CHAPITRE XI
—
RESULTATS COMPARES DU BOUDDHISME ET DE LA CHRETIENTE
"Ne commettre aucun péché, faire le bien, purifier son esprit, voilà l'enseignement des Illuminés.
"Plus précieuse que la Souveraineté de la terre, plus désirable que de monter au ciel, plus enviable que le pouvoir sur tous les mondes, est la récompense du premier pas dans la sainteté."
Dhammapada, Versets 178-183.
Où sont ces tribunaux. ô Créateur, d'où procèdent ces cours de justice, où se rassemblent ces juges, où les tribunaux siègent-ils, dans lesquels l'homme des mondes corporels rend compte des actions de son âme ?
Vendidad perse, XIX, 89.
Salut à toi, Homme. qui viens du monde transitoire au monde Impérissable !
Vendidad, farg. VII, 186.
Pour le véritable croyant, la vérité partout où elle apparaît, est la bienvenue. et arcane doctrine ne paraîtra moins vraie et moins précieuse parce qu'elle est apparue non seulement A Moïse ou au Christ mais aussi an Bouddha ou à Lao-Tsé.
Max Millier.
Malheureusement pour ceux qui aimeraient rendre justice aux philosophies religieuses de l'Orient anciennes et modernes, ils n'en ont guère eu l'occasion dans des conditions favorables. Dernièrement un accord touchant à été conclu entre les philologues qui occupent une haute position officielle et les missionnaires venus de pays païens. Il faut agir avec prudence avant de sacrifier à la vérité, quand elle met nos sinécures en danger ! De plus, il est si facile de faire un compromis avec sa conscience. Une religion d'Etat est un soutien du gouvernement ; toutes les religions d'Etat sont des "baudruches dégonflées" ; par conséquent, du moment qu'une est aussi bonne, ou plutôt aussi mauvaise qu'une autre, autant donner son appui à la religion d'Etat. Telle est la diplomatie de la science officielle.
Grote, dans son Histoire de Grèce, assimile les Pythagoriciens aux Jésuites, et ne voit dans leur confrérie qu'un but habilement déguisé pour acquérir un ascendant politique. Sur la faible autorité d'Héraclite et d'autres auteurs, qui accusaient Pythagore de [202] fourberie et le présentaient comme un homme "d'une haute érudition... mais habile à nuire et dénué de sain jugement", quelques biographes historiques se sont empressés de le présenter à la postérité sous ce jour.
S'il faut accepter le Pythagore dépeint par le satirique Timon comme "un charlatan à la parole solennelle s'occupant de pécher des hommes", comment ne jugerait-on Jésus d'après le portrait que Celse en a fait dans sa satire ? L'impartialité historique n'a rien à faire avec les croyances personnelles, et elle exige que la postérité les traite de même façon. La vie et les actes de Jésus sont bien moins attestés que ceux de Pythagore, si toutefois on peut dire qu'ils aient été attestés par des preuves historiques quelconques. Car certes, nul ne contestera qu'en tant que personnage véritable, Celse l'emporte pour la crédibilité de son témoignage, sur Matthieu, Marc, Luc ou Jean, qui n'ont jamais écrit un seul mot des Evangiles qu'on leur attribue. D'autre part le témoignage de Celse est aussi bon que celui d'Héraclite. Quelques-uns des Pères le connaissaient comme lettré et Néo-Platonicien ; tandis qu'il faut accepter comme un article de foi aveugle l'existence des quatre Evangélistes. Si Timon considérait le sublime philosophe de Samos comme un "charlatan", Celse, en fait de même pour Jésus, ou plutôt pour ceux qui le représentaient. En s'adressant au Nazaréen, il dit dans son célèbre ouvrage : "Admettons que vous ayez opéré tous ces miracles... mais ne sont-ils pas communs chez tous ceux à qui les Egyptiens ont appris à les faire en plein forum pour quelques oboles". Or nous savons, sur l'autorité de l'Evangile selon saint Matthieu, que le prophète galiléen était aussi un homme à la parole solennelle et qu'il se disait et prétendait faire de ses disciples des "pêcheurs d'hommes".
Qu'on ne s'imagine nullement que nous faisons ce reproche à ceux qui vénèrent Jésus comme Dieu. Quelle que soit la croyance, si ceux qui croient sont sincères, nous devons la respecter en leur présence. Si nous n'acceptons pas Jésus comme Dieu, nous le vénérons en tant qu'homme. Ce sentiment l'honore plus que si nous lui reconnaissions le pouvoir et la personnalité de l'Etre Suprême, en lui attribuant en même temps, d'avoir joué une comédie inutile avec l'humanité, puisqu'après tout, sa mission n'a été guère mieux qu'un fiasco complet ; 2.000 ans se sont écoulés, et les Chrétiens ne représentent pas même un cinquième de la population du globe, et il est peu probable que le Christianisme fasse encore de grands progrès à l'avenir. Notre seul but est une stricte justice ne faisant aucune acception de personnes. Notre question se pose à ceux qui n'adorent ni Jésus, ni Pythagore, ni Apollonius, et qui néanmoins répètent les vains commérages de [203] leurs contemporains ; ceux qui dans leurs livres soit maintiennent un silence prudent, soit parlent de "Notre Sauveur" et de "Notre Seigneur" bien que ne croyant pas plus au Christ théologique, fabriqué de toutes pièces, qu'au fabuleux Fo des Chinois.
Il n'y avait pas d'Athées dans l'antiquité ; il n'y avait pas d'incrédules ni de matérialistes, dans le sens moderne du mot, de même qu'il n'y avait pas de fanatiques. Celui qui juge les anciennes philosophies d'après leur phraséologie extérieure, ou qui cite des phrases qui sembleraient entachées d'athéisme dans les anciens textes, ne mérite pas la confiance en tant que critique, car il se montre incapable de pénétrer le sens intime de leur métaphysique. Les doctrines de Pyrrhon, dont le rationalisme est proverbial, ne s'interprètent qu'à la lumière de la plus ancienne philosophie hindoue. Depuis Manou jusqu'au dernier Swâbhâvika, sa principale doctrine métaphysique a toujours été de proclamer la réalité et la suprématie de l'esprit, avec une chaleur proportionnée à la négation de l'existence objective de notre monde matériel – fantôme passager de formes et d'êtres transitoires. Les nombreuses écoles engendrées par Kapila, ne reflètent pas plus clairement sa philosophie que les doctrines léguées aux penseurs par Timon, le "Prophète" de Pyrrhon, ainsi que Sextus Empiricus le nomme. Ses vues sur le divin repos de l'âme, son orgueilleuse indifférence pour l'opinion de ses semblables, son mépris des sophismes, reflètent au même degré, les rayons épars de l'auto-contemplation des Gymnosophes et du Vaibhâshika Bouddhiste. Bien que lui et ses partisans aient été nommés, à cause de leur attente constante, des "sceptiques", des "scrupuleux", des questionneurs et des éphectiques, pour la seule raison qu'ils réservaient leur jugement final sur les dilemmes, que nos philosophes modernes préfèrent discuter, en tranchant le nœud gordien, à la façon d'Alexandre, et en déclarant que le dilemme n'est qu'une superstition, des hommes comme Pyrrhon ne peuvent pas être accusés d'athéisme. Pas plus que Kapila, Giordano Bruno, ou encore Spinoza, qui eux aussi ont passé pour des athées ; encore moins le grand poète, philosophe et dialecticien hindou, Veda-Vyasa, qui professe que tout est illusion – sauf le Grand Inconnu et Son essence directe – principe que Pyrrhon a adopté mot pour mot.
Ces croyances philosophiques se sont répandues comme un filet sur tout le monde pré-chrétien ; et bravant la persécution et les fausses interprétations elles constituent la pierre d'angle de toutes les religions d'aujourd'hui, exception faite du christianisme.
La théologie comparée est une arme à double tranchant et de cela elle a fait ses preuves. Mais ses défenseurs chrétiens, malgré les preuves du contraire, s'efforcent en toute sérénité de maintenir [204] la comparaison. Les légendes chrétiennes et les dogmes, disent-ils, ont, sans contredit, une certaine ressemblance avec ceux des païens ; mais tandis que ceux-là nous enseignent l'existence, les pouvoirs et les attributs d'un Dieu paternel omniscient et suprêmement bon, le Brahmanisme nous présente une infinité de divinités mineures et le Bouddhisme n'en mentionne pas une seule ; chez l'un c'est du fétichisme et du polythéisme et, chez l'autre de l'athéisme pur et simple. Jéhovah est le seul vrai Dieu et le Pape et Martin Luther sont ses Prophètes ! Voilà un des tranchants de l'épée, et voici l'autre : Malgré les missions, malgré les armées, malgré les rapports commerciaux de plus en plus étendus, les "païens" ne trouvent rien dans les enseignements de Jésus – tout sublimes qu'en soient certains – que Christna et Gautama n'aient pas enseigné avant lui. Aussi pour gagner de nouveaux convertis à leur cause, et pour conserver ceux qu'ils ont conquis au prix de plusieurs siècles de ruses, les chrétiens présentent aux "païens" des dogmes encore plus absurdes que les leurs, et les trompent en adoptant les façons de leurs prêtres indigènes et en pratiquant les mêmes "idolâtrie et fétichisme" qu'ils condamnent chez les "païens". La théologie comparée sert à deux fins.
Au Siam et en Birmanie, les missionnaires catholiques sont devenus, selon toute apparence extérieure, moins les vertus toutefois, de parfaits Talapoins ; et dans l'Inde entière, et surtout dans le sud, ils ont été dénoncés par leur collègue l'abbé Dubois 315. Par la suite ce fut formellement nié mais les témoins de l'accusation sont là, pour faire foi. Entre autres, le capitaine O'Grady, déjà cité, citoyen de Madras, écrit ce qui suit au sujet de cette méthode systématique de tromperie 316. "Ces misérables hypocrites professent une abstinence totale et l'horreur de la viande afin de se concilier les convertis de l'hindouïsme... J'enivrai un de ces bons pères, ou plutôt il s'enivra royalement dans ma maison, maintes et maintes fois, et la façon dont il tombait sur le roast-beet était édifiante". L'auteur a, en outre, de jolies histoires à raconter au sujet des "Christs noirs", des "Vierges sur chariots" et des processions catholiques en général. Nous avons vu quelques-unes de ces solennelles cérémonies accompagnées d'une cacophonie infernale d'orchestres cingalais, y compris les gongs et les tam-tams, suivies d'une procession brahmanique semblable, qui par sa mise en scène et son pittoresque bariolé était bien plus imposante que les saturnales chrétiennes. En parlant d'une de [205] celles-ci, le même auteur remarque : "Elle était plus diabolique que religieuse... Les évêques s'en retournèrent à Rome, avec une puissante pile de deniers de saint Pierre, récoltés en sommes infimes, des ornements d'or, des anneaux de nez et de chevilles, des bracelets, etc., etc., qui avaient été jetés pêle-mêle aux pieds de la grotesque image cuivrée du sauveur avec son auréole de clinquant, son linge de corps bariolé aux couleurs éclatantes et – ombre de Raphaël ! – un turban bleu 317 !".
315 Edinburgh Review, avril 1851, p 411.
316 Indian Sketches ; or Life in the East écrit pour le Commercial Bulletin de Boston.
317 Il vaudrait la peine pour un artiste, faisant le tour du monde, de collectionner l'innombrable quantité de Madones, de Christs, do saints et de martyrs, dans les costumes dont on les affuble dans différents pays. Ils fourniraient certainement de bons modèles pour les bals costumés lors des ventes de charité de l'Eglise.
Tout le monde peut se convaincre que de telles contributions volontaires rendent singulièrement profitable de singer les Brahmanes indigènes et les bonzes. La différence est, en fait, bien moins grande entre les adorateurs de Christna et du Christ, ou d'Avany et de la Vierge Marie, qu'entre ceux des deux sectes indigènes les Vishnavites et les Sivites. Pour les hindous convertis, le Christ n'est qu'une modification légère de Christna, et c'est tout. Les missionnaires s'en vont chargés de riches donations et c'est tout ce que Rome demande. Puis survient une année de famine ; on s'aperçoit alors que les riches bracelets d'or et les anneaux de nez se sont envolés et le peuple meurt de faim par milliers. Qu'importe ? Ils meurent en Christ, et Rome répand ses bénédictions sur leurs cadavres émaciés, dont des milliers sont emportés par les fleuves sacrés vers l'Océan 318. On se rend si bien compte de la servilité des catholiques dans leurs imitations et ils cherchent si bien à ne pas offenser leurs paroissiens que si, par hasard, parmi ceux-ci se trouvent quelques convertis d'une caste élevée, aucun paria ou homme d'une caste inférieure n'est admis avec eux dans le sein de cette église, si bons chrétiens qu'ils soient. Et néanmoins ils se targuent d'être les serviteurs de Celui qui recherchait, de préférence, la société des publicains et des pécheurs ; de Celui dont la parole – "Venez à moi vous tous qui êtes chargés et je vous soulagerai" lui a ouvert les cœurs de millions de ceux qui souffrent et des opprimés !
Peu d'auteurs sont aussi vaillants et aussi explicites, que feu le Dr Thomas Inman de Liverpool (Angleterre). Mais si restreint que soit leur nombre, tous ces auteurs reconnaissent, à [206] l'unanimité, que la philosophie aussi bien du Bouddhisme que du Brahmanisme doit occuper un rang plus élevé que la théologie chrétienne, et qu'elle n'enseigne ni l'athéisme ni le fétichisme. "A mon avis", dit le Dr Inman, "l'assertion que Sakya ne croyait pas en Dieu ne repose sur aucune fondation. Bien plus, sa doctrine est basée sur la croyance qu'il existe des pouvoirs supérieurs, capables de punir les hommes pour leurs péchés. Il est vrai que ces dieux n'ont pas nom Elohim, ni Jah, ni Jéhovah, ni Jahveh, ni Adonoï, ni Ehieh, ni Baalim, ni Astoreth – mais néanmoins, pour le fils de Suddhadana, il existait un Etre suprême 319".
318 Pendant que j'écris ces lignes, on revit un rapport écrit par Lord Salisbury, secrétaire d'Etat four les Indes, disant que la famine de Madras sera probablement suivie dune autre plus terrible encore dans le Sud de l'Inde, le district même où le tribut le plus lourd a été prélevé par les missionnaires catholiques pour les frais de l'Eglise de Rome. Celle-ci ne pouvant se venger autrement, dépouille les sujets britanniques, et lorsque la famine survient, en conséquence elle fait payer les pots cassés à l'hérétique Gouvernement Britannique.
319 Ancient Faiths and modern, p. 24.
Il existe quatre écoles de théologie bouddhiste, à Ceylan, au Tibet et dans l'Inde. Une de celles-ci est plutôt panthéiste qu'athée, mais les trois autres sont purement théistes.
C'est sur la première que se fondent les spéculations de nos philologues. Quant aux seconde, troisième et quatrième, leurs enseignements ne varient que dans le mode extérieur d'expression. Nous en avons, autre part, expliqué l'esprit.
En ce qui concerne le point de vue pratique et non pas théorique, du Nirvana, voici ce qu'en dit un rationaliste sceptique :
"J'ai questionné des centaines de Bouddhistes à la porte de leurs temples, et je n'en ai pas rencontré un seul qui ne luttât, jeûnât et pratiquât toutes sortes d'austérités, pour se perfectionner et acquérir l'immortalité ; ce n'est donc pas pour atteindre l'annihilation finale.
Il y a plus de 300.000.000 de Bouddhistes qui jeûnent, prient et travaillent.
.. Pourquoi vouloir faire de ces 300.000.000 d'hommes des idiots et des imbéciles, qui mortifient leurs corps et s'imposent souvent les privations les plus effroyables de toutes sortes, simplement pour atteindre une annihilation fatale à laquelle ils sont voués d'une manière ou d'une autre 320".
320 Fétichisme, Polythéisme, Monothéisme.
De même que cet auteur, nous avons questionné des Bouddhistes et des Brahmanistes, et nous avons étudié leur philosophie. Apavarga a une signification tout à fait différente d'annihilation. L'aspiration de chaque philosophe hindou est de ressembler de plus en plus à Celui dont on est une des étincelles lumineuses, et l'espoir même du plus ignorant est de ne jamais abandonner son individualité distincte. "Autrement", comme le faisait observer un digne correspondant de l'auteur, "l'existence séparée sur terre serait pour Dieu une comédie, et pour nous une tragédie ; un jeu pour Lui de nous voir peiner et souffrir, et pour nous, qui y sommes condamnés, la mort". [207]
Il en est de même de la doctrine de la métempsychose, si mal interprétée par les savants européens. Mais l'œuvre de la traduction et de l'analyse marche à grands pas, et l'on découvrira de nouvelles merveilles dans l'étude des anciennes religions.
