CHAPITRE X
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L'HOMME INTERIEUR ET EXTERIEUR
Τη̃ς δὲ γάρ ὲκ τριάδος πα̃ν πνευ̃µα πατὴρ-έκέρασε.
JOANNES LYDUS,
De mensibus, 20, dans Cory, p. 245. "Les âmes les plus puissantes perçoivent par elles-mêmes
la vérité et sont d'une nature plus inventive. Ces âmes sont sauvées par leur propre force, conformément à l'oracle."
PROCLUS,
Sur le premier Alcibiade, dans Cory, p. 257.
Puisque l'âme est perpétuellement en mouvement et passe par toutes choses dans un certain espace de temps, à la fin duquel elle est présentement contrainte à revenir à travers toutes choses, et à dérouler la même toile de génération dans le monde, c'est que toutes les fois que les mêmes causes agissent, les mêmes effets doivent se produire de la même façon.
M. FICINO,
Theol. Plat. de immort. anim., 129, dans Cory, p. 259.
Si elle n'a point de but spécial, l'étude est une bagatelle spécieuse de l'esprit.
YOUNG.
Depuis le moment où l'embryon du fœtus est formé, jusqu'à celui où, transformé en vieillard, il rend son dernier soupir et descend dans la tombe, ni le commencement ni la fin ne sont compris par la science scholastique. Tout avant nous est vide, et après nous tout est chaos. En effet, il n'existe pour elle aucune preuve des relations entre l'esprit, l'âme et le corps, soit avant, soit après la mort. Le simple principe de vie lui-même présente une énigme insoluble, à l'étude de laquelle le matérialisme a vainement épuisé ses facultés intellectuelles. En présence d'un cadavre, le physiologiste sceptique reste muet, lorsque l'élève lui demande d'où venait ce quelque chose qui habitait naguère cette enveloppe vide, et où il s'en est allé. L'élève est obligé ou de se contenter, comme son maître, de l'explication que c'est le protoplasme qui forma l'homme, et que la force lui donna la vie et consumera maintenant son corps, ou bien de chercher l'explication du mystère en dehors des murs de son collège et de sa bibliothèque. [54]
Il est parfois aussi intéressant qu'instructif de suivre ces deux grandes rivales, la science et la théologie, dans leurs fréquentes escarmouches. Tous les fils de l'Eglise ne sont pas aussi malheureux, dans leurs tentatives de défense que le pauvre abbé Moignot de Paris. Ce prêtre respectable et certainement bien intentionné échoua complètement dans ses efforts pour réfuter les arguments des libres penseurs Huxley, Tyndall, Du Bois- Raymond et autres. Le succès de ses arguments antidotaux fut plus que douteux, et comme récompense de sa peine, la "Congrégation de l'Index" interdit la circulation de son ouvrage parmi les fidèles.
Il est toujours dangereux d'engager un duel avec les savants sur des questions qui sont bien élucidées par les recherches expérimentales. Dans les choses qu'ils connaissent, ils sont inattaquables, et tant qu'ils n'auront pas détruit eux-mêmes la vieille formule en la remplaçant par une autre plus récente, il est inutile de lutter contre Achille, à moins toutefois que l'on ne soit assez heureux pour atteindre le demi-dieu au pied léger, à son vulnérable talon. Or ce talon, c'est ce qu'ils avouent ne pas savoir.
C'est à une telle astuce qu'eut recours certain prédicateur bien connu, pour atteindre la partie mortelle en question. Avant de faire le récit des faits extraordinaires, mais parfaitement authentiques, que nous allons présenter dans ce chapitre, il sera utile de montrer une fois de plus combien la science moderne est sujette à se tromper en ce qui concerne tous les faits qui ne peuvent être démontrés à l'aide du creuset ou de la cornue. Voici quelques fragments d'une série de sermons prêchés par le Père Félix à Notre-dame, sous le titre de : "Les mystères et la Science". Ils méritent d'être cités dans un ouvrage qui est écrit précisément dans le même esprit que celui dont parait animé le prédicateur. Pour une fois, l'Eglise a réduit temporairement au silence l'arrogance de son ennemie traditionnelle, en présence des savants académiciens.
On savait que le grand prédicateur, se conformant au désir général des fidèles, et obéissant peut-être aux ordres de ses supérieurs ecclésiastiques, s'était préparé à un grand effort oratoire, et la cathédrale historique était remplie d'une assistance considérable. Au milieu d'un silence profond, il commença son sermon, dont les paragraphes suivants suffisent pour notre but :
"Une parole effrayante a été prononcée contre nous, afin de mettre face à face le progrès et le Christianisme, et cette parole c'est "la SCIENCE". Telle est la formidable évocation par laquelle on essaye de nous épouvanter. A tout ce que nous pouvons dire pour baser le progrès sur le Christianisme, l'on a toujours une réponse prête ; ce n'est pas scientifique. Nous parlons de révélation ; [55] la révélation n'est pas scientifique, dit-on. Nous disons miracle ; on nous répond : le miracle n'est pas scientifique.
Ainsi l'antichristianisme, fidèle aujourd'hui plus que jamais à ses traditions, prétend nous tuer par la Science. Principe de ténèbres, il nous menace de la lumière, car il prétend être la lumière...
Cent fois je me suis demandé : Quelle est donc cette science terrible qui se prépare à nous dévorer ?... Est-ce la science mathématique ?... Mais nous aussi, nous avons nos mathématiciens. Est-ce la physique ? l'astronomie ? la physiologie ? la géologie ? Mais nous comptons dans la religion catholique des astronomes, des physiciens, des géologues et des physiologistes qui font assez bonne figure dans le monde scientifique 69, et qui ont leur place à l'Académie, et leur nom inscrit dans l'histoire. Il paraîtrait que ce qui doit nous écraser n'est pas telle ou telle science, mais bien la science en général.
Et pourquoi nous prédit-on le renversement du Christianisme par la science ? Ecoutez... nous devons périr par la science, parce que nous enseignons des mystères, et parce que les mystères chrétiens sont en antagonisme fondamental avec la science moderne... Le mystère est la négation du sens commun ; la science le repousse, elle le condamne ; elle a parlé... Qu'il soit anathème !
Ah ! vous avez raison : si le mystère Chrétien est ce que vous le dites, prononcez contre lui l'anathème au nom de la science. Rien n'est antipathique à la science comme l'absurde et le contradictoire. Mais rendons gloire à la vérité ! Tel n'est pas le mystère Chrétien. S'il l'était, il vous resterait à expliquer le plus inexplicable des mystères : Comment se fait-il que depuis près de deux mille ans, tant d'esprits supérieurs et de rares génies aient accepté nos mystères, sans songer à répudier la science ou à abdiquer pour cela la raison 70 ? Parlez tant que vous voudrez de votre science moderne, de la pensée moderne, du génie moderne, il y avait des savants avant 1789. Si nos mystères sont manifestement absurdes et contradictoires, comment se fait-il que de si puissants génies les aient acceptés sans le moindre doute ?... Mais Dieu nous préserve d'insister sur la démonstration que le mystère n'implique point de contradiction avec la science. A quoi bon prouver par des abstractions métaphysiques que la science peut se concilier avec le mystère, alors que toutes les réalités de la création montrent d'une façon incontestable que le mystère déjoue partout les efforts de la [56] science? Vous nous demandez de vous prouver que la science exacte ne peut pas admettre le mystère, je vous réponds en parfaite assurance qu'elle ne peut pas s'y soustraire. Le mystère, c'est la FATALITE de la science.
69 Nous serions curieux de savoir si le père Félix range dans cette catégorie saint Augustin, Lactance, et le vénérable Bède ?
70 Par exemple, Copernic, Bruno et Galilée, sans doute ? Pour de plus amples détails voir l'Index expurgatoire, certes c'est le cas d'ajouter le fameux proverbe : Audaces fortuna juvat.
Avons-nous besoin de choisir nos preuves ? En premier lieu, jetons donc, autour de nous, un regard sur le monde matériel depuis l'atome le plus microscopique jusqu'au soleil le plus majestueux. Eh bien là, si vous essayez d'embrasser dans l'unité d'une simple loi tous ces corps et leurs mouvements, si vous cherchez le mot qui explique, dans ce vaste panorama de l'univers, cette harmonie prodigieuse, où tout semble obéir à l'empire d'une force unique, vous prononcez une parole pour l'exprimer, et vous dites : attraction !... Oui, attraction, tel est le sublime épitome de la science des corps célestes. Vous dites qu'à travers l'espace ces corps se reconnaissent et s'attirent mutuellement ; vous dites qu'ils s'attirent proportionnellement à leur masse, et en raison inverse du carré de leurs distances. Et de fait jusqu'à présent, rien n'est venu contredire cette assertion, mais tout, au contraire, a confirmé une formule qui règne maintenant en souveraine dans l'EMPIRE DE L'HYPOTHÈSE, et c'est pourquoi elle doit dorénavant jouir des honneurs d'un truisme incontestable.
Messieurs, je rends de tout mon cœur hommage scientifique à la souveraineté de l'attraction. Ce n'est pas moi qui voudrais obscurcir la lumière dans le monde matériel qui se reflète dans le monde des esprits. L'empire de l'attraction est donc palpable ; il est donc souverain ; il nous éblouit.
Mais qu'est-ce que cette attraction ? Qui l'a vue ? Qui l'a rencontrée ? Qui l'a touchée, cette attraction ? Comment ces corps muets, inintelligents, insensibles, exercent-ils inconsciemment, l'un sur l'autre, cette réciprocité d'action et de réaction, qui les maintient dans un équilibre commun, et dans une unanime harmonie ! Cette force qui entraîne un soleil vers un autre et un atome vers un autre atome est-elle un médiateur invisible qui va de l'un à l'autre ? Et dans ce cas, quel est ce médiateur ? D'où lui vient la force dont il se sert, la puissance qu'il possède, et à laquelle le soleil ne peut pas plus échapper que l'atome ? Mais cette force est-elle quelque chose qui diffère des éléments eux-mêmes, qui s'attirent entre eux ? Mystère ! Mystère !
Oui, messieurs, cette attraction qui resplendit d'une lumière si éclatante dans le monde matériel, reste pour vous, en somme, un mystère impénétrable... Cela vous fait-il nier sa réalité qui vous saisit, ou son empire qui vous subjugue ?... Et encore, remarquez, s'il vous plaît, que le mystère se trouve si bien à la base de toute science, que si vous désiriez l'en exclure, vous seriez contraint de [57] supprimer la science elle-même. Imaginez telle science que vous voudrez, suivez le magnifique enchaînement de ses déductions... et lorsque vous arrivez à sa source, vous vous trouvez face à face avec l'inconnu 71
71 Ni Herbert Spencer ni Huxley ne sont prêts à réfuter cette assertion. Mais le père Félix paraît ignorer ce qu'il doit à la science ; s'il avait dit cela en l'an 1600, peut-être eût-il partagé le sort du pauvre Giordano Bruno.
Qui donc a pénétré le secret de la formation d'un corps, la génération d'un simple atome ? Qu'y a-t-il, je ne dirai pas, au centre d'un soleil, mais au centre même d'un atome ? Qui a sondé dans ses profondeurs l'abîme qui se trouve dans un grain de sable ? Le grain de sable, messieurs, a été étudié par la science pendant quatre mille ans ; elle l'a tourné et retourné ; elle l'a divisé et subdivisé ; elle l'a tourmenté par toutes sortes d'expériences ; elle l'a accablé de questions pour en tirer le mot final quant à sa secrète constitution ; elle lui demande avec une curiosité ardente : Dois-je te diviser à l'infini ? Et suspendue alors sur cet abîme, la science hésite, elle se trouble, elle est éblouie, elle est prise de vertige, et, découragée, elle s'écrie : "JE NE SAIS PAS".
Mais si vous êtes fatalement ignorants de la genèse et de la nature cachée d'un grain de sable, comment pouvez- vous avoir l'intuition, quant à la génération d'un seul être vivant ? D'où vient la vie dans cet être vivant ? Où commence-t-elle ? Quel est le principe de la vie 72 ?"
72 Le mystère et la science, conférences du père Félix de Notre-Dame ; des Mousseaux, Hauts Phén. magie.
Les savants ont-ils une réponse à donner à l'éloquent religieux ? Peuvent-ils se dégager des liens de son impitoyable logique ? Certes le mystère les tient de toutes parts, et l'ultima Thule, soit d'Herbert Spencer, Tyndall ou Huxley porte écrit sur les frontispices de ses portes : INCOMPRÉHENSIBLE, INCONNAISSABLE. Pour l'ami des métaphores, l'on peut comparer la science à une étoile scintillante, qui brille d'un éclat resplendissant à travers les éclaircies des nuages épais. Si ses adeptes ne réussissent pas à définir cette attraction mystérieuse, qui rassemble en masses compactes les parcelles de matière qui composent le plus petit galet sur la plage de l'océan, comment peuvent-ils prétendre définir les limites du possible et de l'impossible, et dire où finit l'un et où commence l'autre ?
Pourquoi y aurait-il une attraction entre les molécules de la matière et non pas entre celles de l'esprit ? Si, en vertu de l'agitation inhérente de ses molécules, les formes des mondes et leurs espèces de plantes et d'animaux sont construites avec la partie matérielle de l'éther, pourquoi les races successives d'êtres depuis la monade jusqu'à l'homme ne se développeraient-elles pas de sa [58] partie spirituelle ; chaque forme inférieure se transformant en une continue, jusqu'à ce que l'évolution soit la formation de l'homme immortel ? nous laissons de côté les faits accumulés qui démontrent le cas et que nous n'avons recours qu'aux déductions de la logique.
Peu importe le nom que les physiciens donnent au principe d'énergie de la matière ; c'est quelque chose de subtil, en dehors de la matière elle- même, et comme ce quelque chose échappe à leur analyse, ce doit être distinct de la matière. Si l'on admet la loi d'attraction comme gouvernant l'une, pourquoi l'exclurait-on d'une influence sur l'autre ? En laissant à la logique le soin de répondre à cette question, nous rechercherons dans le domaine de l'expérience commune du genre humain, et nous y trouverons une masse de témoignages confirmant l'immortalité de l'âme, si nous en jugeons par des analogies. Mais nous avons encore mieux que cela, nous avons la preuve irrécusable fournie par des milliers et des milliers de penseurs, qu'il y a une science de l'âme qui, quoi qu'on lui refuse encore aujourd'hui une place parmi les autres sciences, n'en est pas moins une science. Cette science, en pénétrant les arcanes de la nature bien plus profondément que notre philosophie moderne ne l'a jamais cru possible, nous enseigne comment on peut forcer l'invisible à devenir visible ; elle nous apprend l'existence des esprits élémentaires ; la nature et les propriétés magiques de la lumière astrale ; le pouvoir qu'a l'homme vivant de se mettre en communication avec ceux-là au moyen de celle-ci. Qu'elles examinent avec le flambeau de l'expérience les preuves qui leur en sont fournies, et ni l'Académie, ni l'Eglise, en faveur de laquelle le père Félix a si éloquemment parlé, ne pourront le nier.
La science moderne se trouve en face d'un dilemme ; il faut qu'elle reconnaisse la vérité de notre hypothèse, ou qu'elle admette la possibilité du miracle. Admettre le miracle, c'est dire qu'il peut y avoir une dérogation aux lois de la nature. Or si c'est le cas, quelle certitude avons-nous que cela ne se reproduira pas une infinité de fois, détruisant ainsi la fixité de ces lois, ce parfait équilibre de forces qui régit l'univers. C'est un argument fort ancien et irréfutable. Contester l'apparition parmi nous d'êtres super- sensoriels, alors qu'ils ont été vus, à différentes époques et dans des contrées différentes, non point par des milliers, mais par des millions de personnes, est une obstination impardonnable ; et dire que dans un cas quelconque l'apparition est l'œuvre du miracle est funeste au principe fondamental de la science. Que feront-ils ? Que pourront-ils faire lorsqu'ils seront revenus de l'engourdissement [59] où les plonge leur orgueil, sinon recueillir les faits, et essayer d'élargir les limites de leur champ d'investigation ?
