CHAPITRE XII

"L'ABIME INFRANCHISSABLE"

 

Jamais vous n'entendrez les défenseurs vraiment philosophiques de la doctrine d'Uniformité parler des impossibilités dans la Nature. Ils ne  disent jamais, comme on les en accuse constamment, qu'il est impossible au Constructeur de l'univers de modifier Son travail... [Aucune théorie ne les déconcerte (le clergé anglais)]... Que la théorie la plus dure leur soit présentée, pourvu qu'elle soit formulée en un langage de bon ton, et ils la regarderont en face.

 

TYNDALL, Fragments of Science

(éd. 1872), pp. 156, 157, 162.

Le monde doit avoir une religion d'une espèce quelconque, alors même qu'il devrait, pour l'avoir, se lancer dans cette prostitution intellectuelle, nommée spiritisme.

 

TYNDALL.

"But first on Earth as vampire sent

Thy corpse shall from its tomb be rent... Then ghastly haunt thy native place And suck the blood of all thy race."

Lord BYRON, Giaour 234.

 

 234 Mais d'abord envoyé sur terre comme Vampire Ton cadavre sera arraché à sa tombe Puis hantera, en fantôme, ton lieu de naissance Et sucera le sang de toute ta race. (N.d.T.)

235 Il s'agit des aurores polaires (N.d.T.).

 

Nous approchons maintenant de l'enceinte sacrée de ce dieu Janus – le moléculaire Tyndall. Entrons-y pieds nus. En franchissant le portique sacro-saint du temple du savoir, nous approchons de l'éblouissant soleil du système Huxleyocentrique. Baissons les yeux, si nous ne voulons être aveuglés.

Nous avons discuté les diverses matières contenues dans ce livre avec toute la modération possible, en présence de l'attitude gardée pendant des siècles par le monde scientifique et théologique, vis-à-vis de ceux qui lui ont légué les notions sur lesquelles reposent toutes les connaissances qu'il possède actuellement. Lorsque nous nous tenons à l'écart, et que, simples spectateurs, nous [146] constatons combien les anciens savaient, et combien les modernes croient savoir, nous sommes stupéfaits que la déloyauté de nos savants contemporains puisse passer inaperçue.

Chaque jour apporte de nouvelles confessions des savants eux-mêmes, et de nouvelles critiques des observateurs profanes bien informés.  A l'appui de ce que nous avançons nous lisons dans un quotidien le passage suivant :

 "Il est curieux de noter les diverses opinions  qui prévalent parmi les savants, au sujet de quelques-uns des phénomènes naturels les plus ordinaires. L'aurore 235, par exemple, en est un exemple frappant. Descartes la considérait comme un météore tombant des régions les plus élevées de l'atmosphère. Halley l'attribuait au magnétisme du globe terrestre, et Dalton partageait cette opinion. Coats supposait que l'aurore provient de la fermentation d'une matière émanée de la terre. Marion prétendait qu'elle est la conséquence d'un contact de l'atmosphère brillante du soleil avec l'atmosphère  de notre planète. Euler pensait que l'aurore provenait des vibrations de l'éther, au sein des particules de l'atmosphère terrestre. Canton et Franklin  la considéraient comme un pur phénomène électrique, et Parrot  y  voyait  l'effet  de  la  combustion  de carbure d'hydrogène sortant de terre, par la fermentation de substances végétales ; et, suivant lui, le bombardement des astres était la cause initiale de cette conflagration. De la Rive et OErsted soutenaient que c'est un phénomène électromagnétique, mais purement terrestre. Olmsted supposait qu'un certain corps nébuleux opérait sa révolution autour du soleil dans un laps de temps donné, et que lorsque ce corps arrivait dans le voisinage de la terre, une partie de ses matières gazeuses se  mêlait à notre atmosphère, et que c'était là l'origine  du phénomène de l'aurore". Nous pourrions en dire  autant de chaque branche de la science.

Il semblerait donc que les opinions des savants sont loin d'être unanimes, même en ce qui concerne les phénomènes naturels les plus ordinaires. Il n'y a pas d'expérimentateur ou de théologien qui, traitant des relations subtiles entre l'esprit et la matière, de leur genèse et de leur fin, ne trace un cercle magique, sur la surface duquel il inscrit : terrain interdit. Là où la foi permet à un prêtre d'aller, il va ; car, comme le dit Tyndall, "l'élément positif, c'est-à-dire l'amour de la vérité ne lui fait pas défaut ; mais l'élément négatif, la crainte de l'erreur l'emporte". Le malheur est que leur foi dogmatique alourdit le pied léger de leur intellect,  comme la chaîne et le boulet alourdissent les jambes du forçat. [147]

Quant au progrès des Savants, leurs connaissances elles-mêmes sont paralysées par ces deux causes : 1° L'incapacité constitutionnelle de comprendre le côté spirituel de la nature, et 2° leur crainte de l'opinion publique. Personne ne leur a adressé une plus cruelle parole que le professeur Tyndall, lorsqu'il dit : "En fait, ce n'est pas parmi le clergé, mais bien dans les rangs de la science, que l'on trouve aujourd'hui les plus grands poltrons" 236. S'il existait le moindre doute sur la justesse de cette dégradante épithète, il serait levé par la conduite du professeur Tyndall lui- même ; car, dans son discours de Belfast, en qualité de Président de la British Association non seulement il déclare discerner dans la matière "la promesse et la potentialité de toute forme et de toute qualité de vie", mais il dépeint la Science comme "enlevant à la théologie le domaine tout entier de la théorie cosmologique" 237. Voyant ensuite cette opinion accueillie défavorablement par le public, il publia une édition revue de son discours, dans laquelle il modifie son expression, en substituant aux mots : "toute forme et toute qualité de vie", ceux-ci : "toute vie terrestre". C'est agir plus qu'en poltron, car c'est abjurer ignominieusement les principes qu'il a professés. A l'époque de la réunion de Belfast, M. Tyndall avait deux violentes aversions, la Théologie et le Spiritisme. Sa manière de voir sur la première a déjà été indiquée ; quant au second il l'appelle "une croyance dégradante". Lorsqu'il est pris à partie par l'Eglise pour son prétendu athéisme, il s'empresse de repousser l'imputation,  et  d'implorer  son pardon ; mais comme ses "centres nerveux" agités et ses "molécules cérébrales" ont besoin de reprendre leur équilibre en employant leur force dans un autre sens, il se retourne contre les spirites impuissants, parce que pusillanimes, et, dans ses Fragments of Science, il insulte leur croyance en ces termes : "Le monde veut avoir une religion quelconque, même s'il faut, pour cela, recourir à la prostitution intellectuelle du spiritisme". Quelle monstrueuse anomalie que des millions de personnes intelligentes se laissent ainsi rabaisser par un prince de la science, qui, lui-même nous dit que "ce qu'il faut combattre, dans la science et en dehors d'elle, c'est le dogmatisme" !

236 Fragments of Science, "On the Scientific use of the Imagination".

 237 [Populart ScienceeMonthly, Vol. V, oct. 1874.]

238 Epes Sargent, voir sa brochure, Materialism's Last Assault. La matière fait-elle tout ?

 

Nous ne voulons pas perdre notre temps à discuter la valeur étymologique de cette épithète ; mais tout en exprimant l'espoir que la science ne l'adoptera pas à l'avenir sous le titre de Tyndallisme, nous attirons seulement l'attention de ce bienveillant personnage sur un de ses traits caractéristiques. Un de nos plus intelligents, honorables et érudits spirites, homme d'un grand [148] renom 238, a fait ressortir "ses coquetteries" (de Tyndall) simultanées avec des opinions opposées". Si donc nous devons accepter l'épithète de M. Tyndall avec toute sa brutalité nous dirons qu'elle s'applique moins aux spirites, qui restent fidèles à leur foi, qu'au savant athée qui quitte les amoureuses accolades du matérialisme pour se jeter dans les bras d'un théisme dédaigné, uniquement parce qu'il y trouve son profit.

Nous avons vu comment Magendie avoue franchement l'ignorance des physiologistes en ce qui concerne quelques-uns des problèmes les plus importants de la vie, et comment Fournié se trouve d'accord avec lui. Tyndall reconnaît lui-même que l'hypothèse de l'évolution ne résout pas et n'a pas la prétention de résoudre le mystère final.

Nous avons aussi porté toute l'attention dont nous sommes capables à la fameuse conférence du professeur Huxley, On the Physical Basis of Life, de sorte que ce que nous dirons dans ce volume sur les tendances de la pensée scientifique moderne ne donnera lieu à aucune équivoque. En serrant sa théorie le plus près possible, elle peut se formuler comme suit : Toutes choses ont été créées à partir de la matière cosmique ; les formes dissemblables résultent des différentes permutations et combinaisons de cette matière ; la matière "a dévoré l'esprit", et, par conséquent l'esprit n'existe pas ; la pensée est une propriété de la matière ; les formes existantes meurent pour faire place à d'autres ; la dissimilitude dans l'organisme est due uniquement à la variété d'action chimique sur la même voie vitale, tout protoplasme étant identique.

En ce qui concerne la chimie et la microscopie, le système du professeur Huxley peut être irréprochable, et la sensation profonde produite dans le monde par son énonciation s'explique facilement. Mais son défaut consiste en ce que le fil de sa logique ne commence nulle part et se termine dans le vide. Il a fait le meilleur usage possible des matériaux disponibles. Etant donné un univers rempli de molécules, douées de force active, et contenant en elles-mêmes le principe de Vie, tout le reste est aisé ; une série de forces inhérentes à ces molécules les poussent  à s'agréger pour former des mondes, et une autre série les fait évoluer et prendre les diverses formes de l'organisme de la plante et de l'animal. Mais qui est-ce qui a donné la première impulsion à ces molécules et qui les a douées de cette mystérieuse faculté de vie ? Qu'est cette propriété occulte qui est la cause que les protoplasmes de l'homme, de la bête, du reptile, du poisson, ou de la plante se différencient, et que [149] chacun d'eux évolue dans son espèce, jamais dans une autre ? Et après que le corps physique a rendu ses parties constituantes à la terre et à l'air, "champignon ou chêne, ver ou homme", que devient la vie qui l'animait naguère ?

La loi d'évolution, si impérative dans son application à la méthode de la nature, depuis le moment où les molécules flottent dans l'espace jusqu'à celui où elles forment un cerveau humain, doit-elle être coupée court à ce moment et devenir inhabile à développer des entités plus parfaites en partant de cette "loi préexistante de la forme" ? M. Huxley est-il disposé  à affirmer l'impossibilité pour l'homme d'atteindre, après la mort physique, à un état d'existence dans lequel il sera entouré de nouvelles formes de vie végétale et animale, etc., résultant de nouvelles combinaisons de la matière sublimée ? 239. Il reconnaît qu'il ne sait rien des phénomènes de gravitation, si ce n'est que, comme dans toute expérience humaine "les pierres dépourvues de soutien tombent à terre, il n'y a pas de raison pour croire que, dans les mêmes conditions, une pierre quelconque ne tombera pas à terre". Mais il rejette entièrement toute tentative de changer cette probabilité en une nécessité et, de fait, il dit : "Je répudie complètement et j'anathématise l'intrus. Je connais les Faits, et je connais la Loi ; mais qu'est-ce que cette Nécessité, sinon une ombre vaine surgie de mon propre mental ?" 240 A cela il n'y a qu'une objection que voici : tout ce qui a lieu dans la nature résulte de la nécessité, et une loi, une fois en  action, continue indéfiniment cette même action, jusqu'à ce qu'elle soit neutralisée par une loi contraire d'une puissance égale. Ainsi, il est naturel que la pierre tombe sur le sol, obéissant à une force, et il serait également naturel qu'elle ne tombât pas, ou qu'étant tombée elle se relevât en obéissant à une autre force également puissante, que M. Huxley connaisse cette dernière ou non. Il est naturel qu'une chaise reste sur le sol lorsqu'on l'y a placée, et il est tout aussi naturel qu'elle s'élève en l'air (ainsi que l'attestent des centaines de témoins dignes de foi) sans le contact visible d'une main mortelle. N'est-il pas du devoir de M. Huxley de s'assurer d'abord de la réalité du phénomène, et de trouver ainsi un nouveau nom scientifique pour la force qui le produit ? [150]

239 Dans son Essay on Classification (sect. XVII, p. 99), Louis Agassiz, le grand zoologiste, remarque que : "La plupart des arguments en faveur de l'immortalité de l'homme s'appliquent également à la permanence de ce principe chez tous les autres êtres vivants. Ne pourrai-je ajouter qu'une vie future dans laquelle l'homme serait privé de cette grande source de jouissances et de progrès intellectuel et moral qui se trouve dans la contemplation des harmonies d'un monde organique, entraînerait une perte lamentable? Et ne pouvons-nous pas envisager un concert spirituel des mondes combinés et de tous leurs habitants en présence de leur Créateur, comme la plus haute conception du paradis ?"

240 [On the Physical Basis of Life.]

 

"Je connais les Faits, dit M. Huxley, et je connais la Loi". Mais par quels moyens est-il arrivé à connaître les Faits et la Loi ? A l'aide de ses propres sens, sans doute ; et ces serviteurs vigilants lui ont permis de découvrir assez de ce qu'il considère comme la vérité, pour édifier là- dessus un système qui, de son propre aveu, "paraît presque choquer le sens commun". Si l'on doit accepter son témoignage, comme base pour une reconstruction générale de la croyance religieuse, alors qu'en définitive il n'a produit qu'une théorie, pourquoi donc les témoignages accumulés de millions de personnes sur les phénomènes qui sapent les bases de ce système ne seraient-ils pas dignes de la même respectueuse considération ?

M. Huxley n'est nullement intéressé dans ces phénomènes, mais ces millions de témoins le sont ; et tandis qu'il digérait ses "protoplasmes de pain et de mouton", afin de récupérer des forces pour des envolées encore plus hardiment métaphysiques, ils ont reconnu l'écriture familière de ceux qu'ils avaient le plus aimés, tracée par des mains spirituelles, et ils ont discerné les simulacres vaporeux de ceux qui, ayant vécu sur la terre et étant passés par le changement de la mort, venaient donner un démenti à sa théorie favorite.

Tant que la science confessera que son domaine est restreint aux limites de ces changements de la matière, et que la chimie certifiera que la matière, en changeant sa forme "de l'état solide ou liquide à l'état gazeux", ne fait que passer de la condition visible à l'invisible ; et enfin qu'à travers toutes ces transformations, la même quantité de matière subsiste, elle n'a pas le droit de dogmatiser. Elle est incompétente pour dire oui ou non, et elle doit abandonner le terrain aux personnes douées de plus d'intuition que ses représentants.

M. Huxley inscrit très haut au-dessus de tous les autres, dans son Panthéon du Nihilisme, le nom de David Hume. Il estime que le grand service rendu par ce philosophe à l'humanité consiste dans sa démonstration irréfragable des "limites de l'enquête philosophique", en dehors desquelles se trouvent les doctrines fondamentales "du spiritisme" et autres "ismes". Il est vrai que le dixième chapitre de Enquiry concerning Human Understanding de Hume était si prisé par son auteur, qu'il considérait "avec les sages et les érudits", que c'était là "un coup mortel définitif porté à tous les genres d'illusions superstitieuses", ainsi qu'il qualifiait la croyance à des phénomènes qui ne lui étaient pas familiers, et qu'il classait arbitrairement au rang des miracles. Mais, comme  le remarque très à propos M. Wallace, l'apophtegme de Hume qu' "un miracle est une violation des lois de la nature"est imparfait, car, en premier lieu, il suppose que nous connaissons toutes les lois de la nature ; et en second lieu qu'un phénomène peu fréquent est un miracle. M. Wallace propose de définir    [151]    le    miracle : "tout acte ou événement impliquant nécessairement l'existence et l'opération d'intelligences surhumaines" 241. Or, Hume lui-même dit qu' "une expérience uniforme a la valeur d'une preuve", et Huxley, dans son fameux Essai, admet que tout ce que nous pouvons savoir de l'existence de la loi de gravitation est que, si, dans toutes les expériences humaines, les pierres non soutenues sont tombées à terre, il n'y a pas de raison de croire que la même chose ne se reproduira pas, dans les mêmes circonstances, mais qu'au contraire, il y a tout lieu de croire qu'elle se reproduira.

S'il était certain que les limites de l'expérience humaine ne seront jamais reculées ni élargies, il pourrait y avoir quelque  vérité dans l'assertion de Hume qu'il était familier avec tout ce qui peut se produire suivant la loi naturelle, et cela excuserait dans une certaine mesure le ton de mépris qui marque toutes les allusions au spiritisme faites par Huxley. Mais comme il est évident, d'après les écrits des deux philosophes, qu'ils ignoraient les possibilités des phénomènes psychologiques, on ne saurait prendre trop de précautions pour accorder une valeur à leurs assertions dogmatiques. On supposerait vraiment qu'une personne qui se permet de critiquer aussi vertement les manifestations spirites a acquis des droits au titre de censeur, par des études longues et appropriées ; mais dans une lettre adressée à la London Dialectical Society, M. Huxley, après avoir déclaré qu'il n'avait pas de temps à consacrer à cette question, qui d'ailleurs ne l'intéresse pas, formule l'aveu suivant, qui montre sur quelles bases légères les savants modernes édifient parfois leurs opinions les plus positives : Le seul cas de spiritisme que j'aie eu occasion d'examiner par moi-même, écrit-il, "était une imposture aussi grossière que toutes celles dont j'ai eu connaissance".

