SECTION III

LA GRAVITATION EST-ELLE UNE LOI ?

 

La théorie corpusculaire a été mise de côté, sans cérémonies ; mais la gravitation – le principe en vertu duquel tous les corps s'attirent entre eux, avec une force directement proportionnelle à leurs masses et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare – survit encore et continue à régner en souveraine sur les prétendues vagues éthérées de l'Espace. En tant qu'hypothèse, elle a été menacée de mort parce qu'elle n'arrivait pas à embrasser tous les faits qu'on lui soumettait ; en tant que loi physique, cette gravitation est la Reine des récents "Impondérables", qui furent un moment tout-puissants. "C'est presque un blasphème... une insulte à la grande mémoire de Newton, que d'en douter !" ; telle est l'exclamation d'un critique américain d'Isis Dévoilée. Très bien ; mais quel est, en définitive, ce Dieu invisible et intangible auquel nous devons croire aveuglément ? Les Astronomes, qui voient dans la gravitation une solution facile pour bien des choses et une force universelle qui leur permet de calculer les mouvements planétaires, se préoccupent fort peu de la Cause de l'Attraction. Ils appellent la Gravitation une loi, une cause par elle- même. Nous qualifions d'effets les forces qui agissent sous ce nom et même d'effets très secondaires. On découvrira un jour, qu'après tout l'hypothèse scientifique n'est pas satisfaisante et elle ira rejoindre la théorie corpusculaire de la lumière, pour être classée durant des siècles dans les archives des théories abandonnées. Newton, lui-même, n'a-t-il pas exprimé des doutes sérieux sur la nature de la Force et sur la matérialité des "Agents", comme on les appelait alors ? Il en est de même de Cuvier, cette autre torche scientifique qui éclaire les ténèbres de la recherche. Dans sa Révolution du Globe, il attire l'attention de ses lecteurs sur la nature douteuse des prétendues Forces, en disant : "après tout, il n'est pas sûr que ces agents ne soient pas des Agents Spirituels". Au commencement de ses Principia, Sir Isaac Newton eut grand soin de bien faire comprendre à son école qu'il n'employait pas le mot "attraction" dans un sens physique, en ce qui concerne l'action que les corps exercent les uns sur les autres. Pour lui, disait-il, c'était une conception purement mathématique, n'impliquant pas de  considérer  des  causes  physiques  réelles  et  primordiales. Dans un passage de ses Principia 427, il nous dit clairement que, considérées au point de vue physique, [II 233] les attractions sont plutôt des impulsions.  Dans la Section XI (Introduction) il exprime l'opinion "qu'il existe quelque esprit subtil dont la force et l'action déterminent tous les mouvements de la matière" 428  et, dans sa Troisième Lettre à Bentley, il s'exprime ainsi :

427 Defin, 8, BK. I. Prop. 69, "Scholium".

428 Voir Modern Materialism, par le Rév. W.F. Winlkrinson.

 

Il n'est pas concevable que la matière brute inanimée puisse, sans l'intervention de quelque chose d'autre qui ne soit pas matériel, agir sur d'autre matière et l'affecter, sans contact mutuel, comme elle doit le faire si la gravitation, comme la comprend Epicure, lui est essentiellement inhérente... L'idée que la gravitation serait innée, inhérente et essentielle à la matière, de façon qu'un corps puisse agir sur un autre à distance et réciproquement, au travers du vide, sans l'intervention d'aucune autre chose par l'entremise de laquelle l'action puisse être transportée de l'un à l'autre, me semble être une telle absurdité qu'il me paraît impossible qu'un homme doué de la faculté de méditer avec compétence sur les questions philosophiques, puisse jamais tomber dans cette erreur. La gravitation doit être provoquée par un agent qui intervient d'une façon constante suivant certaines lois, mais que cet agent soit matériel ou immatériel, j'ai laissé à mes lecteurs le soin d'en décider.

