PREMIÈRE PARTIE
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"L'INFAILLIBILITE" DE LA RELIGION
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CHAPITRE I
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L'EGLISE : OU EST-ELLE ?
"Qu'il soit ANATHEME... quiconque dira que les Sciences humaines doivent se poursuivre dans un tel esprit de liberté, qu'il soit permis de prendre leurs assertions pour vraies même lorsqu'elles sont en opposition avec la doctrine révélée."
Concile Œcuménique de 1870.
"Gloucester. – L'Eglise ! Où est-elle ?"
Henri VI. Acte I. Scène I. Shakespeare.
Soixante mille hommes (60.428) aux Etats-Unis d'Amérique reçoivent un salaire pour enseigner la Science de Dieu et Ses relations avec Ses créatures.
Ces hommes s'engagent à nous transmettre la connaissance qui traite de l'existence, du caractère et des attributs de notre Créateur ; de Ses Lois et de Son gouvernement ; des doctrines auxquelles nous devons croire et des devoirs que nous devons pratiquer. Parmi ceux-ci, cinq mille (5.141) 1 avec l'appoint de 1.273 étudiants en théologie pour leur venir en aide par la suite, enseignent cette science à cinq millions d'âmes suivant la formule prescrite par l'évêque de Rome. Cinquante-cinq mille (55.287) ecclésiastiques, fixes et voyageurs, représentant quinze sectes différentes 2, se contredisant toutes les unes les autres sur des questions théologiques plus ou moins vitales, instruisent, dans leurs doctrines respectives, trente- trois millions (33.500.000) d'autres personnes. Parmi ceux-ci, beaucoup d'entre eux enseignent suivant les canons de la branche cis-atlantique d'une église établie qui reconnaît la fille de feu le duc de Kent pour son chef spirituel. Il y a quelques centaines de mille Juifs ; quelques milliers d'Orientaux de toutes sortes ; et quelques rares individus qui appartiennent à l'Eglise grecque. Un homme à Salt Lake City, qui a dix-neuf femmes et plus d'une centaine d'enfants et petits-enfants, est le chef spirituel [10] de quatre-vingt-dix mille âmes, qui croient qu'il est en rapport fréquent avec les dieux – car les Mormons sont Polythéistes de même que Polygames, et leur dieu principal est représenté comme habitant une planète à laquelle ils ont donné le nom de Colob.
1 Ces chiffres ont été copiés dans le Religious Statistics of the United States for the year 1871.
2 Ce sont : Les Baptistes, Congrégationnistes, Episcopaliens, Méthodistes du Nord, Méthodistes du Sud, Méthodistes divers, Presbytériens du Nord, Presbytériens du Sud, Presbytériens Unis, Frères Unis, Frères en Christ, Hollandais réformés, Allemands réformés, Presbytériens réformés, Presbytériens du Cumberland.
Le Dieu des Unitaires est célibataire ; la Divinité des Presbytériens, des Méthodistes, des Congrégationnistes et des autres sectes orthodoxes protestantes, est un Père sans épouse, ayant un Fils qui est identique à Lui. On a dépensé une somme de $ 354.485.581 pour construire les soixante- deux mille et quelques églises, maisons de prière et de réunions où l'on enseigne toutes ces doctrines théologiques contradictoires. La valeur des presbytères protestants seuls, qui abritent les pasteurs et leurs familles est estimée à environ $ 54.115.297. La somme de seize millions de dollars (16.179.387) est en outre contribuée annuellement pour les dépenses des sectes protestantes seulement. Une église presbytérienne à New-York à elle seule a coûté en chiffres ronds un million de dollars ; un autel catholique à lui tout seul en a coûté le quart.
Nous ne mentionnerons pas la multitude des sectes plus petites, des communautés et des extravagantes petites hérésies originales qui naissent une année dans ce pays et meurent l'année suivante, comme autant de champignons après un jour de pluie. Nous ne nous arrêterons même pas à faire mention des soi-disant millions de spirites, car la plupart d'entre eux n'ont même pas le courage de se séparer de leurs sectes respectives. Ce sont les Nicodèmes de la porte de derrière.
Et maintenant demandons avec Pilate : Qu'est-ce que la Vérité ? Où faut-il la chercher dans cette multitude de sectes antagonistes ? Chacune prétend être basée sur la révélation divine ; chacune se targue de posséder la clé des portes du ciel. Laquelle est en possession de cette vérité rare ? Ou bien devons-nous conclure avec le philosophe bouddhiste : "Il n'y a qu'une seule vérité sur la terre, et elle est immuable ; la voici : il n'existe sur terre aucune vérité !"
Bien que nous n'ayons aucune envie d'empiéter sur le terrain foulé tant de fois par les savants qui ont démontré que tout dogme chrétien a son origine dans un rite païen, néanmoins les faits qu'ils ont mis à jour depuis l'affranchissement de la science ne perdent rien à être répétés. En outre notre but est d'examiner ces faits à un point de vue différent et peut-être nouveau ; celui des anciennes philosophies prises ésotériquement. C'est à peine si nous les avons effleurées dans les deux premiers tomes. Nous allons nous en servir comme étalon de comparaison des dogmes et des miracles chrétiens avec les doctrines et les phénomènes de l'ancienne magie, et la "Nouvelle Dispensation" moderne, ainsi que le Spiritisme est dénommé par ses adeptes. Puisque les matérialistes nient les [11] phénomènes sans même les étudier, et puisque les théologiens, en les admettant, ne nous laissent que le choix entre deux absurdités palpables – le Diable ou les miracles – nous ne pouvons pas perdre grand chose en nous adressant aux théurgistes, qui, eux, nous aideront peut être à jeter un flot de lumière sur un sujet particulièrement ténébreux.
Le professeur A. Butlerof, de l'Université Impériale de Saint- Pétersbourg, dit dans une publication récente, intitulée Manifestations médiumniques : "Que ces faits (ceux du spiritisme moderne) soient du nombre de ceux plus ou moins connus des anciens qu'ils soient identiques à ceux qui, dans les âges obscurs, donnaient une importance aux prêtres Egyptiens ou aux augures Romains ; qu'ils forment, même la base de la sorcellerie de nos Shamans sibériens ; qu'ils soient tout cela, si ce sont des faits véritables, cela ne nous importe pas. Tous les faits dans la nature appartiennent à la science, et chaque addition à ce domaine l'enrichit au lieu de l'appauvrir. Si l'humanité a admis une vérité et qu'elle la nie ensuite dans l'aveuglement de son orgueil, le fait de revenir à sa compréhension constitue un pas en avant et non un pas en arrière."
Du jour où la science moderne donna ce qu'on peut considérer comme le coup mortel à la théologie dogmatique, en admettant que la religion est pleine de mystères, et que les mystères sont antiscientifiques, l'état mental des classes éduquées a présenté un aspect curieux. Dès ce moment, la société paraît se maintenir en équilibre par une seule jambe qu'on ne voit pas sur une corde tendue entre notre univers visible et le monde invisible ; craignant à tout instant de voir le bout rattaché à la foi se détacher soudain et la précipiter dans la destruction finale.
La grande masse de ceux qui se disent Chrétiens peut se diviser en trois groupes inégaux, les matérialistes, les spirites et les Chrétiens proprement dits. Les matérialistes et les spirites font cause commune contre les prétentions hiérarchiques du clergé ; celui-ci, de son côté, les dénonce aussi bien les uns que les autres avec la même véhémence. Les matérialistes sont aussi peu d'accord entre-eux que les sectes chrétiennes elles-mêmes ; les Comtistes, ou comme ils s'intitulent, les positivistes, étant exécrés et honnis au dernier degré par toute les écoles de penseurs, dont l'une est honorablement représentée en Angleterre par Maudsley. Rappelons nous que le positivisme est cette "religion" de l'avenir, contre le fondateur de laquelle, Huxley, lui-même s'est élevé dans sa fameuse conférence The Physical Basis o f Life. Maudsley, de son côté, se crut obligé de s'exprimer comme suit, au nom de la science moderne : "Ne nous étonnons pas si les hommes de science renient Comte comme leur législateur, et qu'ils protestent contre le roi qu'on veut leur imposer. N'ayant aucune obligation personnelle envers ses [12] œuvres – et reconnaissant jusqu'à quel point, il a faussement représenté l'esprit et les prétentions de la science – ils répudient le serment de fidélité que ses disciples enthousiastes voudraient leur imposer, et que l'opinion populaire tend de plus en plus à considérer comme naturelle. Ils n'ont pas tort d'armer à temps leur indépendance, car si ce n'est bientôt fait, il sera bientôt trop tard pour l'affirmer utilement 3". Lorsqu'une doctrine matérialiste est répudiée à ce point par deux matérialistes tels que Huxley et Maudsley, il est grand temps de reconnaître qu'elle est l'absurdité même.
3 H. Maudsley, Body and Mind.
Chez les Chrétiens il n'y a que désaccord. Leurs diverses églises représentent tous les degrés des croyances religieuses depuis la crédulité omnivore de la foi aveugle, jusqu'à cette déférence condescendante et altière envers la Divinité qui voile à peine la conviction de leur propre sagesse divine. Toutes ces sectes croient plus ou moins à l'immortalité de l'âme. Quelques-unes admettent comme un fait les rapports entre les deux mondes ; d'autres en font une affaire de sentiment ; il y en a qui les nient d'emblée ; et il n'en est que peu pour observer une attitude d'attente réfléchie.
Mordant le frein qui la retient, et faisant des vœux pour le retour des âges obscurs, l'Eglise Romaine regarde d'un mauvais œil les manifestations diaboliques ; elle laisse entendre ce qu'elle réserverait à leurs défenseurs si elle avait encore son pouvoir de jadis. S'il n'était évident que la science la tient elle-même sur la sellette et qu'elle a les mains liées, elle serait prête, sans préavis, à renouveler dans ce XIXème siècle les scènes révoltantes des siècles passés. Quant au clergé protestant, sa haine contre le spiritisme est si intense, qu'un journal fait la judicieuse remarque suivante : "Ils sont d'accord pour détruire la foi publique en tous les phénomènes spirites du passé, tels qu'ils sont relatés dans la Bible, afin de voir la pestilentielle hérésie moderne frappée au cœur." 4
4 Boston Sunday Herald, 5 novembre 1876.
5 Voyez l'auto-glorification du Pape actuel dans l'ouvrage intitulé Discours du pape Pie IX, par Don Pascale de Francisis ; et le fameux pamphlet de Gladstone qui porte le même nom. Ce dernier cite dans l'ouvrage sus-nommé la phrase suivante prononcée par le Pape : "Mon désir est que tous les gouvernements sachent que je parle de cette façon... Et j'ai le droit de parler, plus même que le prophète Nathan au roi David, et encore plus que saint Ambroise à Theodosius." [p. 148].
6 Voyez les Gnostics de King et autres ouvrages.
Faisant retour aux lois mosaïques, depuis longtemps tombées en désuétude, l'Eglise romaine prétend posséder le monopole des miracles, ainsi que le droit de les juger, en étant l'unique héritière par droit de succession directe. L'Ancien Testament, proscrit par Colenso, ses prédécesseurs et contemporains, est rappelé de son exil. Les prophètes que Sa Sainteté le Pape consent enfin à placer sinon sur le même pied que lui- même, du moins à une moindre distance 5, sont époussetés et nettoyés. Le souvenir de tout l'abracadabra [13] démoniaque est évoqué à nouveau. Les horreurs blasphématoires du paganisme, son culte phallique, les miracles thaumaturgiques exécutés par Satan, les sacrifices humains, les incantations, les sortilèges, la magie et la sorcellerie sont remis en mémoire et le DEMONISME est placé en regard du spiritisme afin de leur permettre de se reconnaître et de s'identifier. Nos démonologues modernes ont soin d'ignorer quelques détails insignifiants, parmi lesquels nous reconnaissons la présence indéniable du phallisme païen, parmi les symboles chrétiens. Nous pourrions aisément démontrer qu'un puissant élément spirituel de ce culte existe dans le dogme de l'Immaculée conception de la Vierge, Mère de Dieu ; de même que nous avons la preuve d'un culte physique de fétiches dans l'adoration des saints membres des saints Cosme et Damien, à Isernia, près de Naples ; qu'un trafic lucratif était annuellement exercé par le clergé en ex-votos de cire, jusqu'à il y a à peine un demi-siècle 6.
Certes, les écrivains catholiques ont tort de déverser leur bile dans des phrases comme celle-ci : "Dans beaucoup de pagodes, la pierre phallique revêt constamment, ainsi que le babylos grec, la forme brutale et indécente du lingham... le Maha Deva 7." Avant de souiller un symbole, dont la haute signification métaphysique est trop profonde pour les champions modernes de cette religion sensualiste par excellence, le catholicisme romain, ils devraient détruire leurs temples les plus anciens et en changer la forme des coupoles. Le Mahadéva d'Elephanta, la Tour Ronde de Bhangulpore, les minarets de l'Islam, qu'ils soient arrondis ou pointus, sont les modèles originaux du Campanile de saint Marc à Venise, de la cathédrale de Rochester et du Dôme plus moderne de Milan. Tous ces clochers, tourelles, dômes, ainsi que les temples chrétiens, sont des reproductions de l'idée primitive du lithos ou phallus érigé. "La tour occidentale de la cathédrale de Saint-Paul à Londres, dit l'auteur de The Rosicrucians, est un des doubles lithoï érigés devant chaque temple, tant chrétien que païen." De plus, dans toutes les églises chrétiennes, a et surtout dans les temples protestants, où elles occupent une place très apparente, les deux tables de pierre de la Loi de Moise se trouvent côte à côte au-dessus de l'autel, réunies en une seule et dont la partie supérieure est arrondie... La pierre de droite est mâle, celle de gauche est femelle" 8. Par conséquent ni les Catholiques, ni les Protestants ne devraient parler des "formes indécentes" des monuments païens, tant qu'ils ornent leurs propres temples avec les symboles du Lingham et du Yoni, et même qu'ils gravent sur ceux-ci les lois de leur Dieu. [14]
Un autre détail qui n'est guère à la louange du clergé chrétien est rappelé par le mot Inquisition. Les torrents de sang humain que cette institution chrétienne a fait couler, et la quantité de ses sacrifices humains, n'a pas son pendant dans toutes les annales du paganisme. La sorcellerie est un autre point important, où le clergé a surpassé ses maîtres, les païens. Il n'existe, certes, aucun temple païen où la magie noire, dans son sens véritable, n'ait été plus mise en pratique qu'au Vatican. Tout en pratiquant l'exorcisme comme une importante source de revenus, le clergé catholique a aussi peu négligé la magie que les prêtres païens de l'antiquité. Il est facile d'établir la preuve que le sortilegium, ou la sorcellerie, a été pratiquée par le clergé et par les moines, pas plus tard que le siècle dernier, et elle l'est encore occasionnellement de nos jours.
7 Des Mousseaux, La magie au XIXème siècle, chap I.
8 Hargrave Jennings, The Rosicrucians, p. 228-241.
Tout en prononçant l'anathème contre toute manifestation occulte en dehors du sein de l'Eglise, le clergé – malgré toutes les preuves du contraire – les qualifie "d'œuvre de Satan", "de pièges des anges déchus", qui "montent et descendent dans l'abîme sans fond" dont parle saint Jean dans son Apocalypse cabalistique, "d'où monte une fumée, comme la fumée d'une immense fournaise". "Grisés par ses émanations, des millions de spirites accourent journellement autour de ce gouffre, pour adorer à l' "Abîme de Baal".
Plus arrogante que jamais, entêtée et despote, aujourd'hui qu'elle a presque été renversée par les recherches modernes mais n'osant pas s'attaquer aux puissants champions de la science, l'Eglise latine se venge sur les phénomènes décriés. Un despote sans victime est un non-sens ; le pouvoir qui néglige de se faire reconnaître par des effets extérieurs et sagement calculés, risque fort, par la suite, d'être mis en doute. L'Eglise n'a aucune envie de tomber dans l'oubli, comme les mythes anciens, ou de permettre que son autorité soit trop étroitement remise en question ; c'est pour cette raison qu'elle poursuit sa traditionnelle politique, du moins autant que les temps le permettent. Elle déplore l'absence forcée de sa grande alliée, la sainte Inquisition, et fait contre mauvaise fortune bon cœur. Les seules victimes à sa portée, pour le moment, sont les spirites de France, mais les faits récents ont démontré que la douce épouse du Christ ne dédaigne pas de prendre sa revanche sur des victimes sans défense.
Ayant joué avec plein succès son rôle de Deus-ex-Machina, derrière les tribunaux français, qui n'ont pas craint de se déshonorer pour elle, l'Eglise romaine se met à l'œuvre et nous montre, en l'an 1876, ce dont elle est capable. Le monde chrétien est averti d'avoir à se détourner des tables tournantes et des crayons dansants des spirites profanes, et de reconnaître les "miracles" divins de Lourdes. Entre temps, les autorités ecclésiastiques emploient leurs loisirs [15] à préparer de plus faciles triomphes qui jetteront l'effroi parmi les gens superstitieux. A cet effet le clergé, agissant sur ordres, lance de toutes les chaires des diocèses catholiques des anathèmes qui, s'ils sont fort dramatiques, ne sont guère impressionnants ; il menace ; il excommunie et à droite et à gauche il maudit. Mais, s'apercevant, enfin, que ses foudres, même celles dirigées contre les têtes couronnées, tombent autour d'elle avec aussi peu d'effet que les tonnerres de Calchas dans l'opérette d'Offenbach, Rome, dans sa fureur impuissante, se tourne contre les infortunés protégés de l'Empereur de Russie, les Bulgares et les Serbes. Malgré l'évidence et le sarcasme, malgré les preuves accumulées, "l'agneau du Vatican" partage sa colère entre les libéraux italiens, "ces impies dont le souffle ressemble à la puanteur du sépulcre" 9, les "schismatiques sarmates russes", et les hérétiques et spirites, "qui adorent dans l'abîme sans fond, où le grand Dragon guette sa proie".
M. Gladstone a pris la peine de réunir en un catalogue ce qu'il appelait les "fleurs de rhétorique" disséminées dans les discours du Pape. Cueillons-en quelques-unes, employées par le vicaire de Celui qui disait, "quiconque dira Fou à son frère est en danger du feu de l'enfer". Elles ont été choisies dans les discours authentiques. Ceux qui s'opposent à l'autorité papale sont : des loups, des pharisiens, des voleurs, des menteurs, des hypocrites, des enfants hydropiques de Satan, des fils de la perdition, du péché et de la corruption, des suppôts de Satan sous forme humaine, des monstres de l'enfer, des démons incarnés, des cadavres puants, des êtres issus des abîmes de l'enfer, des traîtres, des Judas conduits par les esprits infernaux, des enfants des plus profonds abîmes infernaux", etc., etc. ; tout ce pieux vocabulaire a été recueilli et publié par Don Pasquale di Franciscis, que Gladstone a nommé avec raison "un professeur accompli de servilisme en choses spirituelles 10.
9 Don Pasquale di Franciseis, Discorsi del sommo Pontifice Pio IX, part 1, p. 341.
10 W.E. Gladstone, Rome and the newest Fashions in Religion. (Discours de Pie IX, p. 14. Edition Amer.)
Puisque Sa Sainteté le Pape possède un aussi riche vocabulaire d'injures, nous ne devons pas nous étonner que l'évêque de Toulouse n'ait pas craint de formuler les plus indignes mensonges au sujet des Protestants et des Spirites d'Amérique – gens doublement odieux aux yeux d'un catholique – dans son allocution à son diocèse, où il dit : "Rien n'est plus commun dans notre ère d'incrédulité que voir une fausse révélation se substituer à la véritable et des hommes négliger l'enseignement de la Sainte Eglise, pour se vouer à l'étude de la divination et des sciences occultes." Professant un dédain épiscopal pour la statistique et faisant une étrange [16] confusion dans sa mémoire entre les cultes des revivalistes Moodey et Sankey, et les adeptes des obscures chambres de séances, il émet l'assertion fausse et imméritée que "il est prouvé que le spiritisme aux Etats-Unis a été la cause de la sixième partie de cas de suicides et de folie". Il prétend qu'il n'est pas possible que les esprits "enseignent une science exacte, par la raison que ce sont des démons menteurs ; ou même une science utile, parce que le caractère de l'œuvre de Satan de même que Satan lui-même, est stérile". Il avertit ses chers collaborateurs que "les livres en faveur du Spiritisme sont mis à l'Index" ; et il leur enjoint de faire savoir que "le fait de fréquenter les cercles spirites avec l'intention d'accepter la doctrine, constitue une apostasie de la Sainte Eglise, et un risque d'excommunication". Enfin, dit-il : "Publiez le fait que l'enseignement d'aucun esprit ne devrait prévaloir contre celui de la chaire de saint Pierre, qui est l'enseignement de l'Esprit de Dieu lui-même" !!!
Connaissant les multiples enseignements erronés que l'Eglise romaine attribue au Créateur, nous préférons n'ajouter aucune foi à cette affirmation. Le célèbre théologien catholique, Tillemont, nous affirme dans son œuvre que : "tous les païens illustres sont condamnés aux tourments éternels des feux de l'enfer, parce qu'ils ont vécu avant l'époque de Jésus et, par conséquent, ils ne peuvent bénéficier de la rédemption !! 11" Il affirme également que la Sainte Vierge Marie en a certifié la vérité, dans une lettre signée à un saint, de sa propre main. Par conséquent nous voici encore en présence d'une révélation, celle de "l'Esprit de Dieu Lui-même" y enseignant des doctrines aussi charitables.