Le professeur Whitney a trouvé, dit-il, dans sa traduction des Védas, certains passages où l'importance acquise par le corps pour son ancien locataire est mise au plus haut point en lumière. Ce sont des passages d'hymnes lus pendant les cérémonies funèbres, sur le corps du défunt. Nous reproduisons les suivants d'après l'ouvrage de M. Whitney :
"Pars, rassemble tous tes membres ; n'en laisse aucun, sans oublier ton corps ; Ton esprit est parti en avant, et c'est à toi de le suivre ; partout où il te plaira, là tu peux aller...".
Rassemble ton corps, ainsi que tous ses membres ; avec l'aide des rites, je te referai tes membres...
Si un de tes membres a été laissé par Agni, lorsqu'il t'emmena vers tes aïeux, ces mêmes membres je te les fournirai maintenant ; réjouissez-vous dans le ciel, ô Pères, avec tous vos membres 321 !
321 Oriental and Linguistic Studios, Vedic Doctrine of a Future Life, par W. Dwyght Whitney, professeur de sanscrit et de philologie comparée an collège de Yale.
Le corps auquel on fait ici allusion n'est pas le corps physique, mais le corps astral ; cette distinction est importante, ainsi qu'on s'en aperçoit.
La croyance à l'existence individuelle de l'esprit immortel de l'homme, est encore indiquée dans les versets suivants du cérémonial hindou de la crémation et de l'enterrement :
"Ceux qui résident dans la sphère terrestre, ou qui sont fixés maintenant dans le royaume de la félicité, les Pères qui ont la terre – l'atmosphère – le ciel pour siège. L' "avant-ciel", ainsi qu'on nomme le troisième ciel, où les Pères ont leur demeure" – (Rig-Véda, X).
Il n'est pas surprenant, avec de pareilles notions au sujet de Dieu et de l'immortalité de l'âme, que pour tout savant impartial la comparaison entre les hymnes védiques et les livres mosaïques, mesquins et dénués de spiritualité, ne soit tout en faveur de ceux-là. Il n'est pas jusqu'au code éthique du Manou qui ne soit incomparablement plus élevé que le pentateuque de Moïse, dans la signification littérale duquel tous les étudiants non initiés sont incapables de trouver une preuve quelconque que les anciens juifs aient cru à une vie future, ou à un esprit immortel chez l'homme, ou que Moïse lui-même l'ait enseigné. Et cependant, il y a des Orientalistes qui commencent à soupçonner que la "lettre morte" cache quelque chose qui n'apparaît pas à première vue. C'est ainsi que le professeur Whitney nous informe que "si nous [208] approfondissons les formes du cérémonial hindou, nous y découvrons pas mal de ce même désaccord entre la croyance et l'observance ; l'une n'explique pas l'autre", dit ce célèbre savant américain. Et il ajoute : "Nous sommes obligés de conclure, soit que l'Inde a pris sa doctrine dans des rites de provenance étrangère, et les a pratiqués à l'aveuglette, sans s'inquiéter de leur véritable portée, ou alors que ces rites sont le produit d'une autre doctrine plus ancienne, et que l'usage populaire les a maintenus après la chute de l'ancienne croyance dont ils étaient l'expression originelle" 322.
322 Oriental and Linguistic Studies, p. 48.
Cette croyance ne s'est pas évanouie, et sa philosophie cachée, telle qu'elle est comprise par les hindous initiés, est la même qu'elle était il y a
10.000 ans. Nos savants s'attendraient-ils à ce qu'elle leur fût révélée dès leur première demande ? Ou prétendraient-ils sonder les mystères de la Religion Mondiale au moyen de ses rites populaires exotériques ?
Aucun Brahmane ou Bouddhiste orthodoxe ne nierait l'incarnation chrétienne ; toutefois ils l'interprètent dans leur sens philosophique, et comment pourraient-ils la nier ? La pierre d'angle elle-même de leur système religieux repose sur les incarnations périodiques de la Divinité. Lorsque l'humanité menace de s'effondrer dans le matérialisme et la dégradation morale, un Esprit Suprême s'incarne dans la créature choisie dans ce but. Le "Messager du Très-Haut" s'unit à la dualité de la matière et de l'âme et la triade étant ainsi complétée par l'union de sa Couronne, un sauveur naît qui doit aider à replacer l'humanité sur la voie de la vérité et de la vertu. L'Eglise chrétienne primitive, tout imbue de philosophie asiatique, partageait sans contredit les mêmes idées, autrement elle n'aurait jamais. érigé en article de foi la seconde venue, ni astucieusement inventé la fable de l'Antéchrist comme une précaution contre la possibilité de futures incarnations. Elle n'aurait pas non plus imaginé que Melchisédec était un avatar du Christ. Ils n'auraient eu qu'à consulter la Bhagavad Gîta pour voir que Christna ou Bhagavad dit à Arjouna : "Celui qui me suit est sauvé par la sagesse et même par les œuvres... Chaque fois que la vertu régresse dans le monde, je me manifeste pour le sauver".
En vérité, il est plus que difficile d'éviter de partager cette doctrine des incarnations périodiques. Le monde n'a-t-il pas assisté, à de rares intervalles, à la venue de grands Etres tels que Christna, Sakya-muni et Jésus ? Comme ces deux derniers personnages, Christna paraît avoir été un être véritable, déifié par son école à une époque lointaine à l'aube de l'histoire, et qu'on a fait cadrer dans le programme religieux consacré par le temps. Comparez [209] les deux Rédempteurs, l'hindou et le chrétien, celui-là précédant celui-ci de quelques milliers d'années ; placez entre les deux Siddartha-Bouddha, reflétant Christna et projetant dans la nuit de l'avenir sa propre ombre lumineuse, des rayons de laquelle a été édifiée l'esquisse du Jésus mythique, et des enseignements duquel ont été tirés ceux du Christos historique. Nous constatons que sous le même vêtement de la légende poétique sont nées et ont vécu trois figures humaines authentiques. Le mérite individuel de chacun d'eux est, de cette manière, mieux mis en relief par cette même coloration mythique ; car l'instinct populaire, si juste lorsqu'il est laissé libre, eût été incapable de fixer son choix sur un personnage indigne, pour en faire son Dieu. Le dicton Vox populi, vox Dei, était autrefois exact, tout erroné qu'il soit aujourd'hui en parlant de la masse du peuple sous le joug clérical.
Kapila, Orphée, Pythagore, Platon, Basilide, Marcion, Ammonius et Plotin fondèrent des écoles et semèrent les germes de nobles pensées, et en disparaissant laissèrent après eux l'éclat de demi-dieux. Mais les trois personnalités de Christna, de Gautama et de Jésus apparaissent comme de véritables dieux, chacun dans son époque, et ils léguèrent à l'humanité trois religions édifiées sur le roc impérissable des âges. Que toutes les trois, et surtout le Christianisme, aient été adultérées par le temps au point que ce dernier soit presque méconnaissable, n'est nullement la faute de ces nobles Réformateurs. Ce sont les prêtres qui s'intitulent les ouvriers de la vigne du Seigneur, qui sont responsables de ces méfaits envers les générations futures. Purifiez les trois systèmes de la gangue des dogmes humains, et leur pure essence apparaîtra identique. Il n'est pas jusqu'à Paul, le grand et honnête apôtre, qui n'ait dans l'ardeur de son enthousiasme, inconsciemment perverti les doctrines de Jésus, ou alors ses écrits ont été défigurées au point de ne plus être reconnaissables. Le Talmud, archive d'un peuple qui, malgré son apostasie du Judaïsme, se voit obligé de reconnaître la grandeur de Paul, en tant que philosophe et instructeur religieux, dit d'Aher (St-Paul) 323 dans le Yerushalmi, "qu'il avait corrompu l'œuvre de cet homme", voulant par cela dire Jésus 324. [210]
322 Oriental and Linguistic Studies, p. 48.
323 Dans son article sur "Paul, the Fonnder of Christianity", le professeur A. Wilder, dont le sens intuitif de la vérité a toujours été très clair, dit : "Nous reconnaissons dans le personnage de Aher, l'apôtre saint Paul. Il parait avoir été connu sous une variété de noms. Il s'appelait Saut, évidemment à cause de sa vision du paradis – Saul ou Sheol étant le nom hébreu pour l'autre monde. Paul, qui ne signifie que "le petit homme", était une sorte de sobriquet. Aher ou Other, était une épithète biblique pour les personnes en dehors de la politique juive, et on la lui appliqua pour avoir étendu son ministère aux Gentils. Son véritable nom était Elisah Ben Abuiah."
324 "Dans le Talmud Jésus est appelé AUTU-H-AIS, ותוא שיאח, cet homme. "A. Wilder
En attendant que ce raffinage soit achevé par la science honnête et les générations futures, jetons un coup d'oeil sur le présent aspect des trois religions légendaires.
LES LÉGENDES DES TROIS SAUVEURS
CHRISTNA
Époque : Incertaine. La science européenne craint de se commettre. Mais les calculs brahmaniques la placent à il y a environ 6.877 ans.
Christna descend d'une famille royale, mais il est élevé par des bergers ; on l'appelle le Dieu berger. Sa naissance et sa descente divines sont tenues cachées à Kansa.
GAUTAMA- BOUDDHAÉpoque : D'après la science européenne et les calculs cingalais, elle se reporte à 2.540 ans.
Gautama est le fils d'un roi. Ses premiers disciples furent des bergers et des mendiants.
JÉSUS DE NAZARETHÉpoque : On suppose qu'elle eut lieu il y a 1.877 ans. Sa naissance et sa descente royale sont cachées à Hérode, le tyran.
Descend de la lignée royale de David. Est adoré par des bergers à sa naissance et on l'appelle le "Bon Berger". (Voyez l'Évangile selon saint Jean).
.
Incarnation de Vichnou, la seconde personne de la Trimourti (Trinité). On adore Christna à Mathura sur la rivière Jumna. (Voyez Strabon, Arrien, et Bampton Lectures, p. 98-100). |
Suivant quelques-uns il fut une incarnation de Vichnou ; suivant d'autres celle d'un autre Bouddha et même de Ad'Bouddha, la Science Suprême. |
Incarnation du Saint- Esprit, alors seconde personne de la Trinité, aujourd'hui la troisième. Mais la Trinité ne fut inventée que 325 ans après sa naissance. Il alla à Mathura ou Matarea, en Egypte, où il produisit ses premiers miracles. (Voyez l'Évangile de l'Enfance). |
Christna est persécuté par Kansa, le tyran de Madura, mais échappe par miracle. Voulant détruire l'enfant, le roi fait mettre à mort des milliers d'enfants innocents. |
Les légendes bouddhiques ne reproduisent pas ce plagiat, mais la légende catholique en fait saint Josaphat ; et dit que son père, le roi de Kapilavastu, fit massacrer les jeunes chrétiens ! (Voyez La Légende Dorée). |
Jésus est persécuté par Hérode, roi de Judée, mais s'échappe en Egypte sous la conduite d'un ange. Pour assurer sa vengeance, Hérode ordonne le massacre des innocents, où 40.000 nouveau-nés furent tués. |
La mère de Christna s'appelait Devaki ou Devanagui, une vierge immaculée (mais elle avait déjà donné naissance à huit autres fils avant Christna). |
La mère du Bouddha était Maya ou Mayadeva, mariée à son époux (mais néanmoins, vierge immaculée). |
La mère de Jésus se nommait Mariam ou Miriam ; mariée à son époux, tout en demeurant une vierge immaculée, elle eut plusieurs autres enfants. (Voyez Saint Mathieu, XIII, 55-56). |
Christna est doué dés sa naissance, de beauté, d'omniscience et d'omnipotence. Il produit des miracles, guérit les Impotents et les aveugles, et chasse les démons. Il lave les pieds des Brahmanes et descend aux régions inférieures (l'enfer) où il délivre les morts et de là revient à Vaicontha, le paradis de Vichnou, Christna était le mêmnité Dieu Vichnou sous forme humaine. |
Le Bouddha est doué des mêmes pouvoirs et des mêmes qualités ; il exécute aussi les mêmes miracles. Il passe sa vie parmi les mendiants. On prétend que Gautama était différent de tous les autres Avatars, ayant en lui l'esprit tout entier du Bouddha, tandis que les autres n'eurent qu'une partie (ansa) de la divinité en eux. |
Jésus a les mêmes dons. (Voyez les Evangiles et le Testament Apocryphe). Il vit parmi les publicains et les pêcheurs. Il chasse également les démons. La seule différence notable entre les trois, est que Jésus est accusé de chasser les démons par le pouvoir de Beelzébuth, ce qu'on ne reproche pas aux autres. Jésus lave les pieds de ses disciples, il meurt, descend aux enfers, et monte au ciel, après avoir délivré les morts. |
Christna crée des enfants avec des veaux et vice-versa. (Indian Antiquities, par Maurice, vol. II, p. 332). Il écrase la tête du serpent. (Ibidem). |
Gautama écrase la tête du Serpent, c'est-à-dire qu'il abolit le culte de Naga, qu'il traite de fétichisme ; mais de même que Jésus, il fait du serpent l'emblème de la sagesse divine. |
Jésus, prétend-on, écrase la tête du serpent, conformément à la révélation originelle de la Genèse ; il transforme aussi des enfants en chevreaux et des chevreaux en enfants (Evangile de l'Enfance). |
Christna est Unitaire. Il persécute le clergé, l'accuse en face d'ambition et d'hypocrisie ; il divulgue les grands secrets du sanctuaire – 1Unité de Dieu et l'immortalité de 1'esprit. La tradition veut qu'il succombe à leur vengeance. Son disciple favori, Arjouna, ne 1'abandonne jamais jusqu'à la fin. Les traditions dignes de foi disent qu'il mourut sur une croix (un arbre) sur laquelle il fut cloué par une flèche. Les savants sont d'accord que la croix irlandaise à Tuam, érigée longtemps avant l'ère chrétienne, a une origine asiatique. (Voy. Round Towers, p. 296 et suiv. de O'Brien ; aussi Religions de l'Antiquité ; le Symbolik de Creuzer, vol I, p. 208, ainsi que |
Le Bouddha abolit l'idolâtrie ; il divulgue les Mystères de l'Unité de Dieu et du Nirvana, dont la véritable signification n'était avant connue que des prêtres. Persécuté et chassé du pays, il échappe à la mort, en réunissant autour de lui quelques centaines de mille de partisans. Il meurt enfin, entouré d'une foule de disciples, dont Ananda son disciple favori et son cousin, qui prenait le premier rang parmi eux. O'Brien est d'opinion que la croix irlandaise à Tuam, doit être celle de Bouddha, mais Gautama ne fut jamais crucifié. On le représente dans beaucoup de temples assis sous un arbre cruciforme, qui est "l'Arbre de Vie". Dans une autre image on le voit assis sur Naga, le Rajah des Serpents, avec une croix sur la poitrine 325. |
Jésus se révolte contre l'antique loi judaïque ; il dénonce les scribes et les Pharisiens, de même que la synagogue pour leur hypocrisie et leur intolé- rance dogmatique. Il viole le sabbath et défie la Loi. Les Juifs l'accusent de divulguer les secrets du Sanctuaire. Il est mis à mort sur la croix (sur un arbre). Parmi les quelques disciples qu'il a convertis à sa cause, un d'eux le trahit; un autre le renie, et les autres l'abandonnent au dernier moment, sauf Jean, le disciple bien- aimé. Les trois Sauveurs, Jésus, Christna et le Bouddha meurent tous, soit sur un arbre ou à son ombre, et sont en rapport avec une croix qui symbolise le triple pouvoir de la création. |
325 Voyez les gravures de Moor, 75, n° 3.
les gravures dans le Monumental Christiainty de Lundy, p. 160.
Christna monte au Swarga et devient Nirguna.
Le Bouddha monte au Nirvana.
Jésus monte au Paradis.
Vers le milieu de ce siècle les adeptes de ces trois religions se dénombraient comme suit 326 :
DE CHRISTNA : Brahmanes : 60.000.000
DU BOUDDHA : Bouddhistes : 450.000.000
DE JÉSUS : Chrétiens : 260.000.000 [212]
Tel est le présent aspect de ces trois grandes religions, dont chacune est reflétée, tour à tour, dans la suivante. Si les faiseurs de dogmes chrétiens s'en étaient tenus là, le résultat n'aurait pas été aussi désastreux, car il serait difficile, en vérité, de faire une mauvaise religion en se servant des sublimes enseignements de Gautama ou de Christna sous la figure de Bhagavad. Mais ils allèrent plus loin encore, et ajoutèrent au pur Christianisme primitif, les fables d'Hercule, d'Orphée et de Bacchus. De même que les Musulmans ne veulent pas admettre que leur Koran ait été édifié sur les bases de la Bible juive, les Chrétiens ne veulent pas non plus confesser qu'ils sont redevables de presque tout aux religions des Hindous. Mais les Hindous ont une chronologie pour leur en fournir la preuve. Nous voyons les meilleurs et les plus savants de nos auteurs, cherchant vainement à établir l'extraordinaire ressemblance – allant souvent jusqu'à l'identité – qui existe entre Christna et le Christ, et qui serait dfle aux Evangiles apocryphes de l'Enfance et de saint Thomas, lesquels évangiles "avaient probablement circulé sur la côte du Malabar, et ont ainsi déteint sur l'histoire de Christna 327". Pourquoi ne pas accepter la vérité en toute sincérité, et renversant les choses, admettre que saint Thomas, fidèle à la politique de prosélytisme qui caractérisait les premiers Chrétiens, lorsqu'il se trouva en présence au Malabar de l'original du Christ Mythique dans le personnage de Christna, chercha à fondre les deux en un seul, et, adoptant dans son évangile (d'où tous les autres furent copiés) les détails les plus importants de l'histoire de l'Avatar hindou, il greffa l'hérésie chrétienne sur la religion primitive de Christna. Pour celui qui est au courant de l'esprit du Brahmanisme, la notion que les Brahmanes accepteraient quoi que ce soit du dehors, et surtout d'un étranger, est parfaitement ridicule. Qu'eux les gens les plus fanatiques en ce qui a trait aux affaires religieuses, qui, pendant de longs siècles n'ont pas consenti à adopter une seule coutume européenne, puissent être soupçonnés d'avoir introduit dans leurs livres sacrés les "légendes non vérifiées d'un Dieu étranger", cette notion est si absurde et si illogique, que c'est une perte de temps que d'essayer de le contredire !