Les contemporains de Newton furent eux-mêmes effrayés par cette apparente réapparition des Causes Occultes dans le domaine de la Physique. Leibnitz appela son principe d'attraction "une puissance immatérielle et inexplicable". La supposition de l'existence simultanée d'une faculté d'attraction et d'un vide absolu fut qualifiée de "révoltante" par Bernoulli et le principe de l'actio in distans ne fut pas plus en faveur qu'il ne l'est aujourd'hui. Euler, d'autre part, pensait que l'action de la gravitation était due, soit à un Esprit, soit à un milieu subtil. Pourtant Newton avait connaissance de l'Ether des Anciens, s'il ne l'acceptait pas. Il considérait l'espace intermédiaire qui sépare les corps sidéraux, comme étant le vide. C'est pourquoi il croyait, comme nous, à un "Esprit subtil" et à des Esprits, dirigeant cette prétendue attraction. Les paroles du grand homme que nous avons citées plus haut ont produit de maigres résultats. "L'absurdité" est devenue un dogme pour le Matérialiste pur qui s'en va répétant : "Pas de matière sans force, pas de force sans matière ; matière et force sont inséparables, éternelles et indestructibles [c'est vrai] ; il ne peut exister de force indépendante, puisque toute force est une propriété inhérente à la matière et qui lui est nécessaire [c'est faux] ; en conséquence, il n'existe pas de pouvoir créateur immatériel." Oh ! pauvre Sir Isaac !

Si, laissant de côté tous les autres Savants éminents qui [II 234] partageaient l'opinion d'Euler et de Leibnitz, les Occultistes se réclament seulement de Sir Isaac Newton et de Cuvier, cités plus haut, ils auront peu de choses à craindre de la Science moderne et pourront proclamer hautement et fièrement leurs croyances. Pourtant les hésitations et les doutes des autorités que nous venons de citer et de bien d'autres encore que nous pourrions nommer, n'ont pas le moins du monde empêché la spéculation scientifique d'errer à l'aventure dans les champs de la matière brute, tout comme auparavant. Nous avions d'abord la matière et un fluide impondérable qui en était distinct, puis survint le fluide impondérable que Grove a tant critiqué, ensuite l'Æther, d'abord discontinu, pour devenir plus tard continu et, après lui, les Forces "mécaniques". Celles-ci sont maintenant installées comme "modes de mouvement" et l'Æther est devenu plus mystérieux et plus problématique que jamais. Plus d'un Savant proteste contre des vues aussi crûment matérialistes, mais, depuis l'époque de Platon, qui ne cessait d'inviter ses lecteurs à ne pas confondre les Eléments immatériels avec leurs PRINCIPES – les Eléments transcendantaux ou spirituels ; depuis l'époque des grands Alchimistes qui, à l'exemple de Paracelse, établissaient une grande différence entre un phénomène et sa cause ou son Noumène, jusqu'à Grove qui, tout en ne voyant "aucune raison de dépouiller la matière universellement diffusée des fonctions qui sont communes à toute la matière", n'en employait pas moins le mot Forces là où ses critiques, "qui n'attachent au mot aucune idée d'une action spécifique", disent Force ; depuis lors jusqu'à présent, rien n'est parvenu à refouler la marée montante du Matérialisme brutal. La gravitation est la cause unique, le Dieu actif et la Matière est son prophète, disaient les savants il y a quelques années seulement.

Depuis lors, ils ont changé plusieurs fois d'idée, mais les Savants comprennent-ils maintenant, mieux qu'ils ne le faisaient jadis, la pensée intime de Newton, un des hommes les plus religieux et les plus enclins au spiritualisme de son époque ? On a certes le droit d'en douter. On assure que c'est Newton qui a donné le coup de grâce aux Tourbillons Elémentaux de Descartes – qui ne sont que la résurrection de l'idée d'Anaxagoras, soit dit en passant – bien que les modernes "atomes tourbillonnants" de Sir William Thomson ne diffèrent réellement pas beaucoup des précédents. Néanmoins, lorsque son disciple Forbes écrivit, dans la préface du principal ouvrage de son maître, une phrase dans laquelle il déclarait que "l'attraction était la cause du système", Newton fut le premier à protester solennellement. Ce qui, dans l'esprit du grand mathématicien, revêtait l'aspect vague mais solidement enraciné de Dieu, le Noumène de toutes [II 235] choses 429 était appelé, d'une façon plus philosophique, par les Philosophes et les Occultistes anciens et modernes, les "Dieux" ou les Puissances qui créent et façonnent. Les manières de s'exprimer ont pu être différentes et les idées plus ou moins philosophiquement énoncées par l'Antiquité, tant sacrée que profane, mais l'idée fondamentale était la même 430. Pour Pythagore, les Forces étaient des Entités Spirituelles, des Dieux, indépendants des planètes et de la Matière telles que nous les voyons et les connaissons sur Terre et qui sont souverains du Ciel Sidéral. Platon représente les planètes comme mues par un Directeur intrinsèque, qui loge en elles, comme "un batelier dans son bateau".   Quant   à   Aristote,   il   appelait   ces   régents   des   "substances immatérielles 431", bien qu'à l'exemple de ceux qui n'avaient [II 236] jamais été initiés, il refusât de reconnaître les Dieux comme des Entités 432. Cela ne  l'empêcha  pas  de  reconnaître  le  fait  que  les  étoiles  et  les  planètes "n'étaient  pas  des  masses  inanimées,  mais  bien  des  corps  agissants  et vivants". Comme si les esprits sidéraux étaient les "parties les plus divines de leurs phénomènes (τὰ θειότερα τω̃ν φανερω̃ν) 433".