Nous avons également lu, avec grand profit, la description topographique de l'Enfer et du Purgatoire dans le fameux traité qui porte ce nom, dû à un Jésuite, le Cardinal Bellarmin 12. Un critique prétend que l'auteur, qui donne sa description suivant une vision divine qui lui a été accordée, "paraît posséder toutes les connaissances d'un arpenteur" en parlant des sentiers secrets et des formidables divisions de "l'abîme sans fond". Justin Martyr ayant formulé la notion hérétique, qu'après tout, Socrate n'était peut être pas fixé définitivement en enfer 13. son éditeur Bénédictin tança vertement ce père de l'Eglise trop bénévole. Ceux qui auraient encore un doute au sujet de la charité Chrétienne de l'Eglise Romaine à ce sujet, feraient bien de parcourir la Censure de la Sorbonne, du Bélisarius de Marmontel. Le odium théologicum y brille sur le sombre ciel de la théologie orthodoxe comme une [17] aurore boréale – précurseur de la colère Divine, selon les enseignements de quelques théologiens du moyen âge.
11 [L.S. le Nain de Tillemont, Mémoires, 1693, etc...]
12 [De Loco Purgatorii, in De Controversiis christianae Fidei, cf. Opera Roan 1619.]
13 [1ère apologie.]
Dans la première partie de cet ouvrage nous avons entrepris de démontrer, au moyen d'exemples historiques, jusqu'à quel point les savants ont mérité le sarcasme mordant de feu le professeur Morgan, qui en parlant d'eux disait : "ils portent les vêtements rejetés par les prêtres, passés à la teinture afin de n'être pas reconnus". Le clergé chrétien est vêtu, lui aussi, avec les défroques des prêtres païens ; agissant en opposition directe avec les préceptes moraux de leur Dieu, ils se permettent cependant de juger le monde entier.
En mourant sur la croix, l'Homme des Douleurs, pardonnait à ses ennemis. Ses dernières paroles furent une prière en leur faveur. Il enseigna à ses disciples de ne point maudire, mais au contraire, de bénir même leurs ennemis. Les héritiers de saint Pierre, par contre, qui se sont érigés eux- mêmes en représentants sur la terre de ce même doux Jésus, maudissent sans hésiter quiconque s'oppose à leur volonté despotique. En outre n'ont- ils pas depuis longtemps relégué le "Fils" à l'arrière-plan ? Leur loyalisme ne va plus qu'à la Mère Douairière, car, suivant eux, et encore en vertu "de l'Esprit direct de Dieu" elle seule est capable d'agir comme médiatrice. Le Concile Œcuménique de 1870 transforma cet enseignement en dogme, et celui qui se permet d'en douter est condamné à jamais à l' "abîme sans fond". L'ouvrage de Don Pasquale di Franciscis est positif sur ce point, car il nous dit que comme la Reine du Ciel est redevable au Pape actuel (PieIX) "du joyau le plus précieux de sa couronne" puisqu'il lui a conféré l'honneur inespéré de devenir soudainement immaculée, il n'y a rien qu'elle ne puisse obtenir de son Fils pour "Son Eglise" 14.
14 Voyez Discours du Pape Pie IX par Don Pasquale di Francisis ; le pamphlet de Gladstone sur ce livre : le Conflit entre la Religion et la Science de Draper, et autres.
Des voyageurs virent, il y a quelques années, à Bari, en Italie, une statue de la Madone vêtue d'une jupe à falbalas en soie rose, posée sur une large crinoline ! Les pieux pèlerins, qui désireraient se renseigner sur la garde-robe officielle de la mère de leur Dieu, feront bien de se documenter en Italie Méridionale, en Espagne et dans l'Amérique catholique du Nord et du Sud. La Madone de Bari doit y être encore, entre deux vignes et une locanda (débit de vins). La dernière fois qu'elle a été vue, on avait essayé avec un certain succès d'habiller l'enfant Jésus ; on lui avait enfilé sur les jambes une paire de pantalons d'une propreté douteuse et festonnés sur les bords. Un voyageur anglais ayant fait cadeau à la "Médiatrice" d'un parasol en soie verte, la population reconnaissante des contadini, avec le curé du village en tête, organisèrent une procession [18] sur les lieux. Ils parvinrent à figer le parasol ouvert, entre le dos de l'enfant et le bras de la Vierge qui le tenait. La scène et la cérémonie étaient aussi solennelles qu'imposantes pour nos sentiments religieux, car nous avions devant nous l'image de la déesse dans sa niche, entourée d'un cordon de lampions dont les flammes remuées par la brise, empestaient l'air pur du Bon Dieu de relents d'huile d'olive. La Mère et le Fils sont certainement les représentants des deux plus fameuses idoles de la Chrétienté Monothéiste !
Si vous désirez avoir un pendant de l'idole des pauvres contadini de Bari, transportez-vous à l'opulente cité de Rio de Janeiro. On pouvait voir, il y a quelques années, une autre Madone, dans un corridor qui court le long d'un des côtés de l'église du Duomo de la Candelaria. Tout le long de ce couloir il y a une file de saints, chacun placé au-dessus d'un tronc, ce qui leur constitue un excellent piédestal. Au centre de la file, sous un riche dais de soie bleue, est exposée la vierge Marie, s'appuyant sur le bras du Christ. "Notre-Dame" est parée d'un corsage de satin bleu, très décolleté, avec de très courtes manches, qui font valoir son corps, ses bras et ses épaules blancs et admirablement modelés. La jupe, aussi en satin bleu, recouvert de dentelle blanche et de bouffants de mousseline est aussi courte que celle d'une danseuse de ballet ; arrivant à peine aux genoux, elle laisse voir une paire de jambes délicieusement modelées, enfermées dans un maillot de soie couleur chair, et terminées par des bottines de satin bleu à talons démesurément hauts ! La chevelure blonde de cette "Mère de Dieu, est coiffée à la dernière mode avec un volumineux chignon de boucles : appuyée sur le bras de Jésus, elle tourne la tête avec amour vers son "Fils Unique", dont l'accoutrement et l'attitude ne sont pas moins dignes d'attention. Le Christ porte un frac, des pantalons noirs et un gilet de soirée blanc largement ouvert ; des souliers vernis, des gants de daim blanc ; à un de ses doigts brille un anneau orné d'un magnifique brillant, estimé plusieurs milliers de francs, sans doute une pierre brésilienne inestimable. La tête qui surmonte le corps de ce moderne dandy brésilien a des cheveux partagés par une raie ; la figure est triste et solennelle, et les yeux paraissent refléter toute l'amertume de cette dernière insulte à la majesté du "Crucifié" 15.
Les dévots de l'Isis Egyptienne la représentaient également comme une Vierge mère, tenant son fils Horus dans les bras. Dans les Statues et bas-reliefs où elle est représentée seule, elle est ou complètement nue, ou voilée des pieds à la tête. Mais, dans les Mystères, de même que pour toutes les autres déesses, elle est [19] entièrement voilée, comme symbole de la chasteté maternelle. Nous ne perdrions rien à emprunter aux anciens un peu du sentiment poétique de leurs religions, et de la vénération innée qu'ils avaient pour leurs symboles.
Il n'est que juste de dire que le dernier véritable chrétien, disparut avec le dernier des apôtres directs. Max Muller pose la question embarrassante : "Comment un missionnaire peut-il, dans des circonstances analogues, faire face à la surprise et répondre aux questions de ses élèves, si ce n'est en montrant la semence 16, et en leur disant ce qui devait être le christianisme, s'il ne leur fait voir également que, de même que toutes les autres religions, le Christianisme a eu son histoire. Que le Christianisme du XIXème siècle n'est pas le Christianisme du moyen âge, et que celui du moyen âge n'est pas non plus le Christianisme des premiers Conciles ; que celui des Conciles n'est pas le Christianisme des Apôtres, et que seul ce que le Christ a dit a été véritablement bien dit 17."
Nous en concluons que la seule différence caractéristique entre le Christianisme moderne et les anciennes religions païennes est la croyance de celui-là en un diable personnel et un enfer. "Les nations aryennes n'avaient pas de diable" affirme Max Muller. "Bien que d'un caractère sombre, Pluton était un personnage respectable ; et Loki [le Scandinave] bien qu'espiègle, n'était nullement un démon. La déesse allemande, Hell, de même que Proserpine, avait vu de meilleurs jours, De sorte que, quand on prêcha aux Teutons la notion d'un diable véritable, le Seth sémite, Satan ou Diabolus, ils le traitèrent avec bonhomie." 18.
15 Ce récit a été fait par un témoin Oculaire, qui a visité l'église à plusieurs reprises ; c'est un catholique qui en a été horrifié ainsi qu'il l'a avoué.
16 Semée par Jésus et ses Apôtres.
17 Chips, vol. I, p. 26. Préface.
18 Op. cit., II, p. 235.
Il en est de même de l'enfer. Le Hadès était un lieu bien différent de notre région de damnation éternelle ; on pourrait l'appeler plutôt un état intermédiaire de purification. Le Hel ou Hela des scandinaves ne donne pas non plus l'impression d'un lieu de punition, car, lorsque Frigga, la mère éplorée de Bal-dur, le dieu blanc, qui mourut et se trouva dans la sombre région des ténèbres (Hades), envoya Hermod, fils de Thor, à la recherche de son fils bien aimé, le messager le trouva, certes, dans la région inexorable ! mais cependant, confortablement assis sur un roc et lisant un livre 19. De plus, le royaume de la mort norvégien est situé dans les hautes latitudes polaires ; c'est un lieu froid et désolé, et ni les salles glacées de Hela, ni l'occupation de Bal-dur, n'ont une ressemblance quelconque avec l'enfer de flammes éternelles et les pauvres pécheurs damnés dont l'Eglise l'a si généreusement peuplé. Ce n'est [20] pas non plus l'Amenthés des Egyptiens, le lieu de jugement et de purification ; pas plus que le Anderâh, l'abîme des ténèbres hindou ; car même les anges déchus, qui y furent précipités par Shiva, sont autorisés par Para-brahm, à considérer ce lieu comme un état intermédiaire, où l'occasion leur est offerte de se préparer pour des degrés de purification plus haute, et se libérer de leur triste condition. La Géhenne du Nouveau Testament était une localité située en dehors des murs de Jérusalem, et en la mentionnant, Jésus n'a fait qu'employer une métaphore banale. D'où donc est venu ce terrible dogme de l'enfer, ce levier d'Archimède de la théologie chrétienne, au moyen duquel on a réussi à subjuguer des millions de chrétiens depuis plus de dix-neufs siècles ? Certes on ne le trouve pas dans les Ecritures juives, ce dont peut faire foi tout lettré hébreu.
L'unique mention, dans la Bible de quelque chose ressemblant à l'enfer, serait Gehenna ou Hinnom, une vallée près de Jérusalem, là où était situé Tophet, localité où l'on entretenait constamment un feu pour des besoins sanitaires. Le prophète Jérémie nous dit que les Israélites avaient l'habitude de sacrifier à cet endroit leurs enfants à Moloch-Hercule ; plus tard, nous constatons que les Chrétiens remplacèrent tranquillement cette divinité par leur dieu de miséricorde, dont la colère ne peut être apaisée que si l'Eglise lui sacrifie ses enfants non baptisés et ses fils morts dans le péché, sur l'autel de la "damnation éternelle" !
19 Mallet, Northern Antiquities, p. 448.
Où donc, les ecclésiastiques ont-ils si bien appris les conditions qui existent en enfer, au point de diviser ses tourments en deux catégories, le pœna damni et le pœna sensus, l'une étant la privation de la vision béatifique et l'autre les tourments éternels dans un étang de soufre et de feu ? S'ils prétendent que c'est dans l'Apocalypse (XX, 10) nous sommes tout prêts à leur prouver d'où le théologien Jean a tiré cette idée. "Et le diable qui les séduisait fut jeté dans l'étang de feu et de soufre où sont la bête et le faux prophète, et ils seront tourmentés... aux siècles des siècles", dit-il. Laissant de côté l'interprétation ésotérique que le "diable" ou démon tentateur, signifie notre propre corps terrestre, qui après la mort est dissous dans les éléments ignés ou éthériques 20 le mot "éternel" par lequel nos théologiens ont traduit les mots "aux siècles des siècles", n'existe pas dans la langue hébraïque, ni comme mot, ni comme signification. Il n'y a en hébreu aucun mot qui rende exactement le sens d'éternité ; עולם oulam, suivant Le Clerc, ne veut dire qu'un espace de temps dont on ignore le [21] commencement et la fin 21. Tout en démontrant que ce mot n'a en aucune façon la signification d'une durée infinie, et que dans l'Ancien Testament le mot pour toujours ne veut dire que pendant un long espace de temps, l'Archevêque Tillotson a complètement dénaturé sa signification en ce qui concerne les tourments de l'enfer. Selon lui, lorsqu'on dit que Sodome et Gomorrhe subissent les "flammes éternelles", il ne faut le comprendre que dans le sens que le feu ne fut éteint qu'une fois que les deux cités furent entièrement consumées ; mais pour feu de l'enfer, ces mots doivent être pris dans le sens absolu d'une durée infinie. Telle est la décision du savant ecclésiastique. Car la durée de la punition des méchants doit être proportionnée à la béatitude des justes. Il dit, par conséquent, "Ils (parlant des méchants) s'en iront εις πόλαοιν αιω̃νιον à la punition éternelle ; mais les justes iront ευςζωην αιωνιον, dans la vie éternelle." 22.
20 L'Ether est aussi bien un feu pur qu'un feu impur. La composition de ce dernier comprend toutes ses formes visibles, telles que la "corrélation des forces", la chaleur, la flamine, l'électricité, etc. Le premier est l'Esprit du feu. La différence est purement alchimique.
21 [Cf. Gesenino, A Hebrew and English Lexicon, S.V. Olam.]
22 [Tillotson, Works, 3ème édit., pp. 410 ss.]
23 Voyez Inquiry into the nature and plan of Hell, par le Rév. T. Swinden.
Le révérend T. Swinden 23, en commentant les théories de ses prédécesseurs, remplit un volume tout entier d'arguments incontestables, tendant à démontrer que l'Enfer est situé dans le Soleil. Nous soupçonnons fort que le révérend commentateur doit avoir lu l'Apocalypse au lit, ce qui lui aura procuré des cauchemars. Il y a deux versets dans l'Apocalypse de saint Jean qui disent : "Le quatrième ange versa sa coupe sur le soleil. Et il lui fut donné de brûler les hommes par le feu ; et les hommes furent brûlés par une grande chaleur, et ils blasphémèrent le nom de Dieu" 24. Ce n'est qu'une allégorie pythagoricienne et cabalistique, et ni Pythagore ni saint Jean n'eurent la primeur de cette idée. Pythagore plaçait la "sphère de purification dans le soleil" ; de plus il place ce soleil et sa sphère au centre de l'univers 25. Cette allégorie a une double signification : 1° Symboliquement, le soleil central, spirituel, la Divinité suprême. L'âme ayant atteint cette région se purifie de ses péchés, et s'unit à son esprit à tout jamais, ayant souffert, auparavant, en passant à travers toutes les autres sphères ; 2° En plaçant la sphère de feu visible dans le centre de l'univers, il ne fait qu'enseigner le système héliocentrique, qui était du ressort des mystères, et ne se donnait que dans une initiation plus élevée. Saint Jean attribue à son Verbe une signification purement cabalistique, qu'aucun des "Pères", sauf ceux qui avaient appartenu à l'école néo- platonicienne, n'était capable de comprendre. Origène le comprenait bien, lui, ayant été un disciple d'Ammonius Saccas ; [22] c'est pour cette raison que nous le voyons courageusement nier l'éternité des tourments de l'enfer. II soutient que non seulement les hommes, mais les diables eux-mêmes (et par ce terme il voulait désigner les pêcheurs humains désincarnés) après une punition d'une certaine durée, seront pardonnés et reprendront leur place au ciel 26. A la suite de cela et d'autres hérésies analogues, Origène naturellement fut exilé.
Nombreuses ont été les théories savantes et réellement inspirées, au sujet de l'emplacement de l'enfer. Celle qui eut le plus de succès le situa au centre de la terre. Cependant, à un moment donné, certains doutes sceptiques, troublant la placidité de la croyance en cette doctrine réconfortante, surgirent à la suite des déclarations embarrassantes des savants. Ainsi que le fait observer dans notre propre siècle, le Rev. Tobias Swinden, cette théorie est inadmissible pour deux raisons : 1° il est impossible de supposer qu'il puisse exister un stock de combustible ou de soufre, suffisants pour maintenir constamment un feu aussi ardent ; et 2° que les particules nitreuses de l'air y font défaut pour la combustion. "Et comment, s'écrie-t-il, un tel feu peut-il être éternel, lorsque, de cette manière, toute la substance terrestre aura graduellement été consumée 27 ?" Ce sceptique ignorait probablement, qu'il y a déjà plusieurs siècles, saint Augustin avait résolu le problème. N'avons-nous pas la déclaration de ce savant théologien que, malgré tout, l'enfer est bien situé au centre de la terre, car "Dieu fournit l'air au feu central au moyen d'un miracle" ? L'argument est irréfutable, de sorte que nous ne voulons pas chercher à le contredire 28.
24 Apocalypse XVI, 8-9.
25 Aristote parle de disciples de Pythagore qui plaçaient la sphère de feu dans le soleil, en lui donnant le nom de Prison de Jupiter. Voyez De cælo, liv. II.
26 Origène, De princ I, VI. Cf – De Civit-Dei, I, XXI, c. 17.
27 Demonologia and Hell, Londres 1827, p. 289.
28 [Swinden, op. cit., p. 75.]
Ce furent les Chrétiens qui, les premiers, érigèrent l'existence de Satan en dogme de l'Eglise. Et, l'ayant ainsi établi, celle-ci eut à lutter pendant plus de 1.700 ans contre la force mystérieuse que sa politique lui imposait d'attribuer à une origine diabolique. Malheureusement, cette force en se manifestant, vient renverser une pareille croyance, en raison de la ridicule disproportion qu'il y a entre la cause supposée et ses effets. Si le clergé n'a pas exagéré le véritable pouvoir de "l'Archi Ennemi de Dieu", il faut avouer qu'il prend de sérieuses précautions pour ne pas être qualifié de "Prince des Ténèbres" qui en veut à nos âmes. Si les "esprits"modernes sont des diables, ainsi que le prétend l'Eglise, ils ne peut être que ces "pauvres, imbéciles de diables" que Max Muller décrit comme apparaissant souvent, dans les contes allemands et norvégiens. [23]
Malgré cela, le clergé craint, par-dessus tout, de se voir forcé d'abandonner cette emprise qu'il a sur l'humanité. Il refuse de nous laisser juger l'arbre à ses fruits, car ce raisonnement pourrait parfois le placer sur un terrain dangereux. Il refuse aussi d'admettre avec ceux qui n'ont pas de parti pris, que les phénomènes du Spiritisme ont, sans contredit, spiritualisé et ramené au bien maint athée et sceptique endurci. Mais, comme ils l'avouent eux-mêmes, à quoi servirait un Pape, s'il n'existait pas de Diable ?
Et voilà pourquoi Rome met en campagne ses meilleurs avocats et prédicateurs pour sauver ceux qui périssent dans "l'abîme sans fond". Rome délègue ses écrivains les plus habiles pour servir cette cause – bien qu'ils répudient avec indignation une pareille accusation – et dans chaque préface des ouvrages du prolifique des Mousseaux, le Tertulien français de notre siècle, nous en voyons des preuves indéniables. Ainsi, entre autres certificats d'approbation ecclésiastique, chaque volume est agrémenté du texte d'une certaine lettre adressée de Rome à ce pieux auteur, par le Père Ventura de Raulica, universellement connu. Qui n'a pas entendu parler de ce prêtre fameux ? C'est un des principaux piliers de l'Eglise romaine, Ex- Général de l'Ordre des Théatins, Consulteur de la Sacrée Congrégation des Rites, Examinateur des Evêques, et du clergé romain, etc., etc. Ce document éminemment caractéristique restera afin d'étonner les générations futures par son pur esprit de démonolatrie et sa sincérité à toute épreuve. Nous en traduisons un passage mot à mot, et en contribuant à sa propagation nous espérons mériter la bénédiction de notre Mère l'Eglise 29.
29 Les Hauts Phénomènes de la Magie, p. IV. Préface. Cf. La Magie au XIXème siècle, p. I.
"Cher Monsieur et excellent ami :
... Satan remporta sa plus grande victoire le jour où il réussit â faire nier son existence. Démontrer l'existence de Satan est rétablir un des dogmes fondamentaux de l'Eglise, qui servent de base au Christianisme, et sans lesquels Satan ne serait qu'un vain mot... La Magie, le mesmérisme, le magnétisme, le somnambulisme, le spiritualisme, le spiritisme, l'hypnotisme... ne sont que d'autres noms pour le SATANISME.
Dévoiler une pareille vérité et la montrer sous son jour véritable, c'est démasquer l'ennemi ; c'est dévoiler le danger immense de certaines pratiques, réputées innocentes ; c'est bien mériter de l'humanité et de la religion...
"PERE VENTURA DE RAULICA."
A-MEN ! [24]
Voilà un honneur inattendu pour nos "guides" américains en général et les innocents "guides Indiens" en particulier. Etre ainsi présentés à Rome comme princes de l'Empire d'Eblis est plus qu'ils n'auraient jamais pu espérer dans d'autres pays.