Que penserait ce philosophe protoplasmique d'un spirite qui, n'ayant eu qu'une seule occasion de regarder dans un télescope, et ayant été trompé dans cette circonstance unique par un mauvais plaisant de l'observatoire, s'en irait traitant l'astronomie de "croyance dégradante" ? Ce fait montre que les savants, en général, ne sont utiles qu'en rassemblant des faits physiques ; leurs généralisations sont souvent plus faibles et bien plus illogiques que celles de leurs critiques profanes. C'est aussi pour cette raison qu'ils déforment les doctrines de l'antiquité.

 241 [A.R. Wallace, On Miracles and Modern Spiritualism, pp. 4-5.]

 

Le professeur Balfour Stewart est plus juste. Il rend un hommage éclatant à l'intuition philosophique d'Héraclite d'Ephèse, qui vivait cinq siècles avant notre ère, du philosophe "chagrin" qui déclarait que "le feu était la grande cause, et que toutes choses se mouvaient dans un flux et reflux perpétuel". "Il est évident, [152] dit le professeur qu'Héraclite doit avoir eu une vive conception de l'incessante mobilité et de l'énergie de l'univers, conception de même nature et seulement moins précise que celle des philosophes modernes, qui considèrent la matière comme essentiellement dynamique" 242. Il est d'avis que l'expression le feu est fort vague ; et tout naturellement, les preuves manquent pour faire apprécier si, soit le professeur Balfour Stewart (qui paraît moins porté vers le matérialisme que quelques-uns de ses collègues) soit tout autre de ses contemporains comprennent dans quel sens le mot était employé.

L'opinion d'Héraclite sur l'origine des choses est la même que celle d'Hippocrate. Tous deux professent les mêmes idées sur une puissance suprême 243, et, par conséquent, si leurs notions du feu primordial, regardé comme une force matérielle, ou, en un mot, comme ayant une certaine analogie avec le dynamisme de Leibnitz, étaient "moins précises" que celles des philosophes modernes, question qui reste encore à résoudre, d'un autre côté, leurs idées métaphysiques étaient bien plus philosophiques et plus rationnelles sur ce point que les théories unilatérales de nos savants d'aujourd'hui. Leurs notions sur le feu étaient précisément celles des "derniers philosophes hermétiques" : les Rose-Croix et les premiers disciples de Zoroastre. Ils affirmaient que le monde avait été créé de feu, dont l'esprit divin était un DIEU omniscient et tout puissant. La science a bien voulu condescendre à confirmer leur assertion, quant à la question physique.

242 [The conservation of Energy, p 133.]

243 Diog. in Vita, "Héraclite", VI.

 

Dans la philosophie antique de tous les temps et de tous les pays, y compris le nôtre, le feu a été considéré comme un triple principe. De même que l'eau contient un fluide visible avec des gaz invisibles qui y sont renfermés et que, derrière eux, se trouve le principe spirituel de la nature, qui leur donne leur énergie dynamique, de même dans le feu on reconnaissait : 1° la flamme visible ; 2° le feu invisible ou astral – qui n'était invisible qu'à l'état inerte, mais qui, en activité produit la chaleur,  la lumière, la force chimique, et l'électricité, les forces moléculaires ; 3° l'Esprit. On appliquait la même règle à chacun des éléments ; et on considérait que toutes les choses produites par leurs combinaisons et leurs corrélations, l'homme compris, étaient triples. Le feu, de l'avis des Rose- Croix, qui n'étaient que les successeurs des théurgistes, était la source, non seulement des atomes matériels, mais encore des forces qui les animent. Lorsqu'une flamme visible est éteinte, elle est disparue, à jamais non seulement de notre vue, mais encore de la conception du matérialiste. Mais le philosophe [153] Hermétique la suit au delà "de la frontière du monde connu, à travers le monde invisible et au delà, dans l'inconnaissable", comme il suit la trace de l'esprit humain désincorporé, "étincelle vitale de la flamme céleste", dans les espaces éthérés au delà du tombeau 244.

Ce point est trop important pour que nous le laissions passer sans quelques mots de commentaires. L'attitude de la science physique officielle vis-à-vis de la moitié spirituelle du cosmos est parfaitement dessinée dans sa grossière manière de concevoir le feu. Là, comme dans toutes les autres branches de la science, sa philosophie n'a pas un seul point d'appui solide ; tous ceux sur lesquels elle s'étaye sont faibles et inconsistants. Les ouvrages de ses propres leaders fourmillent d'aveux humiliants, qui nous donnent le droit de dire que le sol sur lequel ils se tiennent est mouvant, au point qu'à chaque instant, quelque nouvelle découverte, faite par l'un d'eux peut renverser les étais, et les précipiter dans l'abîme. Ils ont un tel souci d'écarter l'esprit de leurs conceptions et de leurs doctrines que, comme le dit Balfour Stewart, "il y a une tendance à se rejeter dans l'extrême opposé, et à pousser à l'excès les conceptions purement physiques". Il formule un avertissement très utile en ajoutant : "prenons bien garde, en voulant éviter Scylla, de ne pas nous précipiter tête baissée dans Charybde, car l'univers offre plus d'un point de vue, et il peut y avoir des régions qui ne livrent pas leurs trésors aux physiciens, même les plus déterminés, armés seulement de kilogrammes, de mètres et de chronomètres". Plus loin, il fait l'aveu suivant : "Nous ne savons rien ou presque rien de la structure ultime et des propriétés de la matière organique ou inorganique" 245.

 244 Voyez les ouvrages de Robert Fludd ; et Les Rosecroix, par Hargrave

245 [Ibid., p. 2.]

 

En ce qui concerne l'autre grande question, nous trouvons dans Macaulay une déclaration encore plus nette :"... Quant à ce que l'homme devient après la mort, nous ne voyons point qu'un Européen, doué d'une instruction supérieure, puisse résoudre cette question mieux qu'un Indien de la tribu des Blackfoot (pieds noirs). Pas une des sciences  dans lesquelles nous surpassons ces Blackfoot ne jette la moindre lumière sur l'état de l'âme, après que la vie animale s'est éteinte. En vérité, tous les philosophes, anciens et modernes, qui ont essayé, sans le secours de la révélation, de prouver l'immortalité de l'homme, depuis Platon jusqu'à Franklin, nous paraissent avoir échoué d'une façon déplorable" 246. [154]

246 [Essays : Essay on Rauke's History of the Popes, p. 402 ; éd. 1852.]

 

Il y a des révélations des sens spirituels de l'homme auxquelles on peut bien mieux se fier qu'à tous les sophismes du matérialisme. Ce qui était une démonstration et un succès aux yeux de Platon et de ses disciples est maintenant considéré comme un débordement de fausse philosophie, et comme un échec. Les méthodes scientifiques sont renversées. Les témoignages des hommes de l'antiquité, qui étaient plus près de la vérité, parce qu'ils se rapprochaient davantage de l'esprit de la nature – seul aspect sous lequel la Divinité se laisse voir et comprendre – leurs témoignages et leurs démonstrations sont repoussées. Leurs spéculations, si nous en croyons les penseurs modernes, ne sont que l'expression d'une redondance d'opinions peu systématiques, d'hommes ignorant les méthodes scientifiques du siècle actuel. Ils fondaient follement le peu de physiologie qu'ils savaient sur une psychologie bien démontrée, tandis que les savants actuels basent leur psychologie – dont ils se reconnaissent parfaitement ignorants – sur la physiologie, qui est elle-même pour eux un livre encore fermé, et pour l'étude de laquelle ils n'ont aucune méthode propre, ainsi que nous l'apprend Fournié. Quant à la dernière objection dans l'argument de Macaulay, Hippocrate l'a réfutée il y a des siècles. "Toute science, tous les arts se trouvent dans la nature, dit-il ; si nous l'interrogeons ainsi qu'il convient, elle nous révélera les vérités qui se rapportent à chacun d'eux et à nous-mêmes. Qu'est ce que la nature en action, sinon la divinité elle-même manifestant sa présence ? Comment devons-nous l'interroger ? et comment nous répondra-t-elle ? Nous devons procéder avec foi, avec la ferme assurance de découvrir à la fin toute la vérité ; et la nature nous fera connaître sa réponse par l'intermédiaire de notre sens intérieur, avec  l'aide duquel notre connaissance de certain art ou de certaine science,  nous révèle la vérité avec une telle clarté que le doute devient impossible" 247.

247 P.J.G. Cabanis, Histoire de la médecine.

 

Ainsi, dans le cas qui nous occupe, l'instinct de l'Indien Blackfoot de Macaulay est plus digne de foi que la raison la plus développée et la plus instante, en ce qui concerne le sens intime de l'homme qui lui affirme son immortalité. L'instinct est le don universel de la nature, conféré par l'Esprit de la Divinité elle-même ; la raison est le lent développement de notre constitution physique, l'évolution de notre cerveau matériel adulte. L'instinct, telle une étincelle divine, se cache dans le centre nerveux inconscient du mollusque ascidien et se manifeste dans la première phase d'action de son système nerveux, sous la forme que le physiologiste désigne par le nom d'action réflexe. Il existe dans les classes les plus inférieures des animaux acéphales, aussi bien que dans ceux [155] qui ont des têtes distinctes ; il croit et se développe conformément à la loi de la double évolution, physiquement et spirituellement ; et, entrant dans sa phase consciente de développement et de progrès chez les espèces céphaliques, déjà douées de sensorium et de ganglions symétriquement arrangés, cette action réflexe – que les savants la nomment automatique, comme dans les espèces inférieures, ou instinctive, comme dans les organismes plus complexes, qui agissent sous l'influence du sensorium et du stimulant qui provient d'une sensation distincte – est toujours une seule et même chose. C'est l'instinct divin dans son progrès incessant de développement. Cet instinct des animaux, qui agit, à partir du moment de leur naissance, dans les limites fixées par la nature pour chacun d'eux, et qui leur fait savoir comment ils doivent se préserver, sauf les cas d'accidents provoqués par un instinct supérieur au leur, cet instinct peut être nommé automatique, si l'on tient à une définition exacte ; mais il doit avoir, soit au-dedans de l'animal qui le possède, soit en dehors de lui, l'intelligence de quelque chose ou de quelqu'un pour le guider.

Cette croyance, au lieu de contredire la doctrine de l'évolution et du développement graduel, soutenue par les hommes éminents de notre époque, la simplifie au contraire et la complète. Elle dispense sans difficulté d'une création spéciale pour chaque espèce ; car, là où  la première place est donnée à un esprit dénué de formes, la forme et la substance  matérielle  sont  d'une  importance  secondaire.  Chaque espèce perfectionnée dans l'évolution physique ne fait qu'offrir plus de prise à l'intelligence dirigeante, pour agir dans le système nerveux amélioré. L'artiste tirera mieux des flots d'harmonie d'un Erard, qu'il ne le ferait d'une épinette du XVIème  siècle. Donc, que cette impulsion instinctive  soit directement imprimée au système nerveux du premier insecte, ou que chaque espèce l'ait vue se développer graduellement en elle, par l'imitation des actes qu'elle verra accomplir par ses pareils, ainsi que le prétend la doctrine plus parfaite de Herbert Spencer, cela implique peu pour le sujet que nous traitons. La question ne concerne que l'évolution spirituelle. Si nous rejetons l'hypothèse comme non scientifique ou non démontrée, l'aspect physique de l'évolution s'écroulera également avec elle, puisque l'un est aussi peu prouvé que l'autre, et que l'intuition spirituelle de l'homme n'est pas autorisée à les emboîter, sous prétexte qu'elle "n'est pas philosophique". Ainsi, bon gré mal gré, nous retombons dans la vieille querelle du Symposiaque de Plutarque 248, pour savoir lequel de l'oiseau ou de l'œuf fit le premier son apparition. [156]

248 [Livre II, Question III.]

 

Maintenant que l'autorité d'Aristote est ébranlée jusque dans ses fondements par celle de Platon, et que nos savants repoussent toute espèce d'autorité, et même la détestent, à l'exception de la leur propre ; maintenant que les appréciations générales de la sagesse humaine collective  se trouvent à leur plus bas niveau, l'espèce humaine guidée par la science elle-même en est encore à retourner inévitablement en  arrière jusqu'au point de départ des plus anciennes philosophies. Notre manière de voir est parfaitement exprimée par un rédacteur de la Popular Science Monthly. "Les dieux des sectes et des spécialités, dit Osgood Mason, pourront peut- être se voir frustrés du respect auquel ils sont accoutumés, mais en même temps on voit poindre sur le monde, avec un éclat plus doux et plus serein, la conception, tout imparfaite qu'elle soit encore, d'une âme consciente, origine des choses, active et pénétrant tout, "l'Ame suprême", la Cause, la Divinité ; non révélée par la parole ou la forme humaines mais remplissant et inspirant suivant ses moyens toute âme vivant en ce vaste univers, dont le temple est la Nature, et dont le culte est admiration". C'est là du Platonisme pur, du Bouddhisme, ce sont les idées exaltées mais justes des premiers Aryens dans leur déification de la nature. Et telle est l'expression de la pensée fondamentale de tous les théosophes, des cabalistes, et des occultistes   en   général ;   et   si   nous   la comparons avec la  citation d'Hippocrate que nous avons donnée plus haut, nous y trouvons exactement le même esprit et la même pensée.

Pour en revenir à notre sujet, l'enfant manque de raison, parce que celle-ci est encore latente en lui ; et pendant ce temps il est inférieur à l'animal, sous le rapport de l'instinct proprement dit. Il se brûlera ou se noiera avant de savoir que le feu et l'eau peuvent faire périr et constituent un danger pour lui ; tandis que le petit chat évitera instinctivement l'un et l'autre. Le peu d'instinct que l'enfant possède s'éteint au fur et à mesure que la raison se développe en lui. On pourrait objecter que l'instinct n'est pas un don spirituel, puisque les animaux n'ont pas d'âme. Une pareille croyance est erronée et repose sur des fondements très peu sûrs. Elle vient de ce que la nature intime de l'animal peut être encore moins sondée que celle de l'homme, qui est doué de la parole, et peut manifester ses forces psychologiques.

Mais quelles autres preuves, sinon des preuves négatives, avons-nous que l'animal est dépourvu d'une âme qui lui survit, si même elle n'est pas immortelle ? Sur le terrain purement scientifique, il y a autant d'arguments pour que contre ; et afin d'être plus clair nous dirons que ni l'homme ni l'animal ne fournissent aucune preuve pour ni contre la survivance de leur âme après la mort. Au point de vue de l'expérience scientifique, il est impossible [157] de placer ce qui n'a pas d'existence objective dans le domaine d'une loi scientifique exacte. Mais Descartes et du Bois-Raymond ont épuisé leur imagination sur cette question, et Agassiz ne pouvait concevoir l'idée d'une existence future, qui ne serait partagée par les animaux que nous aimons, et même par les êtres du règne végétal qui nous entourent. Il nous suffirait, pour nous faire mettre en révolte contre la prétendue justice de la Cause Première, de croire que, tandis qu'un scélérat sans cœur est doué d'un esprit immortel, le noble et honnête chien, dont l'abnégation va souvent jusqu'au sacrifice de sa vie ; qui protège l'enfant ou le maître qu'il aime, jusqu'à la mort ; qui jamais n'oublie son maître et se laisse mourir de faim sur sa tombe ; l'animal, chez qui les sentiments de la justice et de la générosité sont souvent développés à un degré surprenant, que cet animal sera anéanti ! Non, arrière la raison civilisée qui suggère une aussi impitoyable partialité. Il vaudrait mieux cent fois s'en rapporter à son propre instinct en pareil cas, et avoir la foi de l'Indien de Pope, dont "l'esprit naïf"et ignorant ne peut se représenter qu'un ciel où"...admis à ce séjour d'égalité Son chien fidèle lui tiendra compagnie." 249

249 [Essay on Man, I, III.]

 

L'espace nous manque pour présenter ici les opinions spéculatives de certains occultistes de l'antiquité et du moyen fige à cet égard. Qu'il nous suffise de dire qu'ils ont devancé Darwin, qu'ils ont embrassé plus ou moins toutes ses théories sur la sélection naturelle et l'évolution des espèces, et qu'ils ont largement prolongé la chaîne dans les deux sens. De plus, ces philosophes étaient des explorateurs aussi hardis dans le domaine de la psychologie, que dans celui de la physiologie et de l'anthropologie. Ils n'ont jamais dévié du double sentier parallèle que leur avait tracé leur grand maître Hermès. "En haut comme en bas", fut toujours leur axiome ; et leur évolution physique marchait de pair avec leur évolution spirituelle.

Nos biologistes modernes sont du moins d'accord sur un point : ne pouvant encore démontrer l'existence d'une âme individuelle chez les animaux, ils la refusent aussi à l'homme. La raison les a amenés sur le bord du "gouffre infranchissable" de Tyndall, entre le mental et la matière ; seul l'instinct peut les aider à le franchir. Lorsque, dans leur désespoir de ne pouvoir approfondir le mystère de la vie, ils se verront obligés de s'arrêter net, leur instinct peut s'affirmer de nouveau et les aider à traverser l'abîme jusque là infranchissable. C'est le point que le professeur [158] John Fiske et les auteurs de Unseen Universe paraissent avoir atteint ; et Wallace, l'anthropologiste et ex-matérialiste, est le premier qui, courageusement, ait fait le saut. Qu'ils continuent hardiment jusqu'à se rendre compte que ce n'est pas l'esprit qui séjourne dans la matière, mais bien la matière qui s'attache temporairement à l'esprit ; et que ce dernier seul est une demeure éternelle et impérissable, pour toutes choses visibles et invisibles.