Si nous cherchons des corroborations à des époques plus modernes et plus scientifiques, nous voyons Tycho Brahé reconnaître dans les étoiles une triple force, divine, spirituelle et vitale. Kepler, réunissant la phrase Pythagoricienne, "le Soleil, gardien de Jupiter", aux versets de David, "Il plaça son trône dans le Soleil" et "le Seigneur est le Soleil", etc., a dit qu'il comprenait parfaitement que les Pythagoriciens aient pu croire que tous les Globes disséminés dans l'espace étaient des Intelligences douées de raison (facultates ratiocinativæ), circulant autour du Soleil "dans lequel réside un pur esprit de feu, source de l'harmonie générale 434".

Lorsqu'un occultiste parle de Fohat, l'Intelligence qui vitalise et dirige le Fluide Universel Electrique ou Vital, on lui rit au nez. Pourtant, comme nous l'avons démontré, on ne connaît, jusqu'à présent, ni la nature de l'électricité, ni celle de la vie, ni même celle de la lumière. Dans la manifestation de chacune des forces de la Nature, l'Occultiste voit l'action de la qualité ou de la caractéristique spéciale de son Noumène, qui est lui- même une Individualité distincte et intelligente, de l'autre côté de l'Univers manifesté et mécanique. Or, l'Occultiste ne nie pas – au contraire, il est prêt à défendre cette vue – que la lumière, la chaleur, l'électricité et autres ne soient des affections et non des propriétés ou des qualités de la Matière. Pour parler plus clairement, la Matière est la condition, la base ou véhicule nécessaire, le sine qua non de la manifestation de ces Forces ou de ces Agents, sur ce plan.

 429 "L'attraction, écrit le Matérialiste Le Couturier, est devenue maintenant pour le public ce qu'elle était pour Newton lui-même, un simple mot, une Idée" (Panorama des Mondes), puisque la cause en est inconnue. Herschell dit virtuellement la même chose, lorsqu'il fait observer que toutes les fois qu'il étudie le mouvement des corps célestes et le phénomène de l'attraction, il se sent pénétré à chaque instant de l'idée de "l'existence de causes qui agissent pour nous, derrière un voile, déguisant leur action directe". (Musée des Sciences, août 1856.)

430 Si nous sommes pris à partie parce que nous croyons à des "Dieux" et à des "Esprits" actifs, tout en refusant d'admettre un Dieu personnel, nous répondrons aux Théistes et aux Monothéistes :

Admettez que Jéhovah soit un des Elohim et nous serons prêts à le reconnaître. Faites de lui, comme vous en avez l'habitude, l'Infini, l'unique, et le Dieu Eternel et nous ne l'accepterons jamais sous cet aspect. Les Dieux tribaux étaient nombreux ; La Divinité Une et Universelle est un principe, une Idée-Mère abstraite, qui n'a rien à faire avec l'œuvre impure de la Forme finie. Nous n'adorons pas les Dieux, nous nous bornons à Les honorer comme des Etres qui nous sont supérieurs. En cela nous obéissons à la prescription mosaïque, tandis que les Chrétiens désobéissent à leur Bible et les missionnaires plus que tous les autres. "Tu n'outrageras pas les Dieux", dit un de ceux-ci (Jéhovah), dans l'Exode, XXII, 28, mais en même temps le 20, verset renferme ce commandement : "Celui qui sacrifie à un Dieu quelconque, autre que le Seigneur seul, sera complètement détruit." Or, dans les textes originaux il n'y a pas "Dieu", mais Elohim – nous défions la contradiction – et Jéhovah est l'un des Elohim, comme le prouvent ses propres paroles dans la Genèse, III, 22,  lorsque "le Seigneur Dieu dit : Voici, l'Homme est devenu comme l'un de nous". Il en résulte que ceux qui adorent les Elohim, les Anges et Jéhovah et leur font des sacrifices, ainsi que ceux qui outragent les Dieux de leurs confrères en humanité, pèchent infiniment plus que les Occultistes ou qu'aucun Théosophe. En attendant, beaucoup de ces derniers préfèrent croire à tel "Seigneur" ou à tel autre et sont parfaitement libres de faire ce qui leur plaît.