Sans soupçonner le moins du monde qu'elle travaillait pour le bien- être futur de ses ennemis, les spirites, l'Eglise en admettant, il y a quelques vingt ans, des Mousseaux et de Mireille comme biographes du Diable, et en leur donnant son approbation, a tacitement confessé sa collaboration littéraire.
A en juger par leurs titres ronflants, M. le Chevalier Gougenot des Mousseaux et son ami et collaborateur, le Marquis Eudes de Mireille, doivent être des aristocrates pur sang, tout en étant aussi des écrivains de talent et de haute érudition. S'ils n'abusaient pas des double points d'exclamation à la suite de chaque injure contre Satan et ses adorateurs, leur style serait impeccable. Quoi qu'il en soit, leur croisade contre l'ennemi de l'humanité fut acharnée et dura plus de vingt ans.
Avec les catholiques accumulant les phénomènes psychologiques pour arriver à prouver l'existence d'un diable personnel d'une part ; et de l'autre le comte de Gasparin, ancien Ministre de Louis Philippe collectionnant des volumes de faits pour prouver le contraire, les spirites de France ont contracté une dette éternelle de gratitude envers les deux adversaires. L'existence d'un univers spirituel, peuplé d'êtres invisibles, est maintenant démontré sans conteste. Ils ont réuni la quintessence des preuves puisées dans les annales historiques, en fouillant dans les plus anciennes bibliothèques. Toutes les époques, depuis celle d'Homère, jusqu'à nos jours, ont fourni des matériaux précieux à ces auteurs infatigables. En voulant prouver l'authenticité des miracles exécutés par Satan avant l'ère chrétienne, et au moyen âge, ils n'ont réussi qu'à jeter une base solide pour l'étude des phénomènes dans nos temps modernes.
Bien que des Mousseaux fut un enthousiaste ardent mais intransigeant, il se transforme inconsciemment en un démon tentateur, ou, comme il aime à qualifier le Diable – en "Serpent de la Genèse". Dans son désir de prouver dans toute manifestation la présence du Malin, il ne réussit qu'à démontrer que le Spiritisme et la Magie ne sont pas nouveaux en ce bas monde, mais que ce sont de très anciens frères jumeaux, dont l'origine doit être recherchée dans l'enfance des anciennes nations de l'Inde, de la Chaldée, de la Babylonie, de l'Egypte, de la Perse et de la Grèce.
Il prouve l'existence des "esprits", que ceux-ci soient des anges ou des démons, avec une telle clarté d'argumentation et de logique, et par de telles preuves historiques irréfutables et authentifiées, qu'il ne reste plus grand chose à faire pour les auteurs spirites [25] qui viendraient après lui. Il est fort regrettable que les savants, qui ne croient ni au diable ni aux esprits soient enclins à tourner en ridicule les ouvrages de M. des Mousseaux sans les lire, car ils contiennent beaucoup de faits du plus haut intérêt scientifique !
Nous ne devons pas nous attendre à autre chose dans notre siècle d'incrédulité, puisque Platon, il y a vingt-deux siècles, se plaignait déjà de la même chose. "Moi aussi, s'écrie-t-il dans son Euthyphron, lorsque je disserte en assemblée publique sur les choses divines, et que je leur prédis ce qui va arriver, ils me taxent de fou ; et quoique tout ce que je leur ai prédit se soit réalisé, ils envient tous les hommes comme moi. Cependant il ne faut pas y faire attention, mais poursuivre notre route."
Il est évident que ces auteurs modernes ont largement puisé dans les ressources littéraires du Vatican et celles d'autres dépôts du savoir de la catholicité. Lorsqu'on a sous la main de tels trésors – manuscrits originaux, papyrus, et livres dérobés aux plus riches bibliothèques païennes ; vieux traités sur la magie et l'alchimie ; annales des procès de sorcellerie et les jugements qui ont condamné les accusés à la question, à la torture et au bûcher, il est aisé de remplir des volumes avec des accusations contre le Diable. Nous sommes bien fondés pour affirmer que des centaines d'ouvrages les plus précieux sur les sciences occultes, qui sont condamnés à être pour toujours cachés aux yeux du public ont été attentivement lus et étudiés par les privilégiés ayant accès à la Bibliothèque du Vatican. Les lois de la nature sont les mêmes pour le sorcier païen que pour le saint catholique ; et l'un peut produire un "miracle" aussi aisément que l'autre, sans intervention quelconque de Dieu ou du diable.
A peine les manifestations [spirites] commencèrent-elles à attirer l'attention de l'Europe, que le clergé jeta le cri d'alarme que son ennemi traditionnel avait réapparu sous un autre nom, et alors on commença à entendre parler de "miracles divins" dans différents endroits isolés les uns des autres. Au début ils eurent lieu chez des individus d'humble extraction, qui prétendirent qu'ils étaient produits par la Vierge Marie, les saints et les anges ; d'autres, d'après le clergé, commencèrent à souffrir d'obsession et de possession, car il fallait que le Diable eût sa part de renommée, de même que la Divinité. Mais, voyant que, malgré les avertissements, les phénomènes indépendants, ou soi-disant spirites, allaient en augmentant, et que ces manifestations menaçaient de renverser les dogmes solidement établis de l'Eglise, une nouvelle extraordinaire vint, tout à coup, jeter la consternation dans le monde entier. Une communauté tout entière fut possédée du Diable en 1864. Morzine, avec ses terribles histoires et ses démoniaques ; Valleyres, avec les récits de ses manifestations bien authentifiées de sorcellerie, et ceux [26] du Presbytère de Cideville glacèrent le sang dans les veines de tous les bons catholiques.
Il est curieux de noter, et la question a été mainte et mainte fois posée, pourquoi les "miracles divins" et la plupart des cas d'obsession sont-ils strictement confinés aux pays et aux diocèses catholiques Romains ? Pourquoi, depuis la Réforme, n'y a-t-il pas eu un seul "miracle" divin, dans un pays protestant ? Il est tout naturel que la réponse catholique ait été que ces derniers sont peuplés d'hérétiques et, par conséquent, qu'ils sont abandonnés de Dieu. Pourquoi alors, n'y a-t-il pas plus de miracles d'Eglise en Russie, où la religion ne diffère de la religion catholique Romaine que dans les formes rituelles extérieures, ses dogmes fondamentaux étant les mêmes, sauf en ce qui concerne la procession du Saint-Esprit ? La Russie possède ses propres saints, ses reliques thaumaturgiques et ses images miraculeuses. Saint Mitrophane de Voroneg est un faiseur de miracles authentique mais ses miracles se limitent à la guérison ; et quoique des centaines de malades aient été guéris par la foi, que l'ancienne cathédrale soit remplie d'effluves magnétiques, et que des générations entières continuent à avoir foi en son pouvoir, et les malades à être guéris, on n'entend jamais parler en Russie, d'apparitions de la Madone, de lettres écrites par elle, ou de ses statues parlantes des pays catholiques. Pourquoi en est-il ainsi ? Pour la simple raison que les empereurs Ont formellement défendu ce genre de choses. Le Tzar, Pierre le Grands arrêtait net tout miracle "divin"apocryphe d'un froncement de ses augustes sourcils ; il déclara qu'il ne voulait entendre parler de faux miracles, attribués aux saintes icônes (images des saints), et ils disparurent à jamais 30.
On relate des cas isolés et indépendants de phénomènes produits par certaines images dans le siècle dernier le dernier fut celui du saignement de la joue de la Vierge, lorsqu'un soldat de Napoléon lui sabra le visage.
30 Dr Stanley, Lectures on the Eastern church, p. 407.
Ce miracle qu'on prétend avoir eu lieu en 1812, pendant l'invasion de la Grande Armée, fut le dernier à être enregistré 31. [27]
31 Un cas curieux eut lieu dans la famille d'un riche propriétaire foncier du Gouvernement de Tambov pendant la campagne de Hongrie en 1848. N'ayant pas d'enfants, il avait adopté un neveu qu'il aimait beaucoup ; ce neveu combattait dans l'armée Russe. Le vieux couple plaçait un portrait à l'aquarelle du neveu, sur la table à la place qu'il aurait occupée. Un soir, tandis que la famille prenait le thé avec quelques amis, le verre qui couvrait le portrait se brisa en mille morceaux avec un bruit d'explosion, sans qu'il eût été touché. Lorsque la tante prit le portrait dans ses mains elle vit que le front et la tête étaient couverts de sang. Les amis, afin de la tranquilliser, la persuadèrent que le sang provenait d'une coupure qu'elle avait dû se faire avec le verre cassé. Mais après examen on ne lui trouva aucune blessure aux mains et personne d'autre n'avait touché le portrait. Inquiet de la voir si frappée, le mari, sous prétexte d'examiner le portrait de plus près, se coupa volontairement et essaya de la persuader que c'était son sang et qu'il avait pris le cadre au moment de la première surprise sans que personne s'en soit aperçu. Tout fut en vain, et la vieille dame était certaine que leur neveu Dimitri avait été tué. Elle fit dire des messes quotidiennes pour le repos de son âme dans l'église du village, et fit porter le deuil à toute la maisonnée. Quelques semaines plus tard une communication officielle parvint du colonel de son régiment les informant que leur neveu avait été tué par un éclat d'obus qui lui avait enlevé toute la partie supérieure de la tête.
Mais depuis lors, et bien que les trois empereurs successifs aient été des hommes très pieux, leur volonté a été respectée, et les images des saints se sont tenues coites, et on n'en parle guère si ce n'est en relation avec le culte religieux. En Pologne, cette terre archi-ultramontaine, il y eut, à diverses reprises, des tentatives désespérées de production de miracles. Elles furent étouffées dès le début, la police ayant l'œil ouvert pour les réprimer, car les miracles catholiques en Pologne, mis en avant par les prêtres, étaient généralement suivis d'une révolution politique, de massacre et de guerre.
Nous pouvons donc inférer que si, dans un pays, les miracles divins peuvent être arrêtés par les lois civiles et militaires, et que dans un autre, ils n'ont jamais lieu, il faut chercher l'explication de ces faits dans une cause naturelle, au lieu de les attribuer à Dieu ou au diable. A notre avis – s'il a une valeur quelconque – tout le secret réside en ceci : le clergé russe ne se soucie pas d'impressionner ses ouailles, dont la piété sincère et forte n'a pas besoin de miracles ; il est persuadé que rien n'est mieux calculé pour semer dans les masses le doute et le scepticisme qui finit par dégénérer en athéisme. De plus, le climat s'y prête moins et le magnétisme de l'ensemble de la population est trop positif, trop sain, pour engendrer des phénomènes indépendants ; par conséquent la fraude ne prendrait pas. D'un autre côté, ni le clergé protestant d'Allemagne, ni celui d'Angleterre, ni même celui d'Amérique, n'ont eu accès aux Bibliothèques secrètes du Vatican, depuis l'époque de la Réformation. Par conséquent ce ne sont tous que de piètres acteurs pour la magie d'Albertus Magnus.
Si l'Amérique est inondée de médiums et de sensitifs, cela tient d'une part, à l'influence climatérique et surtout aux conditions physiologiques de la population. Depuis l'époque de la sorcellerie de Salem, il y a environ 200 ans, lorsque les colons, plutôt clairsemés, portaient dans leurs veines un sang pur et non adultéré, on n'entendit presque jamais parler "d'esprits" ou de "médiums jusqu'en 1840 32 phénomènes firent alors leur apparition en premier lieu chez les Shakers ascétiques et exaltés, chez lesquels [28] les besoins religieux, les coutumes particulières, la pureté morale de la vie, et la chasteté physique, les portaient à produire des phénomènes indépendants de nature psychologique aussi bien que physique. Depuis l'an 1492 des centaines de mille, que dis-je, des millions d'individus de tous climats et de toutes sortes de coutumes et de constitutions ont envahi l'Amérique du Nord, et se mariant entre eux ont considérablement changé le type physique de ses habitants. Dans quel pays du monde la constitution féminine peut-elle être comparée à cette constitution délicate, nerveuse et sensitive, des femmes des Etats-Unis ? A notre arrivée dans ce pays nous avons été frappée de la transparence délicate du teint chez les deux sexes. Comparez un garçon ou une fille travaillant dans une fabrique irlandaise, à un spécimen de famille américaine authentique. Regardez leurs mains. L'un travaille aussi dur que l'autre ; ils sont du même âge, et paraissent aussi sains l'un que l'autre ; néanmoins tandis que les mains des uns après une heure de savonnage laisseront voir une peau à peu près aussi douce que celle d'un jeune crocodile, celle des autres malgré un travail constant permet de voir circuler le sang sous la peau fine et délicate. Ne nous étonnons donc pas, bien que l'Amérique soit la serre des êtres sensitifs, que le clergé en général, impuissant à produire des miracles divins ou non, nie la possibilité des phénomènes autres que ceux qui sont le résultat de fraudes et de tours de passe-passe. Il est tout naturel aussi que les prêtres catholiques, parfaitement au courant de l'existence de la magie et des phénomènes spirites, qui y croient tout en ayant une crainte instinctive de leurs conséquences, essaient de tout attribuer à l'action du diable.
32 Des exécutions pour sorcellerie eurent lieu pas plus tard que le siècle dernier dans d'autres provinces de l'Amérique. Une surtout, où des nègres furent brûlés vifs à New-Jersey ; ce supplice fut répudié dans plusieurs Etats. Même dans la Caroline du Sud, en 1865, lorsque le gouvernement fut "reconstruit" après la guerre civile, les lois condamnant à mort pour cause de sorcellerie n'avaient pas été rapportées. Il n'y a pas un siècle qu'elles ont été remises en vigueur suivant la lettre meurtrière de leur texte.
Voici encore un argument comme preuve accessoire à ce que nous avançons. Dans quels pays les "miracles divins" ont-ils été les plus fréquents et les plus remarquables ? Ce fut sans contredit dans l'Espagne catholique et dans l'Italie Pontificale. Et lequel de ces deux pays a eu le plus accès à l'ancienne littérature ? L'Espagne était célèbre pour ses bibliothèques ; les Maures pour leurs profondes connaissances en alchimie et autres sciences. Le Vatican est le dépositaire d'une immense quantité de manuscrits anciens. Ils s'y accumulent depuis plus de 1.500 ans à la suite de procès sans nombre, où les livres et les manuscrits ont été arrachés aux victimes de l'Eglise et confisqués à son profit. Les catholiques diront que ces livres furent généralement livrés aux flammes ; que les ouvrages des célèbres sorciers et enchanteurs périrent avec leurs auteurs exécrés. Mais le Vatican, s'il pouvait parler, en donnerait une autre version. Il ne connaît que trop bien l'existence de certaines armoires et de certaines chambres dont l'accès n'est donné qu'à quelques rares privilégiés. Il sait également que l'entrée de ces cachettes secrètes est si bien dissimulée dans les sculptures des cadres et la [29] profusion d'ornements des murs de la Bibliothèque que même certains Papes qui ont vécu et sont morts dans les enceintes du palais, n'en ont jamais soupçonné l'existence. Mais ces Papes ne furent ni Sylvestre II, ni Benoît IX, ni Jean XX, ni Grégoire VI et VII ; ce furent encore moins le célèbre Borgia, de toxicologique mémoire. Ce ne furent pas non plus les amis des fils de Loyola, qui ignorèrent l'existence de ce savoir caché.
Où trouverons-nous dans les annales de la Magie européenne, de plus habiles magiciens que dans les mystérieuses solitudes des cloîtres ? Albert le Grand, le célèbre évêque et magicien de Ratisbonne, n'a jamais été surpassé dans son art. Roger Bacon était un moine et Thomas d'Aquin fut un des plus éminents élèves d'Albert le Grand. Trithemius, abbé des Bénédictins de Sponheim, était le maître, l'ami et le confident de Cornélius Agrippa ; et tandis que les confédérations de Théosophes étaient largement répandues en Allemagne, où elles prirent naissance, s'aidant les unes les autres, et luttant pendant des années pour acquérir les connaissances ésotériques, quiconque parvenait à devenir le disciple favori de certains moines pouvait très bien se voir promptement initié à toutes les branches importantes de la connaissance occulte.
Tout cela fait partie de l'histoire et ne peut être nié. La Magie, sous tous ses aspects, était largement et ouvertement pratiquée par le clergé jusqu'à la Réforme. Et même celui auquel on donna jadis le nom de "Père de la Réformation", le célèbre John Reuchlin 33, auteur du Monde Merveilleux et ami de Pic de la Mirandole, le maître et l'instructeur d'Erasme, de Luther et de Melanchton, était cabaliste et occultiste.
L'antique sortilegium ou divination au moyen des Sortes ou tirages au sort – pratique réprouvée aujourd'hui par le clergé comme une abomination, que le Stal. 10 Jac. taxait de félonie, et que le Stat. 12 Carol II plaçait hors la liste des pardons généraux, sous l'inculpation de sorcellerie 34 – était largement pratiqué par le clergé et les moines. Que dis- je, il était sanctionné par saint Augustin lui-même, qui ne "désapprouvait pas cette manière de connaître l'avenir, à la condition que ce ne fût pas pour des besoins séculiers." Bien plus, il confesse l'avoir pratiquée lui- même 35.
Mais voilà ; le clergé lui donnait le nom de sortes sanctorum lorsque c'était lui qui le pratiquait ; tandis que le sortes prœnestinæ, suivi du sortes Homericæ et du sortes Virgilianœ étaient du [30] pur paganisme, le culte du Démon, lorsque d'autres qu'eux en faisaient usage.
Grégoire de Tours nous fait savoir que lorsque le clergé avait recours aux sortes, ils avaient l'habitude de placer la Bible sur l'autel, en priant le Seigneur de leur faire connaître Sa volonté et de leur dévoiler l'avenir dans un des versets du livre. Guibert de Nogent, dit que de son temps (vers le XIIème siècle), la coutume était, lorsqu'on consacrait un évêque, de consulter le sortes sanctorum, afin de connaître de cette manière le succès et le sort de l'épiscopat. D'un autre côté, on nous dit que les sortes sanctorum furent interdits par le Concile d'Agde en 506. Cela nous autorise à demander de quel côté l'infaillibilité de l'Eglise est-elle mise en question ? Est-ce lorsqu'elle interdit ce qui fut pratiqué par son plus grand patron saint Augustin, ou lorsque les Sortes furent ouvertement employés au XIIème siècle, par le clergé de l'Eglise dans les élections épiscopales ?
33 Voyez le titre de la traduction anglaise du Reuchlin und seine Zeit, Berlin 1830, par Mayerhof. The Life and Times of John Reuchlin or Capnion The Father of the German Reformation, par F. Barham, Londres, 1843.
34 Lord Coke : 3 Institutes, fol. 44.
35 Voyez La Vie de saint Grégoire de Tours.
Ou bien, devons-nous croire que dans ces deux cas contradictoires, le Vatican a agi sous l'inspiration directe de l'Esprit de Dieu ? S'il existe un doute que ces pratiques qui prévalent encore plus ou moins aujourd'hui chez de strictes Protestants, avaient l'approbation de Grégoire de Tours, qu'ils lisent le passage suivant : "Lendastus, comte de Tours, qui voulait me nuire auprès de la reine Frédégonde, vint à Tours rempli de mauvaises intentions à mon égard ; je me réfugiai plein d'inquiétude dans mon oratoire où je pris le livre des Psaumes... Mon cœur bondit au-dedans de moi lorsque mes yeux tombèrent sur ce verset du Psaume soixante-dix- septième : "Il leur permit de continuer leur chemin en paix pendant que la mer engloutit leurs ennemis." Par conséquent, le comte ne dit pas un mot contre moi ; et en quittant Tours le jour même, le bateau sur lequel il était monté chavira dans une tempête ; mais le comte étant bon nageur, en échappa."
Le saint évêque confesse de la sorte qu'il avait pratiqué un peu magnétiseur connaît le pouvoir de la volonté, lorsque le désir est fixé avec intensité sur un sujet donné. Tout magnétiseur connaît le pouvoir de la volonté, lorsque le désir est fixé avec intensité sur un sujet donné. Que ce soit une coïncidence ou non, le verset en question lui suggéra sa vengeance par noyade. Comme il passa le reste de sa journée "plein d'inquiétude", possédé de cette pensée obsédante, le saint, peut-être inconsciemment, fixa sa volonté sur le sujet ; croyant voir alors le doigt de Dieu dans l'accident, il devient tout bonnement un sorcier exerçant sa volonté de magnétiseur, qui réagit sur la personne de son ennemi ; le comte s'en tira tout juste avec la vie sauve. Si Dieu avait décrété l'accident, le comte se serait certainement noyé ; car un simple bain n'aurait pu changer ses mauvaises intentions à l'égard de saint Grégoire, si sa volonté avait été nettement arrêtée. [31]
Nous voyons encore fulminer des anathèmes contre cette loterie du sort, au Concile de Vannes, qui interdit "à tout ecclésiastique, sous peine d'excommunion, de pratiquer ce genre de divination, ou de chercher à connaître l'avenir, soit en consultant un livre ou un écrit quelconque". La même prohibition est faite aux conciles d'Agde en 506, d'Orléans en 511, d'Auxerre en 578 et enfin au concile d'Ænham en 1110 ; ce dernier condamnait "tout sorcier, sorcière, devin qui auraient occasionné la mort par des pratiques magiques, ou qui diraient la bonne aventure au moyen de tirage au sort dans les livres sacrés" ; la plainte de tout le clergé réuni contre de Garlande, évêque d'Orléans, adressée au pape Alexandre III, termine ainsi : "Que vos mains apostoliques se chargent de force pour mettre à nu l'iniquité de cet homme, afin qu'il soit atteint par la malédiction prédite contre lui, le jour de sa consécration ; car, en ayant ouvert les Evangiles suivant la coutume, les premières paroles furent : et le jeune homme abandonnant entre leurs mains son vêtement de lin, s'enfuit de là tout nu 36."