L'existence de l'esprit dans l'intermédiaire commun, l'éther, est niée par le matérialisme ; tandis que la théologie en fait un dieu personnel, le cabaliste soutient que tous les deux se trompent, et, disant que dans l'éther les éléments ne représentent que la matière, les forces cosmiques aveugles de la nature, et l'Esprit, l'intelligence qui les dirige. Les doctrines cosmogoniques d'Hermès, d'Orphée et de Pythagore, aussi bien que celles de Sanchoniathon et de Berose, sont toutes fondées sur une formule irréfutable, savoir : Que l'Ether et le Chaos, ou, pour employer le langage de Platon, le mental et la matière sont les deux principes primordiaux et éternels de l'univers, parfaitement indépendants de tout le reste. Le premier est le principe intellectuel vivifiant toutes choses ; le chaos est le principe informe, liquide, sans "forme ou sentiment" ; de l'union de ces deux, l'Univers surgit à l'existence ou plutôt le monde universel, la première divinité androgyne, dont le corps est formé de la matière chaotique, et l'âme de l'éther. D'après la phraséologie d'un fragment d'Hermias, "le chaos, par suite de cette union avec l'esprit, devenant doué de sentiment, resplendit de plaisir, et produit ainsi le Protogonos (le premier-né) la lumière 73". C'est l'universelle Trinité, basée sur les conceptions métaphysiques des anciens qui, raisonnant par analogie, ont fait de l'homme, composé lui aussi d'intellect et de matière, le microcosme du macrocosme ou grand univers.
Si, maintenant, nous comparons cette doctrine avec les spéculations de la science, qui vient s'arrêter net sur la Frontière de l'Inconnu, et qui tout en étant incompétente pour résoudre le mystère, ne permet pas qu'on examine la question en dehors d'elle ; ou bien, avec le grand dogme théologique que le monde a été appelé à l'existence par un tour de prestidigitation céleste, nous n'hésitons pas à croire, qu'en l'absence de preuve meilleure, la doctrine hermétique est de beaucoup plus raisonnable, tout éminemment métaphysique qu'elle puisse paraître. L'univers est là, et nous savons qu'il existe ; mais comment y est-il venu, et comment y sommes-nous apparus ? Les représentants de la science physique refusant de nous répondre, et les usurpateurs du domaine spirituel lançant contre nous l'excommunication et l'anathème pour notre curiosité impie, que pouvons-nous faire, si ce n'est nous tourner du côté des sages qui ont médité sur la question, des siècles avant que les molécules de nos philosophes modernes se soient agrégées dans l'espace éthéré ? [60]
Cet univers visible d'esprit et de matière, disent-ils, n'est qu'une image concrète de l'abstraction idéale ; il a été construit sur le modèle de la première IDÉE divine. Ainsi, notre univers existait de toute éternité à l'état latent. L'âme qui anime cet univers purement spirituel est le soleil central, la plus haute Divinité elle-même... Ce n'est pas Elle qui a construit la forme concrète de son idée mais bien son premier-né ; et comme elle a été bâtie sur la figure géométrique du dodécaèdre 74, le premier-né "a bien voulu mettre douze mille ans à sa création". Ce dernier nombre est indiqué dans la Cosmogonie Tyrrhénienne 75, qui montre l'homme créé dans la six millième année. Cela peut concorder avec la théorie égyptienne de 6.000 années 76, et avec le comput Hébraïque. Sanchoniathon 77, dans sa Cosmogonie, déclare que lorsque le vent (esprit) devint amoureux de ses propres principes (le chaos), une union intime s'opéra, dont la réalisation fut appelée Pothos, et de cette union sortit la semence de toutes choses. Et le chaos ne connut point sa propre production, car il était dénué de sens ; mais de son étreinte avec l'esprit fut engendré Môt ou l'Ilus (la boue) 78. C'est de là que sont issus les éléments de la création et la génération de l'Univers.
73 Damascius, dans la Théogonie l'appelle Dis, le dispensateur de toutes choses. Cory, Ancient Fragments, pp. 295-514, éd. 1832.
74 Platon, Timée.
75 Suidas : V. Tyrrhenia.
76 Le lecteur comprendra que par "années" on veut dire des "âges" et non simplement des périodes de treize mois lunaires chacune.
77 Voir la traduction grecque, par Phélon Byblius, conservée dans Praep. evang d'Eusèbe.
78 Cory, Ancient Fragments.
Les anciens, qui ne nommaient que quatre éléments, firent de l'aether un cinquième. En raison de ce que son essence était divinisée par la présence invisible, ils le considéraient comme un intermédiaire entre ce monde et le monde suivant. Ils professaient que lorsque les intelligences directrices se retiraient d'une partie quelconque de l'éther, un des quatre règnes qu'ils sont tenus d'administrer, l'espace ainsi abandonné était la proie du mal. Un adepte qui se préparait à entrer en communication avec les "invisibles" devait bien connaître son rituel, et être parfaitement au courant des conditions requises pour le parfait équilibre des quatre éléments dans la lumière astrale. Il devait avant tout purifier son essence, et, équilibrer les éléments, dans le cercle dans lequel il cherchait à attirer les esprits purs, de façon à empêcher l'intrusion des élémentaires dans leurs sphères respectives. Mais malheur au chercheur imprudent qui s'aventure, par ignorance, dans le terrain défendu ; le danger le menacera à chaque pas. Il évoque des puissances dont il n'est pas maître ; il réveille des sentinelles qui ne laissent passer que leurs maîtres. Car pour employer l'expression de l'immortel Rose-croix, "Une fois que tu as résolu de devenir [61] un coopérateur de l'esprit du Dieu vivant, prends garde de ne point Le gêner dans Son œuvre ; car, si ta chaleur dépasse la proportion naturelle, tu provoqueras le courroux des natures humides 79, qui se heurteront contre le feu central, et le feu central contre elles, et il y aura une division terrible dans le chaos 80." L'esprit d'harmonie et d'union se séparera des éléments, troublés par une main imprudente ; et les courants des forces aveugles seront immédiatement infestés par les innombrables créatures de matière et d'instinct, les mauvais démons des théurgistes, les diables de la théologie ; les gnomes, les salamandres, les sylphes et les ondines assailliront le téméraire opérateur, sous les formes aériennes les plus variées. Incapables d'inventer quoi que ce soit, ils fouilleront sa mémoire jusqu'au plus profond ; c'est de là que proviennent l'épuisement nerveux et l'oppression mentale de certaines natures impressionnables dans les cercles spirites. Les élémentals remettront en lumière des souvenirs du passé depuis longtemps oubliés ; les formes, les images, les doux souvenirs, les phrases familières depuis longtemps effacées, mais conservés vivants dans les profondeurs insondables de notre mémoire, ainsi que sur les tablettes astrales de l'immortel LIVRE DE LA VIE."
79 Nous reproduisons le texte de ce Cabaliste qui vivait et publia ses ouvrages au XVIIème siècle. Il est généralement considéré comme un des plus célèbres alchimistes parmi les philosophes Hermétiques.
80 Les plus positifs parmi les philosophes matérialistes sont d'accord pour admettre que tout ce qui existe a été tiré de l'éther ; par conséquent, l'air, l'eau, la terre et le feu, les quatre éléments primordiaux doivent aussi procéder de l'éther et du chaos la première Duade ; tous les impondérables connus ou inconnus viennent de la même source. Si donc il y a dans la matière une essence spirituelle et que cette essence la contraigne à prendre des millions de formes individuelles, pourquoi serait-il illogique d'affirmer que chacun de ces règnes spirituels dans la nature est peuplé d'êtres issus de cette même substance ? La chimie nous apprend que dans le corps de l'homme il y a de l'air, de l'eau, de la terre et de la chaleur ou feu ; l'air est présent par ses composés ; l'eau se trouve dans les sécrétions ; la terre dans ses constituants inorganiques ; et le feu dans la chaleur animale. Le cabaliste sait par expérience que l'esprit élémental n'en possède qu'un, et que chacun des quatre règnes a ses esprits élémentaux particuliers ; l'homme étant au-dessus d'eux, la loi d'évolution trouve son application dans la réunion des quatre éléments en lui.
Dans ce monde toute chose organisée, visible et invisible, a un élément qui lui est approprié. Le poisson vit et respire dans l'eau ; la plante consomme l'acide carbonique qui est mortel pour les animaux et les hommes ; quelques êtres sont faits pour vivre dans les couches raréfiés de l'air, et d'autres n'existent que dans celles où il est le plus dense. Leur vie pour quelques-uns dépend de la lumière du soleil, pour d'autres, de l'obscurité, et c'est ainsi que la sage économie de la nature adapte une forme vivante à chaque condition d'existence. Ces analogies permettent de conclure que, non seulement il n'y a pas de place inoccupée dans la nature universelle, mais aussi que pour chaque chose ayant vie, des conditions [62] spéciales sont fournies, et sont nécessaires dès qu'elles existent. Ainsi, en admettant qu'il y ait un côté invisible dans l'univers, les conditions fixes dans lesquelles agit la nature autorisent à en déduire que cette partie est occupée exactement comme l'autre, et que chaque groupe de ses habitants est pourvu de tous les éléments indispensables d'existence. Il est aussi illogique d'imaginer que des conditions identiques sont fournies à tous indistinctement dans cette moitié de l'univers, que de soutenir cette théorie relativement aux habitants de la partie visible de la nature. Le fait qu'il y a des esprits implique qu'il doit y en avoir une variété ; car les hommes différent, et les esprits ne sont que des êtres humains désincorporés.
Dire que tous les esprits sont pareils ou faits pour vivre dans la même atmosphère, ou investis des mêmes pouvoirs, ou enfin régis par les mêmes attractions, électriques, magnétiques, odiques, astrales ou autres, serait aussi absurde que de prétendre que toutes les planètes sont de même nature, que tous les animaux sont amphibies, ou que tous les hommes peuvent s'accommoder de la même nourriture. Il est, au contraire, parfaitement conforme à la raison que les natures les plus grossières parmi les esprits descendent davantage dans les bas-fonds de l'atmosphère spirituelle, ou en d'autres termes, dans les régions plus voisines de la terre. Par contre les plus pures monteront bien plus haut. Dans ce que nous appellerions la Psychomatique de l'occultisme (si nous avions à créer un mot pour exprimer la chose) il est aussi peu fondé de prétendre que l'une de ces catégories d'esprits peut prendre la place de l'autre ou subsister dans les mêmes conditions que lui, que de s'attendre, en matière d'hydraulique, à ce que deux liquides de densité différente puissent échanger leur marque sur l'échelle de l'hydromètre de Beaumé.
Görres, dans la description qu'il fait d'un entretien qu'il eut avec quelques Hindous de la côte de Malabar, raconte que leur ayant demandé s'il y avait des fantômes parmi eux, ils répondirent : "Oui mais nous savons que ce sont de mauvais esprits... il est rare que les bons se fassent voir. Ce sont surtout les esprits des suicidés et des meurtriers, ou de ceux qui sont morts de mort violente. Ils errent constamment autour de l'humanité, et lui apparaissent sous la forme de fantômes. La nuit leur est favorable, ils séduisent les faibles d'esprit, et tentent les autres, de mille manières différentes 81."
Porphyre nous apprend quelques faits répugnants, dont la vérité est confirmée par l'expérience de tous les adeptes de la [63] magie. "L'âme 82, dit-il, ayant, même après la mort, une certaine affection pour son corps, une affinité proportionnée à la violence avec laquelle leur union a été rompue, nous voyons beaucoup d'esprits errant désespérés autour de leurs dépouilles terrestres ; nous les voyons même cherchant et fouillant avec avidité les restes putrides d'autres corps, mais surtout recherchant le sang fraîchement répandu, qui leur donne momentanément quelques-unes des facultés de la vie 83."
Que les spirites qui doutent des assertions des théurgistes essayent l'effet que produira à leur prochaine séance de matérialisation un demi-litre de sang fraîchement versé.
"Les dieux et les anges, dit Jamblique, nous apparaissent dans la paix et l'harmonie ; les mauvais démons au milieu du désordre et de la confusion... Quant aux âmes ordinaires, nous ne les apercevons que plus rarement 84.
L'âme humaine (le corps astral) est un daemon que notre langage peut nommer génie, dit Apulée 85. C'est un dieu immortel, quoique, dans un sens, elle soit née en même temps que l'homme dans lequel elle se trouve. Par conséquent, on peut dire qu'elle meurt de la même façon qu'elle est née."
81 Görres, Mystique, lib. III, p. 63.
82 Les anciens appelaient âmes les mauvais esprits des hommes ; l'âme était la larve et les lémures. Les bons esprits humains devenaient des dieux
83 Porphyre, Des sacrifices, chap. du Vrai culte.
84 Mystères des Egyptiens.
85 Deuxième siècle. Du Dieu de Socrate. Apul. class., p. 143-145.
L'âme naît dans ce monde, en quittant un autre monde (anima mundi) dans lequel son existence avait précédé celle que nous connaissons tous (celle de la terre). Ainsi les dieux qui examinent sa conduite sous toutes les phases de ses diverses existences et dans son ensemble, la punissent quelquefois ici des fautes commises dans une vie antérieure. Elle meurt lorsqu'elle se sépare d'un corps dans lequel elle a fait la traversée de la vie, comme dans un frêle esquif. Et tel est, si je ne me trompe, le sens secret de l'inscription tumulaire : Aux dieux mânes qui ont vécu, si aisée à comprendre pour l'initié. Mais ce genre de mort n'anéantit point l'âme, elle ne fait que la transformer en lémure. Les lémures sont les mânes ou fantômes que nous connaissons sous le nom de larves. Lorsqu'ils se tiennent éloignés, et qu'ils nous accordent une protection bienfaisante, nous honorons en eux les divinités protectrices du foyer domestique ; mais si leurs crimes les condamnent à une existence errante, nous les désignons sous le nom de larves. Ils deviennent une plaie pour les méchants, et causent aux bons une terreur vaine."
Il serait difficile de taxer d'ambiguïté un pareil langage, et malgré cela, les partisans de la réincarnation citent Apulée à l'appui [64] de leur théorie, que l'homme passe sur cette planète par une succession de naissances physiques humaines, jusqu'à ce qu'il ait enfin réussi à se purger des impuretés de sa nature. Mais Apulée dit très nettement que nous arrivons sur cette terre, en venant d'une autre, dans laquelle nous avons vécu, mais dont nous avons perdu le souvenir. De même que la montre passe d'un atelier à un autre et de main en main dans la fabrique, une partie étant ajoutée ici, et une autre là, jusqu'à ce que la délicate machine soit parfaitement conforme au plan conçu dans l'esprit du maître, avant que l'ouvrage fût commencé, de même, d'après la philosophie ancienne, la première conception divine prend forme au fur et à mesure dans les divers compartiments de l'atelier universel, et l'être humain parfait apparaît finalement sur notre scène.
Cette philosophie enseigne que la nature ne laisse jamais son œuvre inachevée ; si elle échoue la première fois, elle recommence. Lorsqu'elle évolue en embryon humain, son intention est que l'homme devienne parfait physiquement, intellectuellement et spirituellement. Son corps doit croître, s'user et périr ; son mental se développer, mûrir et s'équilibrer harmonieusement ; son esprit divin enfin illuminer et se confondre doucement avec l'homme intérieur. Aucun être humain ne complète son grand cycle ou son "cycle de nécessité" tant que tout n'est point réalisé. De même que les traînards, dans une course, luttent et se fatiguent dans la première partie de la course, tandis que les vainqueurs atteignent le but, de même, dans la course de l'immortalité, quelques âmes dépassent en vitesse toutes les autres et atteignent le but, tandis que des myriades de compétiteurs luttent sous le fardeau de la matière, non loin du point de départ. Quelques infortunés abandonnent et perdent toute chance de gagner le prix, d'autres enfin reviennent sur leurs pas et recommencent. La transmigration et la réincarnation sont ce que les Hindous redoutent par dessus tout ; mais cela seulement dans d'autres planètes inférieures, jamais dans celle-ci 86. Il y a toutefois un moyen de l'éviter, et le Bouddha l'indique dans sa doctrine de pauvreté, la domination restrictive des sens, la parfaite indifférence pour les choses de cette terrestre vallée de larmes, le dégagement de toute passion, et les fréquents rapports avec l'Alma, la contemplation spirituelle. La cause de la réincarnation est l'ignorance de nos sens, et l'idée que, dans ce monde il y ait quelque chose de réel, autre chose qu'une existence abstraite. "L'hallucination", que nous nommons contact, provient des organes des sens ; du contact le désir ; du désir la sensation (qui est aussi une tromperie de notre corps) ; de la sensation l'attachement aux choses existantes ; de cet attachement la reproduction ; et de la reproduction, la maladie, le dépérissement et la mort. [65]
86 [Voir ci-dessous (page 70) la note du traducteur.]