 431 Comparer les "espèces immatérielles à du bois qui serait du fer" et se rire de Spiller parce qu'il en, parle comme de "matière non corporelle" ne suffit pas pour résoudre le mystère. (Voir Concepts of Modern Physics, p. 165 et infra.)

432 Voir Vossius, Vol. II, p. 528.

433 De Coelo, I, 9.

434 De Motibus Planetarum Harmonicis, p. 248.

 

Mais, pour l'emporter, les Occultistes doivent examiner les titres que peut faire valoir la loi de gravitation et, avant tout, ceux de la "Gravitation, Reine et Souveraine de la Matière", sous toutes ses formes. Pour le faire d'une manière efficace, il faut se remémorer l'hypothèse telle qu'elle était lors de sa première apparition. D'abord, est-ce Newton qui la découvrit le premier ? Le numéro du 26 janvier 1867 de l'Athenæum nous fournit de curieux renseignements à ce sujet. On y lit :

On peut prouver d'une manière positive que Newton a emprunté tout ce qu'il savait de la gravitation et de ses lois à Bœhme, pour lequel la Gravitation ou l'Attraction était la première propriété [II 237] de la Nature... Son système [à lui Bœhme] nous montre le fond des choses, alors que la science physique moderne se contente d'en considérer le côté extérieur.

Et, plus loin :

La science de l'électricité, qui n'existait pas encore au moment où [Bœhme] écrivait, est pressentie [dans ses ouvrages], et non seulement Bœhme décrit tous les phénomènes de cette force qui sont aujourd'hui connus, mais encore il nous décrit même l'origine, la Genèseet la naissance de l'électricité elle-même.

De sorte que Newton, dont l'esprit profond lisait aisément entre les lignes et saisissait la pensée spirituelle du grand Voyant sous la forme mystique qui l'enveloppait, est redevable de sa grande découverte à Jacob Bœhme, le nourrisson des Génies, des Nirmânakâyas qui veillaient sur lui et le guidaient et au sujet duquel l'auteur de l'article fait remarquer avec tant de raison que :

Chaque nouvelle découverte scientifique contribue à prouver sa profonde connaissance, son intuition des procédés les plus secrets de la Nature.

Ayant découvert la gravitation, Newton fut obligé, pour rendre le phénomène de l'attraction possible dans l'espace, d'annihiler en quelque sorte tous les obstacles physiques qui auraient été susceptibles d'entraver son action, entre autres l'Ether, bien qu'il eût plus qu'un pressentiment de son existence. Pour soutenir la cause de la théorie corpusculaire, il établit un vide absolu entre les corps célestes. Quelles qu'aient été ses conjectures et ses convictions intimes au sujet de l'Ether, quelque nombreux qu'aient été les amis dans le sein desquels il se soit épanché – comme dans sa correspondance avec Bentley – ses enseignements n'ont  jamais montré qu'il partageât cette croyance. S'il était "persuadé que le pouvoir d'attraction ne pouvait être exercé que par la matière au travers du vide" 435, comment se fait-il que jusqu'en 1860 des Astronomes français, Le Couturier, par exemple, aient combattu "les désastreux résultats de la théorie du vide instituée par le grand homme" ? Le Couturier dit :

Il n'est plus possible aujourd'hui de soutenir, comme Newton, que les corps célestes se meuvent au milieu du vide immense des espaces... Parmi les conséquences  de la théorie du vide établie par Newton, il ne reste plus debout que le mot "attraction"... Nous voyons venir le jour où le mot attraction disparaîtra du vocabulaire scientifique 436. [II 238]

Le professeur Winchell écrit :

Ces passages [lettre à Bentley] prouvent quelles étaient ses idées sur la nature du milieu de communication interplanétaire. Tout en déclarant que "les cieux étaient dépourvus de matière sensible", il faisait, en un autre passage, une exception pour "peut-être quelques fluides très légers, des vapeurs, des effluves s'élevant des atmosphères de la terre, des planètes et des comètes et du milieu éthéré extraordinairement raréfié que nous avons décrit ailleurs" 437.

Cela prouve simplement que même les grands hommes comme Newton, n'ont pas toujours le courage de leurs opinions. Le docteur T. S. Hunt a attiré l'attention sur quelques passages, longtemps négligés, des œuvres de Newton, d'où il semble ressortir que la croyance à un milieu universel, intercosmique, de ce genre, s'était peu à peu enracinée dans son esprit 438.