Nous ne nous arrêterons pas à considérer la ressemblance fort bien connue, entre les formes extérieures du culte Bouddhique, (surtout celles du Lamaïsme), et du culte Catholique Romain dont la constatation fut si chèrement payée par le pauvre abbé Huc, mais nous passerons immédiatement à la comparaison [213] des points les plus essentiels. Parmi tous les manuscrits originels, traduits de différentes langues où le Bouddhisme est exposé, les plus extraordinaires et les plus intéressants sont le Dhammapada de Bouddha, ou le Sentier de la Vertu, traduit du Pâli, par le colonel Rogers 328 et la Roue de la Loi, qui contient l'opinion d'un Ministre d'Etat siamois sur sa religion et sur d'autres, et qui a été traduit par Henry Alabaster 329. La lecture de ces deux livres, et la découverte de similitudes de pensée et de doctrine, allant parfois jusqu'à
l'identité, ont incité le Dr Inman à écrire les nombreux passages suivants d'une profonde vérité, contenus dans un de ses derniers ouvrages, "Ancient
Faith and Modern" 330. "Je parle en toute bonne foi p, écrit ce bienveillant et sincère savant, "en disant qu'après quarante ans d'expérience parmi ceux qui professent le christianisme et ceux qui proclament... avec plus ou moins de sérénité, leur désaccord pour ses doctrines, j'ai remarqué des vertus plus sincères et une moralité plus grande chez ceux-ci que chez ceux-là... Je connais personnellement de pieux et de bons chrétiens que j'honore, que j'admire, et que peut-être, je serais heureux d'imiter et d'égaler ; mais ils méritent l'éloge que j'en fais, à cause de leur bon sens, parce qu'ils ont ignoré jusqu'à un certain point la doctrine de la foi, et qu'ils ont pratiqué et cultivé les bonnes œuvres... A mon avis, les chrétiens les plus méritoires dont j'ai connaissance sont des Bouddhistes transformés, bien que, probablement, aucun d'eux n'ait jamais entendu parler de Siddhârtha" 331.
326 Estimation de Max Müller.
327 Monumental Christianity du Dr Lundy, p. 153.
328 Paraboles de Buddhaghosa traduites du Birman par le col. H.T. Rogers avec une préface de M. Müller, contenant la Dhammapada, 1870.
329 Interprète du Consulat général au Siam.
330 Ancient Faith and Modern, p. 162.
331 Ancient Faith and Modern du Dr Inman, p 162.
332 Les mots entre guillemets sont ceux du Dr Inman.
Il y a entre les articles de foi, et les cérémonies des cultes Lamaïco- Bouddhique et Catholique Romain, cinquante et un points qui présentent une parfaite et frappante ressemblance ; par contre il y en a quatre qui sont diamétralement opposés.
Comme il serait inutile d'énumérer les "ressemblances", car le lecteur les trouvera soigneusement détaillées dans l'ouvrage de Inman, Ancien Faith and Modern pp. 237-240, nous ne nous arrêterons qu'aux quatre divergences, et nous laisserons chacun en tirer ses conclusions.
1° "Les Bouddhistes maintiennent que rien de ce qui est contredit par la saine raison, ne peut être une véritable doctrine du Bouddha." 2° "Les Bouddhistes n'adorent pas la mère de Sakya a bien qu'ils lui rendent hommage comme à une sainte femme, élue pour être sa mère, A cause de sa grande vertu.
3° "Les Bouddhistes n'ont pas de sacrements." 4° Les Bouddhistes ne croient pas au pardon de leurs péchés, sauf après une punition adéquate pour chaque mauvaise action. et une compensation proportionnée envers les parties lésées. |
|
1° "Les Chrétiens acceptent toute espèce d'absurdité, si elle est Promulguée par l'Eglise, comme un article de foi 332." 2° "Les Catholiques Romains adorent la mère de Jésus, et on lui adresse des prières pour invoquer son [214] aide et son intercession." Le culte de la Vierge a affaibli celui du Christ, et rejeté celui du Tout Puissant tout à fait dans l'ombre. 3° "Ceux de l'Eglise Catholique sont au nombre de sept." 4° On promet aux Chrétiens que si seulement ils croient au "précieux sang du Christ", ce sang offert par lui en expiation des péchés de toute l'humanité (par cela entendez les Chrétiens) effacera tout péché mortel. |
Laquelle de ces théologies se recommande le plus à un observateur sincère, c'est une conclusion que nous laissons au bon sens du lecteur ? L'une nous présente la lumière, l'autre les ténèbres. La Roue de la Loi dit ceci :
"Les Bouddhistes croient que chaque acte, chaque parole, chaque pensée ont leur conséquence, qui apparaîtra, tôt ou tard, dans la condition présente ou dans une autre future. Les mauvaises actions produiront de mauvaises conséquences 333, les bonnes actions de bons effets : la prospérité ici-bas ou la naissance dans le ciel... dans une condition future 334."
C'est de la justice stricte et impartiale. C'est la notion d'un Pouvoir Suprême, qui ne peut errer, et qui, n'a donc ni colère, ni pitié, mais qui laisse chaque cause, grande ou petite, opérer ses effets inévitables. "On vous mesurera avec la mesure dont vous vous serez servis 335, ne donne aucun espoir de pardon futur ou de salut par intercession, soit dans l'expression elle-même ou par son interprétation. La cruauté et la pitié sont des sentiments finis. La Divinité Suprême est infinie par conséquent elle ne peut être que JUSTE, et la Justice doit être aveugle. Les anciens païens entretenaient, à ce sujet, des notions autrement philosophiques que les Chrétiens modernes, car ils représentaient leur déesse de la Justice, Thémis, avec un bandeau sur les yeux, l'auteur siamois, de l'ouvrage en question, a encore une conception plus élevée de la Divinité que les Chrétiens, lorsqu'il donne libre cours à sa pensée en disant : "Un Bouddhiste peut croire à l'existence d'un Dieu, sublime au-dessus de toutes les qualités et de tous les attributs humains – un Dieu parfait s'élevant au- dessus de l'amour, de la haine, de la jalousie, et se reposant tranquillement dans une félicité parfaite que rien ne peut troubler ; à un Dieu pareil il ne trouverait rien à redire, non pas par désir de Lui plaire, ou par peur de l'offenser, mais par vénération naturelle. [215] Mais il ne peut comprendre un Dieu qui possède des attributs et les qualités des hommes, un Dieu qui aime, qui hait, et qui montre sa colère ; une Divinité qui, qu'elle sait présentée par des missionnaires chrétiens, des Mahométans, des Brahmanes ou des Juifs, tombe au-dessous de son étalon d'un brave homme ordinaire 336."
333 Voyez le volume II de cet ouvrage, p.
334 P.
335 Saint Matthieu, VII, 2.
336 P. 25.
Nous avons souvent été surpris de constater les idées extraordinaires de Dieu et de Sa justice que semblerait entretenir en soute bonne foi nombre de Chrétiens qui s'en rapportent aveuglément au clergé pour leur religion, mais jamais à leur raison. Combien illogique est cette doctrine du Rachat. Nous nous proposons de la discuter avec les Chrétiens en nous plaçant au point de vue bouddhique, et de démontrer, dès l'abord, par quelle suite de sophismes, dont le but unique a été de resserrer le joug ecclésiastique sur les nuques populaires, on l'a finalement fait accepter comme un commandement divin ; nous ferons voir également qu'elle s'est révélée comme une doctrine éminemment pernicieuse et démoralisatrice.
Le clergé maintient que : quelle que soit l'énormité de nos crimes contre les lois divines et humaines, si nous croyons au sacrifice volontaire de Jésus pour le salut de l'humanité, Son sang nous lavera de toute souillure. La pitié divine est infinie et insondable. Il serait impossible de concevoir un péché humain assez damnable, pour que le prix offert par anticipation pour la rédemption du pécheur, ne suffise pas à l'effacer, même s'il était encore mille fois plus haïssable. Et, de plus, il n'est jamais trop tard pour se repentir. Même si le pécheur attend jusqu'à la dernière minute de la dernière heure de son dernier jour de sa vie mortelle, avant que ses lèvres blêmes ne murmurent la confession de foi, il peut aller au paradis ; ce fut le cas du larron mourant, et ce peut être le cas de tous les autres aussi vils que lui. Voilà ce que nous enseigne l'Eglise.
Mais si nous faisons un pas en dehors du cercle de la foi et si nous considérons l'univers comme un tout, équilibré par l'exquise coordination de ses parties, la saine logique, et le moindre sentiment rudimentaire de Justice se révoltent contre ce Rachat par substitution ! Si le criminel n'a péché que contre lui-même, et n'a causé de tort qu'à lui-même ; si par sa sincère repentante il a effacé tous ses actes passés, non seulement de la mémoire des hommes, mais de ces archives impérissables qu'aucune Divinité – même la plus haute – ne peut faire disparaître, ce dogme ne pourrait pas être incompréhensible. Mais lorsqu'on soutient qu'on peut faire du tort à ses semblables, tuer, révolutionner [216] l'équilibre de la société, et renverser l'ordre naturel des choses, pour obtenir ensuite son pardon en croyant – par lâcheté, par espoir ou par contrainte, cela n'a pas d'importance – que le sang répandu lavera les taches d'un autre sang versé, cela est absurde ! Le résultat d'un crime peut-il être effacé même si ce crime a été pardonné ? Les effets d'une cause ne se limitent jamais à la cause elle-même, et le résultat d'un crime ne peut jamais ne concerner que l'offenseur et sa victime. Chaque bonne action ainsi que chaque mauvaise a aussi sûrement ses effets que la pierre lancée dans une eau tranquille. Cette comparaison est triviale, mais c'est la meilleure qu'on ait encore trouvée, nous en ferons donc usage. Les cercles concentriques sont plus étendus et plus rapides suivant que la pierre est plus ou moins grande, mais le plus petit caillou, le plus petit grain de sable produit sa vague, si minuscule soit-elle. Et ce mouvement n'est pas seulement visible à la surface. En dessous, invisible, dans toutes les directions, chaque goutte pousse l'autre jusqu'à ce que le fond et les bords aient été remués par cette force. Bien plus, l'air au-dessus de l'eau a été mis en mouvement par elle, et cette vague passe, ainsi que le prétendent les physiciens, d'une couche à l'autre, sans interruption et sans fin dans l'espace. La matière a reçu une impulsion, et elle n'est jamais perdue et ne peut plus être rappelée !...
Il en est de même du crime et de son contraire. L'acte peut être instantané, les effets en sont éternels. Si, après avoir lancé la pierre dans la mare, nous pouvons la rappeler, niveler les ondes, annuler la force employée, remettre les vagues éthériques dans leur ordre antérieur de non- être, et effacer toute trace de l'acte de jeter la pierre, si bien que les archives du Temps ne montreront pas qu'elle ait jamais été lancée, alors, et alors seulement nous pourrons patiemment écouter les arguments chrétiens pour prouver l'efficacité de ce Rachat.
Le Times de Chicago publiait récemment la liste du bourreau pour le premier semestre de l'année courante (1877) – une longue et terrible liste de meurtres et d'exécutions. Les consolations religieuses furent données à presque tous ces meurtriers, et beaucoup d'entre eux proclamèrent qu'ils avaient reçu l'absolution divine en vertu du sang de Jésus, et qu'ils allaient entrer ce jour même, au Paradis ! Leur conversion eut lieu en prison. Voyons jusqu'où va ce compte de Doit et Avoir de la Justice Chrétienne (!) : tous ces meurtriers aux mains rouges, poussés par les démons de la luxure, de la vengeance, de la cupidité, du fanatisme, ou simplement par la soif du sang, assassinèrent leurs victimes, sans leur laisser dans la plupart des cas le temps de se repentir, ou d'implorer Jésus de laver leurs péchés dans son [217] sang. Elles moururent probablement pécheresses et naturellement – suivant la logique théologique – elles reçurent le prix de leurs offenses, grandes ou petites. Mais le meurtrier, saisi par la justice humaine, est mis en prison, plaint par les sentimentalistes ; on prie avec lui et pour lui et il prononce les mots magiques de conversion ; il monte alors à l'échafaud, enfant racheté de Jésus ! Sans le meurtre, on n'aurait pas prié pour lui ; il n'aurait pas été racheté, pardonné. Cet homme a donc eu raison d'assassiner, car, par-là, il a obtenu la félicité éternelle. Quant à la victime ou sa famille, ses parents, ses amis, ses relations sociales – la Justice n'a-t-elle aucune récompense pour eux ? Faut-il qu'ils souffrent dans ce monde et dans l'autre, tandis que celui qui leur a fait tort prend place à côté du "Saint Larron" du Calvaire, dans la félicité éternelle ? A cette question le clergé se garde bien de répondre.
Steve Anderson était un de ces criminels américains, condamné pour double meurtre, incendie et vol. Il se convertit avant de mourir, mais l'histoire nous informe que "son confesseur s'opposa à ce que l'on sursit à son exécution en disant qu'il était certain de son salut si on l'exécutait sur le champ, mais qu'il ne pouvait pas en répondre si l'exécution était différée." Nous est-il permis de demander à ce prêtre la raison d'une opinion aussi monstrueuse. Comment pouvait-il être certain, en face de l'avenir insondable, et des effets infinis de ces meurtres, de ces crimes et de ces vols ? Il ne pouvait être certain de rien du tout, sinon que cette doctrine abominable est la cause des trois quarts des crimes des soi-disant Chrétiens ; que ces épouvantables causes doivent produire de monstrueux effets, qui à leur tour donneront naissance à d'autres causes, et ainsi de suite à travers l'éternité jusqu'à l'accomplissement final que nul homme ne peut prévoir.
Prenez, si vous le voulez, un autre crime, un des plus égoïstes, cruel et lâche, et néanmoins un des plus fréquents ; je veux parler de la séduction d'une jeune fille. Par instinct social d'autopréservation, la victime est jugée sans pitié, et mise au ban de la société. Elle peut être poussée à l'infanticide, ou au suicide ; si elle craint trop la mort, elle vivra probablement pour se plonger dans une carrière de vice et de crime. Elle peut enfanter une famille de criminels, lesquels, comme dans l'histoire du célèbre Jukes, dont M. Dugdale a publié les détails effrayants, engendra d'autres générations de criminels au nombre de plusieurs centaines dans une période de cinquante ou soixante ans. Tout ce désastre social avait été occasionné par la passion égoïste d'un seul homme ; la Justice Divine lui pardonnera-t-elle avant que son crime n'ait été expié, et la punition ne doit- elle retomber que sur les misérables scorpions humains engendrés par sa luxure ? [218]
Une clameur vient de s'élever en Angleterre lorsqu'on a découvert que des pasteurs Anglicans pratiquaient largement la confession auriculaire, et donnaient l'absolution après imposition de pénitences. Les enquêtes ont démontré que le même état de choses existait, plus ou moins aux Etats- Unis. Les prêtres interrogés à ce sujet se retranchèrent triomphalement derrière les paragraphes du Livre Liturgique (Book of Common Prayer) qui leur donne très clairement l'autorisation d'absoudre les péchés par le pouvoir de "Dieu, le saint Esprit a, pouvoir qui leur a été conféré par l'évêque quand celui-ci leur imposa les mains au moment de l'ordination. L'évêque consulté invoqua l'Evangile selon Matthieu XVI. 19, comme son droit de lier et de délier sur la terre ceux qui seraient bénis ou damnés dans le Ciel ; et la succession apostolique comme preuve de sa transmission de Simon Barjona à lui-même. Le présent ouvrage a certainement manqué son but si nous n'avons pas établi la preuve 1°, que Jésus, le Dieu-Christ, est un mythe inventé deux siècles après la mort du véritable Jésus hébreu ; 2° que, par conséquent, il n'a jamais pu donner à saint Pierre ou à une autre personne une autorité ou un pouvoir plénier quelconque ; 3° que même si une telle autorité lui a été conférée le mot Petra (Rocher) se réfère aux vérités révélées du Petroma, et non à celui qui le renia par trois fois ; et que, de plus, la succession apostolique n'est qu'une fraude grossière et palpable ; 4° que l'Évangile selon saint Matthieu est une œuvre basée sur un manuscrit totalement différent. Par conséquent le tout n'est qu'une imposture aussi bien envers les prêtres qu'envers les pénitents. Mais laissant de côté, pour le moment, toutes ces considérations, qu'il nous soit permis de demander à tous ces prétendus agents des trois dieux de la Trinité, comment ils concilient les notions les plus rudimentaires d'équité, avec le pouvoir de pardonner les péchés qui leur a été octroyé ; comment se fait-il qu'ils n'aient pas été investis, par un miracle, du pouvoir d'effacer le fort fait aux personnes et aux biens ? Qu'ils rendent la vie à l'homme assassiné ; qu'ils rendent l'honneur à ceux auxquels on l'a ravi ; la propriété à ceux qui ont été dépouillés, et qu'ils obligent les balances de la justice humaine et divine à reprendre leur équilibre. Nous pourrons alors prendre en considération leur pouvoir de lier et de délier. Qu'ils nous disent s'ils en sont capables. Jusqu'à ce jour le monde n'a bénéficié que de sophismes – acceptés par foi aveugle ; nous demandons des preuves tangibles et palpables de la justice et de la miséricorde de leur Dieu. Mais non, ils demeurent tous muets ; aucune réponse ne se fait entendre et malgré tout, la Loi inexorable et infaillible de Compensation suit son cours implacable. Mais si nous observons sa marche nous constatons qu'elle ignore [219] les croyances ; qu'elle n'a pas de préférences, mais que ses rayons et ses foudres tombent également sur les païens et sur les chrétiens. Aucune absolution ne peut protéger celui-ci s'il est coupable ; aucun anathème ne blessera celui-là s'il est innocent.