Ainsi comme dans les révolutions d'une roue, les morts et les naissances se succèdent en succession régulière, dont la cause morale est l'attachement aux choses existantes, tandis que la cause instrumentale est le Karma (la puissance qui régit l'univers en lui imprimant l'activité, le mérite et le démérite). L'ardent désir de tous les êtres qui voudraient être débarrassés du souci des naissances successives est donc de trouver le moyen de détruire la cause morale... cet attachement funeste aux choses existantes ou les mauvaises aspirations... Ceux qui ont détruit en eux tous mauvais penchants, sont nommés les rahats. L'affranchissement des mauvais désirs assure la possession d'un pouvoir miraculeux. A sa mort, le rahat ne se réincarne jamais ; il arrive invariablement au Nirvana, expression entre parenthèse mal comprise et faussement interprétée par les chrétiens, aussi bien que par les commentateurs sceptiques. Nirvana est le monde des causes, dans lequel tous les effets trompeurs ou les illusions de nos sens disparaissent. Le Nirvana est la sphère la plus élevée qu'on puisse atteindre. Les pitris (esprits pré-adamiques), sont considérés comme réincarnés par le philosophe Bouddhiste, bien que dans une condition de beaucoup supérieure à celle de l'homme terrestre. Ne meurent-ils pas à leur tour ? Leur corps astral ne souffre-t-il ou ne se réjouit-il pas, et n'éprouve- t-il la même malédiction des sentiments illusoires, que pendant l'incarnation ? 87
Ce que le Bouddha enseignait au VIème siècle avant Jésus-Christ dans l'Inde, Pythagore l'enseignait au Vème siècle en Grèce et en Italie. Gibbon montre combien profondément cette croyance de la transmigration des âmes impressionnait les pharisiens 88.
Le cycle de nécessité Egyptien est gravé d'une manière indélébile sur les monuments de l'antiquité. Et Jésus, lorsqu'il guérissait les malades, employait invariablement l'expression suivante :
"Tes péchés te sont pardonnés". Or cette doctrine est purement Bouddhique. "Les Juifs dirent à l'aveugle : Tu es né complètement dans le péché, et tu veux nous instruire ? La doctrine des disciples [du Christ] est analogue à celle du "Mérite et du Démérite" des Bouddhistes ; car, les malades guérissaient si leurs fautes leur étaient pardonnées" 89. Mais cette existence antérieure, à laquelle croient les sectateurs du Bouddha, n'est pas la vie passée sur cette planète-ci 90car, plus que tout autre peuple, les philosophes Bouddhistes faisaient grand cas de la sublime doctrine des cycles. [66]
87 Eastern monachism, p. 6.
88 The Decline and Fall of the Roman Empire, n. 385.
89 Hardy, Manual of Buddhism ; Dunlap, Vestiges of the Spirit-History of man, p. 306.
90 Voir ci-dessous (page 70) la note du traducteur.
Les spéculations de Dupuis, de Volney et de Godfrey Higgins sur la secrète signification des cycles ou des Kalpas et des yougas des Brahmanes et des Bouddhistes n'ont pas grande portée, puisqu'ils ne possédaient pas la clé de la doctrine spirituelle ésotérique qu'ils renferment. Aucune philosophie n'a jamais envisagé Dieu comme une abstraction, mais toutes L'ont considéré sous Ses diverses manifestations. La "Cause Première" de la Bible des Hébreux, la "Monade" de Pythagore, "l'Existence Une" des philosophes Hindous, et l' "EnSopht" cabalistique, l'Infini, sont identiques. Le Baghavat hindou ne crée pas ; il entre dans l'œuf du monde, et en sort transformé en Brahma, de la même manière que la Duade de Pythagore émane de la plus haute et solitaire Monas 91. La Monade du philosophe de Samos est la Monade hindoue (mental), "qui n'a pas de cause première (apourva) ou cause matérielle et qui n'est pas sujette à périr 92. Brahma, en qualité de Prajâpati, se manifeste tout d'abord sous la forme de "douze corps" ou attributs, qui sont représentés par les douze dieux symbolisant : 1° Le feu ; 2° Le soleil ; 3° Le soma qui donne l'omniscience ; 4° Les être vivants ; 5° Vayou ou l'Ether matériel ; 6° La mort ou le souffle de destruction, Siva ; 7° La terre ; 8° Le ciel ; 9" Agni, le feu immatériel ; 10° Aditya, le soleil immatériel femelle et invisible ; 11° Le Mental ; 12° Le grand cycle infini qui ne peut être arrêté" 93. Après cela, Brahma se dissout dans l'Univers Visible, dont chaque atome est sa substance. Cela fait, la Monade, [67] non manifestée, indivisible et indéfinie se retire dans la majestueuse solitude de son Unité, que rien ne vient troubler. La divinité manifestée, d'abord une duade, devient maintenant une triade ; sa qualité trine donne sans cesse naissance à des puissances spirituelles, qui deviennent des dieux immortels (des âmes). Chacune de ces âmes doit à son tour s'unir à un être humain, et du moment où sa conscience apparaît, elle commence une série de naissances et de morts. Un artiste oriental a essayé de rendre par la peinture cette doctrine cabalistique des cycles. Le tableau couvre tout un mur intérieur d'un temple souterrain, dans une grande pagode Bouddique, et il est vraiment suggestif. Essayons d'en donner un aperçu, tel que nous l'avons vu.
91 Lemprière, dans son Dictionnaire classique, à l'article "Pythagore", dit qu'il y a de grandes raisons pour suspecter la vérité de tout le récit du voyage de Pythagore dans l'Inde, et il en conclut que ce philosophe n'a jamais vu ni les Gymnosophes ni leur pays. S'il en était ainsi, comment expliquer ce fait que la doctrine de la métempsycose de Pythagore ressemble bien davantage à celle des Hindous qu'à celle des Egyptiens ? Mais, surtout, quelle explication fournir du fait que le nom de MONADE donné par lui à la Cause Première est identique à la désignation en sanscrit de cet Etre suprême. En 1788 lorsque Lemprière fit paraître son dictionnaire, le sanscrit était, dirait-on, complètement inconnu et ignoré ; la traduction de l'Aitareya Brahmana (RigVedas) par le Dr Haug, dans laquelle se trouve ce mot, a été publiée il y a une quinzaine d'années environ, et, jusqu'à ce que cette précieuse addition au trésor de la littérature des âges archaïques fut complète, et que l'âge précis de l'Aitareya, fixé maintenant par Haug à 200 ou 400 ans avant Jésus-Christ, cessât d'être un mystère, on a pu supposer comme pour les symboles chrétiens, que les hindous l'avaient emprunté à Pythagore. Mais aujourd'hui, à moins que la philologie ne puisse trouver que c'est une coïncidence, et que le mot monade n'est pas le même dans ses définitions les plus minutieuses, nous avons le droit d'affirmer que Pythagore a été dans l'Inde, et que c'est auprès des Gymnosophes qu'il fut instruit dans sa théologie métaphysique. Le fait seul que "le sanscrit comparé au grec et au latin est considéré comme la sœur aînée de ces langues, ainsi que le démontre Max Müller, n'est pas suffisant pour expliquer l'identité du mot monade dans le sanscrit et le grec, [MANAS et] MONAS dans son sens le plus métaphysique et le plus abstrait. Le mot sanscrit Deva est devenu le mot latin Deus et indique une source commune, mais nous voyons le même mot prendre dans le Zend Avesta un sens opposé, daeva, esprit mauvais, d'où vient le mot anglais devil [diable].
92 Haug, Aitareya Brahmanam.
93 Ibidem.
Imaginez-vous un point dans l'espace, représentant le point primordial ; tracez ensuite avec le compas un cercle autour de ce point ; à l'endroit où le commencement et la fin s'unissent, l'émanation et la réabsorption se rencontrent. Le cercle lui-même est composé d'une multitude innombrable de cercles plus petits, comme les anneaux d'un bracelet, et chacun de ces anneaux moindres forme la ceinture de la déesse que représente cette sphère. Là où la courbe de l'arc approche du point extrême du demi-cercle, le nadir du grand cycle, où le peintre mystique a placé notre planète, la face de chaque déesse successive devient plus sombre et plus hideuse que ne le saurait concevoir une imagination européenne. Chaque ceinture est couverte de représentations de plantes, d'animaux, et d'êtres humains, appartenant à la flore, à la faune et à l'anthropologie de cette sphère particulière. Une certaine distance a été laissée exprès, entre chaque sphère ; car après l'accomplissement des cycles, à travers les diverses transmigrations, il est accordé à l'âme un temps de Nirvana temporaire. durant lequel l'atman perd tout souvenir des peines passées. L'espace éthéré intermédiaire est rempli d'êtres étranges ; ceux qui se trouvent entre l'éther le plus élevé et la terre au-dessous sont des créatures de la "nature moyenne", des esprits de la nature ou, comme les cabalistes les nomment, des élémentals.
Cette peinture est, ou bien une copie d'un tableau, dont la description a été transmise, à la postérité par Berose, le prêtre du temple de Belus à Babylone, ou bien alors l'original. Nous laissons à la pénétration des archéologues modernes le soin d'élucider cette question. Mais la muraille est précisément couverte de créatures analogues décrites par le semi- démon ou demi-dieu Oannes, l'homme poisson 94des Chaldéens..., être hideux produits par un double principe, la lumière astrale, et la matière la plus grossière. [68]
94 Bérose : Fragment conservé par Alex. Polyhistor ; Cory, Anc. Fragm., 1852, p. 24.
Les antiquaires ont, jusqu'aujourd'hui, beaucoup négligé même les reliques architecturales des races primitives. Les Cavernes d'Ajanta qui se trouvent à 200 milles seulement de Bombay, dans la chaîne des Monts Chandor, et les ruines de l'ancienne cité d'Aurangabad, dont les palais écroulés et les curieux tombeaux gisent dans ces solitudes désolées depuis bien des siècles, n'ont attiré l'attention que depuis fort peu de temps. Souvenirs d'une antique civilisation depuis longtemps disparue, ils étaient devenus l'abri des bêtes féroces, des siècles avant qu'on les ait jugés dignes d'une exploration scientifique, et ce n'est que tout récemment que The Observer donnait une description enthousiaste de ces ancêtres archaïques d'Herculanum et de Pompéi.
Après avoir blâmé avec raison le gouvernement local, qui a fourni tout simplement un bungalow où le voyageur trouve un abri, mais rien de plus, il raconte dans le passage suivant les merveilles que l'on peut voir dans cet endroit retiré.
"Dans une gorge profonde tout en haut dans la montagne se trouve un groupe de temples souterrains, qui sont les cavernes les plus curieuses qu'il y ait sur la terre. On ne sait pas encore aujourd'hui combien de ces cavernes existent dans les profonds replis de ces montagnes ; mais on en a exploré, mesuré et, dans une certaine mesure, déblayé et nettoyé vingt-sept. Il y en a, sans doute, beaucoup d'autres. Il serait difficile de se faire une idée du travail infatigable qu'il a fallu pour creuser ces cavernes dans le solide roc amygdaloïde. On assure qu'à l'origine elles étaient toutes bouddhiques et qu'elles étaient destinées aux pratiques de culte et d'ascétisme. On les considère comme des œuvres d'art de haute valeur. Elles s'étendent à plus de cinq cents pieds dans l'intérieur d'une falaise élevée, et les parois en sont sculptées de la façon la plus curieuse, faisant honneur au talent, au bon goût et à la persévérance des sculptures hindous.
Ces temples souterrains sont admirablement ornés de sculptures à l'extérieur ; niais intérieurement le travail est plus fini, plus soigné, et décoré avec une profusion de peintures et de sculptures. Ces sanctuaires longtemps désertés ont souffert de l'humidité et de l'abandon et les peintures et les fresques ne sont plus ce qu'elles étaient il y a quelques centaines d'années, mais les couleurs sont encore vives et éclatantes, et les scènes représentées, gaies et animées, se distinguent sur les murs. On croit que quelques-unes des figures sculptées sur les murs représentent un cortège nuptial, et d'autres scènes de la vie domestique de nature joyeuse. Les femmes sont belles, délicates et blondes comme les Européennes. Toutes ces reproductions sont éminemment artistiques, et l'on n'y voit nulle part les grossières obscénités si communes dans les œuvres Brahmaniques du même genre. [69]
Ces cavernes ont été visitées par un grand nombre d'antiquaires, qui ont cherché à déchiffrer les hiéroglyphes inscrits sur les murailles, et à déterminer l'âge exact de ces étranges temples.
Les ruines de l'ancienne cité d'Aurengabad n'en sont pas très éloignées. C'était une ville fortifiée de grand renom, mais elle est maintenant entièrement déserte. Non seulement ses murailles sont écroulées mais ses palais le sont aussi. Les constructions étaient pourtant d'une solidité extrême et les murs paraissaient aussi solides que les éternelles collines.
On trouve dans les environs beaucoup de vestiges hindous, consistant principalement en grottes profondes et en temples taillés dans le roc. Un grand nombre de ces sanctuaires sont entourés d'un mur circulaire souvent orné de statues et de colonnes. L'image de l'éléphant y est très commune, placée devant ou près de l'entrée du temple, comme une sentinelle. Des centaines et des milliers de niches sont admirablement taillées à même dans le roc, et lorsque ces lieux sacrés étaient remplis de fidèles, chaque niche avait sa statue, dans le style fleuri des sculptures orientales. Il est triste de constater que presque toutes les statues que l'on y voit encore ont été honteusement défigurées et mutilées. On a prétendu que les Hindous ne s'inclinent pas devant une image imparfaite, et que les Musulmans, sachant cela, ont volontairement mutilé toutes ces images, afin d'empêcher les Hindous de les adorer. Les Hindous considèrent ce procédé comme sacrilège et impie et il réveille en eux la haine la plus ardente qu'ils héritent de leurs pères et que les siècles n'ont pas encore réussi à effacer.
On voit aussi ici les restes de villes ensevelies, ruines mélancoliques, sans un seul habitant. Dans les grands palais où la royauté autrefois tenait sa cour et donnait ses fêtes, habitent maintenant les bêtes féroces. La voie du chemin de fer a en maints endroits été construite à travers ces ruines, et leurs matériaux ont servi au ballast... Des blocs énormes de pierre sont restés en place depuis des milliers d'années et y seront probablement encore pendant des siècles à venir. Ces temples, taillés dans le roc, et ces statues mutilées prouvent une habileté artisanale et un talent que les Hindous d'aujourd'hui ne peuvent égaler 95. Il est évident qu'il y a quelques siècles ces collines étaient animées par la présence de multitudes, qui se pressaient là où règne aujourd'hui la désolation, sans culture et sans habitants, domaine exclusif des bêtes féroces. [70]
95 Un écrivain, en parlant de la majesté des monuments archaïques hindous, et du travail exquis de leurs sculptures, s'est servi d'une expression fort heureuse : "Ils construisent, dit-il, comme des géants et fignolent comme des orfèvres."
Ce sont aujourd'hui des terrains giboyeux, et comme les Anglais sont de fervents chasseurs, ils préfèrent sans doute laisser ces montagnes et ces ruines dans leur état actuel sans y rien changer".
Nous espérons qu'ils y réussiront. Assez d'actes de vandalisme ont été commis au début, pour nous permettre d'espérer qu'à notre époque d'exploration et de science, l'archéologie et la philologie ne seront pas privées de ces souvenirs inappréciables du passé, écrits sur d'impérissables tablettes de pierre et de granit.
Mettons maintenant devant nos lecteurs quelques fragments de cette doctrine mystérieuse de la réincarnation, si distincte de la métempsycose, que nous tenons d'une autorité en la matière. La réincarnation, c'est-à-dire, l'apparition du même individu, ou plutôt de sa monade astrale deux fois sur la même planète n'est point de règle dans la nature ; c'est une exception, comme le phénomène tératologique d'un enfant à deux têtes. Elle est précédée d'une violation des lois de l'harmonie de la nature, et elle n'arrive que lorsque celle-ci, cherchant à rétablir son équilibre rompu, rejette violemment dans la vie terrestre la monade astrale, qui a été lancée hors du cercle de nécessité, par un crime ou un accident. Ainsi, en cas d'avortement et d'enfants morts avant un certain âge, et dans ceux d'idiotisme constitutionnel et incurable, le dessein originaire de la nature de produire un être humain parfait a été interrompu. C'est pourquoi tandis que la matière grossière de chacune de ces diverses entités se désagrège dans la mort, et se perd dans le vaste domaine de l'être, l'esprit immortel et la monade astrale de l'individu, cette dernière mise en réserve pour animer un autre corps, et l'esprit pour projeter sa divine lumière sur l'organisation corporelle, devront essayer une seconde fois de réaliser le but de l'intelligence créatrice.