435 World-Life par le prof. Winchell, pp. 49 et 50.

436 Panorama des Mondes, pp. 47 et 53.

437 Newton, Optics, III. Questions 28, 1704. Cité dans World-Life, p. 50.

 438 Ibid., pp. 49-50.

 

L'attention n'avait jamais été attirée sur ces passages avant le 28 novembre 1881, lorsque le docteur Hunt donna lecture de sa Chimie céleste, depuis l'époque de Newton. Comme le dit Le Couturier :

Jusqu'alors, l'idée universellement répandue,  même parmi les hommes de Science, était que Newton, lorsqu'il défendait la théorie corpusculaire, prêchait le vide.

Si ces passages avaient été "longtemps négligés", c'est, à coup sûr, parce qu'ils étaient en contradiction et en conflit avec les théories préconçues et favorites du jour, qui eurent la vogue jusqu'au moment où la présence d'un "milieu éthéré" devint impérieusement nécessaire pour expliquer la théorie ondulatoire. C'est là tout le secret.

De toute façon, c'est du moment où cette théorie du vide universel fut enseignée par Newton, même s'il n'y croyait pas lui-même, que date l'immense dédain dont la Physique moderne fait preuve envers l'ancienne. Les vieux sages avaient soutenu que "la Nature a horreur du vide" et les plus grands mathématiciens du monde – disons des races occidentales – avaient découvert et condamné cette antique "illusion". Voilà maintenant que la Science moderne rend justice, quoique de mauvaise grâce, au Savoir Archaïque et se trouve, de plus, dans l'obligation de défendre aussi tardivement le caractère et la puissance d'observation de Newton, après avoir négligé, pendant un siècle et demi, de faire attention à des passages aussi importants – peut-être bien parce [II 239] qu'il était plus prudent de ne pas les faire remarquer. Mieux vaut tard que jamais.

Aujourd'hui, le Père Æther est de nouveau bienvenu, accueilli à bras ouverts et on l'unit à la gravitation, à laquelle il restera attaché pour le meilleur ou pour le pire, jusqu'au jour où l'un des deux, ou tous les deux, seront remplacés par quelque chose d'autre. Il y a trois cents ans, le plein régnait partout, puis il fut remplacé par un vide lugubre ; plus tard encore les océans sidéraux, que la science avait desséchés, se remirent à faire rouler  leurs  vagues  éthérées.  Recede ut procedas [recule pour mieux sauter] doit devenir la devise de la Science exacte – "exacte", surtout parce que se reconnaissant inexacte à chaque année bissextile.

Ne nous querellons pourtant pas avec les grands hommes. Il leur a fallu remonter aux premiers "Dieux de Pythagore et du vieux Kanâda" pour trouver la mœlle même de leurs corrélations et de leurs découvertes "les plus récentes" et cela peut donner bon espoir aux Occultistes pour leurs Dieux inférieurs. Car nous croyons à la prophétie de Le Couturier au sujet de la gravitation. Nous savons que le jour approche où les Savants eux-mêmes réclameront, comme l'a déjà fait Sir William Grove, une réforme complète des procédés actuels de la Science. Jusqu'à ce  moment, il n'y a rien à faire, car si la gravitation était détrônée demain, les Savants découvriraient un nouveau mode de mouvement mécanique,  le  jour suivant 439. La voie qu'a à suivre la vraie Science est rude et escarpée et elle est exposée à bien des contrariétés d'esprit.

Toutefois, étant données les "mille" hypothèses contradictoires qui étaient offertes pour expliquer les phénomènes physiques, on n'a  pas trouvé de meilleure hypothèse à leur opposer que celle du "mouvement" – quelque paradoxale que soit l'interprétation qu'en a donnée  le Matérialisme. Ainsi qu'on peut le constater en se reportant aux premières pages de cet ouvrage, les occultistes n'ont rien à  dire  contre  le Mouvement 440, le GRAND  SOUFFLE  de  "l'Inconnaissable"  d'Herbert [II 240] Spencer. Mais, comme ils croient que tout ce qui existe sur Terre est l'ombre de quelque chose qui existe dans l'Espace, ils croient à l'existence de "Souffles" moindres, qui, vivants, intelligents et indépendants de tout sauf de la Loi, soufflent dans toutes les directions durant les périodes manvantariques. La Science n'en admettra pas l'existence, mais quoi que l'on mette aux lien et place de l'attraction, alias de la gravitation, le résultat sera le même. La Science sera aussi loin de la solution des difficultés qui l'embarrassent, qu'elle en est maintenant, à moins qu'elle n'en vienne à un compromis avec l'Occultisme et même avec l'Alchimie – supposition qui sera considérée comme  une impertinence, mais n'en restera pas moins un fait. Comme le dit Faye :

Il manque quelque chose aux géologues pour faire la géologie de la Lune : c'est d'être des astronomes... A la vérité, il manque aussi quelque chose aux astronomes, pour aborder avec fruit cette étude, c'est d'être des géologues 441.

