FRAGMENT I
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LA VOIX DU SILENCE
Ces instructions sont pour ceux qui ignorent les dangers des IDDHI inférieurs 1.
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1 Le mot pâli Iddhi est synonyme du sanscrit Siddhi, et signifie les facultés psychiques, les pouvoirs supra normaux de l'homme. Il y a deux espèces de Siddhi ; un groupe contient les énergies psychiques et mentales inférieures, grossières ; l'autre exige le plus haut entraînement des pouvoirs Spirituels. Comme dit Krishna dans la Shrîmad Bhâgavata :
"Celui qui est engagé dans l'accomplissement du Yoga, qui a soumis ses sens et concentre son mental en moi, (Krishna) est un des Yogis que tous les Siddhis sont prêts à servir."
2 La "Voix Muette" ou la "Voix du Silence". Littéralement il faudrait peut- être lire : "La Voix dans le Son Spirituel", car le mot Nada est l'équivalent sanscrit du terme Sen-zar.
3 Dhâranâ est la concentration intense et parfaite du mental sur quelque objet intérieur de perception, accompagnée d'une abstraction complète de tout ce qui appartient à l'Univers extérieur ou au monde des sens.
Qui veut entendre et comprendre la voix de Nada 2, "le Son Muet", doit apprendre la nature de Dhâranâ 3.
Devenu indifférent aux objets de perception, l'élève devra [2] chercher le râjah des sens, le producteur de la pensée, celui qui éveille l'illusion,
Le mental est le grand destructeur du réel. Que le disciple détruise le destructeur.
Car :
Lorsqu'à lui-même sa forme paraîtra non réelle, comme au réveil paraissent les formes vues en rêve.
Lorsqu'il aura cessé d'entendre le multiple, il pourra discerner l'UN – le son intérieur qui tue l'extérieur.
Alors, et alors seulement, il abandonnera la région d'Asat, le faux, pour entrer dans le royaume de Sat, le vrai.
Avant que l'âme puisse voir, il faut avoir obtenu l'harmonie intérieure et rendu les yeux de chair aveugles à toute illusion.
Avant que l'âme puisse entendre, l'image (l'homme) doit être devenue sourde aux fracas comme aux murmures, aux cris des éléphants barissants comme au bourdonnement argentin de la luciole d'or.
Avant que l'âme puisse comprendre et se souvenir, elle doit être unie au Parleur silencieux, comme à l'esprit du potier l'est la forme sur laquelle l'argile est modelée.
Alors l'âme entendra, et se souviendra. Alors à l'oreille intérieure parlera
LA VOIX DU SILENCE
Et elle dira : [3]
Si ton âme sourit en se baignant dans le soleil de ta vie, si ton âme chante dans sa chrysalide de chair et de matière ; si ton âme pleure en son château d'illusion ; si ton âme se débat pour briser le fil d'argent qui l'attache au MAITRE 4 ; sache-le, ô disciple, c'est de la terre qu'est ton Ame.
4 Le "grand Maître" est le terme employé par les lanous ou chélas [disciples] pour indiquer notre "Soi Supérieur". C'est l'équivalent d'Avalôkiteshvara, et le même que l'Adi-Boudha des occultistes bouddhistes, l'ATMAN, le "Soi" (le Soi Supérieur) des Brahmines et le CHRISTOS des anciens Gnostiques.
Lorsque ton Âme 5 en bouton prête l'oreille au tumulte du monde, lorsque ton Ame répond à la voix délirante de la grande illusion 6 ; lorsque effrayée à la vue des chaudes larmes de la douleur, assourdie par les cris de détresse, ton Ame se retire comme la timide tortue dans la carapace de l'ÉGOÏSME, sache-le ô disciple, ton Ame est un tabernacle indigne de son "Dieu" silencieux.
Quand, devenant plus forte, ton Ame se glisse hors de sa sûre retraite, et s'arrachant à son enveloppe protectrice, déroule son fil argenté et s'élance ; quand, apercevant son image sur les vagues de l'Espace, elle murmure : "Ceci, c'est moi", avoue, ô disciple, que ton Ame est prise dans les rêts de l'illusion 7. [4]
Cette Terre, disciple, est la Salle de Douleur ; ici, le long du sentier des dures épreuves, des pièges sont disposés pour saisir ton EGO dans l'illusion appelée "la Grande Hérésie" 8.