Loin de nous une pareille conception dégradante de la justice divine, comme celle prêchée par les prêtres, de leur propre autorité. Elle n'est bonne que pour les lâches et les criminels ! Si elle est étayée par toute une armée de Pères et d'ecclésiastiques, nous avons pour nous la plus haute de toutes les autorités, le sentiment instinctif et révèrent de l'immortelle et omniprésente loi d'harmonie et de justice.
Mais, outre celle de la raison, nous avons d'autres preuves pour montrer qu'une pareille notion n'est nullement justifiée. Les Évangiles étant une "Révélation Divine", les chrétiens considèreront leur témoignage comme concluant. Affirment-ils que Jésus s'est donné en sacrifice volontaire ? Au contraire, il n'y a pas un seul mot qui vienne soutenir cette thèse. Ils font voir clairement qu'il aurait préféré vivre pour continuer ce qu'il considérait comme sa mission, et qu'il mourut parce qu'il ne pouvait faire autrement et seulement lorsqu'il eut été trahi. Avant cela, lorsqu'on (avait menacé de violences, il s'était rendu invisible, en employant son pouvoir mesmérique sur les spectateurs, pouvoir dont dispose tout adepte oriental, et il réussit à leur échapper. Lorsqu'enfin, il vit que son heure était venue, il succomba à l'inévitable. Mais voyez-le dans le jardin, sur le Mont des Oliviers, où luttant dans son agonie, "sa sueur devint comme des grumeaux de sang", il pria avec ferveur pour que cette coupe fût éloignée de lui, il tomba épuisé par cette lutte, au point qu'un ange du ciel dût être envoyé pour le fortifier ; dites-nous après cela, si ce tableau est celui d'un otage et d'un martyr volontaire. Et afin de ne laisser aucun doute dans notre esprit et pour couronner le tout, nous avons son cri de désespoir : "Ta volonté soit faite, et NON LA MIENNE !" (Luc, XXII. 42. 43).
On lit, en outre, dans les Pouranas, que Christna fut cloué à un arbre par la flèche d'un chasseur, lequel, suppliant le dieu mourant de lui pardonner, en reçut la réponse suivante : "Va, chasseur, par ma faveur, au Ciel, la demeure des dieux... L'Illustre Christna s'étant alors uni à son Esprit pur, spirituel, inexhaustible, inconcevable, non-né, inaltérable, impérissable et universel, qui ne forme qu'un avec Vasudéva, abandonna son corps mortel, et... devint Nirguna" (Vishnou Pourana de Wilson, p. 612). N'est-ce pas là (origine du récit du Christ pardonnant au larron sur la croix, et lui promettant une place en paradis ? "De tels exemples, dit le Dr Lundy dans son Monumental Christianity, ne nous autorisent-ils pas à
rechercher leur origine et leurs signification, [220] si longtemps avant le Christianisme", et il ajoute néanmoins : "La notion de Christna, sous la forme d'un berger est, à mon avis, plus ancienne que toutes deux (les Evangiles de l'Enfance et celui de St Jean) et prophétique du Christ" (p. 156).
Les faits de cette nature, ont probablement fourni, par la suite, un prétexte plausible pour déclarer comme apocryphes tous les ouvrages tels que les Homélies, qui laissent entrevoir clairement, l'absence complète d'une autorité plus ancienne pour la doctrine de l'expiation. Les Homélies ne sont pas en grande contradiction avec les Evangiles ; elles le sont, par contre, totalement avec les dogmes de l'Eglise. Pierre ignorait tout de l'expiation ; et sa vénération pour le mythique père Adam, ne lui aurait jamais permis d'admettre que ce patriarche eût péché et qu'il était maudit. Les écoles théologiques d'Alexandrie ne paraissent pas non plus avoir connu cette doctrine, Tertullien non plus ; les Pères primitifs ne l'ont jamais discutée. Philon le juif présente l'histoire de la chute comme un symbole, et Origène la considérait, de même que Paul, comme une allégorie 337.
Qu'ils le veuillent ou non, les Chrétiens sont tenus de faire crédit à la ridicule histoire de la tentation d'Eve par un serpent. En outre, Augustin s'est formellement prononcé à ce sujet. "Dieu, par Sa volonté arbitraire, dit-il, a choisi d'avance certaines personnes, sans égard à leur foi ou à leurs bonnes œuvres, et Il a irréparablement ordonné de leur octroyer la félicité éternelle ; tandis qu'Il en a condamné d'autres, de la même façon, à la réprobation éternelle !" (De dono perseverantiœ) 338.
337 Voyez le Conflit entre la Religion et la Science de Draper (p 224).
338 C'est la doctrine des Supralapsariens, qui affirment que "Dieu avait établi la prédestination de la chute d'Adam, avec toutes ses conséquences néfastes, de toute éternité, et que nos premiers parents ne jouirent dès le début d'aucune liberté."
Calvin promulgua des notions sanguinaires de partialité divine tout aussi horribles. "La race humaine, radicalement corrompue par la chute d'Adam, porte en elle le stigmate et l'impuissance [221] du péché originel ; sa rédemption ne peut s'effectuer que par une incarnation et une propitiation ; la grâce qui choisit peut seule faire participer l'âme à cette rédemption, et cette grâce, une fois donnée, ne peut plus être perdue ; cette élection ne peut venir que de Dieu, et elle ne comprend qu'une partie de la race, l'autre étant abandonnée à la perdition ; élection et perdition (horrible decretum) sont toutes deux prédestinées dans le plan Divin ; ce plan est un décret, et ce décret est éternel et immuable... la justification est le résultat de la foi seule, et la foi est un don de Dieu."
C'est également à cette doctrine éminemment morale que le monde catholique fut redevable, au XIème siècle, de l'institution de l'ordre connu sous le nom de Moines Carthusiens. Son fondateur Bruno fut poussé à fonder cet ordre monstrueux par une circonstance qui vaut bien la peine d'être relatée ici parce qu'elle fournit une image graphique de cette prédestination divine. Un ami de Bruno, médecin français, universellement réputé pour sa grande piété, sa pureté orale et sa charité,
mourut, et son corps fut veillé par Bruno lui-même. Trois jours après sa mort, au moment où il allait être enterré, le pieux médecin s'assit sur son séant et déclara d'une voix forte et solennelle, "que par le juste jugement de Dieu il était éternellement damné". Ayant annoncé ce message consolateur depuis "l'autre rive", il retomba dans les griffes de la mort.
De leur côté les théologiens Parsis s'expriment ainsi : "Si quelqu'un parmi vous commet un péché dans la conviction qu'il sera sauvé par quelqu'un, tant le trompeur que le trompé seront damnés jusqu'au jour de Rasta chez... Il n'y a pas de Sauveur. Vous recevrez dans l'autre monde la récompense de vos actions... Vos Sauveurs sont vos actes et Dieu lui-même. (The Modern Parsis, conférence de Max Müller, 1862).
O, divine justice, que de blasphèmes ont été prononcés sur toi ! Malheureusement, pour toutes les spéculations de cette nature, la croyance dans l'efficacité propitiatoire du sang répandu, peut se retracer à travers les plus anciens rites. Il n'y a peut-être pas une seule nation qui l'ait ignorée. Chaque peuple a offert aux dieux des sacrifices animaux et même humains, dans l'espoir d'écarter par ce moyen une calamité publique, et de conjurer le courroux d'une divinité vengeresse. Il y a des exemples de généraux grecs et romains offrant leurs vies pour le succès de leurs armées. César s'en plaint, et traite cela de superstition gauloise. "Ils se vouent à la mort... persuadés que si la vie n'est pas donnée pour une autre vie, les dieux immortels ne peuvent être apaisés", écrit-il. "Si un malheur doit tomber sur ceux qui sacrifient en ce moment, ou sur l'Egypte, qu'il retombe sur cette tête", disaient les prêtres égyptiens en sacrifiant un de leurs animaux sacrés. Et l'on criait des imprécations sur la tête de la victime expiatoire, autour des cornes de laquelle on enroulait une bande de byblus 339. On emmenait généralement l'animal dans une région aride, consacrée à Typhon, dans ces âges primitifs, alors que cette divinité fatale jouissait encore d'une certaine considération parmi les Egyptiens. C'est cette coutume qui est à la base du "bouc émissaire", des Juifs, lesquels, lorsque l'âne-dieu rouge fut répudié par les Egyptiens, offrirent leurs sacrifices à une autre divinité, "la génisse rouge".
"Que tous les péchés commis en ce monde retombent sur moi, afin que le monde soit libéré", s'écrie Gautama, le sauveur hindou, des siècles avant notre ère.
Nul ne prétendra en notre temps que ce furent les Egyptiens qui empruntèrent quoi que ce soit aux Israélites, comme on accuse aujourd'hui les Hindous de le faire. Bunsen, Lepsius, Champollion, ont depuis longtemps établi la précédence de l'Egypte sur les Israélites, aussi bien en ancienneté, que, pour tout ce qui a trait aux rites religieux que nous constatons encore chez "le [222] peuple élu". Il n'est pas jusqu'au Nouveau Testament qui ne fourmille de citations et de répétitions du Livre des Morts, et Jésus, si tout ce que lui attribuent ses quatres biographes est vrai, doit avoir eu connaissance des Hymnes Funéraires égyptiens 340. Dans l'évangile selon Matthieu, nous retrouvons des phrases entières de l'ancien Rituel sacré qui précéda notre ère de plus de 4000 ans. Voyons la comparaison 341.
339 De Isid et Osir, p. 380.
340 Toute tradition démontre que Jésus fut éduqué en Egypte et qu'il passa son enfance et son adolescence dans les fraternités Esséniennes, et autres communautés mystiques.4341 Bunsen découvrit quelques documents qui prouvent par exemple que le langage et le culte religieux des Egyptiens existaient non seulement au début de l'ancien Empire, "mais qu'ils étaient déjà si bien établis et enracinés qu'ils ne reçurent qu'un très faible développement au cours de l'ancien empire, du moyen et de l'empire moderne a et, tandis que le début de cet ancien empire a été placé par lui à la période antérieure à Ménès, au moins 4.000 ans avant J.-C., l'origine des anciennes prières Hermétiques et des hymnes du Livre des Morts, doit, suivant Bunsen, être attribuée à l'époque de la dynastie pré-Ménite, d'Abydos (entre 4.000 et 4.500 ans avant J.-C.) prouvant ainsi, que le "système du culte et de la mythologie Osiriens, était déjà établi 3 000 ans avant l'époque de Moïse."
342 Il portait également le nom de "hameçon de l'attraction". Virgile en parle comme du Mystica Vannus Iacchi. Géorgiques, I, 166.
343 Dans une causerie aux Délégués de l'Alliance Evangélique, New-York, 1874, M. Peter Cooper, un Unitarien et un des plus nobles chrétiens pratiques de notre époque, termine avec les mémorables paroles suivantes : "Dans ce dernier compte final, il sera heureux pour nous si nous trouvons que notre influence dans cette vie a été de nourrir les affamés, de vêtir ceux qui étaient nus, et de diminuer la souffrance de ceux qui sont malades ou en prison." De telles paroles d'un homme qui a donné deux millions de dollars en charités ; qui a éduqué quatre mille Jeunes filles dans les arts utiles, au moyen desquels elles gagnent honnêtement leur vie ; qui a entretenu une bibliothèque publique, un musée et une salle de lecture, libre de tous frais ; qui a institué des classes pour les ouvriers ; qui a fait faire des conférences par les savants les plus renommés, ouvertes à tout le monde ; qui a été à l'avant-garde de toutes les bonnes œuvres, à travers une vie longue et sans tache, ces paroles portent en elles la force qui marque les bienfaiteurs de l'humanité. Les actes de Peter Cooper obligeront la postérité à réserver une place dans tous les cœurs à ses paroles qui sont d'or.
344 Aus dem Tibetischen ûbersetzt and mit dem Originaltexte herausgegeben de S.J. Schmidt.
345 Buddhism in Tibet, par Emil Schlagintweit, 1863, p. 213.
L' "âme" soumise aux épreuves est amenée devant Osiris, le "Seigneur de Vérité", qui est assis, orné de la croix égyptienne, emblème de la vie éternelle, et tenant dans la main droite le Vannus ou le fouet de justice 342. L'esprit commence, dans la "Salle des deux Vérités" une ardente supplique, en énumérant toutes ses bonnes actions, supporté par les réponses des quarante-deux assesseurs, ses actions incarnées et ses accusateurs. S'il se justifie, on s'adresse alors à lui comme Osiris, lui donnant ainsi le nom de la divinité de laquelle procède son essence divine, et les mots suivants, pleins de majesté et de justice, sont alors prononcés ! "Laissez partir l'Osiris ; vous voyez il est sans tache... Il a vécu de vérité, il s'est nourri de vérité... Le dieu lui a donné la bienvenue comme il le désirait. Il a nourri mes affamés, il a donné à boire à ceux qui avaient soif, il a donné des vêtements à ceux qui n'en avaient pas... Il a fait de la nourriture sacrée des dieux, l'aliment des esprits."
Dans la parabole du Royaume des Cieux, (Matthieu XXV) le Fils de l'Homme (Osiris est également appelé le Fils) assis sur trône de sa gloire, jugeant les nations, dit aux justifiés : "Venez, vous qui êtes bénis de mon père (le Dieu) prenez possession du royaume... Car j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif et vous m'avez donné à boire, j'étais nu et vous m'avez vêtu" 343. Et afin de compléter la ressemblance, (Matthieu, III, [223] 12) Jean décrit le Christ comme Osiris, "Il a son van (ou vannus) dans la main, il nettoiera son aire, et il amassera son blé dans son grenier."
Il en est de même pour les légendes bouddhiques. Dans Matthieu IV, 19, on fait dire à Jésus : "Suivez-moi, et je vous ferai pécheurs d'hommes", au cours d'une conversation entre lui, Simon, Pierre et son frère André.
Dans Der Weise and der Thor de Schmidt 344, ouvrage plein d'anecdotes sur le Bouddha et ses disciples, le tout pris dans les textes originaux, on dit d'un converti à la nouvelle religion, "qu'il avait été attrapé par l'hameçon de la doctrine, de même qu'un poisson est retiré de l'eau au moyen de l'appât et de la ligne". Dans les temples du Siam, l'image du Bouddha à venir, le Maïtreya Bouddha, est représenté ayant en mains un filet de pêcheur tandis que dans le Tibet il tient une sorte de piège. L'explication qu'on en donne est la suivante : "Il (le Bouddha) répand sur l'Océan de la naissance et de la mort, la fleur de Lotus de la loi bienfaisante comme un appât ; au moyen du filet de la dévotion, qui n'est jamais tendu en vain, il ramène les êtres vivants comme des poissons, et il les emporte sur l'autre rive du fleuve, où existe la véritable compréhension" 345.