439 Lorsqu'on lit les œuvres de Sir Isaac Newton, l'esprit libre de toute idée préconçue, on a sans cesse la preuve de l'hésitation qui l'a fait osciller entre, la gravitation, l'attraction, l'impulsion de quelque autre cause inconnue, pour expliquer le cours régulier des mouvements planétaires. Voyez seulement son Treatise on Colour (Vol. III, Question 31). Herschell nous assure que Newton laissa à ses successeurs le soin de tirer de sa découverte toutes les conclusions scientifiques. On peut se rendre compte de l'abus que la Science moderne a fait de ce privilège, pour asseoir ses plus récentes théories sur la loi de gravitation, lorsque l'on se rappelle combien ce grand homme était profondément religieux.

440 L'idée matérialiste, en vertu de laquelle le mouvement éternel du Cosmos et dans le Cosmos – considéré comme l'espace infini – est une fiction, parce que d'après les lois de la Physique le mouvement réel ou sensible est impossible dans le pur espace ou vide, prouve simplement que les expressions de "pur Espace", "Etre pur", "l'Absolu", etc., dont se sert la métaphysique Orientale, n'ont jamais été comprises en Occident.

 441 Tiré de la World-Lifede Winchell, p. 379. (Annuaire du Bureau des Longitudes, pour 1881. "Comparaison de la Lune et de la Terre au point de vue géologique", p. 668.)

 

Mais il aurait pu ajouter, avec encore plus de pertinence :

Ce qui manque à tous les deux, c'est l'intuition du mystique.

N'oublions pas les sages "remarques finales" de Sir William Grove au sujet de la structure ultime de la Matière ou de la minutie des actions moléculaires que, selon lui, l'homme ne connaîtra jamais.

On a déjà fait bien du mal en cherchant à disséquer la matière d'une façon hypothétique et à discuter la forme, le volume et le nombre des atomes, ainsi que leurs atmosphères de chaleur, d'éther ou d'électricité.  Qu'il soit, ou non, admissible de considérer l'électricité, la lumière, le magnétisme, etc., comme de simples mouvements de la matière ordinaire, il est certain que toutes les théories passées ont réduit et que toutes les théories actuelles réduisent l'action de ces forces à du mouvement. Que ce soit parce que le mouvement nous est familier, que nous lui attribuons d'autres états, comme à un langage d'une construction facile et qui est éminemment apte à les expliquer, ou que ce soit le seul mode suivant lequel nos intelligences, en les distinguant de nos sens, soient capables de concevoir des influences matérielles, il est certain que depuis l'époque où les notions mystiques de puissances spirituelles ou surnaturelles étaient mises en jeu pour expliquer les phénomènes physiques, toutes les hypothèses fabriquées pour les expliquer les ont  ramenés  à  du  mouvement. [II 241]

Puis le savant homme émet un principe purement Occulte :

Le terme du mouvement perpétuel, que j'ai fréquemment employé dans ces pages, est lui-même équivoque. Si les doctrines émises ici sont bien fondées, tout mouvement est perpétuel, à un certain point de vue. Dans des masses dont le mouvement est arrêté par un choc mutuel, cela donne naissance à de la chaleur ou au mouvement de particules ; le mouvement continue donc, de sorte que si nous nous hasardions à étendre de telles pensées à l'univers, nous considérerions que la même somme de mouvement affecte à jamais la même quantité  de matière.

[C'est précisément ce qu'affirme l'Occultisme, en se basant sur ce principe que :

lorsqu'une force est opposée à une autre force et produit un équilibre statique, l'équilibre préexistant est affecté et un nouveau mouvement est généré, mouvement qui est l'équivalent de celui qui se trouve mis en échec 442.

Ce processus comporte des intervalles durant le Pralaya, mais il est éternel et incessant comme le "Souffle", même lorsque le Cosmos manifesté est en repos.]