Si la raison a été développée au point d'être devenue active et pleine de discernement, il n'y a pas de réincarnation sur cette terre car les trois parties de l'homme trinitaire sont réunies et il peut dès lors parcourir sa carrière. Mais lorsque le nouvel être n'a pas dépassé la condition de monade, ou bien lorsque, comme dans le cas d'un idiot, la trinité n'a pas été complétée, l'étincelle immortelle qui l'illumine doit rentrer dans le plan terrestre parce qu'elle a échoué dans sa première tentative 96. S'il en était autrement, [71] les âmes mortelle ou astrale, et immortelle ou divine ne pourraient pas progresser à l'unisson, et s'élever à une sphère supérieure. L'esprit suit une ligne parallèle à celle de la matière ; et l'évolution spirituelle s'opère conjointement et simultanément avec l'évolution physique. Comme l'indique l'exemple cité par le professeur Le Conte (chap. IX), "il n'y a pas de force dans la nature qui puisse élever d'un seul coup [l'esprit ou] la matière"(car la règle s'applique à l'évolution spirituelle aussi bien qu'à la physique), du numéro 1 au numéro 3 ou du numéro 2 au numéro 4, sans s'arrêter, et recevoir un surcroît de force d'une nature différente dans le plan intermédiaire 97". Cela revient à dire que la monade qui a été emprisonnée dans un être élémentaire – la forme astrale rudimentaire la plus inférieure de l'homme futur –après avoir passé par la forme physique la plus élevée d'un animal muet, comme l'orang-outang, ou l'éléphant, les animaux les plus intelligents, par exemple – cette monade, dis-je, ne peut franchir d'un bond la sphère physique et intellectuelle de l'homme terrestre, et être immédiatement introduite dans la sphère spirituelle supérieure. Quelle récompense ou quel châtiment pourrait-il y avoir, dans ce domaine des entités humaines désincarnées, pour un fœtus [72] ou un embryon humain qui n'a pas même eu le temps de respirer sur la terre, et encore moins d'exercer les facultés divines de l'esprit ? Ou bien, quel traitement pourrait-on y réserver à un enfant irresponsable, dont la monade insensible est restée dormante dans l'enveloppe astrale et physique, à un degré tel, qu'elle ne l'aurait pas même empêché de périr ou de faire périr une autre personne dans les flammes. Ou bien encore quelle serait la destinée d'un idiot de naissance, dont le nombre de circonvolutions cérébrales n'est guère que de trente pour cent de celui des personnes saines d'esprit 98, et qui, par conséquent, n'est pas responsable de ses dispositions, de ses actes, et des imperfections de son intellect à demi développé et vagabond ?
96 Note du Traducteur :
Dans une longue note ajoutée à un article de J.H. Mitalmier "Chant funèbre pour les morts" publié dans Lucifer, février 1889, H.P. Blavatsky commente les deux paragraphes précédant cette note en ces termes :
"Depuis 1882, quand l'erreur fut découverte dans Isis Dévoilée, on a dit et redit dans le Theosophist, que le mot "planète" était une faute et qu'il fallait lire "cycle", c'est-à-dire le cycle de "repos dévachanique". Cette faute, due à l'un des éditeurs littéraires – l'auteur étant il y a 12 ans très malhabile en anglais, et les éditeurs étant encore plus ignorants du Bouddhisme et de l'Hindouisme – a créé une grande confusion et suscité des accusations sans nombre de contradictions entre les déclarations d'Isis et les enseignements théosophiques plus tardifs. Le paragraphe en question voulait écarter la théorie des réiacarnationnistes français qui enseignait la réincarnation de la même personnalité, souvent quelques jours après la mort, si bien qu'un grand-père pouvait renaître comme sa petite fille. C'est pourquoi l'idée était combattue et l'on disait que ni Bouddha ni aucun philosophe Hindou n'avait enseigné la réincarnation dans le même cycle ou de la même personnalité, mais de l' "homme tri-un", qui lorsqu'il était convenablement uni pouvait "faire la course" jusqu'à l'état de perfection. Une erreur identique et plus grave se trouve aux pages (64-65, notes 86 et 90). Car dans la première on dit que les Hindous redoutent la réincarnation seulement sur les planètes autres et inférieures "au lieu de – ce qui est le cas –" dans des corps autres et inférieurs d'animaux, ou transmigration, alors que page (65) l'erreur de mettre "planète" au lieu de "cycle" et "personnalité", montre que l'auteur (bouddhiste déclarée) parle comme si Bouddha n'avait jamais enseigné la doctrine de la réincarnation !. On devrait lire la phrase ainsi : "La vie précédente à laquelle croient les bouddhistes n'est pas une vie dans le même cycle et la même personnalité", car nul n'apprécie plus qu'eux "la grande doctrine des cycles". Cependant, telle qu'elle est, c'est-à-dire que "cette vie antérieure à laquelle croient les bouddhistes n'est pas une vie sur cette planète", cette phrase étant précédée par cette autre : "Ainsi, comme les révolutions d'une roue, il y a une succession régulière de la mort et de la naissance", etc. – l'ensemble apparaît comme les divagations d'un fou et un ramassis de propos contradictoires. Si on demande pourquoi on a laissé l'erreur au cours de dix éditions, nous répondrons que "(a) l'attention de l'auteur n'a été attirée sur elle qu'en 1882 et (b) que la soussignée n'avait pas le pouvoir de la modifier sur les planches stéréotypées, qui étaient non sa propriété mais celle de l'éditeur américain. L'ouvrage a été écrit dans des circonstances exceptionnelles, et sans aucun doute on peut découvrir plus d'une grosse erreur dans Isis Dévoilée". H.-P. B. précise aussi, comme elle l'avait fait ailleurs, que le mot "immédiate" devait être ajouté et que la phrase de la page (70) d'Isis était"...il n'y a pas de réincarnation immédiate sur cette terre..."
97 ["Corrélation of Vital, etc.", p. 158.]
98 Mich. V.G. Malacarne, Anatomia Cerebrale, Milan.
Il semble inutile de dire que, fût-elle même hypothétique, cette théorie n'est pas plus ridicule que tant d'autres considérées comme strictement orthodoxes. N'oublions pas que, soit par suite de l'inaptitude des spécialistes, soit pour toute autre raison, la physiologie elle-même est la moins avancée ou la moins comprise des sciences, et que quelques médecins Français, d'accord avec le Dr Fournié, désespèrent de jamais pouvoir aller au delà des pures hypothèses.
De plus, la même doctrine occulte reconnaît une autre possibilité ; mais si rare et si vague, que réellement ce n'est pas la peine d'en faire mention. Même les occultistes occidentaux modernes la nient, quoiqu'elle soit universellement acceptée en Orient. Lorsque, par suite de ses vices, de ses crimes et de ses passions animales, un esprit désincarné tombe dans la huitième sphère – le Hadès allégorique, la Gehenne de la Bible – la sphère la plus voisine de notre terre – il peut, avec le concours de la lueur de raison et de conscience qui lui est restée, en exerçant le reste de sa puissance de volonté, s'efforcer de s'élever, et, comme l'homme qui se noie, remonter encore une fois à la surface. Dans les Chaldean Oracles de Zoroastre nous en trouvons un qui dit comme avertissement à l'humanité
"Ne regarde pas en bas, car au-dessous de la terre il existe un précipice qui attire par une descente de SEPT degrés, sous lesquels est le trône de la destinée inévitable 99".
99 Psellus, 6, Pletho, 2 ; Cory, Anc. Fragm., 1832, p. 270.
Une ardente aspiration pour s'affranchir de ses maux, un désir énergique le ramèneront une fois de plus dans l'atmosphère de la terre. Il y errera et souffrira plus ou moins dans une douloureuse solitude. Ses instincts le pousseront à rechercher avidement le contact des êtres vivants... Ces esprits sont les vampires magnétiques invisibles mais trop tangibles ; les démons subjectifs, [73] si bien connus des extatiques du moyen âge, nonnes ou moines, des "sorcières" rendues célèbres par le Witches Hammer 100 ; et, suivant leurs propres aveux de clairvoyants sensitifs. Ce sont les démons de sang de Porphyre, les larves et les lémures des anciens ; les diaboliques instruments qui ont envoyé tant d'infortunées et faibles victimes à l'échafaud et au bûcher. Origène affirme que tous les daemons, dont étaient possédés les démoniaques, mentionnés dans le Nouveau Testament, étaient des "esprits" humains. C'est parce que Moïse savait si bien ce qu'ils étaient, et combien terribles les conséquences pour les personnes faibles soumises à leur influence qu'il avait édicté cette loi cruelle et sanguinaire contre les prétendues "sorcières" ; mais jésus, plein de justice et d'amour divin pour l'humanité, les guérissait au lieu de les faire périr. Plus tard, notre clergé, prétendant être les modèles des principes chrétiens, suivit la loi de Moïse, et méconnut sans scrupules la loi de Celui qu'il nomme "le Dieu Vivant", en faisant brûler des douzaines de milliers de ces prétendues "sorcières".
100 [Malleus maleficarum, Jacob Sprenger, 1487, etc.]
Sorcière ! Nom puissant et terrible, qui assurait dans le passé, à celles à qui on le donnait, une mort ignominieuse ; et qui n'a qu'à être prononcé aujourd'hui, pour provoquer une explosion de ridicule, une avalanche de sarcasmes ! Comment se fait-il qu'il y ait toujours eu des hommes d'intelligence et de savoir, qui n'ont pas jugé contraire à leur réputation de savants ou à leur dignité d'affirmer la possibilité de l'existence des "sorcières" dans la véritable acception du mot. Un de ces intrépides champions était Henry More, le savant professeur de Cambridge, au XVIIème siècle. Cela vaut la peine d'examiner l'habileté avec laquelle il traitait la question.
Il paraît que, vers l'année 1677, un certain ecclésiastique nommé John Webster écrivit un livre intitulé The Saints Guide. Displaying of supposed mitchcraft etc... contre l'existence des sorcières et autres "superstitions". Jugeant cet ouvrage "faible et mal à propos", le Dr More en fit la critique dans une lettre adressé à Glanvil, auteur du Sadducismus Triomphatus et, en guise d'appendice, il y joignit un traité sur la sorcellerie avec des explications sur le mot "sorcier" lui-même. Ce document est fort rare, mais nous le possédons, en fragments, dans un vieux manuscrit, et nous ne l'avons vu mentionner ailleurs que dans un ouvrage insignifiant sur les Apparitions 101 publié en 1820, car il paraît que le document lui-même est épuisé depuis fort longtemps.
Les termes witch (sorcière) et wizard (magicien) d'après le Dr More ne signifient rien de plus qu'un homme ou une femme [74] savants. On s'en rend compte à première vue avec le mot wizard (magicien), c'est la déduction la plus simple et la moins laborieuse du terme witch (sorcière), qui est dérivé de toit (esprit) dont le qualificatif serait wittigh, ou wittich, qui se contracte par l'usage en witch ; de même que le substantif wit est dérivé du verbe to weet, savoir. De sorte qu'une witch (sorcière) n'est, en somme, rien de plus qu'une femme savante ; ce qui correspond parfaitement au mot latin saga, suivant l'expression de Festus, sagæ dictæ anus quæ multa sciunt 102.
Cette définition du mot nous semble d'autant plus plausible, qu'elle correspond parfaitement avec la signification des termes russo-slaves pour les sorcières et les magiciens. On appelle celles-là vyédma, et ceux-ci vyédmak, ces deux termes étant dérivés du verbe savoir, védat ou vyedât ; la racine, elle-même, vient sans aucun doute du sanscrit. "Veda y, dit Max Müller, dans sa Lecture on the Vedas, signifie savoir, ou connaissance... Veda est le même mot qui, en grec, est οὶδα ; je sais [omission faite du digamme vau] ; en anglais c'est wise, sage, wisdom, sagesse, to wit, savoir 103. De plus, le terme sanscrit vidma correspond à l'allemand wir wissen, nous savons. Il est fort regrettable que l'éminent philologue, tout en ayant donné les racines comparées de ce mot en sanscrit, grec, gothique, anglo-saxon et allemand, ait négligé le slavon.
Une autre désignation russe pour sorcière et magicien, est znâhâr et znâhârka (féminin) celui que nous donnons ci-dessus étant purement slavon ; ces termes sont dérivés du même verbe znât, savoir. Par conséquent la définition donnée par le Dr More en 1681 est parfaitement correcte, et correspond point pour point avec la philologie moderne.
"L'usage, dit-il, a incontestablement approprié le nom à la chose, et dans ce cas il s'applique à ce genre d'habileté et de savoir qui sort des routes battues. Et cette particularité n'impliquait aucune idée d'illégalité. Plus tard on y mit une autre restriction... ce qui fait qu'aujourd'hui... on donne aux termes witch sorcière, et wizard, magicien, cette unique interprétation et qu'on l'emploie pour désigner ceux qui font ou disent les choses d'une manière extraordinaire par suite de leur association ou d'un pacte exprès ou supposé avec mauvais esprits 104". Dans la clause de la loi sévère de Moise, il est donné tant de noms divers pour désigner une witch (ou sorcière), qu'il serait aussi difficile qu'inutile d'en donner la définition, telle qu'on la trouve dans le remarquable [75] traité du Dr More. "On ne devra point trouver parmi vous des gens... qui se livrent à la divination, qui observent les astres, ni enchanteur, ni sorcier, ni charmeur, ni homme consultant les esprits familiers, ni nécromanciens", dit le texte 105. Nous ferons voir plus loin le but réel de cette sévérité. Pour le moment, nous nous contenterons de constater que le Dr More, après avoir donné une très docte définition de chacune de ces dénominations, et fait ressortir leur signification réelle du temps de Moïse, prouve qu'il y a une très grande différence entre les charmeurs, les gens qui consultent les astres, et les sorciers. "Cette loi prohibitive de Moïse donne tant de termes pour ce délit, à seule fin, comme c'est le cas pour notre propre code de lois, de rendre le sens plus clair, et ne donner lieu à aucune équivoque. [Ce nom de witch (sorcière)] ne doit pas s'appliquer aux escamoteurs et ceux qui font des tours sur la place publique, mais il doit être réservé à ceux qui évoquent (les spectres par la magie afin de tromper les hommes ; ceux-là sont bien les sorciers, hommes et femmes possédés d'un mauvais esprit ! Cela ressort d'Exode XXII, 18. "Tu ne souffriras point que vive מכשפה mecassephah, c'est-à-dire une sorcière. Cette loi serait d'une sévérité extrême, voire même cruelle, envers les pauvres diables de prestidigitateurs, qui exécutent des tours de passe-passe". 106
101 [A. Calmet, Dissertations sur les apparitions, etc. Paris, 1746, 1759.]
102 [Sadducismas triumphatus, p 20 (lettre de More à Glanvill).]
103 Chips from a German Workshop, I, 8.
104 [Glanvill, op. cit., p. 21.]
105 [Deut., XVIII, 10-11.]
Ainsi ce ne sont que ceux de la sixième classe, ceux qui consultent les esprits familiers ou sorciers qui s'exposent aux pires peines de la loi de Moise, car seuls les sorciers devaient être mis à mort, tandis que tous les autres ne sont mentionnés qu'afin que les enfants d'Israël n'aient aucune communication avec eux, à cause, principalement, de leur idolâtrie ou plutôt de leurs convictions religieuses et de leur savoir. Cette sixième catégorie est le אוב שאל Shoel Aub, qu'on traduit par "celui qui consulte les esprits familiers" ; mais la septuaginte le traduit par Εγγαστριµυθος, celui qui a un esprit familier en lui, celui qui est possédé de l'esprit de divination, que les Grecs nommaient Python, et les Hébreux obh, l'antique serpent ; sa signification ésotérique est l'esprit de concupiscence et de la matière ; ce qui, suivant les cabalistes, est toujours un esprit élémental humain de la huitième sphère.
"Je crois, dit Henry More, que Shoel obh doit se dire de la sorcière qui demande conseil à son esprit familier... La raison du terme obh... vient de ce que l'esprit était dans le corps de la personne, et l'enflait au point d'y créer une protubérance, "la voix paraissant toujours sortir d'une bouteille, raison pour laquelle on leur donnait le nom de ventriloques. Ob signifie la même chose [76] que Pytho, qui reçut son nom de pythii vates, l'esprit qui dit les choses cachées, ou qui prédit l'avenir. Dans les Actes, XVI, 16, πνευµα πὺδωνος, lorsque saint Paul en étant fatigué se retourna et dit à l'esprit : "Je te commande, au nom de Jésus, de sortir de cette fille" et il sortit à l'heure même". Par conséquent les mots obsédés et possédés sont synonymes du mot witch, sorcière ; car cet esprit de Python de la huitième sphère n'aurait pas pu sortir d'elle, s'il n'avait été un esprit distinct d'elle- même. C'est ainsi que nous lisons dans la Levitique, XX, 27 : "Si un homme ou une femme évoque les esprits ou se livre à la divination [un yiddeoni irresponsable] ils seront punis de mort ; on les lapidera ; leur sang retombera sur eux.
