CHAPITRE V

L'AETHER OU LA "LUMIERE ASTRALE"

 

"Je suis l'esprit qui nie toujours."

 Méphistophélès dans Faust.

"Je suis l'esprit de vérité que le monde ne peut recevoir parce qu'il ne Le voit pas, et parce qu'il ne Le connaît pas."

 (Évangile selon saint Jean, XIV, 17).

"Des millions de créatures spirituelles parcourent la terre, invisibles pour nous, que nous soyons éveillés ou endormis."

 MILTON.

"La simple lumière intellectuelle ne suffit point pour reconnaître ce qui est spirituel. Comme le soleil fait pâlir la flamme, l'esprit éblouit les yeux de l'intelligence humaine."

 W. HOWITT.

 

II y a eu confusion infinie dans les noms désignant une seule et même chose.

Le chaos des anciens, le feu sacré de Zoroastre, l'Antusbyrum des Parsis, le feu d'Hermès, le feu de Saint-Elme des anciens Germains, l'éclair de Cybèle, la torche d'Apollon, la flamme sur l'autel de Pan, l'inextinguible feu du temple de l'Acropole et celui de Vesta, la flamme du casque de Pluton, les étincelles brillantes de la coiffure des Dioscures, celles de la tête de Gorgone, le casque de Pallas et le Caducée de Mercure, le πuρ άσβεστος, le Phta ou Ra  Égyptien,  le  Zeus  Cataibatès  (celui qui descend) 231 des Grecs, les langues de feu de la Pentecôte, le buisson ardent de Moïse, la colonne de feu de l'Exode, et la "lampe allumée" d'Abraham, le feu éternel du "puits sans fond", les vapeurs de l'oracle de Delphes, la lumière Sidérale des Rose-Croix, l'AKASA des adeptes hindous,  la lumière Astrale d'Eliphas Lévi, l'aura nerveuse et [194] infinie dans les noms désignant une seule le fluide des magnétiseurs, l'od de Reichenbach, le globe de feu ou chat météorique de Babinet, le Psychode et la force ecténique de Thury, la force psychique de Sergeant Cox et de Crookes, le Magnétisme atmosphérique de quelques naturalistes, le galvanisme et, enfin, l'électricité, sont, simplement, des noms divers s'appliquant à des manifestations différentes, ou effets de la même cause mystérieuse qui pénètre tout, l'Archeus ou Aρχαĩος ; des Grecs.

231 Pausanias. Eliœ, liv. I, ch. XIV.

232 Nous craignons que le noble auteur n'ait inventé ses noms si curieux en contractant des mots appartenant aux langues classiques. Gy viendrait ainsi de gune et vril de virile.

 

Sir Bulwer Lytton, dans son roman The Coming Race la décrit comme le VRIL 232 dont se servent les populations souterraines, et qu'il laisse ses lecteurs considérer comme une fiction. "Ces peuples, dit-il, sont persuadés qu'avec le vril ils sont arrivés à posséder l'unité des agents naturels de l'énergie." Il continue en montrant que Faraday a fait connaître ces agents "sous le nom plus prudent de corrélation", quand il a dit :

"C'est depuis longtemps pour moi une opinion, presque une conviction, partagée, je crois, par bien d'autres fervents des connaissances naturelles que les diverses formes sous lesquelles les forces de la nature se manifestent ont UNE ORIGINE COMMUNE.  En d'autres termes, elles ont une corrélation si directe, elles dépendent si naturellement les unes des autres qu'elles sont pour ainsi dire convertibles entre elles et possèdent, dans leur action, des équivalents de puissance."

Il peut paraître absurde et peu scientifique de comparer le vril imaginaire du grand romancier anglais et la force primordiale du non moins grand expérimentateur avec la lumière astrale des cabalistes, et pourtant, c'est la vraie définition de cette force. Les découvertes qui se succèdent confirment cette audacieuse déclaration. Depuis que nous avons écrit le début de cette partie du présent ouvrage, plusieurs journaux ont annoncé que M. Edison, l'électricien de Newark, N.J., avait découvert une nouvelle force. Elle semblerait différer beaucoup de l'électricité et du galvanisme sauf dans ses propriétés de conductibilité. Si la chose est démontrée, cette force restera, peut-être, longtemps cachée sous un pseudonyme scientifique. Cependant elle appartiendra tout simplement à la famille nombreuse enfantée, depuis le commencement des âges, par notre cabalistique mère, la Vierge Astrale. En fait, l'inventeur prétend que cette force "est aussi distincte, et a des formes aussi précises que la chaleur, le magnétisme ou l'électricité". Le journal, qui publie le premier compte rendu de l'invention, ajoute que "M. Edison estime qu'elle a une certaine relation avec la chaleur mais qu'elle peut aussi être générée par des moyens inconnus, encore ignorés." [195]

Une autre découverte, sensationnelle et récente, est la possibilité de supprimer les distances pour la voix humaine grâce au téléphone, instrument inventé par le professeur Graham Bell. Cette possibilité fut d'abord suggérée par le petit télégraphe des amoureux. II consistait en deux petits cornets de fer blanc tendus de parchemin, reliés par un fil, et permettait de converser d'une manière suivie à cent mètres de distance. Ce jouet est devenu le téléphone qui sera la merveille de notre siècle. On a déjà tenu une longue conversation entre Boston et Cambridgeport : "Chaque mot était entendu distinctement, parfaitement compris et les inflexions des voix, d'après le rapport officiel, étaient reconnaissables." La voix est, pour ainsi dire, prise sur le vif, maintenue par un aimant. L'onde sonore est transmise par l'électricité agissant à l'unisson de l'aimant et coopérant avec lui. Tout le succès dépend du parfait contrôle des courants électriques et de la puissance de l'aimant employé avec lequel ils doivent collaborer.

Le journal s'exprime ainsi : "L'invention peut être sommairement décrite. Figurez-vous une sorte de trompette, à l'embouchure de laquelle est tendue une membrane délicate. Quand la voix est émise dans le tube, la membrane s'enfle proportionnellement à la force dont fut animée l'onde sonore. A sa partie extérieure est fixée une feuille de métal qui prend contact avec un électro-aimant dès que la membrane est poussée au dehors. Aimant et courant électrique sont aux ordres de l'opérateur. En vertu d'un principe encore mal défini, le courant électrique transmet l'onde sonore telle qu'elle est émise par la voix dans la trompette et l'auditeur, placé à l'autre  extrémité  de  la  ligne,  en  portant  à  son  oreille  une trompette analogue, entend distinctement chaque mot et saisit immédiatement les inflexions de la voix de son interlocuteur."

Les prodigieuses découvertes actuelles dans le domaine de la nature et les possibilités magiques latentes encore inconnues – surtout si, comme il est fort probable, la force d'Edison et le téléphone de Graham Bell modifient, et peut-être renversent toutes les notions que nous possédons sur les fluides impondérables – n'inciteront-elles pas les personnes portées à contredire nos assertions à mieux attendre pour voir si les nouvelles découvertes les confirment ou les réfutent ?

Seulement, à propos de ces découvertes, nous pourrions, peut-être, utilement rappeler à nos lecteurs les allusions nombreuses qu'on peut trouver dans les annales de l'antiquité concernant certain secret que possédaient les prêtres Egyptiens qui, pendant la célébration des mystères, pouvaient, instantanément, communiquer d'un temple à un autre, le premier fût-il à Thèbes et le second à l'autre extrémité du pays. Les légendes attribuent [196] ce pouvoir, naturellement, aux "tribus invisibles de l'air qui portent des messages aux mortels. L'auteur de l'Homme Pré- Adamique cite un exemple qui, donné simplement de sa propre autorité, doit être pris pour ce qu'il vaut. D'autant plus que l'écrivain semble ne pas savoir positivement si l'histoire est empruntée à Macrin ou à un autre écrivain. Pendant son séjour en Egypte, il dit avoir découvert la preuve "qu'une des Cléopâtres (?) transmit  des nouvelles, par un fil métallique, à toutes les villes, depuis Héliopolis jusqu'à Eléphantine, sur le Haut-Nil" 233.

 233 P.B. Randolph. Pre-Adamite Man, p. 48.

 

II n'y a pas si longtemps que le professeur Tyndall nous a introduits dans un monde nouveau, peuplé de formes aériennes de la plus exquise beauté.

 

"La découverte consiste, dit-il, à soumettre les  vapeurs de liquides volatils à l'action de la lumière concentrée du soleil ou de la lumière électrique." Les vapeurs de certains nitrates, d'iodures et d'acides sont soumises à l'action de la lumière, dans un tube à essais posé horizontalement et placé de façon à ce que coïncident l'axe du tube et celui des rayons parallèles de la lampe. Les vapeurs forment des nuages de teintes  somptueuses.

 Elles prennent la forme de vases, de fioles, de cônes par faisceaux de six ou plus, de coquilles, de tulipes,  de roses, de tournesols, de feuilles et de rosaces. "Une fois, nous dit Tyndall, le bourgeon de nuages prit rapidement la forme d'une tête de serpent. Une gueule se dessina et un filet nuageux se forma, figurant la  langue." Enfin, pour clore la liste des merveilles, "il prit la forme d'un poisson, avec ses yeux, ses branchies et ses nageoires. Symétrie complète, la ressemblance était parfaite ! Pas une écaille, pas une marque, pas un signe n'existait sur une des faces de son corps qui ne fût exactement reproduite sur l'autre."

Ces phénomènes peuvent peut-être s'expliquer en partie par l'action mécanique d'un rayon lumineux comme M. Crookes l'a démontré dernièrement. On peut supposer, par exemple, que les rayons forment un axe horizontal autour duquel les molécules des vapeurs en mouvement se rassemblent en forme de globes et de fuseaux. Mais comment expliquer le poisson, la tête de serpent, les fleurs de diverses variétés, les coquilles ? Cela semble offrir à la science un problème aussi embarrassant que le chat météorique de Babinet. Tyndall, que nous sachions, n'a pas risqué,  à propos de son phénomène extraordinaire, une explication aussi absurde que celle du savant français. [197]

Ceux qui n'ont point étudié cette question seront surpris de voir combien on en savait déjà, dans les temps anciens, sur ce principe subtil qui pénètre tout et qu'on a baptisé récemment L'ÉTHER UNIVERSEL.

Avant d'aller plus loin, nous voudrions, encore une fois, formuler en deux propositions catégoriques, ce que nous avons seulement indiqué jusqu'à présent. Pour les anciens théurgistes ces propositions étaient des lois démontrées.

  1. Les prétendus miracles, à commencer par ceux de Moïse pour finir par ceux de Cagliostro, quand ils sont authentiques, sont, comme l'insinue fort justement de Gasparin dans son ouvrage sur les phénomènes, parfaitement conformes à la loi naturelle, donc pas des miracles. L'électricité et le magnétisme ont été, incontestablement, mis en œuvre pour la production de quelques- uns de ces prodiges. Aujourd'hui, comme autrefois, tout être sensitif les emploie ; il se sert inconsciemment de ces forces, en vertu de la nature spéciale de son organisme qui sert de conducteur à certains de ces fluides impondérables encore si imparfaitement connus de la science. Cette force est la mère féconde d'innombrables attributs et de propriétés dont beaucoup, la plupart même, sont encore inconnus de la physique moderne.
  2. Les phénomènes de la magie naturelle, tels qu'on les voit au Siam, en Inde, en Egypte et dans d'autres contrées d'Orient, n'ont aucun rapport avec la prestidigitation. La première est un effet absolument physique dû à l'action de forces naturelles occultes ; la seconde est simplement un résultat trompeur produit par d'adroites manifestations et avec l'aide de compères 234.

234 Ici, du moins, nous sommes en terre ferme. Le témoignage de M. Crookes confirme nos assertions. Il dit, page 84 de sa brochure Phenomenal Spiritualism : "Les centaines de faits que je suis prêt à attester, ont été produits dans ma maison, à des heures que j'avais moi-même fixées, dans des conditions qui excluaient l'emploi de l'instrument même le plus rudimentaire. Malgré leur habileté, les Robert-Houdin, les Bosco, les Anderson seraient incapables de les imiter même avec les moyens mécaniques ou physiques, toutes les ressources d'un appareillage compliqué et des années de pratique."

Les thaumaturges de tous les temps, de toutes les écoles, de tous les pays, opéraient leurs merveilles parce qu'ils connaissaient parfaitement les ondes impondérables – dans leurs effets – mais parfaitement tangibles  de la lumière astrale. Ils en dirigeaient les courants et les guidaient par leur force de volonté. Les prodiges étaient de nature à la fois physique et psychologique ; ceux-là étant des effets sur des objets matériels, ceux-ci étant les phénomènes mentaux de Mesurer et ses successeurs. Cette dernière classe est, de nos jours, représentée par deux hommes illustres : [198] Du Potet et Regazzoni dont les pouvoirs merveilleux ont été attestés en France et ailleurs. Le magnétisme est la branche la plus importante de la magie. Ses phénomènes sont les effets de l'agent universel sous-jacent à toute magie et qui, à toutes les époques, a produit les prétendus miracles.

Les anciens le nommaient Chaos, Platon et les Pythagoriciens l'appelaient l'Ame du Monde. D'après les Hindous, la Divinité, sous forme d'Ether, pénètre toutes choses. C'est le Fluide invisible mais tangible, comme nous l'avons déjà dit. Parmi les autres noms de ce Protée universel que  de  Mirville,  par  dérision,  croit  devoir  appeler  "le  nuageux  Tout Puissant", nous trouvons ceux de "feu vivant" 235 que lui attribuent les théurgistes, "Esprit de lumière"et de Magnès. Ce dernier mot indique ses propriétés magnétiques et montre sa nature magique. Car, ainsi que le dit, avec raison, un de ses détracteurs µάγος et µάγνης, sont deux branches issues du même tronc et produisant les mêmes effets.