Les philosophes ésotériques professaient que tout, dans la nature, n'est qu'une matérialisation de l'esprit. La Cause Première Eternelle, disaient-ils, est l'esprit latent et la matière dès le commencement. "Au commencement était le verbe... et le verbe était Dieu". Tout en admettant que la notion d'un tel Dieu est une abstraction incompréhensible pour la raison humaine, ils prétendaient que l'instinct humain infaillible le saisit comme la réminiscence d'une chose dont il fait partie, bien que non tangible pour nos sens physiques. Avec la première idée émanée de la Divinité bi-sexuée et jusqu'alors inactive, le premier mouvement fut transmis à l'univers tout entier, et la vibration électrique, instantanément ressentie à travers l'espace sans bornes. L'esprit engendra la force, et la force engendra la matière ; c'est ainsi que la divinité latente se manifesta comme une énergie créatrice.

Quand cela eut-il lieu ? à quel moment de l'éternité ? et comment ? ces questions resteront toujours sans réponse car la raison humaine est incapable de saisir le grand mystère. Mais bien que l'esprit matière ait existé de toute éternité, il existait à l'état latent ; l'évolution de  notre univers visible doit avoir eu un commencement. Pour notre faible intellect, ce commencement paraît si éloigné qu'il nous fait l'effet de l'éternité, cette période ne pouvant s'exprimer ni par les chiffres ni par le langage. Aristote concluait que le monde était éternel, et qu'il serait toujours le même ; qu'une génération d'hommes en produit toujours une autre, sans que jamais il y ait eu un commencement pouvant être calculé par notre intellect. En cela, son enseignement, dans son sens ésotérique, était en opposition avec celui de Platon, lequel enseignait que, "il y eut un temps où l'humanité ne se perpétuait pas" ; mais les deux doctrines concordent dans leur esprit, car Platon ajoute, immédiatement : "cette humanité fit place à la race humaine terrestre, chez laquelle le souvenir de l'histoire primitive tomba graduellement dans l'oubli, et l'homme descendit de plus en plus bas" 250 ; et Aristote, dit : "S'il y a eu un premier homme, il a dû naître sans père ni mère – ce qui répugne à la nature. Car il n'y a pu avoir un premier œuf pour donner naissance aux oiseaux, ou alors il a dû exister un premier oiseau pour pondre le premier [159] œuf ; car l'oiseau est le produit d'un œuf". On peut en dire autant de toutes les espèces, tablant avec Platon, que toute chose avant d'apparaître sur terre doit avoir existé premièrement dans l'esprit.

Ce mystère de la création initiale, qui a toujours fait le désespoir de la science, est insondable, à moins d'accepter la doctrine des Hermétistes. Bien que la matière soit co-éternelle avec l'esprit, ce n'est, certes, pas notre matière visible, tangible et divisible, mais bien sa sublimation extrême. L'esprit pur n'est qu'un degré au-dessus. Si nous n'admettons pas que l'homme ait été évolué de cette matière-esprit primordiale, comment pouvons-nous arriver à une hypothèse raisonnable quant à la genèse des êtres animés ? Darwin fait commencer son évolution des espèces au point le plus bas, et de là il les fait s'élever. Son seul tort serait d'appliquer son système  par  le  mauvais  bout.  S'il  reportait  ses  recherches  de l'univers visible à l'univers invisible, il se trouverait probablement sur la bonne voie. Mais alors, il suivrait la trace des Hermétistes.

250 [Politique, 271.]

 

Que nos philosophes – positivistes – même les plus savants, n'aient jamais compris l'esprit des doctrines mystiques enseignées par les philosophes de l'antiquité – les Platoniciens – est évident si nous devons en croire cet ouvrage le plus éminent des temps modernes, The History of the Conflit between Religion and Science. Le professeur Draper commence son cinquième chapitre en disant que "les Païens grecs et  romains croyaient que l'esprit de l'homme ressemble à sa forme corporelle, son apparence changeant avec ses variations, et croissant avec sa croissance". Ce que les masses ignorantes croyaient n'avait aucune importance, bien qu'elles n'eussent jamais pu croire à de pareilles fantaisies au pied de la lettre. Quant aux philosophes grecs et romains de l'école platonicienne ils ne croyaient rien de semblable au sujet de l'esprit de l'homme, mais ils appliquaient la doctrine ci-dessus à son âme, ou nature psychique, laquelle, ainsi que nous l'avons déjà fait observer, n'est pas l'esprit divin.

Aristote, dans ses déductions philosophiques sur Les Songes, donne clairement à entendre cette doctrine de l'âme double, ou âme-esprit. "Il faut rechercher dans quelle partie de l'âme les songes apparaissent", dit-il 251. Tous les anciens Grecs croyaient non seulement qu'une âme double, mais même qu'une âme triple existait dans l'homme. Nous voyons même qu'Homère appelle θύµος l'âme animale, que M. Draper nomme "l'esprit", et l'âme divine νούς – nom par lequel Platon lui-même désignait l'esprit supérieur. [160]

251 [Parva naturalia, § V De Somno, I, 458, ab.]

 

Les Jaïns hindous conçoivent l'âme, qu'ils appellent Jiva, comme ayant été unie de toute éternité jusqu'à deux corps éthérés, sublimés, dont l'un est invariable et est formé des pouvoirs divins de l'esprit supérieur ; l'autre est variable et composé des passions grossières de l'homme, ses affections sensuelles et ses attributs terrestres. Quand l'âme se purifie après la mort elle rejoint son Vaykarika ou esprit divin, et devient un dieu. Les partisans des Védas, les savants Brahmanes, exposent la même doctrine dans le Vedanta. Suivant leur enseignement ; le Vedanta affirme que celui qui atteint la connaissance complète de son dieu devient un dieu lui-même, pendant qu'il est encore dans son corps mortel, et acquiert la suprématie sur toutes choses.

 M. Draper, en citant dans la théologie Védique le verset qui dit : "Il n'y a, en vérité, qu'une seule Divinité. l'Esprit Suprême ; elle est de la même nature que l'âme humaine", veut prouver que la Doctrine Bouddhique fut importée en Europe orientale par Aristote 252. Nous croyons que cette assertion n'est pas fondée car Pythagore et, après, lui, Platon l'avaient enseignée bien avant Aristote. Si, par la suite, les Platoniciens subséquents acceptèrent dans leur dialectique les arguments d'Aristote au sujet de l'émanation, ce ne fut que parce que leurs points de vue coïncidaient, sous quelque rapport, avec ceux des philosophes orientaux. Le nombre harmonieux de Pythagore, et la doctrine ésotérique de Platon, sur la création, sont inséparables de la  doctrine  bouddhique  de l'émanation ; et le grand but de la philosophie Pythagoricienne, savoir, celui de libérer l'âme astrale des liens de la matière et des sens, et de la rendre, par cela même, apte à la contemplation éternelle des choses spirituelles, est une théorie identique à celle de la doctrine Bouddhique de l'absorption finale. C'est le Nirvana interprété dans son véritable sens ; c'est une doctrine métaphysique que commencent à peine à entrevoir nos érudits sanscritistes modernes.

Si les doctrines Aristotéliciennes ont exercé  une "influence dominante" sur les Néo-Platoniciens ultérieurs, comment se fait il que ni Plotin, ni Porphyre, ni même Proclus, n'aient jamais accepté sa théorie des songes et des visions prophétiques de l'âme ? Tandis qu'Aristote prétend que la plupart de ceux qui prophétisent sont atteints de  "maladies mentales" 253 – donnant ainsi l'occasion à quelques plagiaires et spécialistes américains de défigurer des notions fort raisonnables – l'opinion de Porphyre et, partant, celle de Plotin, étaient diamétralement opposées. Les Néo-Platoniciens contredisent à tous moments Aristote dans les [161] questions les plus vitales des spéculations métaphysiques. De plus, ou bien le Nirvana Bouddhique ne constitue pas la doctrine nihiliste, telle qu'on la représente aujourd'hui, ou alors les Néo-platoniciens ne l'admettaient pas dans ce sens. Certes M. Draper ne prendra pas sur lui d'affirmer que Plotin, Porphyre, Jamblique ou quelque autre philosophe de leur école mystique, niaient l'immortalité de l'âme. Dire qu'ils cherchaient l'extase comme un "avant-goût de l'absorption dans l'âme mondiale universelle", dans le sens que prêtent au Nirvana Bouddhique tous les savants sanscritistes, est  faire tort à ces philosophes. Nirvana n'est pas, ainsi que le dit M. Draper, "la réabsorption dans la Force Universelle, le repos éternel et la béatitude suprême" ; mais pris au pied de la lettre par ces savants, il veut dire l'extinction, l'annihilation totale, et non l'absorption 254. Autant que nous le sachions, personne n'a pris la peine de se rendre compte de la véritable signification métaphysique de ce mot, qu'on ne trouve même pas dans la Lankâvafâra 255, qui donne les différentes interprétations du Nirvana par les Brahmanes-Tirthikas. Par conséquent, pour celui qui lit ce passage dans l'ouvrage de M. Draper, et ne tient compte que de la signification généralement acceptée de Nirvana, Plotin et Porphyre ne seront que des nihilistes. Ce passage dans le Conflict nous donne le droit de supposer : 1° que l'auteur désirait placer Plotin et Porphyre sur le même niveau que Giordano Bruno dont il fait, bien à tort, un athée ; ou 2° qu'il ne prit jamais la peine d'étudier les vies de ces philosophes ou leurs doctrines.

252 [Hist. of the Conflict, etc., pp. 121-122.]

253 Problemata, XXX, 1-19.

254 Voir Max Müller, Chips etc. Vol. 1, ch. XI, "La signification du Nirvana"

255 Le Lankâvatâra, traduction de Burnouf, p. 54.

256 Dictionnaire classique, 1788.

 

Or, pour celui qui connaît le professeur Draper, même de réputation, cette dernière supposition est parfaitement absurde. Nous devons, par conséquent, croire, tout en le regrettant sincèrement que, comme tant d'autres matérialistes, il voulait exposer sous un faux jour leurs aspirations religieuses. Il est fort malaisé pour un philosophe moderne, dont le but unique parait être d'éliminer de la pensée humaine les notions de Dieu et de l'esprit immortel, d'avoir à traiter avec impartialité historique les plus célèbres parmi les Platoniciens païens. D'avoir à admettre, d'une part, leur profond savoir, leur génie, leurs connaissances par rapport aux questions philosophiques les plus abstraites, et, par conséquent, leur sagacité ; et d'autre part, leur adhésion, sans réserves à la doctrine de l'immortalité, du triomphe final de l'esprit sur la matière, et leur foi inébranlable en Dieu, et les dieux, ou esprits ; il y a tout lieu de croire que la nature humaine académique ne s'affranchira pas de sitôt du dilemme où l'ont placé le retour des défunts, les apparitions et les autres questions "spirituelles". [162]

Le moyen adopté par Lemprière 256, en pareille circonstance, est plus grossier encore que celui du professeur Draper, mais non moins efficace. Il accuse les anciens philosophes de mensonges délibérés, de fourberie et de crédulité. Après avoir représenté Pythagore, Plotin et Porphyre comme des merveilles de savoir, de moralité et de mérite ; comme des hommes remarquables par leur dignité personnelle, la pureté de leurs vies et l'abnégation dans la poursuite des vertus divines, il n'hésite pas à qualifier d'imposteur "ce célèbre philosophe" (Pythagore) ; quant à Porphyre il prétend qu'il est "crédule, malhonnête et qu'il manque de jugement". Lorsqu'il se voit obligé par les faits de l'histoire à leur rendre justice au cours de son récit, il laisse percer sa prévention fanatique dans les commentaires entre parenthèses qu'il y ajoute. Nous apprenons de cet auteur suranné du siècle dernier, qu'un homme peut être honnête tout en étant un imposteur ; qu'il peut être pur, vertueux et un grand philosophe, et cependant être malhonnête menteur et stupide !

Nous avons fait voir, d'autre part, que la "doctrine secrète" ne concède pas à tous les hommes l'immortalité au même degré. "L'œil ne verrait jamais le soleil s'il n'était pas de même nature que le soleil", dit Plotin. Ce n'est "qu'au moyen de la plus sublime pureté et chasteté que nous pouvons nous rapprocher de Dieu, et recevoir, dans Sa contemplation, les véritables sagesse et pénétration", écrit Porphyre. Si l'âme humaine a négligé pendant sa vie de recevoir l'illumination de son Esprit Divin, notre Dieu personnel, il est fort difficile pour l'homme grossier et sensuel de survivre  longtemps à sa mort physique. De même qu'un monstre difforme ne peut vivre longtemps après sa naissance physique, de même l'âme, une fois qu'elle s'est trop matérialisée, est incapable d'exister après sa naissance dans le monde spirituel. La viabilité de la forme astrale est si faible que ses particules n'adhèrent pas fermement les unes aux autres lorsqu'elles s'échappent de la capsule rigide du corps externe. Ses particules obéissant graduellement à l'attraction désorganisatrice de l'espace universel, s'échappent finalement hors de toute possibilité de se ré-agréger. Lorsqu'une catastrophe de cette nature a lieu, la personnalité  cesse d'exister ; son glorieux Augoeides l'a abandonnée. Pendant la période intermédiaire entre sa mort physique et la désintégration de sa forme astrale, celle-ci, attachée par l'attraction magnétique à son hideux cadavre, erre à l'entour de celui-ci et puise de la vitalité chez des victimes possibles. L'homme, qui s'est fermé à tous les rayons de la lumière divine, se perd dans l'obscurité et, par conséquent, s'attache à la terre et à ce qui est terrestre. [163]

Aucune âme astrale, pas même celle des purs, des bons et des vertueux, n'est immortelle au sens strict du mot ; "elle a été formée d'éléments – et aux éléments elle doit retourner p. Mais, tandis que l'âme du méchant disparaît, et est absorbée sans rédemption, celle de tous les autres, même modérément purs, ne fait que changer ses particules éthérées contre d'autres plus éthérées encore : et tandis qu'il reste en elle une étincelle du Divin, l'homme individuel, ou plutôt l'essence de son égo personnel, ne mourra pas. "Après la mort", dit Proclus, "l'âme [l'esprit] continue à séjourner dans la forme aérienne [forme astrale] jusqu'à sa complète purification de toutes ses passions irritables et voluptueuses... elle se débarrasse alors du corps aérien par une seconde mort, ainsi qu'elle l'avait déjà fait pour son corps terrestre. C'est ainsi que les anciens prétendent qu'un corps céleste est toujours uni à l'âme, laquelle est immortelle, lumineuse et de la nature des étoiles".

Laissons maintenant la digression qui nous a fait écarter de notre sujet, pour étudier la question de l'instinct et de la raison. Cette dernière suivant les anciens, procède de la divinité, et le premier est purement humain. L'un (l'instinct) est le produit des sens, une sagacité que possèdent les animaux les plus bas, même ceux qui sont dépourvus de raison, c'est αισθητικον ; l'autre  est  le  produit  des  facultés  réflectives,  le  νοητικὸν,  dénotant  le jugement  et  l'intellectualité  humain.  C'est  pourquoi  l'animal  dépourvu  de raisonnement  possède,  dans  l'instinct  inhérent  à  son  être,  une  faculté infaillible, qui n'est autre chose que cette étincelle divine qui réside dans chaque  parcelle  de  matière,  inorganique,  elle-même  esprit  matérialisé. Dans la Cabale Juive, le second et le troisième chapitres de la Genèse sont expliqués comme suit : lorsque le second Adam fut créé "de la poussière", la matière est devenue tellement grossière, qu'elle règne en souveraine. De ses désirs est émanée la femme, et Lilith possédait la meilleure partie de l'esprit. Le Seigneur Dieu "se promenant dans le Jardin à la fraîcheur du Jour"  (le  crépuscule  de  l'esprit,  ou  la  divine  lumière  obscurcie  par  les ombres  de  la  matière),  maudit,  non  seulement  ceux  qui  commirent  le péché,  mais  encore  la  terre  elle-même  et  tous  les  êtres  vivants,  et  le serpent-matière, tentateur par-dessus tout.

Qui donc, sinon les cabalistes, serait capable d'expliquer cet acte en apparence si injuste ? Comment devons-nous comprendre  cette malédiction de toutes les choses créées innocentes de tout crime ? L'allégorie est évidente. La malédiction est inhérente à la matière elle- même. Il s'ensuit qu'elle est condamnée à lutter contre sa propre grossièreté, pour sa purification ; l'étincelle latente de l'esprit divin, bien qu'étouffée, est encore là ; et son invincible [164] attraction ascensionnelle la contraint à combattre dans la douleur et le travail afin de se libérer. La logique nous montre que comme toute matière a eu une origine commune, elle doit avoir des attributs communs, et que, comme l'étincelle vitale et divine se trouve dans le corps matériel de l'homme, elle doit se retrouver aussi dans toutes les espèces qui lui sont inférieures. La mentalité latente que, dans les règnes inférieurs, l'on considère comme une semi conscience et instinct est grandement adoucie chez l'homme. La raison, produit du cerveau physique, développe aux dépens de l'instinct la  vague réminiscence d'une omniscience autrefois divine – l'esprit. La raison insigne de la souveraineté de l'homme physique sur tous les autres organismes physiques, est souvent bafouée par l'instinct d'un animal. Comme son cerveau est plus parfait que celui de toute autre créature, ses émanations doivent naturellement produire les résultats les plus élevés de l'action mentale ; mais la raison ne sert uniquement que pour l'étude des choses matérielles ; elle est incapable d'aider son possesseur dans la connaissance des choses de l'esprit. En perdant l'instinct, l'homme perd sa force d'intuition, qui est le couronnement et le point culminant de l'instinct. La raison est l'arme grossière des savants, l'intuition est le guide infaillible du voyant. L'instinct enseigne à la plante et à l'animal leurs saisons pour la procréation de leurs espèces, et il guide l'animal muet dans la recherche du remède convenable à l'heure de la maladie. La raison – orgueil de l'homme – est impuissante à battre en brèche les penchants de la matière, et ne tolère aucun obstacle à la satisfaction illimitée de ses sens. Loin de le porter à être son propre médecin, ses subtils sophismes le mènent trop souvent à sa propre destruction.