Si les savants archevêques Cave, Grabe et le Dr Parker, qui luttèrent si vaillamment, de leur temps, pour qu'on admît les Epîtres de Jésus-Christ et d'Abgarus, roi d'Edessa, dans le Canon des Ecritures, avaient vécu à notre époque de Max Müller et de sanscritisme, nous doutons fort qu'ils eussent agi comme ils le firent. La première mention de ces Epîtres fut faite par le célèbre Eusèbe. Ce pieux évêque paraît s'être donné la tâche de fournir au Christianisme les preuves les plus inattendues pour en corroborer les fantaisies les plus abracadabrantes. Nous ne savons si nous devons comprendre parmi les nombreux talents de l'évêque de Césarée la connaissance du cingalais, du pahlavi, du tibétain et d'autres idiomes ; mais il est certain que les lettres de Jésus et d'Abgarus, ainsi que le récit du portrait du Christ, reproduit sur un morceau d'étoffe, qui servit pour lui essuyer le visage, [224] ont été transcrits par lui du Canon bouddhique. Sans soute, l'évêque déclara qu'il avait trouvé, lui-même, la lettre écrite en langue syriaque et conservée parmi les registres et les archives de la cité d'Edessa, où régnait d'Abgarus 346. Rappelons ici les paroles de Babrias : "Le Mythe, ô fils du roi Alexandre, est une ancienne invention humaine des Syriens, qui vivaient, jadis, sous Ninus et Bélus." Edessa était une des anciennes "cités saintes". Les Arabes la vénèrent encore aujourd'hui et on y parle l'arabe le plus pur. Ils lui donnent encore son ancienne appellation d'Orfa, anciennement la ville Arpha-Kasda (Arphaxad), siège d'un collège de Chaldéens et de Mages ; dont le missionnaire nommé Orphée, transporta en Thrace les Mystères Bacchiques. Eusèbe, tout naturellement, y trouva les récits qu'il incorpora dans l'histoire d'Abgarus, ainsi que dans celle du portrait reproduit sur une toile, de même que celui de Bhagavat, ou du bienheureux Tathagatâ (le Bouddha) 347 obtenu par le roi Binbisara 348. Le Roi l'ayant apporté, Bhagavat y projeta son ombre 349. Le "morceau d'étoffe miraculeuse" et son ombre, sont encore conservés, disent les Bouddhistes ; mais l'ombre, elle-même, est rarement visible."
346 Ecclesiastical History, lib. I, c. 13.
347 Tathagata est le Bouddha, "celui qui marche dans les pas de ses prédécesseurs" ; comme
Bhagavat – il est le Seigneur.
348 Comme pendant, nous avons l'histoire de sainte Véronique.
349 Introduction h l'Histoire du Buddhisme indien, E. Burnouf. p. 341.
350 Moïse était un célèbre pratiquant de la Science hermétique. Si nous tenons compte qu'on fait échapper Moïse (Asarsiph) au Pays de Madian, et qu'il s'assit "prés d'un puits", (Exode II) nous en déduisons ce qui suit :
Le "Puits" jouait un rôle prépondérant dans les Mystères des fêtes bacchiques. II a la même signification dans le langage sacerdotal de tous les peuples. Un puits est "la source du salut" mentionnée dans Esaïe (XII, 3). Dans son sens spirituel l'eau constitue le principe mâle. Par son rapport physique dans l'allégorie de la création, l'eau est le chaos, et le chaos est le principe féminin vivifié par l'Esprit de Dieu – le principe mâle. Dans la Cabale, Zachar signifie mâle, et le Jourdain était appelé Zachar (Universal History, vol. II, p. 429). Il est à noter que le père de Jean-Baptiste, le prophète du Jourdain – Zacchar – portait le nom de Zachar-ias. Un des noms de Bacchus est Zagreus. La cérémonie d'asperger d'eau le sanctuaire était sacrée dans les rites Osiriens, de même que dans les institutions mosaïques. Il est dit dans le Mishna "tu demeureras à Succa, et tu verseras de l'eau pendant sept jours, et les tuyaux pendant six jours" (Mishna succah, p. I). "Prends de la terre vierge.. et pétris la poussière avec de l'EAU vivante, commande le Sohar (Introduction au Sohar ; Kabbala Denudata, II, pp. 220-221). Cornelius Agrippe fait la citation suivante : Seule "la terre et l'eau, suivant Moïse, sont capables de donner naissance à une âme vivante". L'eau de Bacchus était supposée donner le saint Pneuma à l'initié ; et chez les chrétiens, elle lave tous les péchés dans le baptême par le pouvoir du Saint-Esprit. Dans son sens cabalistique, le "puits" est l'emblème mystérieux de la Doctrine Secrète. "Si quelqu'un a soif qu'il vienne à moi et qu'il boive", dit Jésus (Jean, VII, 37).
Il est par conséquent parfaitement naturel de représenter Moïse, l'adepte, assis auprès d'un puits. Les sept filles du prêtre Hénite de Madian, qui venaient puiser de l'eau pour remplir les auges et abreuver le troupeau de leur père, s'approchent de lui. Nous retrouvons ici le nombre sept, le nombre mystique. Dans l'allégorie ci-dessus, les filles représentent les sept pouvoirs occultes. "Les bergers arrivèrent et les chassèrent (les sept filles). Alors Moïse se leva, prit leur défense et fit boire leur troupeau". Suivant quelques interprètes cabalistes, les bergers représenteraient les sept "Stellaires mal disposés" des Nazaréens ; car dans l'ancien texte samaritain, le nombre de ces bergers est également de sept (voyez les ouvrages cabalistiques).
Moïse ayant conquis les sept Puissances mauvaises, et gagné l'amitié des sept pouvoirs occultes bienfaisants, demeura chez Réuel, le prêtre de Madian, qui invita "l'Egyptien" à prendre de la nourriture, c'est-à-dire à s'assimiler sa sagesse. Suivant la Bible les anciens de Madian étaient connus comme de grands prophètes et devins. Enfin Réuel, ou Jethro, l'initiateur et l'instructeur de Moïse lui donne sa fille en mariage. Cette fille c'est Zipporah, c'est-à-dire la Sagesse ésotérique, la brillante lumière de la connaissance, car Siprah signifie a le brillant a ou "le resplendissant a du mot "Sapar", briller. Sippara, en Chaldée, était la cité du "soleil". C'est ainsi que Moïse fut initié par le Madianite, ou plutôt le Kénite, et de là l'allégorie biblique.
351 Schmidt, Der Weise und der Thor, p 37.
De la même manière, l'auteur gnostique de l'Evangile selon saint Jean, copia et métamorphosa la légende d'Ananda qui demandait un peu d'eau à une femme de Matangha – le pendant de la femme rencontrée par Jésus au puits 350, qui lui dit qu'elle appartenait à une caste inférieure, et ne pouvait rien avoir à faire [225] avec un saint moine. "Ma sœur, je ne te demande, répond Ananda, ni de quelle caste tu es, ni quelle est ta famille ; je ne te demande qu'un peu d'eau, si tu peux m'en donner." Cette femme de Matangha, charmée et émue jusqu'aux larmes, se repentit, et entra dans l'ordre monastique de Gautama, où elle devint une sainte, sauvée d'une vie de désordre par Sakya-muni. Beaucoup de ses actes subséquents furent empruntés par les plagiaires chrétiens pour en parer Marie-Madeleine et d'autres femmes saintes et martyres.
"Et quiconque donnera seulement un verre d'eau à l'un de ces petits parce qu'il est mon disciple, je vous le dis en vérité, il ne perdra point sa récompense", dit l'Evangile (Matthieu, X, 42). "Quiconque, avec un cœur pur et croyant, offre seulement une goutte d'eau, ou la présente devant l'assemblée spirituelle, aux besogneux, ou à une bête ou la donne à boire aux pauvres, des champs ; cette action Méritoir ne sera pas perdue dans les siècles sans nombre", dit le Canon "Bouddhique 351.
Au moment de la naissance du Bouddha 32.000 merveilles eurent lieu. Les nuages s'arrêtèrent dans les cieux, les eaux des fleuves cessèrent de couler ; les fleurs suspendirent leur éclosion ; les oiseaux émerveillés retinrent leur chant ; toute la nature ralentit sa course et demeura dans l'attente. "Une lumière surnaturelle se répandit sur le monde ; les animaux s'arrêtèrent de manger ; les aveugles virent ; les boiteux et les muets furent guéris", etc. 352. [226]
Voyons, maintenant, ce que dit le Protevangelion :
"Au moment de la Nativité comme Joseph regardait en l'air, "Je vis, dit-il, les nuages émerveillés et les oiseaux de l'air s'arrêter dans leur vol... Et je vis les brebis dispersées... et néanmoins les brebis étaient immobiles ; et regardant la rivière, je vis les agneaux la bouche près de l'eau, la touchant, mais ne buvant pas.
"Un nuage resplendissant couvrit alors la grotte. Mais tout à coup, le nuage devint une grande lumière à l'intérieur de la grotte, de sorte que les yeux ne purent pas la supporter... La main de Salomé, qui était flétrie, fut guérie incontinent... Les aveugles virent ; les boiteux et les muets guérirent " 353.
352 Rgya Tcher Ro.Pa. Histoire du Bouddha Sakya-muni (Sanscrit) Lalitauistara, vol. II, pp. 90-91.
353 Protevangelion (attribué à saint Jacques), ch. XIII et XIV.
354 Pali Buddhistical Annals, III, p. 28. ; Manual of Buddhism, 142, de Hardy.
Lorsque le jeune Gautama fut envoyé à l'école sans jamais avoir étudié auparavant, il éclipsa tous ses compétiteurs ; non seulement en calligraphie mais en arithmétique, en mathématiques, en métaphysique, à la lutte, au tir à l'arc, en astronomie, en géométrie, et finalement confondit même ses professeurs, en donnant la définition de soixante-quatre sortes d'écritures qui étaient inconnues de ses maîtres eux-mêmes 354.
Et voici ce que, de son côté, dit l'Évangile de l'Enfance :
"Et lorsqu'il (Jésus) eut atteint l'âge de douze ans... un certain rabbin principal lui demanda : As-tu lu des livres ? et un astronome demanda au Seigneur Jésus s'il avait étudié l'astronomie... Et le Seigneur Jésus lui donna l'explication... des sphères... de la physique et de la métaphysique. Il les entretint également de choses que la raison humaine n'avait jamais déchiffrées... La constitution du corps, comme l'âme opérait dans le corps... etc. Le maître en fut si surpris qu'il s'écria : "Je crois que cet enfant a dû naître avant Noé…, il est plus érudit que tous maîtres" 355.
355 Évangile de l'Enfance, chap XX, XXI ; accepté par les saints Eusèbe, Epiphane, Chrysostome, Athanase, Jérôme et autres. On retrouve les mêmes récits avec le cachet hindou en moins, afin de ne pas éveiller l'attention, dans saint Luc. II, 46, 47.
Les préceptes de Hillel, qui mourut 40 ans avant Jésus-Christ apparaissent plutôt comme des citations que comme des expressions originelles dans le Sermon sur la Montagne. Jésus n'enseigna rien qui n'eût été enseigné aussi sérieusement auparavant par d'autres maîtres. Son sermon sur la montagne débute par certains préceptes purement bouddhiques, qui avaient déjà cours chez les Esséniens, et étaient généralement pratiqués par les Orphikoi et les Néo-Platoniciens. Il y avait les Philhellènes, lesquels, comme Apollonius, avaient voué leur vie à la pureté physique et morale, en pratiquant l'ascétisme. Il cherche à faire pénétrer dans l'âme de ses auditeurs le dédain des biens de ce monde ; [227] une insouciance de fakir au sujet du lendemain ; l'amour de l'humanité, la pauvreté et la chasteté. Il bénit les pauvres d'esprit, les humbles, ceux qui ont faim et soif de justice, les pacifiques et les miséricordieux et, ainsi que Bouddha, il ne laisse que peu d'espoir aux castes orgueilleuses, d'entrer dans le royaume des cieux. Chacune des paroles de son sermon est l'écho des principes essentiels du Bouddhisme monastique. Les dix commandements du Bouddha, tels qu'on les trouve dans l'appendice du Prâtimoksha Sûtra (texte Pali-Birman) sont pleinement développés dans Saint Matthieu. Si nous désirons connaître le Jésus historique, il faut laisser complètement de côté le Christ mythique, et apprendre tout ce qu'on peut connaître de l'homme dans le premier Evangile. Ses doctrines, ses notions religieuses, ses plus hautes aspirations sont toutes condensées dans son sermon.
C'est là la cause principale de l'échec des missionnaires pour convertir les Brahmanes, et les Bouddhistes. Ceux-ci constatent que le peu de bien enseigné par la nouvelle religion, ne s'exhibe que dans la théorie, tandis que leur propre croyance exige que ces mêmes règles soient mises en pratique. Malgré l'impossibilité pour les missionnaires chrétiens de comprendre clairement l'esprit d'une religion fondée entièrement sur la doctrine de l'émanation, si contraire à leur propre théologie, le pouvoir raisonnant de quelques simples prédicateurs bouddhistes est si puissant, que nous voyons des savants comme Gutzlaff 356 réduits au silence et grandement décontenancés par les arguments des Bouddhistes. Judson, le célèbre missionnaire baptiste en Birmanie, confesse, dans son Journal, les difficultés auxquelles il a souvent été exposé par eux. Parlant d'un certain Ooyan, il dit que son esprit hautement développé était capable de saisir les sujets les plus difficiles. "Sa parole, dit-il, est onctueuse comme de l'huile, aussi douce que le miel et aussi tranchante qu'un rasoir ; sa manière de raisonner est calme, insinuante et aiguë ; et il joue son rôle avec une telle adresse, que de mon côté avec toute la puissance de la vérité, je ne pus le maîtriser que difficilement." Il paraît, néanmoins, qu'à une époque ultérieure de sa mission, M. Judson aurait avoué qu'il avait complètement méconnu la doctrine. "Je commence à croire, dit-il, que le semi-athéisme dont j'ai parlé quelquefois, n'est rien de plus que du Bouddhisme raffiné, fondé sur les Écritures Bouddhiques." C'est ainsi qu'il reconnut, enfin, que tandis que dans le Bouddhisme il y a "un terme générique pour la perfection la plus élevée, qui s'applique réellement à de nombreux individus, un Bouddha supérieur à toute la légion des divinités subordonnées", il existe également [228] à la base du système "l'étincelle d'une anima mundi, antérieure et même supérieure au Bouddha" 357.
La découverte est réconfortante en vérité !
Il n'est pas jusqu'aux Chinois, tant décriés, qui ne croient en Un Dieu Suprême : "Le Gouverneur Suprême des Cieux". Le nom de Yuh-Hwang- Shang-Ti n'est inscrit que sur la tablette d'or, devant l'autel du ciel, dans le grand temple de Pékin T'Iantan. "Ce culte, dit le colonel Yule, est mentionné par le narrateur musulman de l'ambassade du Sha Rukh (1421 après J.-C.) ; "pendant quelques jours de chaque année, l'empereur ne prend aucune nourriture animale... il passe son temps dans un appartement qui ne contient aucune idole, et il dit qu'il adore le Dieu du Ciel" 358.
356 Alabaster : Wheel of the Law, pp. 29, 34, 35 et 38.
357 E. Alpham : The History and Doctrines of Buddhism, p. 135. Le Dr Judson commit cette prodigieuse erreur par suite de son fanatisme. Dans son zèle pour "sauver les âmes", il se refusa à étudier les classiques Birmans, de peur de laisser détourner ainsi son attention.
358 Indian Antiquary, vol. II, p. 81. Book of Ser Marco Polo, vol. I, p. 441.
Chwolsohn, en parlant du grand savant arabe Shahrastani, dit que, suivant lui, le sabéisme n'était pas de l'astrolâtrie, comme on est porté à le croire. II pensait "que Dieu est trop sublime et trop grand pour s'occuper de l'administration immédiate de ce monde ; que, par conséquent, II en transfère le gouvernement aux dieux, et ne conserve pour Lui que les affaires les plus importantes ; que, de plus, l'homme est trop insignifiant pour pouvoir s'adresser au Très Haut directement ; qu'il est, par conséquent, obligé d'adresser ses prières et ses sacrifices aux divinités intermédiaires, auxquelles l'administration du monde a été confiée par l'Etre Suprême". Chwolsohn en déduit que cette idée est aussi ancienne que le monde et que "cette notion avait généralement cours chez les personnes cultivées du monde païen 359".
359 Sabismus, vol. I, p. 725.
360 History of Discoveries in Asia par Murray.
Le Père Boori, missionnaire portugais, qui avait été envoyé pour convertir les "pauvres païens" de la Cochinchine, dès le XVIème siècle, "proteste avec véhémence, dans son récit, qu'il n'y a pas un vêtement, un rite ou une cérémonie de l'Eglise de Rome, pour lesquels le Diable n'ait
inventé une contre-partie. Même lorsque le Père se mit à tonner contre les idoles, on lui répondit que c'étaient les images de grands hommes décédés, auxquels ils vouaient un culte, de la même manière que les catholiques le faisaient pour les images des apôtres et des martyrs" 360. Ces idoles, en outre, n'avaient d'importance qu'aux yeux des masses ignorantes. La philosophie du bouddhisme ignore les images et les fétiches. Sa grande vitalité gît dans ses conceptions psychologiques [229] de l'homme. La voie pour atteindre la condition de félicité suprême, nommée le Gué de Nirvâna trace ses sentiers invisibles à travers, non pas la vie physique, mais la vie spirituelle d'une personne pendant son existence ici-bas. La littérature sacrée bouddhique indique la voie en exhortant l'homme à suivre, par la pratique, l'exemple de Gautama. Par conséquent, les ouvrages bouddhiques accordent une valeur toute spéciale aux privilèges spirituels de l'homme, en lui conseillant de cultiver les pouvoirs pour produire les Meipo, (les phénomènes) pendant sa vie présente, et l'acquisition du Nirvâna, dans l'avenir.