Cette terre, ô disciple ignorant, n'est que l'entrée sinistre menant au crépuscule qui précède la vallée de vraie lumière, cette lumière que nul vent ne peut éteindre, cette lumière qui brûle sans mèche ni aliment.
Il est dit dans la Grande Loi : "Avant de devenir le CONNAISSEUR du TOUT SOI 9, tu dois être d'abord le connaisseur de ton soi". Pour arriver à connaître ce Soi, il faut abandonner le soi au Non-Soi, l'Etre au Non-Etre ; alors tu pourras reposer entre les ailes du GRAND-OISEAU. Oui, doux est le repos entre les ailes de ce qui n'est pas né, de ce qui ne meurt pas, mais qui est l'AUM 10, à travers l'éternité des âges 11. [5]
5 Ame est employé ici pour Ego Humain ou Manas, ce qui dans notre division septénaire occulte est appelé "Ame Humaine" (voir La Doctrine Secrète), pour la distinguer des Ames Spirituelle et Animale.
6 Mahâ Mâyâ, "Grande Illusion".
7 Sakkâyaditthi, "l'illusion" de la personnalité.
8 Attavâda, l'hérésie de la croyance à l'âme, ou plutôt à la séparation de cette Ame, ou Soi, d'avec le Soi Un, Universel et infini.
9 Le Tattvajñâni est le "connaisseur" ou celui qui discerne les principes de la nature et de l'homme ; et l'Atmajñâni est le connaisseur d'ATMAN ou du Soi UN, Universel.
10 Kâla Hamsa, l' "Oiseau" ou Cygne (voir note 11). Il est dit dans la Nâda- Bindu Upanishad (Rig Veda), traduite par la Société 'Théos. de Kumbakonam [The Theosophist, 1889, pp. 478-82] : "La syllabe A est considérée comme son aile droite, U, l'aile gauche, M, la queue, et l'Ardhamâtrâ (demi-mètre), comme sa tête."
11 Éternité signifie, pour les Orientaux, tout autre chose que pour nous et indique généralement les 100 années ou "âge" de Brahmâ, la durée d'un Mahâ Kalpa, ou une période de 311.040.000.000.000 d'années.
Monte l'Oiseau de Vie, si tu veux savoir 12, Abandonne ta vie, si tu veux vivre 13,
Trois Salles, ô pèlerin fatigué, aboutissent au terme des labeurs. Trois Salles, ô conquérant de Mâra, te mèneront par trois états 14 au quatrième 15, et de là dans les sept mondes 16 les mondes dit d'éternel Repos.
Si tu veux savoir leurs noms, alors écoute et souviens-toi. Le nom de la première Salle est IGNORANCE, Avidyâ.
C'est la salle où tu as vu le jour, où tu vis, et où tu mourras 17.
Le nom de la seconde est la Salle d'APPRENTISSAGE18. [6] Là ton Âme trouvera les fleurs de la vie, mais sous chaque fleur un serpent enroulé 19.
12 D'après la Nâda-Bindu, déjà citée, "un Yogi qui monte le Hamsa (qui médite sur Aum) n'est pas affecté par les influences karmiques ni par les milliards de péchés".
13 Abandonne la vie de la personnalité physique si tu veux vivre en Esprit.
14 Les trois états de conscience, qui sont Jagrat, la veille ; Svapna, le rêve ; et Sushupti, le sommeil profond. Ces trois conditions yogiques mènent à la quatrième, ou –
15 L'état Turîya, au delà de l'état sans rêve : l'état suprême, celui de haute conscience spirituelle.
16 Certains mystiques sanscrits placent sept plans de l'être, les sept Lokas ou mondes spirituels, dans le corps de Kâla-Hamsa, le Cygne hors du Temps et de l'Espace, qui devient le Cygne dans le Temps, lorsqu'il devient Brahmâ au lieu de Brahma (neutre).
17 Le monde phénoménal des sens et de la conscience terrestre, seulement.
18 La Salle d'Apprentissage pour la probation.
19 La région astrale, le Monde Psychique des perceptions supra sensorielles et des visions trompeuses, le monde des médiums. C'est le grand "Serpent Astral" d'Eliphas Lévi. Aucune fleur cueillie dans ces régions n'a encore jamais été rapportée sur terre sans un serpent enroulé autour de sa tige. C'est le monde de la Grande Illusion.