Magnétisme est un mot pour l'origine duquel il faut remonter à une époque incroyablement ancienne. La pierre dite d'aimant tirerait son nom, au dire de bien des gens, de Magnésia, ville de Thessalie, aux environs de laquelle on trouverait ces pierres en quantité. Nous croyons cependant que l'opinion des Hermétistes est la bonne. Le mot Mag, Magus est dérivé du mot sanscrit Mahaji, le grand, le sage (l'oint de la sagesse divine). "Eumolpus est le fondateur mythique des Eumolpides  (prêtres) qui faisaient remonter leur sagesse à l'Intelligence Divine" 236. Les diverses cosmogonies montrent que l'Ame Universelle Archaïque était considérée par tous les peuples, comme le "mental" du Démiurge Créateur, la Sophia des gnostiques ou le Saint-Esprit, en tant que principe femelle. Comme les Mages tiraient de là leur nom, la pierre magnésienne ou Magnès (aimant) fut ainsi nommée en leur honneur, car ils furent les premiers à en découvrir les propriétés. Leurs temples étaient disséminés partout dans le pays et, dans le nombre, il y avait des temples d'Hercule 237. Il en résulta que lorsqu'on sut [199] que les prêtres se servaient de cette pierre pour des fins guérisseuses et magiques, on lui donna le nom de pierre de magnésie ou d'Hercule. Socrate, qui en parle, dit : "Euripide l'appelle pierre de Magnésie. Mais le peuple la nomme Héracléenne 238". C'est le pays et la pierre qui reçurent leur nom des Mages et non point les Mages qui furent nommés d'après le premier ou la seconde. Pline nous apprend que, chez les Romains,   l'anneau   nuptial   était   magnétisé   par   les   prêtres   avant la cérémonie. Les anciens historiens païens avaient soin de garder le silence sur certains Mystères des "sages" (Magi) et Pausanias dit qu'il fut averti dans un songe de ne pas révéler les rites sacrés du temple de Déméter et Perséphone à Athènes 239.

235 Dans cette appellation nous pouvons découvrir le sens de certaine phrase embarrassante du Zend-Avesta : "le feu donne la connaissance de l'avenir, la science et l'aisance de parole" car il développe une éloquence extraordinaire chez certains sensitifs.

236 Dunlap. Musah, His mysteries, p. III.

237 "Hercule était connu comme le roi des Musiens", dit Schwab, II, 44 ; et Musien était la fête "de l'Esprit et de la matière", Adonis et Vénus, Bacchus et Cérès. (Voir Dunlap. Mystery of Adonis, p. 95.) Dunlap montre, sur l'autorité de Julien et d'Anthon (67) qu'Esculape "le Sauveur de tout" est identique à Phta (l'Intelligent Créateur, la Sagesse Divine) et avec Apollon, Baal, Adonis et Hercule (ibid., p. 93) Phta est l' "Anima Mundi", l'Ame Universelle de Platon, le Saint-Esprit des Egyptiens et la Lumière astrale des Cabalistes. Cependant, Michelet considère l'Hercule grec comme un autre personnage, l'adversaire des orgies bachiques et des sacrifices humains qui les accompagnaient.

238 Platon. Ion (Burgess), vol. IV, p. 294.

239 Platon. Attic., I, XIV.

240 Platon. Théagès. Cicéron rend le mot δαιµονίον par quiddam diuinum, quelque chose de divin, non quelque chose de personnel.

 

La science moderne, après avoir vainement nié le magnétisme animal, s'est vue forcée de l'accepter comme un fait. C'est, maintenant, reconnu comme une propriété de l'organisme humain et animal ; quant à son influence psychologique et occulte, les Académies luttent contre elle, à notre époque, avec plus d'acharnement que jamais. II faut d'autant plus le regretter et s'en étonner que les représentants des "sciences exactes" ne peuvent nous expliquer la mystérieuse et indiscutable puissance contenue dans un simple aimant, et ne nous offrent même pas un semblant d'hypothèse raisonnable. Nous commençons à trouver des preuves quotidiennes montrant que cette force était la base des mystères théurgiques ; peut-être pourrait-on, expliquer ainsi les facultés occultes des thaumaturges anciens et modernes de même qu'un grand nombre de leurs exploits les plus étonnants. Tels furent les dons transmis par Jésus à quelques-uns de ses disciples. Lorsqu'il opérait ses guérisons miraculeuses, le Nazaréen sentait qu'un pouvoir émanait de lui. Socrate, dans son dialogue avec Théagès 240 lui parle de son dieu familier (son démon), et du pouvoir qu'il avait de communiquer sa sagesse (celle de Socrate) à ses disciples ou d'empêcher les personnes avec lesquelles il frayait d'en profiter. A l'appui de ses paroles, Socrate cite l'exemple suivant : "Je vous dirai, Socrate (c'est Aristide qui parle) une chose incroyable. Mais, par les dieux ! Elle est vraie. J'ai eu grand profit à te fréquenter même si je n'habitais que la même maison sans être dans la même chambre. Le bénéfice était bien plus grand quand nous étions dans la même chambre... surtout lorsque je te regardais... Mais où le profit était le plus grand, c'est quand j'étais assis près de toi et te touchais." [200]

C'est le magnétisme moderne, le mesmérisme de du Potet et d'autres maîtres. Lorsqu'ils ont soumis une personne à leur influence fluidique, ils peuvent lui communiquer toutes leurs pensées, même à distance et contraindre leur sujet, par une force irrésistible, à obéir à leurs ordres mentaux. Mais combien mieux les anciens philosophes connaissaient-ils cette force psychique. Nous pouvons glaner des renseignements aux sources antiques. Pythagore enseignait à ses disciples que Dieu est le Mental universel répandu en toutes choses, que ce mental, par la seule vertu de son identité universelle, pouvait être communiqué d'un objet à un autre et qu'on pouvait lui faire créer toutes choses par la seule puissance de la volonté humaine. Chez les anciens Grecs Kurios était le Mental Dieu (Nοùς). "Or Koros (Kurios) signifie la nature pure et sans mélange de l'Intellect Sagesse", dit Platon 241. Kurios, c'est Mercure, la Sagesse Divine et "Mercure c'est Sol" (Soleil) 242 de qui Thaut-Hermès reçut cette divine sagesse qu'à son tour il transmit au monde dans ses livres.

Hercule est aussi le Soleil, l'entrepôt  céleste  du  magnétisme universel 243, ou, plutôt, Hercule est la lumière magnétique qui  s'étant ouvert une voie, par "l'œil ouvert du ciel" passe dans les régions de notre planète et devient ainsi le "Créateur". Hercule traverse les douze travaux, le vaillant Titan ! Il est appelé "le Père de Tout", "né de lui-même" (Autophnès 244. Hercule, le Soleil est tué par le Diable, Typhon 245. Il en est de même d'Osiris, père et frère d'Horus et qui lui est aussi identique. Rappelons-nous que l'aimant était appelé "l'os d'Horus" et le fer "l'os de Typhon". On l'appelle Hercule Invictus mais seulement lorsqu'il descend au Hadès 246 le jardin souterrain), cueille "les pommes d'or"de "l'arbre de vie", et tue le dragon. Le pouvoir Titanique brut, "doublure" de chaque dieu solaire, oppose sa force de matière aveugle à l'esprit magnétique divin qui s'efforce d'harmoniser [201] toutes choses dans la nature. Tous les dieux solaires avec leur symbole, le soleil visible, ne sont les créateurs que de la nature physique. La nature spirituelle est l'œuvre du Dieu  Très-Haut, SOLEIL Caché, Central, Spirituel, et de son Demiurge le Mental Divin de Platon et la Divine Sagesse d'Hermès Trismégiste 247, la sagesse émanant d'Oulom ou Kronos.

241 Cratyle, p. 79.

242 Arnobius, VI, XII.

243 Ainsi que nous le ferons voir dans les chapitres suivants le soleil n'était pas considéré par les anciens comme la cause directe de la lumière et de la chaleur, mais seulement comme un agent de cette cause, au travers duquel la lumière passait pour se diriger vers notre sphère. Aussi était-il toujours nommé par les Egyptiens l' Œil d'Osiris qui lui-même était le Logos, le Premier-Né, ou la lumière manifestée au monde, lumière "qui est le mental et le divin intellect du Caché". C'est seulement la lumière que nous connaissons qui est le Demiurge, le Créateur de notre planète et de tout ce qui s'y rapporte. Les dieux solaires n'ont rien à faire avec les univers visibles ou invisibles semés dans 1'espace. L'idée est très clairement exprimée dans les "Livres d'Hermès".

244 Orphic Hymn XII ; Hermann ; Dunlap. Musah His Mysteries, p. 91.

245 Movers, 525. Dunlap. Mysteries of Adonis, 94.

246 Preller, II 153. Origine évidente du dogme chrétien : descente du Christ dans l'enfer et défaite de Satan.

247 Ce fait important explique admirablement le polythéisme grossier des masses et la conception du Dieu Un, conception raffinée et hautement philosophique, enseignée seulement dans les sanctuaires des temples "païens".

248 Anthon. Cabeiria.

249 Platon. Phœdre, traduction Gary.

250 Saint Jean, XX, 22.

 

"Après la distribution du Feu pur, dans les Mystères de Samothrace, une vie nouvelle commençait 248". C'est à cette "nouvelle naissance" que Jésus fait allusion dans sa conversation nocturne avec Nicodème. "Initiés dans les plus sacrés de tous les Mystères, étant nous-mêmes purs..., nous devenons justes et saints avec sagesse 249". "Il souffla sur eux et leur dit : "Recevez  le  Saint- Pneuma 250". Et ce simple acte de puissance de la volonté suffisait pour communiquer le don de prophétie dans sa forme la plus noble et la plus parfaite si l'initiateur et l'initié en étaient dignes". Railler ce don même sous son aspect actuel, dit le Rév. J.-B. Gross, l'assimiler au rejeton corrompu, aux traces attardées d'un siècle d'ignorance et de superstition, le condamner d'emblée, comme indigne de tout examen sérieux, serait aussi injuste qu'antiphilosophique. Ecarter le voile qui dérobe l'avenir à nos yeux, on l'a tenté à tous les âges du monde. Aussi cette tendance à fouiller dans les arcanes du temps, considérée comme une des facultés du mental humain, nous arrive avec encouragement sous la sanction de Dieu... Zwingli, le réformateur suisse, montrait la largeur de sa foi en la providence de l'Etre Suprême par sa doctrine sans exclusivité d'après laquelle le Saint-Esprit n'était pas complètement exclu de la partie la plus méritante du monde païen. Admettant qu'il en soit  ainsi, il  nous  serait  difficile  d'imaginer  une  raison plausible pour contester à un païen, favorisé de la sorte, l'aptitude à la vraie prophétie 251".

251 Heathen Religion, 104.

252 Alkahest, mot que Paracelse employa le premier pour désigner le menstruum ou dissolvant universel, celui qui est capable de réduire toutes choses.

 

Or quelle est cette substance mystique primordiale ? Dans le livre  de la Genèse, au commencement du premier chapitre, elle est désignée par : "la surface des eaux" qu'on dit fécondée par "l'Esprit de Dieu". Job, au chapitre XXVI, 5, dit que "les choses mortes sont formées de ce qui est sous les eaux et de leurs habitants". Dans le texte original, au lieu de "choses mortes", il est écrit Rephaim morts (géants ou puissants hommes primitifs.) C'est d'eux que "l'Evolution" pourra, quelque jour, faire descendre [202] notre race actuelle. Dans la mythologie égyptienne, Kneph, le Dieu Eternel non révélé, est représenté par un serpent, emblème de l'éternité, enroulé autour d'une urne remplie d'eau au-dessus de laquelle il lève la tête pour la couver de son souffle. Dans ce cas, le serpent est l'Agathodaimon, le bon esprit ; dans son aspect opposé, il est le Kakodaimon, le mauvais esprit. Dans les Eddas Scandinaves, la rosée de miel, nourriture des dieux et des abeilles d'Yggdrasill actives et créatrices, tombe pendant la nuit, alors que l'atmosphère est imprégnée d'humidité. Dans les mythologies du Nord, en tant que principe passif de la création, elle est le type de la création de l'Univers, tiré de l'eau. Cette rosée est la lumière astrale dans une de ses combinaisons et elle possède des propriétés créatrices aussi bien que destructrices. Dans la légende Chaldéenne de Bérose, Oænnes ou Dagon, l'homme poisson, instruisant le peuple, montre le monde enfant créé de l'eau et tous les êtres issus de cette matière première. Moïse enseigne que la terre et l'eau peuvent seules produire une âme vivante et nous lisons dans les Ecritures que les plantes ne pouvaient croître avant que l'Eternel n'eût fait pleuvoir sur la terre. Dans le Popol- Vuh Mexicain, l'homme est créé de la boue ou terre glaise tirée de dessous l'eau. Brahma a créé Lomus, le grand Mouni (ou premier homme) assis sur sa feuille de lotus, mais seulement après avoir appelé à l'être les esprits qui jouissaient ainsi, parmi les mortels, d'une priorité d'existence et il le forma d'eau, d'air et de terre. Les alchimistes prétendent que la terre primordiale ou pré-adamique, lorsqu'elle est réduite à sa substance primitive, est, dans son deuxième stade de transformation, comme de l'eau claire, le premier degré étant l'alkahest 252   proprement dit. Cette substance primordiale est dite contenir l'essence de tout ce qui contribue à former l'homme. Elle n'a pas seulement tous les éléments de son être physique, mais même "le souffle de vie" à l'état latent et tout prêt à s'éveiller. Cela lui vient de "l'incubation" de l'Esprit de Dieu sur la surface des eaux, le chaos ; de fait, cette substance est le chaos lui-même. De là Paracelse se disait capable de faire ses "homunculi" ; et voilà pourquoi Thalès, le grand philosophe naturel, soutenait que l'eau était le principe de toutes choses dans la nature. Qu'est-ce que le Chaos primordial sinon l'Æther ? L'éther moderne, non pas tel qu'il est admis par nos savants modernes, mais tel qu'il était défini par les anciens philosophes, longtemps avant Moïse, l'Ether avec toutes ses propriétés mystérieuses et occultes, contenant en lui-même le germe de la création universelle, [203] l'Ether, la vierge céleste, la mère spirituelle de toute forme et de tout être, du sein de laquelle, aussitôt qu'elle est couvée par l'Esprit Divin, sont appelées à l'existence la Matière et la Vie, la Force et l'Action. L'électricité, le magnétisme, la chaleur, la lumière et l'affinité chimique sont si peu compris encore que des faits nouveaux élargissent constamment le cercle de notre savoir. Qui peut dire où finit la puissance de ce géant protéen, l'Ether ; ou nous faire connaître  sa  mystérieuse origine ? En posant cette question, nous avons en vue ceux qui  nient l'esprit qui travaille dans l'Ether et en fait évoluer toutes  les  formes visibles ?