Pourquoi, alors, brûler les magiciens laïques, et ceux qui consultent les livres, si l'on canonise les ecclésiastiques ? Parce que les phénomènes du moyen âge de même que ceux d'aujourd'hui manifestés par des laïques, qu'ils soient le résultat de la science occulte ou se produisant spontanément, viennent renverser les prétentions des Eglises Catholiques et Protestantes aux miracles divins. A la suite de preuves réitérées et incontestables, il devint impossible à ces Eglises, de maintenir avec quelque chance de succès l'affirmation que les manifestations semblant miraculeuses, avec l'intervention directe de Dieu et de ses "bons anges", ne pouvaient être produites uniquement par ses ministres élus et ses saints. II était également impossible pour les Protestants, se plaçant sur le même terrain, d'affirmer que les miracles avaient pris fin avec l'époque apostolique. Car, qu'ils obéissent, aux mêmes lois naturelles ou non, les phénomènes modernes ont une parenté étroite avec ceux de la Bible. Les magnétiseurs et les guérisseurs de notre époque, entraient en concurrence directe et ouverte avec les apôtres. Le Zouave français Jacob rivalisait avec le Prophète Elie, en rappelant à la vie des personnes qui paraissaient mortes ; et Alexis Didier, le somnambule, dont M. Wallace fait mention dans son ouvrage 37, par sa lucidité, faisait honte aux apôtres, aux prophètes et aux Sybilles de jadis. Depuis que la dernière sorcière périt sur le bûcher, la grande Révolution Française, préparée avec tant de soins par la ligue des sociétés secrètes et leurs habiles émissaires, avait envoyé son souffle [32]à travers toute l'Europe, en jetant la terreur au sein de l'Eglise et de ses prêtres. Comme un ouragan dévastateur, elle balaya dans sa course les meilleurs alliés de l'Eglise, l'aristocratie Catholique Romaine. Dès ce moment le droit de l'opinion individuelle se trouva établi sur une base solide. Le monde fut délivré de la tyrannie ecclésiastique en frayant un chemin pour l'entrée du Grand Napoléon, qui infligea le coup mortel à l'Inquisition. Ce grand abattoir de l'Eglise Chrétienne – où elle immola, au nom de l'Agneau, toutes les brebis qu'arbitrairement elle déclarait galeuses – tomba en ruines et elle se vit laissée à ses propres responsabilités et ressources.
36 Traduit d'un document original aux Archives d'Orléans, France ; Voyez aussi Sortes et Sortilèges ; et Lettres de Pierre de Blois, Paris, 1667.
37 Miracles and Modern Spiritualism.
38. Il existait deux sièges de l'apôtre titulaire de Rome. Le clergé effrayé des preuves ininterrompues fournies par les recherches scientifiques, décida enfin de faire front à l'ennemi, et nous remarquons que la Chronique des arts donne l'explication la plus habile, en même temps que la plus jésuite du fait. D'après leur version, "l'augmentation du nombre des fidèles, décida Saint-Pierre à faire de Rome le centre de son activité. Le cimetière d'Ostrianum était trop éloigné et ne suffisait plus aux réunions des chrétiens. Le motif qui avait décidé 1 apôtre de conférer successivement à Linus et à Clétus la dignité épiscopale, afin de leur permettre de partager les charges d'une église qui devait être illimitée, conduisit à multiplier le nombre des lieux de réunion. Par conséquent, Pierre fixa sa résidence particulière sur le Viminal ; et ce fut là que s'établit ce siège mystérieux, symbole du pouvoir et de la vérité. L'auguste siège qu'on vénérait dans les catacombes d'Ostrian ne fut pourtant pas enlevé. Pierre continua à visiter ce berceau de l'Eglise Romaine et, sans doute y exerça souvent ses saintes fonctions. Un second siège, exprimant le même mystère que le premier, fut placé à Cornélia et c'est celui-là qui nous a été légué des siècles passés."
Or, loin qu'il y ait la possibilité de l'existence de deux sièges authentiques de cette sorte, la majorité des critiques est d'accord pour déclarer que Pierre n'a jamais été à Rome du tout ; les raisons sont nombreuses et irréfutables. Peut-être ferions-nous bien de commencer en citant les ouvrages de Justin Martyr. Ce grand champion du Christianisme, écrivant dans la première partie du second siècle, à Rome, où il s'était fixé, désireux de réunir jusqu'aux plus infimes preuves de la vérité pour laquelle il devait souffrir par la suite, parait être tout à fait ignorant de l'existence de saint Pierre !!
Aucun écrivain d'une certaine notoriété n'en fait non plus mention en relation avec l'Eglise de Rome avant l'époque d'Irénée, lorsque celui-ci se mit à inventer une nouvelle religion, tirée des profondeurs de sa propre imagination. Le lecteur qui désirerait se documenter à ce sujet, ferait bien de lire l'intéressant ouvrage de M. George Reber, The Christ of Paul. Les arguments de cet auteur sont concluants. L'article cité ci-dessus de la Chronique des Arts, parle de l'augmentation des fidèles, au point que le cimetière d'Ostrianum ne pouvait plus contenir la foule des chrétiens. Or, si saint Pierre a jamais été à Rome – suivant l'argument de M. Reber – cela a dû être entre les années 64 et 69 de notre ère ; car en 64 il était à Babylone, d'où il écrivit les épîtres et les lettres à Rome, et alors à une époque entre 64 et 68 (durée du règne de Néron) il a dû mourir en martyr, ou dans son lit, car Irénée lui fait transmettre l'Eglise de Rome, d'accord avec saint Paul (!?) (qu'il persécuta et avec lequel il se disputa pendant toute sa vie) entre les mains de Linus qui prit l'épiscopat en 69. (Voyez le Christ of Paul, par Reber, p. 122). Nous y reviendrons plus longuement au chapitre III.
Comment se fait-il alors, et ceci nous le demandons au nom du sens commun, que les fidèles de l'Eglise de Saint-Pierre aient augmenté à ce point, si Néron, pendant tout son règne, les a fait emprisonner et mourir comme des souris ? L'histoire nous dit que les quelques chrétiens qui étaient à Rome se sauvaient de la ville où et comment ils pouvaient, afin d'échapper aux persécutions de l'Empereur, et la Chronique des Arts au contraire, les fait augmenter et se multiplier ! L'article en question continue en disant : "Le Christ avait voulu que le signe visible de l'autorité doctrinale de son vicaire eût également sa part d'immortalité ; on en suit la trace, siècle après siècle, dans les documents de l'Eglise Romaine." Tertullien en atteste formellement l'existence dans son livre De Præscriptionibus XXXVI. Désireux de nous renseigner sur un sujet de cette importance, nous serions heureux si l'on voulait bien nous faire savoir quand le Christ a-t-il voulu une chose pareille ? Quoi qu'il en soit, "on a fait incruster des ornements d'ivoire sur le devant et le dos de la chaise, mais seulement sur les parties qui avaient été restaurées avec du bois d'acacia. Les ornements qui couvrent le panneau du devant sont divisés en trois rayons superposés, chacun composé de six plaques d'ivoire, sur lesquelles sont gravés différents sujets, entre autres les Travaux d'Hercule.
Quelques-unes des plaques avaient été mal placées, et paraissent avoir été ajoutées à la chaise au moment où les fragments antiques étaient employés comme ornements, sans se préoccuper s'ils étaient bien à leur place." Voilà la question. L'article en question est tout simplement une habile réponse à diverses questions publiées pendant le siècle actuel. Bower dans son History of the Popes (vol. I p. 7) raconte qu'en 1662, lorsqu'on nettoya un des sièges, "on s'aperçut qu'on y avait gravé malheureusement les douze travaux d'Hercule", après quoi le siège fut enlevé et remplacé par un autre. Mais en 1795, lorsque Rome fut occupée par les soldats de Bonaparte, on examina de nouveau le siège. Cette fois on y trouva gravée en lettres arabes, la confession de foi de Mahomet : "Il n'y a pas d'autre Dieu qu'Allah et Mahomet est son prophète." (Voyez appendice d'Ancient Symbol Worship, par H.-M. Westropp et C. Staniland Wake.) Le Prof. Alexander Wilder fait observer avec raison dans l'appendice : "Nous voulons supposer que l'apôtre de la Circoncision, ainsi que Paul, son grand rival, l'appelle, n'a jamais été, du tout, dans la cité impériale, et qu'il n'y a jamais eu, non plus, de successeur, même dans le ghetto. Par conséquent, "Le Siège de Saint-Pierre" est plutôt sacré qu'apostolique. Sa sainteté, toutefois, provient de la religion ésotérique des anciens temps romains : Il fut probablement occupé par le hiérophante des Mystères, les jours d'initiation, lors de la présentation aux candidats du petrona [tablette de pierre où étaient inscrites les dernières révélations du hiérophante au néophyte pour son initiation."]
Tant que l'apparition du phénomène ne fut que sporadique, l'Eglise s'est toujours crue assez puissante pour en réprimer les conséquences. La superstition et la croyance au Diable étaient aussi fortes que jamais, et la science n'avait pas encore osé mesurer publiquement ses forces contre celles de la Religion surnaturelle. Mais entre temps, l'ennemi avait lentement, mais sûrement, gagné du terrain, et, tout d'un coup la guerre éclata avec une violence inattendue. Les "Miracles" s'opérèrent au grand jour, et de leurs cachettes mystiques, ils passèrent dans le domaine des lois naturelles, où la main profane de la science était toute préparée pour arracher le masque sacerdotal. Néanmoins l'Eglise tint bon pendant quelque temps, et maîtrisa la puissance envahissante avec l'aide de la crainte superstitieuse. Mais, lorsque, coup sur coup, apparurent des magnétiseurs et des somnambules qui reproduisaient les phénomènes extatiques, physiques et mentaux, que jusqu'alors on croyait être le privilège des saints ; lorsque la frénésie des tables tournantes envahit la France et d'autres pays ; lorsque la psychographie – supposée spirituelle – de simple objet de curiosité se transforma en un intérêt discontinu pour déferler en mysticisme religieux ; lorsque les échos éveillés par les premiers coups frappés à Rochester, traversèrent l'océan, et furent répercutés dans toutes les parties du monde, alors, et alors seulement, l'Eglise de Rome eut le sentiment du danger qui la menaçait. Les cercles spirites et les chambres de séances des magnétiseurs retentirent des merveilles qui y furent présentées ; les malades étaient guéris, les aveugles recouvraient la vue, les infirmes se mirent à marcher et les sourds à entendre. J. R. Newton en Amérique et Du Potet en France guérissaient les malades sans prétendre à aucune intervention divine. La grande découverte de Mesmer, qui révèle au chercheur sérieux le mécanisme de la nature, maîtrisa, comme par enchantement, les corps organiques et inorganiques.
Mais ce n'était pas le pire. Une calamité bien plus sérieuse s'abattit sur l'Eglise dans l'évocation d'une multitude "d'esprits"des mondes supérieurs et inférieurs, et leur conversation, de même que leur attitude, vinrent donner le démenti le plus formel aux [33] dogmes de l'Eglise les plus sacrés et les plus profitables. Ces "esprits" prétendaient être les mêmes entités, à l'état désincarné, des pères, mères, fils et filles, amis et connaissances de ceux qui assistaient à ces étranges phénomènes. Le Diable semblait avoir perdu son existence objective, et ce coup sapa les fondations mêmes sur lesquelles reposait le siège de Saint-Pierre 38. Pas un Or, loin qu'il y ait la possibilité de l'existence de deux sièges authentiques de cette sorte, la majorité des critiques est d'accord pour déclarer que Pierre n'a jamais été à Rome du tout ; les raisons sont nombreuses et irréfutables. Peut-être ferions-nous bien de commencer en citant les ouvrages de Justin Martyr. Ce grand champion du Christianisme, écrivant dans la première partie du second siècle, à Rome, où il s'était fixé, désireux de réunir jusqu'aux plus infimes preuves de la vérité pour laquelle il devait souffrir par la suite, parait être tout à fait ignorant de l'existence de saint Pierre !! Pasz un seul esprit, [34] à part les entités espiègles de la Planchette, ne voulut reconnaître une parenté, même éloignée avec sa majesté satanique, ou lui faire crédit d'un seul pouce de royauté. Le clergé sentait son prestige diminuer de jour en jour, puisque le peuple secouait impatiemment au grand jour de la vérité, les sombres voiles qui lui avaient obscurci la vue pendant tant de siècles. Puis, finalement, la fortune qui les avait assistés jusqu'alors, dans leur longue lutte entre la théologie et la science, passa au camp adverse. L'aide que celui-ci apporta à l'étude du côté occulte de la nature fut aussi précieuse que bienvenue, et la science inconsciemment élargit le sentier jadis si étroit des phénomènes, en une spacieuse avenue. Si ce conflit ne s'était terminé juste à temps, il est probable que nous aurions vu se renouveler sur une échelle réduite les scènes scandaleuses de la sorcellerie de Salem et des nonnes de Loudun. De toutes façons, le clergé était désormais maté.
Mais, si la science a contribué involontairement au développement des phénomènes occultes, ceux-ci, de leur côté, lui ont prêté leur aide. Jusqu'à l'époque où la philosophie nouvellement réincarnée a revendiqué hautement sa place dans le monde, relativement peu de savants avaient entrepris la tâche ingrate de l'étude de la théologie comparée. Cette science fait partie d'un domaine où, jusqu'ici, peu d'explorateurs s'étaient aventurés. Cette étude, exigeant une connaissance profonde des langues mortes, limita nécessairement le nombre des étudiants. De plus, le besoin s'en faisait peu sentir, tant qu'on n'avait pas réussi à remplacer l'orthodoxie chrétienne par quelque chose de plus tangible. C'est une des vérités indéniables de la psychologie que l'homme ordinaire est aussi peu capable de vivre en dehors d'un élément religieux, que le poisson hors de l'eau. La voix de la vérité cette voix plus puissante que [35] "celle du tonnerre" parle à l'homme intérieur dans le XIXème siècle de l'ère chrétienne, de la même manière qu'elle lui parlait dans le siècle correspondant avant Jésus-Christ. C'est une tâche inutile et ingrate que celle de proposer à l'humanité le choix entre une vie future et l'annihilation. L'unique chance qui resterait aux amis du progrès de l'humanité désireux de fonder une foi pour son bien, entièrement dépourvue de superstition et de liens dogmatiques, serait de leur parler ainsi que l'avait fait Josué : "Choisissez aujourd'hui qui vous voulez servir, ou les dieux que servaient vos pères au-delà du fleuve, ou les dieux des Amorrhéens, dans le pays que vous habitez 39."
"La science de la Religion, écrivait Max Muller en 1860, en est à son début... Pendant les derniers cinquante ans, on a retrouvé d'une façon inattendue et presque miraculeuse, des documents authentiques concernant les religions les plus importantes du monde 40. Les livres canoniques du Bouddhisme sont maintenant ouverts devant nous : le Zend-Avesta de Zoroastre n'est plus un mystère pour nous ; les hymnes du Rig-Veda nous ont révélé une condition religieuse bien antérieure à l'aurore de la mythologie qui nous apparaît déjà comme une ruine vermoulue dans Homère et dans Hésiode 41.
39 Josué, XXIV, 15.
40 Un des faits les plus curieux qui se soit présenté à notre observation, c'est que les chercheurs profonds n'aient pas associé la répétition de ces trouvailles "inattendues et presque miraculeuses a d'importants documents au moment le plus opportun, avec un dessein prémédité. Il paraît étrange, que les gardiennes de la sagesse "païenne", voyant l'heure venue fassent que justement l'ouvrage, le document, ou la relique dont on avait besoin, se trouvât, comme par accident, sur le chemin de la personne qui pouvait l'utiliser ? Les géologues et les explorateurs, aussi compétents que Humboldt et Tschudi n'ont pas réussi à découvrir les mines secrètes d'où les Incas péruviens tiraient leurs trésors, bien que ceux-ci aient avoué que les indigènes dégénérés actuels en aient conservé le secret. L'archéologue Perring, en 1839, offrit deux bourses d'or au cheick d'un village Arabe, s'il voulait l'aider à découvrir le passage secret, conduisant aux chambres sépulcrales dans la pyramide Nord de Dashour. Mais, quoique ses hommes fussent sans travail et à moitié morts de faim, le cheick refusa de "vendre le secret des morts" en promettant toutefois de le divulguer pour rien, lorsque l'heure serait venue. Est-il, par conséquent, impossible que d'autres contrées du globe recèlent encore des restes de la glorieuse littérature du passé, fruit de sa merveilleuse civilisation ? Qu'y aurait-il de si surprenant à cela ? Qui sait, si, puisque l'Eglise Chrétienne a, sans le vouloir engendré la libre pensée par la réaction contre sa propre cruauté, sa rapacité et son dogmatisme, l'esprit public suivra, avec joie les Orientalistes qui l'éloignèrent de Jérusalem, pour la conduire vers Ellora ; et qu'alors sera révélé beaucoup de ce qui est caché aujourd'hui !
41 Chips from a German Workshop, vol. 1, p. 377-78. Monothéisme sémite.
Dans leur désir insatiable d'étendre le domaine de la foi aveugle, les premiers architectes de la théologie chrétienne se sont vus forcés autant que possible d'en cacher la véritable source. A cet effet, on dit qu'ils ont brûlé ou autrement détruit tous les manuscrits originaux de la Cabale, de la magie et d'autres sciences occultes qui leur sont tombés sous la main. Ils supposaient, dans leur [36] ignorance, que les ouvrages les plus dangereux de cette catégorie avaient péri avec le dernier Gnostique ; ils reconnaîtront peut être un jour leur erreur. D'autres documents, importants et authentiques, apparaîtront, peut-être, de nouveau, de la manière "la plus inattendue et presque miraculeuse".
Dans diverses partie de l'Orient, au mont Athos, et dans le désert de Nitrie, par exemple, certains moines et doctes rabbins de la Palestine, qui ont passé leur vie à étudier le Talmud, rapportent de curieuses traditions ; ils assurent que tous les rouleaux et les manuscrits, censés, d'après l'histoire, avoir été brûlés par César, par les émeutiers chrétiens en 389 et par le général arabe Amru, n'ont pas été détruits comme on le croit généralement ; leur version est la suivante : à l'époque de la dispute pour le trône, en l'an 51 avant J.-C. entre Cléopâtre et son frère Dionysius Ptolémée, le Bruchion qui renfermait plus de sept cent mille rouleaux, tous montés sur bois et en parchemin ignifugé, était en état de réparation ; une grande quantité des manuscrits originaux, qu'on considérait comme les plus précieux, et dont il n'y avait pas de duplicata, furent transportés dans la demeure d'un des bibliothécaires. Comme le feu qui consuma le reste fut attribué à un accident, aucune précaution ne fut prise à ce moment-là. Mais ils ajoutent que plusieurs heures s'écoulèrent entre l'incendie de la flotte, par ordre de César, et le moment où les premiers édifices à proximité du port prirent feu, à leur tour ; tous les bibliothécaires, aidés de plusieurs centaines d'esclaves attachés au muséum, réussirent à sauver les rouleaux les plus précieux. Le parchemin sur lequel ils étaient écrits était si solide et si parfait ; que bien que quelques pages intérieures et les couvertures de bois de quelques-uns des rouleaux fussent réduites en cendres, la reliure de parchemin des autres resta intacte. Ces détails furent écrits en langues grecque, latine et chaldéosyriaque par un jeune savant de nom de Théodas, un des scribes employés dans le muséum. Un de ces manuscrits passe pour avoir été conservé, dans un couvent de la Grèce, et celui qui fit part de cette tradition l'y avait vu lui-même. Il affirma que d'autres personnes le verraient également et apprendraient où il fallait rechercher les importants documents, lorsqu'une certaine prophétie aura été réalisée ; il ajouta qu'on retrouvera la plupart de ces ouvrages en Tartarie et en Inde 42. Le moine nous fit voir une copie de [37] l'original, que nous avouons avoir eu de la peine à lire, n'ayant aucune prétention à la connaissance des langues mortes. Mais nous fûmes si frappés de la lumineuse et pittoresque traduction du saint père, que nous avons parfaitement gardé la mémoire de certains paragraphes, qui, autant que nous pouvons nous le rappeler, disaient : – "Lorsque la Reine du Soleil (Cléopâtre) fut reconduite à la ville en ruines, après que le feu eût dévoré la Gloire du Monde ; et lorsqu'elle contempla la pile de livres – ou de rouleaux – qui couvrait les marches à moitié consumées de l'estrada ; lorsque voyant que l'intérieur avait disparu ne laissant que les couvertures indestructibles, elle pleura de rage et de honte, et maudit la parcimonie de ses ancêtres, qui avaient économisé sur le coût des vrais parchemins, aussi bien pour l'intérieur que pour l'extérieur des précieux rouleaux". De plus, l'auteur, Théodas, se permet une facétie envers la reine qui croyait que presque toute la bibliothèque avait été la proie des flammes ; quand, de fait, des centaines et des milliers des ouvrages les plus précieux avaient été soigneusement mis à l'abri dans sa propre maison et celles des autres scribes, bibliothécaires, étudiants et philosophes.