20 La région de la pleine Conscience Spirituelle au delà de laquelle il n' a plus de danger pour celui qui l'a atteinte.
21 L'Initié qui conduit le disciple, par la Connaissance qui lui est donnée, à sa naissance spirituelle ou seconde naissance, est appelé le Père, Guru ou Maître.
22 Ajñâna est l'ignorance ou la non-sagesse, l'opposé de la "Connaissance" ou Jñâna.
Le nom de la troisième Salle est SAGESSE ; au delà s'étendent les eaux sans rivages d'AKSHARA, Source indestructible de l'Omniscience 20.
Si tu veux traverser sain et sauf la première Salle, ne permets pas à ton esprit de prendre pour le Soleil de vie les feux de la convoitise qui y brûlent.
Si tu veux franchir sans danger la seconde, ne t'arrête pas à respirer le parfum de ses fleurs stupéfiantes. Si tu veux être libre des chaînes karmiques, ne cherche pas ton Guru dans ces régions mâyâviques.
Les SAGES ne s'attardent pas dans les bosquets des sens.
Les SAGES ne prennent pas garde aux voix mielleuses de l'illusion. Celui qui doit te donner naissance 21 cherche-le dans la Salle de Sagesse, la Salle qui s'étend au delà, où toutes les [7] ombres sont inconnues, et où la lumière de la vérité resplendit d'une gloire impérissable.
Ce qui est incréé réside en toi, disciple, comme aussi dans cette salle. Si tu veux y atteindre et fusionner les deux, il faut dépouiller tes sombres vêtements d'illusion. Etouffé la voix de la chair, ne laisse aucune image des sens s'interposer entre cette lumière et la tienne, afin que les deux puissent se fondre en une. Dès que tu auras appris ta propre Ajñâna 22, fuis la Salle d'Apprentissage. Cette Salle est dangereuse dans sa perfide beauté, et n'est utile que pour ta probation. Prends garde lanou, qu'éblouie par un rayonnement illusoire ton âme ne s'attarde et ne se prenne à cette clarté décevante.
Cette clarté rayonne du joyau du grand Ensorceleur (Mâra) 23. Elle séduit les sens, aveugle le mental, et laisse l'imprudent telle une épave abandonnée.
La phalène attirée vers la flamme étincelante de ta lampe nocturne est condamnée à périr dans l'huile visqueuse. L'âme imprudente qui manque l'occasion de saisir à bras-le-corps le démon moqueur de l'illusion reviendra vers la terre esclave de Mâra. [8]
Regarde les Légions d'Ames. Observe comme elles errent au-dessus de la mer orageuse de la vie humaine, et comment, épuisées, sanglantes, les ailes brisées, elles tombent l'une après l'autre dans les vagues enflées. Ballottées par les vents furieux, poursuivies par l'ouragan, elles dérivent dans les remous et disparaissent dans le premier grand tourbillon.
Si, après avoir traversé la Salle de Sagesse, tu veux atteindre la Vallée de Béatitude, disciple, ferme bien tes sens à la grande et cruelle hérésie de la séparativité qui te sèvre du reste.
Ne laisse pas ton principe "né du Ciel", plongé dans l'océan de Mâyâ, se détacher du Parent Universel (l'AME), mais laisse le pouvoir igné se retirer dans la demeure intime, la cavité du Cœur 24 et le séjour de la Mère du Monde 25.
23 Mâra dans les religions exotériques est un démon, un Asura : mais en philosophie ésotérique, il est la personnification de la tentation par les vices des hommes, et, traduit littéralement, signifie "ce qui tue" l'Ame. Il est représenté comme un Roi (celui des Mâras), avec une couronne où brille un joyau d'un tel éclat, qu'il aveugle ceux qui le regardent ; cet éclat est évidemment exercée par le vice sur certaines natures.
24 La cavité intérieure du Cœur, appelée en sanscrit Brahma-pura. "Le pouvoir igné" est Kundalini.
25 "Pouvoir" et "Mère du monde" sont des noms donnés à Kundalini, l'un des pouvoirs mystiques des Yogis. C'est Bouddhi considérée comme principe actif au lieu de passif (tandis qu'elle est généralement passive, quand on ne la considère que comme le véhicule de l'Esprit Suprême, ATMA). C'est une force électro-spirituelle, un pouvoir créateur qui une fois éveillé à l'activité peut tuer aussi bien que créer.
