CHAPITRE XV

L'INDE BERCEAU DE LA RACE

 

"Stephano – De quoi s'agit-il ? Avons-nous des diables ici ? Voulez-vous nous en imposer avec les sauvages et les hommes de l'Inde ?"

 The Tempest, acte II, sc. 2.

"Nous avons maintenant, autant que cela est nécessaire pour notre but, étudié la Nature et les fonctions de l'âme ; et nous avons nettement démontré qu'elle est une substance distincte du corps."

 Dr Henry MORE,

Immortalité de l'âme, 1659.

Le savoir est une puissance ; l'ignorance est une imbécillité.

 E. HARDINGE-BRITTEN,

Pays des Fantômes.

 

Pendant bien des siècles la "doctrine secrète" a été, comme le symbolique "homme des douleurs" du prophète Esaïe. "Qui donc a ajouté foi à nos paroles?" a été la question de ses martyrs, une génération après l'autre. La doctrine s'est développée à la face de ses persécuteurs, "comme un frêle arbuste, un rejeton qui sort d'une terre desséchée. Il n'avait ni beauté ni attrait... Il était méprisé, abandonné des hommes... comme un objet à la vue duquel on se couvre le visage ; et nous n'avons fait aucun cas de lui" 541.

 541 [Esaïe, LIII, 2-3.]

 

Point n'est nécessaire d'entamer une controverse pour savoir si cette doctrine est ou non, d'accord avec les tendances iconoclastes des sceptiques modernes. Elle est d'accord avec la vérité, et cela suffit. Il serait oiseux d'espérer que ses détracteurs et ses calomniateurs y ajoutent foi. Mais la tenace vitalité qu'elle manifeste dans le monde entier, partout où il y a un groupe d'hommes pour la discuter, est la meilleure preuve que la semence, jetée par nos pères "d'au-delà du déluge" était celle d'un chêne robuste, et non le germe d'une théologie fongoïde. Aucun éclair lancé par le ridicule, et jamais foudre forgée par les Vulcains [328] de la science n'ont été assez puissants pour renverser ou éclater le tronc, ou même imprimer un stigmate sur les branches de l'arbre universel de la CONNAISSANCE.

Nous n'avons qu'à ignorer la lettre qui tue, et à saisir l'esprit subtil de la sagesse cachée, pour trouver dissimulées dans les Livres d'Hermès (qu'ils soient l'original ou la copie de tous les autres) les preuves d'une vérité et d'une philosophie que nous avons l'intuition d'être basées sur les lois éternelles. Nous comprenons instinctivement que, quelque bornés que soient les pouvoirs de l'homme, durant son incarnation, ils doivent être en relation étroite avec les attributs d'une Divinité infinie ; et nous devenons capables de mieux apprécier le sens caché du don octroyé par l'Elohim à Adam. "Voici, je t'ai donné tout ce qui se trouve sur la surface de la terre... Soumets-le et exerce ton empire sur TOUT..." 542.

542 [Condensé de la Génèse, I, 28-29.]

543 Voir Galates, IV, 24 et Mathieu, XIII, 10-15.

 

Si les allégories contenues dans les premiers chapitres de la Genèse avaient été mieux comprises, même dans leur sens géographique et historique, qui n'implique rien d'ésotérique, les droits de leurs véritables interprètes, les cabalistes, n'auraient pas été si longtemps méconnus. Tout étudiant de la Bible doit savoir que le premier et le second chapitres de la Genèse ne peuvent pas être sortis de la même plume. Ce sont évidemment des allégories et des paraboles 543, car les deux récits de la création et du peuplement de la terre se contredisent diamétralement dans presque tous les détails d'ordre, de temps, de place et des méthodes suivies dans la prétendue création. En acceptant ces narrations au pied de la lettre et dans leur ensemble, nous rabaissons la dignité de la Divinité inconnue. Nous la faisons  descendre  au  niveau  de  l'humanité,  et  nous  la  dotons  de la personnalité particulière de l'homme, qui a besoin de "la fraîcheur du jour" pour se délasser ; qui se repose de ses fatigues ; et qui est susceptible de colère, de désir de vengeance et même de prendre des précautions contre l'homme, "de peur qu'il n'avance la main, et ne prenne aussi de l'arbre de vie". (Ce qui, soit dit en passant, indique de la part de Dieu la pensée que l'homme pouvait le faire, s'il n'en avait été empêché par la force). Mais en reconnaissant la nuance allégorique de la description de ce que l'on peut appeler des faits historiques, nous nous trouvons aussitôt sur un terrain solide.

Et d'abord, en tant que localité, le jardin de l'Eden n'est pas du tout un mythe ; il appartient à ces points de repère de l'histoire, qui, de temps en temps, laissent voir à celui qui étudie la Bible, que tout n'y est pas une simple  allégorie.  "L'Eden  ou  le  [329]

גן-עדן


Gan-Eden  hébreu,  ce  qui signifie le parc ou le jardin d'Eden, est un nom archaïque de la contrée arrosée par l'Euphrate et ses nombreux bras, de l'Asie et l'Arménie à la mer Erythrée. Dans le Livre chaldéen des Nombres, sa situation est indiquée en nombres, et dans le manuscrit chiffré des Rose croix, laissé par le comte de Saint-Germain, il est complètement décrit. Dans les Tablettes  assyriennes il est dénommé Gan-Dunias 544. Voyez, disent les Elohim de la Genèse, "l'homme est devenu comme l'un de nous". L'Elohim peut être accepté dans un sens pour dieux ou puissances, et dans un autre il peut être interprété par Aleim ou prêtres : les hiérophantes initiés dans le bien et le mal de ce monde ; car il y avait un collège de prêtres appelés Aleim, et le chef de leur caste ou le maître des hiérophantes portait le titre de Yava Aleim. Au lieu de devenir un néophyte, et d'obtenir graduellement ses connaissances ésotériques par une initiation régulière, un Adam ou homme, fait usage de ses facultés d'intuition, et, poussé par le Serpent – la Femme et la matière – il goûte au fruit de l'Arbre de la Science, la doctrine ésotérique ou secrète, d'une façon illégitime. Les prêtres d'Hercule, ou MelHarth, le "Seigneur" de l'Eden, portaient tous des "tuniques de peau". Le texte dit : "Et Yava-Aleim fit pour Adam et sa femme עור כתנות "CHITONOUTH-OUR". Le premier mot Hébreu chitoun est le même que le grec χιτων, chiton. Il devint un mot slave par adoption de la Bible et il veut dire un manteau, un vêtement de dessus.

 544 A. Wilder dit que "Gan-dunias" est un des noms de la Babylonie.

 

Bien qu'elle renferme le même substratum de vérité ésotérique que toutes les autres cosmogonies primitives, l'Ecriture Hébraïque porte en elle les marques de sa double origine. Sa genèse est tout simplement une réminiscence de la captivité de Babylone. Les noms de lieux, des hommes et même des objets se retrouvent dans le texte original des Chaldéens et des Akkadiens leurs ancêtres et leurs maîtres Aryens. On conteste énergiquement que les tribus Akkadiennes de Chaldée, de Babylonie et d'Assyrie aient eu le moindre lien de parenté avec les Brahmanes de l'Hindoustan ; mais il y a plus de preuves en faveur de cette opinion que de l'autre. On aurait peut-être dû nommer les Sémites ou Assyriens des Touraniens et on a appelé les Mongols des Scythes. Mais, si les Akkadiens ont jamais existé, ailleurs que dans l'imagination de quelques philologues et ethnologues, ils n'ont certainement jamais été une tribu Touranienne, comme quelques Assyriologues ont cherché à nous le faire croire. C'étaient de simples émigrants allant de l'Inde, le berceau de l'humanité, [330] vers l'Asie Mineure, où leurs adeptes sacerdotaux s'étaient arrêtés pour civiliser et initier un peuple barbare. Halevy 545 a démontré l'erreur de la manie Touranienne, en ce qui concerne le peuple Akkadien, dont le nom, lui- même, a déjà changé une douzaine de fois ; et d'autres savants ont prouvé que la civilisation Babylonienne n'était pas née dans cette contrée et ne s'y était pas développée. Elle y fut importée de l'Inde, et les importateurs furent des Hindous Brahmaniques.

L'opinion du professeur A. Wilder est que, si les Assyriens avaient été dénommés des Touraniens et les Mongols des Scythes, les guerres d'Iran et de Turan, de Zohak et Jemshid ou Yima auraient alors certainement été comprises comme la lutte des anciens Perses contre les entreprises des Satrapes Assyriens pour conquérir leur pays, lutte qui se termina par la chute de Ninive, ou "l'araignée tissait sa toile dans le palais d'Afrasiab" 546.

 545 [Mélanges d'épigraphie et d'archéologie sémitique, Paris, 1874.]

546 La définition exacte du nom de Touranien comprend toute famille ethnique au sujet de laquelle les ethnologues ne savent absolument rien.

 

"Le Touranien du professeur Müller et de son école, ajoute notre correspondant, était évidemment le Caucasien nomade et sauvage, duquel sont issus les constructeurs Chamites et Ethiopiens ; puis les Sémites, peut- être une race hybride de Chamites et d'Aryens ; et enfin les  Aryens, Mèdes, Perses et Hindous ; et plus tard encore les peuples Goths et Slaves d'Europe. Il suppose que les Celtes étaient des hybrides, analogues aux Assyriens, entre les envahisseurs Aryens de l'Europe et les populations Ibériques (probablement Ethiopiennes) d'Europe". Dans ce cas, il doit admettre la possibilité de ce que nous disons : que les Akkadiens étaient une tribu des Hindous primitifs. Or, qu'ils fussent Brahmanes du planisphère Brahmanique proprement dit (40 degrés de latitude Nord) ou de l'Inde (Hindoustan), ou, encore, de l'Inde de l'Asie Centrale, c'est ce que nous laisserons aux philologues des siècles futurs le soin d'élucider.

Une opinion qui, pour nous, est une certitude démontrée par la méthode d'induction qui nous est propre, et que nous craignons de voir médiocrement appréciée par les méthodes orthodoxes de la science moderne, est fondée sur ce qui semblera, à cette dernière, une preuve purement de circonstance. Pendant des années nous avons, à bien des reprises, constaté que les mêmes vérités ésotériques étaient exprimées par des symboles identiques et des allégories analogues, dans des contrées entre lesquelles on n'a jamais pu trouver la moindre trace de parenté historique. Nous avons trouvé la Cabale Juive et la Bible reproduisant les "mythes" [331] Babyloniens 547 et les allégories Orientales et Chaldéennes, telles qu'elles sont présentées en forme et en substance dans les plus anciens manuscrits des Talapoins (Moines) Siamois, et dans les plus antiques traditions populaires de Ceylan.

547 Voir Bérose et Sanchoniathon ; Cory, Ancient Fragments ; Movers et autres.

 

Dans cette Ile, nous avons un ancien et très digne ami, que nous avons rencontré aussi dans d'autres parties du globe, un érudit Pali et Cingalais de naissance, qui a en sa possession une curieuse feuille de palmier, à laquelle on a donné une solidité à l'épreuve du temps, par des procédés chimiques, et une énorme conque, ou plutôt une moitié de conque, car elle a éclatée en deux morceaux. Sur la feuille nous avons vu la représentation d'un géant renommé de l'antiquité Cingalaise, aveugle et démolissant avec ses bras, qui embrassent les quatre piliers du centre, une pagode dont il fait retomber les débris sur une foule armée d'ennemis. Sa chevelure est longue et s'étend presque jusqu'à terre. Le possesseur de cette curieuse relique nous apprit que le géant aveugle était "Somona le Petit" ; ainsi nommé par opposition à Somona-Kadom le Sauveur Siamois. De plus, la légende Pali, dans ses détails importants correspond à celle du Samson biblique.

La coquille porte sur sa face nacrée une gravure divisée en deux compartiments, et le travail en est bien plus artistique, comme conception et exécution, que celui des crucifix et autres objets religieux exécutés avec la même matière à Jaffa et à Jérusalem. Dans le premier panneau est représenté Siva avec tous ses attributs hindous, sacrifiant son fils, "unique" ou non, c'est ce que nous ne nous sommes pas arrêtés à savoir. La victime est placée sur un bûcher funéraire, et le père plane au-dessus d'elle avec un glaive dégainé, prêt à frapper ; mais la face du Dieu est tournée vers une jungle, où un rhinocéros a profondément enfoncé sa corne dans le tronc d'un arbre gigantesque, et ne peut plus la retirer. Le panneau suivant représente le même rhinocéros sur le bûcher, l'arme plongée dans le  côté, et la victime visée, le fils de Siva, libre et aidant le Dieu à allumer le feu sur le bûcher du sacrifice.

Or, il nous suffit de rappeler que Siva et le Baal de la Palestine ou Moloch, et Saturne sont identiques ; qu'Abraham a été tenu, jusqu'à nos jours, par les Arabes Mahométans, pour Saturne dans le Kaaba 548 ; qu'Abraham et Israël étaient des noms de Saturne 549 ; et que Sanchoniathon nous dit que Saturne offrit [332] son fils unique en sacrifice à son père Uranus, et même qu'il se circoncit lui-même, et força toute sa maison et ses alliés à en faire autant 550, pour suivre infailliblement le mythe biblique, jusqu'à sa source. Mais cette source n'est ni Phénicienne, ni Chaldéenne ; elle est purement indienne, et on en trouve l'original dans le Mahabharata. Mais Brahmanique ou Bouddhique, il doit être certainement beaucoup plus ancien que le Pantateuque Juif, compilé par Esdras après la captivité de Babylone, et revu par les Rabbins de la Grande Synagogue.

548 Movers, Die Phönizier, I, 86.

549 Ibidem, pp. 86-132.

550 Sanchoniathon : dans Fragments de Cory, p. 14, éd. 1832.

 

C'est pour cette raison que nous ne craignons pas de maintenir notre assertion contre l'opinion de bien des gens instruits, que, néanmoins, nous considérons comme plus savants que nous. L'induction scientifique est une chose, et la connaissance des faits, quelque antiscientifique qu'elle puisse paraître au premier abord, en est une autre. Mais la science en a assez découvert pour nous apprendre que les originaux sanscrits du Nepal ont été traduits par les missionnaires Bouddhistes dans presque toutes les langues Asiatiques. De même les manuscrits Palis furent traduits en siamois, et apportés en Birmanie et au Siam ; il est donc aisé de rendre compte du fait que les mêmes légendes religieuses et les mêmes mythes circulent dans tous ces pays. Mais Manetho nous parle aussi de bergers Palis qui émigrèrent en Occident ; et lorsque nous trouvons quelques-unes des plus anciennes traditions de Ceylan dans la Cabale Chaldéenne et  la Bible Juive, nous devons penser, ou que les Chaldéens ou Babyloniens ont été à Ceylan ou dans l'Inde, ou bien que les anciens Palis avaient les mêmes traditions que les Akkadiens dont l'origine est si incertaine. En supposant même que Rawlinson soit dans le vrai, et que les Akkadiens soient venus d'Arménie, il ne suit pas leurs traces au delà. Mais comme le champ est maintenant ouvert à toute espèce d'hypothèses, nous suggérons que cette tribu pourrait tout aussi bien être venue en Arménie d'au delà de l'Indus, en suivant sa route dans la direction de la Mer Caspienne, territoire qui fit aussi partie de l'Inde d'autrefois, et de là au Pont Engin. Ou bien elle est venue originairement de Ceylan par la même voie. Il a été impossible de suivre, avec quelque degré de certitude, les pérégrinations de ces tribus nomades Aryennes ; et nous en sommes réduits à juger, par induction, et par la comparaison de leurs mythes ésotériques. Abraham lui-même, ainsi que tous les savants le savent, pourrait bien être un de ces bergers Palis qui émigrèrent vers l'Ouest. On dit qu'il partit d' "Ur en Chaldée" avec son père Tharé ; et Sir Rawlinson a trouvé la ville [333] Phénicienne de Martu ou Marathus, mentionnée dans une inscription à Ur, et il fait voir qu'elle veut dire l'OUEST.

551 Dans un ancien livre Brahmanique intitulé : Prophéties, par Ramat-sariar, aussi bien que dans le Manuscrit du Sud dans la légende de Krishna, ce dernier donne presque mot à mot les deux premiers chapitres de la Genèse.Il raconte la création de l'homme, qu'il appelle Adima, en sanscrit le "premier homme" et la première femme est nommée Heva, ce qui complète la vie. D'après Louis Jacolliot (La Bible dans l'Inde), Krishna existait et sa légende fut écrite plus de 3.000 ans avant Jésus-Christ.

 

Si, dans un sens, leur langage semble s'opposer à leur identité avec les Brahmanes de l'Hindoustan, il y a néanmoins d'autres raisons qui militent en faveur de notre opinion, que les allégories bibliques de la Genèse sont entièrement dues à ces tribus nomades. Leur nom Ak-ad est de la même classe qu'Ad-Am, Ha-va 551, ou Ed-En "peut-être, dit le Dr Wilder, signifie- t-il fils de Ad, comme les fils de Ad dans l'ancienne Arabie. En langue Assyrienne Ak c'est le créateur et Ad-ad c'est AD, le père". En Araméen, Ad signifie aussi un, et Ad-ad l'unique ; et dans la Cabale Ad-am est le seul engendré, la première émanation du Créateur invisible. Adon c'était le "Seigneur"  dieu  de  Syrie,  et  l'époux  d'Adar-gat  ou  Aster-'t  la déesse Syrienne, qui n'était autre que Vénus Isis, Istar, ou Mylitta, etc. ; et chacune d'elles était "la mère de tout être vivant", la Magna Mater.

Ainsi, tandis que le premier, second et troisième chapitres de la Genèse ne sont que des imitations dénaturées d'autres cosmogonies, le quatrième chapitre, à partir du seizième verset, et le cinquième chapitre jusqu'à la fin, ne donnent que des faits purement historiques ; quoique les derniers n'aient jamais été correctement interprétés. Ils sont pris, mot pour mot, du Livre secret des Nombres de la Grande Cabale Orientale. A partir de la naissance d'Enoch, le premier père reconnu de la Franc-maçonnerie moderne, commence la généalogie des familles dites Touraniennes, Aryennes et Sémitiques, si ces dénominations sont exactes. Chaque femme est la personnification d'un pays ou d'une cité ; chaque homme ou patriarche représente une race, une branche ou une subdivision d'une race. Les femmes de Lamech donnent la clé de l'énigme, qu'un savant devinerait facilement, même sans étudier les sciences ésotériques. "Et Ad-ah enfanta Jabal ; il fut le père de ceux qui vivent sous la tente, et des pasteurs qui ont des troupeaux" ; une race Aryenne nomade. "Et son frère fut Jubal, qui fut père de tous ceux qui tiennent la harpe et les orgues... Et Tsilla enfanta Tubai-Cain, qui enseigna aux hommes à forger l'airain et le fer, etc." 552. Chaque mot a une signification, mais n'est pas une révélation. C'est tout simplement une compilation de faits très historiques, quoique l'histoire soit trop embarrassée [334] sur ce point, pour savoir comment les revendiquer. C'est du Pont Euxin au Cachemire et au delà qu'il faut chercher le berceau du genre humain et des fils d'Ad-ah ; et nous devons laisser le jardin particulier d'Ed-en sur l'Euphrate au collège des mystérieux astrologues et mages, les Aleim 553. Ne nous étonnons donc pas que le voyant du Nord, Swedenborg, engage les gens à chercher le mot PERDU chez les hiérophantes de Tartarie, de Chine ou du Tibet ; car c'est là, et là seulement qu'il se trouve aujourd'hui quoique nous le voyions inscrit sur les monuments des plus anciennes dynasties Egyptiennes.

552 [Genèse, IV, 20-22.]

553 Adah en Hébreu c'est עדה, et Eden עדן. Le premier est un nom de femme, le second une désignation de lieu. Ils ont une étroite relation entre eux. Mais ils n'en ont guère avec Adam et Akkad qui s'écrivent avec l'aleph.

  

La poésie grandiose des quatre Vedas ; les Livres d'Hermès ; le Livre Chaldéen des Nombres ; le Codex Nazaréen ; la Cabale du Tanaïm ; le Sepher Jezira ; le Livre de la Sagesse de Schlomoh (Salomon) ; le traité secret sur Moukta et Baddha 554, attribué par les cabalistes Bouddhistes à Kapila, le fondateur du système Sankhya ; les Brahmanas 555 ; le Stan- gyour des Tibétains 556 ; tous ces livres ont la même base. Variant quant aux allégories, ils enseignent la même doctrine secrète qui, lorsqu'elle sera une fois complètement élucidée, se montrera comme l'ultima Thule de la vraie philosophie, et découvrira ce qu'est le MOT PERDU.

N'attendons pas des savants qu'ils trouvent dans ces ouvrages quoi que ce soit d'intéressant en dehors de ce qui a une relation directe avec la philologie ou la mythologie comparée. Max Müller  lui-même, aussitôt qu'il parle de mysticisme et de philosophie métaphysique répandus dans l'ancienne littérature sanscrite, n'y voit rien que des "absurdités théologiques" et de "fantastiques sottises".

En parlant des Brahmanas, tout pleins de mystérieuses, et, par conséquent, comme de raison, d'absurdes significations, il nous dit : "La plus grande partie de ces traités est remplie de radotages, et qui pis est de radotages théologiques. Une personne [335] n'étant pas d'avance au courant de la place que tiennent les Brahmanas dans l'histoire de la pensée Indienne, n'en pourrait lire plus de dix pages, sans en être dégoûtée 557."

554 Ces deux mots correspondent aux termes Macroprosopos, ou macrocosme, l'absolu sans limites, et le Microprosopos de la Cabale, la "petite face"ou microcosme, le fini et le conditionné. Ils n'ont pas été traduits et ne le seront probablement pas non plus. Les moines Tibétains disent que ce sont les véritables Soutras. Quelques Bouddhistes croient que le Bouddha était dans une existence antérieure, Kapila lui-même. Nous ne voyons pas comment plusieurs érudits sanscritistes peuvent s'imaginer que Rapila était un athée, alors que toutes les légendes nous le montrent comme l'ascète le plus mystique, fondateur de la secte des Yoguis.

555 Certaines Brahmanas ont été traduites par le Dr Haug ; voir son "Aitareya Brahmanam".

556 Le Stan-gyour [Bstan-hgyur – prononcer Tanjour] est rempli de règles de magie, de l'étude des puissances occultes, de leur acquisition, des charmes, des incantations, etc. ; et il est mal compris de ses interprètes profanes, de même que la Bible Juive l'est par notre clergé, ou la Cabale par les Rabins d'Europe.