42 En y réfléchissant, nous croyons comprendre la signification des phrases suivantes du Moses of Choren : "Les anciens asiatiques, cinq siècles avant notre ère, et particulièrement les hindous, les perses et les chaldéens, gardaient, en leur possession, une quantité d'ouvrages historiques et scientifiques. Partie de ces ouvrages furent empruntés à la langue grecque ou traduits dans cette langue, surtout depuis que les Ptolémées avaient fondé la bibliothèque d'Alexandrie, encourageant les auteurs par leurs libéralités, de sorte que la langue grecque devint la langue pour toutes les sciences." (History of Armenia.) Par conséquent, la plus grande partie de la littérature de 700.000 volumes de la Bibliothèque d'Alexandrie, provenait de l'Inde et des pays voisins.
La croyance que les bibliothèques ultérieures n'ont pas été totalement détruites est partagée par quelques très savants Coptes, disséminés dans tout l'Orient, l'Asie Mineure, l'Egypte et la Palestine. Ils affirment, par exemple, que pas un seul exemplaire de la bibliothèque d'Attalus III de Pergame, offerte à Cléopâtre par Antoine, n'a été détruit. A ce moment-là, suivant leurs affirmations, dès que les chrétiens commencèrent à prendre de l'influence à Alexandrie – vers la fin du IVème siècle – et qu'Anatole, évêque de Laodicée, se mit à insulter les dieux nationaux, les philosophes païens et les savants théurgistes adoptèrent des mesures sévères pour préserver les dépôts de leurs connaissances sacrées ; Théophilus, évêque qui laissa la réputation d'une franche canaille vénale, fut accusé par un nommé Antoninus, célèbre théurgiste et savant érudit de la science occulte d'Alexandrie, de payer les esclaves du Sérapéion pour voler les livres, qu'il vendait ensuite fort cher à des étrangers. L'histoire nous dit que Théophilus possédait les meilleurs ouvrages des philosophes en l'an 389 de notre ère ; et comment son successeur et neveu, le non moins infâme Cyrile, fit massacrer Hypatie. Suidas nous a transmis quelques détails au sujet d'Antoninus, qu'il nomme Antonins, et de son éloquent ami Olympus, défenseur du Sérapéion. Mais l'histoire est loin d'être complète dans les restes insignifiants des ouvrages qui, à travers tant de siècles, se sont conservés jusqu'à notre époque de connaissances ; elle ne nous dit rien au sujet des cinq siècles de Christianisme, dont les nombreuses traditions ont été conservées en Orient. Malgré le défaut d'authenticité par lequel elles pèchent, elles contiennent [38] néanmoins beaucoup de bon grain sous un monceau de rebut. Il ne faut pas s'étonner si ces traditions ne sont pas plus souvent communiquées aux Européens, car nos voyageurs ont souvent le tort de se rendre odieux aux yeux des indigènes par leur attitude sceptique et souvent dogmatiquement intolérante. Quand des hommes exceptionnels comme certains archéologues qui ont su capter la confiance et même l'amitié d'Arabes, sont favorisés par l'acquisition de documents précieux, on prétend simplement que ce n'est là qu'une "coïncidence". Et cependant il ne manque pas de traditions fort répandues de l'existence de certaines immenses galeries souterraines dans les environs de Ishmonia – la "cité pétrifiée" – dans lesquelles sont conservés d'innombrables manuscrits et rouleaux. Aucun Arabe ne voudrait s'en approcher pour tout l'or du monde. A la nuit tombée, disent-ils, par les crevasses des ruines désolées, au plus profond des sables desséchés du désert, on voit des lumières courant d'une galerie à l'autre, portées par des mains qui n'ont rien d'humain. Les Afrites étudient la littérature des âges antédiluviens, suivant leurs croyances, et les Djins apprennent dans leurs rouleaux magiques les leçons du jour suivant.
Dans son article sur Alexandrie, l'Encyclopedia Britannica dit : "Lorsque le temple de Sérapis fut démoli... l'inestimable bibliothèque fut pillée ou détruite ; et vingt ans plus tard 43, les rayons vides causaient le regret... etc." Mais elle ne dit pas le sort qu'eurent les livres pillés.
43 Bonamy dit, dans Dissertation historique sur la Bibliothèque d'Alexandrie, en citant, croyons- nous, le Père Orosius, qui avait été un témoin oculaire, "vingt ans plus tard".
Rivalisant avec les féroces adorateurs de Marie au IVème siècle, les persécuteurs cléricaux modernes du libéralisme et de l' "hérésie", ne demanderaient pas mieux que de faire enfermer tous les hérétiques et leurs livres dans un Sérapéion moderne, et d'y mettre le feu 44. La raison de cette haine est fort naturelle. Les recherches modernes ont contribué de plus en plus à dévoiler le secret. "Le culte des saints et des anges", disait l'évêque Newton 45 il y a déjà plusieurs années, "n'est-il pas partout le même que le culte des démons dans l'ancien temps ? Le nom en a été changé, mais la chose est restée identique... les mêmes temples, les mêmes images, consacrés jadis à Jupiter et à d'autres démons, sont consacrés aujourd'hui à la Vierge Marie et à d'autres saints... le paganisme tout entier s'est converti et a été adapté au Papisme". [39]
Pourquoi ne pas être franc et ajouter qu'une "bonne partie a aussi été adoptée par les religions protestantes ?"
La désignation apostolique Peter, elle-même, est prise dans les Mystères. Le hiérophante ou suprême pontife portait le titre chaldéen de פתר, pether, ou interprète. Les noms de Ptah, Peth'r, le lieu de résidence de Balaam, Patara et Patras, les noms des cités des oracles, pateres ou pateras et, peut-être aussi Bouddha dérivent tous de la même racine. Jésus dit : sur cette pierre (petra) je bâtirai mon église et les portes ou gardiens de l'Hadès ne prévaudront pas contre elle" ; voulant dire par petra le temple sur le roc, et par métaphore les mystères chrétiens, dont les adversaires étaient les anciens dieux des mystères du monde inférieur que l'on invoquait dans les cultes d'Isis, d'Adonis, d'Atys, de Sabazius, de Dionysius et d'Eleusis. Il n'y a jamais eu à Rome un apôtre Peter ; mais le Pape, en s'emparant du sceptre du Pontifex Maximus, des clés de Janus et de Cybèle, et coiffant sur sa tête chrétienne du bonnet de la Magna Mater, copié sur la tiare du Brahmâtma, le suprême Pontife des Initiés de l'Inde antique, devint ainsi le successeur du grand prêtre païen, le véritable Peter-Roma, ou Petroma 46.
44 Depuis que ceci a été écrit, l'état d'esprit ci-dessus décrit a été parfaitement illustré à Barcelone, en Espagne, où l'évêque Fray Joachim invita les spirites de l'endroit à assister à un autodafé officiel de livres spirites. Nous trouvons la relation dans un journal intitulé La Revelacian publié à Alicante, qui ajoute avec raison, que le spectacle n'était qu'une "caricature de l'époque mémorable de l'Inquisition".
45 [Anglican. N.d.T.] E. Pococke donne les variantes du nom de Bouddha comme suit : Bud'ha ; Buddha ; Booddha ; Butta ; Pont, Pote ; Pto ; Pte ; Phte ; Phtha ; Phut, etc., etc... Voyez India in Greece. Note appendice, 397.
46 La tiare du pape est aussi une copie exacte de celle du Dalaï Lama du Tibet.
L'Eglise Catholique Romaine a deux ennemis bien plus puissants que les "hérétiques" et les "infidèles" ; ce sont la Mythologie comparée et la Philologie. Lorsque des ecclésiastiques aussi éminents que le Rev. James Freeman Clarke se donnent la peine de prouver à leurs lecteurs que la "théologie critique depuis l'époque d'Origène et de Saint-Jérôme... que la Théologie controversielle, pendant quinze siècles n'ont pas eu pour but unique l'adoption forcée des opinions d'autrui", mais qu'au contraire, elles ont fait preuve "d'arguments clairs et subtils" nous ne pouvons que regretter que tant d'érudition ait été gaspillée en cherchant à prouver ce qu'un coup d'œil sur l'histoire de la théologie vient renverser d'un seul coup. On trouve, certes, bon nombre "d'arguments subtils" dans ces "controverses" et ces critiques des doctrines de l'Eglise, mais on y rencontre surtout une bien plus forte dose de subtils sophismes.
Tout dernièrement les preuves accumulées se sont accrues au point de ne laisser que peu de chance de succès aux controverses ultérieures. La preuve concluante a été fournie par trop de savants et le doute n'est plus permis que l'Inde fut l'Alma Mater non seulement de la civilisation, des arts et des sciences, mais aussi celle de toutes les grandes religions du passé ; y compris du judaïsme et par conséquent aussi du christianisme. Herder fait de l'Inde le [40] berceau de l'humanité, et présente Moïse comme un compilateur habile et comparativement moderne des anciennes traditions Brahmaniques : "La rivière qui contourne le pays (l'Inde) est le Gange sacré, que toute l'Asie considère comme le fleuve du paradis. Là, aussi, est situé le Gihon biblique, qui n'est autre que l'Indus. Les Arabes à ce jour l'appellent encore ainsi, et les noms des pays baignés par ce fleuve existent encore aujourd'hui chez les Hindous" 47. Jacolliot prétend avoir traduit chaque manuscrit ancien écrit sur des feuilles de palmier, qu'il eut la bonne fortune d'avoir entre les mains en vertu de la permission qui lui fut accordée par les Brahmanes des pagodes. Nous trouvons dans une de ses traductions certains passages qui révèlent indubitablement l'origine des clés de Saint-Pierre, ce qui explique l'adoption ultérieure de ce symbole par leurs Saintetés, les Papes de Rome.
47 [Voir son Ideen zur Philosophie der Geschichte der Menschheit, Liv. X, ch. 6. ]
Il nous fait voir, sous l'autorité de l'Agroushada Parikshai, qu'il traduit librement par Livre des Esprits (Pitris), que des siècles avant notre ère, les initiés du temple nommaient un Conseil Supérieur, présidé par le Brahmâtma ou chef suprême de tous ces initiés. Que ce pontificat ne pouvait être exercé que par un Brahmane ayant atteint l'âge de quatre-vingts ans 48 ; que celui-ci était l'unique gardien de la formule mystique, le résumé de toute science, contenue dans les trois lettres mystérieuses.
A U M qui veulent dire, création, conservation, et transformation. Lui seul était capable d'en exposer la signification en présence des initiés du troisième et suprême degré. Quiconque, parmi ces initiés, révélait à un profane une seule de ces vérités, voire même un des moindres secrets qui lui avaient été confiés, était mis à mort. Celui qui avait reçu la confidence partageait le même sort.
"Enfin, pour couronner cet habile système", dit Jacolliot, "il existait un mot encore plus important que le mystérieux monosyllabe-AUM ; qui faisait de celui qui était en possession de sa clé, presque l'égal de Brahma lui-même. Le Brahmâtma, seul, était en possession de cette clé, et la transmettait à son successeur dans un coffret scellé.
"Ce mot inconnu, dont aucun pouvoir humain ne pouvait FORCER LA RÉVÉLATION, même aujourd'hui, où l'autorité Brahmanique a été domptée par les invasions mongole et européenne, et [41] où chaque pagode a son Brahmâtma 49, était gravé sur un triangle d'or et conservé dans un des sanctuaires du temple d'Asgartha, dont seul le Brahmâtma possédait les clés. Il portait également sur sa tiare, deux clés croisées, supportées par deux Brahmanes agenouillés symbole du précieux dépôt dont il avait la charge... Ce mot et ce triangle étaient gravés sur l'anneau que ce dignitaire religieux portait comme un des signes de son office ; Il était également encadré dans un soleil d'or sur l'autel, où chaque matin le Pontife Suprême présentait le sacrifice du sarvamedha ou sacrifice à toutes les forces de la nature 50."
48 La coutume traditionnelle du collège des cardinaux est de choisir, autant que possible, le nouveau Pape parmi les plus âgés. Le hiérophante d'Eleusis était également un prêtre fort âgé et célibataire.
49 C'est une erreur.
50 Le spiritisme dans le Monde, p. 28.
Est-ce assez clair ? Et les catholiques prétendront-ils encore que ce sont les Brahmanes d'il y a 4.000 ans qui ont copié le rituel, les symboles et les vêtements des Pontifes Romains ? Nous n'en serions pas autrement surpris.
Sans chercher des comparaisons si lointaines, nous nous en tiendrons au IVème et Vème siècles de notre ère, afin de mettre en contraste le prétendu "paganisme" de la troisième Ecole Eclectique-Néo-Platonicienne, avec le Christianisme grandissant ; le résultat ne sera, peut être pas favorable à celui-ci. Même à cette période primitive, où la nouvelle religion avait à peine esquissé ses dogmes contradictoires ; où les champions du sanguinaire Cyrille ne savaient pas encore eux-mêmes si Marie devait devenir la "Mère de Dieu" ou devait être classée parmi les "démons" en compagnie d'Isis ; où le souvenir de l'humble et doux Jésus parlait encore au cœur de tous les chrétiens, et que ses paroles de compassion et d'amour vibraient encore dans l'air, même à ce moment-là, les chrétiens surpassaient déjà les païens en férocité et en intolérance religieuse.
Si nous portons nos regards encore plus loin en arrière et cherchons des exemples de véritable Christianisme, à l'époque où le Bouddhisme venait à peine de remplacer le Brahmanisme en Inde, et où le nom de Jésus ne devait être prononcé que trois siècles plus tard, que voyons-nous ? Quel est le saint pilier de l'Eglise qui se soit jamais élevé au niveau de tolérance religieuse et de noble simplicité que nous constatons chez quelques païens ? Comparez, par exemple, le roi hindou Asoka, qui vécut trois cents ans avant Jésus-Christ et saint Augustin le Carthaginois qui florissait trois siècles après le Christ. Si nous en croyons Max Muller, voici ce qui fut trouvé gravé sur les rochers de Girnar, Dhauli et Kapurdigiri : "Piyadasi, le roi aimé des dieux, veut que les ascètes de toutes les religions puissent trouver asile en tous lieux. Tous ces ascètes professent également l'empire sur eux-mêmes et la pureté d'âme que [42] chacun devrait exercer. Mais les gens ont des opinions et des inclinations différentes."
Et voici ce que saint Augustin écrivit après son baptême : "Merveilleuse profondeur de ta parole ! vois, sa surface s'étend devant nous, pour attirer les petits ; et néanmoins, ô mon Dieu, sa profondeur est grande, elle est merveilleuse ! Elle est terrible à contempler ; oui... un honneur imposant, et un tremblement d'amour. Tes ennemis [lisez païens] je les hais avec ardeur ; Oh, daigne les mettre à mort avec ton épée à deux tranchants, afin qu'ils ne soient plus tes ennemis ; c'est ainsi que j'aime les voir exterminer 51."
51 Confessions, 1. XII, ch. XIV. Cité par le professeur Draper dans Conflict between Religion and Science, etc., ch. II, p. 60-61.
Merveilleux esprit du Christianisme ; et cela venant d'un Manichéen converti à la religion de Celui qui, sur la croix, priait pour ses ennemis !
Il est aisé de supposer qui étaient les ennemis du Seigneur, au point de vue des Chrétiens ; les rares brebis dans la bergerie Augustinienne étaient ses nouveaux enfants et ses favoris, qui avaient supplanté, dans son affection, les fils d'Israël, son "peuple élu". Tout le reste de l'humanité étaient ses ennemis naturels : Les multitudes innombrables de païens étaient naturellement la proie des flammes de l'enfer ; seule la poignée qui était, dans la Communion de l'Eglise, "Héritiers du Salut".
Mais si cette attitude proscriptive était équitable et que son application "trouvait faveur" auprès du "Seigneur" pourquoi ne pas aussi abolir la philosophie et les rites païens ? Pourquoi puiser si profondément aux puits de la sagesse, qui avaient été creusés et remplis jusqu'au bord par ces mêmes païens ? Ou alors, dans leur désir d'imiter le peuple élu, dont ils essayaient de chausser les sandales usées, les pères de l'Eglise voulaient-ils recommencer la scène de spoliation de l'Exode ? Prétendaient-ils en fuyant le paganisme, comme les Juifs fuirent d'Egypte, emporter avec eux le trésor de ses allégories, comme le firent les "élus" avec les ornement d'or et d'argent religieux.
On pourrait certainement croire que les événements des premiers siècles du christianisme ne sont qu'une image reflétée sur le miroir de l'avenir à l'époque de l'Exode. Pendant les jours orageux d'Irénée, la philosophie Platonicienne, avec sa plongée mystique dans la Divinité, n'était pas si nuisible après tout, pour la nouvelle doctrine, au point d'empêcher les Chrétiens de s'approprier de toutes façons et de toutes manières sa métaphysique abstraite. Faisant cause commune avec les thérapeutes ascétiques, ancêtres et modèles des ermites et des moines chrétiens, ce fut à Alexandrie, ne [41] l'oublions pas, qu'ils jetèrent les premières bases de la doctrine trinitaire purement platonicienne. Celle-ci devint plus tard la doctrine Plato-philonéenne, telle que nous la retrouvons aujourd'hui. Platon envisageait la nature divine sous une triple modification de la Cause Première, la raison, ou le Logos, et l'âme ou l'esprit de l'univers. "Les trois principes originels ou archaïques" dit Gibbon 52, "étaient représentés dans le système Platonicien, par trois dieux, unis entre eux par une génération mystérieuse et ineffable". Fondant cette idée transcendante avec la figure plus hypostatique du Logos de Philon le Juif, dont la doctrine reposait sur l'ancienne Cabale, et qui considérait le Messie Roi, comme le Métatron, ou "ange du Seigneur", le Legatus descendu dans la chair, mais non pas l'Ancien des Jours Lui-même 53 ; les Chrétiens affublèrent Jésus, le fils de Marie, de cette représentation mythique du Médiateur pour la race déchue d'Adam. Sous cet accoutrement inattendu il faillit perdre sa personnalité. Nous retrouvons dans le Jésus moderne de l'Eglise Chrétienne, l'idéal de l'imaginatif Irénée, non l'adepte des Esséniens, l'obscur réformateur de Galilée. Nous le voyons sous le masque déformant Plato-Philonéen, et non comme les disciples l'entendirent sur la montagne.
52 Decline and Fall of the Roman Empire, ch. XXI.
53 Zohar, Comment, Genèse, XL, 10 ; Kabbal Denud, I, 528.
La philosophie païenne vint ainsi en aide pour l'édification du dogme principal. Mais lorsque les théurges de la troisième école néo- platonicienne, privés de leurs anciens mystères, voulurent mettre d'accord les doctrines de Platon avec celles d'Aristote, en combinant les deux philosophies, ils ajoutèrent à leur théosophie les doctrines primitives de la Cabale orientale, et alors de rivaux qu'ils étaient, les Chrétiens devinrent persécuteurs. Au moment où les allégories métaphysiques de Platon allaient être discutées en public sous la forme de la dialectique grecque, tout le système si soigneusement préparé de la trinité chrétienne serait dévoilé, et le prestige divin complètement bouleversé. En renversant l'ordre, l'école éclectique adopta la méthode inductive ; cette méthode sonna son glas funèbre. La logique et les explications raisonnables étaient de toutes choses, ce qui déplaisait le plus à la nouvelle religion du mystère, car ils menaçaient de révéler toutes les bases de la conception trinitaire ; elle mettait la multitude au courant de la doctrine des émanations, et détruisait l'unité de l'ensemble. On ne pouvait pas le permettre, et on ne le permit pas. L'histoire nous a mis au courant des moyens Chrétiens auxquels on recourut.
La doctrine universelle des émanations, adoptée depuis un temps immémorial par les plus célèbres écoles où enseignèrent les philosophes cabalistes, Alexandrins et Orientaux, donne la clé de [47] la panique qui éclata parmi les pères de l'Eglise chrétienne. L'esprit de Jésuitisme et d'astuce cléricale qui fit que Pankhurst, plusieurs siècles plus tard, supprima dans son Dictionnaire Hébreu, la véritable signification du premier mot de la Genèse, prit naissance dans ces jours de guerre contre les écoles moribondes néo-platonicienne et éclectique. Les pères décidèrent de fausser la signification du mot "daïmon" 54, et par-dessus tout ils craignaient de voir la véritable signification ésotérique du mot Rasit dévoilée au peuple ; car, du moment que la signification véritable de cette phrase, ainsi que celle du mot hébreu asdt (traduit par "anges" dans la version des Septante, quand il veut dire, émanations) 55 étaient bien comprises, le mystère de la trinité chrétienne s'écroulait, emportant dans sa chute la nouvelle religion, parmi les décombres des anciens mystères. C'est là la raison pour laquelle les dialecticiens ainsi qu'Aristote, lui-même, "le philosophe chercheur" ont toujours été si déplaisants pour la théologie chrétienne. Luther, lui-même, lorsqu'il préparait sa réforme, sentant le terrain se dérober sous lui, bien que les dogmes aient été réduits à leur plus simple expression, donna libre cours à la crainte et à la haine qu'il portait à Aristote. Les invectives qu'il accumula sur la mémoire du grand logicien ne peuvent être qu'égalées, jamais surpassées, par les anathèmes et les malédictions papales contre les libéraux du gouvernement italien. En les réunissant on formerait facilement une encyclopédie nouvelle de modèles de diatribes monacales.