Rien n'est plus aisé à prouver que la proposition que la perfection de la matière s'obtient aux dépens de l'instinct. Le zoophyte attaché au rocher sous-marin, en ouvrant la bouche pour y attirer la nourriture qui flotte aux alentours, fait preuve, proportionnellement à sa structure physique, de plus d'instinct que la baleine. La fourmi, avec ses aptitudes architecturales, sociales et politiques, est placée infiniment plus haut sur l'échelle que l'adroit tigre royal guettant sa proie. "C'est avec crainte et admiration", s'écrie du Bois-Raymond, "que celui qui étudie la nature regarde cette molécule microscopique de substance nerveuse, qui est le siège de l'âme laborieuse, amie de  l'ordre,  industrieuse,  loyale  et  intrépide  de  la fourmi !" 257.

 257 [über die Grenzen der Naturerkennens, 1872.]

 

Comme tout ce qui tire son origine des mystères psychologiques, l'instinct a été trop longtemps négligé dans le domaine de la science. "Nous voyons ce qui a indiqué à l'homme la route pour [165] trouver un soulagement à toutes ses souffrances physiques", dit Hippocrate. "C'est l'instinct des races primitives, alors que la froide raison n'avait pas encore obscurci la vision interne de l'homme... Son indication ne doit jamais être dédaignée, car c'est à l'instinct seul que nous  devons  nos  premiers remèdes 258. Connaissance instantanée et infaillible d'un mental omniscient, l'instinct est en tout différent de la raison finie et limitée ; et  dans le progrès expérimental de celle-ci, la nature divine de l'homme est souvent complètement engloutie, lorsqu'il renonce de lui-même à la lumière divine de l'intuition. L'une rampe, l'autre vole ; la raison est la puissance de l'homme, l'intuition est la prescience de la femme !

Plotin, l'élève du Grand Ammonius Saccas, principal fondateur de l'école néo-platonicienne enseigne que les connaissances humaines passent par trois degrés ascendants : l'opinion, la science et l'illumination. Il l'explique en disant que : "le moyen ou instrument de l'opinion, c'est le sens ou la perception ; celui de la science, la dialectique ; et celui de l'illumination, l'intuition [ou instinct divin]. A cette dernière est subordonnée la raison ; elle est la connaissance absolue, fondée sur l'identification du mental avec l'objet connu".

La prière ouvre la vue spirituelle de l'homme, car la prière, c'est le désir, et le désir développe la VOLONTÉ ; les effluves magnétiques qui se dégagent du corps à chaque effort, soit mental soit physique, produisent l'auto magnétisation et l'extase. Plotin recommande la solitude pour la prière, comme le moyen le plus efficace d'obtenir ce que l'on demande ; et Platon avertit ceux qui prient "de demeurer silencieux en présence des êtres divins, jusqu'à ce qu'ils fassent disparaître le nuage de devant leurs yeux, et les rende aptes à voir, grâce à la lumière qui émane d'eux- mêmes". Apollonius s'isolait toujours des hommes pendant la "conversation" qu'il entretenait avec Dieu, et partout où il sentait le besoin de la contemplation divine et de la prière, il s'enveloppait la tête et tout le corps dans les plis de son blanc manteau de laine. "Lorsque vous priez, entrez dans votre cabinet, et en ayant fermé la porte, priez votre Père, en secret" 259, dit le Nazaréen, disciple des Esséniens.

258 Voir Cabanis, Histoire de la Médecine.

259 [Mathieu, VI, 6.]

260 [Vie de Pythagore et XXIX, etc.]

 

Chaque être humain est né avec un rudiment du sens interne nommé intuition, qui peut être développé, et devenir ce que les Ecossais appellent "la seconde vue". Tous les grands philosophes qui, comme Plotin, Porphyre et Jamblique ont fait usage de cette faculté, enseignent cette doctrine. "Il est une faculté du mental [166] humain", écrit Jamblique, "qui est supérieure à tout ce qui naît ou est engendré. C'est par elle que nous pouvons atteindre l'union avec les intelligences supérieures, à être transportés au delà des scènes de ce monde, et à prendre part à la vie plus élevée, et aux pouvoirs particuliers des êtres célestes 260.

Sans la vue interne ou intuition, les Juifs n'auraient jamais eu leur Bible, ni les chrétiens Jésus. Ce que Moise et Jésus ont donné au monde était le fruit de leur intuition ou illumination. Ceux qui les ont suivis comme chefs et instructeurs n'ont enseigné au monde que de faux exposés dogmatiques et trop souvent des blasphèmes.

Accepter la Bible comme une révélation, et ajouter une foi aveugle à une traduction littérale de son texte, c'est pire qu'une absurdité, c'est un blasphème contre la Divine majesté de l' "Invisible". Si nous avions à juger la Divinité et le monde des esprits, par ce qu'en disent leurs interprètes humains maintenant que la philologie avance à pas de géants dans le champ des religions comparées, la croyance en Dieu et dans l'immortalité de l'âme ne résisterait pas un siècle de plus aux attaques de la raison. Ce qui soutient la foi de l'homme en Dieu et la vie spirituelle future, c'est l'intuition ; ce divin produit de notre être intime qui défie les mômeries du prêtre catholique Romain, et ses idoles ridicules ; les mille et une cérémonies du Brahmane et ses idoles ; et les jérémiades du prédicateur protestant, et sa foi désolée et aride, sans idoles, mais avec un enfer sans limites et la damnation pour finir. Si ce n'était l'intuition, immortelle, quoique souvent indécise, parce qu'elle est obscurcie par la matière, la vie humaine serait une parodie et l'humanité une fraude. Ce sentiment indéracinable de la présence de quelqu'un en dehors et au-dedans de nous- mêmes est tel, qu'aucune contradiction dogmatique, aucune forme extérieure de culte ne peut le détruire dans l'humanité malgré tout ce qu'ont beau faire le clergé et les savants. Mû par cette pensée de l'infinité et de l'impersonnalité de la Divinité, Gautama Bouddha, le  Christ  hindou, s'écrie : "De même que les quatre rivières qui se jettent dans le Gange perdent leur nom aussitôt qu'elles mêlent leurs eaux avec celles du fleuve sacré, de même tous ceux qui croient au Bouddha 261 cessent d'être Brahmanes, Kshatriyas, Vaisyas et Soudras !"

L'Ancien Testament fut compilé et arrangé d'après la tradition orale ; les masses n'ont jamais connu sa signification réelle, car Moise  reçut l'ordre de ne faire part des "vérités secrètes" qu'aux [167] soixante-dix vieillards, sur lesquels le "Seigneur souffla l'esprit qui était sur le législateur. Maimonides, dont l'autorité et la connaissance de l'histoire sacrée ne peuvent guère être rejetées, dit : "Quiconque trouvera le sens véritable du Livre de la Genèse doit avoir soin de ne pas le divulguer... Si une personne en découvrait par elle-même la véritable signification, ou avec l'aide d'un autre, elle doit garder le silence ; ou si elle en parle, il faut qu'elle le fasse d'une manière obscure et énigmatique".

Cette confession que ce qui se trouve dans les Ecritures sacrées n'est qu'une allégorie a été faite par d'autres autorités juives, en dehors de Maimonides ; car nous voyons Josèphe 262 déclarer que Moise a philosophé (a parlé par énigmes dans des figures allégoriques) lorsqu'il a écrit le livre de la Genèse. C'est pourquoi la science moderne en négligeant de déchiffrer le vrai sens de la Bible, et en laissant la Chrétienté tout entière croire à la lettre morte de la théologie Judaïque, s'est faite tacitement la complice du clergé fanatique. Elle n'a pas le droit de tourner en ridicule les récits d'un peuple qui ne les a jamais écrits dans la pensée qu'ils dussent recevoir une aussi étrange interprétation, de la part d'une religion ennemie. L'un des caractères les plus tristes du Christianisme est que ses textes les plus saints ont été tournés contre lui, et les os des morts ont étouffé l'esprit de vérité.

261 Ce n'est pas à lui-même – "Gautama Bouddha" – que ce dernier faisait allusion en disant cela, mais bien au Bouddha impersonnel, à l'AdiBouddha ou Bouddhi, la Sagesse divine et Eternelle.

262 [Préface des Antiquités, § 4.]

263 [Diog. Laert., Vies, LX, 123, "Epicure".]

 

"Les dieux existent, dit Epicure, mais ils ne sont pas ce que le  peuple, οὶ  πολλοι  suppose  qu'ils  sont" 263.  Et  cependant  Epicure,  jugé comme d'habitude par les critiques superficiels, passe pour un matérialiste et est présenté comme tel.

Mais ni la grande Cause Première ni son émanation, l'esprit immortel de l'homme, ne sont restés "sans témoins". Le mesmérisme et le spiritisme moderne sont là pour attester les grandes vérités. Pendant plus de quinze siècles, grâce aux aveugles et brutales persécutions de ces grands vandales de l'histoire des premiers temps du Christianisme, Constantin et Justinien, l'antique SAGESSE dégénéra, et petit à petit finit par tomber dans la fange la plus profonde de la superstition et de l'ignorance monacales. La notion Pythagoricienne "des choses qui existent" ; la profonde érudition des Gnostiques ; les enseignements des grands philosophes honorés de tous temps et en tous lieux, tout cela fut rejeté comme doctrines de l'Antéchrist et du Paganisme, et livré aux flammes. Avec les derniers sept sages de l'Orient, le groupe qui restait des Néo-platoniciens, Hermias, Priscianus, Diogène, Eulamius, Damascius, Simplice et Isidore, qui se réfugièrent en Perse pour échapper aux fanatiques persécutions de Justinien, le règne [168] de la sagesse prit fin. Les livres de Thoth (ou Hermès Trismégiste), qui renferment dans leurs pages sacrées l'histoire spirituelle et physique de la création et de la marche de notre monde moisirent dans l'oubli et le mépris, pendant des siècles. Ils ne trouvèrent pas d'interprètes dans l'Europe Chrétienne ; les Philaléthéens, ou sages "amis de la vérité", n'étaient plus ; ils furent remplacés par les railleurs ignorants, moines tonsurés et encapuchonnés de la Rome papale, qui craint la vérité, sous quelque forme et de quelque côté qu'elle apparaisse, si elle tend le moins du monde à porter atteinte à ses dogmes.

Quant aux sceptiques, voici les remarques que fait à leur sujet et au sujet de leurs disciples le professeur Alexandre Wilder, dans ses esquisses sur le Néo-platonisme et l'Alchimie : "Un siècle s'est écoulé depuis que les compilateurs de l'Encyclopédie Française ont infusé le scepticisme dans le sang du monde civilisé, et fait envisager comme déshonorant de croire à quelque chose qu'on ne peut éprouver dans les creusets, ni démontrer par un raisonnement critique. Même de nos jours, il faut une certaine dose de candeur et de courage pour se risquer à traiter un sujet qui a été pendant bien des années écarté et dédaigné, parce qu'il n'a pas été bien compris ou correctement interprété. Celui-là doit être audacieux, qui soutient que la philosophie Hermétique est autre chose qu'une apparence de science, et qui, dans cette conviction, réclame pour ses enseignements un auditoire patient. Et pourtant ses professeurs furent jadis les princes de l'examen savant et des héros parmi les hommes ordinaires. En outre, il n'y a rien à dédaigner dans ce qui a provoqué la vénération des hommes et, mépriser les convictions ardentes d'autrui, c'est faire preuve d'ignorance et manquer de générosité" 264.

264 ["Alchemy or the Hermetic Philosophy", op. cit., p. 21.]

 

Encouragé par ces opinions d'un érudit, qui n'est ni un fanatique ni un conservateur, nous rappellerons maintenant quelques faits rapportés par des voyageurs qui en ont été témoins au Tibet et en Inde, et que les indigènes gardent comme des preuves pratiques de la vérité de la philosophie et de la science, transmises par leurs ancêtres.

En premier lieu, nous allons étudier le très remarquable phénomène qu'on peut contempler dans les temples du Tibet et dont les relations ont été apportées en Europe par des témoins oculaires, autres que les missionnaires Catholiques, dont nous écarterons les témoignages, pour des motifs aisés à comprendre. Au commencement de notre siècle, un savant Florentin, sceptique, et correspondant de l'Institut de France, ayant obtenu la permission de [169] pénétrer sous un déguisement dans l'enceinte réservée d'un temple Bouddhique, ou l'on célébrait la plus solennelle de toutes les cérémonies, rapporte les faits suivants, dont il a été lui-même témoin. Un autel était préparé pour recevoir un Bodhisâtva ressuscité, trouvé par le clergé initié, et reconnu à certains signes secrets pour s'être réincarné dans le corps d'un enfant nouveau-né. Le nourrisson, âgé seulement de quelques jours, est amené en présence du peuple, et révérencieusement placé sur l'autel. Se dressant tout à coup sur son séant, l'enfant commence à prononcer d'une voix haute et mâle les paroles suivantes : "Je suis Bouddha, je suis son esprit ; et moi, Bouddha, votre Taley-Lama, j'ai laissé mon vieux corps décrépit dans le temple de..., et j'ai choisi le corps de ce petit enfant pour mon nouveau séjour sur la terre. Notre savant ayant finalement été autorisé par les prêtres à prendre avec tout le respect voulu l'enfant dans ses bras, et à l'emporter à une distance des assistants suffisante pour le convaincre qu'il n'y avait pas eu de ventriloquie, ni aucune supercherie, le bébé jette sur le grave académicien un regard "qui le fit frissonner, suivant ses propres expressions, et répète les mots qu'il avait dits auparavant. Un rapport détaillé de cet événement, dit-on, attesté par la signature de ce témoin oculaire, fut envoyé à Paris ; mais les membres de l'Institut, au lieu d'accepter le témoignage d'un savant observateur dont le mérite était reconnu, conclurent que le Florentin avait été soit sous l'influence d'une attaque d'insolation, soit trompé par un adroit truc acoustique.

Quoique, suivant M. Stanislas Julien, le traducteur français des textes sacrés de la Chine, il y ait un verset dans le Lotus 265 qui dit  qu' "un Bouddha est aussi difficile à trouver que les fleurs d'Oudoumbara et de Palâca, si nous devons croire les nombreux témoins oculaires, ce phénomène se produit certainement. Comme de juste, les cas en sont rares, puisqu'ils n'ont lieu qu'à la mort de chaque grand Taley-Lama ; et ces vénérables personnages vivent jusqu'à une vieillesse devenue proverbiale.

Le malheureux abbé Hue dont les livres de voyage au Tibet et en Chine sont bien connus, raconte le même fait de la résurrection d'un Bouddha. Il y ajoute, en outre, la circonstance curieuse que le bébé-oracle prouva péremptoirement "à ceux qui l'interrogeaient et qui avaient  connu la vie passée du défunt, qu'il était bien un esprit mûri par la vieillesse dans un corps d'enfant, en donnant les détails les plus exacts sur son existence antérieure" 266. [170]

Une chose digne de remarque, c'est que des Mousseaux, qui s'étend assez longuement sur ce phénomène, en l'attribuant, comme de raison, au Diable, observe en parlant du pauvre abbé que le fait d'avoir été défroqué "est un accident qui, il faut l'avouer, n'est pas de nature à fortifier notre confiance". A notre humble avis, cette petite circonstance ne fait au contraire que l'augmenter.

L'ouvrage de l'abbé Hue a été mis à l'Index, parce qu'il disait la vérité sur la similitude des rites Bouddhiques avec des rites Catholiques. Il fut en outre rappelé de sa mission, pour avoir été trop sincère.

265 Le Lotus de la Bonne Loi, traduit du Sanscrit par E. Burnouf.

266 [Voyages en Tartarie, au Tibet et en Chine, VIII.]

 

Si cet exemple d'enfant prodige était le seul, nous pourrions avec raison éprouver une certaine hésitation à l'admettre ; mais, sans parler des prophètes Camisards de 1707, parmi lesquels se trouvait l'enfant de quinze mois cité par Jacques Dubois, lequel parlait en excellent Français, "comme si Dieu eût parlé par sa bouche", ni des enfants des Cévennes, dont le langage prophétique est attesté par les premiers savants de France, nous avons des exemples dans les temps modernes, d'un caractère tout aussi remarquable. Le Lloyd's Weekly Newspaper de mars 1875 contient la relation du phénomène suivant : "A Saar-Louis, en France, un  enfant venait de naître. La mère venait d'accoucher, la sage femme s'extasiait sur la beauté de "la petite créature", et les amis félicitaient le père de l'heureux événement, lorsque quelqu'un demanda l'heure. Qu'on juge de la surprise de tous les assistants, en entendant le nouveau-né répondre distinctement : Deux heures ! Mais ce n'était encore rien en comparaison de ce qui suivit. La compagnie regardait l'enfant avec une muette surprise et presque avec épouvante, lorsqu'il ouvrit les yeux et dit : "J'ai été envoyé dans ce monde pour vous dire que l'année 1875 sera une bonne année, mais que l'année 1876 sera une année de sang. Après avoir fait cette prophétie, il se retourna sur le côté et expira, à peine âgé d'une demi-heure".