Aussi, en supposant que l'on en vînt à abandonner l'attraction et la gravitation, pour considérer le Soleil comme un colossal aimant – théorie qu'acceptent déjà quelques Physiciens – un aimant qui agirait sur les planètes ainsi qu'on suppose actuellement qu'agit l'attraction, où cela mènerait-il les Astronomes, quelle avance gagneraient-ils sur le point où ils en sont actuellement ? Pas la moindre. Kepler fut amené à émettre sa "curieuse hypothèse" il y a environ 300 ans. Il n'avait pas découvert la théorie de l'attraction et de la répulsion dans le Cosmos, car elle était connue depuis l'époque d'Empédocle, qui avait appelé ces deux forces "amour" et "haine" – mots qui impliquent la même idée. Toutefois, Kepler donna une description assez exacte du magnétisme cosmique. Il est aussi certain que ce magnétisme existe dans la Nature, qu'il est certain que la gravitation n'existe pas, du moins telle qu'elle est enseignée par la Science, qui n'a jamais tenu compte des différents modes suivant lesquels cette double Force, que l'Occultisme appelle l'attraction et la répulsion, peut agir dans les limites de notre Système Solaire, dans celles de l'atmosphère de la Terre et, au-delà, dans celles du Cosmos.

[Comme l'écrit le grand Humbolt :

L'espace trans-solaire n'a pas laissé voir, jusqu'à présent, un seul phénomène analogue à ceux de notre système solaire. Une des particularités de notre système, c'est que la matière s'y soit condensée [II 242] en anneaux nébuleux, dont les centres forment, en se condensant, des terres et des lunes. Je le répète, jusqu'à présent rien de semblable n'a jamais été observé an delà de  notre système planétaire 443.

Il est vrai que depuis 1860 la Théorie Nébulaire a pris naissance et, mieux connue, a fait supposer que l'on avait observé des phénomènes identiques au-delà du Système Solaire. Pourtant le grand homme est absolument dans le vrai ; aucune terre, aucune lune, ne peuvent être découvertes, sauf en apparence, au-delà de notre Système ou de Matière de la même catégorie que celle qui le compose. Tel est l'Enseignement Occulte.]

Cela a été prouvé par Newton lui-même, car il existe dans notre Système Solaire de nombreux phénomènes qu'il s'est reconnu incapable d'expliquer par la loi de gravitation ; par exemple "l'uniformité de direction des mouvements, planétaires, la forme quasi circulaire des orbites et leur remarquable concordance avec un seul plan 444". Or, n'existerait-il qu'une seule exception, que cela suffirait pour que la loi de gravitation ne pût être qualifiée de loi universelle. "Newton a déclaré, nous dit-on 445, dans ses Notes générales, que ces arrangements sont l'œuvre d'un Etre intelligent et tout-puissant." Cet "Etre" pourrait bien être intelligent, mais quant à être "tout-puissant", il y a toutes sortes de raisons d'en douter. Ce serait un piètre "Dieu" que celui qui s'occuperait de petits détails et abandonnerait ce qu'il y a de plus important à des forces secondaires ! La pauvreté de cette argumentation et de cette logique n'est surpassée que par Laplace qui, cherchant, à juste titre, à substituer le Mouvement à "l'Etre tout-puissant" de Newton et ignorant la vraie nature de ce Mouvement Eternel, n'y vit qu'une loi physique aveugle. "Cette organisation ne pourrait-elle pas être l'effet des lois du mouvement ?" demande-t-il, oubliant, comme le font tous nos Savants modernes, que cette loi et ce mouvement constituent un cercle vicieux, tant que la nature des deux reste inexpliquée. Sa fameuse réponse à Napoléon : "Dieu est devenu une hypothèse inutile", n'aurait pu être correctement faite que par un adhérent de la philosophie  des Védantins ; elle n'est plus qu'un pur sophisme, si nous excluons l'intervention d'Etres actifs, intelligents, puissants (jamais "tout- puissants"), que l'on appelle des "Dieux".

443 Voir la Revue Germaniquedu 31 déc. 1860, art., "Lettres et conversations d'Alexandre Humboldt".

444 Prof. Winchell, World-Life, p. 607.

445 Ibid.

  

Nous pourrions demander aux critiques des Astronomes [II 243] du moyen âge pourquoi on accuserait Kepler d'être très antiscientifique, alors qu'il offre précisément la même solution que Newton, se bornant à se montrer plus sincère, plus conséquent et même plus logique que lui ? Quelle différence peut-il bien y avoir entre "l'Etre tout-puissant" de Newton et les Recteurs de Kepler, ses Forces Sidérales ou Cosmiques ou ses Anges ? On critique aussi Kepler à cause de la "curieuse hypothèse qu'il a employée, d'un mouvement tourbillonnant dans les limites du système solaire", à cause de ses théories, en général, et parce qu'il a favorisé les idées d'Empédocle sur l'attraction et la répulsion et, en particulier, sur le "magnétisme solaire". Cependant de nombreux Savants modernes, comme nous le démontrerons – Hunt, s'il nous faut exclure Metcalfe, le docteur Richardson, etc. – favorisent très énergiquement les mêmes idées. On l'excuse pourtant, à moitié, sous prétexte que :

   Jusqu'à l'époque de Kepler, on n'avait clairement reconnu aucune action réciproque entre des masses de matière, qui différât génériquement du magnétisme 446.