557 L' "Aitareya Brahmanam", conférence par Max Müller, Chips, etc.

 

La critique sévère de ce savant ne nous surprend en aucune façon. Sans un fil conducteur pour connaître la signification de ces "radotages", portant sur des conceptions religieuses, comment pourrait-il juger l'ésotérique par l'exotérique ? Nous trouvons la réponse dans une autre des intéressantes conférences du savant Allemand : "Aucun Juif, Grec, Romain ou Brahmane n'a jamais pensé à convertir les gens à son propre culte national. Partout la religion était considérée comme une propriété privée ou nationale. Elle devait être défendue contre les étrangers. Les noms les plus sacrés des dieux, les prières à l'aide desquelles on obtenait leur faveur, étaient gardées secrètes. Et aucune religion n'était plus exclusive que celle des Brahmanes 558."

C'est pourquoi, lorsque nous trouvons des savants qui, parce qu'ils ont appris d'un Srotriya – prêtre Brahmane initié aux mystères des sacrifices – la signification de quelques rares rites exotériques, se croient capables d'interpréter tous les symboles et avoir appris à déchiffrer les religions hindoues, nous ne pouvons nous empêcher d'admirer l'étendue de leurs illusions scientifiques. Nous le faisons d'autant plus, lorsque nous voyons Max Müller lui-même affirmer que, puisqu'on naît Brahmane, que dis-je – c'est un deux fois né – et qu'on ne peut pas le devenir, même les rangs de la classe la plus basse, celle des Sudras, ne s'ouvriront devant un étranger". Combien est-il encore moins probable qu'il permettrait à un étranger de révéler au monde ses Mystères religieux les plus sacrés, dont le secret a été si jalousement gardé de toute profanation pendant un nombre de siècles incalculable.

Non, nos savants ne comprennent pas, et ne peuvent comprendre correctement l'ancienne littérature hindoue, pas plus qu'un athée ou un matérialiste n'est capable d'apprécier, à leur juste valeur, les sentiments d'un voyant ou d'un mystique, dont toute la vie a été consacrée à la contemplation. Ils ont parfaitement le droit de se complaire dans la douce admiration de leur génie, et dans la conscience de leur grand savoir, mais non celui d'inculquer au monde leurs propres erreurs, en lui faisant croire qu'ils ont résolu le dernier problème de la pensée antique dans la littérature, sanscrite ou autre, et qu'il n'y a pas, derrière ces "radotages" apparents, des vérités bien supérieures à tout ce qu'a pu rêver notre philosophie exacte moderne ; ou au-delà ou au-dessus du [336]  sens correct des phrases et des mots sanscrits, il n'y a pas de pensée plus profonde, intelligible pour quelques-uns des descendants de ceux qui les voilèrent au début de l'existence terrestre, si elle ne l'est pas pour le lecteur profane.

558 Max Müller, Les Pèlerins Bouddhistes, in Chips, etc., I, 225.

559 [Table des Matières.]

 

Nous ne serions nullement surpris de ce qu'un matérialiste, voire même un chrétien orthodoxe, ne puisse lire sans dégoût les ouvrages Brahmaniques   anciens,   ou   leurs   dérivés,   la   Cabale,   le Codex de Bardesanes, ou les Ecritures juives, à cause de leur immodestie, et de leur défaut apparent de ce qu'un lecteur non initié se plaît à appeler "le sens commun". Mais si nous ne pouvons les blâmer pour ce sentiment, surtout dans le cas des livres Hébreux, et même de la littérature Grecque et Latine, et si nous sommes tout à fait disposés à admettre avec le professeur Fiske "que c'est un signe de sagesse de ne pas être satisfait de preuves imparfaites", nous avons le droit, d'autre part, de nous attendre à ce qu'ils reconnaissent que ce n'est pas une moindre preuve d'honnêteté, de confesser sa propre ignorance, dans les cas où il y a deux côtés à la question, pour la solution de laquelle le savant peut se tromper aussi bien que le premier ignorant venu. Lorsque nous voyons le professeur Draper, dans sa définition des périodes, dans The Intellectual Development of Europe 559, établir la classification du temps comme suit : De l'époque de Socrate, le précurseur et le maître de Platon, à Carneade, "l'âge de la foi" ; et de Philon le juif à la destruction des Ecoles Néo-Platoniciennes par Justinien, "l'âge de la décrépitude", nous devons en conclure que le savant professeur connaît aussi peu les tendances réelles de la philosophie Grecque et des écoles de l'Attique qu'il ne connaissait le véritable caractère de Giordano Bruno. Aussi, lorsque nous voyons un des meilleurs sanscritistes déclarer, de sa propre autorité, sans autre preuve à l'appui, que la plus "grande partie des Brahmanas n'est qu'un tissu de divagations théologiques", nous regrettons profondément que le professeur  Max Müller soit beaucoup plus au courant des verbes et des noms de l'ancien Sanscrit, que de la pensée Sanscrite elle-même ; et qu'un savant, aussi généralement disposé à rendre justice aux religions et aux hommes de l'antiquité, fasse si effectivement le jeu des théologiens Chrétiens. "Quelle est l'utilité du Sanscrit ?"demande Jacquemont qui, à lui seul, a commis plus d'erreurs dans ses affirmations au sujet de l'Orient que tous les Orientalistes réunis. A ce compte-là, il n'y en aurait aucune, en vérité. Si nous devions échanger un cadavre contre un autre, autant vaudrait disséquer la lettre morte de la Bible juive que celle des Vedas. [337] Quiconque n'est pas vivifié par l'intuition, par l'esprit religieux de l'antiquité, ne verra jamais au-delà du "radotage" exotérique.

Lorsque nous lisons d'abord que, "dans la cavité du crâne du Macroprosopos – la longue Face – gît cachée la SAGESSE aérienne, qui n'est nulle part ouverte ; et qu'elle n'est ni découverte, ni manifeste" ; ou encore que "le nez de "l'ancien des jours" est la Vie dans toutes  ses parties", nous sommes portés à le considérer comme l'incohérente divagation d'un fou. Et lorsqu'en outre, le Codex Nazareus 560 nous apprend qu'elle (Spiritus) invite son fils Karabtanos, "qui est fou et sans jugement" à un crime contre nature avec sa propre mère, nous sommes assez disposés à mettre le livre de côté avec dégoût. Mais n'est-ce que cette bêtise sans nom qui est exprimée dans ce langage rude, voire même obscène ? On ne peut pas plus le juger par les apparences extérieures, que les symboles sexuels des religions égyptienne et hindoue, ou la grossière franchise d'expression de la Sainte Bible elle-même. Pas plus, également, que l'allégorie d'Eve et du serpent tentateur d'Eden. L'esprit inquiet, toujours mobile et insinuant, dans sa "descente dans la matière", tente Eve ou Hava, qui représente la matière chaotique, "folle et sans jugement". Car la matière, Karabtanos, est le fils de l'Esprit, ou le spiritus des Nazaréens, la Sophia-Achamofh, et celle-ci est la fille de l'esprit intellectuel pur, le souffle divin. Lorsque la science aura effectivement démontré l'origine de la matière, et prouvé l'erreur des occultistes et des anciens philosophes qui soutiennent (comme le font aujourd'hui leurs descendants), que la matière n'est qu'une des corrélations de l'esprit, alors le monde des sceptiques aura le droit de rejeter l'antique Sagesse ou de jeter l'accusation d'obscénité à la face des religions anciennes.

560 [I, pp. 178-179.]

 

"De temps immémorial, dit Mrs Lydia Maria Child, un emblème a été honoré d'un culte dans l'Hindoustan, comme le type de la création, ou la source de la vie. C'est le symbole commun de Siva [Bala, ou Maha-Deva], et il est universellement lié à son culte... Siva n'était pas seulement le reproducteur des formes humaines ; il représentait le Principe Fructificateur, le Pouvoir Générateur qui pénètre tout l'univers... De petites images de cet emblème, sculptées en ivoire, en or ou en cristal sont portées autour du cou comme  ornement... L'emblème maternel est également un type religieux ; et les adorateurs de Vishnou le représentent sur leur front, au moyen d'une marque horizontale... Faut-il s'étonner qu'ils envisagent avec vénération le grand mystère de la naissance  de  l'homme ?  Sont-ils  impurs  parce qu'ils l'envisagent ainsi ? Ou est-ce nous qui sommes impurs de ne pas le considérer [338] de la sorte ? Nous avons voyagé au loin, et les routes ont été souillées, depuis que les anciens anachorètes ont pour la première fois parlé de Dieu et de l'âme, dans les profondeurs solennelles de leurs sanctuaires primitifs. Ne nous moquons pas de leur manière de rechercher la Cause Infinie et Incompréhensible, à travers tous les mystères de la Nature, de peur qu'en agissant ainsi nous ne jetions l'ombre de notre propre grossièreté sur leur simplicité patriarcale" 561.

Nombreux sont les savants qui ont essayé de leur mieux de rendre justice à l'Inde antique. Colebrooke, Sir William Jones, Barthelémy Saint- Hilaire, Lassen, Weber, Strange, Burnouf, Hardy, et finalement Jacolliot, ont tous apporté leur témoignage en faveur de ses belles couvres  en matière de législation, d'éthique, de philosophie et de religion. Aucun peuple n'est parvenu à une aussi remarquable grandeur de pensée, dans les conceptions idéales de la Divinité et de son produit, l'HOMME, que les métaphysiciens et les théologiens Sanscrits. "Mes reproches contre beaucoup de traducteurs et d'Orientalistes, dit Jacolliot, sont, tout en admirant leur profond savoir, que n'ayant pas vécu dans l'Inde, ils manquent d'exactitude dans l'expression et la compréhension du sens symbolique des chants poétiques, des prières, et des cérémonies,  et tombent ainsi trop souvent dans des erreurs matérielles, soit de traduction soit d'appréciation 562". Plus loin, cet auteur qui, par suite d'un long séjour dans l'Inde et de l'étude de sa littérature, est plus à même de l'apprécier et a mieux qualité pour en témoigner que ceux qui n'y ont jamais été, nous dit que "l'existence de plusieurs générations suffirait à peine pour lire les œuvres que l'Inde ancienne nous a laissées sur l'histoire, la morale, la poésie, la philosophie, la religion, différentes sciences et la médecine". Et cependant Louis Jacolliot n'a pu en juger que par les quelques fragments qu'il a pu examiner grâce à la complaisance et à l'amitié de quelques Brahmanes avec lesquels il s'était lié.  Lui  montrèrent-ils  tous  leurs trésors ? Lui ont-ils expliqué tout ce qu'il aurait désiré apprendre ? Nous en doutons, car sans cela il n'aurait pas jugé leurs cérémonies religieuses avec  autant de précipitation qu'il l'a souvent fait, simplement, sur des preuves accessoires.

561 The Progress of Religious Ideas through Successive Ages, vol. I, p. 17.

562 La Bible dans l'Inde, I, ch. I.

 

Néanmoins, aucun voyageur n'a fait preuve d'autant de loyauté et d'impartialité à l'égard de l'Inde, que Jacolliot. S'il est sévère pour sa dégradation actuelle, il est encore plus sévère pour ceux qui en ont été la cause, la caste sacerdotale des derniers siècles, et ses reproches sont proportionnés à l'intensité de son appréciation [339] de sa grandeur passée. Il fait connaître les sources d'où provenaient les révélations de toutes les anciennes croyances, y compris les Livres inspirés de Moise, et c'est l'Inde qu'il indique directement comme le berceau de l'humanité, la mère des astres nations, et le foyer de tous les arts et de toutes les sciences Perdus de l'antiquité, pour laquelle, déjà, l'Inde antique elle-même était perdue  dans la nuit Cimmérienne des âges archaïques. "Etudier l'Inde, dit-il, c'est remonter l'humanité jusqu'à sa source".

"De même que notre société moderne se heurte à chaque pas aux souvenirs de l'antiquité, de même que nos poètes ont copié Homère et Virgile, Sophocle et  Euripide, Plaute et Térence, que nos philosophes se sont inspirés de Socrate, de Pythagore, de Platon et d'Aristote, que nos historiens prennent Tite-Live, Salluste ou Tacite pour modèles, nos orateurs, Démosthènes ou Cicéron ; que nos médecins étudient encore Hippocrate, et que nos codes traduisent Justinien. De même l'antiquité a eu, elle aussi, une antiquité qu'elle a étudiée, imitée et copiée. Quoi de plus simple et de plus logique ? Est-ce que les peuples ne procèdent pas tous les uns des autres. Est-ce que les connaissances péniblement conquises par une nation se circonscrivent sur son territoire, et meurent avec la génération qui les a acquises ? Est-ce qu'il peut être enfin insensé de prétendre que l'Inde il y a 6.000 ans, brillante, civilisée, regorgeant de population, a imprimé sur l'Egypte, la Perse, la Judée, la Grèce et Rome, un cachet aussi ineffaçable, des traces aussi profondes, que celles que ces dernières ont laissées parmi nous ?".

"Il est temps d'en finir avec ces préjugés qui nous représentent les anciens comme arrivés presque spontanément  aux  idées  philosophiques,  religieuses  et morales les plus élevées ;avec ces préjugés qui expliquent tout, dans leur admiration naïve, à l'aide de l'intuition de quelques grands hommes, dans le domaine scientifique, artistique et littéraire ; et dans le domaine religieux à l'aide de la révélation 563"

Nous croyons que le jour n'est pas éloigné, où les adversaires de ce subtil et savant écrivain seront réduits au silence par la force d'une irréfutable évidence. Et lorsque les faits auront une bonne fois confirmé ses théories et ses assertions, que trouvera le monde ? Que c'est à l'Inde, la contrée la moins explorée et la moins connue de toutes, que toutes les autres nations sont redevables de leur langage, de leurs arts, de leur littérature et de leur civilisation. Ses progrès, arrêtés quelques siècles avant notre ère, car, ainsi que le dit cet auteur, à l'époque du grand conquérant Macédonien "l'Inde avait déjà traversé la période de sa splendeur", furent [340] complètement étouffés dans les siècles suivants. Mais les preuves de ses gloires passées se trouvent dans sa littérature. Quel est le peuple dans tout le globe qui puisse se vanter d'une pareille littérature, qui serait bien plus étudiée qu'elle ne l'est aujourd'hui, si le sanscrit était moins difficile ? Jusqu'à présent, le public en général a dû s'en rapporter, pour être renseigné, à quelques rares savants qui, malgré leur grande science et leur véracité, ne pouvaient être à la hauteur de la tâche de traduire et de commenter autre chose, que quelques livres sur l'innombrable quantité qui, en dépit du vandalisme des missionnaires, sont encore restés pour montrer le puissant développement de la littérature sanscrite. Or, même pour accomplir cette œuvre dans ces limites, il faudrait l'existence entière d'un Européen. I1 en résulte que le monde juge et apprécie à la hâte, et qu'il commet souvent les plus ridicules méprises.

Tout récemment, un certain Révérend Dunlop Moore  de New Brighton Pa, voulant montrer à la fois son habileté et sa piété, attaqua la déclaration faite par un Théosophe, dans un discours prononcé à la cérémonie de l'incinération du baron de Palm, que le Code de Manou existait un millier d'années avant Moïse. "Tous les Orientalistes de quelque valeur,  dit-il,  sont  d'accord  maintenant  à  reconnaître que les Lois de Manou ont été écrites à différentes époques. La partie la plus ancienne de cette collection date probablement du XVIème  siècle avant l'ère chrétienne 564". Quoi que puissent penser les autres Orientalistes visés par ce lettré Pensylvanien, Sir William Jones est d'un avis différent. "Il est clair, dit-il dans la Préface à ses Ordonances of Manu, que puisque ces lois ne comportent que 2.685 vers, elles ne peuvent pas être la totalité de l'œuvre attribuée à Soumati, laquelle est probablement celle désignée sous le nom de Vriddha Manava, ou Ancien Code du Manou, qui n'a pas encore été entièrement reconstruite, quoique beaucoup de passages du livre aient été conservés par tradition, et soient souvent cités par les commentateurs".

563 La Bible dans l'Inde

 

"Nous lisons dans la préface d'un traité sur la législation par Narada, dit Jacolliot, préface écrite par un de ses adeptes, un des complaisants du pouvoir Brahmanique : Manou ayant écrit les lois de Brahma en cent  mille slocas ou distiques, qui comprenaient vingt-quatre livres et mille chapitres, donna l'ouvrage à Narada, le sage parmi les sages, qui l'abrégea pour l'usage du genre humain en douze mille vers, qu'il donna à un fils de Brighou nommé Soumati, lequel, pour la plus grande facilité de la race humaine, les réduisit à quatre mille" 565. [341]

Nous avons ici l'opinion de Sir William Jones qui, en 1794, affirmait que les fragments en la possession des Européens ne pouvaient pas être l'Ancien Code de Manou, et celle de Louis Jacolliot qui, en 1868, après avoir consulté toutes les autorités, auxquelles il ajoutait le résultat de ses propres, longues et patientes recherches, écrivait ce qui suit : "Les lois hindoues furent codifiées par Manou, plus de 3.000 ans avant l'ère chrétienne, copiées par toute l'antiquité, et surtout par Rome, qui seule nous a laissé des lois écrites, le Code de Justinien ; lequel a été adopté comme base par toutes les législations modernes 566".

Dans un autre volume intitulé Christna et le Christ, en prenant à partie scientifiquement un adversaire pieux, bien que fort instruit, M. Textor de Ravisi, qui cherche à démontrer que l'orthographe du nom Christna n'est pas conforme à l'épellation sanscrite, et qui a le dessous dans ce débat, Jacolliot fait la remarque suivante : "Nous savons que le législateur Manou se perd dans la nuit de la période anté-historique de l'Inde ; et que pas un Indianiste n'a osé lui contester le titre du plus ancien législateur du monde" (p. 350).

Mais Jacolliot n'avait pas entendu parler du Révérend Dunlop Moore. C'est pour cela peut-être, que lui et plusieurs autres indiologues s'apprêtent à prouver que beaucoup de textes Védiques, aussi bien que ceux  de Manou, envoyés en Europe par la Société Asiatique de Calcutta, ne sont en aucune façon des textes authentiques, mais qu'ils sont dus, pour la plupart, aux efforts astucieux de certains missionnaires Jésuites, pour égarer la science, au moyen d'œuvres apocryphes, conçues en vue de jeter sur l'histoire de l'antiquité hindoue un voile d'incertitude et d'obscurité, et un soupçon d'interpolation systématique sur les Brahmanes et pundits modernes. "Ces faits, ajoute-t-il, qui sont si bien établis dans l'Inde qu'ils n'y sont même pas mis en question, doivent être révélés à l'Europe" (Christna et le Christ, p. 347).

De plus, le Code de Manou, connu des Orientalistes Européens, comme celui qui a été commenté par Brighou, ne forme même pas une partie de l'Ancien Manou nommé le Vriddha Manava. Quoique de petits fragments seulement en aient été découverts par nos savants, il existe en entier dans certains temples ; et Jacolliot démontre que les textes envoyés en Europe sont en complet désaccord avec ceux que l'on trouve dans les pagodes du Sud de l'Inde. Nous pouvons aussi citer, pour atteindre notre but, Sir William Jones qui, se plaignant de Koullouka, remarque que ce dernier paraît avoir considéré dans ses commentaires que les lois de Manou sont restreintes aux premiers trois siècles 567. [342]

D'après les calculs, nous sommes aujourd'hui dans l'âge du Kali- Youga, le quatrième en partant de celui du Satya ou KritaYouga, première époque à laquelle la tradition hindoue reporte les lois de Manou, et dont Sir William Jones accepte implicitement l'authenticité. En admettant  tout ce que l'on pourrait dire de l'énorme exagération de la chronologie hindoue qui, malgré tout, concorde beaucoup mieux avec les données de  la géologie moderne et de l'anthropologie, que les 6.000 années de la caricaturale  chronologie  de  l'Ecriture  Juive,  comme  toutefois quelques 5.1  ans se sont passés depuis que le quatrième âge du monde ou KaliYouga a commencé, nous avons ici une preuve qu'un des plus grands Orientalistes qui ait jamais vécu (et de plus Chrétien non pas Théosophe), estimait que Manou est de plusieurs milliers d'années antérieur à Moïse. Evidemment de deux choses l'une : Ou il faut refaire l'histoire de l'Inde pour la Presbyterian Banner, ou bien les écrivains de cette famille devront étudier la littérature hindoue, avant de critiquer, de nouveau les Théosophes.

564 Presbyterian Banner, 20 décembre 1876.

565 La Bile dans l'Inde, p. 76.

566 Ibid., p. 33.

567 [The works of Sir William Jones, vol. III, p. 446.]

 

Mais en dehors des opinions particulières de ces révérends gentlemen, dont les idées nous touchent peu, nous trouvons même dans la New American Cyclopœdia une tendance marquée à contester l'antiquité et l'importance de la littérature hindoue. Les Lois de Manou, dit un des rédacteurs, "ne remontent pas au-delà du III" siècle avant Jésus-Christ". Ces expressions sont fort élastiques. Si par loi de Manou, l'auteur entend l'abrégé de ces lois, compilées et arrangées par les derniers Brahmanes pour servir d'autorité à leurs projets ambitieux, et avec l'idée de se créer une règle de domination, dans ce cas, il peut avoir raison, quoique nous soyons tout prêts à contester même ce point-là. Dans tous les cas, il est aussi peu convenable de prendre cet abrégé pour les anciennes et authentiques  lois  codifiées  par  Manou,  que  d'affirmer que la Bible Hébraïque n'est pas antérieure au Xème siècle de notre ère, parce que nous n'avons pas de manuscrit Hébreu plus ancien, ou bien que les poèmes de l'Iliade d'Homère n'étaient ni connus, ni écrits avant que l'on eût découvert leur premier manuscrit authentique. Il n'existe pas de manuscrit sanscrit, en la possession des savants Européens, qui remonte au-delà de quatre ou cinq siècles 568, ce qui ne les a pas empêchés d'assigner aux Védas une antiquité de quatre à cinq mille ans. Les arguments les plus  sérieux existent en faveur de la grande ancienneté des Livres de Manou, et, sans s'arrêter à citer les opinions de divers érudits, dont pas deux ne concordent, nous présenterons la nôtre, du moins en ce qui concerne l'affirmation injustifiée de la Cyclopœdia. [343]

Si, comme le démontre Jacolliot, texte en main 569, le Code de Justinien a été copié sur les Lois de Manou, il faut avant tout vérifier l'âge du premier ; non pas en tant que code parfait et écrit, mais au point de vue de son origine. Or à notre avis, il est aisé de répondre à cette question.