Alors, du cœur, ce Pouvoir s'élèvera dans la sixième région, la région médiane, l'endroit entre tes yeux, où il devient, le souffle de l'AME-UNE, la voix qui remplit tout, la voix de ton Maître.
C'est seulement alors que tu pourras devenir un [9] "Promeneur du Ciel" 26, qui marche sur les vents au-dessus des vagues, sans que ses pas touchent les eaux.
Avant de poser le pied sur le degré supérieur de l'échelle des sons mystiques, tu devras entendre de sept manières la voix de ton Dieu intérieur 27.
Le premier son est comme la douce voix du rossignol psalmodiant à sa compagne un chant d'adieu.
Le second arrive comme le bruit d'une cymbale d'argent des Dhyânis éveillant les étoiles scintillantes.
Le suivant ressemble à la plainte mélodieuse d'un lutin de l'océan. emprisonné dans son coquillage.
Il est suivi du chant de la vînâ 28.
Le cinquième siffle dans ton oreille comme le son d'une flûte de bambou.
Puis il se change en une sonnerie de trompette.
Le dernier vibre comme le grondement sourd d'une nuée d'orage. [10]
26 Khechara, "celui qui se promène ou va au ciel". Ainsi que l'explique le 6ème Adhydya de ce roi des traités mystiques, le Jñâneshvari, – le corps du Yogi devient comme formé du vent ; comme "un nuage d'où les membres auraient poussé". Après quoi, "il (le Yogi) aperçoit les choses qui sont au delà des mers et des étoiles, il entend le langage des Devas et le comprend, et perçoit ce qui se passe dans l'esprit de la fourmi".
27 Le SOI Supérieur.
28 La vînâ est un instrument ressemblant à un luth.
Le septième engloutit tous les autres sons, ils meurent, et on ne les entendra plus.
Quand les six 29 sont tués et déposés aux pieds du Maître, alors l'élève est plongé dans l'UN 30, devient cet UN, et il y vit.
Avant d'entrer dans ce sentier, tu dois détruire ton corps lunaire 31, nettoyer ton corps mental 32, et purifier ton cœur.
Les eaux pures de la vie éternelle, claires et cristallines, ne peuvent se mêler aux torrents boueux des tempêtes de la mousson.
La goutte de rosée céleste qui brille dans le sein du lotus aux premiers rayons du soleil du matin devient un morceau d'argile lorsqu'elle tombe à terre : voilà la perle changée en fange.
Lutte avec tes pensées impures avant qu'elles ne le dominent. Agis avec elles comme elles le feraient avec toi, si tu les ménages, qu'elles prennent racine et poussent, sache-le bien, ces pensées te terrasseront et te tueront. [11] Prends garde, disciple, ne souffre même pas que leur ombre t'approche, car, croissant en grandeur et en force, cette chose de ténèbres, absorbera ton être avant que tu aies bien pu te rendre compte de la sombre présence du monstre immonde.
Avant que le "pouvoir mystique" 33 puisse faire de toi un dieu, lanou, tu auras dû acquérir la faculté de tuer à volonté ta forme lunaire.
29 Les six principes, c'est-à-dire quand la personnalité inférieure est détruite et que l'individualité intérieure est plongée et perdue dans le Septième principe ou Esprit.
30 Le disciple est un avec Brahmâ ou l'ATMAN.
31 La forme astrale produite par le principe kâma, le kâma-rûpa ou corps de désir.
32 Mânasa-rûpa. Le premier [corps] se rapporte au Soi astral on personnel : le second à l'individualité ou l'Ego qui se réincarne, et la conscience sur notre plan, ou Manas inférieur, doit être paralysée.
33 Kundalinî, le "pouvoir serpent" ou feu mystique. Kundalinî est appelée le pouvoir "serpent" ou annulaire à cause de son travail ou progrès en spirale dans le corps de l'ascète qui développe ce pouvoir en lui-même. C'est un pouvoir électrique, igné, occulte ou fohatique, la grande force primitive sous-jacente à toute matière organique et inorganique.
Le Soi de matière et le SOI de l'Esprit ne peuvent jamais se rencontrer.
L'un d'eux doit disparaître, car il n'y a pas de place pour deux.
Avant que la mémoire de ton Ame puisse comprendre, le bourgeon de la personnalité doit être écrasé, et le ver des sens détruit sans résurrection possible.
Tu ne pourras parcourir le Sentier avant d'être devenu ce Sentier lui- même 34. [12]
Laisse ton Ame prêter l'oreille à tout cri de douleur, comme le lotus met son cœur à nu pour s'enivrer du soleil matinal.
