cieux ! Comment une perturbation mentale pouvait-elle distraire ce sage, identifié à l'Esprit Suprême, qui a dirigé ici (sur terre) le solide, vaisseau de la (philosophie) Sankhya, et avec l'aide duquel celui qui désire obtenir la libération, franchit le redoutable océan de l'existence, cette voie qui conduit à la mort 332 ?

331 IX. VIII. 12-13. – Voir aussi traduction française de Burnouf, Paris. Leroux, 4 vol. in-4.

332 Traduction de Burnouf ; Voyez la Vishnou Pourânade Wilson, III. 300.

 

La Pouranaa pour devoir de parler de la sorte. Elle a un dogme à promulguer et une politique à suivre, celle d'observer un grand secret au sujet des divines vérités mystiques qui, depuis d'innombrables siècles, n'étaient divulguées qu'au moment de l'initiation. Ce n'est donc pas dans les Pouranas que nous devons chercher l'explication du mystère qui se rattache aux divers états transcendants de l'être. Au premier coup d'œil, il est visible que l'histoire est une allégorie. Les 60.000 "fils", brutaux, vicieux et impies, sont la personnification des passions humaines, qu'un "simple coup d'œil du Sage" – le Soi, qui représente le plus haut état de pureté qui puisse être atteint sur la Terre – réduit en cendres. Mais l'allégorie a encore d'autres significations, des sens cyclique et chronologique, une méthode pour désigner les périodes durant lesquelles florissaient certains Sages et qui se trouve aussi dans d'autres Pouranas.

Or, il est vérifié, autant que peut l'être une tradition, que ce fut à Hardwar, ou Gangâdvâra, la "porte ou entrée du Gange", au  pied des monts Himalayas, que Kapila médita, pendant un certain nombre d'années. Non loin de la chaîne de Siwalik, la passe de Hardwar est appelée jusqu'à présent "Passe de Kapila" et l'endroit aussi est appelé "Kapilasthen" par les ascètes. C'est là que le Gange, Gangâ, émergeant de sa gorge [IV 158] montagneuse, commence sa course à travers les plaines brûlantes des Indes et il est clairement confirmé par l'examen géologique, que la tradition d'après laquelle l'océan baignait les pieds des Himalayas n'est pas totalement dépourvue de base, car il en reste des traces reconnaissables.

La philosophie Sankhya peut avoir été apportée ici-bas et enseignée par le premier Kapila et n'avoir été écrite que par le dernier.

Or, Sâgara est le nom que l'on donne jusqu'à présent, aux Indes 333, à l'Océan et particulièrement à la Baie du Bengale, à l'embouchure  du Gange. Les Géologues ont-ils jamais calculé les millions d'années qu'il a fallu à la mer pour reculer à la distance qui la sépare maintenant de Hardwar, qui se trouve actuellement à 1.024 pieds au-dessus de  son niveau ? S'ils en avaient fait ce calcul, les Orientalistes qui nous représentent Kapila comme florissant entre le premier et le  neuvième siècle de notre ère, changeraient peut-être d'avis, ne fut-ce que pour une ou deux bonnes raisons. D'abord le véritable nombre d'années qui se sont écoulées depuis l'époque de Kapila, se trouvé incontestablement dans les Pourânas, bien que les traducteurs n'aient pas su l'y découvrir et ensuite le Kapila de la Satya et le Kapila des Kali Yougas peuvent être une seule et même individualité, sans être la même personnalité.

Le nom de Kapila, outre qu'il est celui d'un personnage, d'un Sage jadis vivant, auteur de la Philosophie Sankhya, est aussi le nom générique des Koumâras, les célestes Ascètes vierges ; il en résulte que par le fait même que la Bhagavata Pouranaappelle ce Kapila – qu'elle venait justement de représenter comme une portion de Vishnou – l'auteur de la Philosophie Sankhya, le lecteur aurait dû soupçonner l'existence d'un "voile" cachant un sens Esotérique. Qu'il ait été le fils de Vitatha, comme le représente la Harivamsha, ou celui de quelqu'un d'autre, l'auteur de la Sankhya ne peut être le même personnage que le Sage du Satya Youga – au commencement même du Manvantara, lorsque Vishnou est représenté sous la forme de Kapila, comme "communiquant la vraie Sagesse à toutes les créatures" ; ceci se rapporte, en effet, à la période primordiale durant laquelle les "Fils de Dieu" enseignèrent aux hommes nouvellement créés, les arts et les sciences qui depuis lors ont été cultivés et conservés dans les sanctuaires, par les Initiés. Il y a dans les Pouranas plusieurs Kapila très connus. D'abord, le Sage primordial, [IV 159] puis Kapila l'un des trois Koumâras "secrets", Kapila fils de Kashyapa et de Kadroû – le "serpent aux nombreuses têtes" 334 – sans compter Kapila le grand Sage et Philosophe du Kali Youga. Ce dernier étant un Initié, un "Serpent de Sagesse", un Nâga, fut intentionnellement confondu avec les Kapila des époques antérieures.

 333  Wilson, ibid., p. 302, note.

 334 Voyez la, Vâyou Pourana, qui le place sur liste des quarante fils renommés de Kashyapa.