Si nous laissons de côté les récits historiques et que nous considérons les récits mythiques inventés au sujet de Christna, du Bouddha et du Christ, nous trouvons ce qui suit :
Le modèle pour l'avatar chrétien et l'archange Gabriel se trouve dans l'apparition du lumineux San-Tusita (Bodhisat) à Maha-Maya, "sous la forme d'un nuage dans le clair de lune, venant du nord et tenant dans sa main un lotus blanc". Il lui annonça la naissance d'un fils, et tournant trois fois autour de la couche de la reine... il disparut du dewa-loka et fut conçu dans le monde des hommes 361. On verra que la ressemblance est encore plus frappante si l'on consulte les illustrations dans les psautiers du moyen âge 362 et les panneaux peints du XVIème siècle (dans l'église de Jouy, par exemple, où la Vierge est représentée agenouillée, les mains levées vers le
Saint-Esprit, et l'enfant, non né, se voit miraculeusement au travers de son corps), et nous constaterons que le même sujet est traité exactement de la même manière dans les sculptures de certains couvents tibétains. Dans les annales Pali-bouddhiques, et d'autres ouvrages religieux, il est dit que Maha-dévi et toutes ses servantes étaient constamment gratifiées par la vue de Bodhisatva enfant, se développant graduellement dans le sein de sa mère, et rayonnant déjà depuis son lieu de gestation sur l'humanité, "le resplendissant rayon de sa bienveillance future" 363.
Ananda, le cousin et futur disciple de Sakya Muni, est représenté comme naissant à peu près à la même époque. Il aurait été l'original de la vieille légende de Jean Baptiste. Par exemple, le récit pali dit que Maha- Maya, pendant sa grossesse visita sa mère, de même que Marie alla voir la mère du Baptiste. Au moment où elle entra dans la chambre, Ananda non né, salua le Bouddha-Siddhârtha également non-né, qui de son côté lui rendit le salut ; et de la même manière l'enfant, qui devait être par la suite Jean [230] Baptiste, tressaillit dans le sein de sa mère Elisabeth, lorsque. Marie entra 364. Bien plus, car Didron donne la description d'une salutation peinte sur un triptique à Lyon, entre Elisabeth et Marie, où les deux enfants non-nés, représentés hors de leurs mères, se saluent également 365.
361 Manual of Buddhism, p. 142.
362 Ancient Pagan and Modern Christian Symbolism, p. 92, par Inman.
363 Rgya, Tcher. Rol. Pa, Bkah Hgyour (Version Tibétaine).
364 Evangile selon saint Luc, I, 39-45.
365 Didron, Iconographie Chrétienne, Histoire de Dieu.
Si maintenant nous nous tournons vers Christna, en comparant attentivement les prophéties qui le concernent, telles qu'elles ont été recueillies dans les traditions Ramatsariennes, de l'Atharva, des Védangas et des Védantas 366 au passage de la Bible et des Evangiles apocryphes, dont quelques-uns, prétend-on, prophétisent la venue du Christ, nous y rencontrerons des choses fort curieuses. En voici des exemples :
D'APRES LES LIVRES HINDOUS |
D'APRES LES LIVRES CHRETIENS |
1. Il (le Rédempteur) viendra couronné de lumière, le pur fluide émanant de la grande âme... dispersant les ténèbres" (Atharva). |
1. "Le peuple de la Galilée des Gentils, assis dans les ténèbres, a vu une grande lumière". (Matthieu, IV, d'Esaie, IX, 1, 2). |
2. Dans la première partie du Kali-Yuga naîtra le fils de la Vierge" (Vedanta). |
2. "Voici, la vierge concevra, elle enfantera un fils". (Esaïe, VII reproduit par Matthieu I, 23). |
3. "Le Rédempteur viendra et les Rakhasas maudits fuiront et chercheront un refuge au plus profond de l'enfer" (Atharva). |
3. "Or, voici, Jésus de Nazareth avec la splendeur de sa glorieuse divinité, mit en fuite les horribles puissances des ténèbres" (Nicodéme). |
4. "Il viendra et la vie défiera la mort... et il revivifiera le sang de tous les êtres, il régénérera tous les corps et il purifiera toutes les âmes". |
4. "Je leur donne la vie éternelle et elles ne périront jamais" (Jean, X, 28). |
5. "Il viendra, et tous les êtres animés, les fleurs, les plantes, les hommes, les femmes, les enfants, les esclaves... entonneront, tous ensemble, le chant d'allégresse, car il est le seigneur de toutes les créatures... il est infini, car il est la puissance, il est la sagesse, il est la beauté, et il est tout en tout". |
5. Sois transportée d'allégresse, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem, voici ton roi qui vient à toi, il est juste... Oh ! quelle prospérité pour eux ! Quelle beauté ! Le froment fera croître les jeunes hommes, et le mont les jeunes filles. (Zacharie, IX, 9, 17). |
|
|
|
|
6. |
"Il viendra plus doux que le miel et l'ambroisie, plus pur que l'agneau sans tache" (Ibidem). |
6. |
"Voilà l'agneau de Dieu"(Saint-Jean, I, 36) "Semblable à un agneau qu'on mène à la boucherie" (Esaïe, LIII, 7). |
7. |
"Bienheureuse la matrice bénie qui le portera" (Ibidem)." |
7. |
"Tu es bénie entre les femmes et le fruit de ton sein est béni" (Luc, I, 42). "Heureux le sein qui t'a porté" (XI, 27). |
8. |
"Et Dieu manifestera Sa gloire, et il fera résonner Sa puissance, et il Se réconciliera avec Ses créatures" (Ibidem). |
8. |
"Dieu a manifesté sa gloire" (1° Ep. de Saint-Jean). "Car Dieu réconciliait en Christ le monde avec lui-même" (II Corinthiens, 19). [231] |
9. |
"C'est dans le sein d'une femme que le rayon de la splendeur Divine prendra une forme humaine, et elle enfantera, étant vierge, car aucun contact impur ne l'aura souillée" (Védangas). |
9. |
"Elle est un exemple incomparable sans souillure et sans tache et une vierge donnera naissance à un fils et une jeune fille enfantera le Seigneur" (Evangile de Marie, III). |
Que ce soit une exagération ou non d'attribuer une antiquité si grande à l'Atharva-Véda et aux autres ouvrages, une chose est certaine, c'est que ces prophéties et leur réalisation ont précédé le Christianisme, et que Christna est antérieur au Christ. C'est tout ce que nous avons à nous demander.
On reste confondu en lisant le Monumental Christianity du Dr Lundy. Il serait difficile de dire si nous devons plus admirer l'érudition de l'auteur, ou être étonnés de son sophisme serein et sans égal. Il a réuni un monde de faits qui établissent la preuve que les religions, bien plus anciennes que le Christianisme, celles de Christna, de Bouddha et d'Osiris, avaient anticipé même sur ses symboles les plus infimes. Les matériaux dont il se sert ne viennent pas de papyrus frelatés, ni d'Evangiles interpolés, mais bien des sculptures sur les murs des temples antiques, des monuments, d'inscriptions, et d'autres reliques archaïques, qui n'ont été mutilées que par le marteau des iconoclastes, le canon des fanatiques et la main du temps. Il nous fait voir Christna et Apollon comme de bons bergers ; Christna tenant en mains le chank et le chakra cruciformes, et Christna "crucifié dans l'espace", comme il le dit, (Monumental Christianity, fig. 72). On pourrait vraiment dire de cette gravure – empruntée par le Dr Lundy, au Hindu Pantheon de Moor – qu'elle est calculée pour jeter l'étonnement parmi les Chrétiens, car elle représente le Christ crucifié de l'art catholique avec la plus parfaite ressemblance. Il n'y manque pas un trait ; et l'auteur dit lui- même à son sujet : "J'estime que cette représentation est antérieure au Christianisme... sous bien des rapports elle ressemble au crucifix chrétien... Le dessin, l'attitude, la marque des clous aux mains et aux pieds, dénoteraient une origine chrétienne, tandis que la couronne Parthienne à sept pointes, l'absence du bois de la croix et de l'inscription usuelle, et les rayons de gloire au-dessus, laisseraient croire à une origine différente que celle du Christianisme. Est-ce l'homme-victime, ou le prêtre et la victime en une seule personne, de la Mythologie hindoue, qui s'offre en sacrifice avant que les mondes fussent nés ? Est-ce le second Dieu de Platon qui s'imprime sur l'univers sous la forme d'une croix ? Ou bien, est-ce l'homme divin qui voulut être fouetté, torturé, enchaîné, qui voulut qu'on lui brulât les yeux, et finalement... qu'on le crucifiât ? (République C. II, p. 52. Traduct. de Spens). C'est tout cela et beaucoup plus ; la Philosophie Archaïque religieuse était universelle. [232]
Quoi qu'il en soit, le Dr Lundy est en contradiction avec Moor, et il maintient que cette figure est celle de Wittoba – un des avatars de Vichnou, par conséquent Christna – et antérieur au christianisme, fait qu'il est fort difficile de nier. Et néanmoins, bien qu'il admette qu'elle soit prophétique du christianisme, il estime qu'elle n'a aucun rapport avec le Christ ! Sa raison pour cela est que "dans un crucifix chrétien, la gloire procède toujours de la tête ; ici elle vient d'au-dessus et d'au-delà... Par conséquent, le Wittoba du Pandit, qui a été donné à Moor, paraît être le Krishna crucifié, le dieu-berger de Mathura... un Sauveur – le Seigneur de l'Alliance, aussi bien que le Seigneur du ciel et de la terre – pur et impur, lumineux et sombre, bon et méchant, pacifique et guerrier, aimable et courroucé, doux et turbulent, miséricordieux et vindicatif, Dieu avec un étrange mélange d'homme, mais non pas le Christ des Evangiles".
Or, toutes ces qualités appartiennent aussi bien à Jésus qu'à Christna. Le seul fait que Jésus était un homme de par sa mère – même s'il était un Dieu, le donne à entendre. Sa conduite à l'égard du figuier et ses contradictions dans Saint-Matthieu, où à certains moments il promet la paix sur la terre et à d'autres le glaive, etc. en sont la preuve. Sans aucun doute cette gravure n'a jamais été faite pour représenter le Jésus de Nazareth. C'était certainement Wittoba, ainsi qu'on l'affirma à Moor, et comme en outre, les Ecritures sacrées des hindous le maintiennent, Brahma, le sacrificateur qui est "en même temps le sacrificateur et la victime" ; c'est "Brahma, victime dans Son Fils Christna, qui vint mourir sur cette terre pour notre salut, qui accomplit Lui-même le solennel sacrifice" (du Sarvameda). Et cependant, c'est l'homme Jésus, de même que l'homme Christna, car tous deux sont unis à leur Chrestos.
Il faut alors, ou bien admettre les "incarnations" périodiques, ou alors reconnaître que le Christianisme est la plus énorme fourberie, et le plagiat le plus éhonté des siècles !
Quant aux Ecritures juives, seuls des hommes comme le Jésuite de Carrière, digne représentant de la majorité du clergé catholique, voudront imposer à leurs partisans la chronologie établie par le Saint-Esprit. C'est sur l'autorité de celui-ci qu'on nous apprend que Jacob émigre en Egypte 2298 av. J.-C. avec une famille de soixante-dix âmes, en tout, et que 215 années plus tard, en 2513 av. J.-C., ces soixante-dix personnes avaient augmenté de telle façon que les israélites quittèrent l'Égypte au nombre de 600.000 guerriers, "sans compter les femmes et les enfants ce qui, suivant la science de la statistique, devrait représenter une population totale de deux à trois millions d'individus !! L'histoire naturelle ne nous fournit, nulle part, un pareil exemple [233] de fécondité, sauf chez les harengs. Après cela que les missionnaires chrétiens se gaussent, s'ils en ont envie, de la chronologie et des computations des hindous.
"Heureux ceux, mais ne les envions pas, s'écrie Bunsen, qui ne craignent pas de faire partir Moïse avec une population de plus de deux millions d'âmes à la suite d'une conspiration et d'un soulèvement populaire à l'époque dorée de la dix-huitième dynastie ; ou de faire conquérir le Canaan par Josué, pendant et après les formidables campagnes des Pharaons conquérants, dans ce même pays. Les annales égyptiennes et assyriennes d'accord avec la critique historique de la Bible, prouvent que l'Exode n'a pu avoir lieu que pendant le règne de Menephthah, de sorte que Josué n'a pu traverser le Jourdain avant la Pâque de 1280, la dernière campagne de Ramsès III en Palestine ayant eu lieu en 1281 367".
367 Bunsen. Egypt's Place in Universal history, vol. V, p. 93
Mais reprenons le fil de notre étude sur le Bouddha.
Ni lui, ni Jésus, n'ont jamais mis un seul mot de leurs doctrines par écrit. Nous devons accepter l'enseignement des maîtres sur le témoignage de leurs disciples et par conséquent, il n'est que juste que nous jugions chacune des deux doctrines d'après leur valeur intrinsèque. Nous constatons dans le résultat des nombreuses discussions entre les missionnaires chrétiens et les théologiens bouddhiques (pungui) de quel côté gît la supériorité logique. Ceux-ci en général, sinon invariablement, ont le dessus de leurs adversaires. D'autre part, le "Lama de Jehovah" manque rarement de se mettre en colère, à la grande joie du Lama de Bouddha et fait pratiquement la preuve de sa religion de patience, de miséricorde et de charité, en injuriant son adversaire dans un langage très peu canonique. Nous l'avons vu maintes et maintes fois.
Malgré la similitude entre l'enseignement direct de Gautama et de Jésus, nous constatons néanmoins que leurs disciples respectifs partent de deux points de vue diamétralement opposés. Le prêtre bouddhiste, s'en tenant littéralement à la doctrine éthique de son maître, reste par conséquent, fidèle à l'héritage de Gautama ; tandis que le ministre chrétien, dénaturant les préceptes enseignés par les quatre Évangiles, de manière à les rendre méconnaissables, enseigne, non pas ce qu'enseigna Jésus, mais les interprétations absurdes et souvent nuisibles d'hommes sujets àerreur, tels que les Papes, sans excepter Luther ou Calvin. Voici deux exemples pris dans les deux religions, et mis en regard les uns des autres. Que le lecteur juge par lui-même :
"Ne croyez rien parce qu'on en fait courir le bruit, ou parce que beaucoup de personnes l'affirment, dit le Bouddha, ne croyez pas que ce soit une preuve de sa véracité.
N'ajoutez aucune foi à quoi que ce soit, simplement sur la production d'une affirmation écrite par un ancien sage ; ne soyez pas certain que ce que ce sage a écrit, ait été revu par lui, ou qu'on puisse y ajouter foi. Ne croyez pas ce que vous vous imaginez, en pensant que, parce que la notion est extraordinaire, elle a dû être inspirée par un Déva, ou un être surnaturel.
Ne croyez pas aux suppositions, c'est-à-dire, admettant quoi que ce soit d'emblée et au petit bonheur, pour en tirer ensuite vos conclusions – calculant vos numéros deux, trois ou quatre, avant d'avoir établi votre numéro un.
Ne croyez rien sur la seule autorité de vos maîtres et de vos instructeurs ; ne croyez et ne pratiquez rien seulement parce qu'ils le croient et le pratiquent.
Moi (le Bouddha) je vous dis à tous, vous devez de par vous-même savoir que cela est mal, que c'est punissable, que c'est réprouvé par les sages ; une telle croyance ne fera de bien à personne, mais causera de la souffrance ; et alors, lorsque vous le saurez, évitez-là" 368.
368 Alabaster. The Wheel of the Law, pp. 43-47.
Il est impossible de ne pas reconnaître le contraste entre ces sentiments bienveillants et humains, et les fulminations du Concile Oecuménique et du Pape, contre l'usage de la raison et de l'étude de la science lorsque celle-ci est en conflit avec la révélation. La scandaleuse bénédiction papale des armes musulmanes, et la malédiction des chrétiens russes et bulgares, ont soulevé l'indignation de certaines des plus ferventes communautés catholiques. Les catholiques tchèques de Prague, le jour du récent jubilé cinquantenaire de Pie IX, et ensuite le 6 juillet, anniversaire de Jean Huss, le martyr mort sur le bûcher se réunirent par milliers sur le mont Zhisko, afin de proclamer l'horreur qu'ils éprouvaient pour l'attitude ultramontaine à ce sujet, ils brûlèrent en grande pompe le portrait du Pape, son syllabus, et sa dernière allocution contre le tsar Russe, en disant que s'ils étaient de bons catholiques ils étaient encore de meilleurs slaves. Evidemment le souvenir de Jean Huss est plus sacré pour eux que les Papes du Vatican.