Il est tout naturel que le clergé chrétien ne puisse jamais se réconcilier avec une doctrine fondée sur la stricte application de la logique aux raisonnements discursifs ? Le nombre de ceux qui ont abandonné la théologie pour cette raison n'a jamais été publié. Ils ont posé des questions et on leur a défendu de le faire ; le résultat a été la séparation, le dégoût et bien souvent aussi en désespoir de cause, un plongeon dans le gouffre de l'athéisme. On dénonça également les notions orphiques de l'éther comme principal médium entre Dieu et la matière créée. L'éther orphique rappelait trop vivement l'Archeus, l'Ame du monde, et celle-ci, dans son sens métaphysique était un proche parent des émanations, puisqu'elle était la première manifestation – Sephira, la Lumière Divine. Quand donc, aurait- elle pu inspirer une plus grande crainte, sinon à ce moment critique ? [45]
54 Les êtres que les philosophes d'autres peuples distinguent sous l'appellation de "Daemons", Moïse les nomme "Anges", dit Philon le Juif, De Gigant, I, 253.
55 Deutéronome XXXIII, 2, est traduit par "le feu de la loi" dans la version française de la Bible.
Origène, Clément d'Alexandrie, Chalcidius, Methodius et Maïmonides 56, sur l'autorité du Targum de Jérusalem, la plus célèbre autorité orthodoxe juive, soutinrent que les deux premiers mots du livre de la Genèse – B-RASIT, veulent dire La sagesse, ou le Principe. L'idée que ces deux mots devraient être interprétés par "au commencement", n'a jamais été entretenue sinon par les profanes, auxquels on ne permit pas d'approfondir le sens ésotérique de la phrase. Beausobre et après lui Godfrey Higgins ont prouvé le fait. "Toutes choses", dit la Cabale, "sont dérivées par émanation d'un grand Principe unique, et ce principe c'est le Dieu [inconnu et invisible]. De Lui procède immédiatement un pouvoir substantiel, qui est l'image de Dieu et la source de toutes les émanations subséquentes. Ce second principe émet, au moyen de l'énergie [ou volonté et force] de l'émanation, d'autres natures, qui sont plus ou moins parfaites, suivant leurs différents degrés d'éloignement dans l'échelle des émanations, de la Source Première de l'existence et qui constituent les différents mondes, ou ordres d'êtres, tous unis au pouvoir éternel dont ils procèdent. La Matière n'est rien autre que l'effet le plus éloigné de l'énergie émanée de la Divinité. Le monde matériel reçoit sa forme de l'agence immédiate de pouvoirs bien inférieurs à la Source Première de l'Etre 57... Beausobre 58 fait dire à saint Augustin, le Manichéen : "Et, si par Rasit nous entendons le Principe actif de la création, au lieu de son commencement, nous comprenons clairement, alors, que Moïse n'a jamais voulu dire que le ciel et la terre furent les premières œuvres de Dieu. Il a seulement dit que Dieu créa le ciel et la terre au moyen du Principe qui est Son Fils. Il ne se réfère pas au temps, mais à l'auteur immédiat de la Création". D'après saint Augustin, les anges furent créés avant le firmament, et, suivant l'interprétation ésotérique, le ciel et la terre furent créés après celui-ci, évoluant du second Principe ou du Logos – la Divinité créatrice. "Le mot principe", dit Beausobre, "ne veut pas dire que le ciel et la terre furent créés avant toute autre chose, car les anges furent créés avant cela ; mais que Dieu fit toute chose par Sa Sagesse qui est Son Verbum, ce que la Bible chrétienne appelle le Commencement", adoptant ainsi la signification exotérique du mot, qu'on avait laissée à la masse du peuple. La Cabale, aussi bien l'orientale que la juive, indique que plusieurs émanations (les Séphiroth Juives) sortirent du Premier Principe dont la principale était la Sagesse. Cette sagesse est le Logos de Philon le Juif, et Michel, le chef des Æons Gnostiques ; il est l'Ormazd des Persans ; [46] la Minerve, déesse de la sagesse des Grecs, qui sortit de la tête de Jupiter ; c'est la seconde Personne de la Trinité Chrétienne. Les pères primitifs de l'Eglise n'eurent pas beaucoup à se creuser la tête ; ils trouvèrent une doctrine toute faite qui avait existé dans toutes les théogonies depuis des milliers d'années avant l'ère chrétienne. Leur Trinité n'est que le trio de Séphiroth, les trois premières lumières cabalistiques, dont Moïse Nachmanides dit qu'elles "n'ont jamais été vues par qui que ce soit ; il n'y a en elles ni défaut, ni désunion." Le premier nombre éternel est le Père, ou le chaos chaldéen primitif, invisible et incompréhensible, duquel procéda l'Intelligible. Le Phtah égyptien, ou "le Principe de Lumière, mais non la lumière elle-même, et le Principe de Vie, qui n'est pas, lui-même, la vie." La Sagesse, au moyen de laquelle le Père créa les cieux, est le Fils, ou l'Adam Kadmon androgyne de la Cabale. Le Fils est en même temps le mâle Ra, ou la Lumière de Sagesse, et la Prudence ou Intelligence, Séphira, la partie femelle de Lui-même ; tandis que de cet être double procède la troisième émanation la Binah, ou Raison, la seconde Intelligence – le Saint-Esprit des Chrétiens. Par conséquent, strictement parlant, il y a une TETRAKTIS, ou un quaternaire, constitué par la Première Monade Inintelligible, et sa triple émanation, qui proprement parlant constitue notre Trinité.
56 [Respectivement, De princi, III, V ; Strom, VI, VII ; Comm. in Timæum ; Fragm. Things Created ; Moreb Nebî-Khim, II, ch. XXX-]
57 Voyez Cyclopaedia de Rees. Art. Cabala.
58 Histor Manich, Liv. V, ch. I, p. 291.
Comment donc ne pas s'apercevoir dès l'abord, que si les Chrétiens n'avaient pas délibérément défiguré la Genèse mosaïque dans leur traduction et leur interprétation, pour la faire cadrer avec leurs propres desseins, leur religion, avec ses dogmes actuels, eût été impossible ? Du moment que le mot Rasit était interprété dans sa signification nouvelle de Principe et non de Commencement, et que l'on acceptait la doctrine anathématisée des émanations la position du second personnage de la trinité devenait intenable car, si les anges constituent les premières émanations divines de la Substance Divine, et qu'ils existaient avant le second Principe, alors le Fils anthropomorphe n'est, après tout qu'une émanation comme eux, et ne peut pas plus être le Dieu hypostatique, que nos œuvres visibles ne sont nous-mêmes. II est évident que ces subtilités métaphysiques n'ont jamais préoccupé l'honnête et sincère saint Paul ; bien plus encore, étant au courant, comme tous les juifs lettrés, de la doctrine des émanations, il n'a jamais eu l'idée de la défigurer. Comment pouvons- nous supposer que saint Paul ait confondu le Fils avec le Père, lorsqu'il nous dit que Dieu a mis Jésus "un peu au-dessous des anges" (Hébreux, II,9) et un peu au-dessus de Moise ! "Car cet Homme a été jugé digne d'une gloire supérieure à celle de Moise." (Hébreux, III, 3). De combien de supercheries, introduites par la suite dans les Actes des Apôtres, les Pères ont-ils été coupables, nous ne le savons pas ; mais il est évident [47] que Paul ne considéra jamais le Christ autrement que comme un homme "rempli de l'Esprit de Dieu". "Le Logos demeurait dans l'arché et le Logos était adné au Théos." 59.
59 [Jean I, 1.]
60 "Le coloris mystique du christianisme s'harmonisait bien avec les règlements et les opinions des Esséniens, et il est fort probable que Jésus et saint Jean-Baptiste furent initiés aux Mystères des Esséniens ; le Christianisme est redevable à ceux-ci de différentes formes d'expression ; de même que la communauté des Thérapeutes, qui était un rejeton de l'ordre des Esséniens, fit peu de temps après, partie du Christianisme" (I.M. Jost, I, 411. Cité par Dunlap dans Sod the Son of Man).
La Sagesse, première émanation de En-Soph ; le Prototognos, l'Hypostase ; l'Adam Kadmon de la Cabale, le Brahma des hindous ; le Logos de Platon, et le "commencement" de saint Jean, sont le Rasit, ראשית, du Livre de la Genèse. Correctement interprété, il renverse, comme nous l'avons dit, tout le système compliqué de la théologie chrétienne, car il prouve que derrière la Divinité créatrice, il existe un Dieu plus ELEVE ; un architecte qui dresse les plans ; et que celle-là n'est que Son agent pour l'exécution, un simple pouvoir !
Les gnostiques furent persécutés, les philosophes assassinés, les cabalistes et les franc-maçons condamnés au bûcher ; et lorsque le grand jour du règlement des comptes arrivera, et que la lumière dissipera les ténèbres, qu'auront-ils à offrir à la place de leur religion moribonde et chancelante ? Que répondront ces prétendus monothéistes, ces adorateurs et pseudo-serviteurs du Dieu vivant unique, leur Créateur ? Comment justifieront-ils la longue persécution de ceux qui étaient les véritables partisans du grand Mégalistor, le suprême grand maître des Rose-croix, le PREMIER des Franc-Maçons ? "Car il est le Constructeur et l'Architecte du Temple de l'univers ; Il est le Verbum Sapienti 60."
"Chacun sait, écrivait Fauste, le grand Manichéen du quatrième siècle, que les Evangiles ne furent écrits ni par Jésus-Christ, ni par ses apôtres, mais longtemps après eux, par quelques inconnus qui, comprenant parfaitement qu'ils n'obtiendraient pas créance en parlant d'événements auxquels ils n'avaient pas assisté, mirent comme en-tête à leurs récits les noms des apôtres ou des disciples contemporains. 61.
Dans ses commentaires sur ce sujet, A. Frank, le savant lettré hébreu de l'Institut, et traducteur de la Cabale, émet la même opinion. "Ne sommes-nous pas autorisés, demande-t-il, à considérer la Cabale comme une précieuse relique de la philosophie orientale, laquelle, transportée à Alexandrie, se mélangea à la doctrine de Platon, et sous le nom usurpé de Denis l'Aréopagite, évêque d'Athènes, converti et consacré par saint Paul, put ainsi pénétrer dans le mysticisme du moyen âge ? 62." [48]
De son côté Jacolliot nous dit : "Qu'est-ce donc que cette philosophie religieuse de l'orient qui a pénétré dans le symbolisme mystique du Christianisme ? Nous répondrons : Cette philosophie, dont nous trouvons les traces chez les Mages, les Chaldéens, les Egyptiens, les Cabalistes hébreux et le Christianisme, n'est rien d'autre que celle des Brahmanes hindous, les sectaires des pitris ou esprits des mondes invisibles qui nous environnent 63."
61 [Faustus, apud August. Cf. Beausobre, Hist. crit. du Manich, I, p. 297.]
62 A. Franck, Die Kabbala.
63 Le Spiritisme dans le Monde, p. 215.
Mais si les Gnostiques furent exterminés, la Gnose, fondée sur la secrète science des sciences, vit toujours. C'est la terre qui vient en aide à la femme et qui est destinée à ouvrir la bouche pour avaler le christianisme médiéval usurpateur et assassin de la doctrine du grand maître. L'ancienne Cabale, la Gnose, ou la connaissance secrète traditionnelle n'a jamais manqué de représentants à n'importe quelle époque et dans n'importe quel pays. Les trinités d'initiés, qu'elles soient connues de l'histoire, ou cachées sous le voile impénétrable du mystère, ont été préservées et gravées dans la mémoire des âges. Elles sont connues par les noms de Moise, Aholiab et Bezaleel, le fils d'Uri, le fils de Hur, Platon, Philon et Pythagore, etc. Nous les voyons dans la Transfiguration en Jésus, Moise et Elie, les trois Trismégistes ; et les trois cabalistes Pierre, Jacques et Jean – dont l'apocalypse est la clé de toute sagesse. Nous les voyons à l'aube de l'histoire juive dans Zoroastre, Abraham et Terah, et plus tard dans Enoch, Ezéchiel et Daniel.
Qui parmi ceux qui se sont adonnés à l'étude des anciennes philosophies, et ont eu l'intuition de la grandeur de leurs conceptions, ou de la magnificence illimitée de leurs notions au sujet de la Divinité Inconnue, hésitera un seul instant à donner la préférence à leurs doctrines, plutôt qu'à la théologie incompréhensible, dogmatique et contradictoire des centaines de sectes chrétiennes ? Qui a jamais lu Platon et approfondi son Το̉ Ον, "que personne n'a jamais vu à l'exception du Fils", a jamais pu douter que Jésus était un disciple de la même doctrine secrète dans laquelle s'instruisit le grand philosophe ? Car, ainsi que nous l'avons déjà montré, Platon n'a jamais prétendu avoir été l'inventeur de ce qu'il enseigna, mais il l'attribuait à Pythagore qui, à sont tour, affirmait que c'est dans le lointain Orient qu'il avait puisé ses connaissances et sa philosophie. Colebrooke prouve que Platon en convient dans ses lettres et avoue qu'il a tiré ses enseignements dans les anciennes doctrines sacrées 64. De plus, il est indéniable que les théologies de tous les grands peuples s'emboîtent les unes dans les autres, en démontrant que chacune n'est qu'une partie "d'un ensemble colossal". Comme ce fut le cas chez tous les autres initiés, nous [49] voyons Platon s'efforcer de cacher la signification véritable de ses allégories. Chaque fois que le sujet effleure un des grands secrets de la Cabale orientale, celui de la véritable cosmogonie de la nature et du monde idéal préexistant, Platon voile sa philosophie dans les ténèbres les plus épaisses. Son Timée est si confus, que seul un initié est capable d'en déchiffrer la signification secrète 65. Mosheim est d'opinion que Philon a émaillé ses œuvres de passages parfaitement contradictoires, dans le seul but de voiler la doctrine véritable. Pour une fois nous voyons un critique engagé dans la bonne voie.
Et maintenant, où trouverons-nous l'origine de cette doctrine Trinitaire perdue dans la nuit des temps, ainsi que de celle si amèrement critiquée des émanations ? La réponse est aisée et les preuves sont entre nos mains. Dans la plus sublime et la plus profonde de toutes les philosophies, celle de la "Religion Sagesse", dont les recherches historiques ont trouvé les premières traces dans l'ancienne religion pré-védique de l'Inde. Ainsi que le fait observer avec raison l'auteur si souvent maltraité, Jacolliot : "Ce n'est pas dans les ouvrages religieux de l'antiquité, tels que les Védas, le Zend-Avesta et la Bible que nous devons chercher l'expression exacte des croyances nobles et sublimes de ces époques 66.
64 Asiat. Trans., I, p. 579.
65 [Note dans Cudworth, True Intellectual System, II, p. 324, Londres 1845.]
66 Louis Jacolliot, Le Spiritisme, etc., p. 13.
"La syllabe primitive sacrée, composée des trois lettres [A-U-M], dans laquelle est contenue la Trimourti [trinité] Védique, doit être tenue secrète comme un autre Véda triple" dit Manou dans le livre XI, sloka 266.
Swayambhou est la Divinité non révélée ; c'est l'Etre existant en lui- même et par lui-même ; c'est le germe central et immortel de tout ce qui existe dans l'univers. De lui émanent trois trinités, confondues en lui et formant une Unité Suprême. Ces trinités, ou triple Trimourti sont : les Nara, Nari et Viradj – la triade initiale ; Agni, Vayou, et Sourya – la triade manifestée ; Brahma, Vishnou et Shiva, la triade créatrice. Chacune de ces triades devient de moins en moins métaphysique et de plus en plus adaptée à l'intelligence vulgaire, à mesure qu'elle descend. Par conséquent la dernière se réduit au symbole dans son expression concrète, le déterminisme d'une conception purement métaphysique. Elles constituent avec Swayambhou les dix Sephiroth des Cabalistes hébreux, les dix Pragâpatis hindous – le En-Soph de la première, correspondant au sublime Inconnu exprimé par le mystique A-U-M de la seconde. [50]
Franck, le traducteur de la Cabale, s'exprime ainsi :
"Les dix Séphiroth... se divisent en trois classes, chacune nous présentant la divinité sous un aspect différent, l'ensemble demeurant pourtant une Trinité indivisible.
Les trois premiers Séphiroth sont purement intellectuels en métaphysique ; ils sont l'expression de l'identité absolue de l'existence et de la pensée, et forment ce que les cabalistes modernes nomment le monde intelligible – qui est la première manifestation de Dieu.
Les trois suivants... font concevoir Dieu sous un de leurs aspects, comme la bonté et la sagesse ; sous l'autre ils nous font voir, dans le bien suprême, l'origine de la beauté et de la magnificence [dans la création]. C'est pour cela qu'on leur donne le nom de vertus, ou du monde sensible.
Enfin, nous voyons, par les trois derniers Séphiroth, que la Providence Universelle, l'artiste Suprême est aussi la Force absolue, la cause toute-puissante, et que, en même temps, cette cause est l'élément générateur de tout ce qui existe. Ce sont ces derniers Séphiroth qui forment le monde naturel, ou la nature dans son essence et son principe actif ? Natura Naturans 67."
67 Franck, La Kabbale, Paris 1843, pt. II, drap. III, pp, 197-98.
Cette conception de la Cabale est, par conséquent, identique avec celle de la philosophie hindoue. Quiconque a lu Platon, et son Dialogue de Timée retrouvera ces idées fidèlement reproduites par le philosophe grec. En outre, la nécessité du secret était aussi stricte pour les cabalistes que pour les initiés de l'Adyta et des Yoguis hindous.
"Ferme ta bouche de peur de parler de cela [le mystère] et ton cœur de crainte de penser à haute voix ; et si ton cœur t'a échappé ramène-le à sa place, car tel est le but de notre alliance."
(Sepher Jezireh, Le Livre de la Création). "Ceci est un secret qui donne la mort ; ferme ta bouche de crainte de le révéler au vulgaire ; comprime ton cerveau de crainte que quelque chose ne s'en échappe et ne tombe au dehors."
(Agrouchada-Parikshai).
Certes le sort de plus d'une génération future fut suspendu à un fil d'araignée pendant les troisième et quatrième siècles. Si l'Empereur n'avait pas envoyé un rescrit à Alexandrie en 389, rescrit qui lui fut imposé par les Chrétiens, pour la destruction de toutes les idoles, notre siècle actuel n'eût jamais possédé un panthéon mythologique chrétien propre. Jamais auparavant l'école néo-platonicienne ne s'était élevée à une pareille hauteur [51] philosophique qu'à l'approche de sa fin. Unissant la théosophie mystique de l'ancienne Egypte avec la philosophie raffinée des Grecs, se rapprochant plus des anciens mystères de Thèbes et de Memphis, qu'ils ne l'avaient fait pendant des siècles ; aussi bien versés dans la science de la prophétie et de la divination, que dans l'art des thérapeutes ; liés d'amitié avec les hommes les plus perspicaces de la nation juive, qui étaient profondément imbus des notions de Zoroastre, les Néo-Platoniciens tendaient à amalgamer l'antique sagesse de la Cabale orientale avec les conceptions plus raffinées de la théosophie occidentale. Malgré la trahison des Chrétiens qui, pour des raisons politiques après la mort de Constantin, crurent bien faire de répudier leurs instructeurs, l'influence de la nouvelle philosophie platonicienne est évidente dans l'adoption subséquente de dogmes dont l'origine peut aisément être attribuée à cette école remarquable. Tout mutilés et défigurés qu'ils soient, ils ont conservé cet air de famille que rien ne peut effacer.
Mais, si la connaissance des pouvoirs occultes de la nature entrouvre la vision spirituelle de l'homme, élargit ses facultés intellectuelles, et l'amène infailliblement à une vénération plus profonde pour son Créateur, d'un autre côté, l'ignorance, l'étroitesse de vue dogmatique, et la crainte puérile d'approfondir les choses, conduit invariablement au culte des fétiches et à la superstition.
Lorsque Cyrille, évêque d'Alexandrie, eut ouvertement adopté la cause d'Isis, la déesse égyptienne, en l'anthropomorphisant en Marie, mère de Dieu ; et que la controverse trinitaire eut eu lieu ; dès ce moment-là, la doctrine égyptienne de l'émanation du Dieu créateur hors de Emepht 68 commença à être forturée de mille manières différentes jusqu'à ce que les Conciles se fussent mis d'accord pour l'adopter telle que nous la voyons aujourd'hui, le Ternaire défiguré du cabalistique Salomon et de Philon le Juif ! Mais comme son origine était encore trop évidente, le Mot ne fut désormais plus appelé "l'homme céleste", l'Adam Kadmon primordial, mais devint le Logos – le Christ, et on lui donna l'âge de "l'Ancien des Anciens" son père. La SAGESSE secrète devint identique à son émanation, la PENSEE DIVINE, et on la considéra Co-égale et co- éternelle avec sa première manifestation.
68 [Cf. A. Kircher, Sphinx Mystagoga, Amsteldolami, 1676, Pt III, ch. III, p. 52.]
69 Voyez Conflict between Religion and Science, p. 224.
70 Voyez Zohar, Kab. Den, le plus ancien livre des Cabalistes ; et Milman, History of Christianity, 140, pp. 212-15).
71 Milman, History of Christianity, p. 280. Saint Justin martyr mentionne à plusieurs reprises les Kurios et Kora, 1ère Apologie, etc...