 568 Voir Max Müller, "Lecture on the Vedas", Chips, etc., I, p. 11.

569 [La Bible dans l'Inde, pp. 33-47.]

 

D'après Varron, Rome fut bâtie en l'an 3961 de la période Julienne (754 av. J : C.). La loi romaine telle qu'elle fut compilée par ordre de Justinien, et connue sous le nom de Corpus Juris Civilis, n'était pas un code, nous apprend-on, mais bien un digeste des coutumes de la législation de plusieurs siècles. Quoique en fait l'on ne connaisse rien des autorités originelles, la principale source de laquelle fut tiré le Jus scriptum ou droit écrit, était le Jus non scriptum, ou la loi coutumière. Or c'est précisément sur cette loi coutumière que nous voulons baser notre argumentation. La loi des douze tables, d'ailleurs, fut compilée environ 300 ans A. U. C. 570 et même, en ce qui concerne la loi privée, elle avait été compilée de sources encore plus anciennes. C'est pourquoi, si ces sources antérieures se trouvent concorder aussi bien avec les Lois de Manou, que les Brahmanes affirment avoir été codifiées dans le Krita-Youga, époque antérieure au Kali-Youga, nous devons supposer que cette source des "Douze Tables" en tant que lois de coutume et de tradition, sont au moins de plusieurs centaines d'années plus anciennes que leurs copistes. Cela seul  nous reporte à plus de 1.000 ans avant Jésus-Christ.

570 [Anno Urbis Conditae – "Année de la fondation de la Ville", c'est à-dire Rome.]

 

 Le Manava-Dharma-Sastra, embrassant le système de cosmogonie hindoue, est reconnu comme presque aussi ancien que les Vedas ; et même Colebrooke assigne comme date à ces derniers le XVème siècle avant Jésus- Christ. Or, quelle est l'étymologie du nom Manava Dharma Sastra ?    C'est un mot composé de Manou, de Dharma, institut, et de Sastra, commandement ou loi. Comment, alors les lois de Manou ne dateraient- elles que du IIIème siècle avant notre ère chrétienne ?

Le Code hindou n'a jamais prétendu être une révélation divine. La distinction faite par les Brahmanes eux-mêmes entre les Vedas et tous les autres livres sacrés, quelle que soit leur antiquité, en est une  preuve. Tandis que toutes les sectes tiennent les Vedas pour la parole directe de Dieu, Srouti (révélation) – le Code de Manou est qualifié simplement par elles de smriti, une collection de traditions orales. Encore ces traditions ou "réminiscences"figurent-elles parmi les plus anciennes, aussi bien que les plus vénérées dans le pays. Mais, peut-être le plus puissant argument [344] en faveur de leur antiquité et de l'estime générale dans laquelle elles sont tenues, réside-t-il dans le fait suivant. Les Brahmanes ont incontestablement remanié ces traditions à une époque éloignée, et   rédigé un grand nombre de lois actuelles, telles qu'elles figurent dans le Code de Manou, pour favoriser leurs projets ambitieux. Par conséquent, ils doivent l'avoir fait à un moment où la crémation des veuves (soutti) n'était ni pratiquée ni envisagée, et elle l'a été pendant près de 2.500 ans. Le Code de Manou pas plus que les Védas ne font mention d'une loi aussi barbare ! Qui ne sait, à moins d'être complètement ignorant de l'histoire de l'Inde, que ce pays a été sur le point de se lancer dans une révolte religieuse, occasionnée par la prohibition des Souttis par le Gouvernement Anglais ? Les Brahmanes invoquaient un verset du Rig-Veda, qui les prescrivait. Mais il a été démontré récemment que ce verset avait été falsifié 571. Si les Brahmanes avaient été les seuls auteurs du Code de Manou, ou s'ils l'avaient codifié entièrement à l'époque d'Alexandre au lieu d'y pratiquer, simplement, des interpolations pour atteindre leur but, comment se ferait-il qu'ils auraient négligé le point le plus important, et mis ainsi en danger leur autorité ? Ce fait seul démontre que le Code doit être rangé parmi les plus anciens de leurs livres.

C'est sur la force de cette évidence, celle de la raison et de la logique, que nous affirmons que si l'Egypte a donné sa civilisation à la Grèce, et si celle-ci, à son tour, a donné la sienne à Rome, l'Egypte elle-même avait, dans les siècles passés où régnait Menès 572, reçu ses lois, ses institutions sociales, ses arts et ses sciences de l'Inde pré-védique 573, et que, par conséquent, c'est chez cette ancienne initiatrice des prêtres adeptes de toutes les autres nations, que nous devons chercher la clé des grands mystères du genre humain.

Et lorsque nous disons indistinctement "l'Inde", nous ne parlons pas de l'Inde des temps modernes, mais de celle de la période archaïque. Dans les anciens temps certaines contrées qui nous sont connues aujourd'hui sous d'autres dénominations étaient toutes comprises sous celle de l'Inde. Il y avait une Inde haute, une Inde inférieure, et une Inde occidentale, qui est aujourd'hui la Perse-Iran. Les contrées nommées Tibet, Mongolie et GrandeTartarie étaient aussi considérées par les anciens auteurs comme faisant  partie  de  l'Inde.  Nous  allons  maintenant  transcrire  une     [345] légende relative à ces lieux, que la science reconnaît aujourd'hui comme le berceau de l'humanité.

571 Voir Roth, The burial in India ; Max Müller, Mythologie comparée  (conférence) ; l'article Wilson : "The supposed vaidic authority for the burning, of Hindu Widows", etc.

572  Bunsen indique comme première année de Menés 3645 ; Manetho 3892 avant Jésus-Christ,

Egypts'Place, vol. V, v. 34.

573 Louis Jacolliot dans La Bible dans l'Inde affirme la même chose, I, ch. VI.

 

La tradition rapporte et les récits du Grand Livre expliquent que longtemps avant l'époque d'Ad-am et de sa femme curieuse, He-va, là où maintenant on ne trouve que des lacs salés et des déserts nus, il y avait une vaste mer intérieure qui s'étendait sur l'Asie centrale, au nord de la fière chaîne de l'Himalaya, et de son prolongement occidental. Une île, qui n'avait pas de rivale pour sa beauté sans pareille dans le monde, était habitée par le dernier survivant de la race qui a précédé la nôtre. Cette race vivait avec la même facilité dans l'eau, l'air ou le feu, car elle avait un empire sans limites sur tous les éléments. C'était "les fils de Dieu", non pas ceux qui virent les filles des hommes, mais les Elohim réels, quoique dans la Cabale Orientale on les désigne sous un autre nom. Ce sont eux qui enseignaient aux hommes les secrets les plus merveilleux de la Nature, et qui leur révélaient l'ineffable "mot", maintenant perdu. Ce mot, qui n'en est pas un, a parcouru le monde et résonne encore, comme un écho lointain, dans les cœurs de quelques hommes privilégiés. Les hiérophantes de tous les collèges sacerdotaux connaissaient l'existence de cette île, mais  le "mot" n'était connu que du Yava Aleim, ou seigneur principal de chaque collège et, n'était transmis à son successeur qu'au moment de la mort. Il y avait beaucoup de ces collèges et les anciens auteurs classiques en parlent.

Nous avons déjà vu que suivant les traditions universelles, acceptées par tous les peuples de l'antiquité il y a eu plusieurs races d'hommes antérieures à nos races actuelles. Chacune de ces races était distincte de celle qui l'avait précédée ; et chacune disparaissait dès que la suivante faisait son apparition. Dans Manou se trouvent clairement mentionnées six de ces races comme s'étant succédé l'une après l'autre.

"De ce Manou Svayambhouva [le moindre, et correspondant à Adam Kadmon], issu de Svayambhou, ou l'Etre existant par lui-même, descendent six autres Manous [hommes symbolisant les aïeux], et  chacun d'eux donna naissance à une race d'hommes... Ces Manous, tout puissants, desquels Svayambhouva est le premier, ont chacun, dans son époque, (anfara), produit et dirigé ce monde composé d'êtres mobiles et immobiles". (Manou, liv. 1).

 Dans le Siva Pourana 574 l'auteur s'exprime ainsi :

"O Siva, toi, dieu du feu, puisses-tu détruire mes péchés, comme l'herbe sèche de la jungle est détruite par le feu. C'est [346] sous ton souffle puissant qu'Adhima [le premier homme] et Heva [le complément de la vie, en sanscrit], les ancêtres de cette race d'hommes ont reçu la vie et couvert le monde de leurs descendants".

Il n'existait aucune communication avec cette belle île par mer, mais des passages souterrains, connus uniquement des chefs, communiquaient avec elle dans toutes les directions. La tradition parle de beaucoup de majestueuses ruines de l'Inde, Ellora, Elephanta, et les cavernes d'Ajunta (chaîne de Chandor), qui appartenaient autrefois à ces collèges, et avec lesquels ces voies souterraines étaient reliées 575. Qui pourra affirmer que l'Atlantide disparue, mentionnée aussi dans le Livre Secret, mais encore sous un autre nom prononcé dans le langage sacré, n'existait pas encore à cette époque ? Le grand continent disparu pourrait peut-être avoir été situé au Sud de l'Asie s'étendant de l'Inde à la Tasmanie 576. Si l'hypothèse si contestée aujourd'hui et même niée par quelques éminents auteurs qui la considèrent comme une plaisanterie de Platon, se trouve jamais vérifiée, peut-être alors les savants croiront-ils que la description du  continent habité par les dieux n'était pas tout à fait une fable. Et ils comprendront alors que les insinuations voilées de Platon, et le fait d'en attribuer la relation à Solon et aux prêtres Egyptiens, n'était qu'une façon prudente de communiquer le fait au monde en combinant adroitement la vérité avec la fiction ; il se libérait ainsi de la responsabilité d'une histoire que les obligations imposées par son initiation lui interdisaient de divulguer.

 574 Pourana signifie l'histoire ou tradition ancienne et sacrée. Voire Loiseleur Des Longchamps, traduction de Manou et aussi L. Jacolliot, La Genèse dans l'Humanité, p. 328.

575 Il y a des archéologues qui, comme M. James Ferguson, contestent la grande antiquité voire même d'un seul monument de l'Inde. Dans son ouvrage : Illustrations of the Rock-Cut Temples of India, l'auteur ne craint pas d'exprimer la très extraordinaire opinion que "l'Egypte avait cessé d'être une nation avant que le plus ancien des temples souterrains [de l'Inde] eût été creusé". En un mot, il n'admet pas l'existence de cavernes avant le règne d'Asoka, et parait disposé à prouver que la plus grande partie de ces temples taillés dans le roc furent exécutés à partir de l'époque de ce pieux roi Bouddhiste jusqu'à la destruction de la dynastie Andhra de Maghada au commencement du Ve siècle. Nous croyons cette prétention parfaitement arbitraire. Des découvertes postérieures doivent sûrement en démontrer l'erreur et le peu de fondement.

576 C'est une étrange coïncidence que, lorsqu'on la découvrit pour la première fois, l'Amérique portait parmi certaines tribus aborigènes le nom d'Atlanta.

 

Et comment le nom d'Atlanta lui-même aurait-il été  inventé  par Platon ? Atlanta n'est pas un nom grec, et sa construction n'a rien en elle- même d'hellénique. Brasseur de Bourbourg a essayé de le démontrer il y a des années, et Baldwin, dans son livre : Prehistoric Nations and Ancient America cite cet auteur, qui déclare que les mots Atlas et Atlantique n'ont pas d'étymologie satisfaisante dans un langage européen quelconque. Ils ne sont pas Grecs, et ne peuvent être rattachés à aucune langue connue de [347] l'ancien monde. Mais dans le langage Nahualt [ou Toltec] nous trouvons immédiatement le radical a, atl, qui signifie eau, guerre, et le sommet de la tête... De là dérivent une foule de mots, tels que Atlan, sur le rivage de, ou parmi l'eau ; d'où naturellement nous avons l'adjectif Atlantique. Nous trouvons aussi Atlaca, combattre... Une cité nommée Atlan existait lorsque le continent fut découvert par Colomb, à l'entrée du golfe d'Uraba, dans le Darien, avec une bonne rade. Elle est maintenant réduite à un pueblo [village] peu important, nommé Acla 577.

577 Baldwin, Prehistoric Nations, p 179, éd. 1872.

578 [Jules Marcou, Atlantic Monthly, mars 1873. Voir Thomas Belt, The Naturalist in Nicaragua, Londres, 1873.]

 

N'est-il pas extraordinaire, pour ne pas dire plus, de trouver en Amérique une ville, mentionnée sous un nom qui contient un élément purement local, étranger d'ailleurs à toute autre contrée, dans la prétendue fiction d'un philosophe qui vivait 400 ans avant Jésus-Christ ? On pourrait en dire autant du nom d'Amérique, qu'il serait plus juste de rapporter au mont Merou, le mont sacré, au centre des sept continents, d'après la tradition hindoue, qu'à celui d'Amerigo Vespucci. Nous avons les raisons suivantes en faveur de notre thèse :

"Améric, Amérrique ou Amérique est le nom donné dans le Nicaragua à une chaîne de montagnes ou hauts plateaux, qui se trouvent entre Juipalpa et Libertad, dans la province de Chontales, et qui s'étendent d'un côté sur le territoire des Indiens Carcas et de l'autre sur celui des Indiens Ramas" 578.

Ic ou ique comme terminaison a la signification de grand, comme Cacique, etc...

Colomb, dans son quatrième voyage mentionne le village de Cariai, probablement  Caîcai.   Cette   localité était remplie de sorciers ou hommes de médecine ; et c'était la région de la chaîne Améric, haute de 3.000 pieds.

Toutefois il omet d'en mentionner le nom.

Le nom America Provincia parut pour la première fois sur une carte publiée à St-Dié en 1507. Jusqu'à cette date, on avait cru que cette région faisait partie de l'Inde. Cette année-là, le Nircaragua fut conquis par Gil Gonzales de Avila.

"Les northmen qui visitèrent le continent au Xème siècle 579, trouvèrent une côte, plate et basse, couverte d'épaisses forêts, qu'ils nommèrent Markland de Mark forêt. La lettre r devait être roulée comme dans marrick. On trouve un nom analogue dans la région de l'Himalaya, et le nom de Montagne du Monde. Merou, est [348] prononcé Meruah dans certains dialectes avec la lettre h fortement aspirée. L'idée qui se présente naturellement à l'esprit est de rechercher comment deux peuples peuvent avoir accepté un mot d'une consonance semblable, en l'employant chacun dans leur propre sens, et en l'appliquant au même territoire.

579 Torfœus, Historia Vinlandiæ antiques, XII, p. 60, éd. 1705.

 

"Il est fort plausible, dit le professeur Wilder, que l'Etat de l'Amérique Centrale où nous trouvons le nom Americ "qui signifie [de même que le mot hindou Merou] grande montagne, ait donné son nom à ce continent. Vespucci lui aurait donné son nom de famille s'il avait eu l'intention de donner un titre à un continent.  Si la théorie de l'abbé de Bourbourg, donnant Atlan comme la racine d'Atlas et d'Atlantique, était reconnue exacte, les deux hypothèses pourraient parfaitement s'accorder. Comme Platon n'a pas été le seul écrivain qui ait parlé du monde au- delà des colonnes d'Hercule et comme l'Océan est encore peu profond et porte des plantes marines sur toute la partie tropicale de l'Atlantique, il n'est nullement  étrange d'imaginer que ce continent s'élevait là, ou qu'il y  avait  un  monde  insulaire  sur  cette  côte. Le Pacifique aussi offre des indices qui font penser qu'il a été le populeux empire insulaire des Malais ou des Javanais sinon un continent entre le Nord et le Sud. Nous savons que la Lémurie dans l'Océan Indien est un rêve des savants ; et que le Sahara et le désert qui coupe l'Asie au milieu furent probablement une fois le fond de mers".

Pour continuer la tradition, nous devons ajouter que la classe des hiérophantes était divisée en deux catégories distinctes : celle qui avait été instruite par "les fils de Dieu" de l'Ile et initiée dans la doctrine divine de la révélation pure, et celle qui habitait l'Atlantide disparue, si tel doit être son nom ;celle-ci, étant d'une autre race, était née avec une vue qui embrassait toutes les choses cachées, et était indépendante des lois de la distance aussi bien que des obstacles matériels. En un mot, ceux-ci appartenaient à la quatrième race d'hommes, mentionnée dans le Popul Vuh, dont la vue était illimitée et qui savaient toutes choses aussitôt. C'était, peut-être, ce que nous appellerions maintenant des médiums naturels de naissance, qui n'avaient ni à lutter ni à souffrir pour obtenir leurs connaissances, qu'ils acquéraient sans aucun sacrifice. C'est pourquoi, tandis que les premiers marchaient sur les traces de leurs divins instructeurs, et, acquérant par degrés leur science, apprenaient en même temps à discerner le mal du bien, les adeptes de naissance de l'Atlantide suivaient aveuglément les insinuations du grand et invisible "Dragon", le roi Thevetat (le serpent de la Genèse ?). Thevetat n'avait ni appris ni acquis ses connaissances, mais, pour emprunter une expression du Dr Wilder relativement au Serpent tentateur, il était "une sorte de Socrate qui savait sans avoir été initié". Ainsi, sous les mauvaises inspirations [349] de leur démon, Thevetat, la race de l'Atlantide devint une nation de magiciens mauvais. Par suite de cela, une guerre fut déclarée, dont l'histoire serait trop longue à raconter ; la substance de ce récit se trouve dans les allégories dénaturées de la race de Caïn, les géants, et de celle de Noé, et de sa famille juste. Le conflit- se termina par la submersion de l'Atlantide ; celle-ci a été imitée par les récits des déluges Babylonien et Mosaïque : les géants et les magiciens moururent "ainsi que toute chair, et tout homme". Tous, sauf Xisuthrus et Noé, qui, en substance, étaient identiques au grand Père des Thlinkitiens dans le Popul Vuh, ou livre sacré des Guatemaliens, qui raconte aussi qu'il se sauva dans une grande barque, comme le Noé hindou, Vaivasvata.

 Si nous devons en croire la tradition, il faut ajouter foi à l'histoire qui suit, d'après laquelle des alliances entre les descendants des hiérophantes de l'île et ceux du Noé Atlante est issue une race mixte d'hommes justes et de méchants. D'une part, le monde eut ses Enochs, ses Moises, ses Gautama-Boudhas, ses nombreux "Sauveurs", et ses grands hiérophantes ; d'autre part, il eut ses "magiciens naturels" qui, n'étant pas retenus par le pouvoir de lumières spirituelles, et à cause de la faiblesse des organisations physiques et mentales, profanèrent involontairement leurs précieux dons en de mauvais usages. Moise n'eut pas une parole de blâme pour ces adeptes de la prophétie et autres facultés qui avaient été instruits dans les collèges de la sagesse ésotérique, mentionnés dans la Bible 580. Ses anathèmes étaient réservés pour ceux qui, sciemment ou non, dégradaient le pouvoir qu'ils avaient hérité de leurs ancêtres Atlantes, en le mettant au service de mauvais esprits, pour nuire à l'humanité. Sa colère s'enflammait contre l'esprit de Ob et non pas contre celui de OD 581. [350]

 580 Livre des Rois, XXII, 14, 2° juges, XXXIV, 22.

581 Au moment de mettre sous presse, nous recevons de Paris, grâce à l'obligeance de M. John L. O'Sullivan, les œuvres complètes de Louis Jacolliot en vingt et un volumes. Elles roulent principalement sur l'Inde et ses antiques traditions, religion et philosophie. Cet infatigable auteur a recueilli un monde de renseignements à différentes sources, la plupart authentiques. Tout en n'acceptant pas ses idées personnelles sur beaucoup de points, nous reconnaissons volontiers toutefois l'extrême valeur de ses abondantes traductions des livres sacrés de l'Inde, d'autant plus qu'elles confirment à tous points de vue nos propres affirmations. Entre autres exemples se trouve la question de la submersion de continents dans les temps préhistoriques.

Les ruines qui couvrent les deux Amériques, et que l'on trouve dans beaucoup d'îles des Indes Occidentales sont toutes attribuées aux Atlantéens submergés. Comme le faisaient les hiérophantes de l'ancien monde, lequel, au temps de l'Atlantide, était relié [351] au nouveau par une langue de terre, les magiciens de la contrée aujourd'hui engloutie,  avaient un réseau de passages souterrains courant dans toutes les  directions. Parlant de ces mystérieuses catacombes nous donnons ci-après  une curieuse histoire, qui nous a été racontée par un Péruvien, mort depuis longtemps, au cours d'un voyage fait ensemble à l'intérieur de son pays. Il doit y avoir du vrai dans ce récit, car il nous a été confirmé plus tard par un Italien qui avait vu les lieux, et qui, s'il n'en avait été empêché faute de moyens et de temps, aurait vérifié lui-même le fait, du moins en partie. Cet Italien tenait la chose d'un vieux prêtre, auquel le secret avait été divulgué en confession par un Indien du Pérou. Nous pourrions ajouter, que le prêtre fut forcé d'en faire la révélation, parce qu'il se trouvait à ce moment complètement sous l'influence magnétique du voyageur.

Le récit a rapport au fameux trésor du dernier des Incas. Le Péruvien affirmait que depuis le meurtre atroce et bien connu de ce prince par Pizarre, le secret en était connu de tous les Indiens, excepté des Métis, en qui on n'avait pas confiance. Voici ce qu'il racontait : L'Inca fut fait prisonnier et sa femme offrit pour sa mise en liberté une chambre pleine d'or, "depuis le sol jusqu'au plafond, aussi haut que le conquérant pouvait atteindre", et cela avant le coucher du soleil du troisième jour. Elle tint parole, mais Pizarre viola sa promesse, suivant la coutume des Espagnols. Emerveillé à la vue de ces richesses, le conquérant déclara qu'il ne délivrerait pas le prisonnier et qu'il le mettrait à mort, à moins que la reine ne lui révélât l'endroit d'où venait ce trésor. Il avait entendu dire que les Incas avaient une mine inépuisable ; une voie souterraine ou tunnel, long de plusieurs milles sous terre, où étaient conservées les richesses accumulées de la contrée. La malheureuse reine demanda un délai  et courut consulter les oracles. Le grand prêtre lui montra, pendant le sacrifice dans le "miroir noir" consacré 582, le meurtre inévitable de son époux, qu'elle livrât ou non à Pizarre le secret des trésors de la couronne. Alors la reine donna ordre de fermer l'entrée de la cachette qui était une porte taillée dans la muraille rocheuse d'un précipice. D'après le conseil des prêtres et des magiciens, l'abîme lui-même fut comblé jusqu'aux  bords avec d'immenses quartiers de roc, et la surface [352] recouverte de façon à ne laisser aucune trace du travail. L'Inca fut assassiné par les Espagnols, et l'infortunée reine se suicida. La cupidité des Espagnols fut déçue par sa propre exagération, et le secret des trésors enterrés resta enseveli à jamais dans les cœurs de quelques Péruviens fidèles.