"Le culte des mots est plus nuisible que le culte des images", dit Robert Dale Owen. "La grammatolâtrie est la pire des idolâtries. Nous sommes arrivés à une époque où le littéralisme est en train de détruire la foi... La lettre tue" 369. [235]
369 The Debatable Land, p. 145.
370 "Nous partageons notre zèle", dit le Dr Henry More, "entre tant de choses, que nous croyons infectées de papisme, que nous n'attribuons pas notre juste part d'exécration, à celles qui le sont en réalité. Parmi celles-ci se trouve cette fable grossière et scandaleuse de la transsubstantiation ; les divers modes d'idolâtrie nauséabonde et mensongère ; l'incertitude du loyalisme envers les souverains légaux à la suite de l'adhésion superstitieuse à la tyrannie spirituelle du Pape ; et cette cruauté barbare et sauvage contre ceux qui ne sont pas assez fous pour croire tout ce qu'on veut en imposer aux hommes, ou assez faux envers leur Dieu et leurs propres consciences, pour les professer, tout en sachant à quoi s'en tenir" (Postscript du Glanvill).
Il n'y a pas de dogme de l'Eglise auquel ces paroles puissent mieux s'appliquer, que celui de la transsubstantiation 370. "Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle", fait-on dire au Christ. "Cette parole est dure", répétèrent quelques-uns de ses auditeurs effrayés. La réponse fut celle d'un initié. "Cela vous scandalise-t-il ? C'est l'Esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. Les paroles (remata ou expressions cachées) que je vous ai dites sont Esprit et Vie" (St. Jean, VI, 54-63).
Dans les Mystères, le vin représentait Bacchus, et le pain Cérès 371. L'initiateur hiérophante présentait symboliquement, avant la révélation finale, le vin et le pain au candidat qui devait manger et boire des deux pour témoigner que l'esprit vivifie la matière, c'est-à-dire que la sagesse divine devait pénétrer en lui par le moyen de ce qui allait lui être révélé. Dans sa phraséologie orientale, Jésus se compare souvent au vrai cep (St. Jean, XV, I). De plus, l'hiérophante, révélateur du Pétroma, avait le tire de "Père". Lorsque Jésus dit, "Buvez... ceci est mon sang", que voulait-il dire sinon que c'était une simple comparaison entre lui et le cep qui porte le raisin, dont le jus est le sang, le vin. Il voulait faire comprendre par là, qu'ayant été, lui-même, initié par le "Père". Il voulait initier les autres. Son "Père" était le vigneron ; [236] il était, lui, la vigne et ses disciples étaient les sarments. Comme ses partisans ignoraient la terminologie des Mystères, ils demeuraient surpris ; ils en furent même offensés, ce qui n'est pas pour nous surprendre, étant donné les injonctions de Moïse contre le sang.
371 Payne Knight est d'avis que Cérès n'était pas la personnification de la matière grossière qui compose la terre, mais bien du principe productif féminin, qui est supposé la pénétrer, laquelle, jointe au principe actif, devait être la cause de l'organisation et de l'animation de sa substance... On en parle comme de l'épouse du Père Omnipotent, Æther, ou Jupiter (The Symbolical Language of Ancient Art and Mythology, XXXVI). Par conséquent, les paroles du Christ "c'est l'esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien", se réfèrent, dans leur double signification, aussi bien aux choses spirituelles qu'aux choses terrestres, à l'esprit et à la matière.
Les quatre Evangiles contiennent tout ce qu'il faut pour nous faire comprendre le désir secret et fervent de Jésus ; l'espérance qui le possédait lorsqu'il entreprit son ministère et dans laquelle il mourut. Dans son immense amour désintéressé pour l'humanité, il estimait qu'il était injuste de priver la grande masse des résultats de la connaissance que le petit nombre avait acquise. Il prêche, par conséquent, ce résultat – l'unité d'un Bacchus, sous la forme de Dionysios, est d'origine Indienne. Cicéron en parle comme d'un fils de Thyoné et de Nisus, ∆ιόνυσος signifie le Dieu Dis du mont Nys, en Inde. Bacchus, couronné de lierre, ou Kissos, est Christna, dont un des noms était Kissere. Dionysus est prééminemment la divinité sur laquelle se concentraient tous les espoirs d'une me future ; en somme, il était le dieu dont on attendait la libération des hommes de leur prison de chair. Orphée le poète-argonaute, vint, dit-on également sur la terre pour purifier la religion de son anthropomorphisme grossier et terrestre ; il abolit les sacrifices humains et fonda une théologie mystique basée sur la spiritualité pure. Cicéron dit qu'Orphée était un fils de Bacchus. Il est étrange que tous deux paraissent être venus de l'Inde. Du moins, comme Dionysus-Zagreus, Bacchus est sans aucun doute d'origine hindoue. Quelques écrivains, trouvant une curieuse analogie entre le nom d'Orphée et un ancien terme grec, όρφνός ; foncé ou tanné, en font un hindou, en rapprochant ce terme de son teint foncé d'hindou. Voyez Voss, Heyne, et Schneider au sujet des Argonautes.
Dieu spirituel, dont le temple réside en chacun de nous, et dans lequel nous vivons de même que Lui vit en nous – en esprit. Cette connaissance était entre les mains des adeptes juifs de l'école de Hillel et des cabalistes. Mais les "scribes", ou hommes de loi, s'étant, peu à peu, retranchés derrière le dogmatisme de la lettre morte, ils s'étaient déjà, depuis longtemps, séparés des Tanaïm, les véritables instructeurs spirituels ; et les cabalistes pratiques étaient, plus ou moins, persécutés par la Synagogue. C'est pourquoi nous voyons Jésus s'écrier : "Malheur à vous, docteurs de la Loi ! parce que vous avez enlevé la clé de la science [la Gnose] : vous n'êtes pas entrés vous-mêmes, et vous avez empêché d'entrer ceux qui le voulaient" (St Luc, XI, 52). Est-ce assez clair ? Ils avaient retiré la clé, et n'en avaient pas su profiter eux-mêmes, car la Masorah (la tradition) était devenue pour eux, comme pour les autres, un livre fermé.
Ni Renan, ni Strauss, ni même le vicomte Amberley, plus moderne, ne paraissent avoir soupçonné la véritable signification de la plupart des paraboles de Jésus, et même le caractère du grand philosophe galiléen. Ainsi que nous l'avons déjà vu, Renan nous le présente comme un Rabbin gallicisé, "le plus charmant de tous", mais néanmoins un rabbin ; et, de plus, qui ne sortait même pas de l'école de Hillel, ou d'une autre école quelconque, bien qu'il l'appelle souvent le "charmant docteur" 372. I1 nous le dépeint comme un jeune enthousiaste sentimental, sorti de la classe plébéienne de la Galilée, qui évoque dans son imagination les rois idéals de ses paraboles, couverts de pourpre et de bijoux, tels qu'on les voit sur les images d'Epinal 373.
372 Vie de Jésus, p. 219.
373 Ibidem, p. 221.
Le Jésus de lord Amberley, par contre, est un "idéaliste iconoclaste", bien inférieur à ses critiques dans sa subtilité et sa logique. Renan considère Jésus du point de vue étroit d'un [237] Sémitomaniaque ; le vicomte Amberley le regarde du haut de la grandeur sociale d'un Lord anglais. A propos de la parabole de la fête nuptiale, qu'il considère comme "une curieuse théorie des rapports sociaux", le Vicomte dit : "Nul n'objectera à ce que des personnes charitables invitent les pauvres et les invalides sans rang social, dans leurs maisons... mais nous ne pouvons admettre que cette action charitable doive être rendue obligatoire... il serait à désirer que nous fassions exactement ce que le Christ nous dit de ne pas faire – c'est-à-dire, inviter nos voisins et être invités par eux selon les circonstances. La crainte de recevoir une récompense pour les invitations à dîner que nous pourrions distribuer, est certainement chimérique... Jésus, en effet, néglige complètement le côté intellectuel de la société" 374. Tout cela prouve, sans contredit, que le "Fils de Dieu" n'était pas maître dans l'étiquette sociale, et qu'il n'était pas non plus à la hauteur du "grand monde" ; mais c'est aussi un excellent exemple de la manière générale dont on a faussement interprété ses paraboles les plus suggestives.
La théorie d'Anquetil du Perron que la Bhagavad-Gîta est une couvre indépendante, puisqu'elle n'existe pas dans les divers manuscrits du Maha- Bhârata, est peut-être aussi bien la preuve de sa haute antiquité que du contraire. Cet ouvrage est purement métaphysique et éthique, et dans un certain sens, il est anti-Védique ; du moins, en ce qu'il est en opposition aux nombreuses interprétations subséquentes des Védas, par les Brahmanes. Comment se fait-il alors, qu'au lieu de détruire cet ouvrage, ou tout au moins de le qualifier de non canonique – expédient auquel l'Eglise Chrétienne n'aurait eu garde de manquer – les Brahmanes le tiennent en si haute estime ? Son but étant éminemment unitarien, il est en opposition avec le culte populaire des idoles. Néanmoins l'unique précaution prise par les Brahmanes pour empêcher ses doctrines de se répandre, a été de le tenir plus secret encore que tous les autres livres religieux, pour toutes les autres castes excepté celle des prêtres, et d'imposer dans beaucoup de cas, certaines restrictions, même à celle-ci. Ce merveilleux poème comprend les plus sublimes mystères de la religion brahmanique ; il est accepté même par les bouddhistes, qui expliquent, à leur manière, certaines de ses difficultés dogmatiques. "Sois désintéressé, soumets tes sens et tes passions, qui obscurcissent la raison et conduisent à la déception", dit Christna à son disciple Arjouna, énonçant ainsi un précepte purement bouddhique. "Les hommes inférieurs suivent les exemples, les grands hommes les donnent... L'âme doit se libérer des liens de l'action et agir en tout et pour tout suivant son [238] origine divine. Il n'y a qu'un Dieu, et tous les autres devatas sont inférieurs, et ne sont que les formes (les pouvoirs) de Brahma ou de moi-même. Le culte par les actions est supérieur à celui de la contemplation" 375.
374 Analysis of Religions Belief, vol. 1, p. 467.
375 Voyez la Gita traduite par Charles Wilkins, en 1875 ; et la Bhagavad-Purana, renfermant l'histoire de Christna, traduction française de Eugène Burnouf, 1840.
Cette doctrine coïncide exactement avec celle de Jésus lui-même 376. La foi, toute seule, sans l'accompagnement "d'actions"est réduite à néant dans la Bhagavad-Gita. Quant à l'Atharva-Véda il était, et est encore, tenu si secret par les Brahmanes, qu'il est douteux que les orientalistes en aient eu une copie complète. Comment pourrait-on en douter après avoir lu ce que l'abbé Dubois a dit à ce sujet ? "II existe fort peu d'exemplaires de ce dernier" – l'Atharva – dit-il à propos des Védas, "et beaucoup croient qu'ils n'existent plus. Mais la vérité est qu'ils existent certainement, bien qu'on les cache plus soigneusement que les autres, par crainte d'être soupçonnés d'êtres initiés aux mystères magiques et autres mystères redoutables que l'ouvrage est supposé enseigner" 377.
Il y avait même, parmi les epoptæ les plus élevés des Mystères majeurs, certains sujets qui ne savaient absolument rien du dernier et redoutable rite – le transfert volontaire de la vie de l'hiérophante au candidat. Cette opération mystique, du transfert par l'adepte de son entité spirituelle après la mort de son corps à l'enfant qu'il aime avec toute l'ardeur de l'affection d'un père spirituel, est admirablement décrite dans "Ghost-Land" 378. Comme c'est le cas pour la réincarnation des lamas du Tibet, un adepte de l'ordre le plus élevé peut vivre indéfiniment. Son corps mortel s'use malgré certains secrets alchimiques pour prolonger la vigueur de la jeunesse bien au-delà des limites usuelles, mais il est rare que le corps puisse vivre plus de deux cents ou deux cent quarante ans. L'ancien vêtement est usé et l'Ego spirituel se voit obligé de l'abandonner ; il choisit alors pour sa demeure, un nouveau corps, jeune et pourvu d'un principe vital robuste. Nous renverrons le lecteur qui serait tenté de ridiculiser cette affirmation ou la prolongation possible de la vie humaine, aux statistiques des différents pays. L'auteur d'un article fort bien écrit dans la Westminster Review d'octobre 1850, est responsable de l'affirmation qu'en Angleterre, il est authentiquement avéré qu'un nommé Thomas Jenkins est mort à l'âge de 169 ans, et "Old Parr" à 152 ; et qu'en Russie "il a été reconnu que quelques paysans ont atteint [239] l'âge de 242 ans" 379. On trouve également des cas de centenaires chez les Indiens péruviens. Nous n'ignorons pas que nombre d'écrivains célèbres, ont tout récemment nié ces cas d'extrême longévité, mais nous maintenons néanmoins notre foi en leur réalité.
376 Saint-Matthieu, VII, 21.
377 Of the People of India, vol. I, p. 84.
378 Ou Researches into the Mysteries of Occultism ; Boston, 1877, édité par Mme E. Hardinge- Britten.
379 Voyez Stone Him to Death ; Septenary Institutions. Le capitaine James. Riley dans sa narration de son esclavage en Afrique, mentionne des cas analogues de grande longévité dans le Désert du Sahara.
Qu'elles soient vraies ou fausses, il existe certainement chez les nations orientales des "superstitions" telles que ni Edgard Pœ ni Hoffmann n'en ont rêvé de plus extraordinaires, et ces croyances sont enracinées dans le sang des nations où elles sont nées. Si nous les dépouillons de leurs exagérations on verra qu'elles représentent la croyance universelle en ces âmes astrales inquiètes et errantes qu'on a nommées goules et vampires.
Un évêque arménien du Vème siècle, nommé Yeznik, donne toute une série de récits de ce genre, dans un manuscrit (Livre I, §§ 20, 30), conservé il y a une trentaine d'années dans la bibliothèque du monastère d'Etchmeadzine 380. Entre autres, une tradition qui date de l'époque païenne, veut que lorsqu'un héros, dont la vie est encore nécessaire sur terre, tombe sur le champ de bataille, les Aralez, les dieux populaires de l'ancienne Arménie qui ont la faculté de ramener à la vie ceux qui sont tués dans la bataille, lèchent les plaies sanglantes de la victime et soufflent sur eux jusqu'à leur infuser une nouvelle vie vigoureuse. Le guerrier se lève alors, lave toutes traces de ses blessures et reprend sa place dans la bataille. Mais son esprit immortel s'est envolé ; et pour le reste de ses jours, il vît – temple abandonné.
Une fois qu'un adepte a été initié au dernier et au plus solennel mystère, celui du transfert de la vie, l'imposant septième rite de la grande opération sacerdotale qui est la plus haute théurgie, il n'appartient plus à ce monde. Son âme est désormais libérée, et les sept péchés mortels prêts à dévorer son cœur, pendant que l'âme, libérée par la mort, traverse les sept salles et les sept escaliers, ne peuvent plus lui nuire, mort ou vivant ; il a traversé les "deux fois sept épreuves", les douze travaux de la dernière heure 381.
380 Arménie Russe ; un des plus anciens couvents chrétiens.
381 Livre des Morts égyptien. Les hindous ont sept ciels supérieurs et sept inférieurs. Les sept péchés mortels des Chrétiens ont été copiés des Livres égyptiens d'Hermès, si familiers à St-Clément d'Alexandrie.
Seul le Grand Hiérophante savait comment pratiquer cette solennelle opération, en infusant sa propre essence vitale et son âme astrale à l'adepte, qu'il avait choisi pour lui succéder, qui, de cette manière était doué d'une double vie 382. [240]
382 L'atroce coutume introduite par la suite dans le peuple, des sacrifices humains, est une copie pervertie du mystère Théurgique. Les prêtres païens qui ne faisaient pas partie des hiérophantes, pratiquèrent ce rite hideux pendant longtemps, ce qui servit à masquer le but véritable. Mais le grec Héraclès fut, dit-on, l'ennemi des sacrifices humains, et mit à mort les hommes et les monstres qui les pratiquaient. Bunsen démontre, par l'absence même d'une représentation de sacrifices humains sur les plus anciens monuments, que cette coutume avait été abolie dans l'ancien empire à la fin du VIIème siècle après Ménès ; par conséquent 3.000 ans avant J.C. Iphiscrate avait aboli les sacrifices humains chez les Cartaginois. Diphilus fit substituer des taureaux aux victimes humaines. Amosis obligea les prêtres à remplacer celles-là par des figures de cire. D'autre part, pour chaque étranger sacrifié sur l'autel de Diane par les habitants du Chersonnèse-Taurique l'Inquisition et le Clergé chrétien peuvent se vanter d'une douzaine d'hérétiques sacrifiés sur l'autel de la "mère de Dieu" et de son "Fils". Quand les chrétiens ont-ils jamais pensé substituer des animaux ou des figures de cire aux hérétiques, juifs et sorciers ? Ils ne les brûlaient en effigie que lorsque par quelque hasard providentiel, les victimes condamnées avaient réussi à échapper à leurs griffes.