72 Voyez Olshausen, Biblischen Commentar liber sœmmtliche Schriftten des Neuen Testaments, p. 11.
Si nous nous arrêtons maintenant pour jeter un coup d'œil sur un dogme fondamental du Christianisme, la doctrine de la rédemption, nous n'aurons aucune difficulté à lui trouver une origine païenne. Cette pierre angulaire d'une Eglise qui s'enorgueillissait d'être édifiée sur le roc pour de longs siècles a été maintenant mise au jour par la science, et on a montré son origine Gnostique. Le [52] professeur Draper démontre que ce dogme était à peine connu du temps de Tertullien, et qu'il avait "pris naissance chez les hérétiques gnostiques" 69. Nous ne nous permettrions pas de contredire une si haute autorité, si ce n
'est pour suggérer que ce dogme n'a pas plus pris naissance chez eux, que leur notion du Christos, l'oint du Seigneur, et leur Sophia. Le premier fut copié d'après le "Messie Roi"
originel, le principe mâle de la sagesse, et l'autre d'après la 3ème Séphiroth de la Cabale 70 Chaldéenne, voire même d'après le Brahmâ hindou et Sarasvati 71 et les Dionysius et Déméter païens. Ici nous sommes sur terre ferme, puisqu'il a été maintenant prouvé que le Nouveau Testament n'avait pas paru, dans sa forme complète, telle que nous le possédons aujourd'hui, sinon trois cents ans après l'époque des apôtres 72, et que le Zohar et d'autres ouvrages cabalistiques datent du premier siècle avant notre ère, s'ils ne sont pas encore bien plus âgés.
Les Gnostiques avaient beaucoup d'idées en commun avec les Esséniens ; et ceux-ci possédaient déjà leurs Mystères "majeurs et mineurs" deux siècles avant notre ère. C'était les Ozarim ou Initiés, les descendants des hiérophantes égyptiens, dans le pays desquels ils s'étaient établis plusieurs siècles avant leur conversion au Bouddhisme monastique par les missionnaires du Roi Asoka, et par la suite ils s'amalgamèrent avec les chrétiens primitifs ; ils avaient probablement existé avant que les anciens temples égyptiens n'aient été profanés et détruits pendant les continuelles invasions des Perses, des Grecs et d'autres hordes conquérantes. Les hiérophantes faisaient représenter leur rédemption dans le mystère de l'initiation, des siècles avant l'apparition des Gnostiques ou même des Esséniens. Elle était connue, chez les hiérophantes, sous le nom de BAPTEME DU SANG, et on la considérait non comme une expiation pour la "Chute de l'homme" dans l'Eden, mais simplement comme une expiation pour les péchés du passé, du présent et de l'avenir, de l'humanité ignorante, mais corrompue. L'hiérophante avait le choix entre offrir aux dieux, qu'il espérait rejoindre, sa vie pure et sans tache en sacrifice pour sa race, ou une victime animale. Cela ne dépendait que de sa propre volonté. Au dernier moment de la solennelle "nouvelle naissance", l'initiateur transmettait le "mot" à l'initié, et immédiatement après avoir [53] placé une arme dans sa main droite, il lui ordonnait de frapper 73. Voilà la véritable origine du dogme Chrétien de la rédemption.
73 Il existe surtout chez les Slavons et les Russes, une superstition fort répandue qu'un magicien ou un sorcier ne peut mourir avant d'avoir transmis le "mot" à son successeur. Cette croyance est si fermement enracinée dans le peuple, que nous ne croyons pas qu'il existe une seule personne en Russie qui n'en ait entendu parler. Il n'est pas difficile de suivre la trace de cette superstition dans les anciens Mystères qui, pendant des siècles, avaient été répandus dans le monde entier. L'ancien Variago-Rouss avait ses Mystères dans le Nord aussi bien que dans le Sud de la Russie ; et nous retrouvons des reliques de l'ancienne croyance disséminées dans les contrées baignées par le Dnieper sacré, le Jourdain baptismal de la Russie. En effet aucun Znâchar (celui qui sait) ou Koldoun (sorcier) mâle ou femelle, ne peut mourir avant d'avoir transmis la parole mystérieuse à quelqu'un. La croyance populaire est que s'il ne le fait pas, il languit et souffre pendant des semaines et des mois, et s'il parvient finalement à se libérer, ce n'est que pour errer sur la terre, incapable de quitter sa demeure jusqu'à ce qu'il ait trouvé un successeur, même après sa mort. Nous ignorons jusqu'à quel point cette croyance peut être vérifiée, mais nous avons vu un cas, qui mérite d'être raconté pour illustrer le sujet à cause de son dénouement tragique. Un vieillard de plus de cent ans, serf-paysan dans le Gouvernement de S..., qui avait la réputation fort répandue d'être un sorcier et un guérisseur, était moribond déjà depuis quelques jours, et ne parvenait cependant pas à mourir. La nouvelle se répandit comme un éclair, et le pauvre homme était abandonné même par les membres de sa famille, car ils craignaient de recevoir l'héritage redouté. La rumeur courut enfin dans le village, qu'il avait envoyé un message à un collègue moins versé que lui dans son art, et qui, bien que demeurant dans une contrée éloignée, devait accourir à son appel et serait là le lendemain matin. Il y avait, à ce moment, en visite chez le propriétaire du village, un jeune docteur appartenant à la célèbre école Nihiliste, et qui s'amusa beaucoup de cette idée. Le maître de la maison qui était très pieux, ne pouvant se résoudre à faire si bon marché de la superstition, sourit comme on dit là- bas, d'un seul coin de la bouche. Pendant ce temps, le jeune sceptique, afin de gratifier sa curiosité, alla visiter le moribond et s'assura qu'il ne pouvait vivre vingt-quatre heures de plus ; il décida alors, pour prouver l'absurdité de la superstition, de faire en sorte de retarder l'arrivée du "successeur" dans un village voisin.
Le lendemain matin, de bonne heure, une réunion de quatre personnes, composée du docteur, le propriétaire du village et sa fille, et de l'auteur de ces lignes, se rendit à la hutte où le triomphe du scepticisme devait se produire. Le moribond attendait son libérateur à chaque instant, et son tourment s'accrut en ne le voyant pas venir. Nous essayâmes de persuader le docteur de satisfaire le malade, par amour de l'humanité, mais il ne fit qu'en rire. Tenant le pouls du sorcier dans une de ses mains, il sortit sa montre de l'autre, et tout en nous disant, en français, que ce serait fini dans quelques instants, il demeura absorbé par l'expérience professionnelle. La scène était solennelle et terrifiante. Tout d'un coup la porte s'ouvrit et un jeune garçon entra informant le docteur que le Koum était ivre-mort dans un village voisin, et que par conséquent, suivant ses ordres, il ne pourrait venir que le lendemain auprès du Grand'père. Le jeune docteur se troubla et allait s'adresser au vieillard, lorsque prompt comme l'éclair, le Znachâr retira sa main de la sienne et se dressa sur son séant. Ses yeux enfoncés dans leurs orbites lancèrent des éclairs, sa barbe et ses cheveux d'un blanc-jaune encadrant sa face livide, lui donnèrent une expression effrayante... Puis, soudain, ses longs bras décharnés entourèrent le cou du docteur, et l'attirant à lui par une force surnaturelle, inclina la tête du docteur jusqu'à toucher la sienne, où il la tint comme dans un étau : il lui murmura alors quelques paroles inaudibles pour nous, à l'oreille. Le sceptique fit des efforts pour se libérer, mais avant qu'il n'eût le temps de faire un seul mouvement, l'œuvre fut accomplie. Les bras se dénouèrent et le vieux sorcier retomba sur sa couche, un cadavre ! Un étrange et satanique sourire resta figé sur ses lèvres blêmes, un sourire de triomphe démoniaque et de vengeance satisfaite ; mais le docteur était encore plus pâle et plus livide que le mort. Il regarda autour de lui avec une expression de terreur indicible, et, sans répondre à nos questions il s'élança au dehors dans la direction de la forêt. On envoya des hommes à sa recherche mais il resta introuvable. Vers le coucher du soleil on entendit un coup de feu dans la forêt. Une heure plus tard on ramenait le cadavre du docteur la tête traversée par une balle ; le sceptique s'était fait sauter la cervelle !
Qui le poussa au suicide ? Quelle incantation magique ou sortilège, la "parole" du sorcier moribond, avait-elle produit sur son esprit ? Qui pourra le dire ?
74 Anacalypsis ; voyez également Tertullien.
75 [Cicéron, De natura deorum, III, 16.]
Certes, nombreux furent les "Christs" dans les âges préchrétiens. Mais ils moururent ignorés du monde et disparurent aussi silencieusement et mystérieusement de la vue des hommes que Moise du sommet de Pisgah, la montagne de Nebo (sagesse oraculaire) après avoir imposé les mains à Josué, qui de ce moment fut "rempli de l'esprit de sagesse" (c'est-à-dire qu'il fut initié). [54]
Le mystère de l'Eucharistie n'est pas non plus la propriété exclusive des chrétiens. Godfrey Higgins démontre qu'il fut institué plusieurs siècles avant la "Sainte Cène", et il dit que "le sacrifice du pain et du vin était commun à beaucoup de nations" 74. Cicéron en fait mention dans ses ouvrages et s'étonne de l'étrangeté du rite. Une signification ésotérique s'y rattachait dès le début de l'établissement des Mystères, et l'Eucharistie est un des plus anciens rites de l'antiquité. Chez les hiérophantes, il avait à peu près la même signification que chez les chrétiens. Cères représentait le Pain et Bacchus le Vin 75, la première étant la régénération de la vie au moyen de la semence, et l'autre – le raisin – l'emblème de la sagesse et de la connaissance, l'accumulation de l'esprit des choses, la fermentation et la puissance subséquente de la connaissance ésotérique, étant symbolisées par le vin. Le mystère avait une relation avec le drame de l'Eden ; il fut, dit-on, enseigné d'abord par Janus, qui fut aussi le premier à introduire dans les temples le sacrifice du "pain" et du "vin" pour commémorer la "chute dans la génération" sous le symbole de la "semence". "Je suis la vigne et mon Père est le vigneron", dit Jésus [Jean XV, 1] en faisant allusion à la connaissance secrète qu'il pouvait enseigner. "Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu'au jour où je le boirai de nouveau dans le royaume de Dieu." [Marc XIV, 25].
La fête des Mystères d'Eleusis commençait dans le mois de Boëdromion, correspondant à celui de septembre, époque de la vendange, et durait du 15 au 22 du mois, c'est-à-dire pendant sept jours 76. La fête juive des Tabernacles commençait le 15 et terminait le 22 du mois d'Ethanim, que Dunlap alI'Irme avoir été dérivé de Adonim, Adonia, Attenim, Ethanim 77 ; dans l'Exode (XXIII, 16), cette fête porte le nom de fête de la moisson. "Tous les hommes d'Israël se réunirent auprès du roi Salomon, au mois d'Ethanim, qui est le septième mois, pendant la fête 78." [55]
76 Anthon, art. Eleusinia.
77 Sod, the mysteries of Adoni, p. 71.
78 Rois, VIII, 2.
Plutarque estime que la fête des loges était un rite Bachique, et non pas Eleusinien. Donc "on évoquait directement Bacchus", dit-il. Le culte Sabazien était sabbatique ; les noms de Evius ou Hévius, et Luaïos sont identiques à ceux de Hivite et Lévite. Le nom français Louis, est le Lévi hébreu ; de même que Iacchus est le Iao ou Jéhovah ; Baal ou Adon comme Bacchus était un dieu phallique. "Qui pourra monter à la montagne de l'Eternel ? (l'endroit élevé)" s'écrie le saint roi David, "qui s'élèvera jusqu'à la place de son Kadoushou ושדק ?" (Psaumes, XXIV, 3). Kadesh peut avoir dans un sens la signification de consacrer, vénérer, sanctifier, et même d'initier, de mettre à part ; mais il veut aussi dire l'usage de rites lascifs (culte de Vénus) et la véritable interprétation du mot Kadesh est donnée au Deutéronome, XXIII, 17 ; Osée, IV, 14 ; et Genèse, XXXVIII du verset 15 au 22. Les "saintes" Kadeshuth de la Bible étaient identiques, quant à leur profession, aux Femmes-Nautch, à une époque plus récente dans les pagodes hindoues. Les Kadeshim hébreux ou galli, vivaient "dans la maison de l'Eternel et où les femmes tissaient des tentures pour le bosquet", ou pour le buste de Vénus Astarté, dit le septième verset du 23ème chapitre du 9ème Livre des Rois.
La danse exécutée par David autour de l'arche était la "danse du cercle" qu'on dit avoir été instituée par les Amazones pour les Mystères. C'était la même danse que pratiquaient les filles de Siloh (Juges, XXI, 21 et 33 et passim) et les prophètes de Baal en sautant devant leur idole (Rois, XVIII, 26). Cette danse était caractéristique du culte sabbéen, car elle représentait le mouvement des planètes autour du soleil. Il n'y a pas de doute que cette danse était une folie bachique. A cette occasion on se servait de sistres, et le reproche de Mical ainsi que la réponse du roi sont tout à fait expressifs. "Le roi d'Israël se découvrit devant ses servantes, ainsi que se découvrent sans honte les vains compères [débauchés]". Et il ajoute : "Je jouerai [j'agirai lubriquement] devant יהוה, et je serai plus vil encore, et je me rabaisserai à mes propres yeux" 79. Si nous nous rappelons que David avait séjourné parmi les Tyriens et les Philistins, où ces rites étaient communs, et qu'il avait arraché cette contrée à la maison de Saül, à l'aide de mercenaires de leurs pays, l'acceptation et peut-être aussi l'introduction d'un culte païen de cette nature par le faible "psalmiste" n'a rien qui doive nous surprendre. David ne savait rien de Moise, à ce qu'il paraît, et s'il introduisit le culte de Jéhovah, ce ne fut pas dans son caractère monothéiste, mais simplement comme l'un des nombreux dieux des nations avoisinantes – divinité tutélaire à laquelle il avait donné la préférence, et qu'il avait choisie entre "tous les autres dieux". [56]
Poursuivant dans leur ordre l'étude des dogmes chrétiens, si nous concentrons notre attention sur celui qui provoqua les luttes les plus acharnées, jusqu'au moment de son acceptation, nous voulons parler du dogme de la Trinité, que voyons-nous ? Nous le rencontrons, ainsi que nous l'avons déjà dit au Nord-Est de l'Indus ; suivant sa trace en Asie Mineure et en Europe, nous le reconnaissons chez tous les peuples qui possédaient un semblant de religion établie. Il était enseigné dans les plus anciennes écoles Chaldéennes, égyptiennes et mithraïtiques. Le dieu solaire chaldéen, Mithra, était "triple" et la notion trinitaire des chaldéens était une doctrine des Akkadiens, qui, de leur côté appartenaient à une race qui fut la première à concevoir une trinité métaphysique. Suivant Rawlinson, les Chaldéens étaient une tribu des Akkadiens, qui, depuis des temps immémorables, vivaient à Babylone. Suivant d'autres, ils étaient des Touraniens et transmirent aux Babyloniens les premières notions de religion. Mais alors, qui étaient ces Akkadiens ? Les savants qui leur donnent une origine touranienne, leur attribuent l'invention des caractères cunéiformes ; d'autres leur donnent le nom de Sumériens ; d'autres, encore, veulent que leur langage, dont aucune trace n'est restée, et cela pour d'excellentes raisons, ait été le Kasdéen, le Chaldaique, le Proto-Chaldéen, le Kasdo-Scythique et ainsi de suite. La seule tradition à laquelle on puisse ajouter foi, est celle que ces Akkadiens instruisirent les Babyloniens dans les Mystères, en leur enseignant le langage sacerdotal ou langage des Mystères. Ces Akkadiens n'étaient, alors, qu'une tribu de Brahmanes hindous appelés aujourd'hui Aryens, dont le langage vernaculaire était le sanscrit 80 des Védas ; et le langage sacré ou des Mystères, est celui dont, de nos jours, se servent les fakirs hindous et les brahmanes initiés dans leurs évocations magiques 81. Ce langage a été employé depuis un temps immémorial, et l'est encore par les initiés de tous les pays, et les Lamas Tibétains prétendent que c'est dans cette langue qu'apparaissent les caractères mystérieux, sur les feuilles et l'écorce du Koumboum sacré.
79 [2 Sam, VI, 20-22.]
Jacolliot qui fit tant d'efforts pour pénétrer les mystères de l'initiation Brahmanique, en traduisant et en commentant l'Agrouchada-Parikshai, fait la confession suivante : [57]
"On prétend aussi, sans que nous ayons pu vérifier la chose, que les évocations magiques étaient prononcées dans un langage particulier, et qu'il était défendu, sous peine de mort, de les traduire en langage vulgaire. Les rares expressions que nous avons pu saisir, comme – L'rhom, h'hom, sh'hrum, sho'rhim, sont, en effet fort curieuses, et ne paraissent appartenir à aucun langage connu" 82.
80 Rappelons-nous, à cette occasion, que le Col. Vans Kennedy a déclaré il y a déjà longtemps, que Babylone fut à une époque le siège du Sanscrit et de l'influence Brahmanique.
81 "L'Agrouchada-Parikshai qui révèle, jusqu'à un certain point, l'ordre de l'initiation, ne donne pas la formule de l'évocation", dit Jacolliot, et il ajoute que suivant certains Brahmanes "ces formules n'ont jamais été écrites, mais qu'elles étaient, et sont encore transmises à voix basse à l'oreille des adeptes". (Les Maçons disent : "de la bouche à l'oreille et â voix basse".)
82 Le Spiritisme dans le Monde, p. 108.
Ceux qui ont vu un fakir, ou un lama récitant ses mantras et ses conjurations savent que lorsqu'il prépare un phénomène, il ne prononce jamais les mots d'une façon audible. Ses lèvres remuent, et personne ne peut entendre prononcer la terrible formule, sinon dans l'intérieur des temples et seulement à voix basse. Voilà quel était ce langage baptisé aujourd'hui par les savants suivant leurs penchants imaginatifs et philologiques, du nom de Kasdéo-Sémite, Scythique, Proto-Chaldéen et ainsi de suite.
Il est rare que deux philologues sanscristes même des plus érudits soient d'accord sur l'interprétation des mots védiques. Qu'un auteur publie un essai, une conférence, un traité, une traduction, un dictionnaire, et tous les autres commencent à se quereller entre eux et avec lui, en lui reprochant ses péchés d'omission et de commission. Le Professeur Whitney, le plus célèbre orientaliste américain, dit que les notes du Professeur Müller sur le Rig Véda Sâmhitâ "sont loin de faire preuve d'un jugement sain et profond, de cette modération et cette économie qui devraient être les qualités les plus précieuses d'un exégète" 83. Le Professeur Müller répond avec aigreur à son critique que "non seulement la satisfaction, qui est la récompense inhérente de toute œuvre loyale, est empoisonnée, mais l'égoïsme, la méchanceté, voire même l'inexactitude prennent le dessus, et arrêtent ainsi la saine croissance de la science". Il n'est pas d'accord, "dans beaucoup de cas, avec les explications de mots Védiques, mises en avant par le professeur R. Roth" dans son Dictionnaire Sanscrit, et le professeur Whitney leur lave la tête à tous les deux, en disant qu'il y a sans contredit des mots et des expressions entières, "pour lesquels tous les deux auront à accepter une correction, par la suite".
Dans le premier volume de ses Chips, le professeur Müller stigmatise tous les Védas, à l'exception du Rig, l'Atharva Véda inclus, en les qualifiant de "bavardage théologique", tandis que le professeur Whitney considère ce dernier comme de la plus précieuse et la plus compréhensive des quatre collections après le Rig" 84. Mais revenons au cas de Jacolliot. Le professeur Whitney [58] le taxe "d'ignorant et de menteur", mais comme nous l'avons déjà fait remarquer plus haut, cette appréciation est assez générale. Toutefois, lorsque parut La Bible dans l'Inde, la Société Académique de Saint-Quentin pria Textor de Ravisi, indianiste érudit, gouverneur pendant dix années de Karikal, dans l'Inde, de faire un rapport sur sa valeur. C'était un fervent catholique, et violemment opposé aux conclusions de Jacolliot quand celles-ci portaient atteinte aux révélations mosaïques et catholiques ; mais il fut obligé d'avouer : "écrit en toute bonne foi, dans un style facile, vigoureux et passionné, d'une argumentation aisée et variée, l'ouvrage de M. Jacolliot était d'un intérêt absorbant... un ouvrage savant traitant de faits connus, avec des arguments familiers" 85.
83 [Oriental and Linguistic studies, p. 138.]
84 [Ibid., p. 147.]
85 [L. Jacolliot, Christna et le Christ, p. 339.]
86 W.-D. Withney, Oriental and Linguistic Studies, The Veda, etc.
87 Il semblerait que Jacolliot ait démontré fort logiquement les contradictions absurdes de quelques philologues, anthropologues et orientalistes au sujet de leur manie Akkado-Sémite : "Leurs négations ne pèchent, certes pas par la bonne foi" écrit-il. "Les savants qui ont inventé les peuples Touraniens savent fort bien que seulement dans le "Manou, il y a plus de science et de philosophie véritable que dans tout ce que ce prétendu sémitisme nous a fait voir ; mais ils sont esclaves d'une voie que plusieurs d'entre eux ont suivie depuis quinze, vingt ou même trente ans... Par conséquent, nous n'avons rien à attendre du présent. L'Inde devra sa reconstitution aux savants de la prochaine génération". (La Genèse de l'Humanité, p. 60-61.)
88 [Cory, op. cit., p. 6.]