Nous ignorons si ce prodige a été officiellement reconnu par l'autorité civile ; comme de juste d'ailleurs, on ne peut pas l'attendre de la part du clergé, puisqu'il n'en pouvait retirer ni honneur ni profit ; mais même si une Revue anglaise ne s'était pas portée garante responsable de l'histoire, le résultat n'en aurait pas moins eu un intérêt tout particulier. L'année 1876 qui vient de finir (nous écrivons ces lignes en février 1877), a été surtout d'une manière imprévisible en mars 1876, une année de sang. C'est dans les principautés Danubiennes qu'a été écrit un des chapitres les plus sanglants de l'histoire des guerres et des rapines, un chapitre d'excès des Musulmans sur les Chrétiens, qui n'a point d'équivalent depuis que les soudards catholiques massacraient par dizaines de mille les [171] simples naturels de l'Amérique du Nord et du Sud, et que les protestants anglais s'avançaient péniblement jusqu'au trône impérial de Delhi, pas à pas, à travers des fleuves de sang. Si la prophétie de Saar-Louis n'était qu'un article sensationnel d'un journal, le cours des événements l'a fait monter au rang des prédictions accomplies ; 1875 fut une année de  grande abondance, et 1876, à la grande surprise de tout le monde, une année de carnage.

Mais en supposant même que le prophète nouveau-né en question n'ait jamais desserré les lèvres, le cas de l'enfant Jenckeli reste encore pour dérouter l'examinateur. C'est un des plus surprenants phénomènes de médiumnité. La mère de cet enfant est la célèbre Kate Fox, et son père H.D. Jencken, M.R.I., avocat à Londres. Il est né à Londres en 1873 et avant l'âge de trois mois il commença à donner des marques de médiumnité  spirite.  Des  coups  étaient  frappés  sur  son  oreiller  et son berceau et aussi sur la personne de son père, pendant qu'il tenait l'enfant sur ses genoux, et que Mme Jencken était absente de la maison. Deux mois plus lard, une communication de vingt mots, sans la signature, fut écrite de sa main. Un gentleman, un avoué de Liverpool nommé J. Wason, se trouvait présent à ce moment, et il signa avec la mère et la nourrice un certificat qui fut publié dans le Medium and Daybreak du 8 mai 1874. Le rang professionnel et scientifique de M. Jencken rend tout  à fait improbable l'hypothèse qu'il se soit prêté à une supercherie. Bien plus, l'enfant était si bien à portée de la Royal Institution, dont son père était membre, que le professeur Tyndall et ses partisans n'avaient aucune excuse pour négliger d'examiner le cas, et d'informer le monde de ce phénomène psychologique.

L'enfant sacré du Tibet étant si loin, ils avaient beau jeu pour nier le fait en le mettant sur le compte de l'insolation et de l'illusion acoustique. Mais en ce qui concerne le nourrisson de Londres, l'affaire est encore plus simple ; que l'enfant grandisse et apprenne à écrire, et alors ils nieront le fait tout net.

Ainsi que l'ont fait d'autres voyageurs, l'abbé Hue nous donne une description de ce merveilleux arbre du Tibet, nommé le Koumboum ; c'est- à-dire l'arbre aux 10.000 images et caractères. Il ne pousse pas sous une autre latitude, malgré les essais répétés qui en ont été faits ; et il ne peut même pas se reproduire par boutures. La tradition rapporte qu'il naquit de la chevelure d'un des Avatars (le Lama Tson-ka-pa) une des incarnations de Bouddha. Mais nous laisserons l'abbé Hue raconter lui-même le reste de l'histoire : "Chacune de ses feuilles, lorsqu'on l'ouvre, porte soit une lettre soit une phrase religieuse écrite en caractères sacrés, et ces lettres sont, dans leur genre, d'une telle perfection, que les fonderies de caractères de Didot ne présentent rien qui les surpasse. Ouvrez les feuilles que la végétation est sur le point de dérouler, [172] et vous y découvrirez, prêts à se montrer, les lettres ou les mots distincts qui sont la merveille de cet arbre unique ! Détournez votre attention des feuilles, et reportez-la sur l'écorce des branches, et de nouveaux caractères s'offriront à vos yeux ! Ne laissez point se refroidir votre curiosité : levez les couches de cette écorce, et d'AUTRES CARACTERES encore, dont la beauté vous surprendra, se montreront au-dessous des premiers. Et ne vous imaginez point que ces couches superposées répètent la même IMPRESSION. C'est tout le contraire ; chaque lame que vous enlevez vous offre un type différent. Comment donc y soupçonner de la supercherie ? J'ai fait tout mon possible pour y découvrir le plus légère trace de l'adresse de l'homme, et mon esprit abasourdi n'a pas pu conserver le moindre doute à cet égard" 267.

267 [Abbé Hue, op. cit., II, II.]

268 [Ancient and Modern Egypte, etc. Londres, 1866.]

 

Nous ajouterons au récit de Hue la déclaration que les caractères qui apparaissent sur les différentes parties du Koumboum sont en caractères Sensar, ou langage dit du soleil (langue sacerdotale et secrète) qui a précédé l'ancien sanscrit, dit-on, et que l'arbre sacré contient dans ses diverses parties toute l'histoire de la création in extenso, et en substance les livres sacrés du Bouddhisme. Sous ce rapport, il présente, relativement à la religion Bouddhique, les mêmes relations que les peintures du temple de Dendera en Egypte relativement à l'ancienne foi des Pharaons. Ces dernières sont brièvement décrites par le professeur W.B. Carpenter, président de la British Association, dans sa conférence faite à Manchester, sur l'Egypte 268. Il montre clairement que le livre juif de la Genèse n'est pas autre chose que l'expression des idées primitives des Juifs, basées sur les archives peintes des Egyptiens chez lesquels ils avaient vécu. Mais il ne donne pas clairement à entendre sauf par voie de déduction, s'il croit que les peintures de Dendera et le récit Mosaïque ne sont qu'une allégorie ou bien une prétendue narration historique. Il est inadmissible qu'un savant qui a étudié la question même superficiellement, puisse se hasarder à affirmer que les anciens Egyptiens avaient les mêmes notions ridicules sur la création instantanée du monde que les théologiens chrétiens primitifs. Comment peut-il dire que, parce que les peintures de Dendera se trouvent représenter leur cosmogonie dans une allégorie, elles avaient pour but de montrer la scène comme accomplie en six minutes ou six  millions d'années ? Elles peuvent aussi bien indiquer allégoriquement six époques successives ou œons, ou l'éternité que six jours. De plus, les Livres d'Hermès ne renforcent pas l'accusation, et l'Avesta parle d'une façon spécifique de six périodes, embrassant chacune des milliers [173] d'années au lieu de jours. Nombre d'hiéroglyphes Egyptiens contredisent la théorie de Carpentier, et Champollion a vengé la mémoire des anciens sur une foule de points. De ce qui a été fait auparavant, il résultera clairement, croyons-nous, pour le lecteur, que la philosophie égyptienne n'a point de place pour ces spéculations grossières, si tant est que les Hébreux y aient jamais ajouté foi ; leur cosmogonie considérait l'homme comme le  résultat d'une évolution, et son progrès, comme devant s'accomplir dans des cycles immensément longs. Mais revenons aux merveilles du Tibet.

En fait de peintures, celle décrite par Hue, et placée dans une certaine lamaserie, peut être envisagée comme la plus surprenante qui existe. C'est une simple toile sans le moindre appareil mécanique, comme le visiteur peut s'en convaincre en l'examinant à loisir. Elle représente un paysage au clair de lune, mais la lune n'y est pas immobile et morte ; tout au contraire, car, d'après l'abbé, on dirait que notre lune elle-même, ou du moins son image vivante éclaire le tableau. Chaque phase, chaque aspect, chaque mouvement de notre satellite, s'y trouve reproduit en fac-similé, dans le mouvement et la marche de la lune dans la peinture sacrée. "Vous voyez cette planète dans le tableau marcher avec la forme d'un croissant, devenir pleine, briller avec éclat, passer derrière des nuages, se montrer ou disparaître d'une manière correspondant de la façon la plus extraordinaire aux allures de l'astre réel. C'est en un mot une reproduction très servile et resplendissante de la pâle reine des nuits, qui était l'objet de l'adoration de tant de fidèles dans l'antiquité" 269.

Si l'on songe à l'étonnement que ressentirait inévitablement un de nos académiciens si satisfaits d'eux-mêmes, en voyant une pareille peinture (et elle n'est pas la seule, car il y en a d'autres dans d'autres parties du Tibet et du Japon également, représentant les mouvements du soleil), si l'on songe, disons-nous, à l'embarras de cet Académicien devant la conviction, que s'il ose dire franchement la vérité à ses collègues, il est condamné à subir le même sort que le pauvre abbé Hue, et à être chassé de son siège académique, comme un menteur ou un dément, on ne peut s'empêcher  de se rappeler l'anecdote de Tycho-Brahe racontée par Humboldt dans son Cosmos 270.

269 M. des Mousseaux certifie le fait, disant qu'il l'a eu de la bouche même de l'abbé.

270 Cosmos, vol. III, part. 1, p. 168.

 

"Un soir, dit le grand astronome Danois,  que suivant mon habitude, je considérais la voûte céleste, à mon indicible étonnement, je vis tout près du zénith dans Cassiopée une radieuse étoile d'une grandeur extraordinaire... Frappé de saisissement, je ne [174] savais si je devais en croire mes yeux. Quelque temps après, j'appris qu'en Allemagne des voituriers et d'autres personnes du peuple avaient averti les savants à plusieurs reprises qu'une grande apparition se voyait dans le ciel ; ce fait fournit à la presse et au public une nouvelle occasion de se livrer aux railleries habituelles contre les hommes de science qui, dans les cas d'apparition de plusieurs comètes antérieures, n'avaient pas prédit leur venue".

Depuis les temps les plus reculés, les Brahmanes étaient réputés comme possédant de merveilleuses connaissances dans toutes les branches de l'art magique. Depuis Pythagore, le premier philosophe qui ait étudié la sagesse chez les Gymnosophes, et Plotin qui était initié au mystère de l'union avec la Divinité par la contemplation abstraite, jusqu'aux adeptes modernes, tous savaient parfaitement que c'est dans la contrée des Brahmanes et de Gautama Bouddha qu'il fallait aller chercher les sources de la sagesse "cachée". Il appartiendra aux siècles futurs de découvrir cette grande vérité, et de l'accepter comme telle, puisque aujourd'hui elle est ravalée et méprisée comme une basse superstition. Que savaient même les plus éminents hommes de science sur l'Inde, le Tibet et la Chine, jusqu'au dernier quart de siècle actuel ? Le plus infatigable des savants, Max Müller, nous apprend que jusqu'à cette époque, pas un seul document original de la religion Bouddhique n'avait été accessible aux philologues Européens ; qu'il y a cinquante ans, "il n'existait pas un lettré, qui eût pu traduire une ligne du Veda, une ligne du Zend-Avesta, ou une ligne du Tripitâka Bouddhique", sans parler des autres dialectes ou langages 271.

271 [Chips et I, p. 24.]

 

Et même maintenant que la Science est en possession des divers textes sacrés, ceux que l'on possède ne sont que des éditions très incomplètes de ces ouvrages, et rien, absolument rien de la littérature sacrée secrète du Bouddhisme. Le peu que nos érudits sancritistes ont appris, qualifié d'abord par Max Müller "une effroyable Jungle de littérature religieuse, la plus excellente cachette pour les Lamas et les Taley-Lamas", commence à peine maintenant à jeter une faible lueur dans ces  ténèbres primitives. Nous voyons ce lettré nous déclarer que ce qui apparaît au premier coup d'œil, dans le labyrinthe des religions du monde, comme plein d'obscurité, de tromperie et de vanité commence à prendre une autre forme. "On croirait, écrit-il, que c'est dégrader le nom même de la religion que de l'appliquer aux sauvages élucubrations des Yoguis hindous, et aux purs blasphèmes des Bouddhistes chinois. Mais à mesure que, lentement et patiemment, on poursuit sa [175] route à travers ces cachots redoutables, nos yeux semblent se désiller, et nous apercevons un rayon de lumière, là où auparavant tout n'était d'abord que ténèbres" 272.

 

 

Comme preuve du peu de compétence de la génération qui a directement précédé la nôtre, pour juger les religions et les croyances des centaines de millions de Bouddhistes, Brahmanes et Parsis, que l'on consulte l'annonce placée en tête d'un ouvrage scientifique publié en 1828 par le professeur Dunbar, le premier érudit qui ait entrepris de démontrer que le Sanscrit est dérivé du Grec. Il parut sous ce titre :

"Une enquête sur la structure et l'affinité des langues Grecque et Latine ; avec des comparaisons circonstanciées du Sanscrit et du Gothique, et un appendice dans lequel on s'est efforcé d'établir que LE SANSCRIT  EST  DÉRIVÉ  DU  GREC.  Par     George

Dunbar F.R.S.E. et professeur de Grec à l'Université d'Edimbourg. Prix 8 sh." 273.

272 Ibid., I, p. 183.

273 Classical Journal, Vol. IV, p. 107, 348.

 

Si Max Müller était tombé du ciel en ce temps-là au milieu des lettrés de l'époque, avec ses connaissances actuelles, nous aimerions à recueillir toutes les épithètes dont aurait été gratifié par les savants académiciens l'audacieux innovateur ! Songez donc ! Un savant qui, classant généalogiquement les langages, dit que "le Sanscrit, comparé au Grec et au Latin, est un frère aîné... le plus ancien dépôt de la langue Aryenne".

On peut ainsi naturellement s'attendre à ce qu'en 1976 les mêmes critiques soient faites au sujet de découvertes scientifiques, aujourd'hui considérées par nos savants comme définitives et irrévocables. Ce qui, maintenant, est qualifié de verbiage superstitieux et de baragouinage de païens et de sauvages, composé il y a des milliers de siècles, pourrait bien renfermer la clé de tous les systèmes religieux. La prudente phrase de saint Augustin, auquel Max Müller fait souvent allusion dans ses conférences, "qu'il n'y a pas de fausse religion qui ne contienne quelques éléments de vérité", pourra encore être prouvée exacte, d'autant plus que loin d'être originale chez l'évêque d'Hippone, cette sentence est empruntée par lui aux ouvrages d'Ammonius Saccas, le grand maître de l'école d'Alexandrie.

Oui, ce philosophe, "instruit par Dieu", theodidaktos, avait répété cela à satiété dans ses nombreux ouvrages, quelques cent quarante ans avant saint Augustin. Reconnaissant Jésus comme "un excellent homme, et l'ami de Dieu", il soutint toujours que son but n'était point d'abolir le commerce avec les dieux et les démons (esprits), mais tout simplement de purifier les religions [176] anciennes ; que "la religion de la multitude marchait d'accord avec la philosophie, et qu'avec elle, elle s'était corrompue par degrés, et avait été obscurcie par les vanités humaines, la superstition et les mensonges ; qu'elle devrait par conséquent être ramenée à sa pureté originelle en la débarrassant de ces scories, et en la rétablissant sur des principes philosophiques ; que le seul objet du Christ avait été  de réinstaller et de rétablir dans son intégrité primitive la sagesse  des anciens" 274.

Ce fut Ammonius qui enseigna le premier que chaque religion était fondée sur une seule et même vérité ; qui est la Sagesse trouvée dans les livres de Thoth (Hermès Trismégiste) desquels livres Pythagore et Platon avaient tiré toute leur philosophie. Il affirmait que les doctrines du premier étaient identiquement conformes avec les premiers enseignements des Brahmanes compris maintenant dans les plus anciens Vedas. "Le nom de Thoth, dit le professeur Wilder, signifie un collège ou assemblée, et il n'est pas improbable que les livres aient été ainsi nommés, parce qu'ils contenaient la collection des oracles et des doctrines de la Confrérie sacerdotale de Memphis. Le Rabbin Wise avait suggéré une hypothèse analogue relativement aux paroles divines recueillies dans les Ecritures Hébraïques. Mais les écrivains de l'Inde affirment que durant le règne du roi Kansa, les Yadous [les Juifs ?] ou la tribu sacrée quitta l'Inde et émigra vers l'Ouest, en emportant avec elle les quatre Vedas. Il  existe certainement une grande ressemblance entre les doctrines philosophiques et les coutumes religieuses des Egyptiens et des Bouddhistes Orientaux ; mais on ignore encore si les livres Hermétiques et les quatre Vedas étaient identiques" 275.

 274 Mosbeim, An Eccles. Hist. Cent. II, Par. II, Ch. I, §§ 8-9.

275 New Platonism and Alchemy, Albany, 1869, p. 6.

 

Ils ne le sont pas ; mais il est certain que tous deux sont basés sur la même doctrine ésotérique. Une chose est certainement connue, et c'est qu'avant que le mot philosophe fût prononcé pour la première fois par Pythagore à la Cour du roi des Phliasiens, la "doctrine secrète" ou sagesse était identique dans tous les pays. C'est par conséquent dans les textes les plus anciens, les moins souillés par des falsifications ultérieures, que nous devons rechercher la vérité. Maintenant que la philologie a été mise en possession des textes sanscrits, que l'on peut hardiment déclarer ces documents de beaucoup antérieurs à la Bible Mosaïque, le devoir des lettrés est de présenter au monde la vérité, et rien que la vérité. Sans égard pour leurs préjugés sceptiques ou théologiques, ils sont tenus d'examiner impartialement les deux documents, les Vedas les plus anciens et l'Ancien Testament, et de décider ensuite lequel [177] des deux est le Srouti ou Révélation originale, et lequel n'est que le Smriti, qui, comme l'indique correctement Max Müller, signifie seulement souvenir ou tradition.