Il est facile de prouver que les légendes cosmogoniques répandues dans le monde entier sont fondées sur les connaissances que les anciens avaient de ces sciences qui aujourd'hui se sont alliées pour appuyer la doctrine de l'évolution ; de nouvelles recherches prouveront peut-être qu'ils étaient bien mieux au courant de l'évolution qu'on ne l'est aujourd'hui, au double point de vue physique et spirituel. Pour les philosophes anciens, l'évolution était un théorème universel, une doctrine d'ensemble, un principe bien établi : nos évolutionnistes modernes ne peuvent, en somme, nous offrir que des théories spéculatives avec des théorèmes limités à des particularités quand ils ne sont pas complètement négatifs. C'est en vain que les représentants de notre sagesse moderne cherchent à clore le  débat et prétendent que la question est réglée, uniquement parce que l'obscure phraséologie du récit mosaïque se heurte à l'exégèse précise de la "science exacte."

Un fait, au moins, est démontré : il n'est point de fragment cosmogonique, à quelque nation qu'il appartienne, qui, par son allégorie universelle de l'eau et de l'esprit planant sur elle, n'apporte la preuve que, pas plus que nos physiciens modernes, aucune cosmogonie n'a jamais prétendu faire sortir l'univers du néant. Toutes les légendes débutent par cette période où les vapeurs naissantes et l'obscurité cimmérienne planent au-dessus d'une masse fluidique prête à commencer le voyage au premier souffle de Celui qui est le Non Révélé. Toutes Le sentent si elles ne Le voient pas. Leurs intuitions spirituelles n'étaient point aussi obscurcies que les nôtres le sont aujourd'hui par les sophismes subtils des siècles qui ont précédé le nôtre. Si les anciens parlaient moins de l'époque silurienne se développant lentement et se transformant en époque mammalienne, et, si la période Cenozoïque est seulement indiquée dans quelques allégories relatives à l'homme primitif, l'Adam de notre race, cela ne prouve pas que leurs "sages" et maîtres ne connussent point aussi bien que nous ces périodes et leur succession. Au temps de Démocrite et d'Aristote le Cycle était déjà entré dans la courbe descendante de sa marche. [204]

Si ces deux philosophes ont si bien su discuter la théorie atomique et suivre l'atome jusqu'à son point de départ physique ou matériel, leurs devanciers peuvent être allés encore plus loin et reculer la genèse bien au- delà de la limite où Tyndall et d'autres semblent cloués sur place, n'osant pas franchir la ligne qui les sépare de "l'Incompréhensible". Les  arts perdus prouvent surabondamment que les découvertes des anciens en physiographie sont aujourd'hui mis en doute à cause des écrits peu satisfaisants de leurs physiciens et de leurs naturalistes ; Par contre, leur connaissance pratique de la phytochimie et de la minéralogie dépassait la nôtre et de beaucoup.

En outre, ils pouvaient connaître parfaitement l'histoire physique de notre globe sans communiquer leur savoir aux masses  ignorantes dans cette période des mythes religieux.

Ce n'est donc point uniquement des livres mosaïques que nous entendons tirer la preuve de notre argumentation ultérieure. Les anciens Juifs avaient puisé toutes leurs connaissances, religieuses et profanes, chez les peuples auxquels ils avaient été mêlés dès les âges les plus reculés. Même la plus ancienne de toutes les sciences, leur "doctrine secrète" cabalistique peut être suivie dans chacun de ses détails jusqu'à la source primitive, c'est-à-dire la Haute-Inde ou le Turkestan, longtemps avant l'époque où les nations Aryenne et Sémitique se sont séparées. Le roi Salomon, resté fameux pour son savoir magique tenait ses connaissances secrètes de l'Inde par Hiram, roi d'Ophir, et peut-être de Saba 253. Son anneau, généralement connus sous le nom de "sceau de Salomon", si célèbre pour son pouvoir sur les divers génies et démons, d'après toutes les légendes populaires, est également d'origine Hindoue.  Le Révérend Samuel Mateer, de la Société des missions de Londres, déclare être en possession d'un volume manuscrit très ancien traitant d'incantations magiques et de sortilèges en langage Malayâlim et donnant des indications pour produire une grande variété de phénomènes. Cette mention se trouve dans un écrit où le Révérend traite des prétentions et de l'habileté abominable des "adorateurs du diable" à Travancore. Comme de raison, il ajoute que "parmi ces incantations, beaucoup sont effrayantes de malignité et d'obscénité". II donne dans son travail le fac-similé de quelques amulettes portant des figures magiques et des dessins. Dans le nombre nous en trouvons un avec la légende suivante : "Pour faire disparaître le tremblement qui résulte de la possession démoniaque, tracez cette figure sur une plante ayant un jus laiteux et traversez là d'un clou : le tremblement cessera. 254" [205] Cette figure représente le sceau exact de Salomon ou le double triangle des Cabalistes. Les Hindous l'ont-ils pris du Cabaliste juif ou ce dernier de l'Inde, par héritage de son roi, le grand Cabaliste, le sage Salomon ? 255

 253 Josèphe. Antiquités vol. VIII, c. 2, 5.

254 The Land of Charity, p. 210.

255 Certains "adeptes" ne sont point d'accord avec les disciples de la pure Cabale Juive. Ils disent que la "doctrine secrète" est originaire de l'Inde d'où elle fut apportée en Chaldée et d'où elle passa postérieurement aux mains des "Tanaïm" Hébreux. Ces prétentions sont singulièrement corroborées par les recherches des missionnaires chrétiens. Sans l'avoir voulu, ces pieux et savants voyageurs sont venus à notre aide. Le Dr Caldwell dans sa Grammaire comparée des langues dravidiennes, p. 66 et le Dr Mateer, dans sa Land of Charity, p. 83, confirment pleinement nos assertions à savoir que le "sage" roi Salomon avait puisé toutes ses connaissances cabalistiques dans l'Inde comme le montre bien la figure magique ci-dessus reproduite. Le baobab, n'est pas, semble-t-il, un arbre originaire de l'Inde mais appartient au sol d'Afrique. On le trouve seulement dans plusieurs anciens centres de commerce étranger (à Travancore). Or le Dr Caldwell, missionnaire, se propose de prouver que des spécimens très anciens de cet arbre énorme pourraient bien "pour autant que nous sachions, ajoute-t-il, avoir été introduits dans l'Inde et plantés par des serviteurs du roi Salomon". La seconde preuve est plus concluante encore. Le Dr Mateer, dans son chapitre sur l'histoire naturelle de Travancore, dit : "Il y a un fait curieux relatif au nom de cet oiseau (le paon), fait qui jette un certain jour sur l'histoire des Ecritures. Le roi Salomon envoya sa flotte à Tharsis d'où elle revint trois ans après, rapportant de l'or, de l'argent, de l'ivoire, des singes et des paons (Les Rois, X, 22). Le mot employé par la Bible pour désigner le paon et le mot tukki. Comme naturellement, les Juifs n'avaient point de mot pour désigner le paon, avant qu'il eût été importé en Judée par le roi Salomon, il n'est pas douteux que ce mot tukki est simplement le vieux mot Tamil toki, qui désigne le paon. Le singe est également appelé, en hébreu, Koph : le mot indien est Kaphi : Nous avons vu que l'ivoire est abondant dans l'Inde méridionale. L'or est très commun dans les rivières de la Côte Occidentale. Par conséquent, le pays de Tharsis dont il s'agit était, indubitablement, la Côte Occidentale de l'Inde et les navires de Salomon étaient des navires qui faisaient le voyage des Indes". Nous pouvons de ces faits tirer encore une conclusion ; outre "l'or, l'argent, les singes et les paons", le roi Salomon et son ami Hiram, si célèbres en la Franc-Maçonnerie,  obtinrent leur "magie" et leur "sagesse" de l'Inde.

  

Mais laissons cette discussion oiseuse pour continuer notre étude plus intéressante, sur la lumière astrale et ses propriétés inconnues. [206]

En admettant, donc, que cet agent mythique est l'Ether, examinons ce que la science sait à son sujet.

Relativement aux divers effets des différents rayons solaires, Robert Hunt, F.R.S., dans ses Researches on Light in its chemical Relations, fait les réflexions suivantes :

"Les rayons qui donnent le plus de lumière, les rayons jaunes et orangés, ne produisent aucun changement de couleur dans le chlorure d'argent, "tandis que" les rayons qui ont le moins de pouvoir éclairant, les bleus et les violets, produisent le plus grand changement et dans un temps extrêmement court... Les verres jaunes arrêtent à peine n'importe quelle lumière, les verres bleus, au contraire, peuvent être foncés au point de n'en laisser filtrer que très peu".

Et nous voyons, cependant, sous l'action des rayons bleus la vie animale et végétale se développer d'une façon désordonnée tandis  que, sous l'action des rayons jaunes, elle est proportionnellement arrêtée. On ne peut expliquer cela d'une manière satisfaisante si ce n'est par l'hypothèse que les vies animale et végétale sont des phénomènes   électromagnétiques différemment modifiés mais dont les principes fondamentaux sont encore inconnus.

 M. Hunt estime que la théorie ondulatoire n'explique pas les résultats de ses expériences. Sir David Brewster, dans son Traité d'optique montre que "les couleurs de la vie végétale proviennent... d'une attraction spécifique que les particules de ces corps exercent sur les différents rayons lumineux". "C'est, dit-il, par la lumière du soleil que les sucs colorés des plantes sont élaborés, que les couleurs des corps sont modifiées..., etc... ) Il remarque "qu'il est difficile d'admettre que ces effets soient produits par la simple vibration d'un milieu éthéré". Alors, dit-il, il se voit forcé "par des faits de cet ordre, de raisonner comme si la lumière était matérielle. (?)" Le professeur Josias P. Cooke de l'Université d'Harward, dit qu'il ne "peut être d'accord avec ceux qui considèrent la théorie des ondes lumineuses comme un principe scientifiquement établi 256." La doctrine d'Herschell, veut que l'intensité de la lumière, par suite de chaque ondulation "soit en raison inverse du carré de la distance du corps lumineux". Si elle est exacte, elle porte une grave atteinte, pour ne pas dire le coup mortel à la théorie ondulatoire. Les expériences réitérées à l'aide de photomètres, ont prouvé qu'il avait raison mais, bien qu'un doute très accentué commence à percer, la théorie ondulatoire est encore debout.

256 Cooke. New Chemistry, p. 22.

 

Puisque le général Pleasanton, de Philadelphie, a entrepris de combattre cette hypothèse antipythagoricienne et qu'il y a [207] consacré tout un volume, nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer le lecteur à son récent ouvrage sur le Rayon bleu, etc... Nous laissons la théorie de Thomas Young qui, d'après Tyndall, "a placé la théorie ondulatoire de la lumière sur une base inébranlable", soutenir sa thèse, si elle le peut, avec l'expérimentateur de Philadelphie.

Eliphas Lévi, le magicien moderne, décrit la lumière astrale dans la phrase suivante : "Nous avons dit que, pour acquérir la puissance magique, deux choses sont nécessaires : dégager sa volonté de toute servitude et l'exercer en la contrôlant."

"La volonté souveraine est représentée  dans nos symboles par la femme qui écrase la tête du serpent et par l'ange radieux qui terrasse le dragon qu'il tient sous son pied et sous son glaive. Le grand agent magique, le double courant de lumière, le feu vivant et astral de la terre a été représenté, dans les anciennes théogonies, par le serpent à tête de taureau, de bélier ou de chien. C'est le double serpent du Caducée, c'est le vieux serpent de la Genèse, mais c'est aussi le Serpent d'airain de Moïse, enroulé autour du tau, c'est-à-dire le lingha générateur. C'est aussi le bouc des sorcières du Sabbat  et le Baphomet des Templiers, c'est le Hylé des gnostiques, c'est la double queue du serpent qui forme les pattes du coq solaire de l'abraxas et, enfin, c'est le Diable de M. Eudes de Mirville. Mais c'est réellement la force aveugle que les âmes doivent conquérir pour se libérer elles- mêmes des liens de la terre car si leur volonté ne les délivre pas "de cette fatale attraction, elles seront entraînées dans le courant par la force qui les a produites et elles retourneront au feu central et éternel."

Cette image en langue cabalistique, malgré son étrange phraséologie, est précisément celle qu'employa Jésus dont la pensée ne pouvait avoir qu'une signification possible : celle que lui attribuèrent les Gnostiques et les Cabalistes. Plus tard, les théologiens chrétiens l'ont interprétée différemment et, pour eux, elle est devenue la doctrine de l'Enfer. Mais littéralement elle veut dire tout simplement ce qu'elle dit – la lumière astrale, le générateur et destructeur de toutes formes.

"Toutes les opérations magiques, continue Lévi, ont pour but de nous libérer des étreintes de l'Ancien Serpent ; nous visons ensuite à lui  mettre le pied sur la tête et à le faire agir selon la volonté de l'opérateur. Dans le mythe évangélique, le Serpent dit : "Je te donnerai tous les royaumes de la terre si tu veux te prosterner et m'adorer." L'initié devra lui répondre : "Je ne m'agenouillerai point mais, toi, tu te prosterneras à mes pieds ; tu ne me donneras rien mais je me servirai de toi et je prendrai ce que je voudrai. Car je suis ton maître et ton Seigneur !" Tel [208] est le vrai sens de la réponse ambiguë faite par Jésus au tentateur... Le Diable n'est donc pas une Entité, c'est une force vagabonde, comme son nom l'indique. Un courant odique ou magnétique, formé par une chaîne (un cercle) de volontés pernicieuses, doit créer ce mauvais esprit que l'évangile nomme Légion et qui force un troupeau de pourceaux à se jeter dans la mer. Encore une allégorie évangélique montrant combien les natures basses et viles peuvent être entraînées par les forces aveugles que l'erreur et le péché mettent en mouvement." 257