582 Ces "miroirs magiques" généralement noirs sont une nouvelle preuve de l'universalité d'une croyance identique. Dans l'Inde ces miroirs sont préparés dans la province d'Agra et on les fabrique aussi au Tibet et en Chine. Et nous les retrouvons dans l'ancienne Egypte, d'où, suivant un historien indigène, cité par Brasseur de Bourbourg, les ancêtres des Quichés les apportèrent au Mexique. Les adorateurs Péruviens du Soleil en faisaient également usage. Lorsque les Espagnols débarquèrent, dit l'historien, le roi des Quichés ordonna à ses prêtres de consulter le miroir afin d'apprendre le destin de son royaume. Le démon, ajoute de Bourbourg, y faisait refléter le présent et le futur comme dans une glace. (Mexique, p. 184.)

 

Dans son Histoire des Vierges : Les peuples et les continents disparus, il dit : "Une des plus anciennes légendes de l'Inde conservée dans les temples par la tradition orale et écrite, raconte qu'il y a plusieurs centaines de mille ans, il existait dans l'Océan Pacifique un immense continent qui fut détruit par un soulèvement géologique et dont il faut chercher les fragments à Madagascar, Ceylan, Sumatra, Java, Bornéo et les files principales de la Polynésie.

"Suivant cette hypothèse, les hauts plateaux de l'Hindoustan et de l'Asie n'auraient été représentés à ces époques éloignées que par de grandes iles contiguës au continent central... D'après les Brahmanes cette contrée avait atteint un haut degré de civilisation, et la péninsule de l'Hindoustan, agrandie par le déplacement des eaux, à l'époque du grand cataclysme, n'a fait que continuer la chaîne des traditions primitives nées en cet endroit. Ces traditions donnent le nom de Rutas aux populations qui habitaient cet immense continent équinoxial, et c'est de leur langue qu'est dérivé le sanscrit. [Nous aurons quelque chose à dire au sujet de ce langage dans un autre volume.]

"La tradition Indo-Hellénique, conservée par la population la plus intelligente qui ait émigré des plaines de l'Inde, rapporte également l'existence d'un continent et d'un peuple auxquels elle donne le nom d'Atlantis et d'Atlantide, et qu'elle place dans l'Atlantique, dans le Nord des tropiques.

"Outre que le fait de la supposition d'un ancien continent dans ces latitudes, continent dont les traces se retrouvent dans les îles volcaniques et les surfaces montagneuses des Açores, des Canaries et du Cap Vert, n'est pas dépourvue de probabilité au point de vue géographique, les Grecs, qui d'ailleurs n'avaient jamais osé aller au delà des colonnes d'Hercule, à cause de leur frayeur du mystérieux Océan, sont apparus trop tard dans l'antiquité, pour que les récits conservés par Platon fussent autre chose qu'un écho de la légende hindoue. De plus, lorsque nous jetons un coup d'œil sur un planisphère, à l'aspect des îles et îlots répandus de l'Archipel Malais à la Polynésie, et des détroits de la Sonde à l'île de Pâques, il est impossible, dans l'hypothèse de continents ayant précédé celui que nous habitons, de ne pas placer là le plus important de tous.

"Une croyance religieuse commune à Malacca et à la Polynésie, c'est-à-dire aux deux extrêmes opposés du monde océanien, affirme que toutes ces îles formaient autrefois deux immenses contrées, habitées par des hommes jaunes et noirs toujours en guerre ; que les dieux, fatigués de leurs querelles, ayant chargé l'Océan de les pacifier, ce dernier engloutit les deux continents, et que depuis il a été impossible de lui faire rendre sa proie. Seuls les pics montagneux et les hauts plateaux ont échappé à l'inondation par la puissance des dieux, qui s'aperçurent trop tard de l'erreur qu'ils avaient commise.

"Quoi qu'il en soit de l'exactitude de ces traditions, et quel que soit l'endroit où s'est développée une civilisation plus ancienne que celle de Rome, de la Grèce, de l'Egypte et de l'Inde, il est certain que cette civilisation a existé, et il est extrêmement important pour la science de découvrir ses traces, quelque faibles et fugitives qu'elles puissent être" (pp. 13-15).

Cette dernière tradition traduite des manuscrits sanscrits par Louis Jacolliot confirme celle donnée d'après les Souvenirs de la doctrine secrète. La guerre mentionnée entre les hommes jaunes et les noirs se rapporte à la lutte entre "les fils de Dieu" et "les fils des Géants" ou les habitants et les magiciens de l'Atlantide.

La conclusion finale de Jacolliot qui a visité personnellement les îles de la Polynésie et consacré des années à l'étude de la religion, du langage et des traditions de presque tous les peuples est la suivante :

"Quant au continent Polynésien qui disparut à l'époque des cataclysmes géologiques définitifs, son existence repose sur tant de preuves que, logiquement nous ne pouvons plus en douter.

"Les trois sommets de ce continent, les îles Sandwich, la Nouvelle-Zélande, l'île de Pâques sont distants l'un de l'autre de quinze à dix-huit cents lieues, et les groupes d'îles intermédiaires, Viti, Samoa, Tonga, Fontouna, Ouvea, les Marquises, Tahiti, Poumouton, Gambiers sont elles-mêmes distantes de ces points extrêmes de sept à huit cents ou mille lieues.

"Tous les navigateurs s'accordent à dire que les groupes extrêmes et du centre n'auraient jamais pu communiquer, vu leur position géographique actuelle, et l'insuffisance des moyens qu'ils possédaient. Il est physiquement impossible de franchir de pareilles distances en pirogue..., sans boussole, et de voyager pendant des mois sans provisions.

"D'un autre côté, les aborigènes des îles Sandwich, Viti, Nouvelle-Zélande, et des groupes centraux de Samoa, Tahiti, etc., ne s'étaient jamais connus et n'avaient jamais entendu parler les uns des autres, avant l'arrivée des Européens. Et pourtant, chacun de ces peuples soutenait que son île avait, à une époque, fait partie d'une immense étendue de terre qui allait vers l'Ouest du côte de l'Asie. Et tous parlent la même langue, ont les mêmes usages, les mêmes coutumes, les mêmes croyances religieuses. Et tous, à cette question Où est le berceau de votre race ? pour unique réponse tendaient la main vers le couchant (Ibid., p. 308)."

 Notre narrateur Péruvien ajouta que, par suite de certaines indiscrétions à diverses époques, des gens avaient été envoyés par différents gouvernements, pour rechercher le trésor, sous prétexte d'explorations scientifiques. Ils avaient remué et fouillé le pays dans tous les sens, mais sans atteindre leur but. Jusque-là, cette tradition est confirmée par les récits du Dr Tschudi et autres historiens du Pérou.  Mais il y a certains détails additionnels, que nous ne croyons pas avoir été publiés jusqu'à ce jour.

Plusieurs années après avoir entendu raconter cette histoire, et sa confirmation par le voyageur italien, nous visitâmes de nouveau le Pérou. Nous rendant par eau au sud de Lima, nous atteignîmes, au coucher du soleil, un endroit près d'Arica, et nous fûmes frappés de l'aspect d'un énorme rocher presque perpendiculaire qui s'élevait dans une solitude désolée sur le rivage et bien détaché de la chaque des Andes. C'était le tombeau des Incas. Comme les derniers rayons du soleil couchant éclairaient le rocher, on pouvait y distinguer avec une jumelle de curieuses inscriptions hiéroglyphiques taillées dans le roc volcanique.

Lorsque Cuzco était la capitale du Pérou, elle renfermait un temple du soleil renommé pour sa magnificence. Il était recouvert d'épaisses plaques d'or, et les murs étaient aussi revêtus du même précieux métal ; les anges du larmier étaient également en or massif. Dans la muraille du côté de l'Occident, les architectes avaient aménagé une ouverture, de façon à ce que lorsque les rayons du soleil l'atteignaient, ils étaient concentrés à l'intérieur de l'édifice. S'étendant comme une chaîne d'or d'un point brillant à un autre, ils entouraient les parois, illuminant les monstrueuses idoles et laissant voir certains signes mystiques, invisibles à d'autres moments. Ce n'est qu'en déchiffrant ces hiéroglyphes identiques à ceux que l'on voit encore aujourd'hui sur la tombe des Incas – que l'on peut apprendre le secret du tunnel et de ses approches. Une de celles-ci était, dans le voisinage de Cuzco, masquée aujourd'hui et défiant toute tentative pour la découvrir. Elle conduit directement à un immense tunnel, allant de  Cuzco à Lima et qui tournant ensuite vers le Sud, s'étend jusqu'en Bolivie. A un certain endroit, ce tunnel est intercepté par un tombeau royal. A l'intérieur de cette chambre sépulcrale sont habilement disposées deux portes, ou plutôt deux énormes dalles qui tournent sur des pivots et qui joignent si parfaitement qu'on ne peut les distinguer des autres portions de la muraille chargée de sculptures, qu'à des [353] signes secrets dont la clé est dans la possession de gardiens fidèles. Une de ces dalles tournantes couvre l'entrée méridionale du tunnel de Lima, et l'autre l'entrée septentrionale du couloir Bolivien. Ce dernier, courant vers le Sud, passe par Tarapaca et Cobijo, car Arica n'est pas loin de la petite rivière nommée Pay'quina 583, qui est la limite entre le Pérou et la Bolivie.

Non loin de cet endroit, se trouvent trois sommets séparés, qui forment un singulier triangle ; ils sont compris dans la chaîne des Andes. Suivant la tradition, la seule entrée praticable du tunnel qui conduit au nord, se trouve dans l'une de ces cimes ; mais sans connaître le secret de ses points de repère, un régiment de Titans chercherait vainement à remuer les rochers pour la découvrir. Mais, même dans le cas où quelqu'un parviendrait à découvrir l'entrée et à trouver le chemin jusqu'à la dalle tournante du mur du sépulcre, afin de la faire sauter, les rochers qui surplombent sont disposés de façon à ensevelir le tombeau, ses trésors, et, suivant l'expression du mystérieux Péruvien, "toute une armée de guerriers", dans une ruine commune. Il n'existe pas d'autre accès à la chambre d'Arica que par la porte dans la montagne près de Pay'quina. Tout le long  du souterrain, depuis la Bolivie jusqu'à Cuzco et à Lima, se trouvent d'autres cachettes, plus petites, remplies d'or et de pierres précieuses d'une valeur incalculable accumulées là par des nombreuses générations d'Incas.

Nous possédons un plan très exact du tunnel, du sépulcre et des entrées, qui nous fut donné dans le temps par le vieux Péruvien. Si jamais nous avions eu la pensée de profiter de ce secret, nous aurions eu besoin de l'ample concours des gouvernements Péruvien et Bolivien. Sans parler des obstacles physiques à surmonter, aucun individu ni un petit groupe ne pourrait entreprendre une pareille exploration, sans avoir à lutter contre les bandes de malfaiteurs et de brigands qui infestent la côte, et qui, de fait, comprennent presque toute la population. Le seul fait de purifier l'air méphitique du tunnel où l'on n'a pas pénétré depuis des siècles, offrirait déjà de sérieuses difficultés. C'est là pourtant que gît le trésor, et la tradition dit qu'il y restera jusqu'à ce que le dernier vestige de  la domination espagnole ait disparu de toute l'Amérique du Nord et du Sud.

583 Pay'quina ou Payaquina, ainsi nommé parce que ses eaux charrient des parcelles d'or depuis le Brésil. Nous avons trouvé quelques fragments de métal authentique dans une poignée de sable que nous avons rapportée en Europe.

 

Les trésors exhumés par le Dr Schliemann à Mycène ont réveillé la cupidité populaire, et les regards d'aventureux spéculateurs se sont tournés vers les localités où l'on suppose que la richesse des peuples de l'antiquité est enfouie dans des cryptes ou [354] des souterrains, ou sous le sable ou les dépôts d'alluvion. Or, il n'est pas de localité, voire même au Pérou, où les traditions soient si nombreuses qu'autour du désert de Gobi. Dans la Tartarie indépendante, ce désert immense de sable était autrefois, si la tradition dit vrai, le siège d'un des plus riches empires que le monde ait jamais vus. On prétend que sous sa surface se trouvent des richesses inouïes, or, bijoux, statues, armes et ustensiles, et tout ce qui dénote la civilisation, le luxe et les arts, au point que nulle capitale de la chrétienté, aujourd'hui, ne pourrait rivaliser avec elles. Les sables de Gobi se meuvent régulièrement de l'est à l'ouest sous l'action des furieux vents qui y règnent continuellement. De temps en temps quelques-uns de ces trésors cachés sont mis à découvert ; mais aucun naturel n'oserait y toucher, car le district tout entier est sous le coup d'un charme puissant. La mort serait la peine encourue. Les bahtis, gnomes hideux, mais fidèles, gardent les trésors cachés de ce peuple préhistorique, en attendant l'époque où la révolution des périodes cycliques fera connaître leur histoire pour l'instruction de l'humanité.

D'après la tradition locale, la tombe de Ghengis Khan existe encore près du lac Tabasun-Nor. Dans l'intérieur repose l'Alexandre Mongol comme endormi. Dans trois siècles il se réveillera, et conduira son  peuple à de nouvelles victoires, et à une nouvelle moisson de gloire. Bien que cette tradition prophétique doive être naturellement accueillie avec toutes sortes de réserves, nous affirmons, comme une chose certaine, que le tombeau en lui-même n'est pas une fiction, et que son étonnante richesse n'est nullement exagérée.

Le district du désert de Gobi et, de fait, toute l'étendue de la Tartarie indépendante et du Tibet sont jalousement gardés contre l'intrusion étrangère. Ceux qui sont autorisés à les traverser sont placés sous la garde spéciale et sous la conduite de certains agents de l'autorité supérieure, et sont tenus à ne fournir au monde extérieur aucun renseignement sur les lieux ou sur les personnes. N'était cette restriction, nous pourrions nous-mêmes apporter ici des récits d'explorations, d'aventures et de découvertes qui intéresseraient le lecteur. Tôt ou tard, le moment viendra où le sable du désert révélera ses secrets si longtemps ensevelis ; à ce moment notre vanité moderne souffrira plus d'une mortification inattendue.

"Le peuple de Pashai", dit Marco Polo 584, le hardi voyageur du XIIIème siècle "est grand adepte de sorcellerie et d'arts diaboliques". Et son savant éditeur ajoute : "Ce Pashai ou Udyana était le pays natal de Padma  Sambhava,  un  des  principaux  apôtres [355] du lamaïsme, c'est-à-dire du Bouddhisme Tibétain et un grand maître en fait d'enchantements. Les doctrines de Sakya, telles qu'elles prévalaient autrefois dans l'Udyâna étaient probablement fortement teintées de magie Sivaïtique, et les Tibétains considèrent encore cette contrée comme la terre classique de la sorcellerie".

Les "temps anciens" sont exactement comme les "temps modernes" ; rien n'est changé en ce qui concerne les pratiques magiques, excepté qu'elles sont devenues plus ésotériques et cachées, et que les précautions des adeptes ont grandi en proportion de la curiosité des voyageurs. Hiouen-Thsang dit des habitants : "Les hommes... aiment l'étude, mais ils ne s'y livrent pas avec ardeur. La science des formules magiques est devenue pour eux une profession régulière dont ils vivent 585". Nous ne contredirons pas sur ce point le vénérable pèlerin chinois, et nous  sommes

tout disposés à admettre qu'au VIIème  siècle quelques individus faisaient de la magie une "profession" ; aujourd'hui encore quelques personnes font de même ; mais ce ne sont certainement pas les vrais adeptes. Ce n'est pas Hiouen-Thsang, l'homme pieux et courageux, qui risqua sa vie cent fois pour avoir le bonheur de voir l'ombre du Bouddha dans le souterrain de Peshawar, qui accuserait les saints lamas et les moines thaumaturges de "faire métier" de montrer cette ombre aux voyageurs. L'injonction de Gautama, contenue dans sa réponse au roi Prasenagit son protecteur, qui l'engageait à faire des miracles, doit avoir toujours été présente à l'esprit de Hiouen-Thsang. "Grand roi, lui dit Gautama, je n'enseigne pas la loi à  mes disciples en leur disant : "Allez, ô saints, et accomplissez au moyen de vos pouvoirs surnaturels, devant les yeux des Brahmanes et des notables, des miracles plus grands qu'aucun homme n'en peut faire". En leur enseignant la loi, je leur dis : "Allez, ô saints, cachant vos bonnes œuvres et laissant voir vos faiblesses".

584 Les régions situées du côté d'Udyana ou du Cachemire, suivant l'opinion du colonel Yule, traducteur et éditeur de Marco Polo, vol. I, pp. 172-173.

585 Voyage des Pèlerins Bouddhistes, vol. I ; Histoire de la vie de HiouenThsang, etc, traduit du chinois par Stanislas Julien.

 

Frappé des récits des manifestations magiques dont avaient été spectateurs, et que relataient les voyageurs de tous les temps, qui ont visité la Tartarie et le Tibet, le colonel Yule en conclut que les naturels doivent avoir à leur disposition toute l'encyclopédie des "Spirites" modernes. Du Halde mentionne au nombre de leurs sortilèges, l'art de produire, par leurs invocations, l'image de Lao-tseu et de leurs divinités dans l'air, et de faire écrire par un crayon sans contact des réponses à des questions 586. [356]

Les premières invocations appartiennent aux mystères religieux de leurs sanctuaires : exécutées autrement, ou en vue d'un gain, elles sont considérées comme des pratiques de sorcellerie, de nécromancie, et rigoureusement interdites. L'art mentionné ci-dessus de faire écrire au crayon sans aucun contact, était connu et pratiqué en Chine et dans d'autres contrées, des siècles avant l'ère chrétienne. C'est l'A. B. C. de la magie dans ces pays-là.

Lorsque Hiouen-Thsang désira adorer l'ombre du Bouddha, il ne s'adressa pas aux "magiciens de profession", mais à la puissance d'invocation de sa propre âme ; au pouvoir de la prière, de la foi et de la contemplation. Tout était sombre et redoutable près de la caverne où l'on prétend que le miracle s'opère de temps à autre. Hiouen-Thsang y pénétra et y fit ses dévotions. Il fit cent révérences, mais il ne vit et n'entendit rien. Alors, se jugeant trop pécheur, il pleura amèrement et commença à désespérer. Mais au moment où il allait renoncer à tout espoir, il aperçut sur la muraille à l'est une faible lueur qui disparut. Il renouvela ses prières, plein d'espoir cette fois, et il revit de nouveau la lumière qui brilla comme un éclair et disparut encore. Après cela, il fit un vœu solennel de ne pas quitter la caverne avant d'avoir eu la joie de voir au moins l'ombre du "Vénérable du Siècle". I1 dut attendre encore longtemps après son vœu, car ce ne fut qu'après deux cents prières, que la sombre caverne se trouva subitement "inondée de lumière, et que l'ombre du Bouddha d'un blanc éclatant se dressa majestueusement sur le mur, comme lorsque les nuages s'entr'ouvrent soudain et découvrent tout à coup la merveilleuse image de "la Montagne de Lumière". Une radieuse splendeur illuminait les traits de la divine physionomie, Hiouen-Thsang était perdu dans la contemplation et l'émerveillement, et ne voulut point détacher ses yeux de ce sublime et incomparable spectacle". Hiouen-Thsang ajoute dans son propre journal, Si-yu-Ki, que ce n'est que lorsque l'homme "prie avec une foi sincère, et qu'il a reçu d'en haut une impression secrète, qu'il voit clairement l'ombre, mais il ne peut jouir longtemps de sa vue" 587.

586 Le Livre de Ser Marco Polo, vol. I, p. 138. Voir aussi à ce sujet les expériences de M. Crookes décrites au chap. VI de son livre.