Loi cruelle et injuste assurément, qui contredit d'une façon formelle l'assertion récente faite par les esprits par l'entremise d'un des médiums les mieux inspirés d'aujourd'hui, que les recherches philologiques démontrent que la loi de Moise n'a jamais voulu faire périr les pauvres médiums ou les sorciers 107 de l'Ancien Testament, mais que les mots : "vous ne souffrirez pas qu'une sorcière vive au milieu de vous", signifiaient que l'on ne devait pas souffrir qu'elle vécut de sa médiumnité, qu'elle en fût un moyen de gagner sa vie. Cette interprétation n'est pas moins ingénieuse que nouvelle. Sans cette inspiration, nous n'aurions, certes, pas atteint une si grande profondeur philologique ! 108
106 [Sadduc.triumph., pp. 25-26.]
"Fermez la porte au nez du démon, dit la Cabale, et il s'enfuira loin de vous comme si vous le poursuiviez", ce qui veut dire qu'on ne doit pas donner prise aux esprits obsesseurs en les attirant dans une atmosphère de péché de même nature.
Ces démons cherchent à s'introduire dans le corps des simples d'esprit et des idiots, et ils y restent jusqu'à ce qu'ils en soient chassés par une volonté puissante et pure. Jésus, Appolonius et quelques-uns des apôtres avaient le pouvoir de chasser [77] les diables en purifiant l'atmosphère au dedans et au dehors du patient, et de forcer, par ce moyen, l'hôte indésirable à se retirer. Certains sels volatils leur sont particulièrement désagréables, et l'effet de certaines substances chimiques versées dans une soucoupe placée sous son lit par M. Varley de Londres 109, dans le but de tenir à distance quelques phénomènes physiques nocturnes désagréables, confirme cette grande vérité. Les esprits humains purs ou simplement inoffensifs ne redoutent rien, car s'étant débarrassés de la matière terrestre, les composés matériels ne les affectent pas ; de tels esprits sont comme un souffle. Mais ce n'est pas le cas pour les âmes attachées à la terre et les esprits de la nature.
107 [Ibid., pp. 27-29.]
108 Afin d'éviter d'être contredit par les spirites, nous donnons textuellement cette version, comme un spécimen du peu de foi qu'il faut ajouter aux oracles formulés de la sorte par certains "esprits". Qu'ils soient humains ou élémentals, les esprits capables de pareilles impertinences ne doivent être considérés par les occultistes comme rien moins que des guides sûrs en philosophie, en sciences exactes, ou en morale. "Rappelons-nous, dit Mme Cora V. Tappan dans un discours public sur "l'Histoire de l'Occultisme et ses relations avec le Spiritisme" (voir Banner of Light, 26 août 1876), que l'ancien mot : sorcellerie ou l'exercice de cet art était interdit chez les Hébreux. La traduction dit que l'on ne doit pas permettre aux sorciers de vivre. Cette interprétation que l'on a crue littérale a été cause de ce que nos très pieux et très dévots ancêtres ont mis à mort, sans preuves suffisantes, une infinité de personnes très intelligentes, sages et sincères, sous l'inculpation de sorcellerie. Or il est maintenant prouvé que l'interprétation ou la traduction de ce texte doit être qu'il ne faut permettre à aucune sorcière de faire de la pratique de leur art un moyen d'existence, c'est-à-dire d'en faire une profession." Nous serait-il permis maintenant de demander au fameux orateur par qui et sur quelle autorité une pareille chose a-t-elle été prouvée ?
109 M. Cromwell F. Varley, l'électricien bien connu de la Compagnie du Câble Transatlantique, communique le résultat de ses observations au cours d'une discussion à la Société psychologique de Grande-Bretagne rapportée dans le Spiritualist de Londres du 14 avril 1876. Il pense que l'effet de l'acide nitrique libre dans l'atmosphère était d'éloigner ce qu'il nomme les "esprits déplaisants". Il croit que ceux qui sont inquiétés chez eux par les esprits de cette nature, se trouveront bien de verser dans une soucoupe une once de vitriol sur deux onces de sel de nitre pulvérisé et de placer ce mélange sous leur lit. Voilà un savant dont la réputation est bien connue dans les deux continents, qui donne une recette pour éloigner les mauvais esprits. Et pourtant le public en général se moque, comme d'une "superstition", des herbes et encens employés par les Hindous, les Chinois, les Africains et autres races pour arriver au même résultat
Est-ce pour ces larves charnelles, terrestres, esprits humains dégradés, que les anciens cabalistes nourrissaient l'espoir de la réincarnation. Mais alors quand et comment ? A l'heure convenable, aidés par un sincère désir d'amendement et de repentir, inspiré par une personne puissante et sympathique, ou par la volonté d'un adepte, ou même tout simplement par un désir de l'esprit fautif lui-même, il peut atteindre ce résultat, pourvu que ce désir soit, chez lui, assez énergique pour lui faire secouer le fardeau de la matière pécheresse. Perdant alors toute conscience, la monade, jadis brillante, est reprise par le tourbillon de notre évolution terrestre, et elle traverse de nouveaux règnes inférieurs, pour respirer une fois de plus dans le corps d'un enfant. Il serait impossible de fixer le temps nécessaire pour accomplir ce processus. Puisque la notion du temps n'existe pas pour l'éternité, ce serait une perte de temps que d'essayer d'en faire le calcul.
Ainsi que nous l'avons dit, fort peu de cabalistes croient à cette doctrine enseignée à l'origine par certains astrologues. En recherchant les horoscopes de certains personnages historiques renommés pour quelques dispositions spéciales, ils trouvèrent que la conjonction des planètes correspondait parfaitement avec les oracles et les prophéties remarquables au sujet de personnes nées plusieurs siècles plus tard. L'observation et ce que l'on pourrait nommer de "singulières coïncidences", ajoutées à la révélation [78] obtenue durant le "sommeil sacré" du néophyte, firent découvrir la redoutable vérité. La pensée en est si horrible que même ceux qui auraient dû être convaincus, préfèrent l'ignorer, ou tout au moins ils évitent soigneusement d'aborder ce sujet.
Cette façon d'obtenir des oracles était pratiquée dès la plus haute antiquité. Dans l'Inde, cette sublime léthargie est appelée "le sommeil sacré de***". C'est un état d'oubli dans lequel le sujet est plongé par certains procédés magiques, secondés par le breuvage du suc du soma. Le corps du dormeur reste pendant plusieurs jours dans un état pareil à la mort, et, par la puissance de l'adepte, il est purifié de ses souillures terrestres ; il est ainsi préparé pour devenir le réceptacle temporaire de la splendeur de l'Augoeides immortel. Dans cet état, le corps engourdi reflète la gloire des sphères supérieures, comme un miroir poli reflète les rayons du soleil. Le dormeur n'a pas conscience du temps qui s'écoule, et, à son réveil, après quatre ou cinq jours de transe, il s'imagine n'avoir dormi que quelques instants. Ce que ses lèvres ont proféré, il ne le saura jamais ; mais comme c'est l'esprit qui les meut, elles n'ont pu prononcer que la vérité divine. Pendant un laps de temps cette pauvre enveloppe charnelle impuissante, sera devenue le tabernacle de la présence sacrée, et il est transformé en oracle mille fois plus infaillible que la pythonisse asphyxiée de Delphes ; son sommeil sacré, qui n'est pas comparable à l'espèce de folie que celles-ci exhibaient en présence de la foule, n'a pour témoins, dans l'enceinte du sanctuaire, que quelques adeptes, dignes eux-mêmes de se tenir en présence de l'ADONAI.
La description que fait Isaïe de la purification nécessaire pour qu'un prophète devienne digne d'être le porte-voix du ciel, s'applique au cas qui nous occupe. Il dit en employant la métaphore familière : "Mais l'un des séraphins vola vers moi, tenant à la main un charbon ardent pris sur l'autel avec des pincettes. Il en toucha ma bouche et dit : Ceci a touché tes lèvres ; ton iniquité est enlevée et ton péché est expié" (Isaïe VI, 6, 7).
L'invocation de son propre Augoeides, par l'adepte purifié, est traduite en termes d'une beauté sans égale par Bulwer Lytton dans Zanoni 110 et il nous y donne à entendre que le moindre élan de passion mortelle rend l'hiérophante impropre à la communion avec son âme immuable. Non seulement il y en a peu qui puissent accomplir cette cérémonie avec succès, mais encore ces rares individus n'y ont que rarement recours, pour l'instruction d'un néophyte et pour obtenir une connaissance de la plus haute importance.
110 [Livre IV, ch. IX.]
Cependant, le public en général n'apprécie ni ne comprend la science précieusement gardée par ces hiérophantes ! "Il existe [79] une autre collection d'écrits et de traditions sous le titre de Cabale, attribués à des savants orientaux dit l'auteur de Art Magic ; mais, comme cet ouvrage remarquable, n'a peu ou point de valeur sans la clé, qui ne peut être obtenue que dans certaines confréries d'Orient, sa transcription ne serait d'aucune valeur pour le lecteur ordinaire 111. Tout cela a été tourné en ridicule par les voyageurs de commerce qui parcourent l'Inde à la recherche de "commandes", et qui écrivent dans le Times leurs récits de voyages ; d'autres jongleurs habiles, prétendent faire croire aux foules ébahies que leurs tours de passe-passe sont les véritables exploits des magiciens orientaux !
111 Art-Magic, p. 97.
Malgré la mauvaise foi dont fit preuve dans l'affaire d'Alger Robert Houdin, autorité dans l'art de la prestidigitation, ainsi que Moreau Cinti, ils ont loyalement témoigné en faveur des médiums Français. Ils ont attesté tous deux, lorsqu'ils furent interrogés par les Académiciens, que seuls des "médiums" pouvaient produire les phénomènes de coups frappés dans les tables, et de lévitation sans préparatifs, ou sans mobilier truqué à cette fin. Ils reconnurent également que les "lévitations sans contact" étaient des faits tout à fait en dehors du pouvoir des jongleurs de profession ; que pour eux, la lévitation était tout à fait impossible à moins d'être présentée dans une chambre pourvue de machinerie secrète et de miroirs concaves. Ils ajoutèrent que la simple apparition d'une main diaphane dans un endroit ou il serait impossible de se faire aider par des compères, le médium ayant été préalablement fouillé, constituerait la preuve que cette apparition serait l'œuvre d'une agence étrangère à l'homme quelle que cette agence puisse être en réalité. Le Siècle et deux autres journaux de Paris s'empressèrent de publier leurs soupçons que ces deux habiles professionnels étaient devenus les comparses des spirites.
Le professeur Pepper, directeur de l'Institut Polytechnique de Londres, a inventé un ingénieux appareil pour produire sur la scène les apparitions spirites, et il vendit son brevet en 1863 à Paris, moyennant une somme de 20.000 F. Les fantômes paraissaient réels et puis s'évanouissaient, mais ils n'étaient que des effets d'optique produits par la réflexion d'un objet très éclairé sur la surface polie d'une plaque de verre. Ils apparaissaient et disparaissaient, se promenaient sur la scène, et jouaient leur rôle à la perfection. Quelquefois, un des fantômes se plaçait sur un banc ; après cela un des acteurs vivants commençait à se quereller avec lui, et, saisissant une lourde hache, partageait d'un coup en deux la tête et le corps du fantôme. Mais les deux parties se rejoignaient aussitôt, et le spectre reparaissait intact quelques pas plus loin [80] au grand étonnement du public. L'appareil fonctionnait merveilleusement, et chaque soir ce spectacle attirait la foule. Mais naturellement l'exhibition de ces fantômes exigeait des appareils et plus d'un compère. Cela n'empêcha pas des reporters d'en faire un prétexte pour ridiculiser les spirites, comme si les deux genres de phénomènes avaient eu le moindre rapport !
Ce que les fantômes de Pepper prétendaient faire, de véritables esprits humains désincarnés peuvent réellement l'accomplir lorsque leur réflexion est matérialisée par les élémentals. Ils se laisseront trouer le corps par des balles ou des épées, et couper les membres, et reparaîtront aussitôt intacts. Mais il n'en est pas de même des esprits cosmiques et des esprits élémentaires humains, car une épée ou un poignard ou même un bâton pointu, les fait fuir terrorisés. Cela paraîtra peut-être inexplicable à ceux qui ne comprennent pas de quelle substance matérielle sont composés les élémentaires, mais les cabalistes le comprennent parfaitement. Les récits de l'antiquité et du moyen âge, pour ne rien dire des merveilles modernes de Cideville, dont nous avons l'attestation faite devant les tribunaux, confirment ce fait.
Les incrédules et même les spirites sceptiques ont souvent injustement accusé les médiums de fraude, lorsqu'on leur refusait, ce qu'ils considéraient comme leur droit, d'éprouver les esprits. Mais pour un cas de ce genre, il y en a cinquante où les spirites ont été bernés par des imposteurs, tandis qu'ils négligeaient d'apprécier les manifestations authentiques que leurs médiums leur procuraient. Ignorants des lois de la médiumnité, ils ne savent pas que lorsque les esprits ont une fois pris possession d'un médium honnête, qu'ils soient désincarnés ou élémentals, il n'est plus son maître. Il ne peut pas diriger les actes des esprits, pas même ses propres actions. Il est devenu un pantin dont ils tirent les fils à leur gré, dans les coulisses. Le faux médium peut simuler la transe et néanmoins jouer tout le temps, la comédie ; tandis que, au contraire, le médium véritable aura l'air d'être dans son état normal, alors qu'en réalité son esprit est loin, et son corps animé par son "guide Indien" où son "contrôle". Ou bien il est endormi dans le cabinet, tandis que son corps astral (double) ou doppelgänger se promène dans la salle, mû par une autre intelligence.
Parmi tous les phénomènes, celui de la répercussion, intimement lié avec ceux de la bilocation ou ubiquité, et de la "locomotion" aérienne sont les plus surprenants. Au moyen âge ils étaient compris sous le chef de sorcellerie. De Gasparin, dans ses réfutations du caractère merveilleux des prodiges de Cideville, traite ce sujet tout au long ; mais ces prétendues explications sont toutes battues en brèche à leur tour par de Mirville et des Mousseaux, [81] qui, tout en essayant de prouver l'intervention du Diable dans ces phénomènes, démontrent néanmoins leur origine spirituelle.
"Le prodige de la répercussion", dit des Mousseaux, se produit lorsqu'un coup frappé sur l'esprit, visible ou non, d'une personne vivante absente, ou sur un fantôme qui la représente, frappe cette personne au même moment, et à la place exacte où le spectre ou son image ont été touchés ! Nous supposons donc que le coup est répercuté, et qu'il atteint par contre-coup l'image de la personne vivante – son double fantôme 112 – l'original en chair et en os n'importe où.
Ainsi, par exemple, un individu se présente devant moi et, visible ou non, il me déclare la guerre, me menace et m'obsède. Je frappe à l'endroit où je perçois son fantôme, où je l'entends remuer, où je sens quelqu'un ou quelque chose qui m'agace et me résiste. Je frappe ; le sang quelquefois se montre à cet endroit, et parfois un cri se fait entendre ; il est blessé, peut-être mort ! C'est fait et je l'ai expliqué.
Et cependant, au moment où je le frappais, sa présence dans un autre endroit est authentiquement démontrée... J'ai vu, oui, j'ai vu clairement le fantôme atteint sur la joue ou à l'épaule, et cette même blessure se retrouve précisément sur le corps de la personne vivante, répercutée sur la joue ou sur l'épaule. Ainsi, il est évident que les faits de répercussion sont étroitement liés à ceux de duplication ou d'ubiquité, [dédoublement] soit spirituelle soit corporelle" 113.
112 Ce fantôme est appelé Scin-laece. Voyez "Une étrange histoire" de Bulwer-Lytton, ch. XI.
113 [Les hauts phénomènes de la Magie, pp. 144-145.]