Dans son important ouvrage sur les manifestations mystiques de la nature humaine, le naturaliste et philosophe allemand Maximilien Perty, a consacré un chapitre entier aux formes Modernes de la Magie. Nous lisons dans sa préface : "Les manifestations de la vie magique reposent, en partie, sur un ordre de choses tout autre que celui de la nature avec lequel nous sommes familiers, et qui comporte les idées de temps, d'espace et de causalité. Les possibilités d'expérimentation sont faibles,  les manifestations en effet, ne peuvent être provoquées à volonté ; on ne peut que les suivre et les étudier avec soin partout où elles ont lieu en notre présence. Nous ne pouvons que les grouper par analogie sous certaines rubriques distinctes pour être mieux à même d'en déduire les principes généraux et les lois". Ainsi, pour le professeur Perty, qui appartient évidemment à l'école de Schopenhauer, la possibilité et le caractère naturel des phénomènes qui ont eu lieu en présence de Kavindasami, le fakir, et qui sont décrits par l'Orientaliste Louis Jacolliot, sont pleinement démontrés de ce fait. Le fakir était un homme qui, grâce à l'entier assujettissement de la matière de son organisme corporel avait atteint cet état de purification dans lequel l'esprit est presque entièrement libéré de sa prison 258, et peut produire des merveilles. Sa volonté, que dis-je, un simple désir de sa part devient une force créatrice, et il peut commander aux éléments et aux puissances de la nature. Son corps n'est plus un obstacle pour lui ; aussi peut-il converser "d'esprit à esprit, de souffle à souffle". Sous ses mains étendues, une graine qu'il n'a jamais vue germera instantanément pénétrera dans le sol et ses bourgeons sortiront. Cette graine, Jacolliot l'avait prise au hasard dans un sac, parmi beaucoup d'autres d'une grande variété, il l'avait semée lui-même, dans un pot, après l'avoir marquée. Se [209] développant en moins de deux heures, la plante acquit une grosseur et une taille qui, dans des circonstances ordinaires, eussent exigé des semaines et des mois. Elle poussa, miraculeusement, à vue d'œil, sous les regards des spectateurs ébahis et bouleversa toutes les formules acceptées en Botanique. Est-ce un miracle ? En aucune façon. S'en est un, peut-être à la rigueur, si nous acceptons cette définition de Webster : un miracle est "tout événement contraire à la constitution et à la marche établies des choses – une déviation des lois connues de la nature". Mais nos naturalistes sont-ils prêts à démontrer que ce qu'ils ont une fois établi, d'après l'observation, est infaillible ? Ou bien peuvent-ils prouver que toutes les lois de la nature leur sont connues ? Dans le cas présent, le "miracle" est à peine plus marqué que les expériences bien connues du général Pleasanton de Philadelphie. Tandis que la végétation et la maturité de ses vignes étaient activées d'une manière incroyable par la lumière violette artificielle, le fluide magnétique émané des mains du fakir produisait des changements encore plus rapides et plus intenses dans les fonctions vitales des plantes Indiennes. Il ne faisait qu'attirer et condenser l'Akasa ou principe vital sur le germe. 259 Son magnétisme, obéissant à sa volonté attirait l'Akasa, en un courant concentré qui traversait la plante dans la direction de ses mains. Ainsi s'établissait un courant ininterrompu pendant le temps nécessaire. Son action contraignait le principe vital de la plante à construire cellule après cellule, couche après couche, avec une rapidité de maturation extraordinaire, jusqu'à ce que l'œuvre soit terminée. Le principe vital n'est qu'une force aveugle qui obéit à une influence qui la domine. Dans le cours ordinaire de la nature, le [210] protoplasme de la plante l'eût concentrée et guidée, mais à une vitesse normale. Cette vitesse est réglée par les conditions atmosphériques : elle s'accroît ou se ralentit proportionnellement au degré de lumière, de chaleur et d'humidité de la saison. Mais, le fakir, venant en aide à la nature, avec sa puissante  volonté et son esprit purifié du contact de la matière 260, condense, pour ainsi dire, l'essence de la vie de la plante dans son germe et la force à mûrir longtemps avant son heure. Cette force aveugle, entièrement subjuguée et soumise à sa volonté, lui obéit. S'il lui plaît que cette plante soit un monstre, elle le deviendra aussi sûrement qu'elle croît d'une façon normale en temps ordinaire. En effet, l'image concrète, esclave du modèle subjectif esquissé dans l'imagination du fakir est forcée de suivre l'original jusque dans ses moindres détails : De même la main et la brosse du  peintre suivent fidèlement l'image qu'ils copient dans son mental. La volonté du fakir magicien donne à la plante une matrice invisible mais parfaitement objective dans laquelle la matière végétale est amenée à se déposer et à prendre la forme voulue. La volonté crée ; car la volonté en mouvement est une force et la force produit la matière.

 257 Eliphas Lévi. Dogme et Rituel de la Haute Magie.

258 Platon fait allusion à une cérémonie pratiquée dans les Mystères au cours de cette cérémonie, on enseignait aux néophytes que les hommes sont dans cette vie, dans une sorte de prison et enseignait comment s'en évader temporairement. Comme d'habitude, les traducteurs trop érudits ont défiguré ce passage : en partie, parce qu'ils ne pouvaient pas le comprendre, en partie parce qu'ils ne le voulaient pas. Voyez Phédon, § 16, avec les commentaires d'Henry More, le philosophe mystique et platonicien bien connu.

259 Akasa est un mot sanscrit qui veut dire firmament, mais qui désigne aussi le principe impondérable et intangible de vie : ces lumières astrale et céleste qui combinées forment toutes deux, l'anima mundi. Elles constituent l'âme et l'esprit de l'homme, la lumière céleste formant son Nοuς, πνεuµα, ou esprit divin tandis que la lumière astrale forme sa Φuχη, âme ou esprit astral. Les particules les plus grossières de cette dernière entrent dans la composition de sa forme extérieure, son corps. Akasa est le mystérieux fluide nommé par la science scholastique : "l'éther qui pénètre tout". Il agit dans toutes les opérations magiques de la nature, produit les phénomènes mesmériques, magnétiques et spirituels. As, en Syrie, en Palestine et dans l'Inde signifie en même temps, le ciel, la vie et le soleil qui était considéré par les anciens sages comme le grand réservoir magnétique de notre univers. La prononciation adoucie de ce mot était Ah, dit Dunlap, "car l's se transforme continuellement en h de la Grèce à Calcutta". Ah c'est Iah, Ao et lao. Dieu dit à Moïse que son nom est Je suis (Ahiah), c'est un simple doublement de Ah ou Jah. Le mot As, Ah ou lah signifie : Vie, existence : c'est, évidemment, la racine du mot Akasa prononcé Ahasa en Indoustan : Le principe de vie ou le fluide divin donnant la vie. C'est le mot hébreu zuah qui veut dire le "vent", le "souffle", l'air en mouvement ou "l'esprit mouvant", suivant le Lexicon de Parkhurst. C'est bien ce même "Esprit de Dieu qui se mouvait à la surface des eaux."

260 Kavindasami, il faut se le rappeler, avait fait jurer à Jacolliot de ne pas s'approcher de lui, de ne pas le toucher aussi longtemps que durerait sa transe. Le moindre contact avec la matière aurait paralysé l'action de l'esprit libéré qui, s'il est permis d'employer une comparaison aussi prosaïque, serait rentré chez lui, comme un limaçon effarouché rentre les cornes à l'approche de toute substance étrangère. Dans certains cas, quand survient une brusque interruption de cette nature, l'infiltration en retour de l'esprit a lieu, parfois, si soudainement qu'elle brise complètement le fil délicat qui l'unit au corps. Le sujet en transe pourrait succomber. Voir, sur cette question, les nombreux ouvrages du Baron du Potet et de Puységur.

 

On pourrait objecter que le fakir était incapable de créer dans son imagination le modèle de la plante, Jacolliot l'ayant laissé dans l'ignorance de la semence choisie pour l'expérience. Nous répondrons que l'esprit de l'homme, comme celui de son Créateur, est omniscient par essence. A l'état normal, le fakir ne pouvait savoir et ne savait pas si la graine était celle d'un melon ou de toute autre plante. Mais, une fois en transe, c'est-à-dire mort corporellement, à toute perception extérieure, l'esprit pour lequel il n'existe ni obstacle matériel ni distance, ni temps, n'éprouve aucune difficulté à voir la graine déposée dans la terre du pot ou réfléchie fidèlement dans le cerveau de Jacolliot. Nos visions, nos  présages, et autres phénomènes psychologiques qui, tous existent dans la nature, corroborent ce fait.

Nous ferons peut-être bien de répondre maintenant à une objection possible. Les jongleurs Indiens, nous dit-on, font la même chose et aussi bien que le fakir, s'il faut en croire les journaux [211] et les récits des voyageurs. Cela ne fait pas de doute et cependant ces jongleurs errants ne sont ni purs dans leur manière de vivre ni considérés comme des saints soit par les étrangers soit par leurs concitoyens. D'ordinaire les indigènes les CRAIGNENT et les méprisent car ce sont des sorciers, des hommes pratiquant l'art noir. Alors qu'un saint homme comme Kavindasami n'a pour l'aider que son âme divine, étroitement unie avec l'esprit astral, et quelques pitris familiers (être purs, éthérés, qui se groupent autour de leur frère d'élection incarné), le sorcier ne peut appeler à son aide que cette classe d'esprits que nous appelons des élémentals.  Les semblables s'attirent : l'appât de l'argent, des desseins impurs, les vues égoïstes ne peuvent attirer d'autres esprits que ceux bien connus des Cabalistes Hébreux sous le nom de Klippoth, habitants d'Asiah, le quatrième monde. Les magiciens d'Orient les appellent afrits, ou esprits élémentaires de l'erreur, ou deus.

Voici comment un journal anglais décrit le tour étonnant de la croissance des plantes tel qu'il est exécuté par les jongleurs Indiens.

"Un pot de fleurs vide fut alors placé sur le sol par le jongleur. II demanda qu'on permît à ses camarades de lui apporter un peu de terreau provenant d'un petit parterre voisin. La permission accordée, un homme partit et, deux minutes après, revint avec une petite quantité de terre fraîche serrée dans un morceau de tissu. Cette terre fut déposée dans le pot de fleurs et légèrement tassée. Prenant alors dans sa corbeille un noyau sec de mangue, il le fit passer à tous les assistants pour leur permettre de l'examiner et de constater qu'il était bien ce qu'il paraissait être. Le jongleur enleva un peu de la terre du pot, mit le noyau dans le trou ainsi pratiqué, le recouvrit de terre et, après l'avoir légèrement arrosé, il cacha le pot à tous les regards en le recouvrant d'un linge maintenu par une petite tringle. Les voix des opérateurs s'élevèrent en chœur, les tambourins roulèrent et la graine germa. Un moment vint où le voile soulevé de côté laissa voir un bourgeon formé de deux longues feuilles d'un  brun foncé. Le linge fut replacé et l'incantation recommença. Peu de temps après, il fut soulevé pour la seconde fois et l'on put voir que les deux feuilles primitives avaient fait place à plusieurs autres de teinte verte et que la plante avait maintenant de neuf à dix pouces de hauteur. Une troisième fois, le feuillage fut plus épais et la tige  s'éleva à une hauteur de quatorze pouces. Lorsque le voile fut soulevé pour la quatrième fois, l'arbre en miniature mesurait environ dix huit pouces de hauteur et dix à douze mangues, de la grosseur d'une noix, pendaient à ses branches. Enfin, après un nouveau délai de trois ou quatre minutes, la toile fut entièrement enlevée et les fruits [212] ayant atteint leur volume parfait, sinon leur maturité, furent cueillis et passés aux spectateurs qui, les ayant goûtés, déclarèrent qu'ils étaient presque mûrs car ils étaient déjà sucrés."

Nous pouvons ajouter que nous fûmes personnellement témoin de cette expérience en Inde et au Tibet. Plus d'une fois, nous avons fourni nous-même le récipient en vidant une vieille boîte d'extrait Liebig. Nous le remplissions de terre, de nos propres mains, et nous y plantions une petite racine que nous remettait le faiseur de tours. Jusqu'à la fin de l'expérience, nous ne quittions pas des yeux le récipient qui était placé dans notre chambre. Toujours le résultat fut semblable à celui ci-dessus décrit. Imagine-t-on qu'un prestidigitateur serait capable d'exécuter ce tour dans des conditions analogues ?

Le savant Orioli, membre correspondant de l'Institut de France, cite un grand nombre d'exemples montrant les merveilleux effets obtenus par la puissance de la volonté agissant sur l'invisible Protée des mesméristes. "J'ai vu, dit-il, des personnes qui, en prononçant simplement certains mots, arrêtaient net des taureaux furieux, des chevaux lancés à fond de train et des flèches lancées dans les airs". Thomas Bartholini l'affirme également.

Le baron du Potet écrit : "Lorsque sur le parquet avec de la craie ou du charbon, je trace une certaine figure..., un feu, une lumière s'y fixe..., bientôt il attire à lui l'être qui s'en approche ; Il le détient et le fascine, et c'est inutilement qu'il essaye de franchir la ligne ; Une puissance magique l'oblige à rester immobile. Au bout de quelques instants il succombe, éclatant en sanglots. La cause n'est pas en moi, elle est dans ce signe entièrement cabalistique. C'est en vain  que  vous  emploieriez  la violence." 261

 261 La magie dévoilée, p. 147.

 

Au cours d'une série d'expériences remarquables faites par Regazzoni à Paris, en présence de certains médecins français bien connus, le 18 mai 1856, une réunion eut lieu le soir. Regazzoni, avec son doigt, traça une ligne cabalistique imaginaire sur le parquet sur laquelle il fit quelques passes rapides. Il avait été convenu que des sujets magnétiques, choisis par les investigateurs et le comité formé pour ces expériences, sujets étrangers, tous, à Regazzoni, seraient amenés les yeux bandés dans la pièce ; ils seraient conduits vers cette ligne, sans qu'un mot soit prononcé qui puisse leur indiquer ce qu'on attendait d'eux. Les sujets avancèrent sans se douter de rien, jusqu'à la barrière invisible et là, "comme si leurs pieds eussent été subitement paralysés et rivés au sol, ils restèrent immobiles sur le parquet, tandis que leur [213] corps, entraîné par l'élan de la marche, tombait en avant. La rigidité instantanée de leurs jambes était celle d'un cadavre et leurs talons étaient cloués, avec une précision mathématique, sur la ligne fatale !" 262

Dans une autre expérience, on convint qu'au signal donné par un des médecins, un simple regard, la jeune fille servant de sujet, dont les yeux étaient bandés, serait jetée à terre et comme frappée par la foudre en raison du fluide magnétique émis par la volonté de Regazzoni. Elle fut placée à une certaine distance du magnétiseur, le signal fut donné et, instantanément, le sujet fut précipité à terre, sans qu'un mot eût été prononcé ni un geste ébauché. Involontairement, un des spectateurs avança la main pour la retenir dans sa chute. Mais Regazzoni, d'une  voix de stentor lui cria : "Ne la touchez pas, laissez-la tomber ; jamais un sujet magnétisé ne se blesse en tombant." Des Mousseaux qui raconte le fait dit que "le marbre n'est pas plus rigide que ne l'était le corps du sujet. Sa tête ne porta pas sur le parquet, un de ses bras resta levé en l'air, une de ses, jambes était redressée tandis que l'autre était horizontale. Elle resta dans cette position incommode pendant un temps indéfini. Moins rigide est une statue de bronze." 263

262 Magie au XIXème siècle, p. 268.

263 Ibid.

 

Tous les résultats annoncés dans les conférences publiques sur le magnétisme étaient obtenus d'une manière parfaite par Regazzoni et toujours sans qu'un seul mot révélât ce que le sujet devait faire. Par un acte silencieux de sa volonté, il produisait les effets les plus surprenants sur le système physique de personnes qui lui étaient totalement inconnues. Des indications murmurées à son oreille par des membres du comité d'enquête étaient immédiatement exécutées par les sujets dont les oreilles étaient bouchées avec du coton et les yeux bandés. Bien plus, dans certains cas, il n'était pas nécessaire d'exprimer ce qu'on désirait au magnétiseur, car les injonctions mentales étaient exécutées avec une parfaite fidélité.