 Origène a écrit que les Brahmanes furent toujours renommés pour les merveilleuses cures qu'ils opéraient avec certains mots 276 et dans notre siècle actuel nous avons Orioli, savant correspondant de l'Institut  de France 277, qui confirme la déclaration faite au IIIème siècle par Origène, et celle de Léonard de Vair au XVIème, dans laquelle ce dernier écrit : "Il y a aussi des personnes, qui en prononçant certaines formules, au moyen de certains charmes, marchent nu-pieds sur des charbons ardents et sur des pointes de couteaux affilés, plantés dans la terre ; et qui, une fois en équilibre sur un orteil sur ces pointes, peuvent soulever en l'air un  homme

lourd, ou tout autre fardeau d'un poids considérable. Ils domptent de même des chevaux sauvages et les taureaux les plus furieux avec une simple parole 278. [177]

276 Origène. Contra Celsum, L. I, ch. XXIV.

277 Fatti relativi al Mesmerismo, p. 88, 93, 1842.

278 Léonard de Vair, Trois livres des charmes, liv. II, chap. 2. Paris, 1583.

 

Selon quelques adeptes, il faut chercher ce mot dans les Mantras des Védas Sanscrits. C'est aux philologues à décider s'il existe un mot de ce genre dans les Védas. Autant que le permet le témoignage des hommes, il semblerait prouvé que ces mots magiques existent.

Il paraît que les révérends pères de l'Ordre des Jésuites ont appris beaucoup de ces tours dans leurs voyages de mission. Baldinger leur rend pleinement justice à cet égard. Le châmpnâ, mot Hindi d'oïl est dérivé le mot moderne shampooing est une manipulation magique bien connue dans les Indes Orientales. Les sorciers indigènes l'emploient avec succès jusqu'à ce jour, et c'est d'eux que les pères Jésuites tirent leur sagesse.

Camerarius, dans ses Horæ Subcicivœ, raconte que, à une époque, il existait une grande rivalité pour les "miracles" entre les moines Augustins et les Jésuites. Une dispute s'étant élevée entre le père général des moines Augustins qui était très instruit et le général des Jésuites, qui était très ignorant, mais versé dans les connaissances magiques, ce dernier proposa de trancher la question en mettant à l'épreuve leurs subordonnés, et en montrant lesquels dans les deux ordres étaient le plus disposés à obéir à leurs supérieurs. Là-dessus, se tournant vers l'un de ses Jésuites : "Frère Marc, lui dit-il, nos confrères ont froid ; je vous ordonne, au nom de la sainte obéissance que vous m'avez jurée, d'apporter ici immédiatement du feu de la cuisine, en tenant dans vos mains quelques charbons ardents, afin qu'ils puissent se réchauffer pendant [178] que vous les tiendrez". Le frère Marc obéit aussitôt, et apporta dans ses deux mains des braises enflammées, qu'il y garda jusqu'à ce que tous les assistants se fussent réchauffés, et qu'il rapporta ensuite dans le fourneau de la cuisine. Le général des Augustins baissa la tête, car aucun de ses subordonnés n'aurait poussé l'obéissance jusque-là. Le  triomphe  des  Jésuites  fut  ainsi complet 279.

279 [Philippe Camerarins, The Watking Library or Meditations, etc., ch. X, p. 262, éd. 1621. ]

 

Si l'on regarde ce qui précède comme une anecdote indigne  de créance, nous demanderons au lecteur ce que nous devons penser de certains "médiums" modernes, qui exécutent la même chose, lorsqu'ils sont en transe. Le témoignage de nombreuses personnes très respectables et dignes de foi, telles que lord Adair et M.S.C. Hall, est indiscutable. "Les esprits", diront les spirites. Peut-être bien est-ce cela dans le cas de médiums à l'épreuve du feu en Amérique et en Angleterre ; mais non pas au Tibet et en Inde. En Occident, une personne "sensitive" a besoin d'être endormie pour devenir invulnérable, sous l'influence des "guides"qui dirigent l'opération, et nous défions quelque "médium" que ce soit, dans son état normal physique, de plonger les bras jusqu'au coude dans des charbons ardents. Mais en Orient, que l'acteur soit un saint lama ou un sorcier mercenaire (ces derniers sont en général nommés "jongleurs"), il n'a pas besoin de préparation, ni de se mettre dans un état anormal pour pouvoir tenir du feu dans la main, des morceaux de fer rougi, ou du plomb fondu. Nous avons vu, en Inde Méridionale, ces jongleurs tenir leurs mains dans des charbons ardents jusqu'à ce que ceux-ci fussent réduits  en cendres. Pendant la cérémonie religieuse de Siva-Râtri, ou la veillée de Siva, lorsque le peuple passe des nuits entières à veiller et à prier, quelques Sivaïtes firent venir un jongleur Tamil, qui produisit les phénomènes les plus merveilleux en appelant simplement à son aide un esprit qu'on nomme Koutti-Shâttan, le petit démon. Mais, loin de laisser croire qu'il est guidé ou "contrôlé"par ce gnome, car ce n'est qu'un gnome, s'il  est quelque chose, l'homme, pendant sa redoutable opération, riposta fièrement à un missionnaire catholique, qui profitait de l'occasion pour informer les spectateurs que ce misérable pécheur "s'était vendu au diable". Sans ôter ses mains et ses bras de la fournaise dans laquelle il les rafraîchissait, le Tamil se contenta de tourner la tête ; regardant avec mépris et arrogance le missionnaire qui rougit, il lui dit : "Mon père et le père de mon père ont eu ce petit démon à leurs ordres. Depuis deux siècles, le Koutti est un serviteur fidèle dans notre maison, et maintenant, Monsieur, vous voudriez faire [179] croire au peuple qu'il est mon maître ! Ils savent bien que c'est faux". Après cela, il retira tranquillement ses mains du feu et passa à d'autres exercices.

Quant au pouvoir étonnant de prédiction et de clairvoyance que possèdent certains Brahmanes, il est bien connu de tous les Européens résidant en Inde. Si, à leur retour dans les contrées "civilisées", ils rient de ces histoires, et quelquefois les nient carrément, cela fait du tort à leur bonne foi, mais non pas aux faits eux-mêmes. Ces Brahmanes vivent principalement dans des "villages sacrés" et dans des endroits retirés, surtout sur la côte occidentale de l'Inde. Ils évitent les cités populeuse, et particulièrement le contact des Européens, et il est fort rare que ces derniers réussissent à se lier intimement avec les "voyants". On croit généralement que cette circonstance est due à leur religieuse fidélité aux observances de caste ; mais nous sommes fermement convaincus que dans bien des cas, ce n'est pas la raison. Des années, peut-être des siècles s'écouleront, avant que la véritable raison soit connue et constatée.

Les castes inférieures, dont quelques-unes sont dénommées par les missionnaires adorateurs du diable, malgré les pieux efforts des missionnaires catholiques pour répandre en Europe des rapports navrants sur  la  misère  de  ces  populations,  "vendues  à  Satan",  et malgré les tentatives analogues, mais tant soit peu moins ridicules et absurdes des missionnaires protestants, le mot diable, dans le sens que lui donnent les chrétiens, est une non entité pour eux. Ils croient aux bons et aux mauvais esprits ; mais ils n'adorent pas le Diable ni ne le craignent. Leur culte est tout simplement un "cérémonial de précaution contre les  esprits "terrestres" et humains qu'ils redoutent bien davantage que les millions d'élémentaux de diverses formes 280. Ils font usage de toute espèce de musique, d'encens et de parfums, dans leurs pratiques pour éloigner les "mauvais esprits" (les élémentaires). Dans ces circonstances, ils  ne donnent pas plus matière à raillerie, que le savant bien connu, spirite convaincu, qui suggérait d'avoir du vitriol et de la poudre de nitre dans la chambre, pour tenir à l'écart les esprits déplaisants et pas plus que lui ils n'ont tort de faire ce qu'ils font. L'expérience de leurs ancêtres, en effet, qui porte sur plusieurs milliers d'années, leur a appris la manière de procéder contre cette vile "horde spirituelle". Ce qui démontre que ce sont pour eux des esprits humains, c'est que très souvent ils [180] essayent de satisfaire et d'apaiser les larves de leurs propres filles ou parentes, lorsqu'ils ont des raisons de soupçonner qu'elles ne sont pas mortes en odeur de sainteté et de chasteté. Ils nomment ces esprits-là "Kanyas", mauvaises vierges. Le cas a été signalé par plusieurs missionnaires ; le Rév. E. Lewis 281, entre autres. Mais ces pieux gentlemen insistent qu'ils pratiquent le culte du démon alors qu'ils ne font rien de semblable ; car ils cherchent tout simplement à rester en bons termes avec eux, afin de n'en pas  être molestés. Ils leur offrent des gâteaux et des fruits, et divers genres de mets qu'ils aimaient de leur vivant, parce que plusieurs d'entre eux ont éprouvé les effets de la méchanceté de ces "morts", qui reviennent et dont les persécutions sont quelquefois terribles. C'est d'après ce principe qu'ils agissent à l'égard des esprits de tous les méchants. Ils laissent près de leur tombe, s'ils ont été inhumés, ou tout proche de l'endroit où leur corps a été brûlé, des aliments et des boissons dans le but de les retenir dans le voisinage de ces lieux, et avec l'idée que ces vampires seront de la sorte empêchés de revenir chez eux. Ce n'est point là un culte ; c'est plutôt un spiritisme d'un genre pratique. Jusqu'en 1861, l'usage de mutiler les pieds des  meurtriers  exécutés  subsistait  chez  les  Hindous,  dans  la ferme croyance que de cette façon l'âme désincarnée se trouverait dans l'impossibilité d'errer et de commettre d'autres mauvaises  actions. Plus tard, cette pratique fut interdite par la police.

280 Voir le journal The Theosophist, rédigé et publié à Madras, il est plein de confessions venant des indigènes. Les Indous regardent comme un malheur la présence d'un médium dans leurs maisons, et cherchent tous les moyens possibles pour délivrer la malheureuse personne des Esprits qui l'obsèdent (note de H-P.B.).

281 The Tinnevelly Shanars, p. 43.

 

Une autre excellente raison pour laquelle les Hindous n'adorent pas le "Diable", c'est qu'ils n'ont aucun mot dans leur langue pour exprimer l'idée d'un tel être. Ils appellent ces esprits "bhoutam" mot qui correspond à notre "goule" ; une autre expression est pey et en sanscrit pisacha, qui, tous deux signifient fantômes ou "revenants", peut-être farfadet dans quelques cas. Les bhoutam sont les plus terribles, car ils sont littéralement des "goules", qui reviennent sur la terre pour tourmenter les vivants. On croit qu'ils visitent généralement l'endroit où leur corps a été brûlé. Les "Esprits de Siva" ou du "feu" sont identiques aux gnomes et aux salamandres des Rose-croix ; car on les peint sous la forme de nains d'un aspect féroce, vivant sur la terre et dans le feu. Le démon de Ceylan nominé Dewal est une forte et souriante femelle, ayant une collerette blanche autour du cou.

Ainsi que le fait remarquer très justement le Dr Warton : "Il n'est pas de notion plus strictement orientale que celle des dragons du roman et de la fiction ; on les trouve mêlés à toutes les traditions d'une date antique, et leur présence est pour ainsi dire une preuve évidente de l'origine de la tradition". Il n'y a pas [181] d'écrits Où ces figures soient plus marquées que dans les récits du Bouddhisme exotérique ; ils rapportent une infinité de détails sur les Nagas ou serpents royaux, qui habitent les cavités souterraines, correspondant aux habitations de Tiresias et des voyants grecs, une région de mystère et d'obscurité, dans laquelle se pratique le système de la divination par les oracles, grâce à une sorte de possession par l'esprit de Python, le dragon tué par Apollon. Mais les Bouddhistes ne croient pas plus que les hindous au diable du système chrétien, c'est-à-dire à une entité aussi distincte de l'humanité que la divinité elle-même. Les Bouddhistes enseignent qu'il existe des dieux inférieurs, qui ont été des hommes sur cette planète ou sur une autre, mais qui n'en ont pas moins été des hommes. Ils croient aux Nagas, qui ont été des sorciers sur la terre, gens méchants, et qui donnent à d'autres méchants encore vivants le pouvoir de flétrir tous les fruits qu'ils fixent, et même les vies humaines. Lorsqu'un Cingalais a la réputation de faire faner et périr un arbre, ou une personne, en le fixant du regard, on dit qu'il a en lui un Naga-Rajan ou Roi-Serpent. L'interminable catalogue des mauvais esprits n'en comprend pas un qui soit un diable dans le sens que le clergé chrétien veut nous faire accepter, mais tout simplement des péchés, des crimes, et des pensées humaines spirituellement incarnés, si nous pouvons nous exprimer ainsi. Les dieux-démons bleus, verts, jaunes et pourpres, comme les dieux inférieurs de Yougamdhara appartiennent plutôt aux génies, et beaucoup d'entre eux sont aussi bons et bienfaisants que les divinités de Nat elles- mêmes : quoique les Nats comptent parmi eux des géants, de mauvais génies et autres esprits analogues, qui habitent les déserts du Mont Yougamdhara.

La doctrine véritable de Bouddha dit que les démons, lorsque la nature produisit le soleil, la lune et les étoiles étaient des êtres humains, mais qu'en raison de leurs péchés ils déchurent de leur état de félicité. S'ils en commettent de plus grands, ils subissent des châtiments plus terribles, et les damnés sont comptés par les Bouddhistes parmi les diables ; tandis qu'au contraire, les démons qui meurent (les esprits élémentaux), et naissent ou s'incarnent sous la forme d'hommes et qui ne commettent plus de péché, peuvent arriver à l'état de félicité céleste. Cela est une preuve, observe Edward Upham dans son History and Doctrine of Bouddhism, que tous les êtres, divins aussi bien qu'humains, sont sujets aux lois de la transmigration qui agissent sur tous, suivant une progression de faits moraux. Cette croyance, par conséquent, est le type complet d'un code de motifs et de lois morales appliqués à la règle et au gouvernement de l'homme, et, ajoute-t-il une expérience "qui rend l'étude du Bouddhisme un sujet important et curieux pour le philosophe". [182]

Les Hindous croient aux vampires aussi fermement que les Serbes et les Hongrois. Bien plus, leur doctrine est celle de Pierart, le fameux spirite et magnétiseur français, dont l'école florissait il y a une douzaine d'années. "Le fait d'un spectre revenant sucer le sang humain", dit ce docteur 282, "n'est pas aussi inexplicable qu'il le paraît, et ici nous en appelons aux spirites, qui admettent le phénomène de la bicorporéité ou dédoublement de l'âme. Les mains que nous avons pressées... ces membres "matérialisés"rendus si palpables... prouvent clairement ce  que peuvent [les spectres astraux] dans les conditions favorables".

282 Pierart, Revue spiritualiste, vol. IV, chapitre sur le "vampirisme", p. 64

 

L'honorable médecin reproduit la théorie des Cabalistes. Les Shadim étaient le dernier des ordres d'esprits. Maimonides, qui nous apprend que ses concitoyens étaient obligés d'entretenir un commerce intime avec leurs morts,  décrit  la  fête  du  sang  qu'ils  célébraient  dans  ces  occasions. Ils creusaient un trou, et l'on y faisait couler du sang frais, puis on plaçait au- dessus une table, et après cela les "esprits" venaient et répondaient à toutes les questions 283.

Pierart, dont la doctrine était fondée sur celle des théurgistes, manifeste une ardente indignation contre la superstition du clergé, qui exige, toutes les fois qu'un cadavre est soupçonné de vampirisme, qu'un pieu lui soit enfoncé dans le cœur. Tant que la forme astrale n'est pas entièrement libérée du corps, il y a une possibilité qu'elle puisse être forcée de le réintégrer au moyen d'une attraction magnétique. Quelquefois elle ne sera qu'à demi-sortie, lorsque le corps, qui présente les apparences de la mort est inhumé. Dans ces cas, l'âme astrale terrifiée rentre violemment dans son enveloppe ; et alors il arrive l'une de ces deux choses : ou la malheureuse victime se tordra dans les terribles tortures de la suffocation, ou, si elle a été grossièrement matérielle, elle deviendra un vampire. La vie bicorporelle commence ; et ces infortunés, enterrés en état de catalepsie, soutiennent leur misérable existence en faisant sucer par leur corps astral, le sang vital de personnes vivantes. La forme éthérée va où il lui plaît d'aller ; et tant que le lien qui l'attache au corps n'est pas brisé, elle est libre d'errer de-ci, de-là, visible ou invisible, et se repaissant de victimes humaines. "Suivant toutes apparences, cet "esprit" transmet alors  au moyen d'un lien de connexion mystérieux et invisible, qui peut-être un jour sera expliqué, les résultats de la succion au corps matériel, qui gît inerte au fond du tombeau, l'aidant, de cette façon, à perpétuer son état de catalepsie" 284. [183]

283 Maimonides, Mishna Torah : sect. "Abodah Zarah", XI.

284 Pierart, op. cit., p. 313.

285 [Des Hallucinations, pp 338-39, etc.]