Ne permets pas à l'ardent Soleil de sécher une seule larme de souffrance, avant que tu n'aies toi-même essuyé les yeux affligés.
Mais laisse toute larme humaine tomber brûlante sur ton cœur et y rester, et ne l'en efface jamais avant que soit disparue la douleur qui l'a causée.
Homme au cœur plein de compassion, ces larmes sont les ruisseaux qui arrosent les champs de l'immortelle charité. C'est dans ce terrain-là que croît la fleur de minuit de Bouddha 35, plus difficile à trouver, plus rare à contempler que la fleur de l'arbre Vogay. C'est la semence de la libération des renaissances. Elle isole l'Arhat de la lutte et de la convoitise, et le mène, à travers les champs de l'Etre, vers la paix et la béatitude connues seulement au pays du Silence et du Non-Etre.
34 Il est parlé de ce "Sentier" dans toutes les Œuvres Mystiques. Comme dit Krishna dans le Jñânashvari : "Quand ce Sentier est aperçu,... que l'on se dirige vers l'épanouissement de l'orient ou les demeures de l'occident, sans mouvement, ô porteur de l'arc, est le voyage sur cette route. Dans ce sentier, quelque part où l'on veuille aller, cet endroit devient vous-même". "Tu es le Sentier", est-il dit au Guru adepte, et par celui-ci au disciple, après l'initiation. "Je suis la voie et le Sentier", dit un autre MAITRE.
35 L'adeptat, la "floraison de Bodhisattva".
Tue le désir ; mais si tu le tues, prends garde qu'il ne se relève d'entre les morts.
Tue l'amour de la vie ; cependant si tu détruis tanhâ 36, que ce ne soit pas par soif de vie éternelle, mais pour remplacer le variable par le durable.
36 Tanhâ, la "volonté de vivre", la crainte de la mort et l'amour de la vie, la force ou énergie qui cause les renaissances.
Ne désire rien. Ne t'emporte pas contre Karma, ni contre [13] les lois immuables de la Nature. Lutte seulement contre le personnel, le transitoire, l'éphémère et le périssable.
Aide la nature et travaille avec elle : la nature te regardera comme l'un de ses créateurs et fera sa soumission.
Et devant toi elle ouvrira tout grands les portails de ses demeures secrètes, et sous tes yeux elle mettra à nu les trésors cachés dans les profondeurs mêmes de son sein pur et vierge. Impolluée par la main de la matière, elle ne découvre ses trésors qu'à l'œil de l'Esprit, l'œil qui ne se ferme jamais, l'œil pour lequel il n'y a de voiles dans aucun de ses royaumes.
C'est alors qu'elle te montrera les moyens et la voie, la première porte et la seconde, la troisième, jusqu'à la septième même. Puis, le but – au-delà duquel baignées dans le grand soleil de l'Esprit, des gloires inexprimées s'étendent invisibles pour tous, sauf pour l'œil de l'Âme.
Il n'y a qu'une route qui mène au Sentier ; et c'est au bout seulement que l'on peut entendre la "Voix du Silence". L'échelle par où monte le candidat est faite de barreaux de souffrance et de peine ; la voix de la vertu peut seule les réduire au silence. Donc, malheur à toi, disciple, s'il est un seul vice que tu n'aies pas laissé derrière toi. Car alors l'échelle cédera et te renversera, son pied repose dans la boue profonde de tes péchés et de tes échecs, et avant de pouvoir essayer de traverser ce large abîme de matière, tu dois laver tes pieds dans les Eaux du Renoncement. Prends garde de poser un pied encore souillé sur le premier barreau avec des pieds boueux. La fange impure et [14] visqueuse séchera, deviendra tenace, et lui rivera, les pieds sur place, comme un oiseau pris à la glu de l'astucieux oiseleur, il sera retenu en tout progrès ultérieur. Ses vices perdront forme et l'entraîneront en bas. Ses péchés élèveront leurs voix, comme le chacal rit et sanglote après le coucher du soleil ; ses pensées deviendront une armée et le traîneront en captivité tel un esclave.
Tue tes désirs, lanou, rends tes vices impuissants, avant de faire le premier pas du solennel voyage.
Etrangle tes péchés et rends-les muets à tout jamais, avant de lever un pied pour monter à l'échelle.