Est-ce clairement reconnu maintenant ? Le professeur Winchell prétend-il attribuer à la Science une connaissance sérieuse quelconque de la nature de l'électricité ou du magnétisme – sauf que ces deux forces semblent être les effets d'un résultat produit par une cause indéterminée ?

Les idées de Kepler, lorsqu'on en écarte les tendances théologiques, sont purement Occultes. Il remarquait que :

  1. Le Soleil est un grand Aimant 447. C'est ce que croient quelques éminents Savants modernes et aussi les Occultistes.
  2. La substance Solaire est immatérielle 448. Dans le sens de Matière existant sous des états inconnus à la Science, cela va sans dire.
  3. Il attribuait le mouvement constant et l'entretien de l'énergie du Soleil et le mouvement planétaire, aux soins incessants d'un ou plusieurs Esprits. L'Antiquité tout entière partageait  cette idée. Les Occultistes n'emploient pas le mot Esprit, mais parlent de Forces Créatrices qu'ils douent d'intelligence, mais nous pouvons aussi les appeler des Esprits. [On nous accusera de contradiction. On dira que tout en niant Dieu, nous admettons des Ames et des Esprits Actifs et citons des écrivains catholiques romains bigots, à l'appui de notre argumentation. Nous répondrons à cela : Nous nions l'existence du Dieu anthropomorphe des Monothéistes, mais nous n'avons jamais nié le Principe Divin dans la nature. [II 244] Nous luttons contre les Protestants et les Catholiques Romains à propos d'un certain nombre de croyances théologiques d'une origine humaine et sectaire. Nous sommes d'accord avec eux au sujet de leur croyance à des Esprits et à des Puissances actives et intelligentes, bien que nous ne rendions pas un culte aux "Anges" comme le font les Catholiques de l'église romaine latine.]

446 World-Life, p. 553.

447 Voyez simplement l'Astronomie du Moyen Age de DELAMBRE.

448 Voir Isis Dévoilée, I, 451, 452.

 

Cette théorie est mise à l'index bien plus à cause de "l'Esprit" qui y trouve place que pour toute autre raison. Herschell, l'aîné, y croyait aussi et plusieurs Savants modernes en font autant. Cela n'empêche pas le professeur Winchell de déclarer "qu'une hypothèse plus fantaisiste et en plus complet désaccord avec les exigences des principes physiques, n'a jamais été mise en avant, pas plus dans l'antiquité que dans les temps modernes 449".

On a dit jadis la même chose de l'Ether universel et maintenant il est non seulement accepté, bon gré mal gré, mais on le représente encore comme pouvant seul expliquer certains mystères.

Les idées de Grove, la première fois qu'il les émit à Londres, vers 1840, furent déclarées antiscientifiques ; pourtant sa théorie de la Corrélation des Forces est aujourd'hui universellement acceptée.  Il faudrait, vraisemblablement, quelqu'un de plus compétent que l'auteur au point de vue scientifique, pour combattre avec quelques chances de succès un certain nombre d'idées qui dominent aujourd'hui au sujet de la gravitation et d'autres "solutions" similaires des Mystères Cosmiques. Rappelons, pourtant, certaines objections faites par des Savants reconnus ; par des Astronomes et des Physiciens éminents qui ont repoussé la théorie de la rotation, aussi bien que celle de la gravitation. On lit, par exemple, dans l'Encyclopédie Française, que "la Science admet, par la bouche de tous ses représentants, qu'il est impossible d'expliquer l'origine physique du mouvement rotatoire du système solaire".

Si on demande : "Quelle est la cause de la  rotation ?"  On  nous répond : "C'est la force centrifuge." "Et cette force,  qu'est-ce  qui  la produit ?" "La force de rotation, nous répond-on gravement 450." Il serait peut-être bon d'examiner jusqu'à quel point ces deux théories sont reliées entre elles, directement ou indirectement.

 449 World-Life, 554.

450 Godefroy, Cosmogonie de la Révélation.

 [II 245]