 

Ceux qui sont si portés à accuser les Chinois d'irreligion feraient bien de lire les Essays on Buddhism in China and Upper Asia de Schott 588. "Au cours des années Yuan-yeu, des Sung (1086-1093 après J.-C.) vivait une pieuse matrone avec ses deux servantes, fortement attirées vers le Pays de la Connaissance. Une des servantes dit un jour à sa compagne : "Cette nuit je passerai dans le Royaume d'Amita [Bouddha]". La même  nuit, une odeur balsamique remplit la maison, et la jeune servante mourut, sans [357] maladie préalable. Le lendemain la survivante des domestiques dit à sa maîtresse : "Hier ma défunte compagne m'est apparue en songe, et m'a dit : Grâce aux persévérantes exhortations de notre maîtresse, je suis devenue une habitante du Paradis, et ma béatitude dépasse toute expression". La matrone répondit : "Si elle m'apparaît à moi aussi,  je croirai tout ce que vous me dites". La nuit suivant la défunte lui apparut réellement... La dame lui demanda : "Pourrai-je une fois visiter le Pays de la Connaissance" ? "Oui, répondit l'âme bienheureuse, tu n'as qu'à suivre ta servante". La dame la suivit (en songe), et bientôt elle aperçut un lac d'une étendue incommensurable, tout parsemé d'innombrables fleurs de lotus rouges et blanches, de différentes grandeurs, les unes épanouies et les autres se flétrissant. Elle demanda ce que pouvaient signifier ces fleurs ? La jeune fille répondit : "Ce sont les êtres humains vivant sur la terre dont les pensées sont tournées vers le Pays de la Connaissance". Le premier ardent désir d'entrer au Paradis d'Amita donne naissance à une fleur dans le Céleste Lac, et cette fleur devient chaque jour plus grande et plus glorieuse,  à  mesure  que  grandit  le  progrès  de  la  personne  qu'elle représente ; dans le cas contraire, elle perd son éclat, et se fane 589. La matrone voulut connaître le nom d'un bienheureux qui reposait sur une des fleurs, couvert d'un vêtement flottant d'un merveilleux éclat. Sa complaisante fille répondit : "C'est Yang-Kie". Elle demanda ensuite le nom d'un autre, et il lui fut répondu : "C'est Mahou". La dame dit alors : "En quel lieu serai-je après mon entrée dans la nouvelle existence?" L'âme bienheureuse la conduisit alors un peu plus loin, et lui montra une colline qui resplendissait d'azur et d'or. "Voici, lui dit-elle, votre  futur séjour. Vous appartiendrez au premier ordre des bienheureux". Lorsque  la matrone se réveilla, elle envoya demander des nouvelles de Yang-Ki et de Mahou. Le premier était déjà décédé ; l'autre était encore vivant et en bonne santé. C'est ainsi que la dame apprit que l'âme de celui qui progresse en sainteté et ne retourne jamais en arrière, peut déjà habiter le Pays de la Connaissance, même lorsque le corps séjourne encore dans ce monde transitoire". [358]

587 Max Müller, Buddhist Pilgrims (Chips, etc., 1, pp. 272-273).

588 Berlin Academy of Sciences, année 1846.

589 Le colonel Yule fait au sujet du mysticisme chinois une remarque que nous citons volontiers pour sa noble franchise : "En 1871, dit-il, je vis dans Bond Street une exposition de dessins de prétendus esprits, c'est-à-dire de dessins censés avoir été exécutés par un médium sous  une influence étrangère et invisible. Un grand nombre de ces productions extraordinaires (car elles étaient incontestablement extraordinaires), avaient la prétention de représenter les "Fleurs Spirituelles" de telles ou telles personnes ; et l'explication qui en était donnée dans le catalogue était en substance exactement la même que celle qui était indiquée dans le texte du livre de Schott. Or, il est extrêmement peu probable que l'artiste ait eu connaissance des Essays de Schott, et par conséquent la coïncidence était certainement frappante". (Le Livre de Marco Polo, vol. I, p. 442 et note, éd. 1878).

 

Le même Essai donne la traduction d'une autre histoire chinoise tendant aux mêmes fins. "J'ai connu un homme, dit l'auteur, qui durant sa vie avait tué beaucoup d'êtres vivants, et qui fut frappé d'une attaque d'apoplexie. Les peines qui étaient réservées à son âme chargée de péchés me navraient le cœur ; je lui rendis visite, et l'exhortai à invoquer Amita ; mais il refusa obstinément... Son mal avait obscurci son intelligence ; et par suite de ses méfaits son cœur s'était endurci. Quel sort aurait cet homme, quand il aurait fermé les yeux ?... Dans cette vie, la nuit succède au jour, et l'hiver à l'été ; cela, tout le monde le sait. Mais que cette vie soit suivie de la mort, voilà à quoi personne ne songe ! Oh étrange aveuglement, et obstination !" (P. 93).

Ces deux spécimens de la littérature chinoise sont peu de nature à confirmer l'accusation habituelle d'irréligion et de matérialisme absolu, portée contre cette nation. La première historiette mystique est pleine de charme spirituel, et ferait honneur à n'importe quel livre religieux Chrétien. La seconde est aussi digne d'éloges, et nous n'aurions qu'à  remplacer Amita par Jésus, pour avoir un récit parfaitement orthodoxe, au point de vue des sentiments religieux et du code de moralité philosophique. L'exemple suivant est encore plus frappant, et nous le citons pour que les chrétiens partisans des missions de réveil de la foi, en profitent :

"Hoang-ta-tie, de T'ancheu, qui vivait sous les Sung, exerçait la profession de forgeron. Il invoquait sans cesse pendant son travail le nom d'Amita Bouddha. Un jour il remit à un voisin les vers suivants de sa composition, pour être diffusés :

Ding, Dong ! Les coups de marteau tombent drus et serrés.

Jusqu'à ce que le fer se soit transformé en acier. Le long, long jour du repos va poindre,

Et la Terre de l'Eternel Bonheur m'appelle.

Puis il mourut. Mais ses vers circulèrent partout dans Honan, et bien des gens apprirent à  invoquer  le Bouddha 590.

590 Schott, Essay on Buddhism, p. 105.

 

Contester aux Chinois ou à tout autre peuple de l'Asie, Centrale, Haute ou Basse, la possession de connaissances ou même de perceptions des choses spirituelles, est parfaitement ridicule. D'un bout à l'autre, cette contrée est remplie de mystiques, de philosophes religieux, de saints Bouddhistes et de magiciens. La croyance en un monde spirituel, rempli d'êtres invisibles, qui, dans certaines circonstances, apparaissent objectivement aux mortels, y est universelle. "Conformément à la croyance des nations de l'Asie Centrale, fait observer I. J. Schmidt, la terre et son intérieur, aussi bien que l'atmosphère qui l'environne, sont remplis d'êtres spirituels, [359] qui exercent une influence, en partie bienfaisante et en partie mauvaise, sur tout l'ensemble de la nature organique et inorganique... Les déserts et autres étendues de terrains sauvages et inhabités ou les régions dans lesquelles la nature déploie ses influences sur une échelle gigantesque et terrifiante sont spécialement considérés comme les principaux lieux de séjour et de rendez-vous des mauvais esprits... C'est pour cela que les steppes de Turan, et, tout particulièrement le grand Désert de Sable de Gobi, ont toujours passé pour le séjour d'êtres malfaisants, depuis les temps de l'antiquité la plus reculée" 591.

Marco Polo, comme de raison, fait plus d'une fois mention dans son curieux livre de Voyages, de ces esprits espiègles de la nature dans les déserts. Pendant des siècles, et surtout au siècle dernier on n'a ajouté aucune foi à ses histoires étranges. Personne ne voulait le croire, lorsqu'il affirmait avoir vu de ses propres yeux, et à plusieurs reprises, les faits les plus étonnants accomplis par des sujets de Kublai-Khan et des adeptes des autres pays. A son lit de mort, Marco fut vivement pressé de rétracter ses prétendus "mensonges ", mais il jura solennellement que ce qu'il avait dit était la vérité, en ajoutant qu'il n'avait même pas raconté la moitié des choses qu'il avait vues. Nul aujourd'hui ne doute qu'il n'ait dit la vérité, depuis qu'ont paru l'édition de Marsden et celle du colonel Yule. Le public est spécialement redevable à ce dernier d'avoir mis en lumière les autorités qui confirment le témoignage de Marco, et d'avoir expliqué quelques-uns des phénomènes de la façon habituelle, car il montre, de manière à rendre la chose incontestable, que le grand voyageur était non seulement un écrivain véridique, mais encore un éminent observateur. Prenant chaudement la défense de son auteur, le consciencieux éditeur, après avoir énuméré plus d'un point jusqu'à présent discuté et même rejeté dans les Voyages du Vénitien, conclut en disant : "Bien plus encore, les deux dernières années ont apporté une promesse de lumière même sur ce qui paraissait la plus étrange des histoires de Marco Polo, et le squelette d'un véritable ROUC de la Nouvelle-Zélande est exposé sur la table du laboratoire du professeur Owen " 592.

591 [Sanang-Setzen, Chungtaidschi, Geschichte der Ost-Mongolen, p. 352, St-Petersb., 1829.]

592 Le Livra de Ser Marco Polo, vol. I, préface de la deuxième édition, p. VIII, 1873.

 

L'oiseau monstrueux des Mille et Une Nuits ou de la Mythologie Arabe,  ainsi  que  Webster  appelle  le  Rouc  (ou  Roc),  a  été  reconnu et identifié ; il reste maintenant, dans l'ordre des faits, à découvrir et à reconnaître que la lampe magique d'Aladin a aussi certains titres à la réalité. [360]

Dans la description de son passage à travers le grand désert de Lop, Marco Polo parle d'une chose merveilleuse, "qui est que lorsque les voyageurs sont en marche pendant la nuit... ils entendent parler des esprits... Quelquefois les esprits les appellent par leurs noms,... et même dans le jour on les entend, parfois, parler. On entend quelquefois le son d'une variété d'instruments de musique, et plus souvent encore le bruit de tambours" 593.

Dans ses notes, le traducteur cite l'historien chinois Ma-Twan-lin qui confirme ces faits. "Durant la traversée de cette solitude, dit Ma-Twan-lin, on entend des bruits, quelquefois de chants, quelquefois de gémissements ; et il est souvent arrivé à des voyageurs, s'écartant pour voir ce que ces bruits pouvaient être, de s'égarer de leur route et de se perdre complètement ; car c'étaient les voix des esprits et des  lutins" 594. "Ces lutins ne sont pas spéciaux au désert de Gobi, ajoute l'éditeur, bien qu'ils paraissent le hanter de préférence. La terreur qu'inspire un vaste désert solitaire les fait surgir dans toutes les localités semblables" 595.

593 Ibid., vol. I, p. 203, éd. 1875.

594 Visdelou : Suppl. à la Bibliothèque Orientale de B. d'Herbelot, p. 139, Paris, 1780.

595 Col. Yule, op cit., I, p. 205.

596 Pline, VII, 2

 

Le colonel Yule aurait dû examiner la possibilité de sérieuses conséquences qui pourraient survenir de l'acceptation de  sa  théorie. Si nous admettons que les gémissements fantastique du Gobi sont dus à la terreur inspirée par un "vaste désert solitaire", pourquoi les démons des Gadaréniens (St Luc, VIII, 29) seraient-ils l'objet d'une plus grande considération ? Et pourquoi refuserait-on d'admettre que Jésus se serait trompé sur l'objectivité de son tentateur pendant les quarante jours d'épreuves dans le désert ? Nous sommes tout disposés à admettre ou à repousser la théorie émise par le colonel Yule, mais nous insistons pour qu'on l'applique impartialement à tous les cas. Pline parle de fantômes qui apparaissent et disparaissent dans les déserts d'Afrique 596, Æthicus, le cosmographe  chrétien  des  premiers  siècles,  fait  mention,  tout  en se montrant incrédule à leur égard, d'histoires disant que l'on entendait des voix de chanteurs et de gais convives dans le désert ; et "al-Mas'udi parle de goules qui, dans les déserts, apparaissent aux voyageurs la nuit aux heures solitaires", et aussi "d'Apollonius de Tyane et de ses compagnons qui, dans un désert près de l'Indus, au clair de lune, virent une empuse ou goule, revêtant diverses formes... Ils l'injurièrent, et elle s'enfuit en poussant des cris aigus" 597. Ibn Batuta rapporte une légende semblable du Sahara Occidental : "Si le messager est seul, les démons courent [361] avec lui et le fascinent, de telle sorte qu'il s'égare et périt" 598. Or, si toutes ces choses sont susceptibles d'une "explication rationnelle", et nous n'en doutons pas pour ce qui est du plus grand nombre des cas, les diables de la Bible dans les solitudes, ne méritent pas plus de considération et doivent être soumis aux mêmes règles. Ils sont, eux aussi, des créatures de la terreur, de l'imagination et de la superstition ; par conséquent les récits de la Bible doivent être faux ; et si un seul verset est faux, un doute est jeté sur les prétentions de tout le reste à être tenu pour une révélation divine. Une fois cela admis, cette collection de documents canoniques est au moins aussi accessible à la critique que tout autre livre d'histoires 599.

Il y a beaucoup d'endroits dans le monde, où les phénomènes les plus étranges ont été le résultat de ce qu'on a reconnu, plus tard, avoir été des causes physiques naturelles. Il y a certains endroits, sur le bord de la mer dans le Sud de la Californie où le sable, lorsqu'on le remue, produit un puissant son musical. Il est désigné sous le nom de "sable musical", et l'on suppose que le phénomène est de nature électrique. "Le son des instruments de musique, et particulièrement celui des tambours est un phénomène d'un autre ordre, et il est réellement produit dans certains cas dans les dunes, lorsqu'on remue le sable", dit l'éditeur de Marco Polo. "Un récit saisissant d'un phénomène de ce genre, considéré comme surnaturel, est donné par le frère Odoric, dont j'ai vérifié l'expérience dans le Reg Ruwan, ou "sable mouvant"au Nord de Caboul 600. Outre cet exemple célèbre... j'ai remarqué celui bien connu de Jibal Nakia ou "Colline de la Cloche", dans le désert du Sinaï... et celui de Gibal-ul-Thabul ou "Colline des Tambours"... Un récit chinois du Xème siècle mentionne ce phénomène comme ayant été observé près de Kwachau, sur la lisière orientale du désert de Lop, sous le nom de "sables chantants" 601." [362]

597 Philostrate, livre II, chap. IV.

598 Ibid., livre IV, p. 382. Livre de Ser Marco Polo, vol. I, p 206.

599 Il y a de pieux critiques qui refusent au monde le même droit de juger la Bible d'après les déductions de la logique que "tout autre livre". La science exacte elle-même doit s'incliner devant cet arrêt. Dans le paragraphe final d'un article consacré à démolir entièrement la "Chronologie" du baron Bunsen qui ne concorde pas tout à fait avec celle de la "Bible", un écrivain s'écrie "Le but que nous nous sommes proposé est complètement atteint... Nous avons tâché de repousser les accusations du chevalier Bunsen contre l'inspiration de la "Bible", en nous plaçant sur son propre terrain... Un livre inspiré... ne peut jamais dans l'expression de ses propres enseignements, ou par l'énonciation de ses récits, attester un fait faux ou l'interpréter par ignorance soit en matière d'histoire ou de doctrine. S'il était capable d'attester un seul fait erroné, qui ajouterait foi à l'évidence des autres." (Journal of Sacred Litterature, oct. 1869, p. 70.)

600 [Yule, Cathay and the Way Thither, pp. CCXLIV, 156, 398.]

601 Remusat, Histoire du Khotan, p. 74. Marco Polo, vol. I, p. 206.

 

Que tous ces phénomènes soient parfaitement naturels, c'est ce dont personne ne doute. Mais que faut-il penser des questions et des réponses clairement et distinctement faites et reçues ? Que penser des conversations soutenues entre certains voyageurs et les esprits invisibles ou êtres inconnus, qui parfois apparaissent sous des formes tangibles à des caravanes entières ? Si des millions d'hommes croient possible que des esprits se matérialisent, derrière le rideau d'un "médium", et apparaissent au cours de la séance, pourquoi rejetteraient-ils la même possibilité chez les esprits élémentaux des déserts ? C'est le to be or not to be de Hamlet. Si les "esprits" sont capables de faire tout ce que les spirites leur attribuent, pourquoi ne pourraient-ils pas apparaître également au voyageur dans les déserts et les solitudes ? Un récent article scientifique  dans  un journal russe attribue à un écho ces sortes de "voix d'esprits" dans le grand désert de Gobi. Une explication très raisonnable en vérité que celle-là, si l'on pouvait seulement démontrer que ces voix ne font simplement que répéter ce qui a déjà été dit par une personne vivante ! Mais lorsque le voyageur "superstitieux" obtient des réponses intelligentes aux questions qu'il pose, cet écho de Gobi fait tout de suite preuve d'une très proche parenté avec l'écho du théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris. "Comment vous portez- vous, monsieur ?" s'écrie un acteur dans une pièce : "Pas trop bien, mon fils, merci, je vieillis beaucoup, beaucoup", répond poliment l'écho !

Quelle gaieté incrédule doivent avoir provoqué pendant des siècles les récits superstitieux et absurdes de Marco Polo, touchant les dons "surnaturels" de certains charmeurs de requins et de bêtes féroces de l'Inde, qu'il appelle Abraiaman ! En faisant la description de la pêche des perles à Ceylan, telle qu'on la pratiquait en ce temps-là, il dit que les marchands étaient obligés de donner aussi aux hommes qui charment les grands poissons, la vingtième partie de tout ce qu'ils prenaient afin de les empêcher de faire du mal aux plongeurs, pendant qu'ils sont sous l'eau à chercher les perles. Ces charmeurs de poissons sont nommés Abraiaman [Brahman ?], et leur charme n'avait d'effet que pendant un seul jour, car à la nuit ils défaisaient leur charme, de sorte que les poissons pouvaient faire du mal à leur gré. Ces Abraiaman connaissent aussi le moyen de charmer les bêtes et les oiseaux, et tout être vivant 602.

Et voici ce que nous trouvons dans les notes explicatives du colonel Yule, relativement à cette dégradante "superstition" Asiatique : "La relation de la pêche des perles, faite par Marco, est encore exacte en substance... Aux mines de diamant des Circars du [363] Nord, les Brahmanes sont employés d'une manière analogue, pour se rendre propices les génies tutélaires. Les charmeurs de requins sont appelés en Tamil, Kadal-Katti, "lieurs de mer", et en hindoustani Hai-banda ou "lieurs de requins". A Aripo, ils appartiennent à une seule famille qui possède, croit- on, le monopole du charme 603. Le principal opérateur est (ou était, il n'y a pas longtemps) payé par le gouvernement, et lui aussi recevait journellement dix huîtres de chaque bateau, pendant la durée de la pêche. Tennent, dans sa visite, trouva que celui qui remplissait cette fonction était un Chrétien Catholique Romain [?] mais que cela ne paraissait en aucune façon porter atteinte à la validité de son emploi. Il est curieux qu'... on n'ait constaté officiellement qu'un seul accident occasionné par les requins, pendant toute la durée de l'occupation anglaise 604.

602 Livre de Ser Marco Polo, II, p. 314, éd. 1875.

603 Comme les Psylli ou charmeurs de serpents de Libye, dont la faculté est héréditaire.

604 Ser Marco Polo, vol. II, p. 321.

 

Il y a deux choses à relever dans les faits indiqués au paragraphe précédent, savoir : 1° Le gouvernement Britannique paye un salaire à des charmeurs de requins de profession, pour l'exercice de leur art ; et 2° Une seule existence a été perdue depuis la signature du contrat. (Il reste à savoir si cet accident unique n'est pas survenu pendant le temps d'exercice du sorcier catholique.) Prétendra-t-on que le salaire est payé comme concession à la dégradante superstition des indigènes ? Soit, mais que dira-t-on à propos des requins ? Reçoivent-ils eux aussi, un salaire des autorités anglaises prélevé sur les fonds secrets ? Tous ceux qui ont visité Ceylan savent que les eaux des côtes des pêcheries de perles abondent en requins de l'espèce la plus vorace, et qu'il est même dangereux de s'y baigner, et à plus forte raison d'y plonger pour chercher des huîtres. Nous pourrions aller plus loin encore, et donner les noms des fonctionnaires Anglais du plus haut rang, au service de l'Inde, qui ont eu recours aux "magiciens" et aux "sorciers" indigènes pour retrouver des objets perdus, ou pour démêler des mystères vexatoires de différente nature ; leurs efforts ayant été couronnés de succès, ils en ont exprimé secrètement leur gratitude, mais une fois partis, ils ont fait preuve d'une insigne lâcheté en niant publiquement devant l'Aréopage du monde la vérité de l'art magique, et en tournant en ridicule la "superstition" hindoue.

Il y a quelques années, une des pires superstitions parmi les savants, était la croyance que le portrait du meurtrier restait imprimé dans l'œil de la victime, et qu'il était aisé de reconnaître ainsi l'assassin par l'examen de la rétine. La "superstition" affirmait que la ressemblance était rendue encore plus frappante en [364] soumettant la personne assassinée à certaines fumigations de bonne femme, et autres niaiseries. Or, voilà qu'aujourd'hui un journal américain, dans son numéro du 26 mars 1877, dit : "Il y a quelques années, l'attention fut attirée par une théorie qui soutenait que le dernier effort de la vision se matérialisait et restait imprimé sur la rétine de l'œil après la mort. Cela a été démontré comme un fait réel par une expérience faite, en présence du Dr Gamgee de Birmingham (Angleterre) et du professeur Bunsen, sur un lapin vivant. Le moyen adopté pour prouver la vérité de la théorie fut fort simple : l'animal ayant été placé près d'une ouverture dans un volet les yeux en conservèrent la forme après que l'animal eut été tué".

Si, du pays de l'idolâtrie, de l'ignorance et de la superstition, ainsi que certains missionnaires désignent l'Inde, nous nous tournons du côté du centre prétendu de la civilisation, Paris, nous trouvons les mêmes principes de magie mis en pratique sous le nom de spiritisme occulte. L'honorable John L. O' Sullivan, ex-ministre plénipotentiaire des Etats-Unis au Portugal, nous fournit obligeamment les détails étranges d'une séance semi-magique, à laquelle il a assisté avec quelques personnes éminentes de Paris. Nous publions intégralement sa lettre avec son autorisation.

 New-York, 7 février 1877.

 

"J'accueille volontiers votre demande d'une  relation écrite de ce que je vous ai rapporté de vive voix, au sujet de ce dont j'ai été témoin à Paris, l'été dernier, dans la maison d'un très respectable médecin dont je ne suis pas autorisé à révéler le nom, mais que, suivant la mode française en fait d'anonymat, j'appellerai le Dr X.

J'avais été présenté dans la maison par un Anglais de mes amis, bien connu dans les cercles spirites de Londres, M. Gledstanes. Environ huit ou dix autres visiteurs des deux sexes étaient présents. Nous étions assis dans des fauteuils occupant la moitié d'un long salon,  de plain pied avec un vaste jardin. Dans l'autre moitié de la pièce il y avait un grand piano, un grand espace libre entre lui et nous, et deux fauteuils dans cet espace, évidemment placés là pour être occupés par d'autres personnes. Une porte tout auprès s'ouvrait sur la partie privée de l'appartement.

Le Dr X... entra, et nous parla pendant environ vingt minutes avec l'éloquence rapide et véhémente des Français, que je n'entreprendrai point de reproduire. Il avait pendant plus de vingt ans, nous dit-il, étudié les mystères occultes dont il allait nous montrer quelques phénomènes. Son but était d'attirer ses confrères du monde savant, mais peu ou point d'entre eux  étaient venus voir par eux-mêmes. Il avait l'intention de publier sous peu un livre. Il amena ensuite deux dames dont la plus jeune était sa femme et l'autre (que j'appellerai Mme Y.) un médium ou sujet, avec laquelle il avait travaillé pendant toute la période de ses études, et qui avec lui s'était dévouée et avait [365] sacrifié sa vie entière à cette entreprise. Les deux dames avaient les yeux fermés et paraissaient être dans le sommeil magnétique.

Il les plaça aux deux extrémités du grand piano à queue qui était fermé et il leur recommanda d'y poser les mains. Bientôt des sons commencèrent à se faire entendre, provenant de ses cordes et produisant des marches, des bruits  de  galop,  des  tambours,  des  trompettes,  de  la mousqueterie, du canon, des cris, des gémissements  en un mot une bataille. Cela dura, pourrai-je dire, de cinq à dix minutes.