 

Brierre de Boismont cite un nombre de cas de ce genre, parfaitement constatés qu'il se plaît à nommer des "hallucinations" 285. Une enquête récente, dit un journal français, "a établi qu'en 1861 deux cadavres ont été soumis à l'infâme traitement de la superstition populaire, à l'instigation du clergé... Oh préjugé aveugle !" Mais le Dr Pierart, cité par des Mousseaux qui croit fermement au vampirisme, s'écrie : "Aveugle, dites-vous ? Oui, aveugle tant que vous voudrez. Mais d'où proviennent ces préjugés ? Pourquoi se sont-ils perpétués dans tous les temps et dans tant de pays. Après une quantité de faits de vampirisme si souvent prouvés, pouvons-nous dire qu'il n'en existe plus, et qu'ils étaient dénués de fondement ? Rien ne sort de rien. Chaque croyance, chaque coutume prend sa source dans des faits et des causes qui lui ont donné naissance. Si l'on n'avait jamais vu apparaître, dans le sein des familles de certaines contrées, des êtres ayant pris la forme de morts familiers, venant ainsi sucer le sang d'une ou de plusieurs personnes, et si la mort, par affaiblissement des victimes ne s'en était pas suivie, on n'aurait jamais été déterrer les corps dans les cimetières ; nous n'aurions jamais vu attester le fait incroyable de personnes inhumées depuis plusieurs années, retrouvées avec le corps souple, les membres flexibles, les yeux ouverts, le teint frais et rosé, la bouche et le nez pleins de sang, et leur sang coulant à flots des blessures infligées, ou lorsqu'on leur coupe la tête 286.

Un des exemples les plus frappants de vampirisme est relaté dans les lettres particulières du philosophe, marquis d'Argens ; et dans la Revue Britannique de mars 1837, le voyageur anglais Pashley en décrit quelques- uns parvenus à sa connaissance dans l'île de Candie. Le Dr Jobard, le savant anticatholique et antispirite Belge, atteste de  semblables expériences 287.

"Je n'examinerai pas", écrivait l'évêque d'Avranches Huet, "si les faits de vampirisme, qui sont constamment rapportés, sont vrais ou s'ils sont le résultat d'une erreur populaire ; mais il est certain qu'ils sont attestés par bon nombre d'auteurs capables et dignes de foi, et par tant de témoins oculaires que personne ne devrait trancher cette question sans beaucoup de circonspection 288".

286 Pierart, Revue spiritualiste, vol. IV, p. 104.

287 Voyez Hauts Phén., p. 199.

288 Huetiana, Paris, 1722, p. 83.

 

Le chevalier qui s'était donné tant de peine pour recueillir les matériaux pour sa théorie démonologique, fournit les exemples les plus saisissants, pour démontrer que tous ces faits sont produits par le Diable, qui se sert des cadavres des cimetières, pour s'en [184] revêtir, et errer la nuit suçant le sang des hommes. Il me semble que nous pourrions nous en tirer parfaitement, sans introduire ce sombre personnage sur la scène. Si nous allons jusqu'à croire au retour des esprits, il ne manque pas de méchants sensualistes, d'avares et de pécheurs de toutes sortes, et spécialement de suicidés, qui pourraient rivaliser en fait de malice avec  le Diable lui-même, dans ses plus mauvais jours. C'est assez de croire à ce que nous voyons, et savons être des faits réels, sans ajouter à notre Panthéon de fantômes le Diable, que personne n'a jamais vu.

Néanmoins, il y a d'intéressants détails à rassembler au sujet du vampirisme, puisque la croyance en ce phénomène a existé dans tous les pays, depuis les temps les plus reculés. Les nations Slaves, les Grecs, les Valaques, et les Serbes révoqueraient plutôt en doute l'existence de leurs ennemis les Turcs, que le fait de l'existence des vampires. Les Wkodlak ou vardalak, comme on nomme ces derniers, sont des hôtes trop familiers des foyers Slaves. Des écrivains d'un talent hors ligne, des hommes aussi remplis de sagacité que d'irréprochable intégrité, ont traité cette question, et y croient. D'où provient donc cette superstition ? D'où cette unanime croyance à travers les siècles, et d'où cette identité dans les détails, cette similitude dans les descriptions de ce phénomène particulier, que nous trouvons dans les témoignages, généralement rendus sous serment, de peuples étrangers les uns aux autres, et en divergence très tranchée sur ce qui touche à d'autres superstitions ?

"Il y a", dit Dom Calmit, Bénédiction sceptique du dernier siècle, "deux moyens différents de détruire la croyance en ces prétendus fantômes... Le premier consisterait à expliquer les prodiges du vampirisme par des causes physiques. Le second moyen consiste à nier entièrement la vérité de toutes ces histoires ; et ce dernier plan serait incontestablement le plus sûr et le plus sage 289".

289 Dom Calmit, Dissertations sur les Apparitions, etc. Hauts Phén. de la Magie, 193.

 

Le premier procédé, celui qui consiste à l'expliquer par des causes physiques quoique occultes, est celui qu'a adopté l'école de magnétisme de Pierart. Ce ne sont certainement pas les spirites qui ont le droit de mettre en doute la plausibilité de cette explication. Le second plan est celui qu'ont adopté les savants et les sceptiques. Ils contestent tout net les faits. Ainsi que des Mousseaux le fait observer, il n'y a pas de moyen meilleur ni plus sûr, et il n'en est pas qui exige moins de philosophie ou de science.

Le spectre d'un pâtre de village, près de Kodom en Bavière, commença à apparaître à plusieurs habitants du pays, et soit par [185] suite de la frayeur éprouvée, soit pour toute autre cause, chacun d'eux mourut dans le courant de la semaine suivante. Poussés au désespoir, les paysans déterrèrent le cadavre et le clouèrent au sol avec un long pieu. La même nuit il reparut plongeant les gens dans l'épouvante, et en  étouffant plusieurs. Alors les autorités du village livrèrent le corps aux mains du bourreau, qui le traîna dans un champ voisin et l'y brûla. "Le cadavre", dit des Mousseaux citant dom Calmit, "hurlait comme un fou, ruant  et pleurant comme s'il eût été vivant. Lorsqu'on le perça de nouveau avec des pieux très pointus, il poussa des cris perçants, et vomit des masses de sang vermeil. Les apparitions de ce spectre ne cessèrent que lorsque le corps eût été réduit en cendres" 290.

Des officiers de Justice visitèrent les endroits que l'on disait ainsi hantés ; les corps furent exhumés, et dans presque tous les cas,  on remarqua que le cadavre soupçonné de vampirisme paraissait frais et rose, et que sa chair n'était nullement décomposée. On constata que les objets qui avaient appartenu à ces fantômes se mouvaient dans la maison, sans que personne les touchât. Mais les autorités légales, en général, refusèrent d'avoir recours à la crémation et à la décapitation, avant d'avoir strictement observé toutes les règles de la procédure légale. Des témoins furent assignés à comparaître, et leurs dépositions furent entendues et soigneusement pesées. Après cela les corps exhumés furent examinés ; et s'ils offraient des signes caractéristiques et non équivoques de vampirisme, ils étaient livrés à l'exécuteur.

"Mais la principale difficulté, dit dom Calmit, consiste à savoir comment ces vampires peuvent quitter leur tombe, et comment ils peuvent y rentrer sans déranger le moins du monde la terre qui les recouvre ; comment se fait-il qu'on les voie couverts de leurs vêtements ordinaires ; comment peuvent-ils aller, marcher et prendre de la nourriture...? Si tout cela n'est que le produit de l'imagination chez ceux qui croient qu'ils sont tourmentés par ces vampires, comment se fait-il que les fantômes incriminés sont ensuite retrouvés dans leur tombeau..., ne présentant aucun signe de décomposition, pleins de sang, souples et frais ? Comment expliquer la cause de la boue ou de la poussière dont leurs pieds sont couverts le lendemain du jour où ils sont apparus et ont effrayés leurs voisins, tandis que rien de pareil ne se retrouve jamais sur les autres cadavres enterrés dans le même cimetière 291 ? Comment se fait-il encore qu'une fois brûlés, ils ne reparaissent plus ? et que ces cas se reproduisent si souvent dans ce pays, qu'il semble impossible de guérir le peuple de ce préjugé ; car, au lieu de le détruire, l'expérience de chaque jour ne fait que fortifier la croyance superstitieuse du peuple et accroître sa foi dans ces faits 292.

290 Hauts Phénom., p. 196-7.

291 Ibid. Voir le même témoignage sous serment dans les documents officiels. De l'Inspir. des Camisards, H. Blanc, 1859. Plon, Paris.

292 Dom Calmet, Apparitions, vol. II, pp. 36, 212.

293 Pierart, Revue spiritualiste, Vol. IV, p. 104.

 

Il existe un phénomène d'une nature inconnue, et qui, par conséquent, est repoussé dans notre siècle d'incrédulité par la physiologie et la psychologie. Ce phénomène est un état de demi-mort. Virtuellement, le corps est mort ; et dans les cas de personnes chez lesquelles la matière ne prédomine pas sur l'esprit et chez lesquelles la méchanceté n'est pas assez puissante pour détruire la spiritualité, si elle est laissée libre, leur âme astrale se dégagera elle-même par des efforts graduels, et lorsque le dernier lien sera brisé, elle se trouvera séparée pour toujours de son corps terrestre. Une polarité magnétique analogue repoussera violemment l'homme éthéré, loin de sa masse organique en décomposition. Toute la difficulté repose en ce que : 1° l'on croit que le moment décisif de la séparation entre les deux est celui où le corps est déclaré être mort par la science ; et 2° que cette même science nie l'existence de l'âme ou de l'esprit dans l'homme.

Pierart essaye de démontrer que, dans tous les cas, il est dangereux d'inhumer trop tôt les gens, même lorsque le corps présenterait des signes indubitables de putréfaction. "Pauvres morts cataleptiques", dit le docteur, "enterrés comme étant tout à fait morts, dans des endroits froids et secs, où les causes morbides sont incapables de produire la destruction de leur corps, leur esprit [astral] s'enveloppant d'un corps fluidique [éthéré], est poussé à quitter le séjour de la tombe, pour exercer sur des êtres vivants des actes particuliers à la vie physique et celui de la nutrition  en particulier ; il en résulte par un mystérieux lien entre l'âme et le corps que la science spiritualiste expliquera un jour, que la nourriture est fournie au corps matériel encore gisant dans le tombeau, et ce dernier est ainsi aidé à perpétuer son existence vitale. Ces esprits, dans leurs corps éphémères, ont souvent été vus sortant du cimetière ; on a constaté qu'ils se sont attachés à des voisins vivants et qu'ils en ont sucé le sang" 293. L'enquête judiciaire a établi qu'il en est résulté, pour les victimes, un état d'affaiblissement, qui s'est souvent terminé par la mort.

 Ainsi, en suivant le pieux avis de dom Calmet, nous devons soit continuer à nier, soit, si les témoignages humains et légaux sont bons à quelque chose et ont quelque valeur, accepter  la  seule  explication possible : "Que les âmes des morts sont incorporées dans des véhicules aériens ou éthérés ; cela est pleinement et clairement [187] démontré par ces excellents hommes le Dr C. et le Dr More, dit Glanvil, et ils ont pleinement démontré que telle était la doctrine des plus grands philosophes et des pères des temps les plus reculés" 294.

Gœerres, le philosophe Allemand, parlant dans le même sens, dit que "Dieu n'a jamais créé l'homme comme un corps mort, mais sous la forme d'un animal plein de vie. Une fois qu'Il l'eût formé de la sorte, trouvant qu'il était prêt à recevoir le souffle immortel, Il lui souffla au visage, et c'est ainsi que l'homme devint un double chef-d'œuvre entre Ses mains. C'est au centre de la vie elle-même que cette mystérieuse insufflation eut lieu pour le premier homme [la première race ?] ; et c'est à partir de ce moment, que furent unis l'âme animale issue de la terre et l'esprit émané du ciel" 295.

294 Sadducismus triumphatus, vol. II, p. 70.

295 J.J. von Görres, Gesammelte Schriften, III, ch. VII, p. 132. Munich, 1854.

 

Des Mousseaux, d'accord avec d'autres écrivains  Catholiques Romains, s'écrie : "Cette proposition est tout à fait anti-catholique !" Soit ; supposons que ce soit le cas ? Elle peut être archi-anti-catholique, et néanmoins être logique et offrir une solution à plus d'un embarrassant problème psychologique. Le soleil de la science et de la philosophie brille pour tout le monde ; et si les catholiques, qui comptent à peine un septième de la population du globe, ne s'en trouvent pas satisfaits, peut-être les nombreux millions d'hommes appartenant à d'autres religions, dont le nombre est de beaucoup supérieur le seront-ils.

Et maintenant, avant de quitter ce repoussant sujet du vampirisme, citons un exemple de plus sans autre garantie que la déclaration qui nous a été faite par des témoins apparemment dignes de foi.

Vers le commencement du siècle actuel, survint en Russie un des cas de vampirisme les plus effrayants dont on ait gardé le souvenir. Le gouverneur de la province de Tch** était un homme d'environ soixante ans,  et  d'un  naturel  méchant,  tyrannique,  cruel  et  jaloux.  Investi d'une autorité despotique, il l'exerçait sans mesure, suivant ses instincts brutaux. Il devint amoureux de la jolie fille d'un petit fonctionnaire. Quoique la demoiselle fût fiancée à un jeune homme qu'elle aimait, le tyran contraignit le père à consentir à son mariage avec elle ; et la pauvre victime, malgré son désespoir, devint sa femme. Sa jalousie ne tarda pas à se manifester. Il la battait, la séquestrait des semaines entières dans sa chambre, et l'empêchait de voir qui que ce soit, si ce n'est en sa présence. Finalement il tomba malade et mourut. Voyant sa dernière heure approcher, il lui fit jurer qu'elle ne se remarierait [188] jamais ; et la menaça avec des serments effroyables, dans le cas où elle contracterait une nouvelle union, de sortir de sa tombe et de la tuer. Il fut enterré dans le cimetière de l'autre côté du fleuve et la jeune veuve n'eut plus  de tourments, jusqu'à ce que, la nature reprenant le dessus, et dominant ses frayeurs, elle prêta l'oreille aux importunités de son premier amoureux, et de nouvelles fiançailles eurent lieu.

La nuit de la fête habituelle des fiançailles, lorsque tout le monde fut retiré, l'antique demeure fut mise en émoi par des cris venant de sa chambre. Les portes furent enfoncées, et l'on trouva la malheureuse femme étendue évanouie sur sa couche. En même temps on entendit le bruit des roues d'une voiture sortant de la cour. Le corps de la jeune veuve était couvert d'ecchymoses, comme si elle avait été pincée en divers endroits, et d'une petite piqûre au cou s'échappaient des gouttes de sang. En reprenant ses sens, elle déclara que son défunt mari était entré soudain dans sa chambre, exactement tel qu'il était durant sa vie, sauf qu'il  était d'une pâleur mortelle ; qu'il lui avait reproché son inconstance, et qu'ensuite il l'avait battue et cruellement pincée. On n'ajouta aucune foi à son récit ; mais le lendemain matin, les gardes stationnant de l'autre côté du pont, racontèrent qu'un moment avant minuit, une voiture sombre attelée de six chevaux avait passé au grand galop devant eux, se dirigeant vers la ville, sans répondre à leurs appels.

Le nouveau gouverneur, qui s'était montré incrédule à l'histoire de l'apparition, prit néanmoins la précaution de doubler la garde du pont. Malgré cela, le fait se reproduisit toutes les nuits ; les soldats déclaraient que la barrière de leur station auprès du pont s'ouvrait d'elle-même, et que l'équipage spectral filait devant eux, malgré tous leurs efforts pour l'arrêter. En même temps, chaque nuit, la voiture roulait bruyamment sur le pavé de la cour de l'hôtel ; les veilleurs, y compris la famille de la veuve et les serviteurs, étaient plongés dans un profond sommeil ; et chaque matin, la jeune victime était trouvée meurtrie, sanglante et sans  connaissance comme auparavant. La ville était dans la consternation. Les médecins ne pouvaient fournir aucune explication ; les prêtres venaient passer la nuit en prières, mais aux approches de minuit, tous étaient invinciblement pris d'une terrible léthargie. Finalement, l'archevêque de la province vint, et fit en personne les cérémonies de l'exorcisme, mais le lendemain matin, la veuve du gouverneur fut trouvée dans un état pire encore que jamais. Elle était aux portes de la mort.

Le gouverneur fut enfin amené à prendre les mesures les plus sévères pour mettre un terme à la panique, toujours croissante, dans la ville. Il plaça cinquante cosaques en station le long du [189] pont, avec ordre d'arrêter à tout prix la voiture fantôme. A l'heure habituelle, on l'entendit et on la vit approcher, venant de la direction du cimetière. L'officier de garde et un prêtre portant un crucifix se plantèrent devant la barrière, et crièrent ensemble : "Au nom de Dieu et du Tsar, qui va là ?" De la portière de la voiture émergea une tête bien connue, et une voix familière répondit : "Le Conseiller privé d'Etat, et gouverneur C..." Au même moment, prêtre, officiers et soldats furent jetés de côté par un choc électrique, l'équipage fantôme passa outre avant qu'ils eussent repris leurs sens.