Des expériences d'un caractère analogue furent faites par Regazzoni, en Angleterre, sur des sujets qu'on lui amenait et qu'on plaçait à une distance de trois cents pas. La Jettatura ou mauvais œil n'est autre chose que l'émission de ce fluide invisible, chargé de mauvais vouloir ou de haine, d'une personne à une autre, et lancé avec l'intention de nuire. Il peut être également employé pour le bien ou pour le mal. Dans le premier cas, c'est de la magie ; dans le second, de la sorcellerie.

Qu'est-ce que la VOLONTÉ ? La "science exacte" peut-elle le dire ? Quelle est la nature de cette force intelligente, intangible et [214] puissante qui règne en souveraine sur toute la matière inerte ? La grande Idée Universelle voulut et le cosmos prit naissance. Je veux et mes membres obéissent. Je veux et ma pensée, franchissant l'espace qui n'existe pas pour elle, enveloppe le corps d'un autre individu qui ne fait point partie de moi- même, pénètre par tous ses pores et, dominant ses facultés, si elles sont plus faibles, le force à accomplir un acte déterminé. Elle agit comme le fluide d'une batterie galvanique sur les membres d'un cadavre. Les effets mystérieux de l'attraction et de la répulsion sont les agents inconscients de cette volonté ; la fascination telle qu'elle est exercée par certains animaux, par les serpents sur les oiseaux, notamment, en est une action consciente et le résultat de la pensée. La cire à cacheter, le verre et l'ambre, lorsqu'on les frotte, c'est-à-dire lorsqu'on excite en eux la chaleur latente existant dans chaque substance, attirent des corps légers : ils exercent une volonté inconsciente, car la matière inorganique aussi bien que la matière organique possède en elle une parcelle de la divine essence, si infinitésimalement petite soit-elle. Et comment pourrait-il en être autrement ? Bien qu'au cours de son évolution elle puisse avoir passé, du commencement à la fin, par des millions de formes diverses, elle doit toujours conserver son point germinal de cette matière préexistante qui est la première manifestation et l'émanation de la divinité elle-même.

Qu'est alors cet inexplicable pouvoir d'attraction, sinon une portion atomique de cette essence que les savants et les cabalistes s'accordent à reconnaître pour le "principe de la vie", l'akasa ? Admettons que l'attraction exercée par ces corps soit aveugle ; plus nous nous élevons sur l'échelle des êtres organisés de la nature, plus nous voyons que ce principe de vie développe des attributs et des facultés qui deviennent de plus en plus déterminés et marqués, à chaque échelon de cette échelle infinie. L'homme, le plus parfait des êtres organisés, ici-bas, l'homme chez qui la matière et l'esprit – c'est-à-dire la volonté – sont les plus développés et puissants, est le seul auquel il soit donné d'imprimer unie impulsion consciente à ce principe qui émane de lui. Seul, il est capable de communiquer au fluide magnétique des impulsions opposées et diverses, sans limite aucune, quant à la direction." Il veut, dit du Potet, et la matière organisée obéit. Elle n'a pas de pôles."

Le Dr Brierre de Boismont, dans son volume sur les Hallucinations, passe en revue une grande quantité de visions, d'apparitions, d'extases, généralement considérées comme hallucinations. "Nous ne pouvons nier, dit-il, que dans certaines affections morbides, nous constatons une grande surexcitation de la sensibilité qui prête aux sens une prodigieuse acuité de perception. Ainsi, [215] quelques rares individus voient à des distances considérables, d'autres annonceront l'approche d'une personne qui est réellement en route, bien que les personnes présentes ne la voient ni ne l'entendent venir." 264

 264 Brierre de Boismont. Des Hallucinations ou Histoire raisonnée des apparitions, des songes, des visions, de l'extase, du magnétisme, 1845, p. 301 (Edition française). – Voir aussi Fairfield. Ten years among the Mediums.

 

Un patient lucide, couché dans son lit, annonce l'arrivée d'une personne qu'il ne peut voir qu'à l'aide de la vision transmurale et cette faculté Brierre de Boismont l'appelle hallucination. Dans notre ignorance, nous avions naïvement supposé, jusqu'à présent, qu'il fallait qu'une vision fût subjective pour qu'on pût raisonnablement la qualifier d'hallucination. Elle ne doit avoir d'existence que dans le cerveau délirant du malade. Mais si ce dernier annonce la visite d'une personne se trouvant à des milles de distance et si cette personne arrive au moment précis annoncé par le voyant, dans ce cas, la vision n'est plus subjective ; elle est, au contraire, parfaitement objective puisqu'il a vu la personne dans l'action de venir. Et comment le malade pourrait-il voir à travers des corps solides et à travers l'espace un objet tout à fait hors de portée pour notre vue mortelle, s'il ne faisait usage, en cette circonstance, de ses yeux spirituels ? Est-ce une coïncidence ?

Cabanis parle de certains désordres nerveux dans lesquels les patients distinguent, à l'œil nu, des infusoires et d'autres êtres microscopiques que d'autres personnes ne pourraient apercevoir qu'avec de puissantes lentilles : "J'ai rencontré, dit-il, des sujets qui voyaient dans une obscurité cimmérienne aussi bien que dans une pièce bien éclairée..., d'autres qui suivaient, comme les chiens, des personnes à la trace et qui, par l'odorat, reconnaissaient des objets leur appartenant ou qui n'avaient été que touchés par elles. Ils faisaient preuve d'un flair constaté, jusqu'ici, uniquement chez les animaux." 265

265 Cabanis. Septième mémoire : De l'Influence des maladies sur la Formation des Idées, etc... Un respectable sénateur de l'Etat de New-York possède cette faculté.

 

C'est ainsi parce que la raison, Cabanis le reconnaît, ne se développe qu'aux dépens de l'instinct naturel. C'est une muraille de Chine s'élevant peu à peu sur le terrain du sophisme, qui finit par fermer les perceptions spirituelles de l'homme dont l'instinct est un exemple des plus importants. Arrivé à un certain degré de prostration physique, lorsque l'esprit et les facultés raisonnantes sont paralysés par l'épuisement du corps, l'instinct, cette unité spirituelle des cinq sens, voit, entend, touche, goûte et sent sans être gêné par le temps ni l'espace. Que connaissons-nous des limites exactes de l'action mentale ? Comment un médecin peut-il prendre sur lui de distinguer le sens imaginaire des sens réels, [216] chez un homme qui vit d'une vie spirituelle, dans un corps tellement privé de sa vitalité usuelle qu'il est incapable d'empêcher son âme de s'échapper de sa prison ?

La lumière divine, à l'aide de laquelle, n'étant plus bornée par la matière, l'âme a la perception des choses passées, présentes et futures, comme si elles se reflétaient dans une glace ; le coup mortel porté dans un moment de violente colère ou dans le paroxysme d'une haine longtemps inassouvie ; la bénédiction d'un cœur reconnaissant ou bienveillant et la malédiction lancée contre un être, coupable ou victime ; tout doit passer par cet agent universel qui, sous l'une de ces impulsions, est le souffle de Dieu et, sous l'autre, le venin du diable. Il a été découvert (?) Par le baron Reichenbach et appelé OD, intentionnellement ou non, nous l'ignorons. Mais il est singulier que le nom choisi soit précisément, un nom mentionné dans les livres les plus anciens de la Cabale.

 Nos lecteurs demanderont certainement ce qu'est alors cet invisible tout ? Comment se fait-il que nos méthodes scientifiques, quelque perfectionnées qu'elles soient, n'aient jamais découvert une des propriétés magiques qu'il possède ? A cela nous répondrons que ce n'est pas une raison, parce que nos savants modernes les ignorent, pour qu'il ne possède point toutes les propriétés dont les anciens philosophes l'avaient doté. La science rejette, aujourd'hui, ce que, demain, elle se verra  obligée d'accepter. Il y a un peu moins d'un siècle, l'Académie niait l'électricité de Franklin et, aujourd'hui, c'est à peine si on trouve un édifice sans paratonnerre. Tout en chassant sur la lisière du champ, l'Académie ne voit pas le champ lui-même. C'est ce que font souvent nos savants modernes par scepticisme volontaire et par docte ignorance.

Emepht, le premier et suprême principe, produisit un œuf. En le couvant, et en pénétrant la substance de sa propre essence vivifiante, le germe intérieur se développa et Phtha, le principe actif créateur en procéda et commença son œuvre. Par suite de l'expansion illimitée de la matière cosmique qui s'était formée sous son souffle ou volonté, cette matière cosmique – lumière astrale, æther, brouillard de feu, principe de vie (peu importe le nom qu'on lui donne), ce principe créateur ou loi d'évolution selon le nom que lui donne la philosophie moderne en mettant en mouvement ses puissances latentes, a formé les soleils, les étoiles, les satellites, réglé leur place par l'immuable loi de l'harmonie et les a peuplés "de toutes les formes et qualités de la vie". Dans les anciennes mythologie orientales, le mythe cosmogonique dit qu'il n'y avait que de l'eau (le père) et du limon prolifique (la mère, Ilus ou Hylé), desquels sortit la matière- serpent mondiale. C'était le dieu Phanès, le révélé, le Mot ou logos. L'empressement avec lequel ce mythe fut accepté, même par les chrétiens qui compilèrent [217] le Nouveau Testament, peut être aisément déduit du fait suivant : Phanès, le dieu révélé est représenté dans ce symbole serpentin comme un protogonos, un être pourvu de têtes d'homme, de faucon ou d'aigle, de taureau – taurus et de lion, avec des ailes de chaque côté. Les têtes se rapportent au Zodiaque et sont les emblèmes des quatre saisons car le serpent mondain est l'année mondiale, tandis que le serpent lui-même est le symbole de Kneph, la divinité cachée ou non révélée – Dieu le Père. Le temps est ailé et c'est pour cela que le serpent est représenté avec des ailes. Si nous rappelons que chacun des quatre évangélistes est représenté comme ayant près de lui un des quatre animaux décrits, groupés ensemble dans le triangle de Salomon, dans le pentacle d'Ezéchiel et qu'on les trouve dans les quatre chérubins ou sphinx de l'arche sainte, nous comprendrons, peut-être, le sens occulte de ce symbole et pourquoi les chrétiens primitifs l'ont adopté ; Comment il se fait que les catholiques Romains actuels et les Grecs de l'Eglise d'Orient représentent encore ces animaux dans les tableaux où figurent leurs évangélistes et illustrant quelquefois le texte des Evangiles. Nous comprendrons aussi pourquoi Irénée, évêque de Lyon, a tant insisté sur la nécessité du quatrième évangile ; d'après lui, il ne pouvait pas y en avoir moins de quatre parce qu'il y a quatre zones dans le monde et quatre  vents principaux soufflant des quatre points cardinaux, etc... 266

D'après un des mythes Egyptiens, la forme-fantôme de l'île de Chemmis (Chemi, ancienne Egypte), qui flotte sur les vagues éthérées de l'empyrée, fut appelée à l'existence par Horus-Apollon, le dieu soleil qui la fit évoluer de l'œuf du monde.

Dans le poème cosmogonique de Völuspa (le chant de la prophétesse), qui contient les légendes scandinaves de l'aurore même des âges, le germe fantôme de l'univers est représenté couché au fond du Ginnungagap – la coupe d'illusion, un abîme vide et sans bornes. Dans cette matrice du monde, d'abord région de ténèbres et de désolation, Nebelheim (la région des brouillards), tomba un rayon de lumière froide (l'æther) qui déborda de cette coupe et s'y congela. L'Invisible déchaîna alors un vent brûlant qui fit fondre les eaux glacées et dissipa le brouillard. Ces eaux, appelées les fleuves d'Elivâgar, distillées en gouttes vivifiantes, tombèrent pour créer la terre et le géant Ymir qui n'avait que "l'apparence humaine" (principe mâle). Avec lui fut créée la vache Audhumla 267 principe femelle), du pis de laquelle coulèrent [218] quatre courants de lait 268 qui se répandirent dans l'espace (la lumière astrale dans sa plus pure émanation). La vache Audhumla produit un être supérieur appelé Bur, beau et puissant, en léchant des pierres couvertes de sel minéral.

 266 Irénée : livre III, chap. II, sect. 8.

267 La vache est le symbole de la génération prolifique et de la nature intellectuelle. Elle était consacrée à Isis, en Egypte, à Christna en Inde et à une infinité d'autres dieux et déesses, personnifications des diverses forces productrices de la nature. La vache était considérée, en un mot, comme l'emblème de la Grande Mère de tous les êtres, tant mortels que dieux, et de la génération physique et spirituelle des choses.

268 Dans la Genèse, la rivière de l'Eden fut divisée et "devint quadruple", elle eut quatre têtes (Genèse, II, 5).

 

Or, si nous réfléchissons que ce minerai était universellement considéré par les anciens philosophes comme un des principes essentiels dans la création organique ; que les alchimistes voyaient en lui le dissolvant universel qui, disaient-ils, devait être tiré de l'eau et que tout le monde (la science moderne et les croyances populaires) le considèrent comme un ingrédient indispensable pour l'homme et les animaux, nous nous rendons aisément compte de la sagesse cachée dans cette allégorie de la création de l'homme. Paracelse appelle le sel "le centre de l'eau où les métaux doivent mourir"... etc., et Van Helmont appelle l'Alkahest : "Summum et felicissimum omnium salium", le plus réussi de tous les sels.

Dans l'Evangile selon Mathieu, Jésus dit : "Vous êtes le sel de la terre, mais si le sel a perdu sa saveur, avec quoi faudra-il le saler ?" Poursuivant la parabole, il ajoute : "Vous êtes la lumière du monde, etc..." (V. 14). C'est plus qu'une allégorie. Ces paroles indiquent une signification directe et sans équivoque relativement aux organismes spirituel et physique de l'homme dans sa double nature. Elles montrent en outre sa connaissance de la "doctrine secrète", dont nous trouvons des traces directes dans les plus anciennes parmi les traditions populaires courantes, dans l'Ancien et le Nouveau Testament, et dans les ouvrages des mystiques et des philosophes de l'antiquité et du moyen âge.