Fais taire tes pensées, et fixe toute ton attention sur le Maître que tu ne vois pas encore, mais que tu pressens.
Engloutis tes sens en un seul sens, si tu veux être à l'abri de l'ennemi. C'est par ce seul sens, caché dans la cavité de ton cerveau, que les faibles yeux de ton Âme pourront découvrir le sentier ardu qui conduit à ton Maître.
Longue et lassante est la voie devant toi, ô disciple. Une seule pensée donnée au passé laissé derrière te fera retomber, et il faudra recommencer l'ascension.
Tue en toi-même tout souvenir d'impressions passées. Ne regarde pas en arrière ou tu es perdu.
Ne crois pas qu'on puisse jamais détruire la convoitise en la satisfaisant à satiété : c'est là une abomination, inspirée par Mâra. C'est quand on le nourrit que le vice prend [15] de l'extension et des forces, comme le ver qui s'engraisse du cœur de la fleur.
La rose doit devenir le bourgeon né de la branche mère, avant que le parasite ne l'ait rongé jusqu'au cœur et n'en ait bu la sève.
L'arbre doré produit, ses bourgeons-bijoux avant que son tronc ne soit flétri par l'orage.
L'élève doit regagner l'état d'enfance qu'il a perdu, avant que le premier son puisse frapper son oreille.
La lumière qui vient du Maître UNIQUE, la lumière d'or de l'Esprit, une et impérissable, lance dès le début ses ondes éclatantes sur le disciple. Ses rayons franchissent les nuages de matière épais et sombres.
Ces rayons l'illuminent par-ci par-là, comme des étincelles de soleil éclairent la terre à travers l'épais feuillage de la jungle. Mais, ô disciple, à moins que la chair ne soit passive, la tête froide, l'âme aussi ferme et pure qu'un lumineux diamant, le rayonnement n'atteindra pas la cavité 37, son éclat ne réchauffera pas le cœur, et les sons mystiques venus des hauteurs akâshiques 38 n'atteindront pas l'oreille, si attentive qu'elle soit, au stade initial.
A moins d'entendre, tu ne peux voir.
A moins de voir, tu ne peux entendre. Entendre et voir, c'est là le second stade. [16]
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Quand le disciple voit et entend, qu'il sent et goûte, yeux clos, oreilles bouchées, bouche et narines fermées ; quand les quatre sens se confondent et sont prêts à passer dans le cinquième, celui du toucher intérieur, alors il a passé dans le quatrième stade.
Et dans le cinquième, ô destructeur de tes pensées, tout cela doit être tué encore une fois au-delà de toute résurrection possible 39.
Tiens ton esprit à l'écart de tout objet du dehors, de tout spectacle extérieur. Tiens à l'écart les images intérieures, de peur qu'elles ne projettent une ombre sur ta lumière d'Ame.
Tu es maintenant en DHARANA 40, le sixième stade.
37 Voir page 8, note 24.
38 Ces sons mystiques, cette mélodie qu'entend l'ascète au début de son cycle de méditation, sont appelés Anâhata-shabda la par les Yogis.
39 Ceci veut dire qu'au sixième stade de développement, qui dans le système occulte est Dhâranâ, tout sens, comme faculté individuelle, doit être "tué" (ou paralysé) sur ce plan, en passant et se plongeant dans le septième sens, le plus spirituel.
40 Voir page 1, note 3.
Quand tu auras passé dans le septième, ô fortuné, tu ne percevras plus le trois sacré 41, car tu seras toi-même [17] devenu ce trois : toi-même et le mental, comme des jumeaux sur une même ligne, et l'étoile qui est ton but et brûle au-dessus de ta tête 42. Les trois qui résident dans la gloire et la béatitude ineffables ont maintenant perdu leurs noms dans le monde de Mâyâ. Ils sont devenus une seule étoile, le feu qui brûle sans consumer, ce feu qui est l'Upâdhi 43 de la Flamme.
C'est là, ô Yogi de bonne chance, ce que les hommes appellent Dhyâna 44, véritable précurseur de Samâdhi 45.