Bref, que Jacolliot bénéficie du doute, quand des autorités aussi imposantes font de leur mieux pour se faire passer les uns les autres pour des incompétents et des littérateurs besogneux. Nous sommes parfaitement d'accord avec le professeur Whitney que le dicton [pour les critiques Européens ?] il est plus facile de démolir que d'édifier n'a jamais été plus vrai que dans tout ce qui touche à l'archéologie et à l'histoire de l'Inde" 86.
Babylone était située sur la route du grand courant de la première émigration hindoue, et les Babyloniens furent un des premiers peuples à en bénéficier 87. Ces Khaldi étaient des adorateurs du Dieu Lunaire, Deus Lunus, d'où nous pouvons conclure que les Akkadiens – si tel était leur nom – appartenaient à la race des Rois de la Lune, que la tradition nous montre comme ayant régné à Prayâga, aujourd'hui Allâhâbâd. Pour eux la trinité de Deus Lunus se manifeste dans les trois phases de la lune, complétant le quaternaire avec la quatrième, et représentant la mort du Dieu Lunaire par son décours et sa disparition finale. Cette mort, pour eux, était allégorique, et ils l'attribuaient au triomphe du génie du mal sur la divinité qui donnait la lumière ; c'est ainsi que les nations subséquentes allégorisaient la mort de leurs Dieux-Solaires, Osiris et Apollon, aux mains de Typhon et du grand Dragon Python, lorsque le soleil entrait dans le solstice d'Hiver. Babel, Arach et Akkad, sont des noms du Soleil. Les Oracles Chaldéens sont [59] prolixes et explicites au sujet de la Triade Divine 88. "Une triade de Divinités reluit sur le monde tout entier, dont une Monade est le chef", admet le Révérend Dr Maurice.
"Car toutes choses sont gouvernées depuis le sein de cette Triade" dit un oracle chaldéen. Les Phos, Pur et Phlox de Sanchoniathon, sont la Lumière, le Feu et la Flamme, trois manifestations du Soleil qui est un. Bel-Saturne, Jupiter-Bel et Bel ou Baal-Chom constituaient la trinité chaldéenne 89 ; "Le Bel babylonien était considéré sous le triple aspect de Belitan, Zeus-Belus (le médiateur) et Baal-Chom, qui est lui-même l'Apollon Chomœus. Celui-ci était le Triple aspect du "Très Haut" 90 qui, suivant Bérose, est : soit El [Hébreu] Bel, Belitan, Mithra, soit Zervana et porte le nom de πχτήρ, "Le Père" 91. Les Brahmâ, Vichnou et Shiva 92, qui correspondent à la Puissance, la Sagesse et la Justice, qui de leur côté, répondent à l'Esprit, la Matière, le Temps, ainsi qu'au Passé, Présent et Futur, se trouvent dans le temple de Gharapouri ; des milliers de Brahmanes dogmatiques adorent ces attributs de la Divinité Védique, tandis que les austères moines et nonnes du Tibet bouddhique ne reconnaissent que la trinité sacrée des trois vertus cardinales : Pauvreté, chasteté et obéissance, professées par les chrétiens, mais pratiquées par les Bouddhistes et quelques rares hindous."
La Divinité triple des Perses est aussi composée de trois personnes : Ormazd, Mithra et Ahriman. "C'est ce principe", dit Porphyre 93, dont l'auteur du Chaldaic Summary parle en disant : Ils croient qu'il existe un principe unique de toutes choses et ils déclarent qu'il est un et bon. L'idole chinoise Sampao est constituée de trois personnes égales sous tous les rapports 94 ; et les Péruviens "considéraient que leurs Tanga-Tanga était un en trois et trois en un", nous dit Faber 95. Les Egyptiens avaient leur Emepht, Eikton et Ptah ! et le triple dieu assis sur le Lotus est visible au musée de Saint-Pétersbourg, sur une médaille provenant des Tartares du Nord.
89 Cory, Anc. Frag.
90 Movers, Phainizer, 263.
91 Dunlap, Sp. Hist. of Man, p. 281.
92 Shiva n'est pas strictement parlant, un dieu des Védas. Lorsque les Védas furent écrits, il tenait le rang de Maha-Deva, ou Bel, parmi les dieux de l'Inde aborigène.
93 De Antro Nympharum.
94 Navarette, livre II, c. X.
95 On the Origin of Heathen idolatry, vol. I, p. 269, éd. 1816.
De tous les dogmes de l'Eglise, ce dernier est celui qui a eu le plus à souffrir dernièrement, à la suite des attaques des Orientalistes. La réputation de chacun des trois personnages de la divinité anthropomorphe, prise au point de vue de la révélation aux Chrétiens, par la volonté Divine, a été sérieusement compromise à la [60] suite de l'enquête faite sur son origine et ses antécédents. Les Orientalistes ont publié plus de choses au sujet de la ressemblance entre le Brahmanisme, le Bouddhisme et le Christianisme qu'il n'a été agréable au Vatican. L'affirmation de Draper, que "le Paganisme a été modifié par le Christianisme, et le Christianisme par le Paganisme" 96... se vérifie chaque jour. "L'Olympe a été restauré, mais les divinités ont pris d'autres noms", nous dit Draper en parlant de la période de Constantin. "Les provinces les plus puissantes insistèrent pour qu'on adoptât leurs conceptions consacrées par le temps. On établit des notions de la trinité d'accord avec les anciennes traditions égyptiennes. On restaura non seulement l'adoration d'Isis sous un autre nom, mais on rétablit son image elle-même, debout sur le croissant. L'effigie bien connue de cette déesse, tenant son enfant Horus dans les bras, s'est perpétuée jusqu'à nos jours, dans les ravissantes créations artistiques de la Madone et son enfant.
On attribue cependant une origine plus ancienne à la Vierge "Mère de Dieu" Reine du Ciel, que celle des Egyptiens et des Chaldéens. Bien qu'Isis fut aussi, de droit, Reine du Ciel, et qu'on la représente généralement tenant en sa main une Croix Ansée, composée de la croix mondiale et du Stauros des Gnostiques, elle est beaucoup moins ancienne que la vierge céleste Neith. Champollion le jeune découvrit dans un des tombeaux des Pharaons, Rhamsès, dans la vallée de Biban-el-Molouk, à Thèbes, une peinture, qui, à son avis, est la plus ancienne qui ait jamais été découverte. Elle représente le ciel, symbolisé par une forme de femme parée d'étoiles. La naissance du Soleil est représentée par un petit enfant, sortant du sein de sa "Divine Mère" 97.
96 D'après les livres sacrés des Egyptiens Isis et Osiris seraient apparus (c'est-à-dire furent adorés) sur la terre après Thot, le premier Hermès, nommé le Trismégiste, qui écrivit tous leurs livres sacrés d'après le commandement de Dieu, ou par "révélation divine". Le compagnon et l'instructeur d'Isis et d'Osiris fut Thoth ou Hermès II, qui était une incarnation de l'Hermès céleste.
97 [Champollion-Figeac, Egypte ancienne, p 104.]
Tout le dogme trinitaire, accepté par les Chrétiens, est développé dans des phrases claires et ne donnant lieu à aucune équivoque dans le Livre d'Hermès "Pimandre". "La Lumière c'est moi" dit Pimandre, la PENSEE DIVINE, "Je suis le nous ou l'intelligence et je suis ton dieu, et je suis plus âgé que le principe humain qui s'échappe de l'ombre. Je suis le germe de la pensée, la PAROLE resplendissante, le FILS DE DIEU. Réfléchis que ce qui pense et entend en toi est le Verbe du Maître, c'est la Pensée qui est Dieu le Père... L'océan céleste, l'ÆTHER, qui coule de l'est à l'ouest, est le Souffle du Père, le Principe qui donne la vie, le SAINT ESPRIT !" "Car ils ne sont pas du tout séparés et leur union c'est la VIE." 98. [61]
Si ancienne que soit l'origine d'Hermès, confondue dans la nuit des temps de la colonisation égyptienne, il existe cependant, d'après les Brahmanes, une prophétie bien plus ancienne, ayant un rapport direct avec le Krishna hindou. Il est étrange, pour ne pas dire plus, que les chrétiens prétendent fonder leur religion sur une prophétie de la Bible, qu'on ne retrouve nulle part dans ce livre. Dans quel chapitre ou verset, Jehovah "le Seigneur Dieu" promet-il à Adam et Eve de leur envoyer un Rédempteur pour sauver l'humanité ? "Je mettrai inimitié entre toi et la femme", dit le Seigneur Dieu au serpent, "entre ta postérité et sa postérité ; celle-ci t'écrasera la tête, et tu lui blesseras le talon" 99.
Il n'y a, dans ces paroles, pas la moindre allusion à un Rédempteur et les intelligences les plus subtiles ne pourraient en tirer telles que nous les voyons dans le troisième chapitre de la Genèse, quoi que ce soit qui ressemble à ce que les chrétiens s'efforcent d'en tirer. D'autre part, suivant les traditions du Manou, Brahma fait une promesse directe au premier couple de leur envoyer un Sauveur qui leur enseignera le chemin du salut.
"C'est des lèvres mêmes d'un messager de Brahma, qui naîtra à Kouroukshetra, Matsya, dans le pays de Panchola, aussi nommé Kanya- Koubja [Montagne de la Vierge] que tous les hommes de la terre apprendront à connaître leur devoir", dit Manou (livre II, shlokas 19 et 20).
98 [L. Ménard, Hermès Trismégiste, Paris 1867, I, 1.]......
99 [Genèse III, 15.]
100 Lord Kingsborough, Ant. Mex., p. 165.
Les Mexicains nommaient le Père de leur Trinité Ozamna, le Fils Bacab et le Saint Esprit Echvah, "et ils prétendent l'avoir reçue [la doctrine] de leurs ancêtres" 100. Nous trouvons la trace d'une trinité chez les nations sémitiques, dans l'époque préhistorique du fabuleux Sésostris, que plus d'un critique a identifié avec Nemrod "le puissant chasseur". Manetho fait réprimander le roi par l'oracle, lorsqu'il lui demande : "Dis-moi, oh toi, puissant dans le feu, qui, avant moi, a pu subjuguer toutes choses ? et qui le fera après moi ?" Et l'oracle lui répond ainsi : "Premièrement Dieu, puis le Verbe, et après eux l'Esprit 101."
C'est dans ce qui précède que nous trouvons l'origine de la haine féroce des chrétiens pour les "Païens" et les théurgistes. On avait emprunté trop de choses ; les anciennes religions et les Néo-Platoniciens avaient été mis par eux à contribution, au point de rendre le monde perplexe pendant des milliers d'années. Si les anciennes croyances n'avaient été promptement détruites, il eût été impossible de prêcher la religion chrétienne comme une Nouvelle Dispensation, où la Révélation directe de Dieu le Père, par Dieu le Fils, et sous l'influence de Dieu le Saint-Esprit. Pour faire face aux [62] exigences politiques les Pères eurent, pour gratifier les désirs de leurs riches prosélytes, à instituer même les fêtes de Pan. Ils allèrent jusqu'à adopter les cérémonies célébrées jusqu'alors par le monde païen en honneur du Dieu des jardins dans toute leur sincérité primitive 102. Il était grand temps de mettre fin à cette liaison. Ou le culte païen et la théurgie néo-platonicienne, avec tout leur cérémonial de magie, devaient être étouffés pour toujours, ou alors les chrétiens devaient embrasser le Néo-Platonisme.
101 Ap. Malal, lib. I, chap. IV.
102 Payne Knight, Phallic Worship, Londres 1865, pp. 171 et seq.
Les polémiques violentes et les duels entre Irénée et les Gnostiques sont trop connus pour qu'on revienne là-dessus. Ils se continuèrent pendant plus de deux siècles après que le peu scrupuleux évêque de Lyon eut débité son dernier paradoxe religieux. Celse, le Néo-Platonicien, et disciple de l'école d'Ammonius Saccas, avait jeté la confusion parmi les chrétiens, et même arrêté pendant un certain temps les progrès du prosélytisme en prouvant, avec succès, que les formes originelles et pures des plus importants dogmes chrétiens ne se trouvent que dans l'enseignement de Platon. Celse accusa les chrétiens d'adopter les pires superstitions du Paganisme et d'introduire dans leurs ouvrages des passages des livres sibyllins sans avoir bien compris leur signification. Les accusations étaient si plausibles et les faits si notoires, que pendant longtemps, aucun écrivain chrétien n'osa en prendre la défense. Origène, à la requête pressante de son ami saint Ambroise, fut le premier à la prendre en main, car, ayant appartenu à la même école platonicienne d'Ammonius, on le considérait comme la personne la plus compétente pour réfuter des accusations si bien fondées. Mais son éloquence lui fit défaut et le seul remède qu'on apporta fut la destruction de tous les ouvrages de Celse 103. Cela n'eut guère lieu que dans le cinquième siècle, après que de nombreuses copies eussent été prises de ces ouvrages et qu'ils eurent été lus et étudiés par de nombreuses personnes. Si aucune copie n'est parvenue jusqu'aux savants de notre génération, ce n'est pas parce qu'il n'en existe pas aujourd'hui, mais pour la simple raison que les moines d'une certaine église Orientale du Mont Athos, ne veulent ni les laisser voir, ni reconnaître qu'ils en possèdent un exemplaire 104. Peut-être ignorent-ils eux-mêmes la valeur du contenu de ces manuscrits, par suite de leur profonde ignorance. [63]
103 Le Celse mentionné plus haut, qui vécut entre le second et le troisième siècle, n'est pas Celse l'Epicurien. Ce dernier écrivit plusieurs ouvrages condamnant la magie, et vécut avant l'autre pendant le règne d'Adrien.
104 Nous avons ces détails d'un témoin digne de foi, qui n'a aucun intérêt à inventer une pareille histoire. S'étant blessé à la jambe en sautant du vapeur dans le canot qui devait le conduire au Mont, il fut soigné par les moines, et pendant sa convalescence, à la suite de cadeaux d'argent et d'autres présents, il gagna leur amitié et bientôt après leur entière confiance. Ayant demandé qu'on lui prêtât quelques livres, il fut conduit par le supérieur dans une vaste cave dans laquelle ils gardaient les vases sacrés et autres choses précieuses. Ouvrant une grande malle, pleine de manuscrits et de rouleaux vermoulus, le supérieur lui dit de s'amuser. Ce monsieur était un lettré et versé dans les langues grecque et latine. "Je fus émerveillé", écrivit-il dans une lettre particulière, "au point d'en perdre le souffle, en rencontrant, parmi ces anciens parchemins, traités avec si peu de cérémonie, quelques-unes des plus précieuses reliques des premiers siècles, que jusqu'à maintenant on croyait perdues". Entre autres, il trouva un manuscrit à moitié détruit, qu'il est absolument certain d'être une copie de la "Véritable Doctrine" le Αόγος άλὴθὴς de Celse, dont Origène a cité des pages entières. Le voyageur prit autant de notes qu'il put ce jour-là mais lorsqu'il offrit au supérieur de lui acheter quelques-uns des manuscrits qu'il avait parcourus, il fut surpris de constater qu' "aucune somme d'argent ne pourrait tenter les moines". Ils ne savaient pas ce que contenaient les manuscrits, et cela leur était bien égal", dirent-ils. Mais tout le lot de manuscrits leur avait été transmis d'une génération à une autre, et il existait parmi eux, une tradition, que ces papiers leur procureraient, un jour, le moyen d'écraser la "Grande bête de l'Apocalypse", leur ennemi héréditaire, l'Eglise de Rome. Ils étaient en querelles constantes et en bataille ouverte avec les moines catholiques, et dans tout "le tas" ils savaient qu'il y avait une relique "sacrée" qui les protégeait. Ils ne savaient pas laquelle, et par conséquent, dans le doute ils s'abstenaient. Il paraît que le supérieur, qui était un Grec rusé, comprit la bévue qu'il avait faite, et se repentit de son amabilité, car en premier lieu il fit promettre au voyageur sur sa parole d'honneur, appuyée par un serment sur l'image de la Sainte Patronne du Pays, de ne jamais dévoiler leur secret, et surtout de ne jamais mentionner le nom de leur couvent. Et enfin, lorsque le voyageur qui avait passé quinze jours à lire toutes sortes de grimoires anciens sans valeur, était tombé par hasard sur un manuscrit précieux, voulut avoir la clé pour "s'amuser un peu" avec les parchemins, on lui dit très naïvement que la clé "avait été perdue" et qu'on ne savait pas où la chercher. Il dut, par conséquent, se contenter des quelques notes qu'il avait prises.
La dispersion de l'école Eclectique était devenue le plus ardent espoir des Chrétiens ; on l'avait cherchée et contemplée avec une anxiété fébrile. Elle fut enfin obtenue. Ses membres furent dispersés par les monstres Théophile, évêque d'Alexandrie, et son neveu Cyrille, le meurtrier de la jeune savante et innocente Hypatie 105 !
A la suite de la mort de la fille martyrisée de Théon, le mathématicien, il ne fut plus possible aux Néo-Platoniciens de continuer leur école à Alexandrie. Tant que vécut la jeune Hypatia, son amitié et son influence auprès d'Oreste, gouverneur de la ville, assura la sécurité et la protection des philosophes contre leurs ennemis féroces. Par sa mort ils perdirent leur plus puissant ami. Nous constatons combien elle était vénérée par tous ceux qui connaissaient son érudition, ses vertus et la noblesse de son caractère, dans les lettres que Synésius, évêque de Ptolémaïs lui adressait, et dont quelques fragments sont parvenus jusqu'à nous. "Mon cœur soupire après la présence de ton esprit divin", écrivait-il en l'an 413, "qui plus que tout autre chose calmerait l'amertume de ma destinée". Dans une autre, il dit : "Oh, ma mère, ma sœur, mon instructeur, ma bienfaitrice ! Mon âme est fort triste. Le souvenir de mes enfants que j'ai perdus causera ma mort... Lorsque je reçois de tes nouvelles et que j'apprends que tu es plus heureuse que moi, je ne suis malheureux qu'à moitié." 106. [64]
105 Voyez le roman historique du Chanoine Kingsley Hypatia où l'on trouvera un récit pittoresque du sort tragique de cette jeune martyre.
106 [Epistolæ, X et XVI.]
Quels eussent été les sentiments de ce noble et digne évêque chrétien, noble et digne entre tous, qui avait abandonné famille, enfants et bonheur pour la foi dans laquelle il avait été entraîné, si une vision prophétique lui avait révélé que la seule amie qui lui restait, sa "mère, sa sœur, sa bienfaitrice" devait sous peu devenir un amas de chair et de sang, écrasée sous le coup de massue de Pierre le Lecteur, que son jeune corps innocent serait taillé en pièces, "la chair raclée des os" avec des écailles d'huîtres et le résidu jeté dans les flammes par ordre du même évêque Cyrille, qu'il connaissait si bien, ce Cyrille qui plus tard fut CANONISE comme saint !! 107.
107 Nous prions le lecteur de ne pas oublier que ce même Cyrille fut accusé et reconnu coupable d'avoir vendu les ornements d'or et d'argent de son église, après avoir dilapidé l'argent. Il reconnut qu'il était coupable et essaya de s'excuser en disant qu'il avait donné l'argent aux pauvres, mais il n'en put faire la preuve. Sa duplicité avec Arius et son parti est bien connue. Ainsi, un des premiers saints chrétiens, le fondateur de la Trinité, apparaît dans les annales de l'histoire comme un assassin et un voleur.
108 [Cela fut écrit en 1877.]
Aucune religion du monde n'a eu une histoire aussi sanglante que le Christianisme. Toutes les autres, y compris les féroces batailles du "peuple élu" contre leurs proches parents, les tribus idolâtres d'Israël, pâlissent devant le fanatisme meurtrier des partisans du Christ ! L'extension rapide du Mahométisme conquérant par le glaive du prophète de l'Islam est une conséquence directe des batailles et des rixes sanglantes parmi les Chrétiens. Ce fut la guerre intestine entre les partisans de Nestor et de Cyrille qui donna naissance à l'Islamisme ; et ce fut dans le couvent de Bozrah que la prolifique semence fut premièrement plantée par Bahira, le moine nestorien. Arrosé par des fleuves de sang, l'arbre de la Mecque s'est développé au point que dans le siècle actuel il abrite près de deux cents millions de fidèles. Les récents massacres bulgares 108 sont le résultat naturel du triomphe de Cyrille et des adorateurs de Marie.
Le politicien cruel et rusé, le moine conspirateur, glorifié dans l'histoire religieuse et couronné de l'auréole du saint ; les philosophes dépouillés, les Néo-Platoniciens et les Gnostiques journellement anathématisés par l'Eglise, dans le monde entier et pendant de longs siècles ; la malédiction d'une Divinité indifférente invoquée à tout instant sur les rites magiques et la pratique théurgique, et le clergé chrétien, lui- même, s'adonnant à la sorcellerie pendant des siècles ; des êtres comme Catherine de Médicis, Lucrèce Borgia, Jeanne de Naples, et Isabelle d'Espagne présentés au monde comme les enfants dévoués de l'Eglise, quelques-uns d'entre eux, même décorés par le Pape de l'ordre de la "Rose Immaculée" l'emblème le plus sublime de la pureté et de la vertu féminines, symbole le plus [65] sacré de la Vierge Mère de Dieu ! Voilà quels sont les exemples de la justice humaine ! Combien moins blasphématoire nous apparaît le rejet de Marie en tant que déesse immaculée, que son culte idolâtre accompagné de pratiques pareilles.
Nous présenterons, dans le chapitre suivant, quelques exemples de sorcellerie, tels qu'ils furent pratiqués sous le patronage de l'Eglise Romaine.