Mais revenons à la légende de l'Edda. Ymir, le géant, s'endort et transpire abondamment. Cette transpiration fait sortir de son aisselle gauche un homme et une femme, tandis que son pied leur donne un fils. Ainsi, tandis que la "vache" mythique engendre une race d'hommes supérieurs et spirituels, le géant Ymir engendre une race méchante et dépravée : les Hrimthursen, ou géants des glaces. Mettant ces notes en regard des Védas hindous, nous retrouvons la même  légende cosmogonique en substance et en détail, avec de légères modifications. Aussitôt que Bhagaveda, le Dieu Suprême a investi Brahma de pouvoirs créateurs, celui-ci produit des êtres animés, complètement spirituels, au début. Les Dejotas, habitants de la région du Surg (céleste), ne sont pas constitués pour vivre sur la terre. Aussi Brahma crée les Daints (géants qui deviennent les habitants des Patals 269 régions inférieures [219] de l'espace), qui eux aussi ne sont pas aptes à habiter Mirtlok (la terre). Pour remédier à cet inconvénient, le pouvoir créateur fait sortir de sa bouche le premier Brahmane qui devient ainsi le progéniteur de notre race. De son bras droit, Brahma crée Raettris, le guerrier, et, du gauche, Shaterany, la femme de Raettris. Puis, leur fils Bais sort du pied droit du créateur et sa femme, Bassany, du gauche. Tandis que, dans la légende scandinave, Bur (le fils de la Vache Audhumla), un être supérieur, épouse Besla, fille de la race dépravée des géants – dans la tradition Hindoue, le premier Brahmane épouse Daintary, fille aussi de la race des géants. Dans la Genèse, nous voyons les fils de Dieu prenant pour femmes les filles des hommes et produisant même les hommes puissants d'autrefois. Sans aucun doute, ces rapprochements de textes établissent une identité d'origine entre le Livre inspiré des Chrétiens et les "fables" païennes de Scandinavie et de l'Hindoustan. Les traditions de presque toutes les autres nations, si on les étudie, donneront un résultat analogue.

269 Patals. Les enfers et, en même temps, les antipodes. H.-P. B. (Note ne figurant pas dans la 1er édition).

 

Quel est le cosmogoniste moderne qui pourrait condenser un  tel monde de pensées dans un symbole aussi simple : Celui du serpent égyptien roulé en cercle ? Nous avons là, dans cet animal, toute la philosophie de l'univers : matière vivifiée par l'esprit, et ces deux évoluant conjointement du chaos (Force) toutes les choses qui devaient être. Pour indiquer que les deux principes sont fortement unis dans cette matière cosmique que symbolise le serpent, les Egyptiens lui font un nœud à la queue.

Il est un autre emblème important, qui, sauf erreur de notre part, n'a jamais attiré, jusqu'ici, l'attention de nos symbolistes ; il a trait à la mue du serpent. Le reptile, ainsi délivré d'une enveloppe grossière qui gênait son corps devenu trop volumineux pour elle, se reprend à vivre avec une activité nouvelle : de même l'homme, en rejetant son corps de matière grossière, entre dans une phase nouvelle de son existence avec des forces accrues et une vitalité plus intense. Par contre, les Cabalistes Chaldéens nous disent que l'homme primitif, en opposition à la théorie darwinienne, était plus pur, plus sage, beaucoup plus spirituel, en un mot d'une nature très supérieure à celle de l'homme actuel de la race adamique.  C'est indiqué par les mythes du Bur scandinave, des Déjotas Hindous et des mosaïques "fils de Dieu". L'homme primitif perdit sa spiritualité et se teinta de matière : C'est alors que, pour la première fois, il reçut un corps charnel. La Genèse a fixé le fait dans ce verset d'une  signification profonde :  "Pour  Adam  et  pour  sa  femme  le  Seigneur  Dieu  fit des vêtements de peau et les en revêtit 270." A moins que les commentateurs ne veuillent [220] transformer la Cause Première en un tailleur céleste, ces mots absurdes en apparence, peuvent-ils vouloir dire autre chose ? L'homme spirituel a atteint, par le progrès de l'involution, le point où la matière l'emportant sur l'esprit qu'elle domine, l'a transformé en un homme physique, c'est-à-dire en le deuxième Adam du troisième chapitre de la Genèse.

Cette doctrine cabalistique est beaucoup plus développée dans le Livre de Jasher 271 Au chapitre VII, ces vêtements de peau sont placés par Noé dans l'arche : il les a obtenus par héritage de Mathusalem et d'Enoch qui les tenaient d'Adam et de sa femme. Cham les dérobe à son père Noé, et les donne "en secret" à Cush qui, de son côté, les cache à ses fils et à ses frères pour les donner à Nemrod.

Quelques Cabalistes et même des archéologues disent : "Adam, Enoch et Noé, quant aux apparences extérieures, peuvent avoir été des hommes différents. En réalité, ils étaient la même personne divine 272." D'autres expliquent que plusieurs Cycles se seraient écoulés entre Adam et Noé. C'est-à-dire que chacun des patriarches antédiluviens figure comme représentant d'une race qui vécut dans une succession de Cycles et que chacune de ces races fut moins spirituelle que sa devancière. Ainsi, Noé, quoique bon, n'aurait pu soutenir la comparaison avec son aïeul Enoch, qui "marcha avec Dieu et ne mourut pas". D'où l'interprétation allégorique qui attribue à Noé cette tunique de peau, héritage du second Adam et d'Enoch, qu'il n'a point portée lui-même puisque Cham n'aurait alors pas pu la lui soustraire. Mais Noé et ses enfants ont franchi le déluge. Noé appartient à l'ancienne génération antédiluvienne qui était encore spirituelle  et bien qu'il ait été choisi dans le genre humain tout entier, en raison de sa pureté, ses enfants étaient post-diluviens. Le vêtement de peau porté par Cush "en secret", c'est-à-dire quand sa nature spirituelle commença à être teintée  de matière, est transmis à Nemrod le plus puissant et le plus fort des hommes physiques postérieurs au déluge, le dernier des géants antédiluviens 273.

270 Genèse. Chap. III, vers. 21.

271 Ce livre passe pour être un de ceux qui manquent dans les recueils canoniques des Juifs. Il en est fait mention dans Josué et dans le IIème, livre de Samuel. Il avait été découvert par Sidras, un des officiers de Titus pendant le pillage de Jérusalem. Il fut publié à Venise au XVIIème siècle comme le déclare la préface du consistoire des Rabbins. Cependant l'édition américaine et l'édition anglaise passent aux yeux des Rabbins modernes pour un faux du XIIèmesiècle.

272 Voyez Godfrey Higgins. Anacalypsis, citation empruntée à Faber.

273 Cory. Ancients Fragments, Bérose.

274  Nous renvoyons le lecteur pour de plus amples renseignements à la "Prose Edda" dans les Northern Antiquities de Mallett.

 

Dans la légende scandinave, Ymir, le géant est tué par les fils de Bur et les flots de sang coulant de ses blessures sont tellement abondants que l'inondation noie tous les individus appartenant [221] à la race des géants de brume et de glace. Seuls de cette race, Bergelmir et sa  femme se sauvent en montant dans une barque ; il peut, ainsi, perpétuer les  géants par une branche nouvelle provenant de l'antique souche. Mais aucun des fils de Bur ne fut englouti par le déluge. 274

 Lorsqu'on déchiffre le symbolisme de cette légende diluvienne, on comprend aussitôt le sens réel de l'allégorie. Le géant Ymir personnifie la rude matière organique primitive, les forces cosmiques aveugles, dans leur état chaotique avant d'avoir reçu l'impulsion intelligente de l'Esprit Divin qui les met en mouvement régulier et les soumet à des lois immuables. La progéniture de Bur est "les fils de Dieu" ou les dieux mineurs mentionnés par Platon, dans le Timée. C'est à eux qu'avait été confiée, comme il le dit, la mission de créer les hommes. En effet, nous les voyons emporter les restes déchiquetés d'Ymir dans le Ginnunga-gap, l'abîme chaotique, et les employer pour la création de notre monde. Son sang va former les océans et les fleuves ; ses os, les montagnes ; ses dents, les rochers et les falaises ; ses cheveux, les arbres ; etc. Son crâne forme la voûte céleste supportée par quatre colonnes représentant les quatre points cardinaux. Les sourcils d'Ymir viennent former le futur séjour de l'homme, Midgard. Ce séjour (la terre), dit l'Edda, doit, pour être correctement décrit dans ses plus minutieux détails, être conçu rond comme un anneau ou un disque, flottant au milieu de l'Océan Céleste (Ether). Il est entouré par Yœrmungand, le gigantesque Midgard ou Serpent Terrestre, tenant sa queue dans sa gueule. C'est le serpent mondial, matière et esprit, production et émanation combinées d'Ymir, la matière grossière rudimentaire et de l'esprit des "fils de Dieu" qui façonnèrent et créèrent toutes les formes. Cette émanation est la lumière astrale des Cabalistes et l'Ether, encore problématique et à peine connu, c'est "l'agent hypothétique d'une grande élasticité" de nos physiciens.

 On peut, grâce à cette même légende Scandinave de la création du genre humain, se faire une idée du degré de certitude auquel les anciens étaient parvenus au sujet de la nature trinitaire de l'homme. D'après le Vôluspa, Odin, Hönir et Lodur, qui sont les progéniteurs de notre race, trouvèrent dans une de leurs courses, sur les bords de l'Océan, deux bâtons qui flottaient sur les vagues, "impuissants, au gré des flots". Odin leur insuffla la vie, Hönir les doua d'une âme et du mouvement, Lodur leur accorda la beauté, la parole, la vue et l'ouïe. Ils donnèrent à [222] l'homme le nom d'Askr, le frêne 275 ; la femme fut appelée Embla, l'aulne. Ces premiers êtres sont placés dans Midgard (Jardin du milieu ou Eden) et ils héritent ainsi de leurs créateurs, la matière ou la vie inorganique ; le mental ou âme ; et l'esprit pur. La première correspond à la partie de leur organisme qui émane des restes d'Ymir, le géant-matière ; le second à la partie émanant des Æsirs ou dieux, les descendants de Bur ; le troisième procède de Vanr, le représentant de l'esprit pur.

Une autre version de l'Edda fait sortir notre univers visible des rameaux luxuriants de l'arbre mondial, l'Yggdrasil, l'arbre aux  trois racines. Sous la première racine coule la fontaine de vie, Urdar ; sous la seconde se trouve le puits célèbre de Mimer, dans lequel sont profondément enfouis la Vivacité d'Esprit et la Sagesse. Odin, l'Alfadir, demande une gorgée de cette eau : il l'obtient au prix d'un de ses yeux mis en gage. Dans ce cas, l'œil est le symbole de la Divinité se révélant elle- même dans la sagesse de sa création, car Odin le laisse au fond du puit profond. Le soin de l'arbre du monde est confié à trois vierges (les Normes ou Parques), Urdhr, Verdandi et Skuld, c'est-à-dire le Présent, le Passé, et le Futur. Chaque matin, tout en fixant le terme de la vie humaine, elles puisent de l'eau à la fontaine Urdar et en arrosent les racines de l'arbre du monde afin qu'il puisse vivre. Les exhalaisons d'yggdrasil (le frêne) se condensent, et, tombant sur la terre, elles appellent à l'existence et aux changements de forme chaque partie de la matière inanimée. Cet arbre est le symbole de la Vie universelle, organique aussi bien qu'inorganique ; ses émanations représentent l'esprit qui vivifie chaque forme de la création ; de ses trois racines l'une s'étend vers le ciel, la seconde est le séjour des magiciens – géants habitant de hautes montagnes – ; la troisième, sous laquelle coule la source Hvergelmir, est rongée par le monstre Nidhügg qui cherche constamment à induire au mal le genre humain. Les Tibétains ont aussi leur arbre du monde et sa légende remonte à une antiquité immémoriale. Chez eux, il se nomme Zampun. La première de ses trois racines s'étend aussi vers les cieux, jusqu'au sommet des montagnes les plus élevées ; la seconde traverse la région inférieure ; la troisième reste à mi-chemin et atteint  l'Orient.  L'arbre  mondial  des  Hindous  est l'Aswatha 276. Ses branches sont les éléments qui composent le monde visible et ses feuilles sont les Mantras des Védas, symboles de l'univers, dans son caractère intellectuel ou moral. [223]

275 Il est à remarquer, fait digne d'attention, que, dans le Popul-Vuh mexicain la race humaine est créée d'un roseau, et, dans Hésiode, d'un frêne, comme dans la légende Scandinave.

276 Voir Kann. Pantheum der Æltesten Philosophie.

 

Quiconque étudie soigneusement les anciens mythes cosmogoniques et religieux est forcé de reconnaître que cette frappante similitude de conceptions dans leur forme exotérique et leur esprit ésotérique n'est nullement le résultat d'une simple coïncidence : c'est bien au contraire la preuve d'une origine commune. Nous y voyons que, déjà voilée à nos yeux par la brume impénétrable de la tradition, la pensée religieuse de l'humanité se développait avec une sympathique uniformité dans  les parties du globe. Les Chrétiens donnent le nom de Panthéisme à cette adoration de la nature, dans ses vérités les plus cachées. Mais le Panthéisme qui adore et nous révèle Dieu dans l'espace, sous sa seule forme objective possible – celle de la nature visible –, rappelle perpétuellement à l'humain Celui qui l'a créé ; une religion de dogmatisme théologique ne sert qu'à LE dérober encore davantage à nos regards. Et, alors, laquelle de ces deux conceptions est la mieux adaptée aux besoins de l'humanité ?