Dans l'édition de ses œuvres publiées à Strasbourg en 1809, Paracelse écrit au sujet de la merveilleuse puissance magique de l'esprit de l'homme : "Il est possible". dit-il, "que mon esprit, sans le secours du corps, par la seule force d'une volonté puissante, et sans avoir besoin d'une arme, poignarde et blesse d'autres personnes. Il est possible aussi de faire venir l'esprit de mon ennemi dans une image quelconque, de le terrasser et de l'estropier... L'exercice de la volonté est un grand point en médecine... Chez tous les hommes, l'imagination agit par le cœur, car il est le soleil du microcosme, et du microcosme l'imagination se dirige vers le grand univers (l'éther universel)... L'imagination de l'homme est une semence qui est matérielle. (Nos atomistes modernes l'ont démontré. Voyez Babbage et le profess. Jevons). "Une idée fixe est aussi un moyen d'atteindre un but. La magie est la grande sagesse cachée, et la raison est une grande folie publique. Aucune armure ne protège contre la magie, car elle atteint l'esprit intime de la vie."
114 Salem Witcheraft, par C : W. Upham, Boston, 1867, vol. II, pp. 527-534.
115 [Ibid., II, pp. 129-130.]
L'histoire des sorcelleries de Salem, telle que nous la trouvons consignée dans les œuvres de Cotton Mather, Calef, Upham, et autres, fournit une curieuse confirmation du fait de ce dédoublement, comme elle confirme aussi les inconvénients de laisser les esprits élémentaires agir à leur guise. Ce chapitre tragique de l'histoire américaine n'a jamais été écrit d'une façon conforme à la vérité. Quatre ou cinq jeunes filles avaient "développé" la [82] médiumnité en fréquentant une négresse des Antilles qui pratiquait l'Obeah. Elles commencèrent à souffrir toutes sortes de tortures physiques, telles que des pincements, des piqûres d'épingles, des coups et des morsures par tout le corps. Elles déclarèrent qu'elles avaient été frappées par les spectres de différentes personnes, et nous apprenons par la célèbre Narrative of Demat Lamson (publiée à Londres en 1704), que "quelques-unes de ces personnes avouèrent avoir frappé les jeunes filles, ainsi que ces dernières les en accusaient. Interrogées sur la façon dont elles avaient agi, quelques-unes déclarèrent avoir planté des épingles dans des poupées faites de chiffons, ou de cire ou d'autres matières. Une d'elles confessa, après que l'on eut signé sa sentence de mort, qu'elle avait pris l'habitude de tourmenter ces jeunes filles, en leur prenant les mains, les pinçant et en indiquant par la pensée la partie du corps où elle désirait qu'elles fussent atteintes, et cela se passait ainsi qu'elle l'avait voulu" 114.
M. Upham nous apprend qu'Abigail Hobbs, une de ces filles, reconnut qu'elle avait fait un pacte avec le Diable, "qui s'était introduit chez elle sous la forme d'un homme", et qui lui avait commandé de tourmenter ces jeunes filles, en lui apportant des images en bois à leur ressemblance, et des épines pour les planter dans ces statuettes, ce qu'elle fit ; et aussitôt les victimes crièrent, se plaignant d'avoir été piquées par elle 115.
Comme ces faits, dont l'exactitude a été démontrée par des témoignages irrécusables, devant le tribunal, confirment la doctrine de Paracelse ! Il est fort étrange qu'un savant tel que M. Upham ait accumulé, dans les 1.000 pages de ses deux volumes, une masse pareille de preuves légales démontrant jusqu'à l'évidence l'action d'âmes attachées à la terre et de malins esprits de la nature ayant participé à ces tragédies sans avoir soupçonné la vérité.
Il y a des siècles, Lucrèce faisait dire au vieil Ennius : "Bis duo sunt hominis, manes, caro, spiritus, umbra ; Quatuor ista loci bis duo suscipiunt ;
Terra tegit carnem ; tumulum circum volat umbra ; Orcus habet manes."
Dans le cas présent, comme dans tous les cas semblables, les savants, impuissants à expliquer le fait, affirment qu'il n'a pas pu exister.
Mais nous fournirons maintenant quelques exemples tirés de l'histoire, pour montrer que quelques démons ou esprits élémentaires [83] ont peur des épées, des couteaux ou de tout autre objet pointu. Nous ne prétendons pas toutefois en expliquer la raison. C'est affaire à la physiologie et à la psychologie. Malheureusement les physiologistes n'ont pas même encore pu établir les relations qui existent entre la parole et la pensée, et ils en ont laissé le soin aux métaphysiciens, qui de leur côté, selon Fournié, n'ont rien fait. Ils n'ont rien fait, c'est vrai, mais cela ne les a pas empêchés d'afficher des prétentions comme s'ils avaient résolu le problème. Aucun fait ne parait trop vaste à ces savants, pour qu'ils essaient tout au moins de les classer dans leurs casiers en les affublant de noms Grecs exprimant tout ce que l'on voudra, excepté la nature véritable du phénomène.
"Hélas, hélas, mon fils !" s'écrie le sage Muphti d'Alep, en parlant à son fils Ibrahim qui s'étranglait avec la tête d'un gros poisson, "quand donc te rendras-tu compte que ton estomac est plus petit que l'océan ?" Ou comme le remarque Mrs Catherine Crowe, dans son livre Night-side of Nature, quand est-ce que nos savants reconnaîtront que "leurs intellects sont incapables de mesurer les desseins de Dieu Tout-Puissant" ?
Nous ne demanderons pas quel est l'écrivain de l'antiquité qui mentionne des faits d'un caractère en apparence surnaturel ; niais plutôt quel est celui qui ne le fait pas ? Dans Homère, nous trouvons Ulysse évoquant l'esprit de son ami, Tiresias le devin. En se préparant pour la cérémonie de la "fête de sang", Ulysse tire son épée, effraye et écarte ainsi les milliers de fantômes qu'avait attirés le sacrifice. L'ami lui-même, le tant attendu Tiresias, n'ose pas approcher, tant qu'Ulysse tient à la main son arme redoutable 116. Enée se prépare à descendre dans le royaume des ombres, et aussitôt qu'il approche de l'entrée, la sibylle qui le guide lui dit les précautions à prendre, et lui ordonne de tirer son glaive et de se frayer un passage à travers la foule épaisse des formes errantes.
Tuque invade viam, vaginâque eripe ferrum 117.
Glanvil fait une narration sensationnelle de l'apparition du "Tambour de Tedworth", qui eut lieu en 1661 118. Dans cette apparition, le scîn-lâc ou le double du tambour-sorcier, fut évidemment fort effrayé à la vue de l'épée. Psellus, dans son ouvrage 119, raconte longuement l'histoire de sa belle-sœur, mise dans un état effroyable par un démon élémentaire qui s'était emparé [84] d'elle. Elle fut guérie par un magicien étranger nommé Anaphalangis qui commença par menacer l'invisible habitant de ce corps avec son épée nue, jusqu'à ce qu'il l'eût fait déloger. Psellus nous offre un catéchisme complet de démonologie, dans lequel il s'exprime en ces termes, autant que nous pouvons nous en souvenir Vous voulez savoir", dit le magicien, "si les corps des esprits peuvent être blessés par l'épée ou par toute autre arme 120 ? Oui, ils peuvent l'être. Toute substance dure qui les frappe leur cause une douleur sensible ; et quoique leurs corps ne soient faits d'aucune substance solide et dure, ils ressentent néanmoins ces sensations, parce que dans les êtres doués de sensibilité, ce ne sont pas seulement les nerfs qui possèdent cette faculté de sentir, mais aussi l'esprit qui réside en eux... le corps d'un esprit est sensible dans son ensemble, aussi bien que dans chacune de ses parties. L'esprit voit et entend sans le secours d'aucun organe physique, et, si on le touche, il sent le contact. Si vous le coupez en deux, il éprouvera la même douleur que ressentirait un homme vivant, car c'est encore de la matière, bien qu'elle soit si raffinée qu'elle est généralement invisible à nos yeux... Une chose cependant le distingue de l'homme vivant : c'est qu'une fois que les membres de ce dernier sont coupés, leurs parties ne peuvent pas aisément être réunies. Mais coupez un démon en deux, et les deux tronçons se rejoignent immédiatement. De même que l'eau ou l'air se referment sur un corps solide, qui a passé à travers ces éléments 121, sans en garder de trace, de même le corps d'un démon se condense de nouveau, lorsque l'arme tranchante est retirée de la blessure. Mais chaque entaille qui lui est faite ne lui occasionne pas moins de la douleur. Voilà pourquoi les démons craignent la pointe d'une épée ou d'un instrument aigu. Que ceux qui veulent les voir fuir en fassent l'expérience" 122.
116 Odyssée, V, 82.
117 Enéide, livre VI, 260.
118 [Sadduc. Triumph., II, pp. 97 et seq.]
119 De Dœmon, cap. Quomodo dæm. occupant.
120 Numquid dœmonum corpora pulsari possunt? Possunt sane, at que dolere solido quodam percussa corpore.
121 Ubi secatur, mox in se iterum recreatur et coalescit... dictu velocius dœmonicus spiritus in se revertitur
122 [Cf. des Mousseaux, Les hauts phénomènes, etc., pp. 151-153.]
123 Un magistrat du district.
Un des plus instruits, parmi les savants de son siècle, Bodin, le démonologue, professe la même opinion ; ils soutient que les élémentaires humains et cosmiques ont "fort peur des épées et des poignards". C'était aussi l'opinion de Porphyre, de Jamblique et de Platon. Plutarque le répète souvent. Les théurgistes pratiquants le savaient et agissaient en conséquence, et un grand nombre d'entre eux affirment "que les démons souffrent de la moindre blessure faite à leur corps". Bodin nous raconte à ce sujet une curieuse histoire, dans son ouvrage Sur les Démons. [85]
"Je me rappelle, dit l'auteur, qu'en l'année 1557, un démon élémental, de ceux que l'on nomme tonnants, tomba avec la foudre dans la maison de Pondot le cordonnier, et immédiatement il se mit à lancer des pierres par toute la chambre. Nous en recueillîmes une si grande quantité, que la maîtresse de la maison en remplit un grand coffre, après avoir soigneusement fermé les portes et les fenêtres, et le coffre aussi. Mais cela n'empêcha pas le démon d'introduire d'autres pierres dans la pièce, mais sans faire du mal à personne. Latomi, qui était alors président du quartier 123, vint voir ce qui se passait. Aussitôt après son entrée, l'esprit fit tomber son chapeau de dessus sa tête et le mit en fuite. Cela durait depuis plus de six jours, lorsque M. Jean Morgues, conseiller de la Présidence, vint me chercher pour voir ce mystère. Lorsque j'entrai, quelqu'un conseilla au maître de la maison de prier Dieu avec ferveur, et de faire tournoyer une épée dans l'air par toute la chambre. Il le fit ; et le lendemain, la femme du cordonnier nous apprit qu'à partir de ce moment, on n'avait plus entendu le moindre bruit dans la maison, tandis que pendant les sept jours que ce phénomène avait duré, il leur avait été impossible d'avoir un moment de repos".
Les livres sur la sorcellerie du moyen âge sont remplis de récits de ce genre. Le très rare et intéressant ouvrage de Glanvil, intitulé Sadducismus Triumphatus, figure, avec celui de Bodin déjà cité, parmi les meilleurs. Mais il nous faut maintenant faire place à certains récits de philosophes plus anciens, qui expliquent en même temps qu'ils racontent.
Au premier rang, en fait de merveilles, il faut placer Proclus. Sa liste de faits, dont la plupart sont appuyés par des citations de témoins, qui sont souvent des philosophes bien connus, est véritablement stupéfiante. Il raconte une foule de cas contemporains, de personnes mortes que l'on avait trouvées ayant changé de posture dans le sépulcre où, après avoir été mises dans une position horizontale, on les retrouvait assises ou debout. Il attribue cela à leur nature de larves, ainsi, dit-il, que "le rapportent les anciens auteurs, tels que Aristide, Epiménide et Hermodore". Il cite cinq cas tirés de l'histoire de Cléarque, disciple d'Aristote. 1° Le cas de Cléonyme l'Athénien. 2° Celui de Polykrite, homme illustre parmi les Etoliens. Ce fait est raconté par l'historien Nomaque, qui dit que Polikrite mourut et revint neuf mois après sa mort. "L'Ephésien Hiéro et d'autres historiens, dit Taylor son traducteur, attestent la vérité de ce fait". 3° Le cas de Eurynous, à qui arriva la même chose à Nicopolis. Ce dernier ressuscita le quinzième jour après son inhumation, et vécut quelque temps après [86] cela, menant une vie exemplaire. 4° Le cas de Rufus, prêtre de Thessalonique, rendu à la vie le troisième jour après sa mort afin qu'il pût accomplir certaines cérémonies religieuses, conformément à une promesse. Il remplit son engagement, et mourut de nouveau, pour ne plus revenir. 5 ° Le cas de Philonœe, qui vivait du temps de Philippe. Elle était fille de Demostrate et de Charite d'Amphipolis. Mariée contre son gré à un nommé Krateros, elle mourut bientôt après. Mais le sixième mois après sa mort, elle ressuscita, comme dit Proclus, "par amour pour un jeune homme nommé Machates, qui était venu de Pella la demander à Demostrate". Elle le visita pendant plusieurs nuits consécutives, mais lorsque cela fut enfin découvert, elle, ou plutôt le vampire qui la représentait, mourut de colère. Avant sa nouvelle mort, elle avait déclaré qu'elle avait agi de la sorte par la volonté de démons terrestres. Son cadavre, à ce deuxième décès, fut vu par tout le monde, dans la maison de son père. Lorsqu'on ouvrit son tombeau, ou son corps avait été placé, lors du premier décès, on le trouva vide, et le fait fut soigneusement constaté par des parents incrédules, qui avaient tenu à s'assurer eux-mêmes de la vérité. Le récit en est confirmé dans les Epîtres d'Hipparque et par celles d'Arridée à Philippe 124.
Proclus dit : "Bien d'autres auteurs anciens ont recueilli les récits de ceux qui sont morts, en apparence, et ont revécu ensuite. Parmi eux se trouve le philosophe Démocrite. Dans ses écrits sur l'Hadès et le prodigieux Conotes familier de Platon, il affirme que la mort n'est pas, dans le cas en question, comme elle le parait, une désertion complète de la vie totale du corps, mais une suspension causée par un coup, ou peut-être une blessure ; mais les liens de l'âme demeurent attachés à la moelle et le cœur conserve encore dans sa profondeur l'empyreume de vie ; celui-ci étant conservé, la vie suspendue peut reprendre, en s'adaptant à l'animation".
Il dit encore : "Il est possible à l'âme de quitter le corps et d'y rentrer ; cela est rendu évident par l'homme qui, suivant Cléarque, se servait d'une baguette qui attirait au dehors l'âme d'un garçon endormi. Il convainquit Aristote, dit Cléarque dans son Traité du sommeil, que l'âme peut être séparée du corps, et y rentrer, et s'en servir comme d'un logement. En effet, en frappant le garçon avec sa baguette, il en fit sortir l'âme qu'il fit aller et venir, afin de démontrer que le corps restait immobile lorsque l'âme [le corps astral] était loin de lui, et qu'il ne lui était fait [87] aucun mal ; l'âme ramenée dans le corps, au moyen de la baguette, rendait compte alors de tout ce qui s'était passé. C'est à la suite de ce fait qu'Aristote aussi bien que les autres spectateurs furent convaincus que l'âme est distincte et séparée du corps" 125.
124 Ce fait étonnant a été certifié par le Préfet de la Cité, et le Proconsul de la Province en fit l'objet d'un rapport à l'empereur. L'histoire est modestement racontée par Mr. Catherine Crowe (Night side of Nature, p. 335-37). (Cf. Thos. Taylor, The works of Plato, vol. I, pp. 467-68, note.]
125 Proclus, Manusc. Comm. on Pluto's Republic. [Cf. Thos. Taylor, The works of Plato, I, pp. 468- 69, note.]
Il parait absurde de rappeler aussi souvent les faits de sorcellerie, en pleine lumière du XIXème siècle. Mais le siècle lui-même se fait vieux ; et comme il approche petit à petit de sa fin fatale, il a l'air de tomber en enfance ; non seulement il refuse de reconnaître que les faits de sorcellerie sont démontrés, mais il ne veut même pas admettre ce qui s'est fait depuis une trentaine d'années, dans le monde entier. Nous pourrions douter, à la rigueur, du pouvoir magique des prêtres de la Thessalie et de leurs "sortilèges "mentionnés par Pline 126 après un laps de plusieurs milliers d'années ; nous pourrions ne pas ajouter foi aux renseignements fournis par Suidas, qui raconte le voyage de Médée par les airs, et oublier ainsi que la magie est la connaissance la plus haute de la philosophie naturelle ; mais comment expliquerons-nous la reproduction fréquente de ces mêmes voyages "dans les airs" précisément lorsqu'ils s'accomplissent sous nos yeux, et qu'ils sont attestés et confirmés par le témoignage de centaines de personnes ayant toutes les apparences de gens sains d'esprit ? Si l'universalité d'une croyance est une preuve de sa vérité, peu de faits ont été mieux établis que celui de la sorcellerie.