J'aurais dû dire qu'avant l'introduction des deux médiums, j'avais écrit au crayon sur un petit morceau de papier (sur l'invitation de M. Gledstanes qui avait assisté auparavant à d'autres séances) les noms de trois objets connus de moi seul, savoir : le nom d'un compositeur de musique décédé, celui d'une fleur, et celui d'un gâteau. J'avais choisi Beethoven, la marguerite, et un genre de gâteau Français appelé Plombières ; j'avais fait de mon papier un petit rouleau que je gardai dans la main, sans en laisser connaître le contenu même à mon ami.

Lorsque la bataille fut finie, le docteur plaça Mme Y. dans l'un des deux fauteuils, Mme X. restant assise à part d'un autre côté du salon, et je fus invité à remettre mon papier roulé à Mme Y. Elle le tint sans l'ouvrir, entre ses doigts, sur ses genoux. Elle était vêtue de mérinos  blanc, la robe tombant droit de son cou et retenue à la taille par une ceinture, et elle était placée dans la pleine lumière des candélabres allumés de part et d'autre. Après un moment, elle laissa glisser à terre le petit rouleau de papier, que je m'empressai de ramasser. Le docteur la fit alors lever, et lui ordonna de faire "l'évocation du mort". Il retira le fauteuil, et lui mit dans la main une baguette d'acier longue de quatre pieds et demi à cinq, et terminée à l'une des extrémités par une petite barre transversale, le Tau Egyptien. Avec cette baguette elle traça autour d'elle un cercle d'environ six pieds de diamètre. Elle ne tenait pas la croix comme une poignée, mais au contraire, c'est par l'autre bout qu'elle tenait la baguette. Elle la rendit alors au Dr X. Elle resta debout quelque temps, les bras baissés et les mains croisées devant elle, sans mouvement, le regard fixé un peu en haut, sur une des encoignures du salon qui lui faisait face. Ses lèvres commencèrent à remuer, avec des sons murmurés, qui après un moment devinrent distincts et articulés, se traduisant en courtes phrases ou expressions entrecoupées, ressemblant à la récitation d'une litanie. Certains mots, paraissant des noms, revenaient de temps en temps. Ils me semblaient avoir des consonances semblables à celles des langages de l'Orient que j'avais entendus. Son visage était très grave et avait une mobilité d'expression, et parfois un froncement de sourcils. Je pense que cela dura quinze à vingt minutes, au milieu d'un silence et d'une immobilité complète de la part de l'assistance, qui contemplait cette scène magique. Sa récitation parut croître en véhémence et en  rapidité. Enfin elle étendit un bras dans la direction de son regard, et avec un grand éclat de voix, presque un cri perçant, elle s'écria : BEETHOVEN ! et elle tomba à la renverse sur le parquet.

Le Dr X. s'empressa auprès d'elle, fit  quelques énergiques passes magnétiques sur son visage et son cou, et lui plaça la tête et les épaules sur des coussins. Elle resta étendue comme une personne malade et souffrante, poussant par moments des gémissements, se retournant inquiète, etc. Une demi-heure à peu-près s'écoula durant laquelle elle parut passer par toutes les phases d'une lente agonie (c'était, me dit-on, [366] la reproduction de la mort de Beethoven). Il serait trop long de décrire la scène dans tous ses détails, alors même que je me les rappellerais tous. Nous regardions comme si nous assistions à une agonie réelle. Je me contenterai de dire que son pouls cessa de battre, que l'on ne percevait plus aucun mouvement du cœur, que ses mains d'abord et ses bras ensuite devinrent froids, et alors qu'on sentait encore la chaleur sous les aisselles, qui à la fin se refroidirent aussi complètement, les pieds et les  jambes se refroidirent également et gonflèrent d'une façon étonnante. Le docteur nous engagea tous à nous approcher, et à constater ces phénomènes. La respiration devint de plus en plus haletante et rare, et s'affaiblit par degrés. Enfin elle cessa ; la tête se pencha de côté ; les mains, dont les doigts se crispaient sur sa robe, se détendirent aussi. Le docteur nous dit : "maintenant   elle est morte", et elle le paraissait en effet. Avec une grande rapidité, il prit (je ne sais où, ne l'ayant pas vu) deux petits serpents qu'il parut placer sur son cou et dans son sein, tout en lui faisant de larges passes transversales sur la tête et sur le cou. Après un moment, elle parut revenir lentement à la vie, et enfin le docteur et deux domestiques la prirent et l'emportèrent dans la chambre voisine, d'où il ne tarda pas à revenir. Il nous dit que tout cela était très risqué, mais sans aucun danger, pourvu que l'on ne perdit point de temps, car, sans cela, la mort qui était réelle, nous dit-il, deviendrait définitive.

Je n'ai pas besoin de dire l'effet que produisit cette scène sur tous les spectateurs, pas plus que d'ajouter qu'il ne s'agissait pas d'un truc de prestidigitateur payé pour étonner. La scène se passait dans l'élégant salon d'un honorable médecin, chez lequel il est impossible de s'introduire sans être présenté, tandis qu'en dehors des phénomènes eux-mêmes, mille détails imperceptibles de langage, d'expressions, de manières et d'action, offrent ces mêmes garanties de sincérité et de gravité qui apportent la conviction dans l'esprit de ceux qui en sont témoins, bien qu'il soit possible de les transmettre à ceux qui seulement l'entendent raconter ou qui en lisent le récit.

Après un moment, Mme Y. rentra et s'assit sur l'un des deux fauteuils, dont j'ai parlé plus haut, et je fus invité à prendra place dans l'autre, à côté d'elle. Je tenais encore à la main le petit rouleau de papier toujours fermé, dans lequel avaient été écrits secrètement par moi, les trois mots dont le nom de Beethoven était le premier. Elle resta quelques minutes les mains ouvertes posées sur ses genoux. Au bout de ce temps elles commencèrent à se remuer avec des mouvements fébriles. "Ah, cela brûle, cela brûle !" dit-elle, et ses traits se contractèrent avec une expression de souffrance. Quelques instants après elle leva l'une de ses mains, qui tenait une marguerite, la fleur que j'avais indiquée comme mon deuxième mot. Je la reçus d'elle, et après qu'elle eût été bien examinée par tout le reste de l'assistance, je la conservai. Le Dr X. nous dit qu'elle était d'une espèce inconnue dans cette partie du pays, opinion certainement erronée, car quelques jours après je vis la pareille au marché aux fleurs de la Madeleine. Que la fleur ait été créée dans ses mains, ou qu'elle fût tout simplement un apport, comme dans le phénomène avec lequel nous sommes familiarisés dans les expériences de Spiritisme, c'est ce que je ne saurai dire. C'était l'un ou l'autre, en tous cas, car elle ne l'avait certainement pas, au moment où elle était assise à côté de moi en pleine lumière, avant l'apparition de la fleur. Celle-ci était parfaite de fraîcheur, dans toutes les parties de ses délicats pétales. [367]

Le troisième mot que j'avais écrit sur le morceau de papier était le nom d'un gâteau, Plombières. Elle commença à faire des mouvements d'une personne qui mange, quoiqu'il n'y eût aucun gâteau visible, et elle me demanda si je ne voudrais pas aller avec elle, à Plombières, le nom du gâteau que j'avais inscrit. Cela pourrait être tout simplement un cas de lecture mentale.

A cela succéda une scène dans laquelle Mme X., la femme du docteur, fut, me dit-on, et je crois que ce fut le cas, possédée par l'esprit de Beethoven. Le docteur, en lui parlant, lui disait : Monsieur Beethoven. Elle ne fit pas attention, tant qu'il n'eut pas prononcé ce nom très fort à son oreille. Alors, elle répondit en faisant des salutations polies. (Vous pouvez vous rappeler que Beethoven était extrêmement sourd). Après une courte conversation, il lui demanda de jouer, et elle s'assit au piano, et exécuta magnifiquement quelques morceaux connus de ce compositeur, et des improvisions que les assistants, en général, jugèrent dans le style du compositeur. J'ai appris plus tard, d'une dame amie de Mme  X., que, dans son état normal, elle est une pianiste

amateur très ordinaire. Après une demi-heure de musique et de dialogue, toujours dans le rôle de Beethoven, auquel son visage, dans l'expression de physionomie, et sa chevelure tombante la faisaient ressembler d'une façon étrange, le docteur mit dans sa main du papier et un crayon, et la pria d'esquisser le portrait de la personne qu'elle voyait devant elle. Elle produisit très rapidement un croquis de profil d'une tête et d'une figure ressemblant aux bustes de Beethoven, bien que rajeuni, et elle traça rapidement au-dessous, en guise de signature, le nom de Beethoven. J'ai conservé l'esquisse ; je ne puis dire toutefois si l'écriture de cette signature correspond à celle du célèbre compositeur.

Il se faisait tard, et la société se sépara, je n'eus pas le temps d'interroger le Dr X, sur ce que nous venions de voir. Mais je lui rendis visite avec M. Gledstanes quelques jours plus tard. J'appris là qu'il admet l'action des esprits, qu'il est spirite, mais aussi quelque chose de bien plus que cela, ayant étudié longtemps et profondément les mystères occultes de l'Orient. C'est ce que j'ai compris de ses paroles, quoiqu'il préférât nous renvoyer à son livre, qu'il publiera probablement avant la fin de l'année courante. Je remarquai quantité de feuilles éparses sur une table, toutes chargées de caractères Orientaux qui me sont inconnus, œuvre de Mme Y. endormie, me dit-il en réponse à ma question à ce sujet. Il nous dit que dans la scène à laquelle nous avions assisté, elle était devenue (c'est-à-dire, je  présume, qu'elle était possédée par) une prêtresse d'un des anciens temples Egyptiens, et que l'origine de cette transformation était la suivante : un savant de ses amis avait acquis en Egypte la momie d'une prêtresse, et lui avait fait cadeau de quelques-unes des bandelettes qui enveloppaient le corps ; et c'est du contact de cette étoffe, vieille de 2.000 à 3.000, ans, de son existence entière vouée à cette relation occulte et de vingt années de retraite loin du monde, que son médium, la sensible Mme Y. avait acquis les facultés dont nous avions été les témoins. Le langage que je lui avais entendu employer était le langage sacré des temples, dans lesquels elle avait été instruite, non point tant par son inspiration que par les moyens que nous employons actuellement pour l'étude des langues, les dictées, les exercices écrits, etc. Elle était même grondée et punie lorsqu'elle se montrait paresseuse ou lente. Il nous [368] dit que Jacolliot l'avait entendue dans une séance semblable, et qu'il avait reconnu des consonnances et des mots du langage sacré le  plus ancien, tel qu'il est conservé dans les temples de l'Inde, antérieure, si j'ai bonne mémoire, à l'époque du sanscrit.

En ce qui concerne les serpents qu'il avait employés dans l'opération si hâtive du rappel à la vie, ou plutôt peut-être celle d'empêcher la mort de faire son œuvre, il nous dit qu'il y avait un mystère étrange dans la relation de ces animaux avec les phénomènes de la vie et de la mort. Je compris que leur emploi était indispensable. Il avait aussi insisté sur notre silence et inaction absolus pendant toute la durée de la séance, et il repoussait d'un  ton péremptoire et presque irrité toute question qui lui était adressée à ce moment. On pouvait le voir et lui parler après ou attendre la publication de son livre, mais seul, pendant les séances, il avait le droit de parler, droit  dont il usait avec une grande volubilité, avec toute l'éloquence et la précision de diction d'un Français chez lequel se trouvent combinées la culture scientifique et une vive imagination.

J'avais l'intention de revenir à une des soirées suivantes, mais j'appris de M. Gledstanes qu'il y avait renoncé pour le moment, dégoûté de son insuccès à obtenir la présence de ses confrères et des hommes de science, pour assister à ce qu'il se proposait de faire voir.

A part quelques détails sans intérêt, voilà à peu près tout ce dont je puis me souvenir de cette étrange soirée magique. Je vous ai donné confidentiellement le nom et l'adresse du Dr X. parce qu'il parait avoir avancé plus ou moins dans la même voie que vous poursuivez dans les études de votre Société Théosophique. A part cela je suis tenu de garder ce nom secret, n'étant pas autorisé par  lui à m'en servir d'une façon quelconque pour le faire connaître.

 Je suis très respectueusement votre ami et obéissant serviteur.

 "J.-L. O'SULLIVAN".

 

Dans ce cas intéressant, le simple spiritisme s'est élevé au-dessus de sa routine et a empiété sur les limites de la magie. Les caractères de la médiumnité s'y retrouvent dans la double existence menée par la sensitive Mme Y., dans laquelle elle a une vie entièrement distincte de sa vie normale et en raison de la subordination de son individualité à une volonté étrangère, elle devient par permutation une prêtresse d'Egypte ; il en est de même dans sa personnification de l'esprit de Beethoven, et dans l'état inconscient et cataleptique dans lequel elle est plongée. D'autre part, la puissance de volonté déployée par le Dr X. sur son sujet, le tracé du cercle mystique, les évocations, la matérialisation de la fleur demandée, la réclusion et l'éducation de Mme Y., l'emploi de la baguette et sa forme, la création et l'emploi des serpents, l'empire évidemment exercé sur les forces astrales, toutes ces choses appartiennent à la magie. De pareilles expériences sont pleines d'intérêt et de valeur pour la science, mais elles se prêtent aux abus, entre les mains de praticiens moins consciencieux que l'éminent gentleman, désigné sous le nom de Dr X… Un vrai cabaliste Oriental ne conseillerait pas de les renouveler. [369]

Des sphères inconnues sous nos pieds, des sphères encore plus inconnues et plus inexplorées encore au-dessus de nous, entre les deux, une poignée de taupes aveugles à la grande lumière Divine et sourdes aux murmures du monde invisible, mais se vantant de guider l'humanité. Où ? En avant à ce qu'elles prétendent mais nous avons le droit d'en douter. Le plus grand de nos physiologistes, si on le place à côté d'un fakir hindou, qui ne sait ni lire ni écrire, sera forcé d'admettre qu'il est aussi ignorant qu'un écolier qui a négligé d'apprendre sa leçon. Ce n'est pas en vivisectant des animaux vivants, qu'un physiologiste s'assurera de l'existence de l'âme humaine et ce n'est pas à la pointe du scalpel qu'il la retirera du corps humain. "Comment l'homme sain d'esprit, demande M. Sergeant Cox, Président de la Société psychologique de Londres, ne connaissant rien du magnétisme ou de la physiologie, n'ayant jamais assisté à une expérience ou étudié ses principes, voudrait-il passer pour un imbécile, en niant les faits et en condamnant la théorie ?" La réponse sincère à cette question devrait être : "Les deux tiers de nos savants modernes sont dans ce cas".

 L'impertinence, si la vérité est jamais impertinente, doit être laissée à la responsabilité de celui qui l'a énoncée, un savant du petit nombre de ceux qui ont assez de courage et d'honnêteté pour dire de salutaires vérités quelque désagréables qu'elles puissent être. Et il n'y a pas à se méprendre sur la portée réelle de l'imputation, car immédiatement après l'irrévérencieuse question, le savant conférencier remarque avec la même pertinence : "Le chimiste prend à l'électricien son électricité, le physiologiste se tourne du côté du géologue pour ce qui a trait à la géologie, et chacun d'eux considérerait comme une impertinence si l'autre prononçait un jugement dans la branche de connaissances qui n'est pas la sienne. Il est donc étrange, mais aussi vrai qu'étrange, que l'on mette entièrement de côté cette règle rationnelle de conduite, lorsqu'il s'agit de la psychologie. Les savants physiciens se croient compétents pour prononcer un jugement dogmatique sur la psychologie et tout ce qui la concerne sans avoir vu un seul de ses phénomènes, et dans l'ignorance complète de ses principes et de sa pratique 605.

Nous avons le sincère espoir que les deux éminents biologistes, M. Mendeleyeff de Saint-Pétersbourg, et M. Ray Lankester de Londres, se comporteront sous ce coup aussi bravement que leurs victimes vivantes, lorsqu'elles palpitent sous leurs scalpels qui les dissectent.

605 The Spirituatist, Londres, 10 nov. 1876.

 

Pour qu'une croyance soit devenue universelle, il faut qu'elle ait été fondée sur une immense accumulation de faits, tendant à la confirmer et à la fortifier, d'une génération à l'autre. En tête de [370] ces sortes de croyances, figure la magie, ou si on le préfère, la psychologie occulte. Quel est celui parmi ceux qui reconnaissent son incroyable puissance même si on en juge par ses effets faibles et à moitié paralysés dans nos pays civilisés, qui refusera de croire aux assertions de Porphyre et de Proclus, que même des objets inanimés tels que des statues de dieux, peuvent être amenées à se mouvoir et à manifester pendant quelques instants des symptômes d'une vie factice ? Qui se fait fort de le démentir ? Sont-ce ceux qui journellement attestent par leur signature qu'ils ont vu des tables et des sièges se mouvoir et marcher, des  crayons  écrire,  sans contact ? Diogène Laërce nous parle d'un certain philosophe, Stilpo, qui fut exilé d'Athènes par l'Aréopage, pour avoir osé nier publiquement que la Minerve de Phidias était autre chose qu'un bloc de marbre 606. Mais notre siècle actuel, après avoir mimé les anciens dans toutes choses et jusque dans leurs dénominations, telles que "Sénats", "préfets" et "consuls", etc. ; après avoir admis que Napoléon le Grand a conquis les trois quarts de l'Europe en appliquant les principes de l'art de la guerre enseignés par les Césars et les Alexandres, ce siècle, disons-nous, se croit tellement supérieur à ses précepteurs pour ce qui a trait à la psychologie, qu'il serait capable d'envoyer à Charenton tous ceux qui croient aux "tables animées".

Quoi qu'il en soit, la religion des anciens est la religion de l'avenir. Encore quelques siècles, et il n'y aura plus de croyances sectaires dans aucune des grandes religions de l'humanité. Le Brahmanisme et le Bouddhisme, le Christianisme et le Mahométisme disparaîtront  tous devant la puissante poussée des faits. "Je répandrai mon esprit sur toute chair", écrit le prophète Joël. "En vérité, je vous le dis, vous accomplirez de plus grandes choses que celles-ci", promet Jésus. Mais cela ne pourra avoir lieu que lorsque le monde reviendra à la grande religion du passé ; la connaissance de ces majestueux systèmes qui ont précédé de beaucoup le Brahmanisme, et même le monothéisme primitif des anciens Chaldéens. En attendant rappelons-nous les effets directs du mystère révélé. Les seuls moyens à l'aide desquels les savants prêtres de l'antiquité parvenaient à inculquer dans l'esprit obtus des masses l'idée de Toute-puissance de la volonté créatrice ou CAUSE PREMIÈRE, étaient l'animation divine de la matière inerte ; l'âme infusée en elle par la puissante volonté de l'homme image microscopique du grand Architecte, et le transport d'objets lourds à travers l'espace et les obstacles matériels.

606 [Vies, "Stilpo", § 116.]

 

Pourquoi par exemple le pieux catholique romain se détournerait-il avec répugnance des pratiques "païennes" des Tamils [371]  hindous ? Nous avons vu le miracle de saint Janvier dans la bonne ville de Naples, et nous avons vu la même chose à Nargercoil dans l'Inde. Où  est  la différence ? Le sang coagulé du saint catholique est amené à bouillir et fumer dans son flacon de cristal pour la plus grande satisfaction des lazzaroni ; et de sa châsse précieuse, l'idole du martyr prodigue ses gracieux sourires et ses bénédictions sur la congrégation chrétienne. D'un autre côté, une boule de terre glaise remplie d'eau est pressée dans la poitrine ouverte du dieu Surân ; et tandis que le pâdre secoue sa fiole et produit son "miracle" du sang, le prêtre hindou plonge une flèche dans la poitrine du dieu et produit son "miracle" ; car le sang coule à flots et l'eau est changée en sang. Les chrétiens et les hindous s'extasient, l'un comme l'autre, à la vue d'un pareil miracle. Jusqu'ici nous ne voyons pas grande différence entre les deux. Mais alors, est-ce le païen qui a appris le truc de saint Janvier ?

"Sache ô Asclepius, dit Hermès, que comme le Très- Haut est le père des dieux célestes, de même l'homme est l'artisan des dieux qui résident dans les temples, et qui se plaisent dans la société des mortels. Fidèle à son origine et sa nature, l'humanité persévère dans cette imitation de la puissance divine ; et si le Père Créateur a fait à son image les dieux éternels, le genre humain, à son tour, façonne ses dieux à sa propre image !" "Et parles-tu des statues des dieux, ô Trismégiste ?" "Véritablement, oui, Asclepius et quelque grande que soit ta méfiance, ne perçois-tu pas que ces statues sont douées de raison, qu'elles sont animées par une âme, et qu'elles peuvent opérer les plus grands prodiges ? Comment pouvons- nous repousser l'évidence, lorsque nous voyons ces dieux posséder le don de prédire l'avenir, qu'ils sont obligés de révéler, lorsqu'on les y force par des charmes magiques, comme ils le font par l'organe de leurs prêtres et par les visions ?... C'est la merveille des merveilles que l'homme puisse avoir inventé et créé des dieux... En vérité, la foi de nos ancêtres s'est trompée, et, dans leur orgueil, ils sont tombés dans l'erreur sur l'essence précise dans ces dieux... Mais ils ont néanmoins découvert cet art par eux- mêmes. Impuissants à créer l'âme et l'esprit, ils évoquent les âmes des anges et des démons, pour les introduire dans les statues consacrées ; et ils les font présider de la sorte à leurs mystères en communiquant à des idoles leur propre faculté de faire le bien de même que le mal" 607.

607 [Cf. L. Ménard, Hermès Trismegiste, Paris, 1867, pp. 146, 167-168.]