L'archevêque résolut alors, comme dernier expédient, de recourir au procédé consacré par le temps, d'exhumer le cadavre, et de le clouer au sol avec un pieu de chêne planté dans le cœur. Cela fut fait avec un grand cérémonial religieux, en présence de la population tout entière. L'histoire rapporte que le corps fut trouvé gorgé de sang, avec les joues et les lèvres rouges. Au moment où le premier coup fut frappé sur le pal, le cadavre poussa un gémissement, et un jet de sang jaillit en l'air. L'archevêque prononça la formule usuelle de l'exorcisme, le cadavre fut ré-inhumé, et à partir de ce moment on n'entendit plus parler du vampire.

Jusqu'à quel point les faits de ce drame ont-ils été exagérés par la tradition, c'est ce que nous ne pouvons dire. Mais nous les tenons, il y a de longues années, d'un témoin oculaire ; et il existe aujourd'hui en Russie des familles, dont les membres les plus âgés se rappellent parfaitement cette terrible histoire.

Quant à la déclaration que l'on trouve dans les livres de médecine, qu'il y a des cas fréquents d'inhumation de personnes à l'état de catalepsie, et  quant  aux  dénégations  persistantes  des  spécialistes que ces choses n'arrivent que très rarement, nous n'avons qu'à consulter la presse quotidienne de tous les pays, pour trouver l'horrible fait établi. Le Rév. H : R. Haweis M.A., auteur du livre Ashes to Ashes 296 énumère dans son ouvrage, écrit en faveur de la crémation, quelques cas très poignants d'inhumations prématurées. A la page quarante-six, on lit le dialogue suivant :

296 Ashes to Ashes. London : Daldy, Isbister et C°, 1875.

 

 "Mais... avez-vous connaissance de beaucoup de cas d'inhumation prématurée ?

Sans aucun doute ; je ne dirai pas qu'ils soient fréquents dans notre climat tempéré, mais il en survient. A peine explore t-on un cimetière sans y trouver des cercueils renfermant des corps, non seulement retournés, mais encore des squelettes contournés dans la dernière lutte désespérée pour la vie, sous la terre. La position renversée pourrait être attribuée à quelque secousse du cercueil, mais certainement pas les contorsions". [190]

Après cela, il mentionne les cas suivants qui ont eu lieu récemment.

"A Bergerac (Dordogne), en 1842, le malade prit un narcotique, mais ne se réveilla pas... On le saigna, et il ne s'éveilla pas... Enfin on déclara qu'il était mort, et on l'enterra. Après quelques jours, au souvenir du narcotique qu'il avait pris, on ouvrit la tombe et le cercueil. Le corps s'était retourné et débattu.

Le Sunday Times du 30 décembre 1838 raconte qu'à Tonneins, dans le Lot-et-Garonne un homme était inhumé, lorsqu'on entendit du bruit venant du cercueil ; pris de peur le fossoyeur indifférent se sauva... La bière fut remontée et ouverte. Un visage pétrifié de terreur et de désespoir, le linceul déchiré, les membres retournés, disaient la navrante vérité... trop tard.

[Le Times de mai 1874 raconte] qu'en août 1873, une jeune dame mourut peu de temps après son mariage... Au bout d'une année, son mari se remaria, et la mère de sa première femme résolut de transporter le corps de sa fille à... Marseille. On ouvrit le caveau, et l'on trouva le corps de la pauvre fille, la face contre terre, la chevelure flottante, et son suaire mis en lambeaux" 297.

Comme nous avons à reparler de ce sujet à propos des miracles de la Bible, laissons de côté ce sujet pour le moment, et revenons aux phénomènes magiques.

Si nous voulions donner une description complète des diverses manifestations qui ont lieu parmi les adeptes de l'Inde et d'autres contrées, nous pourrions remplir des volumes entiers, mais ce serait sans utilité, parce qu'il ne resterait pas de place pour les explications. C'est pourquoi nous choisirons de préférence celles qui ont leur équivalent dans les phénomènes modernes, ou qui sont authentifiées par des enquêtes légales. Horst a essayé de donner à ses lecteurs une idée de certains esprits Persans et il a échoué ; car la seule mention de quelques-uns d'entre eux est bien faite pour mettre la cervelle d'un croyant à l'envers. Il y a les Dævas et leurs agissements particuliers ; les Darwands et leurs sombres tours ; les Shedim et les Djinns ; toute la vaste légion Yazatas, des Amshàspands, des esprits, des démons, des lutins et des elfes du calendrier Persan ; et d'autre part, les Séraphins, Chérubins, Sephiroth, Malachim, Elohim des Juifs ; et, ajoute Horst, "les millions d'esprits élémentaires, ou esprits intermédiaires, fantômes et êtres imaginaires de toutes races et de toutes couleurs" 298. [191]

Mais la majorité de ces esprits n'ont rien à voir avec les phénomènes produits consciemment et de propos délibéré par les magiciens de l'Orient. Ces derniers repoussent une telle accusation, et ils laissent aux sorciers même le concours des esprits élémentaux et des élémentaires. L'adepte possède un pouvoir illimité sur ces deux catégories d'esprits, mais il en fait rarement usage. Pour la production des phénomènes physiques, il appelle les esprits de la nature, dont il se sert comme de forces obéissantes, mais non comme des intelligences.

 297 L'auteur renvoie ce4x qui douteraient des faits qu'il rapporte à l'ouvrage. Gatherings from Graveyards, par G : A. Walker, pp. 84, 193-94, etc.

298 Horst, Zauber Bibliothek, vol. V, p. 52.

 

Comme nous aimons toujours à renforcer nos arguments par des témoignages d'autres personnes que nous-même, peut-être ferons-nous bien de citer l'opinion d'un journal, le Boston Herald, en ce qui concerne les phénomènes en général et les médiums en particulier. Ayant éprouvé de tristes déceptions avec des personnes malhonnêtes, qui peuvent être ou ne pas être des médiums, l'auteur de l'article prit la peine de vérifier certains prodiges, que l'on dit se produire dans l'Inde, et il les compare à ceux des thaumaturges modernes.

"Le médium d'aujourd'hui, dit-il, offre une ressemblance plus intime, quant aux méthodes et aux manipulations, avec le sorcier bien connu de l'histoire, qu'avec tout autre représentant de l'art magique. Ce qui va suivre démontre combien il est encore loin des performances de ses prototypes. En 1614, une délégation de personnages distingués et d'une haute éducation, appartenant à la Compagnie des Indes, vint rendre visite à l'empereur Jehangire. Au cours de leur mission, ils assistèrent à une foule d'exercices merveilleux, au point de leur faire douter du témoignage de leurs propres sens, et défiant toute explication. Un groupe de sorciers et de jongleurs du Bengale faisant exhibition de leur art devant l'empereur fut sollicité de produire dix mûriers séance tenante, au moyen de semences. Ils plantèrent immédiatement des graines qui, en quelques minutes produisirent autant d'arbres. La terre où la semence avait été jetée s'ouvrit pour livrer passage à quelques feuilles légères, bientôt suivies de jeunes pousses, qui s'élevèrent rapidement, en développant des bourgeons, des branches et des feuilles, à mesure qu'elles montaient, et finalement donnèrent en plein air des fleurs et des fruits, qui mûrirent sur place, et qui furent trouvés excellents. Tout cela sans que les assistants aient détourné les yeux. Des figues, des amandes, des mangues, des noisettes furent obtenues de la même manière, dans des conditions analogues. Les merveilles succédaient aux merveilles. Les branches se garnissaient d'oiseaux au riche plumage, voletant entre les feuilles, et semant dans les airs leurs notes pleines de douceur.   Les feuilles jaunirent et tombèrent, les branches et les tiges se desséchèrent, et enfin les arbres rentrèrent dans le sol, d'où ils avaient poussé à peine une heure auparavant. [192]

Un autre avait un arc et une cinquantaine de flèches à pointe d'acier. Il lança en l'air une de ses flèches, qui resta fixée dans l'espace à une hauteur considérable. Une autre fut tirée, puis une autre, et ainsi de suite, chacune venant se planter dans l'empennage de la précédente, de façon à former une chaîne de flèches dans l'espace, jusqu'à la dernière, qui, frappant en plein dans la chaîne, la rompit et la fit tomber à terre par tronçons."Ils installèrent deux tentes en face l'une de l'autre, à la distance d'environ une portée d'arc. Ces tentes furent consciencieusement examinées par les spectateurs, comme le sont les cabinets des médiums, et l'on reconnut qu'elles étaient vides. Elles étaient fermement attachées au sol. Les assistants furent alors invités à désigner les sortes d'animaux ou d'oiseaux qu'ils voulaient voir sortir des tentes, et se livrer bataille. Khaun-e-Jahaun demanda, avec un accent très marqué d'incrédulité, à voir un combat d'autruches. Quelques minutes après, une autruche sortit de chacune des tentes, et se lança au combat avec une énergie mortelle ; bientôt le sang commença à couler, mais elles étaient tellement de force égale, qu'aucune ne put triompher de son adversaire, et qu'elles furent enfin séparées par les jongleurs, qui les ramenèrent dans leurs tentes. Après cela, toutes les demandes d'animaux et d'oiseaux faites par les assistants furent satisfaites, toujours avec les mêmes résultats.

Un grand chaudron fut installé, dans lequel on mit une grande quantité de riz. Sans la moindre trace de feu, ce riz commença bientôt à bouillir, et l'on tira du récipient plus de cent assiettes de riz cuit, avec un poulet sur chacune d'elles. Ce tour est exécuté aujourd'hui sur une plus petite échelle par les fakirs les plus vulgaires.

Mais l'espace manque pour illustrer, par des exemples du passé, combien en comparaison les exercices misérablement incolores, des médiums de nos jours, sont pâles et éclipsés par ceux des autres époques et de gens plus adroits. Il n'y a pas un exploit merveilleux, dans un phénomène ou manifestation quelconque qui ne fut, que dis-je, qui ne soit aujourd'hui beaucoup mieux présenté par d'autres habiles exécutants, dont les relations avec la terre et avec la terre seule, sont trop évidentes pour pouvoir être révoquées en doute, même lorsque le fait ne serait pas appuyé par leur propre aveu".

C'est une erreur de prétendre que les fakirs ou les jongleurs se disent toujours aidés par des esprits. Dans les évocations semi religieuses du genre de celle que le Govinda Svami de Jacolliot fit devant cet auteur français, qui en fait la description, lorsque les spectateurs désiraient voir des manifestations réellement spirituelles, ils avaient recours aux prières adressées à leurs pitris, [193] ancêtres défunts et autres purs esprits. Ils ne peuvent évoquer ces derniers qu'au moyen de la prière. Quant à tous les autres phénomènes, ils sont produits par le magicien et le fakir à volonté. Malgré l'état apparent d'abjection dans lequel le dernier paraît vivre, il est souvent un initié des temples, et il est aussi versé dans l'occultisme que ses frères plus riches.

Les Chaldéens, que Cicéron compte parmi les plus anciens magiciens, plaçaient le fondement de toute la magie dans les pouvoirs internes de l'âme de l'homme, et dans la connaissance des propriétés magiques existant dans les plantes, les minéraux et les animaux. Avec leur aide, ils accomplissaient les plus étonnants "miracles". Magie, chez eux, était synonyme de religion et de science. Ce n'est que plus tard que les mythes religieux du dualisme Mazdéen, défigurés par la théologie chrétienne, et parés par certaines pères de l'Eglise, prirent la déplaisante forme sous laquelle nous les voyons exposés par les écrivains catholiques, tels que des Mousseaux. La réalité objective de l'incube et du succube médiévaux, cette superstition abominable du moyen âge, qui coûta tant de vies humaines, soutenue par cet auteur dans un volume tout entier, est le monstrueux produit du fanatisme religieux et de l'épilepsie. Elle n'a pas de forme objective ; et en attribuer les effets au diable c'est proférer un blasphème : c'est supposer que "Dieu, après avoir créé Satan" lui a permis d'agir de la sorte. Si nous sommes forcés de croire au vampirisme, c'est en nous appuyant sur la force de deux propositions irréfragables de la science psychologique occulte, savoir : 1° L'âme astrale est une entité distincte, pouvant se séparer de notre ego, et pouvant courir et vagabonder loin du corps, sans rompre le fil de vie ; 2° le corps n'est pas entièrement mort, et tant que son locataire peut y rentrer, celui-ci peut en tirer une somme d'émanations matérielles, suffisante pour lui permettre de se montrer sous une forme quasi terrestre. Mais, soutenir avec des Mousseaux et de Mirville, que le Diable, que les catholiques douent d'une puissance en antagonisme égale à celle de la Divinité Suprême, se transforme en loup, en serpent, en chien, pour satisfaire ses convoitises, et procréer des monstres, c'est une idée dans laquelle se trouvent en germe  la démonolâtrie, la démence et le sacrilège. L'Eglise catholique qui non seulement nous enseigne à croire à cette monstrueuse erreur, mais force ses missionnaires à prêcher ce dogme, n'a pas beau jeu à s'indigner contre le culte du démon de certaines sectes Parsis et de l'Inde méridionale. Au contraire, car lorsque nous entendons les Yézidis répéter le proverbe bien connu : "Restez amis avec les démons ; donnez-leur votre bien, votre sang, vos services, et vous n'aurez pas besoin de vous préoccuper de Dieu – Il ne vous fera aucun mal", nous trouvons qu'ils sont logiques et conséquents [194] avec leur foi et leur respect pour l'Etre Suprême. Leur logique est saine et rationnelle ; ils révèrent trop profondément leur Dieu, pour s'imaginer que Celui qui selon eux, a créé l'univers et ses lois, soit capable de leur faire du mal à eux, pauvres atomes ; mais les démons sont là ; ils sont imparfaits, et, par conséquent, les humains ont de bonnes raisons pour les redouter.

C'est pourquoi, le Diable, dans ses diverses transformations, ne peut être qu'une illusion. Lorsque nous nous imaginons que nous voyons, que nous entendons ou que nous sentons le diable, c'est trop souvent le reflet de notre âme perverse, dépravée et souillée que nous voyons, entendons et sentons. Les semblables s'attirent, dit-on ; aussi, suivant la disposition dans laquelle notre forme astrale s'échappe durant les heures du sommeil, suivant nos pensées, nos tendances et nos occupations journalières, toutes choses qui impriment leur cachet sur la capsule plastique nommée âme humaine, cette dernière attire autour d'elle des êtres spirituels de même nature. C'est de ce fait qu'il résulte que des rêves et des visions sont purs et pleins de beauté, et d'autres démoniaques et bestiaux. La  personne au réveil se hâte alors vers le confessionnal, ou rit avec indifférence de ce souvenir. Dans le premier cas, on lui promet le salut final, au prix de quelques indulgences (qu'elle aura à acheter à l'Église), et peut-être un peu de  purgatoire  sinon  de  l'enfer.  Qu'importe ?  N'est-elle  pas  assurée de l'immortalité et de l'éternité, quoi qu'elle fasse ! C'est le Diable. On le met en fuite avec les cloches, le rituel, et le saint goupillon ! Mais le "Diable" revient, et souvent le croyant est amené à ne plus croire en Dieu, lorsqu'il finit par s'apercevoir que le Diable l'emporte sur son Créateur et son Maître. Alors il en est réduit à la seconde possibilité ; il se plonge dans l'indifférence, et il se donne tout entier au Diable. Il meurt, et le lecteur connaît la suite, pour l'avoir vue dans les chapitres précédents.

Cette pensée est magnifiquement exprimée par le Dr Ennemoser : "La religion n'a pas jeté ici [en Europe et en Chine] d'aussi profondes racines que chez les Hindous", dit-il en faisant allusion à cette superstition. "L'esprit des Perses et des Grecs était plus versatile... L'idée philosophique du bon et du mauvais principe et du monde spirituel... doit avoir aidé la tradition à former des visions... de formes infernales et célestes, et des contorsions les plus effroyables, qui dans l'Inde étaient produites beaucoup plus simplement, par un fanatisme plus enthousiaste ; il y a là le voyant recevant la lumière divine ; ici, il se perd dans une multitude de choses extérieures avec lesquelles il confond sa propre identité. Les convulsions accompagnées de l'absence du mental loin du corps, dans des pays lointains, étaient communes ici, parce que l'imagination y est moins ferme, et aussi moins spirituelle. [195]

"Les causes extérieures sont aussi différentes ; les manières de vivre, la position géographique et les moyens artificiels produisent des modifications diverses. La façon de vivre, dans les contrées du Proche-Orient, a toujours été très variable, et elle trouble et détourne, par conséquent, l'occupation des sens, et c'est pour cela que la vie extérieure se reflète dans le monde interne des songes. Les esprits sont donc d'une variété infinie de formes, et ils portent les hommes à satisfaire leurs passions, leur en indiquant les moyens, et descendant même jusqu'aux plus menus détails, ce qui est si contraire au caractère élevé des voyants hindous" 299.

Que celui qui étudie les sciences occultes cherche à rendre sa nature aussi pure, et ses pensées aussi élevées que celles de ces voyants de l'Inde, et il pourra dormir sans être molesté par le vampire, l'incube ou le succube.

 299 History of Magic, I, pp 223-24.]

 

L'esprit immortel rayonne autour de la forme insensible de ce dormeur, comme un bouclier, un pouvoir divin qui le protège contre les atteintes du mal, comme s'il était un mur de cristal.

"Hæc    murus   æreus    esto ;    nil    conscire    sibi,    nulla pallescere culpa." 300  

300 [Horace, Epitres, I, I : "Que ceci soit notre mur de bronze, de n'avoir aucune faute au cœur, aucun méfait pour nous faire pâlir."].