La science moderne insiste sur la doctrine de l'évolution la raison humaine et la "doctrine secrète "font de même. Cette idée est confirmée par les légendes et par les mythes anciens, même par la Bible, pour qui sait lire entre les lignes. Nous voyons une fleur se dégager lentement d'un bouton et le bouton de la semence. Mais d'où cette semence provient-elle avec tout son programme de transformations physiques et ses forces invisibles, donc spirituelles, qui développent graduellement sa forme, sa couleur et son odeur ? Le mot évolution s'explique lui-même. Le germe de la race humaine actuelle doit avoir préexisté dans une race antérieure comme la graine dans laquelle gît, cachée, la fleur du printemps à venir, s'est développée dans le calice de sa mère, la fleur. La mère  peut ne différer que légèrement, mais cependant elle diffère de sa descendance future. Les ancêtres antédiluviens de l'éléphant et du lézard actuels étaient, peut-être, le mammouth et le plésiosaure. Pourquoi les dieux de notre race humaine n'auraient-ils pas été "les géants" des Védas, du Völuspa et du livre de la Genèse ? S'il est positivement absurde de croire que "la transformation des espèces" ait eu lieu dans le sens adopté par les évolutionnistes les plus matérialistes, il est fort naturel de penser que chaque espèce (en commençant par les mollusques pour finir avec l'homme-singe), a changé depuis sa forme primordiale propre. Supposons comme admis que tous "les animaux descendent simplement de quatre ou cinq couples progéniteurs 277", à la rigueur même "tous les êtres organisés qui ont vécu sur cette terre [224] sont issus d'une forme  primordiale unique 278". Malgré cela, un matérialiste aveugle, entièrement dépourvu d'intuition peut seul compter sérieusement voir "dans un avenir éloigné…, la psychologie établie sur une base nouvelle, celle de l'acquisition nécessaire et par degrés de chacun des pouvoirs, de chacune des facultés de l'intellect 279."

L'homme physique, produit de l'évolution, peut être abandonné à l'homme des sciences exactes. Lui seul peut nous éclairer sur l'origine physique de la race. Mais nous devons positivement refuser un  tel privilège au matérialiste, dès qu'il s'agit de l'homme psychique et de l'évolution spirituelle. En effet, ni lui, ni ses facultés ne peuvent être prouvés de façon concluante "comme produits de l'évolution, à la manière des plantes les plus humbles ou des plus infimes vermisseaux 280."

277 Origin of Species, p. 484.

278 Ibid. Nous ne pouvons accepter cette expression si ce n'est dans le sens que cette "forme primordiale" est la forme primitive concrète que l'esprit a revêtue en tant que Divinité révélée.

279 Ibid., p. 488.

280 Conférence par T.H.Huxley, F.R.S. : Darwing and Hæckel.

 

Cela posé, nous allons, maintenant, montrer l'hypothèse évolutionniste des anciens Brahmanes, telle qu'ils l'ont incorporée à l'allégorie de l'arbre mondial. Les Hindous représentent leur arbre mythique, qu'ils appellent Aswatha, d'une manière qui diffère de celle des Scandinaves. Ils le décrivent comme croissant dans une position renversée, branches en bas et racines en haut. Les branches figurent l'image du monde extérieur des sens, c'est-à-dire l'univers cosmique visible et les racines le monde invisible de l'esprit, parce que les racines ont leur genèse dans les régions célestes où, depuis la création du monde, l'humanité a placé son invisible divinité. L'énergie créatrice ayant tiré son origine de ce point primordial, les symboles religieux de chaque peuple sont autant d'exemples de cette hypothèse métaphysique exposée par Pythagore, Platon et d'autres philosophes. D'après Philon 281, "ces Chaldéens voyaient, parmi les choses qui existent, le Cosmos comme un simple point. Ce point lui-même était soit Dieu (Théos) soit ce qui, dans le Cosmos, est Dieu et comprend l'âme de toutes chose."

La pyramide égyptienne représente également d'une façon symbolique cette idée de l'arbre mondial. Son sommet est le chaînon mystique qui relie la terre au ciel et tient lieu de racines ; la base représente les branches s'étendant aux quatre points cardinaux de l'univers de matière.  La pyramide comporte l'idée que toutes choses ont leur origine dans l'esprit car, à l'origine, l'évolution a commencé par le haut et s'est donc faite vers le bas, [225] contrairement à la théorie de Darwin. En d'autres termes, il y eut une matérialisation graduelle des formes, jusqu'à ce qu'elles eussent atteint le point le plus bas fixé pour elles. C'est à ce point que la doctrine moderne de l'évolution entre dans l'arène de l'hypothèse spéculative. Arrivés à cette période, nous comprendrons mieux l'Anthropogénie de Hæckel. Ce philosophe remonte dans la généalogie de l'homme "jusqu'à sa racine protoplasmique fermentant dans la vase des mers qui existaient avant les plus anciennes roches fossilifères", selon le professeur Huxley. Nous pouvons croire l'homme évolué, "par modification graduelle, d'un mammifère d'organisme ressemblant au singe". C'est encore plus facile quand on se souvient que la même théorie a été émise selon Bérose, bien des milliers d'années avant son époque par Oannès ou Dagon, l'homme poisson, le semi-démon de Babylone 282. Sa phraséologie était plus condensée et moins élégante mais cependant aussi compréhensible. Ajoutons, le fait est intéressant, que cette antique théorie de l'évolution est conservée non seulement par l'allégorie et la légende, mais encore par le pinceau, sur les murs des anciens temples de l'Inde et, sous une forme incomplète, nous la retrouvons encore dans ceux d'Egypte et sur les dalles de Nimroud et de Ninive, exhumées par Layard.

281 Migration of Abraham, 32.

282 Cory. Anciens Fragments.

 

Mais qu'y a-t-il au fond de la théorie de Darwin sur l'origine des espèces ?   En ce qui le concerne, rien que des "hypothèses d'une vérification impossible". Car, ainsi qu'il le dit, il considère tous les êtres "comme les descendants directs de quelques rares individus qui vivaient longtemps avant que fût déposée la première couche silurienne". 283 Il n'essaie pas de nous montrer ce qu'étaient ces "rares individus". Mais ce mutisme remplit notre but tout aussi bien car, en admettant leur existence, le recours aux anciens, pour confirmer et développer son idée, lui mérite l'estampille de l'approbation scientifique. Songez à tous les changements subis par notre globe au point de vue de la température, du climat, du sol et, qu'on nous pardonne d'ajouter, en tenant compte de progrès récents, au point de vue de ses conditions électromagnétiques, il faudrait être vraiment téméraire pour oser affirmer que la science moderne contredit l'hypothèse ancienne de l'homme pré-silurien. Les haches de silex trouvées les premières par Boucher de Perthes, dans la vallée de la Somme, prouvent que des hommes doivent avoir existé à une époque dont l'ancienneté défie le calcul. Si nous en croyons Büchner, l'homme doit avoir vécu durant, et même avant la période glaciaire, subdivision de la période quaternaire ou diluviale qui s'étend, probablement, bien [226] au-delà de celle-ci. Mais qui peut dire ce que nous réserve encore la prochaine découverte ?

Or, si nous avons des preuves indiscutables de l'existence de l'homme à une époque si reculée, il doit y avoir eu d'étonnantes modifications dans son système physique qui correspondent aux changements de climat et d'atmosphère. Cela ne prouve-t-il pas, par analogie, qu'en remontant en arrière, il puisse y avoir eu d'autres modifications qui s'appliqueraient aux plus anciens ancêtres des "géants de glace" de la Vœluspa et leur auraient permis d'être les contemporains des poissons dévoniens et des mollusques siluriens ? Il est vrai qu'ils n'ont point laissé de haches de pierre, ni d'ossements, ni de dépôts dans les grottes ; mais, si les anciens étaient dans le vrai, les races, à cette époque, étaient composées non seulement de géants ou "d'hommes puissants" mais aussi de "fils de Dieu". Si ceux qui croient à l'évolution de l'esprit, aussi fermement que les matérialistes croient à celle de la matière, sont accusés d'enseigner des "hypothèses invérifiables", il leur est facile de retourner l'argument contre leurs accusateurs en leur rappelant que, de leur propre aveu, l'évolution physique est encore "une hypothèse non vérifiée, sinon invérifiable" 284. Les premiers ont, du moins, la preuve inductive des mythes légendaires dont l'immense antiquité est reconnue tant par les philologues que par les archéologues, tandis que leurs adversaires n'ont rien de pareil, à moins qu'ils n'utilisent une partie des inscriptions murales et en suppriment le reste.

283 Origin of Species, p. 448, 489, première édition.

284 Huxley. Darwin and Hæckel.

 

D'un côté les ouvrages de quelques érudits, justement réputés, contredisent nettement nos hypothèses, mais il est fort heureux que les recherches d'autres savants, non moins éminents, paraissent, au contraire, les confirmer pleinement. Dans l'ouvrage récent de M. Alfred Wallace, The Geographical Distribution of Animals, nous voyons l'auteur plaider sérieusement en faveur d'un "procédé lent de développement" des espèces actuelles, issues d'autres espèces qui les ont précédées, son estimation remontant à une série de cycles innombrables. Et, si c'est le cas pour les animaux, pourquoi pas pour l'animal-homme, précédé de bien plus loin encore par un homme tout à fait "spirituel" – un "fils de Dieu ?"

Revenons, maintenant, une fois encore, à la symbolique des anciens âges et à leurs mythes physico-religieux. Avant de clore ce travail, nous espérons démontrer avec plus ou moins de succès combien les conceptions antiques s'alliaient avec un grand nombre des découvertes de la science moderne en physique et philosophie naturelle. Sous les formules emblématiques et la phraséologie [227] particulière du clergé de jadis se cachent des allusions à des sciences que l'on n'a pas encore découvertes dans le cycle actuel. Si familiers que soient, pour un savant, l'écriture hiératique et le système hiéroglyphique des Egyptiens, il faut, avant tout, qu'il apprenne à sonder leurs archives. Il doit s'assurer, compas et règle en mains, que l'écriture figurée qu'il examine concorde, à une ligne prés, avec certaines figures géométriques fixes qui sont la clé secrète de ces archives. Après, seulement, il pourra risquer une interprétation.

Mais il est des mythes qui parlent d'eux-mêmes. Dans cette catégorie nous pouvons ranger les premiers créateurs androgynes de chaque cosmogonie. Le Zeus-Zên grec (æther), et Chthonia (la terre chaotique) et Métis (l'eau), ses femmes ; Osiris et Isis-Latone – le premier dieu représentant aussi l'æther, la première émanation de la Divinité Suprême, Amun, la source primordiale de la lumière ; la déesse figurant encore la terre et l'eau ; Mithras 285, le dieu né du rocher, symbole du feu mâle mondial ou la lumière primordiale personnifiée, et Mithra, la déesse du feu, à la fois sa mère et son épouse ; le pur élément du feu (le principe actif ou mâle) envisagé comme lumière et chaleur, en conjonction avec la terre et l'eau, ou la matière (éléments passifs ou féminins de la génération cosmique). Mithras est le fils de Bordj, la  montagne  mondiale  de  la Perse 286, de laquelle il jaillit, comme un étincelant rayon de lumière. Brahma, le dieu du feu et sa prolifique conjointe ; et l'Unghi hindou, la divinité brillante du corps de laquelle sortent mille torrents de gloire et sept langues de flamme et en l'honneur de laquelle les Brahmanes de Sagnikou conservent jusqu'aujourd'hui un feu perpétuel ; Siva, personnifié par la montagne mondiale des Hindous – le Mérou (Himalaya). Ce terrible dieu du feu que, d'après la légende, on dit être descendu du ciel, comme le Jehovah des Juifs, dans une colonne de feu, et une douzaine d'autres divinités archaïques bisexuées proclament bien haut leur signification cachée. Que peuvent en effet vouloir dire ces doubles mythes sinon le principe physico-chimique de la création primordiale ? La première révélation de la Cause Suprême, dans sa triple manifestation d'esprit, de force, et de matière : la corrélation divine à son point de départ évolutif, rendue allégoriquement comme le mariage du feu et de l'eau, produits de l'esprit électrisant, union du principe actif-mâle avec l'élément passif- femelle qui deviennent les géniteurs de leur enfant [228] tellurique, la matière cosmique, la prima materia dont l'esprit est l'éther, la LUMIÈRE ASTRALE !

285 Mithras était considéré, chez les Perses, comme le Theos ek petros, le dieu du roc.

 

Ainsi toutes les montagnes mondiales, l'œuf mondial de tant de légendes, les arbres, les serpents et les piliers mondiaux doivent être considérés comme renfermant des vérités de philosophie naturelle, scientifiquement démontrées. Toutes ces montagnes contiennent, avec des variantes insignifiantes, la description allégorique de la cosmogonie primitive ; les arbres mondiaux représentent l'évolution ultérieure de l'esprit et de la matière ; les serpents et les piliers mondiaux des rappels symboliques des divers attributs de cette double évolution, dans sa corrélation sans fin avec les forces cosmiques. Dans les solitudes mystérieuses de la montagne – matrice de l'univers – les  dieux (puissances) préparent les germes atomiques de la vie organique, et, en même temps, le breuvage de vie qui éveillera dans l'homme-matière, l'homme-esprit. Le soma, le breuvage sacrificiel des Hindous, est cette boisson sacrée. Car lors de la création de la prima materia, tandis que les parties les plus grossières étaient employées pour le monde physique embryonnaire, son essence plus divine pénétrait l'univers, pénétrait invisiblement le nouveau-né et l'enfermait dans ses vagues éthérées, développait et stimulait son activité, au fur et à mesure que, lentement, il sortait de l'éternel chaos.

286 Bordj est appelé une montagne de feu, un volcan. C'est pourquoi il contient feu, rochers, terre et eau, les éléments mâles et actifs et les éléments femelles ou passifs. Le Mythe est suggestif.

 

De cette poésie des conceptions abstraites, les mythes du monde passèrent, graduellement, aux images concrètes des symboles cosmiques, telles que l'archéologie les retrouve aujourd'hui. Le serpent, qui joua un rôle si marqué dans les symboles sacrés des anciens, a été dégradé par l'interprétation absurde de celui du Livre de la Genèse qui en fait un synonyme de Satan, le Prince des Ténèbres, alors qu'il est le  plus ingénieux de tous les mythes dans les divers symbolismes. Dans l'un, comme agathodaïmon, il est l'emblème de l'art de guérir et de l'immortalité de l'homme. Il encadre les images de la plupart des dieux de médecine et d'hygiène. La coupe de santé, dans les Mystères Egyptiens, était entourée de serpents. Comme le mal ne peut venir que d'une exagération du bien, le serpent, à d'autres points de vue, devint typique de la matière ; plus elle s'éloigne de sa source spirituelle primitive, plus elle devient sujette au mal. Dans les images égyptiennes les plus anciennes, comme dans les allégories cosmogoniques de Kneph, le serpent mondial, quand il représente la matière, est généralement enfermé dans un cercle gisant droit en travers de son équateur. Il indique ainsi que l'univers de lumière astrale hors duquel a évolué le monde physique, tout en limitant ce dernier, est lui-même limité par Emepht ou la Suprême Cause Primordiale. Phta produisant Ra, et les myriades de formes auxquelles il donne vie sont représentés comme sortant de l'œuf mondial, parce que c'est la [229] forme la plus familière du réceptacle dans lequel se dépose et se développe le germe de tout être vivant. Lorsque le serpent représente l'éternité et l'immortalité, il enferme le monde dans un cercle, en se mordant la queue et n'offrant aucune solution de continuité. Il devient alors la lumière astrale. Les disciples de l'école de Phérécydes enseignaient que l'éther (Zeus ou Zen) est la  région la plus élevée de l'empyrée qui renferme le monde supérieur et que sa lumière (astrale) est l'élément primordial concentré.