 

Ce n'est pas seulement l'antiquité qui est remplie de preuves que les statues et les idoles des dieux manifestaient de l'intelligence et le pouvoir de la locomotion. En plein XIXème  siècle, nous [372] voyons des  journaux qui racontent les escapades de la statue de Notre-Dame de Lourdes. Cette gracieuse dame, la Notre-Dame Française, s'enfuit souvent dans les bois qui entourent sa résidence habituelle, l'église paroissiale. Le sacristain a été obligé plus d'une fois de courir après la fugitive, et de la ramener à son domicile 608. Après cela, commence une série de "miracles", guérisons, prophéties, lettres tombées du ciel, que sais-je ? Ces "miracles" sont implicitement admis par des millions et des millions de catholiques, et bon nombre de ceux-ci appartiennent aux classes les plus intelligentes et les plus instruites. Pourquoi alors refuserions nous d'ajouter foi aux témoignages de même nature, qui ont rapport à des phénomènes contemporains de même genre racontés par les historiens les plus accrédités et les plus estimés, par Tite-Live, par exemple ? "Junon, vous plairait-il d'abandonner les murs de Veiès, et de changer ce séjour pour celui de Rome ?" demanda à la déesse un soldat Romain, après la conquête de cette ville. Junon consent et secouant la tête en signe d'acquiescement, sa statue répond : "Oui, je le veux bien". De plus, lorsqu'on se met en devoir de transporter son image, elle paraît instantanément "avoir perdu son grand poids", ajoute l'historien, et la statue semble plutôt suivre ses porteurs qu'être portée par eux 609.

608 Lire à ce sujet n'importe quel journal de l'été et l'automne de 1876.

609 Tite-Live, V, déc. 1. Valère Maxime, 1 cap. VII.

610 Voir Les Hauts Phénomènes de la Magie. La Magie au XIXème siècle, Dieu et les Dieux, etc.

 

Avec une naïveté et une foi qui touche au sublime, des Mousseaux se lance à corps perdu dans de dangereux parallèles et fournit une quantité d'exemples de miracles de ce genre, chrétiens aussi bien que "païens". Il donne une liste de ces statues ambulantes de saints ou de madones qui perdent leurs poids et qui se meuvent comme autant d'êtres vivants, hommes ou femmes ; il offre des preuves irréfutables de ces faits, tirées des auteurs classiques qui ont décrit leurs miracles 610. Il n'a qu'une pensée, qu'un désir violent qui domine tout, c'est de prouver à ses lecteurs que la magie existe, et que le christianisme en triomphe complètement ; non pas que les miracles de ce dernier soient plus nombreux ou plus extraordinaires, plus concluants que ceux des païens ; nullement, car c'est un historien honnête, quant aux faits et aux preuves. Mais ce sont ses arguments et ses réflexions qui sont impayables ; ainsi, un genre de miracles est produit par Dieu, et l'autre par le diable ; il rabaisse la divinité pour la placer face à face avec Satan, et il met ainsi l'ennemi à même de battre le Créateur avec avantage. Il n'a pas un mot de preuves solides et concluantes, pour démontrer la différence substantielle entre les deux genres de prodiges. [373]

Si nous lui demandons la raison pour laquelle il reconnaît dans les uns la main de Dieu, et dans les autres les cornes et la griffe du diable..., écoutons sa réponse : "La Sainte Eglise catholique apostolique et romaine déclare que les miracles opérés par ses fidèles enfants le sont par la volonté de Dieu ; et que tous les autres sont l'œuvre des esprits infernaux". Très bien, mais sur quoi se base-t-on ? On nous exhibe alors une liste qui n'en finit pas, d'auteurs sacrés ; de saints, qui toute leur vie ont lutté contre les démons ; et de pères dont la parole et l'autorité sont acceptées comme la "parole de Dieu", par cette même église. "Vos idoles, vos statues consacrées sont la demeure des démons, s'écrie saint Cyprien. Oui, ce sont ces esprits qui inspirent vos prêtres, qui animent les entrailles de vos victimes, qui règlent le vol de vos oiseaux, et qui, mêlant sans cesse le mensonge avec la vérité, rendent des oracles, et... opèrent des prodiges ; leur but étant de vous amener invinciblement à leur culte 611".

611 De Idolorum Vanitate, Lib. 1, p. 452.

 

Le fanatisme religieux, le fanatisme scientifique ou tout autre fanatisme quel qu'il soit se transforme en idée fixe, et ne peut qu'aveugler nos sens. Il sera toujours inutile de discuter avec un fanatique. Et, à ce propos, nous ne pouvons nous empêcher d'admirer encore une fois la profonde connaissance de la nature humaine, qui dicte à M. Sergeant Cox les paroles suivantes dans sa conférence, dont nous avons déjà parlé. "Il n'y a pas d'erreur plus fatale que celle qui fait croire que la vérité prévaudra par sa propre force, et qu'elle n'a qu'à se montrer pour être acceptée. En réalité le désir de la vérité n'existe que chez très peu d'esprits, et  l'aptitude à la discerner chez un nombre encore plus restreint. Lorsque les hommes disent qu'ils recherchent la vérité, ils veulent dire qu'ils  recherchent quelque preuve à l'appui d'un préjugé ou d'une opinion préconçue. Leurs croyances se modèlent sur leurs désirs ; ils voient tout, et plus que tout ce qui parle en faveur de ce qu'ils désirent ; mais ils sont aveugles comme des chauves-souris, pour tout ce qui leur est contraire. Les savants ne sont pas plus exempts de ce travers que les autres".

Nous savons que depuis les temps les plus reculés il a existé une mystérieuse et redoutable science connue sous la dénomination de theopoiia. Cette science enseignait l'art de doter d'intelligence et d'une existence temporaire les divers symboles des dieux. Des statues et des blocs de matière inerte s'animaient, sous la volonté toute puissante du hiérophante. Le feu dérobé par Prométhée, dans la lutte, était tombé sur la terre ; il remplissait les régions inférieures du ciel, et, fixé dans les vagues de l'éther universel, comme le puissant Akasha des rites hindous. Nous le respirons, et notre système [374] organique s'en imprègne avec chaque bouffée d'air frais. Notre organisme en est rempli depuis l'instant de notre naissance. Mais sa puissance ne s'exerce que sous l'influence de la VOLONTE et de l'ESPRIT.

Abandonné à lui-même, ce principe de vie suit aveuglément les lois de la nature ; et suivant les circonstances, il produit la santé et une exubérance de vie, ou il provoque la mort et la dissolution. Mais, guidé par la volonté de l'adepte, il devient obéissant ; ses courants rétablissent l'équilibre dans les corps organiques, remplissent le vide, et produisent les miracles physiques et psychologiques bien connus des magnétiseurs. Infusés dans la matière inorganique et inerte, ils créent l'apparence de la vie, et le mouvement. Si à cette vie et à cette intelligence individuelle il manque une personnalité, l'opérateur doit ou envoyer son scin-lecca, son propre esprit astral, pour l'animer, ou bien faire usage de son pouvoir sur les esprits de la nature, pour forcer l'un d'entre eux à infuser dans le marbre, le bois ou le métal sa propre entité, ou enfin, se servir du concours des esprits humains. Mais ces derniers, si l'on en excepte ceux qui sont vicieux, catégorie attachée à la terre 612, ne consentent pas à infuser leur essence à ces objets inanimés. Ils laissent aux catégories inférieures le soin de produire le semblant de la vie et da mouvement, et ils ne font sentir leur influence sur les sphères intermédiaires, comme un rayon de la lumière divine, que lorsque le prétendu "miracle" est sollicité pour un bon but. La condition essentielle pour cela, et c'est la loi de la nature spirituelle, est la pureté d'intention, pureté de l'atmosphère magnétique ambiante, et pureté personnelle de l'opérateur. C'est ainsi qu'un "miracle" païen peut être beaucoup plus saint qu'un miracle chrétien.

 612 Ceux-ci après leur mort corporelle, incapables de s'élever plus haut, retenus dans les régions terrestres, se complaisent dans la société d'une catégorie d'élémentaux vers lesquels leur attachement au vice les attire le plus. Ils s'identifient avec eux à tel point, que bientôt ils en viennent à perdre de vue leur propre identité, et finissent par faire partie de ces élémentaux, dont le concours leur est nécessaire pour communiquer avec les mortels. Mais comme les esprits de la nature ne sont pas immortels, de même les élémentaires humains qui ont perdu leur guide divin, l'esprit, peuvent n'avoir point d'autre durée que l'assemblage d'essence des éléments qui composent leur corps astral.

 

Quel est celui qui, ayant été témoin des exercices des fakirs dans l'Inde méridionale, pourrait douter de l'existence de la theopoiia dans l'antiquité ? Un sceptique invétéré, tout désireux qu'il soit d'attribuer tous les phénomènes à la jonglerie, se voit contraint de proclamer les faits ; et ces faits peuvent être vus journellement si on le veut. "Je n'ose décrire, dit- il en parlant de Chibh-Chondor, fakir de Jaffna-patnam, tous les exercices auxquels il s'est livré. Il est des choses qu'on n'ose pas rapporter, même [375] lorsqu'on les a parfaitement vues, de peur qu'on ne vous accuse d'avoir été sous l'influence d'une hallucination inexplicable ! Et pourtant, dix fois, que dis-je, vingt fois, j'ai vu et revu le fakir obtenir les mêmes résultats sur la matière inerte... C'était un jeu d'enfant pour notre "charmeur", que de faire pâlir et s'éteindre la flamme des bougies, placées, sur ses indications, dans les coins les plus éloignés de la chambre ; de faire mouvoir les meubles sans en excepter les sophas sur lesquels nous étions assis, de faire ouvrir les portes et se refermer à plusieurs reprises, et tout cela, sans quitter la natte sur laquelle il était assis...

"Peut-être me dira-t-on que j'ai vu imparfaitement... C'est possible... mais je répondrai que des centaines et des milliers de personnes ont vu et voient ce que j'ai vu, et des choses encore plus merveilleuses ; y en a-t-il une seule qui ait découvert le secret, et qui ait été capable, de son côté, de reproduire ces phénomènes ? Et je ne saurai trop répéter que tout cela n'a pas lieu sur une scène pourvue de mécanisme et machinée pour l'usage de l'opérateur. Non ; c'est un mendiant nu, accroupi par terre qui se joue ainsi de votre intelligence, de vos sens, et de tout ce que nous sommes convenus d'appeler les lois immuables de la nature, et qu'il semble modifier à son gré !

Change-t-il le cours naturel des choses ? Non ; mais il les fait agir, en se servant de forces qui nous sont encore inconnues, disent les croyants. Quoi qu'il en soit, j'ai assisté vingt fois à de pareilles exhibitions, en compagnie des hommes les plus distingués de l'Inde anglaise, professeurs, médecins et officiers. Or, il n'en est pas un, parmi eux, qui n'ait résumé ses impressions en quittant le salon où elles avaient eu lieu, en disant : C'est véritablement assombrissant pour l'intelligence humaine ! Chaque fois que j'ai vu reproduire par un fakir l'expérience de mettre les serpents en état de catalepsie, situation dans laquelle ces animaux ont la rigidité d'une branche d'arbre, mes pensées se reportaient vers la fable biblique [?] qui attribue à Moise et aux prêtres  de Pharaon un pouvoir analogue 613".

Certes il doit être aussi facile de doter la chair de l'homme, de la bête, et de l'oiseau du principe de vie magnétique, que la table inerte du médium moderne. Ou bien ces deux prodiges sont possibles et véritables, ou alors tous deux s'écroulent avec les miracles du temps des Apôtres, et ceux des temps plus modernes de l'Eglise papale. Quant aux preuves vitales qu'on nous donne en faveur de ces possibilités, nous pourrions citer plus de ces livres qu'il n'en faut pour remplir toute une bibliothèque. Si Sixte V a donné les noms d'une formidable cohorte d'esprits attachés à divers [376] talismans, sa menace d'excommunication contre tous ceux qui pratiquaient cet art n'a-t-elle pas été faite parce qu'il voulait que ce secret restât confiné dans le sein de l'Eglise ? Que serait-il advenu si ses miracles divins avaient été étudiés et reproduits avec succès, par tout individu doué de persévérance, d'un pouvoir magnétique positif énergique, et d'une inébranlable volonté ? Les récents événements de Lourdes (en supposant, naturellement, qu'ils aient été rapportés fidèlement) démontrent que le secret n'en est pas tout à fait perdu ; et si quelque puissant magnétiseur magicien ne se cache pas, sous le froc et le surplis, la statue de Notre- Dame est mue par les mêmes forces qui font mouvoir toute table magnétisée, dans les séances de spiritisme, et la nature de ces "intelligences", qu'elles appartiennent à la catégorie des esprits humains, ou à celles des élémentaires humains ou des esprits élémentaux, dépend de conditions fort diverses. Quiconque connaît un peu de magnétisme, et en même temps l'esprit charitable de l'Eglise catholique romaine, comprendra aisément que les malédictions incessantes des prêtres et des moines, les anathèmes amers si copieusement lancés par Pie IX, puissant magnétiseur lui-même, et réputé Jettatore (mauvais œil), ont mis des légions d'élémentaires et d'élémentaux sous les ordres des Torquemadas désincarnés. Ce sont là les "anges" qui font des espiègleries avec la statue de la Reine du Ciel. Tout individu qui admet le "miracle" et pense autrement commet un blasphème.

 613 L. Jacolliot, Voyage au pays des Perles, Paris, 1874, pp. 95-97.

 

Bien qu'on puisse croire que nous avons déjà donné assez de preuves que la science moderne n'a que très peu ou pas de raisons de se vanter d'originalité, nous en donnerons encore quelques-unes avant de terminer ce volume, afin de ne laisser aucun doute à cet égard. Nous n'avons pour cela qu'à récapituler, aussi rapidement que possible, les diverses prétentions à de nouveaux systèmes de philosophie, et à des découvertes dont l'annonce a fait ouvrir grand les yeux au monde pendant les deux derniers siècles. Nous avons signalé les découvertes des anciens Egyptiens, Grecs, Chaldéens et Assyriens dans les arts, les sciences et la philosophie ; nous citerons maintenant un auteur quia passé de longues années dans l'Inde à étudier sa philosophie. Dans le célèbre et récent ouvrage Christna et le Christ, nous trouvons la nomenclature suivante 614.

 614 [Pages 372-375.]

 

"Philosophie : Les anciens Hindous ont créé depuis la fondation, les deux systèmes du spiritualisme et du matérialisme, de la philosophie métaphysique et de la philosophie positive. La première était enseignée dans l'école Védantine fondée par Vyasa ; [377] la seconde était professée dans l'école de Sankhya, dont le fondateur fut Kapila.

Science Astronomique : Ils établirent le calendrier, inventèrent le Zodiaque, calculèrent la précession des équinoxes, découvrirent les lois générales des mouvements des astres et observèrent et prédirent les éclipses.

Mathématiques : Ils inventèrent le système décimal, l'algèbre et les calculs différentiel, intégral et infinitésimal. Ils découvrirent aussi la géométrie et la trigonométrie, et, dans ces deux sciences, ils construisirent  et  démontrèrent  des  théorèmes  qui n'ont été découverts en Europe qu'au XVIIème et au XVIIIème siècles. Ce furent les Brahmanes qui, de fait, établirent les premiers la mesure de la surface d'un triangle d'après le calcul de ses trois côtés, et calculèrent la relation de la circonférence au diamètre. De plus, nous devons leur restituer le carré de l'hypoténuse et la table si improprement dite de Pythagore, que nous trouvons gravée dans les gopouras de la plupart des grandes pagodes.

Physique : Ils établirent le principe en vigueur encore aujourd'hui, que l'univers est un tout harmonique, sujet à des lois qui peuvent être déterminées par l'observation et l'expérience. Ils découvrirent l'hydrostatique ; et la fameuse proposition que tout corps plongé dans l'eau perd de son poids une quantité égale au poids du volume d'eau qu'il déplace, n'est qu'un emprunt fait aux Brahmanes par le célèbre architecte grec Archimède. Les physiciens des pagodes avaient calculé la vitesse de la lumière, fixé d'une façon définitive les lois de la réflexion, et enfin, il est hors de doute, d'après les calculs de Sourya-Sidhanta, qu'ils connaissaient et avaient mesuré la force de la vapeur.

Chimie : Ils connaissaient la composition de l'eau, et ils avaient formulé, en ce qui concerne les gaz, la fameuse loi que nous ne connaissons que d'hier, que le volume des gaz est en raison inverse de la pression à laquelle ils sont soumis. Ils connaissaient la manière de préparer les acides sulfurique, azotique et muriatique ; les oxydes de cuivre, de fer, de plomb, d'étain et de zinc ; les sulfures de fer, de cuivre, de mercure, d'antimoine et d'arsenic ; les sulfates de zinc et de fer ; les carbonates de fer, de plomb et de soude ; le nitrate d'argent ; et la poudre.

Médecine : Leurs connaissances étaient véritablement surprenantes. Dans Tchakara et Sousrouta, les deux princes de la médecine hindoue, se trouve posé le système que plus tard s'est approprié Hippocrate. Sousrouta principalement énonce les principes de la médecine préventive ou hygiène, qu'il place bien au- dessus [378] de la médecine curative, trop souvent empirique, suivant lui. Sommes-nous aujourd'hui plus avancés ? Il n'est pas sans intérêt de faire remarquer que les médecins arabes, qui jouissaient au moyen âge d'une célébrité  méritée,  et  Averroes  entre  autres,     parlaient constamment des médecins hindous et les considéraient comme les initiateurs des Grecs eux-mêmes.

Pharmacologie : Ils connaissaient tous les simples, leurs propriétés, leur emploi ; et sur ce point ils n'ont pas encore cessé de donner des leçons à l'Europe. Tout récemment nous avons reçu d'eux le mode de traitement de l'asthme, par le datura.

Chirurgie : Dans cette branche, ils n'étaient pas moins remarquables. Ils faisaient l'opération de la pierre, réussissaient admirablement dans celle de la cataracte, dans l'extraction du fœtus, dont tous les  cas exceptionnels et dangereux sont décrits par Tchakara avec une extraordinaire exactitude scientifique.

Grammaire : Ils ont créé la langue la plus merveilleuse qu'il y ait dans le monde – le Sanscrit – qui a donné naissance à la plus grande partie des idiomes de l'Orient et des contrées Indo-Européennes.

Poésie : Ils ont traité tous les genres et se sont montrés maîtres suprêmes dans tous, Sakountala, Avrita la Phèdre Indoue, Saranga et un millier d'autres drames n'ont pas été surpassés par Sophocle, Euripide, Corneille ou Shakespeare. Leur poésie descriptive n'a jamais été égalée. Il faut lire, dans Megadouta, la "Plainte d'un Exilé" qui implore un nuage qui passe et le prie de porter ses souvenirs à sa maison, à ses parents et à ses amis qu'il ne reverra plus, pour se faire une idée de la splendeur à laquelle ce style atteint dans l'Inde. Leurs fables ont été copiées par tous les peuples anciens et modernes, qui ne se sont pas même donné la peine de donner des couleurs différentes aux sujets de ces petits drames.

Musique : Ils ont inventé la gamme avec ses différences de tons et de demi-tons, longtemps avant Gui d'Arezzo. Voici la gamme hindoue : SA – RI – GA – MA – PA – DA – NI – SA.

 Architecture : Ils paraissent avoir épuisé tout ce que le génie de l'homme est capable de concevoir. Des dômes d'une hardiesse inexprimable ; des coupoles élancées, des minarets à dentelle de marbre, des tours gothiques, des hémicycles grecs, le style polychrome, tous les genres et toutes les époques s'y trouvent, indiquant clairement l'origine et la date des différentes colonies qui, en émigrant, apportaient avec elles les souvenirs de leur art indigène". [379]

Tels furent les résultats de cette ancienne et imposante civilisation Brahmanique. Qu'avons-nous à offrir en comparaison ? A côté de ces majestueuses œuvres du passé, que pouvons-nous mettre en parallèle qui puisse paraître assez grandiose et sublime pour justifier nos prétentions de supériorité sur d'ignorants ancêtres ? Auprès des inventeurs de  la géométrie et de l'algèbre, des constructeurs du langage humain, des pères de la philosophie, des premiers maîtres de la religion, des adeptes de la science psychologique et physique, combien petits paraissent même les plus grands de nos biologistes et de nos théologiens ! Que l'on nous cite une découverte moderne quelle qu'elle soit et nous nous faisons forts de dire qu'il n'est pas nécessaire de chercher longtemps dans  l'histoire de l'Inde pour en trouver le prototype dans ses annales. Nous en sommes à la transition de la science à moitié achevée, et cherchant à faire concorder nos idées avec les théories de la corrélation des forces, de la  sélection naturelle, de la polarité atomique et de l'évolution. Et voici, pour railler notre vanité, nos appréhensions et notre désespoir, que nous lisons ce que disait Manou, 10.000 ans peut-être avant la naissance du Christ :

"Le premier germe de vie fut développé par l'eau et la chaleur". (Manou, livre Ier , Sloka, 8, 9).

"L'eau monte vers le ciel à l'état de vapeurs ; du soleil elle retombe en pluie, de la pluie naissent les plantes, et des plantes les animaux". (Livre III, Sloka, 78).

"Chaque être acquiert les qualités de celui qui le précède immédiatement, de telle manière que, plus un être s'éloigne de l'atome primitif de sa série, plus il possède de qualités et de perfections". (Livre I", Sloka, 20).

 "L'homme traverse l'univers, en montant graduellement, et passant par les rochers, les plantes, les vermisseaux, les insectes, les poissons, les serpents, les tortues, les animaux sauvages, le bétail et les animaux supérieurs... C'est le degré inférieur". (Livre XII, Sloka 42).

Telles sont les transformations déclarées depuis la plante jusqu'à Brahma, qui doivent s'opérer en ce monde. (Livre I, Sloka 50).

"Le Grec, dit Jacolliot, n'est que le Sanscrit. Phidias et Praxitèle ont étudié en Asie les chefs-d'œuvre de Daouthia, Ramana et Aryavosta. Platon disparaît devant Jaimini et Veda-Vyasa, qu'il copie littéralement. Aristote est mis dans l'ombre par le Pourva-Mimansa et l'Outtara-Mimansa dans lesquels on trouve tous les systèmes de philosophie que nous nous occupons actuellement à rééditer, depuis le Spiritualisme de Socrate et de son école, le scepticisme de Pyrrhon, Montaigne et Kant jusqu'au positivisme de Littré. [380]

"Que ceux qui doutent de l'exactitude de cette dernière affirmation lisent cette phrase prise textuellement dans l'OuttaraMimansa, ou Védanta de Vyasa, qui  vivait à une  époque  que  la  chronologie  Brahmanique  fixe à 10.400 ans avant notre ère "Nous ne pouvons qu'étudier les phénomènes, les vérifier et les considérer comme relativement vrais, mais rien dans l'univers, ni par perception, ni par induction, ni par les sens, ni par le raisonnement n'étant capable de démontrer l'existence d'une Cause Suprême qui pourrait, à un certain point du temps, avoir donné naissance à l'univers, la Science n'a à discuter ni la possibilité, ni l'impossibilité de cette Cause Suprême" 615.