Et maintenant ton Soi est perdu dans le SOI, Toi-même en TOI- MÊME, absorbé dans CE SOI dont tu as rayonné tout d'abord. [18]
41 Chaque stade de développement en Râja-Yoga est symbolisé par une figure géométrique. Celle-ci est le Triangle sacré et précède Dhâranâ. Le !:, est le signe des hauts chélas, tandis qu'un triangle d'une autre sorte est celui des hauts Initiés. C'est le symbole "I" dont parle Bouddha et qu'il emploie comme symbole de la forme incarnée de Tathâgata, lorsqu'il est débarrassé des trois méthodes de Prajñâ. Une fois franchis les stades préliminaires et inférieurs, le disciple ne voit plus le !:,, mais le – abréviation du – le septénaire complet. Sa vraie forme ne peut être donnée ici, car il est presque sûr qu'elle serait saisie au vol par des charlatans et – employée à des fins frauduleuses.
42 L'étoile qui brûle au-dessus de la tête est "l'étoile de l'initiation". La marque de caste des Shaïvas, ou fidèles de la secte de Shiva, le grand patron de tous les Yogis, est un point noir et rond, symbole peut-être du Soleil à l'heure actuelle, mais symbole de l'étoile de l'initiation en occultisme, dans les temps anciens.
43 La base (upâdhi) de la "FLAMME" qui ne peut jamais être atteinte, tant que l'ascète est encore dans cette vie.
44 Dhyâna est l'avant-dernier stade sur cette Terre, à moins qu'on ne devienne un MAHATMA complet. Comme on l'a déjà dit, dans cet état, le Râja yogi est encore spirituellement conscient de Soi, et du travail de ses principes supérieurs. Un pas de plus, et il sera sur le plan au delà du septième (ou quatrième suivant certaines écoles). Celles-ci après la pratique de Pratyâhâra – entraînement préliminaire qui consiste à maîtriser son mental et ses pensées – comptent Dhâranâ, Dhyâna et Samâdhi, et embrassent les trois, sous le nom générique de SAMYAMA.
45 Samâdhi est l'état où l'ascète perd la conscience de toute individualité y compris la sienne. Il devient le – TOUT.
Où est ton individualité, lanou, où est le lanou lui-même ? C'est l'étincelle perdue dans le feu, la goutte dans l'océan, le Rayon toujours présent devenu le Tout et l'éternelle splendeur radieuse.
Et maintenant, lanou, tu es l'acteur et le témoin, l'émetteur et la radiation ; la Lumière dans le Son et le Son dans la Lumière.
Tu as fait connaissance avec les cinq obstacles, ô Bienheureux. Tu es leur vainqueur, le Maître du sixième, le libérateur des quatre modes de vérité 46. La lumière qui les éclaire rayonne de toi-même, ô toi qui étais disciple, mais qui es à présent Instructeur.
Et de ces modes de Vérité :
N'as-tu pas passé par la connaissance de toute misère Vérité première ?
N'as-tu pas vaincu le roi des Mâras à Tsi, le portail du rassemblement – vérité seconde ? 47.
N'as-tu pas, au troisième portail, détruit le péché et acquis la troisième vérité ? [19]
N'es-tu pas entré dans le Tao, le "Sentier" qui mène à la connaissance – la quatrième vérité ? 48.
46 Les "quatre modes de vérité" sont en Bouddhisme septentrional : Ku, "souffrance ou misère" ; Tu, "le rassemblement des tentations" ; Mu, leur destruction, et Tao, le "Sentier". Les "cinq obstacles" sont la connaissance de la misère, la vérité sur la faiblesse humaine, les abstentions pénibles et la nécessité absolue de se séparer de tous les liens de la passion et même des désirs ; le "Sentier du Salut" est le dernier.
47 Au portail du "rassemblement", le roi des Mâras, le Mahâ Mâra, se tient, essayant d'aveugler le candidat par l'éclat de son "Joyau".
48 Celui-ci est le quatrième "Sentier" parmi les cinq sentiers de la renaissance qui conduisent et précipitent tous les êtres humains en des états perpétuels de douleur et de joie. Ces "sentiers" ne sont que des subdivisions du Sentier Unique suivi par Karma.
Et maintenant, repose sous l'arbre Bodhi, qui est la perfection de toute connaissance, car, sache-le, tu es Maître de SAMADHI, l'état de vision infaillible.
Regarde ! Tu es devenu la Lumière, tu es devenu le Son, tu es ton Maître et ton Dieu. Tu es TOI-MÊME l'objet de ta recherche : la VOIX ininterrompue qui résonne à travers les éternités, exempte de changement, exempte de péché, les sept sons en un, la
VOIX DU SILENCE
Om Tat Sat.