Telle est l'origine du serpent métamorphosé en Satan dans l'ère Chrétienne. C'est l'Od, l'Ob et l'Aour de Moïse et des Cabalistes. Lorsqu'il est à l'état passif, lorsqu'il agit sur ceux qui sont involontairement entraînés dans le courant de sa sphère d'attraction, la lumière astrale est l'Ob ou Python.  Moïse  avait  résolu  de  détruire  tous  ceux  qui,  sensibles à son influence, se laissaient entraîner sous la domination facile des êtres vicieux qui se meuvent dans les vagues astrales comme les poissons dans l'eau ; êtres qui nous environnent et que Bulwer-Lytton appelle dans Zanoni, "les gardiens du seuil". Il devient l'Od dès qu'il est vivifié par l'effluve consciente d'une âme immortelle, parce qu'alors les courants de l'astral agissent sous la direction d'un adepte, d'un esprit pur ou d'un magnétiseur capable, qui est pur lui-même et qui sait diriger les forces aveugles. Dans ces cas-là, même un esprit Planétaire élevé, un des  individus  de cette classe d'êtres qui n'ont jamais été incarnés (cette hiérarchie compte cependant beaucoup d'êtres ayant vécu sur terre), descend exceptionnellement dans notre sphère et, purifiant l'atmosphère environnante, rend le sujet capable de voir, et ouvre en lui les sources de la véritable prophétie divine. Quant au terme Aoûr, on l'emploie pour désigner certaines propriétés occultes de l'agent universel. Il appartient plus directement au domaine de l'alchimiste et n'offre point d'intérêt  pour la généralité du public.

L'auteur du système de philosophie Homoiomerian, Anaxagore de Clazomène, croyait fermement que les prototypes spirituels des choses, aussi bien que leurs éléments, se trouvaient dans l'éther sans limites où ils étaient engendrés, d'où ils sortaient par évolution et où ils rentraient en quittant la terre. Les Hindous avaient personnifié leur Akas'a  (ciel ou éther) et en avaient fait une entité divine. Comme eux, les Grecs et les Latins avaient déifié l'Æther. Virgile appelle Zeus : pater  omnipotens æther 287  ; Magnus, le grand dieu Ether. [230]

Les êtres, auxquels il est fait allusion ci-dessus, sont les esprits élémentals des Cabalistes 288, que le clergé chrétien dénonce comme des " diables ", ennemis du genre humain.

 286 Bordj est appelé une montagne de feu, un volcan. C'est pourquoi il contient feu, rochers, terre et eau, les éléments mâles et actifs et les éléments femelles ou passifs. Le Mythe est suggestif.

287 Virgile. Géorgiques, liv. II.

288 Porphyre et d'autres philosophes expliquent la nature de ces gardiens. Ils sont malfaisants et trompeurs ; toutefois, il en est de parfaitement inoffensifs et aimables, mais si faibles qu'ils ont la plus grande difficulté à communiquer avec les mortels dont ils recherchent incessamment la société. Les premiers ne sont pas doués d'une malice intelligente. La loi d'évolution spirituelle n'ayant pas encore permis le développement de leur instinct en intelligence, dont les clartés supérieures n'appartiennent qu'aux esprits immortels, leur faculté de raisonnement est encore à l'état latent et c'est pourquoi ces êtres sont eux-mêmes irresponsables.

Mais l'Eglise Latine contredit les Cabalistes. Saint Augustin a même une discussion à ce sujet avec Porphyre, le néo-Platonicien. "Ces esprits, dit-il, sont trompeurs, non en raison de leur nature, comme l'affirme Porphyre, le théurgiste mais par malice. Ils se donnent pour des dieux et pour les âmes des défunts." (Civit. Déc, liv. X, ch. 2). Jusque-là Porphyre est d'accord mais, " ces êtres ne prétendent pas être des démons [lisez : des diables], car en réalité, ils en sont !" ajoute l'évêque d'Hippone. Mais alors dans quelle catégorie placerons-nous les hommes sans tête que saint Augustin veut nous persuader avoir vus lui-même ? Ou les satyres de saint Jérôme qui, d'après son assertion furent exhibés à Alexandrie pendant longtemps ? C'étaient, nous dit-il, "des hommes avec des jambes et des queues de boucs". S'il faut l'en croire, un de ces satyres fut, à cette époque, mis en conserve dans un baril et expédié à l'Empereur Constantin !

 

Des Mousseaux remarque gravement : "Déjà Tertullien   formellement découvert le secret de leurs ruses" (Chapitre sur les démons).

Assurément, c'est une découverte inestimable. Maintenant que nous avons tant appris Sur les travaux intellectuels des saints pères, et sur leurs découvertes en anthropologie astrale, pourrons nous être surpris le moins du monde Si, dans le zèle de leurs explorations spirituelles ils ont négligé leur planète au point de lui refuser, parfois, non seulement le droit au mouvement, mais même sa sphéricité ?

Voici ce que nous relevons dans Langhorne, traducteur de Plutarque : "Denys d'Halicarnasse (L. II) est d'avis que Numa fit construire le temple de Vesta de forme circulaire pour représenter la terre, car, par Vesta, on entendait la terre." De plus, Philolaüs, d'accord avec tous les autres Pythagoriciens, soutenait que l'élément du feu était situé au centre de l'univers. Plutarque, parlant du même sujet, remarque que, selon les Pythagoriciens, "la terre n'est point immobile, ni située au centre  du monde ; elle fait sa révolution autour de la sphère de feu sans être une des parties les plus précieuses ou les plus importantes de la grande machine." Platon est dit avoir été également de cet avis. Il semble donc que les Pythagoriciens aient devancé la découverte de Galilée.

Une fois admise l'existence de cet invisible univers, comme il semble probable qu'on y viendra, si les spéculations des auteurs [231] de Unseen Universe sont jamais acceptées par leurs collègues, bien des phénomènes, mystérieux et inexplicables jusqu'ici deviennent simples. Cet invisible univers agit sur l'organisme des médiums magnétisés, les pénètre et les sature de fond en comble, qu'ils soient dominés par la puissante volonté d'un magnétiseur ou qu'ils obéissent à l'influence d'êtres invisibles produisant les mêmes effets. Une fois cette opération muette accomplie, le fantôme astral ou sidéral du sujet magnétisé quitte son enveloppe terrestre paralysée et, après avoir parcouru l'espace sans bornes, il s'arrête sur le seuil du "but" mystérieux. Pour lui, les portes qui marquent l'entrée de la "terre  du  silence"  ne  sont,  maintenant,  que  partiellement  entrouvertes ; elles ne le seront toutes grandes pour l'âme du somnambule entransé,  que le jour où s'étant unie avec son essence supérieure immortelle, elle aura quitté pour toujours son enveloppe mortelle. Jusqu'à ce moment, le voyant ou la voyante ne peut regarder que par une fente. Ce qu'on en verra dépendra de l'acuité de vue spirituelle du sujet.

La trinité dans l'unité est une idée commune à toutes les nations : les trois Dejotas, la Trimourti hindoue, les Trois Têtes de la Cabale Juive 289. "Trois têtes sont sculptées l'une dans l'autre et l'une sur l'autre." La trinité des Egyptiens et celle de la mythologie grecque étaient des images semblables de la première émanation triple avec ses deux principes mâles et un principe femelle. C'est l'union du mâle Logos ou sagesse, la Divinité révélée, avec la femelle Aura ou Anima Mundi (le saint Pneuma qui est la Sephira des Cabalistes et la Sophia des Gnostiques raffinés) qui a produit toutes choses visibles et invisibles. Tandis que la véritable interprétation métaphysique de ce dogme universel restait confinée dans les sanctuaires, les Grecs avec leurs instincts poétiques la personnifiaient dans une foule de mythes charmants. Dans les Dionysiaques de Nonnus, le dieu Bacchus, entre autres allégories, est représenté comme amoureux d'une brise  suave et douce (le saint Pneuma), sous le nom d' "Aura Placida" 290. Et, maintenant, laissons la parole à Godfrey Higgins : "Lorsque les Pères ignorants constituèrent leur calendrier, ils firent de cette "douce brise", deux saintes Catholiques Romaines ! !". Sainte Aura et sainte Placida naquirent ainsi. Mais ils ont fait mieux ; ils ont été jusqu'à transformer le joyeux et galant dieu en saint Bacchus. En fait, on montre à Rome son cercueil et ses reliques. La fête des bienheureuses saintes Aure et Placide tombe le 5 octobre et n'est pas éloignée de celle de saint Bacchus 291. [232]

Combien plus poétique et plus large est l'esprit religieux que l'on trouve dans les légendes "païennes" du Nord relatives à la création. Le vent du dégel souffle soudain dans l'abîme sans fond du puits mondial, le Ginnunga-gap, où luttent avec rage et fureur aveugle la matière cosmique et les forces primordiales. C'est "le Dieu non révélé" qui envoie son souffle bienfaisant du haut de Muspellheim, la sphère de feu empyréen dans les rayons étincelants duquel réside ce Grand Etre, bien au-delà du monde   de la matière ; l'animus de l'Invisible, l'Esprit qui plane sur les Sombres eaux de l'abîme met de l'ordre dans le Chaos, et une fois la première impulsion donnée à toute la création, la CAUSE PREMIÈRE se retire et reste pour toujours in statu abscondito 292.

289 "Tria capita exsculpta sunt, unum intra alterum et alterum supra alterum". – Sohar, "Idra Suta", sect. VII.

290 Littéralement : douce bise.

291 Higgins. Anacalypsis ; aussi Dupruis.

292 Mallett. Northern Antiquities, p. 401-406, et The Songs of a völuspa, Edda.

 

II y a de la religion et de la science dans ces chants scandinaves du paganisme. Comme exemple de science, prenons leur conception de Thor, fils d'Odin. Toutes les fois que cet Hercule du Nord doit saisir la poignée de son arme terrible, la foudre, ou marteau électrique, il est obligé de mettre ses gantelets de fer. Il porte aussi une ceinture magique, connue comme "ceinture de force" qui, toutes les fois qu'elle est ceinte par lui, accroît considérablement sa puissance céleste. Il voyage dans un  char traîné par deux béliers aux brides d'argent, et son front redoutable est ceint d'un bouquet d'étoiles. Son chariot a une lance en fer pointu, et les roues, qui lancent des étincelles, roulent sans cesse sur des nuages d'orage. Il lance avec une force irrésistible son marteau sur les géants de glace rebelles, et il les dissout et les réduit à néant. Lorsqu'il se rend à la fontaine Urdar, où les dieux se réunissent en conclave pour décider des destinées de l'humanité, il est le seul qui y aille à pied, les autres divinités sont montées. Il marche de peur qu'en traversant Bifrost (l'arc-en-ciel), le pont d'Aesir aux nombreuses couleurs, il ne l'incendie avec son char tonnant, et ne fasse en même temps bouillir les eaux d'Urdar.

Traduit en langue ordinaire, comment peut-on interpréter ce mythe, sinon en reconnaissant que les auteurs des légendes du Nord étaient bien versés dans l'électricité ? Thor, c'est l'électricité ; il se sert de son élément particulier, seulement lorsqu'il est protégé par des agents de fer, qui sont ses conducteurs naturels. Sa ceinture de force est un circuit fermé, autour duquel le courant isolé est forcé de passer, au lieu de se perdre dans l'espace. Lorsqu'il s'élance avec son char sur les nuages, il est l'électricité à l'état actif, comme les étincelles qui jaillissent de ses roues, et le bruit de tonnerre des nuages l'attestent. La lance de fer pointue du chariot, c'est la verge électrique ; les deux béliers qui lui servent [233] de coursiers sont les anciens symboles familiers de la puissance mâle génératrice ; leur bride d'argent est l'emblème du principe femelle, car l'argent est le métal de la lune, Astarte, Diane. C'est pourquoi, dans le bélier et dans sa bride, nous voyons combinés les principes actif et passif de la nature, en opposition, l'un poussant et l'autre retenant, tandis que tous deux sont soumis au principe électrique qui pénètre le monde et qui leur donne l'impulsion. Avec l'électricité donnant l'impulsion, et les principes mâle et femelle se combinant et recombinant sans cesse en corrélations permanentes, on obtient l'évolution constante de la nature visible, dont le couronnement est le système planétaire, symbolisé chez le mythique Thor par le diadème d'astres radieux, qui entoure son front. Lorsqu'il est en activité, sa foudre terrible détruit tout, même les autres forces Titanesques plus faibles. Mais il passe à pied l'arc-en-ciel Bifrost, parce que, pour frayer avec des dieux moins puissants que lui, il faut qu'il reste à l'état latent, ce qui lui serait impossible dans son char ; sans cela, il incendierait et anéantirait tout. La signification de la fontaine Urdar, que Thor redoute de faire bouillir, et qui cause sa réticence, ne sera comprise par nos physiciens que lorsque les relations électromagnétiques réciproques des innombrables éléments du système planétaire, maintenant à peine soupçonnées, seront complètement déterminées. Les récents essais scientifiques de MM. Mayer et Sterry Hunt nous permettent d'entrevoir quelques fragments de la vérité. Les anciens philosophes croyaient que, non seulement les volcans, mais les sources thermales, étaient produits par des concentrations de courants électriques souterrains, et que cette même cause donnait lieu aux dépôts minéraux de diverses natures qui forment des sources médicinales. Si l'on objectait à cela que le fait n'est point distinctement indiqué par les auteurs anciens, qui, dans l'opinion de notre siècle, connaissaient à peine l'électricité, nous pouvons tout simplement répondre que tous les ouvrages qui traitent de la Sagesse antique ne sont point connus de nos savants. Les eaux claires et fraîches d'Urdar étaient nécessaires pour arroser journellement l'arbre mystique mondial ; et si elles étaient troublées par Thor, ou l'électricité active, elles pourraient être converties en eaux minérales impropres à l'objet en vue. Les exemples ci-dessus corroborent l'ancienne prétention des philosophes qu'il y a un logos dans chaque mythe et un fondement de vérité dans toute fiction.