"Chaque peuple, depuis le plus barbare jusqu'au plus raffiné, nous pouvons même ajouter, dans chaque siècle, a cru à l'action surnaturelle que nous désignons par ce terme", dit Thomas Wright, l'auteur de Narratives of Sorcery and Magic et membre sceptique de l'Institut National de France. "Elle était fondée sur une croyance également répandue, qu'outre notre existence visible, nous en avons une autre qui se passe dans un monde invisible d'êtres spirituels, par lesquels nos actions et même nos pensées sont souvent guidées, et qui jusqu'à un certain point ont un pouvoir sur les éléments et sur le cours ordinaire de la vie organique".
De plus, s'étonnant que cette science mystérieuse ait fleuri ainsi partout, et faisant remarquer l'existence de plusieurs écoles de magie dans différentes parties de l'Europe, il explique la croyance consacrée par le temps et montre la différence qu'il y a entre la sorcellerie et la magie dans les termes suivants : "Le magicien diffère du sorcier en ce que, tandis que le dernier était un instrument ignorant dans la main des démons, le premier était [88] devenu leur maître par la toute-puissante influence de la Science qui n'était à la portée que d'un petit nombre, et à laquelle ces êtres étaient dans l'impossibilité de désobéir 127". Cette séparation établie et connue depuis le temps de Moise, l'auteur la donne comme tirée des "sources les plus authentiques".
126 Pline, XXX, I.
Si, de cet incrédule, nous passons à l'autorité d'un adepte de cette mystérieuse science, l'auteur anonyme de l'Art Magique, voici ce que nous lisons : "Le lecteur demandera en quoi consiste la différence entre un médium et un magicien ?... Le médium est un être au moyen de l'esprit astral duquel d'autres esprits peuvent se manifester, en faisant sentir leur présence par divers genres de phénomènes. Quelle que soit la nature de ces phénomènes, le médium est tout simplement un agent passif entre leurs mains. Il ne peut ni commander leur présence, ni vouloir leur absence ; il ne peut jamais provoquer à son gré l'accomplissement d'un acte quelconque, ni en diriger la nature. Le magicien, au contraire, peut faire venir et renvoyer les esprits à volonté ; il peut accomplir une foule d'actes de puissance occulte, par son propre esprit ; il peut forcer les esprits d'êtres inférieurs au sien à venir et à lui prêter leur concours, et enfin effectuer des transformations dans les domaines de la nature sur les corps animés et inanimés 128".
127 Narratives of Sorcery and Magic, I, pp. 1-2
128 Art Magic, p. 159-160.
Ce savant auteur a oublié de signaler une distinction marquée dans la médiumnité, qu'il devait bien connaître. Les phénomènes physiques sont le résultat de manipulations de forces au moyen du système physique du médium, par des intelligences invisibles de n'importe quelle classe. En un mot, la médiumnité physique dépend d'une organisation particulière du système physique ; la médiumnité spirituelle, qui est accompagnée d'une certaine manifestation de phénomènes intellectuels subjectifs, dépend d'une organisation également spéciale de la nature spirituelle du médium. Ainsi que le potier d'une masse d'argile peut faire un vase d'honneur, et d'une autre un vase abject, de même, parmi les médiums physiques, l'esprit astral plastique de l'un peut être prédisposé à une certaine classe de phénomènes objectifs, et celui d'un autre à des genres de phénomènes différents. Une fois cette prédisposition acquise, il paraît difficile de modifier la phase de médiumnité, comme lorsqu'une barre d'acier est forgée sous une certaine forme, elle ne peut plus être aisément employée à un usage autre que celui auquel elle est destinée. En règle générale, les médiums qui ont été développés pour un genre de phénomènes, changent rarement pour un autre, mais ils répètent à l'infini la même manifestation. [89]
La psychographie, ou l'écriture directe des messages par les esprits, tient aux deux formes de médiumnité. L'écriture elle même est un fait objectif physique, tandis que les sentiments qu'elle exprime peuvent être du caractère le plus noble. Cela dépend entièrement de l'état moral du médium. Il n'est pas nécessaire qu'il ait de l'instruction pour écrire des traités de philosophie dignes d'Aristote, ni d'être poète pour écrire des vers qui feraient honneur à lord Byron ou à Lamartine ; mais il est indispensable que l'âme du médium soit assez pure pour servir de canal aux esprits qui sont capables de donner une forme élevée à des sentiments de ce genre.
Dans Art Magic, un des plus délicieux tableaux qui nous aient été présentés, est celui d'un innocent petit médium en présence duquel, pendant les trois dernières années, quatre volumes de manuscrits en ancien sanscrit ont été rédigés par les esprits, sans plumes, ni encre ni crayons. "Il suffit, dit l'auteur, de placer des feuilles de papier blanc sur un trépied, soigneusement tenu à l'écart des rayons directs de lumière, mais dans un endroit où ils soient encore visibles aux yeux des assistants. L'enfant s'assied à terre auprès du trépied, sur lequel elle appuie la tête en tenant le pied embrassé dans ses petits bras. Dans cette attitude elle dort souvent une heure, pendant laquelle les feuilles posées sur le trépied se remplissent de caractères sanscrits anciens, admirablement exécutés" 129. Voilà un exemple remarquable de médiumnité psychographique, et qui donne une idée complète du principe posé plus haut, que nous ne pouvons résister au désir de citer quelques passages de ces écrits sanscrits, d'autant plus qu'ils renferment un exposé de cette partie de la philosophie hermétique, qui se rapporte au précédent état de l'homme, que nous avons décrit ailleurs d'une façon bien moins satisfaisante.
129 Art Magic, etc ,p. 26.
"L'homme vit sur beaucoup de globes avant d'atteindre celui-ci. Des myriades de mondes nagent dans l'espace et servent de lieux de pèlerinage à l'âme, à l'état rudimentaire, avant de gagner la grande et brillante planète nommée la Terre, dont la glorieuse fonction est de lui donner la soi-conscience. Ce n'est que lorsque ce degré est atteint que cet être devient un homme ; à chaque autre étape de sa vaste et sauvage carrière, il n'est qu'une entité embryonnaire, une forme matérielle flottante et temporaire, une créature dans laquelle une partie, mais seulement une partie, de l'âme élevée brille emprisonnée ; une forme rudimentaire ayant des fonctions rudimentaires, toujours vivant, mourant, soutenant une existence spirituelle passagère, aussi rudimentaire que la forme matérielle d'où elle émane ; un papillon s'élançant de sa chrysalide, [90] mais toujours au fur et à mesure qu'il avance, passant de nouvelles naissances à de nouvelles morts, subissant de nouvelles incarnations, pour mourir et renaître de nouveau ; mais toujours faisant un pas en avant, cherchant à gagner du terrain, jusqu'à ce qu'il atteigne le sentier vertigineux et pénible, raboteux et rude où il se réveille une fois encore, mais pour vivre et devenir une forme matérielle, une chose de boue, une créature de chair et d'os, mais désormais un homme 130".
130 Art Magic, p. 28.
131 Un fakir mendiant.
132 Un prétendu jongleur.
Nous avons, nous-même, été témoin une fois dans l'Inde d'un essai de puissance psychique, dans un assaut entre un saint gossain 131 et un sorcier 132, lequel a quelque rapport avec notre sujet. Nous venions de discuter sur le pouvoir relatif des Pitris du fakir, esprits pré-adamiques, et des alliés invisibles du jongleur. On convint d'en faire une épreuve comparative, et l'auteur de ces lignes fut choisi pour arbitre. Nous faisions la sieste dans une tente près d'un petit lac, dans l'Inde septentrionale. Sur la surface des eaux cristallines flottaient d'innombrables fleurs aquatiques, aux feuilles larges et luisantes. Chacun des champions prit une de ces feuilles. Le fakir, appuyant la sienne contre sa poitrine, croisa ses mains sur elle et tomba momentanément en transe. Il plaça alors la feuille sur l'eau, la surface supérieure tournée en bas. Le Jongleur se vantait de dominer le "maître des eaux", l'esprit qui y habite et de le faire obéir. Il prétendit qu'il forcerait la puissance d'empêcher les Pitris de manifester le moindre phénomène dans son élément sur la feuille choisie par le fakir. Il prit donc sa propre feuille, et après avoir pratiqué sur elle une sorte d'incantation barbare, il la posa à son tour sur l'eau. La feuille commença aussitôt à éprouver un mouvement d'agitation violente, tandis que l'autre feuille était parfaitement immobile. Au bout de quelques secondes, les deux feuilles furent retirées. Sur celle du fakir nous vîmes, à la grande indignation du jongleur, quelque chose comme un dessin symétrique formé de traits d'un blanc de lait, comme si les sucs de la plante avaient été transformés en fluide corrosif. Lorsqu'elle fut sèche, nous examinâmes les lignes plus attentivement et nous y reconnûmes une série de caractères sanscrits parfaitement formés, et composant une phrase qui renfermait un précepte de haute morale. Hâtons-nous d'ajouter que le fakir ne savait ni lire ni écrire. Sur la feuille du jongleur, au lieu d'écriture, nous trouvâmes une figure hideuse, démoniaque. Chaque feuille portait par conséquent la marque, reflet allégorique du caractère de son maître, et indiquait la qualité des esprits qui [91] l'entouraient. Mais nous devons, à regret, quitter une fois encore l'Inde, son ciel d'azur et son passé mystérieux, ses dévots religieux et ses sorciers magiques, et revenir à l'atmosphère moisie de l'Académie Française.
Pour apprécier la timidité, les préjugés et l'esprit superficiel dont on a fait preuve dans l'étude des questions psychologiques, dans le passé, nous nous proposons de passer rapidement en revue un livre que nous avons devant nous. C'est l'Histoire du Merveilleux dans les Temps Modernes. L'ouvrage a été publié par le savant Dr Figuier, et il est rempli de citations des autorités les plus en vue, en matière de physiologie, de psychologie et de médecine. Le Dr Calmeil, directeur en chef de l'asile de Charenton, est le robuste Atlas sur les épaules duquel repose ce monde d'érudition. Fruit mûr de la pensée en 1860, il doit désormais avoir sa place parmi les plus curieuses œuvres d'art de l'époque. Mû par l'infatigable démon de la science, décidé à tuer la superstition, et par conséquent le spiritisme du même coup, l'auteur nous fournit un aperçu sommaire des exemples les plus remarquables de phénomènes médiumniques pendant les deux derniers siècles.
La discussion embrasse les prophètes des Cévennes, les Camisards, les Jansénistes, le diacre Pâris, et autres épidémies historiques, dont nous parlerons très brièvement, parce qu'elles ont été décrites depuis une vingtaine d'années par presque tous les auteurs qui ont écrit sur les phénomènes modernes. Ce ne sont pas des faits que nous voulons remettre en question, mais tout simplement la manière dont ces faits ont été envisagés et traités par ceux qui, en qualité de médecins et d'autorités reconnues, ont eu la plus grande part de responsabilité dans ces questions. Si nous présentons à cette heure cet auteur rempli de préjugés à nos lecteurs, c'est uniquement parce que son ouvrage nous permet de montrer ce que les faits d'occultisme et ses manifestations peuvent attendre de la science orthodoxe. Si les épidémies psychologiques qui ont fait le plus de bruit dans le monde sont traitées de la sorte, qu'est-ce qui engagera les matérialistes à étudier sérieusement d'autres phénomènes aussi bien authentifiés, aussi intéressants, mais moins populaires ? N'oublions pas que les rapports adressés à cette époque par les divers comités à leurs académies respectives, de même que les procès-verbaux des séances des tribunaux judiciaires existent encore aujourd'hui et peuvent, par conséquent, être consultés pour vérifier les faits. C'est à ces sources irréfutables que le Dr Figuier a puisé pour écrire son ouvrage extraordinaire. Nous devons donner au moins, en substance, les arguments incomparables avec lesquels l'auteur cherche à démolir chaque forme de superstition, ainsi que les commentaires du démonologue [92] des Mousseaux qui, dans un de ses livres 133, fond sur sa victime sceptique comme un tigre sur sa proie.
Entre les deux champions, le matérialiste et le bigot, l'étudiant sans parti-pris peut recueillir une riche moisson.
Nous commencerons par les Convulsionnaires des Cévennes, épidémie dont les étonnants phénomènes survinrent vers la fin de l'année 1700. Les impitoyables mesures adoptées par les catholiques français, pour extirper l'esprit de prophétie du sein d'une population tout entière, sont historiques, et n'ont pas besoin d'être répétées ici. Le fait seul qu'une simple poignées d'hommes, de femmes et d'enfants, ne dépassant pas 2.000 personnes, ont pu tenir en échec pendant plusieurs années les troupes royales qui, avec la milice, comptaient 60.000 hommes, est déjà un miracle. Les merveilles sont rapportées, et les procès-verbaux du temps conservés dans les Archives de la France jusqu'à ce jour. Il existe, entre autres, un rapport officiel envoyé à Rome par le féroce abbé Chayla, prieur de Laval, dans lequel il se plaint que le Malin est si puissant, que ni les tortures. ni les exorcismes inquisitoriaux ne furent capables de le déloger
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de l'âme des Cévennols. Il ajoute qu'il leur a posé les mains sur des charbons ardents, et qu'ils n'en ont pas même été brûlés ; qu'il a enveloppé leur corps entièrement dans de la ouate trempée dans l'huile, et qu'il y a mis le feu, sans avoir trouvé, dans bien des cas, la moindre phlyctène sur leur peau ; qu'on leur a tiré des coups de feu, et que l'on a retrouvé les balles aplaties entre leurs vêtements et leurs corps, sans que ceux-ci en eussent souffert la plus légère atteinte, etc., etc. 134.
133 La Magie au XIXème siècle, pp. 427-433
134 [Howlitt, Hist. of the Supernatural II, chap. XVII.]
135 Histoire du Merveilleux dans les temps modernes, vol. II, p. 261.
136 Ibidem, p. 262.
137 Ibidem.
138 Ibidem, p. 263.
Acceptant toutes ces choses comme un terrain solide pour ses savants arguments, voici ce que dit le Dr Figuier : "Vers la fin du XVIIème siècle, une vieille fille importa dans les Cévennes l'esprit de prophétie. Elle le communiqua (?) à de jeunes garçons et à des jeunes filles, qui l'exercèrent à leur tour, et le répandirent dans l'atmosphère ambiante. Les femmes et les enfants furent les plus sensibles à l'infection" 135. Des hommes, des femmes, des enfants au berceau parlaient sous l'influence de l'inspiration, non pas en patois ordinaire du pays, mais dans le français le plus pur, langue à cette époque entièrement inconnue dans la contrée. Des enfants de douze mois et même moins, ainsi que nous l'apprennent les procès-verbaux, des enfants qui jusqu'alors avaient à peine prononcé un petit nombre de syllabes courtes, parlaient couramment et prophétisaient. "Huit mille prophètes étaient répandus par tout le pays ; des docteurs et des médecins éminents furent appelés". La moitié des écoles de médecine de France, y compris la Faculté [93] de Montpellier, accoururent sur les lieux. Des consultations furent tenues, et les médecins se déclarèrent "complètement déroutés et perdus d'étonnement et d'admiration, en entendant de jeunes fillettes et de jeunes garçons, ignorants et illettrés, prononcer des discours sur des sujets qu'ils n'avaient jamais étudié" 136. La sentence portée par Figuier contre ces confrères traîtres à leur profession, pour avoir été charmés à ce point par les jeunes prophètes, consiste à dire "qu'ils n'ont pas compris eux-mêmes ce qu'ils voyaient" 137. Beaucoup de ces prophètes communiquaient par force leur esprit à ceux qui essayaient de rompre le charme 138. Parmi ceux-ci un grand nombre étaient âgés de trois à douze ans ; d'autres étaient encore à la mamelle et parlaient distinctement et correctement le français 139. Ces discours, qui souvent duraient plusieurs heures, auraient été impossibles pour ces petits orateurs, s'ils avaient été dans leur état normal 140.