615 [L. Jacolliot, Voyage au pays des Perles, pp. 38-39.]

 

C'est ainsi que graduellement, mais sûrement, toute l'antiquité sera réhabilitée. La vérité sera soigneusement débarrassée des exagérations ; bien des choses qu'on traite aujourd'hui de fiction, seront démontrées être des faits, et on reconnaîtra que les "faits et lois" de la science moderne appartiennent aux limbes des mythes surannés. Lorsque, des siècles avant notre ère, l'hindou Brahmagoupta affirmait que la sphère étoilée était immobile, et que le lever et le coucher quotidien des astres confirme le mouvement de la terre sur son axe ; et lorsque Aristarque de Samos, né 27 ans avant Jésus-Christ, et le philosophe Pythagoricien Niceta de Syracuse soutenaient la même chose, quel crédit a-t-on accordé à leurs théories, jusqu'à l'époque de Copernic et de Galilée ? Et combien de temps le système de ces deux princes de la Science, système qui a révolutionné le monde entier, restera-t-il un tout complet et ininterrompu ? N'avons-nous pas à l'heure présente en Allemagne, un savant, un professeur Shoëpfer, qui essaie de démontrer dans des conférences publiques à Berlin : 1° que la terre est immobile ; 2° que le soleil n'est qu'un peu plus grand qu'il ne paraît ; et 3° que Tycho-Brahe avait parfaitement raison, et Galilée tout à fait tort ? 616. Or, quelle était la théorie de Tycho-Brahe ? Que la terre se tient immobile au centre de l'univers, et qu'autour d'elle, comme autour de son centre, toute la voûte céleste gravite toutes les vingt-quatre heures ; et finalement, que le soleil et la lune, outre ce mouvement, procèdent sur des lignes courbes qui leur sont spéciales, tandis que Mercure, avec le reste des planètes, décrit une épicycloide.

Nous n'avons certainement pas l'intention de perdre notre temps, ni la place, pour réfuter ou soutenir cette nouvelle théorie, que nous soupçonnons fort de ressembler à celles déjà anciennes [381] d'Aristote, et même du vénérable Bède. Nous laisserons la savante armée des académiciens modernes "laver leur linge sale en famille", pour nous servir de l'expression du grand Napoléon. Mais nous nous prévaudrons, néanmoins, de l'excellente occasion que nous fournit cette défection, pour demander une fois de plus à la science son diplôme ou son brevet d'infaillibilité. Hélas, sont-ce donc là les résultats du progrès tant vanté ?

616 Dernières déductions de la Science ; la Terre immobile. Conférence démontrant que notre globe ne tourne ni sur son axe ni autour du soleil ; faite à Berlin par le Dr Shoëpfer. Septième édition.

 

Ce n'est que tout dernièrement, par les choses que nous avons observées, confirmées par le témoignage d'une multitude de témoins, que nous avons timidement risqué l'assertion que des tables, des médiums et des fakirs hindous étaient parfois lévités. Et lorsque nous ajoutions que, si de pareils phénomènes ne se produisaient même qu'une fois dans  le courant d'un siècle, "sans cause mécanique visible, cette élévation est la manifestation d'une loi naturelle, que nos savants ignorent  encore", on nous traita "d'iconoclaste" et on nous accusa, à notre tour, dans les journaux, d'ignorer les lois de la gravitation. Iconoclastes ou non, nous n'avons jamais pensé à accuser la science de nier la rotation de la terre sur son axe, ni sa révolution autour du soleil, nous pensions au moins voir ces deux flambeaux installés et entretenus jusqu'à la fin des temps dans le phare académique. Mais, hélas ! voici qu'un professeur de Berlin arrive et détruit notre dernier espoir de voir la Science prouver son exactitude au moins sur un point. Le cycle, certes, est parvenu à son point le plus bas, et une nouvelle ère commence. La terre est immobile, et Josué est justifié !

Jadis, en 1876, le monde croyait à la force centrifuge, et la théorie newtonnienne, qui expliquait l'aplatissement des pôles par le mouvement de rotation de la terre autour de son axe, était orthodoxe. Suivant cette hypothèse, on croyait que la plus grande partie de la masse du globe gravitait vers l'équateur ; et, à son tour, la force centrifuge, agissant de toute sa puissance sur cette masse, la forçait à se concentrer autour de l'équateur. De cette manière les savants crédules s'imaginaient que la terre tournait autour de son axe, car s'il en avait été autrement, il n'existerait pas de force centrifuge, et, sans cette force, il n'y aurait pas de gravitation vers les latitudes équatoriales. C'était une des preuves admises du mouvement de rotation de la terre, et c'est cette déduction, jointe à plusieurs autres, que le professeur de Berlin déclare "rejeter, de concert avec bien d'autres savants".

"N'est-il pas ridicule, Messieurs, dit-il, que, nous fiant à ce qui nous a été enseigné à l'école, nous ayons  accepté la rotation de la terre autour de son axe, comme un fait pleinement démontré, alors que rien ne le prouve, et que cela ne peut pas être démontré ? N'est-il pas étonnant que les savants du monde instruit, à commencer [382] par Copernic et Kepler, aient accepté dès le principe un mouvement de cette nature et en soient encore, trois siècles et demi plus tard, à rechercher les preuves de ce fait ? Mais hélas, il fallait s'y attendre nous avons beau chercher, nous n'en trouvons aucune. Tout, tout est en vain !

Ainsi, d'un seul coup, le monde perd son mouvement de rotation, et l'univers est dépouillé de ses gardiens et protecteurs, les forces centrifuge et centripète. Bien plus, l'éther lui-même, rejeté de l'espace, n'est qu'un "mensonge", un mythe né de la mauvaise habitude d'employer des mots creux et vides ; le soleil est un imposteur, qui a des prétentions à des dimensions auxquelles il n'a pas droit ; les étoiles sont des points étincelants, et "ont été ainsi expressément disposées à des distances considérables les unes des autres par le Créateur de  l'univers, probablement avec l'intention de leur faire éclairer simultanément les vastes espaces sur la surface de notre globe", dit le Dr Shoëpfer.

En sommes-nous donc à ce point que trois siècles et demi n'aient pas suffi aux hommes de science pour édifier une théorie qu'aucun professeur d'université n'oserait attaquer ? Si l'astronomie, l'unique science fondée sur l'inébranlable base des mathématiques, la seule de toutes qui soit réputée aussi infaillible et inattaquable que la vérité elle-même, peut être ainsi, avec irrévérence, accusée de tromperie, qu'avons-nous donc gagné à discréditer Platon au profit des Babinets ? Comment donc se risquera-ton à rallier le plus humble observateur qui, honnête et intelligent à la fois, viendra dire qu'il a vu un phénomène médiumnique ou magique ? Et comment osera-t-on assigner des "limites à l'examen philosophique", limites que l'on ne saurait dépasser légitimement ? Et ces faiseurs d'hypothèses en désaccord les uns avec les autres se permettent encore d'accuser les géants intellectuels du passé, qui maniaient les forces de la nature comme des Titans constructeurs de mondes, et portaient la race mortelle à une telle hauteur, qu'elle s'y alliait avec les dieux ! Etrange destinée d'un siècle qui se glorifie d'avoir élevé la science exacte  au sommet de la renommée, et que l'on invite maintenant à retourner en arrière et à recommencer à apprendre son A. B. C.

Si nous récapitulons les preuves contenues dans cet ouvrage, si nous commençons aux temps archaïques et inconnus de l'Hermétique Pimandre, pour en arriver à l'année 1876, nous trouvons qu'une croyance universelle à la magie a traversé tous ces siècles. Nous avons exposé les idées de Trismégiste, dans son dialogue avec Asclepius ; et sans faire mention des mille et une preuves de la prédominance de cette croyance dans les premiers temps du christianisme, il suffit, pour atteindre notre but, de citer un auteur ancien, et un moderne. Le premier sera le grand philosophe Porphyre [383] qui, plusieurs milliers d'années après Hermès, fit, au sujet du scepticisme dominant de son siècle, l'observation suivante : Nous ne devons pas être surpris de voir les masses vulgaires (οὶ πολλοί) n'apercevoir dans les statues que la pierre et le bois. Il en est généralement ainsi chez ceux qui, ignorants dans les lettres, ne trouvent dans les stèles couvertes d'inscriptions que de la pierre, et dans les livres écrits, autre chose qu'un tissu de papyrus". Et 1.500 ans plus tard, nous voyons M. Sergeant Cox, rapporter un cas de honteuse persécution d'un médium, par un matérialiste tout aussi aveugle, exprimer les mêmes idées : "Que le médium soit coupable ou non... il est certain que son procès a eu pour effet fort inattendu d'attirer l'attention du public tout entier sur le fait que l'on affirme que les phénomènes sont véritables, et qu'un grand nombre d'examinateurs compétents affirme qu'ils sont vrais et que toute personne peut, si bon lui semble, se convaincre par elle-même, de leur réalité au moyen d'un examen approprié démolissant ainsi et pour toujours les ténébreuses et dégradantes doctrines des matérialistes".

Cependant, d'accord avec Porphyre et d'autres théurgistes, qui affirmaient les différentes natures des "esprits" qui se manifestent, et l'esprit personnel ou volonté de l'homme, ajoute M. Sergeant Cox, sans s'avancer jusqu'à émettre une opinion personnelle : "Véritablement, il y a des divergences d'opinion... et peut-être y en aura-t-il toujours..., au sujet des sources de la puissance qui se manifeste dans ces phénomènes ; mais qu'ils soient le produit de la force psychique du cercle..., ou que ce soient les esprits des morts qui en soient les agents, comme certains le prétendent, ou bien encore que ce soient des esprits élémentaires (quoique cela puisse être), ainsi que le soutient un troisième, ce fait au moins est bien établi ; que l'homme n'est pas entièrement matériel, que le mécanisme de l'homme est mû et dirigé par quelque chose d'immatériel, c'est-à-dire de structure non-moléculaire, qui, non seulement possède l'intelligence, mais encore peut aussi exercer une force sur la matière, ce quelque chose enfin à qui, faute d'un meilleur terme, nous avons donné le nom d'âme. Ces heureuses notions ont été portées par ce procès à la connaissance de milliers et de myriades de personnes, dont les matérialistes avaient flétri le bonheur ici- bas et les espérances pour la vie future, en prêchant avec tant de persistance que l'âme n'était qu'une superstition, l'homme un automate, le mental une sécrétion, l'existence présente une chose purement animale, et l'avenir le néant".

"La vérité seule, dit Pimandre, est éternelle et immuable ; la vérité est le premier des bonheurs ; mais la vérité n'existe pas et ne peut pas exister sur la terre ; il est possible que Dieu favorise parfois un petit nombre d'hommes, en leur accordant la faculté [384] de comprendre les choses divines et d'entendre, comme il faut, la vérité ; mais rien n'est vrai sur terre, parce que tout y renferme de la matière, tout y est revêtu d'une forme corporelle, sujette au changement, à l'altération, à la corruption et à de nouvelles combinaisons. L'homme n'est pas la vérité, parce qu'il n'y a de vrai que ce qui a tiré son essence de lui-même, qui reste lui-même immuable. Comment ce qui change au point de n'être plus reconnaissable, pourrait-il jamais être vrai ? Donc la vérité est seulement ce qui est immatériel et n'est pas enfermé dans une enveloppe corporelle, ce qui est incolore et sans forme, exempt de changement et d'altération ; ce qui est ÉTERNEL. Tout ce qui périt est mensonge ; la terre n'est que  dissolution et génération ; chaque génération procède d'une dissolution ; les choses de la terre ne sont que des apparences et des imitations de vérité ; elles sont ce que la peinture est à la réalité. Les choses terrestres ne sont point la VERITE !… La mort, pour certaines personnes, est un mal qui les frappe d'une terreur profonde. C'est l'effet de l'ignorance… La mort est la destruction du corps ; l'être qu'il renferme ne meurt pas… Le  corps matériel perd sa forme, qui se désagrège au cours du temps : les sens qui l'animaient retournent à leur source, et reprennent leurs fonctions ; mais ils perdent graduellement leurs passions et leurs désirs, et l'esprit monte au ciel pour devenir une HARMONIE. Dans la première zone, il laisse derrière lui la faculté de croître ou de décroître ; dans la seconde, le pouvoir de faire le mal et les fraudes de l'oisiveté ; dans la troisième, les tromperies et la concupiscence ; dans la quatrième, l'ambition insatiable ; dans la cinquième, l'arrogance, l'audace et la témérité ; dans la sixième, tout désir pour les acquisitions malhonnêtes ; et dans la septième le mensonge. L'esprit ainsi purifié, par l'effet que produisent sur lui les harmonies célestes, retourne une fois de plus à son état primitif, fort d'un mérite et d'une puissance qu'il s'est acquis par lui-même, et qui lui appartiennent en propre ; et c'est seulement alors qu'il commence à habiter avec ceux qui chantent éternellement les louanges du PERE. A ce point-là, il est placé parmi les puissances, et comme tel, il arrive au  suprême bienfait de la connaissance. Il est devenu un DIEU !… Non, les choses de la terre ne sont point la vérité, 617.

617 Champollion-Figeac, Egypte, pp. 141-143 ; éd. 1847.

 

Après avoir consacré leur existence à l'étude des archives de la Sagesse de l'Egypte ancienne, Champollion-Figeac et Champollion le jeune déclarèrent publiquement, nonobstant bien des jugements contraires formulés, quelque peu au hasard, par des critiques trop pressés et peu renseignés, que les Livres d'Hermès [385] "contiennent certainement une masse de traditions Egyptiennes, que viennent confirmer tous les jours les documents les plus authentiques et les monuments de l'Egypte de l'antiquité la plus reculée" 618.

Et terminant son volumineux sommaire des doctrines psychologiques des Egyptiens, des sublimes enseignements des livres sacrés hermétiques, et des étonnantes notions des prêtres initiés, en fait de philosophie métaphysique et pratique, Champollion-Figeac recherche, autant qu'il le peut, eu égard aux preuves alors accessibles, "s'il y a jamais eu dans le monde une autre association ou caste d'hommes, qui ait pu les égaler en crédit, en puissance, en savoir, en capacités, et qui ait atteint un pareil degré de bien ou de mal ? Non, jamais ! Et cette caste n'a été par la suite maudite et stigmatisée que par ceux qui, je ne sais sous quelle sorte d'influences modernes, l'ont considérée comme l'ennemie des hommes et de la science" 619.

 618 Ibid., p. 139.

619 Champollion-Figeac, Egypte, p. 143.

 

A l'époque où Champollion écrivait ces mots, le sanscrit était, si l'on peut dire, une langue presque totalement inconnue de la science. Mais on n'aurait tiré que peu de chose d'un parallèle établi entre les mérites respectifs des Brahmanes et des philosophes Egyptiens. Depuis lors, cependant, on a découvert que les mêmes idées, exprimées presque dans des termes identiques, se retrouvent dans la littérature Bouddhique et Brahmanique. Cette philosophie même de la non réalité des choses mondaines, et de l'illusion des sens, dont les métaphysiciens allemands de notre époque ont copié en plagiaires toute la substance, forme la base des philosophies de Kapila et de Vyasa, et on la retrouve dans l'énonciation des "quatre vérités", dogmes cardinaux de la doctrine de Gautama Bouddha. L'expression de Pimandre : "il est devenu un dieu", est concentrée là, dans un seul mot : Nirvana, que nos savants orientalistes considèrent fort improprement comme synonyme d'annihilation !

Cette opinion de deux éminents Egyptologues est de la plus haute importance pour nous, ne fût-ce que comme réponse à nos adversaires. Les Champollion ont été les premiers en Europe, à prendre par la main l'étudiant archéologue, à le conduire dans les cryptes silencieuses du passé, et à lui prouver que la civilisation n'a pas commencé avec nos générations ; car "quoique les origines de l'ancienne Egypte soient inconnues, on trouve qu'elle a été, aux époques les plus anciennes que la recherche historique peut atteindre, pourvue de ses lois merveilleuses, de ses coutumes bien établies, de ses cités, de ses rois et de ses dieux ", et au-delà, bien [386] au- delà de ces époques, nous trouvons des ruines appartenant à d'autres périodes de civilisation encore plus éloignées et plus élevées. "A Thèbes, des parties d'édifices ruinés nous permettent de reconnaître des vestiges de constructions encore antérieures, dont les matériaux ont servi à l'érection de ces mêmes monuments, qui comptent maintenant une existence de trente-six siècles 620". "Tout ce que nous disent Hérodote et les prêtres Egyptiens a été reconnu exact, et confirmé par les savants modernes", ajoute Champollion 621.

D'où venait la civilisation des Egyptiens, c'est ce que nous montrerons dans un prochain volume, et, à ce sujet, nous ferons voir que nos déductions, bien que basées sur les traditions de la Doctrine Secrète, marchent de pair avec celles d'un certain nombre d'autorités les plus respectées. Il y a à ce sujet dans un ouvrage hindou bien connu, un passage qui peut être rappelé.

"Sous le règne de Visvamitra, premier roi de la dynastie de Soma Vansa, à la suite d'une bataille qui avait duré cinq jours, Manou-Vina, l'héritier des anciens rois, ayant été abandonné par les Brahmanes émigra avec tous ses compagnons, passant par Arya et les contrées de Barria, jusqu'à ce qu'il eût atteint les rives de Masra" (Histoire de l'Inde, par Koullouka-Bhatta). Incontestablement, ce Manou Vina et  Menés, le premier roi égyptien, sont identiques. 622

620 Champollion-Figeac, Egypte, p. 2.

621 Champollion-Figeac Egypte, pp. 11-12.

622 [Cf. Jacolliot, Les Fils de Dieu, pp. 215, 223, 323.]

 

Arya c'est Eran, (la Perse) ; Barria, c'est l'Arabie, et Masra était le nom du Caire, qui encore aujourd'hui est appelé Masr, Musr et Misro. L'histoire phénicienne désigne Maser comme un des ancêtres d'Hermès.

Et maintenant prenons congé de la thaumatophobie et de ses défenseurs, et envisageons la thaumatomanie sous ses multiples aspects. Dans les troisième et quatrième volumes nous nous proposons de passer en revue les "miracles" du paganisme, et de peser les preuves en leur faveur dans la même balance que la théologie chrétienne. Un conflit imminent sinon déjà commencé, se déroule entre la science et la théologie d'une part, l'esprit et sa science vénérable et la magie de l'autre. Quelques-unes des possibilités de cette dernière ont déjà été étalées, mais il en reste encore à venir. Le monde mesquin et insignifiant, dont les savants et les magistrats, les prêtres et les chrétiens, recherchent à l'envi l'approbation, a commencé sa croisade de la dernière heure, en condamnant dans la même année deux innocents, l'un en France et l'autre à Londres, au mépris de toute loi et de toute justice. Comme [387] l'apôtre de la circoncision, ils sont toujours prêts à renier trois fois tout bien impopulaire, par crainte de l'ostracisme de leurs contemporains. Les Psychomantiques et les Psychophobes se livreront bientôt un rude combat. Chez les premiers, l'ardent désir de voir leurs phénomènes étudiés et appuyés par les savants et les autorités scientifiques, a fait place à une indifférence glaciale. Résultat naturel des préjugés et de la déloyauté qu'on a déployés envers eux, leur respect pour les savants disparaît, et les épithètes réciproquement échangées entre les deux partis, sont loin d'être flatteuses de part et d'autre. Lequel a raison et lequel a tort, le temps le dira bientôt et le fera comprendre aux générations futures. On peut du moins prédire avec assurance qu'il faudra chercher l'Ultima Thule des mystères divins, et leur clé ailleurs que dans le tourbillon des molécules d'Avogadro.

Les gens qui, soit par légèreté de jugement, soit par suite de leur impatience naturelle, voudraient fixer le soleil éblouissant avant que leurs yeux soient capables de soutenir l'éclat de la lumière d'une lampe, sont fondés à se plaindre de l'obscurité exaspérante du langage qui caractérise les ouvrages des anciens Hermétistes et de leurs successeurs. Ils déclarent incompréhensibles leurs traités philosophiques sur la magie. Nous refusons de perdre notre temps avec la première catégorie ; à la seconde, nous demanderons de modérer leur impatience, en se souvenant de ces paroles d'Espagnet : "La vérité se cache dans l'obscurité ", et "les philosophes n'écrivent jamais d'une façon plus trompeuse que lorsqu'ils le font clairement, ni plus sincèrement que lorsqu'ils sont obscurs". Il existe en outre une troisième catégorie, à laquelle ce serait faire trop d'honneur de dire qu'elle apprécie la question. Elle se borne à la dénoncer purement et simplement ex-cathedra. Ceux-là traitent les anciens de rêveurs imbéciles, et bien qu'ils ne soient que des physiciens et des positivistes thaumatophobes, ils prétendent souvent au monopole de la sagesse spirituelle.

 C'est Irénée Philalèthe qui répondra à cette dernière catégorie... "Dans le monde, nos écrits seront comme un outil curieusement tranchant ; pour quelques-uns, il servira à sculpter des pièces délicates, mais à d'autres il ne servira qu'à se couper les doigts. Et pourtant, nous ne sommes pas blâmables, car nous avons soin d'avertir sérieusement tous ceux qui tentent cette œuvre, qu'ils entreprennent l'ouvrage le plus élevé de la philosophie dans la nature ; et, quoique nous écrivions en anglais, notre traité sera aussi difficile à déchiffrer que du Grec, pour quelques-uns, qui croiront néanmoins nous bien comprendre, alors précisément qu'ils interprètent mal le sens et le pervertissent ; car faut-il supposer, que les gens qui dans la nature, manquent de sagesse, en possèdent [388] dans l'étude de nos livres, qui sont des témoignages dans la nature ?" 623 624.

Aux rares esprits élevés qui interrogent la nature, au lieu de prescrire des lois pour la régler ; qui ne limitent pas ses possibilités à l'imperfection de leurs propres forces ; et qui ne refusent de croire, que parce qu'ils ne savent pas, nous rappellerons cet apophtegme de Narada, l'ancien philosophe hindou :

"Ne dis jamais : "Je ne sais pas ceci, par conséquent c'est faux".

"Il faut étudier pour savoir, savoir pour comprendre, comprendre pour juger"

 

FIN DU VOLUME I