"Or, quelle était la signification de cette série de prodiges franchement reconnus et admis par Figuier dans son livre ? Pas de signification du tout ! "Ce n'était pas autre chose, dit-il, que l'effet d'une exaltation momentanée des facultés intellectuelles 141". "Ces phénomènes, ajoute-t-il, peuvent être observés dans beaucoup de cas d'affections cérébrales.
Une exaltation momentanée, qui dure pendant plusieurs heures dans les cerveaux de petits enfants au-dessous d'un an, non encore sevrés, et parlant en bon français, avant d'avoir appris un mot dans leur propre patois ! O miracle de la physiologie ! Prodige devrait être ton nom !" s'écrie des Mousseaux.
Le Dr Calmeil, dans son ouvrage sur l'insanité, remarque Figuier, lorsqu'il parle de la théomanie extatique des Calvinistes, conclut que la maladie doit être attribuée, dans les cas les plus simples, à l'HYSTÉRIE, et dans les autres d'un caractère plus grave, à l'ÉPILEPSIE... Nous inclinons plutôt, dit Figuier, vers l'opinion qui en fait une affection sui generis, et pour donner un nom approprié à cette maladie, nous nous contenterions de celui de Convulsionnaires trembleurs des Cévennes" 142.
Encore la théomanie et l'hystérie ! Les corporations médicales doivent être elles-mêmes atteintes d'une atomomanie incurable ; sans cela, pourquoi mettraient-elles en avant de pareilles absurdités sous le nom de Science, avec l'espoir de les faire accepter ? [94]
139 Ibidem, p. 267, 401 402.
140 Ibidem, p. 266 et seq. 399-402.
141 Ibidem, p. 403.
142 Histoire du Merveilleux, vol. II, p. 397.
"Telle était la fureur d'exorcismes et de bûchers, continue Figuier, que les moines virent des possessions de démons, partout oh ils avaient besoin de miracles, soit pour jeter plus de jour sur la toute-puissance du Diable, soit pour faire bouillir leur marmite au couvent" 143.
Pour ce sarcasme, le pieux des Mousseaux exprime une cordiale gratitude à Figuier ; car, fait-il observer, "il est en France un des premiers écrivains, qu'à notre grande surprise nous ne voyions pas nier les phénomènes qui, depuis longtemps, sont indéniables. Mû par un sentiment de haute supériorité et même de dédain pour la méthode employée par ses prédécesseurs, M. Figuier désire que ses lecteurs sachent qu'il ne suit pas la même route qu'eux. "Nous ne rejetterons pas, dit-il, comme indignes de créance, des faits, uniquement parce qu'ils sont embarrassants pour notre théorie. Au contraire, nous recueillerons tous les faits que la même évidence historique nous a transmis, et qui, par conséquent, ont droit à la même créance, et c'est sur la masse entière de ces faits que nous baserons l'explication naturelle que nous avons à en fournir, à notre tour, comme suite à celle qu'en ont donnée les savants qui ont traité ce sujet avant nous" 144.
Là-dessus, le Dr Figuier continue ; il fait quelques pas en avant, et se plaçant au milieu des convulsionnaires de Saint Médard, il invite ses lecteurs à étudier, sous sa direction, les prodiges qui ne sont pour lui que de simples effets des lois de la nature 145.
143 Ibidem, p. 26-27.
144 Ibidem, p. 238.
145 Des Mousseaux, Magie au XIXème siècle, p. 428.
Mais, avant d'aller plus loin, et afin de bien montrer l'opinion de Figuier, nous aurons, à notre tour, à rafraîchir la mémoire du lecteur sur ce qu'étaient les miracles Jansénistes, d'après les témoignages historiques.
Le diacre Pâris était un Janséniste qui mourut en 1727. Immédiatement après sa mort, les phénomènes les plus surprenants se manifestèrent sur son tombeau. Le cimetière était plein de monde du matin jusqu'au soir. Les Jésuites, exaspérés de voir des hérétiques opérer des guérisons et autres merveilles, obtinrent des magistrats un ordre interdisant rigoureusement à tout le monde l'accès à la tombe du diacre. Mais, malgré toute l'opposition qu'on leur faisait, les prodiges continuèrent et durèrent encore pendant plus de vingt années. Mgr Douglas, qui vint à Paris en 1749 dans ce seul but, visita les lieux, et il raconte que les miracles continuaient parmi les convulsionnaires. Lorsqu'il vit que tous les efforts tentés pour les arrêter échouaient, le clergé catholique fut bien forcé d'admettre leur réalité : mais il s'abrita, suivant la coutume, derrière [95] l'intervention du Diable. Hume, dans ses Philosophical Essays, dit : "Il n'y eut, certes, jamais un aussi grand nombre de miracles attribués à une personne, que ceux qu'on dit avoir été opérés, en France, sur le tombeau de l'abbé Pâris... Guérir les malades, rendre l'ouïe aux sourds et la vue aux aveugles, sont choses qu'on attribuait communément à ce tombeau sacré. Mais, ce qui est plus extraordinaire encore, beaucoup de ces miracles furent opérés sur le champ, devant des Juges d'une intégrité incontestable, et cela dans un siècle d'érudition, et sur le théâtre le plus éminent du monde... et ce ne sont pas les Jésuites, tout instruits qu'ils soient, appuyés par des magistrats civils et ennemis acharnés des opinions en faveur desquelles on prétend que ces miracles furent opérés, qui les aient jamais réfutés ou expliqués" 146. Telle est la preuve historique. Le Dr Middleton, dans son A Free Enquiry, livre qu'il écrivit à une époque où les manifestations étaient en décroissance, c'est-à-dire environ dix-neuf ans après leur début, déclare que l'évidence de ces miracles est tout à fait aussi complète que celle des merveilles attribuées aux apôtres.
Ces phénomènes si bien authentifiés par des milliers de témoins en présence de magistrats, et en dépit du clergé catholique, figurent parmi les plus surprenants de l'histoire. Carré de Montgeron, membre du Parlement, devenu célèbre par ses relations avec les Jansénistes, les énumère soigneusement dans son ouvrage, qui comprend quatre forts volumes in- quarto, dont le premier est dédié au roi, sous le titre : La vérité des miracles opérés par l'intercession de M. de Pâris... démontrée contre l'archevêque de Sens. Ouvrage dédié au roi, par M. de Montgeron conseiller au Parlement. L'auteur présente une quantité énorme de témoignages officiels et personnels de la véracité de chaque cas. Pour avoir parlé irrespectueusement du clergé romain, Montgeron fut enfermé à la Bastille, mais son ouvrage fut accepté.
146 Hume, Philosophical Works, "of Miracles", Part. II. Londres, 1874, 75.
Voyons, maintenant, ce que le Dr Figuier a à dire au sujet de ces phénomènes incontestablement historiques ; le savant auteur cite des passages des procès-verbaux, dont voici quelques extraits : "Une convulsionnaire se courbe en arrière comme un arc, ses reins étant soutenus sur la pointe d'un pieu très aigu. Elle demande qu'on la frappe avec une pierre pesant cinquante livres, suspendue par une corde passant dans une poulie fixée au plafond. La pierre, élevée jusqu'à sa plus grande hauteur, retombe de tout son poids sur le ventre de la patiente, dont le dos porte toujours sur la pointe du pieu. Montgeron et d'autres nombreux témoins attestent que ni la chair ni la peau des reins n'en laissaient voir la moindre trace, [96] et que la jeune fille, afin de prouver qu'elle n'éprouvait aucune douleur, ne cessait de crier : Plus fort ! plus fort ! 147.
147 [Hist. du Merveilleux, I, p. 380.]
148 Figuier, op cit., I, 383.
"Jeanne Maulet, âgée de vingt ans, le dos appuyé contre un mur, recevait sur l'estomac une centaine de coups d'un marteau de forge, pesant trente livres ; les coups, administrés par un homme très fort, étaient si violents, qu'ils ébranlaient la muraille. Pour éprouver la force des coups, Montgeron en fit lui-même l'essai sur le mur en pierre auquel la jeune fille était adossée... Il prit un de ces instruments des guérisons Jansénistes, appelés le "GRAND SECOURS". "Au vingt-cinquième coup, dit-il, la pierre sur laquelle je frappais, ébranlée par les coups précédents, se détacha et tomba de l'autre côté de la muraille, en laissant une ouverture d'environ un demi- pied de diamètre". Lorsque les coups étaient frappés avec violence sur une plaque de fer placée en guise de plastron sur l'estomac d'un Convulsionnaire (qui est souvent une femme frêle et délicate), on aurait dit que le corps allait être aplati, l'épine dorsale brisée, et les intestins entièrement broyés par la force des coups (vol. 1, p. 380). Mais loin de là ; la Convulsionnaire criait, avec une expression de parfait ravissement sur le visage : "Oh que c'est délicieux ! Que cela me fait du bien ! Du courage, frère ; frappez le double plus fort, si vous le pouvez !" 148. Il nous reste maintenant, continue le Dr Figuier, à essayer d'expliquer les étranges phénomènes que nous venons de décrire" 149.
"Nous avons dit, dans l'Introduction de cet ouvrage, qu'au milieu du XIXème siècle, une des plus célèbres épidémies de possession éclata en Allemagne. C'est celle des Nonnains, qui opéraient tous les miracles les plus admirés depuis les temps de saint Médard, et même de plus grands encore ; par exemple, faire des sauts périlleux, gravir un mur vertical, parler des LANGUES ÉTRANGÈRES" 150.
149 Ibidem, p. 397.
150 Ibidem, p. 401.
151 Ibidem, p. 401.
Le rapport officiel de ces merveilles, qui est encore plus complet que le récit de Figuier, ajoute quelques détails, tels que les faits "de personnes affectées se tenant pendant des heures sur la tête ; qui racontaient avec exactitude les événements qui s'accomplissaient au moment même dans la maison des membres du comité, ce qui fut vérifié par la suite. Des hommes et des femmes étaient maintenus suspendus en l'air par une force invisible, et les efforts combinés des membres de la commission d'enquête furent insuffisants pour les faire redescendre. De vieilles femmes montaient le long des murs perpendiculaires de trente pieds de haut, avec l'agilité de chats sauvages, etc., etc. [97]
On s'attend, maintenant, à ce que le savant critique, l'éminent médecin et psychologue, qui, non seulement croit à ces incroyables phénomènes, mais encore les décrit minutieusement lui-même, et con amore, pour ainsi dire, va étonner le lecteur, par quelque explication tellement extraordinaire, que sa manière de voir scientifique inaugurera réellement une ère dans les champs encore inexplorés de la psychologie. Eh bien, oui, il nous surprend, il nous abasourdit ; car, à tout cela, il répond tranquillement : On eut recours au mariage pour mettre un terme aux désordres des Convulsionnaires 151.
Ici, pour une fois, des Mousseaux eut beau jeu contre son adversaire. "Le mariage ! Est-ce cela que vous voulez dire ?", dit-il. Le mariage guérit les gens de la faculté de monter le long des hautes murailles, comme autant de mouches et de parler les langues étrangères ! Oh ! curieuses propriétés du mariage, dans ces temps extraordinaires !
"Il faut ajouter, continue Figuier, qu'avec les fanatiques de Saint Médard, les coups n'étaient jamais frappés que pendant les crises de convulsions, et que, par conséquent, ainsi que le fait remarquer le Dr Calmeil, le météorisme de l'abdomen, l'état spasmodique de l'utérus chez les femmes et du canal alimentaire, dans tous les cas l'état de contraction, d'éréthisme de turgescence des enveloppes charnues des muscles qui recouvrent et protègent l'abdomen, la poitrine, et les masses vasculaires principales et les surfaces osseuses peuvent avoir singulièrement contribué à réduire et même à détruire la force des coups !
L'étonnante résistance que la peau, le tissu aréolaire, la surface du corps et des membres des convulsionnaires offraient aux choses qui paraissaient devoir les écraser est de nature à exciter une surprise plus grande. Néanmoins, elle peut encore être expliquée. Cette force de résistance, cette insensibilité parait tenir à des modifications extrêmes de la sensibilité, qui peuvent survenir dans l'économie animale, pendant une période de grande exaltation. La colère, la peur, et en un mot toutes les passions, pourvu qu'elles soient poussées au paroxysme, peuvent produire cette insensibilité 152.
152 Ibidem, vol II, pp. 410, 411.
Remarquons en outre, ajoute le Dr Calmel cité par Figuier, que pour frapper sur le corps des convulsionnaires, l'on faisait usage d'objets massifs à surfaces plates ou rondes, ou de formes cylindriques et mousses. L'action de ces agents physiques n'est pas comparable, au point de vue du danger qu'elle offre, à celle de cordes, d'instruments souples et flexibles, ou ayant des bords [98] tranchants ou aigus. Enfin, le contact et le choc des coups produisaient sur les convulsionnaires l'effet d'une douche salutaire, et diminuaient la violence des tortures de L'HYSTÉRIE" 153.
Que le lecteur veuille bien ne pas oublier que ceci n'est pas une plaisanterie, mais bien une théorie sérieusement émise par un des plus éminents docteurs en médecine de France, chargé d'années et d'expérience, Directeur et médecin en chef de l'Asile d'aliénés de Charenton. Certes, cette explication serait capable d'induire le lecteur en erreur. On serait tenté de croire que le Dr Calmeil a fréquenté ses pensionnaires plus longtemps qu'il ne convenait à sa santé et au bon fonctionnement de son cerveau.
D'ailleurs, lorsque Figuier parle d'objets massifs, de forme cylindrique ou mousse, il oublie certainement les pieux pointus en fer, les épées et les haches dont il a fait la description lui-même à la page 409 de son premier volume. Il nous fait voir le frère d'Elie Marion se frappant l'estomac et l'abdomen avec un couteau pointu et affilé, et avec une violence extrême, son corps résistant tout le temps, comme s'il était en fer 154.
153 Ibidem, p. 413.
154 [Ibidem, I, 409 ; II, 407.]
Ici, des Mousseaux perd toute patience, et s'écrie avec indignation :
"Est-ce que le savant médecin était bien éveillé, lorsqu'il écrivait ces choses ?... Si, par hasard, les Drs Calmeil et Figuier maintiennent sérieusement leurs dires, et persistent dans leurs affirmations et dans leurs théories, nous leur répondrons ceci : Nous sommes parfaitement disposés à vous croire. Mais, avant de faire cet effort surhumain de condescendance, voulez-vous nous prouver la vérité de votre théorie d'une manière plus pratique ? Laissez nous, par exemple, provoquer chez vous une violente et terrible passion, la colère ou même la rage, si vous voulez. Permettez-nous, pour un moment, de vous irriter, d'être envers vous grossier, insultant. Naturellement nous ne le serions qu'à votre demande et dans l'intérêt de la science et de votre cause. Notre devoir, en vertu de ce contrat, consisterait à vous humilier et à vous provoquer jusqu'à la dernière limite.
Devant un public nombreux, qui ne saura rien de nos conventions, mais à qui vous devrez prouver vos assertions, nous vous insulterons grossièrement... Nous vous dirons que vos écrits sont un piège tendu à la vérité, une injure au sens commun, une honte que le papier seul peut porter ; mais que le public doit flétrir. Nous ajouterons que vous mentez à la science, que vous mentez à la face des ignorants et des stupides insensés qui se pressent autour de vous, bouche bée, comme une foule autour [99] d'un charlatan courant les foires... Et lorsque, transporté de colère, hors de vous, le visage cramoisi, tuméfié par la fureur vous aurez bien déplacé vos fluides, lorsque votre irritation sera à son comble, nous frapperons des coups violents et terribles sur vos muscles turgescents ; vos amis nous indiqueront les endroits les plus insensibles ; et nous y laisserons tomber une bonne averse, une avalanche de pierres... car c'est ainsi qu'était traitée la chair de ces femmes convulsées, dont la soif de ces coups n'était jamais satisfaite. Mais, afin de vous procurer la satisfaction d'une douche salutaire, comme vous le dites si gracieusement, vos membres ne seront frappés qu'avec des objets ayant des surfaces mousses et des formes cylindriques, avec des gourdins et des bâtons arrondis au tour" 155.
Des Mousseaux est tellement libéral, tellement décidé à fournir à ses adversaires toutes les chances possibles pour prouver leur théorie, qu'il leur offre le choix de se faire remplacer, dans cette expérience, par leurs femmes, leurs mères, leurs sueurs ou leurs filles, puisque, dit-il, vous avez vous-mêmes fait observer que le sexe faible est le sexe fort qui résiste le mieux dans ces épreuves déconcertantes".
Inutile d'ajouter que le défi de des Mousseaux demeura sans réponse.
155 [La Magie, etc., pp. 430-431.]