"En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu." (Saint Jean III, 3). Jésus dit à Nicodème que "ce qui est né de la chair est chair, et ce qui lest né de l'esprit est esprit."
Cette allusion, si peu intelligible en elle-même, est expliquée dans la Satapata-Brahmana. Elle enseigne que l'homme qui recherche la perfection spirituelle doit avoir trois naissances : 1° La naissance physique, que lui donnent ses parents mortels ; 2° La naissance spirituelle, au moyen de sacrifices religieux (initiations) ; 3° La naissance finale dans le monde de l'esprit, à la mort. Bien qu'il puisse paraître étrange que nous devions aller à la vieille terre du Punjab et sur les bords du Gange sacré, pour avoir l'interprétation de paroles prononcées à Jérusalem et commentées sur les rives du Jourdain, le fait est néanmoins évident.
Cette seconde naissance, la régénération de l'esprit, après la naissance naturelle de ce qui est né de la chair, était certes de nature à étonner un chef Juif. Néanmoins elle avait déjà été enseignée 3000 ans avant la venue du grand prophète de Galilée, non seulement dans l'Inde antique, mais à tous les epoptæ des initiations païennes, qu'on avait instruits dans les grands mystères de la VIE et de la MORT. Ce secret des secrets, que l'âme n'est pas enchaînée à la chair, était pratiquement démontré par les exemples des Yogis, les disciples de Kapila. Ayant libéré leurs âmes des liens de Prakriti, ou de Mahat (la perception physique des sens et de l'esprit – en un sens la création) ils développaient leur puissance d'âme et la force de leur volonté au point d'avoir acquis le pouvoir, sur cette terre, de communiquer avec les mondes supérieurs, et de pratiquer ce qu'on nomme communément des "miracles" 383. Les hommes dont l'esprit astral a atteint sur cette terre [241] nehreyasa, ou moukli, sont des demi-dieux ; ils atteignent Moksha ou Nirvâna en l'état d'esprits désincarnés, et cela constitue leur seconde naissance spirituelle.
Le Bouddha enseigne la doctrine d'une nouvelle naissance aussi clairement que le fait Jésus. Désirant rompre avec les anciens Mystères, auxquels il était impossible d'admettre les masses ignorantes, le réformateur hindou, bien que muet, en général, au sujet de plus d'un dogme secret, indique clairement sa pensée dans différents passages. C'est ainsi qu'il dit : "Quelques personnes sont nées de nouveau ; les malfaiteurs vont en Enfer ; les justes vont au Ciel ; ceux qui se sont libérés de tout désir terrestre entrent au Nirvâna" (Préceptes de la Dhammapada V, 126). D'autre part le Bouddha dit que "il est meilleur de croire à une vie future dans laquelle on ressentira la félicité ou la souffrance ; car si cette croyance est enracinée dans le cœur, il laissera de côté le péché et s'adonnera à la vertu ; et même si une telle résurrection n'existe pas, une vie comme celle-là commandera la considération des hommes et un bon renom. Mais ceux qui croient à l'extinction après la mort, ne manqueront pas de commettre n'importe quel péché, à cause de leur manque de foi en un avenir" 384.
383 Voilà pourquoi Jésus recommande la prière dans la solitude de sa chambre. La prière secrète n'est rien d'autre que la paravidya du philosophe védantin : "Celui qui connaît son âme (son soi intérieur) se retire journellement dans la région de Swarga (le royaume céleste) dans son propre cœur", dit la Brihad-Arangaka. Le philosophe Védantin reconnaît l'Atman, le soi spirituel, comme le Dieu unique et Suprême.
384 Wheel of the Law, p. 54.
L'Epitre aux Hébreux traite du sacrifice du sang. "Là où il y a un testament il est nécessaire que la mort du testateur soit constatée... sans effusion de sang il n'y a pas de pardon." Puis encore : "Christ ne s'est pas non plus attribué la gloire de devenir Grand Prêtre, mais il la doit à celui qui lui a dit : "Tu es mon Fils, JE T'AI ENGENDRÉ AUJOURD'HUI." (Hébreux IX 16, 22 ; V. 5). On en déduit clairement : 1° que Jésus n'était considéré que comme un grand prêtre, ainsi que Melchisédec – autre avatar ou incarnation de Christ, suivant les Pères ; et 2° que l'écrivain considérait que Jésus n'était devenu un "Fils de Dieu", qu'au moment de son initiation par l'eau ; que, par conséquent, il n'était pas un dieu de naissance, et qu'il n'avait pas été engendré physiquement par Lui. Tout initié de la "dernière heure", devenait, du fait de son initiation, un Fils de Dieu. Lorsque Maxime, l'éphésien, initia l'empereur Julien aux Mystères Mithraïques, il prononça comme d'habitude, la formule usuelle du rite en disant : "Par ce sang je te lave de tes péchés. La Parole du Très-Haut est entrée en toi et dorénavant Son Esprit reposera sur le NOUVEAU-NE, engendré en ce moment par le Dieu Suprême... Tu est le fils de Mithra." "Tu es le Fils de Dieu", répétaient les disciples après le baptême du Christ. Lorsque Paul secoua la vipère dans le feu, sans qu'il lui arrivât aucun mal, les habitants de Mélita dirent "que c'était un dieu". (Actes XXVIII, 6). "Il est le fils de Dieu, le Resplendissant !" était le terme employé par les disciples de Simon le Magicien, car ils croyaient reconnaître en lui, "le grand pouvoir de Dieu."
Un homme ne peut avoir de dieu qui ne soit pas limité par ses propres conceptions humaines. Plus l'envergure de sa vision spirituelle est étendue, plus grande aussi sera sa divinité. Mais où en trouverions-nous une plus éclatante démonstration, que dans l'homme lui-même ; dans les pouvoirs spirituels et divins qui demeurent latents dans chaque être humain ? "La capacité même d'imaginer la possibilité des pouvoirs thaumaturgiques, est la preuve de leur existence", dit l'auteur de Prophecy. "Le critique, ainsi que le sceptique, sont généralement inférieurs à la personne ou au sujet qu'ils étudient, et par conséquent ils ne sont guère des témoignages compétents. Quand il y a une contrefaçon, il doit exister quelque part un original 385."
385 Ancient and Modern Prophecy, par A. Wilder.
Le sang engendre les fantômes, et ses émanations donnent à certains esprits les matériaux nécessaires pour édifier leurs apparitions temporaires. "Le sang, dit Lévi, est la première incarnation du fluide universel ; c'est de la lumière vitale matérialisée. Sa naissance est la plus grande de toutes les merveilles de la nature ; il ne vit qu'au moyen de transformations perpétuelles, car il est le Protée universel. Le sang vient de principes où il n'en existait pas avant, et il devient de la chair, des os, des cheveux, des ongles... des larmes et de la sueur. Il ne s'allie ni à la corruption, ni à la mort ; lorsque la vie s'est envolée, sa décomposition commence ; si l'on sait comment le ranimer, lui infuser la vie par une nouvelle magnétisation de ses globules, il reviendra à la vie. La substance universelle, avec son double mouvement, est le grand arcane de l'être ; le sang est le grand arcane de la vie."
"Le sang", dit l'Hindou Ramatsariar, "renferme tous les mystérieux secrets de l'existence ; aucun être vivant ne peut exister sans lui. C'est profaner la grande œuvre du Créateur que de manger du sang."
Moïse, de son côté, se conformant à la tradition et la loi universelle défend de manger le sang.
Paracelse écrit qu'au moyen des émanations du sang, on peut évoquer n'importe quel esprit que l'on voudrait voir ; car avec ses émanations il se façonnera une apparition, un corps visible – mais c'est de la sorcellerie. Les hiérophantes de Baal s'entaillaient profondément le corps et provoquaient ainsi des appartiens objectives et tangibles, au moyen de leur propre sang. Les fidèles d'une certaine secte en Perse, qu'on trouve en grand nombre autour des possessions russes de Temerchan-Shoura et de Derbent, ont leurs [243] mystères religieux dans lesquels ils forment un grand cercle, et tournent en une danse effrénée. Leurs temples sont en ruines et ils pratiquent leur culte dans de grands édifices temporaires, jalousement fermés, où le sol de terre battue est recouvert d'une couche épaisse de sable. Ils portent tous de longues robes blanches et ils ont la tête nue et rasée. Armés de couteaux, ils atteignent bientôt un état d'exaltation furieuse, et se blessent entre eux ainsi que les autres jusqu'à ce que leurs vêtements et le sable sur le sol, soient imprégnés de sang. Avant la fin du "Mystère", chaque homme est accompagné d'un compagnon, qui tourne avec lui. Les danseurs fantômes ont quelquefois des cheveux sur la tête, ce qui les distingue de leurs créateurs inconscients. Ayant fait une promesse solennelle de ne pas révéler les détails principaux de cette terrible cérémonie (à laquelle nous n'avons assisté qu'une seule fois) nous n'en dirons pas plus long 386.
386 Pendant un séjour à Petrovsk (Dhagestan, région du Caucase) nous avons eu l'occasion d'assister à un autre de ces mystères. Ce fut grâce à l'obligeance du prince Melikoff, gouverneur général du Dhagestan, en résidence à Temerchan-Shoura, et surtout du prince Shamsoudine, ex-Shamsal régnant de Tarchoff, Tartare par la naissance, que, pendant l'été de 1865, nous avons assisté à cette cérémonie, d'une espèce de loge privée, construite à distance convenable sous le toit de l'édifice temporaire.
Au temps de l'antiquité, les sorcières de Thessalie ajoutaient quelquefois à leurs rites le sang d'un nouveau-né à celui d'un agneau noir, et par ce moyen elles évoquaient les ombres. On enseignait aux prêtres l'art d'évoquer les esprits des morts, de même que ceux des éléments, mais leur manière d'opérer n'était, certainement, pas celle des sorcières de Thessalie.
Il y a, parmi les Yakouts de Sibérie, une tribu vivant sur les confins de la région transbaïkale, près de la rivière Vitema (Sibérie orientale) où on pratique encore la sorcellerie comme du temps des sorcières thessaliennes. Leurs croyances religieuses sont un curieux mélange de philosophie et de superstition. Ils ont un chef ou dieu suprême Aij-Taion, qui, disent-ils, ne créa pas, mais qui préside à la création de tous les mondes. Il vit dans le neuvième ciel, et ce n'est que depuis le septième que les dieux inférieurs – ses serviteurs – peuvent se manifester à leurs créatures. Ce neuvième ciel, suivant la révélation des divinités inférieures (les esprits, croyons-nous) a trois soleils et trois lunes et le sol de cette demeure est formé de quatre lacs (les quatre points cardinaux) "d'air mou" (éther) au lieu d'eau. Tout en n'offrant aucun sacrifice à la Divinité Suprême, car elle n'en a nul besoin, ils cherchent à se propitier les divinités aussi bien bonnes que mauvaises, auxquelles ils donnent respectivement le nom de dieux "blancs" et dieux "noirs". Ils le font parce que ni l'une, ni l'autre, de ces deux classes n'est assez bonne ou mauvaise par mérite ou démérite personnels. Comme [244] ils sont tous soumis au suprême Aij-Taïon, et que chacun remplir la tâche qui lui a été assignée de toute éternité, ils ne sont pas responsables du bien ou du mal qu'ils font ici-bas. La raison que les Yakouts donnent pour ces sacrifices est fort curieuse. Les sacrifices, disent-ils, aident chaque classe de dieux à mieux accomplir leur mission, afin de satisfaire le Suprême, et tout mortel quel prête son aide en accomplissant son devoir, doit, par conséquent satisfaire également l'Etre Suprême, car il aura prêté son concours à la justice. Comme les divinités "noires" sont chargées d'amener les maladies, les maux et toutes espèces de calamités sur l'humanité, qui sont tous punitions de transgressions quelconques, les Yakouts leur offrent des sacrifices "sanglants" d'animaux ; tandis qu'aux divinités "blanches", ils offrent de pures offrandes, consistant généralement en un animal consacré à un dieu spécial et gardé avec grand soin et cérémonie, comme étant sacré. Suivant eux, les âmes des morts deviennent des "ombres" et sont condamnées à errer sur la terre jusqu'à ce qu'un changement se produise pour le bien ou pour le mal, ce que les Yakouts ne prétendent pas expliquer. Les ombres claires, c'est-à-dire celles des bons, deviennent les gardiens et les protecteurs de ceux qu'ils ont aimés ici-bas ; les ombres "noires" (les méchants) cherchent toujours, au contraire, à faire du mal à leurs connaissances en les poussant au crime, aux actions mauvaises et en nuisant autrement aux mortels. En outre, de même que les anciens Chaldéens, ils comptent sept divins Sheitans (dœmons) ou dieux mineurs. C'est pendant les sacrifices du sang, qui ont lieu la nuit que les Yakouts évoquent les ombres méchantes ou noires, afin de leur demander ce qu'il faut faire pour arrêter leurs méfaits ; c'est pourquoi il faut du sang, car sans ses émanations les fantômes ne pourraient se rendre visibles, et deviendraient, selon eux, encore plus dangereux, car ils le suceraient des vivants par la sueur 387. Quant aux ombres bienfaisantes, les claires, nul n'est besoin de les évoquer ; de plus, cet acte les dérange ; elles peuvent révéler leur présence, lorsque besoin en est, sans autre préparation ou cérémonie.
387 Ceci n'offre-t-il pas un point de comparaison avec les médiums matérialisations ?
On pratique également l'évocation du sang, mais à des fins toutes différentes dans plusieurs parties de Bulgarie et de Moldavie, surtout dans les régions limitrophes des pays musulmans. L'horrible oppression et l'esclavage auxquels ont été soumis depuis des siècles, les infortunés chrétiens, les ont rendus cent fois plus impressionnables et en même temps plus superstitieux que ceux qui habitent les pays civilisés. Chaque sept mai, les habitants des villages et des villes Moldavo-Valaques et Bulgares célèbrent ce [245] qu'ils nomment "la fête des morts". D'immenses foules d'hommes et de femmes, portant tous à la main un cierge allumé, se rendent aux cimetières après le coucher du soleil, et prient sur les tombes de leurs amis décédés. Cette antique et solennelle cérémonie, nommée Trizna, est partout une réminiscence des rites chrétiens primitifs, mais bien plus solennelle encore pendant leur esclavage des musulmans. Chaque tombe est munie d'une espèce d'armoire haute d'une cinquantaine de centimètres, faite de quatre pierres et avec portes à double battants. Ces armoires contiennent ce qu'on appelle le mobilier du défunt : c'est-à-dire des cierges, de l'huile, une lampe de terre cuite, qu'on allume ce jour-là et qui doit brûler pendant vingt-quatre heures. Les riches y placent des lampes en argent, richement ciselées et des images ornées de pierres précieuses, qui ne craignent pas les voleurs, car dans les cimetières ces armoires restent ouvertes à tout venant. La terreur de la population (musulmane et chrétienne) de la vengeance des morts est telle, qu'un voleur qui ne reculerait pas devant un assassinat, n'aurait jamais le courage de toucher à la propriété d'un mort. Les Bulgares croient que tous les samedis et surtout la veille du dimanche de Pâques, et jusqu'à la Trinité (ce qui fait environ sept semaines) les âmes des morts descendent sur terre, quelques-unes pour implorer le pardon des vivants à qui ils ont fait tort ; d'autres pour protéger ceux qui leur sont chers et communier avec eux. Se conformant fidèlement à la tradition de leurs ancêtres, les indigènes allument leurs lampes ou leurs cierges chaque samedi pendant ces sept semaines. En outre, le sept mai, ils arrosent les tombes avec du vin et brûlent de l'encens à l'entour, du coucher au lever du soleil. Chez les habitants des villes la cérémonie est limitée à ces simples pratiques. Mais pour certains ruraux, le rite prend les proportions d'une évocation théurgique. La veille de l'Ascension, les femmes bulgares allument une quantité de cierges et de lampes ; les pots sont placés sur des trépieds et l'encens parfume l'atmosphère des milles à l'entour, et des nuages de fumée blanche enveloppent chaque tombe comme si un voile la séparait de ses voisines. Pendant la soirée, et jusqu'à près de minuit, en souvenir du défunt, les amis et un certain nombre de mendiants sont régalés avec du vin, et du raki (liqueur de raisins) et on distribue de l'argent parmi les pauvres suivant les moyens de la famille. Lorsque la fête est terminée, les invités s'approchent des tombes et s'adressant au défunt par son nom, le ou la remercient des bonnes choses reçues. Lorsque tous se sont retirés à l'exception des proches parents, une femme, généralement la plus âgée de la famille reste seule avec le mort, et – à ce que disent certaines personnes – procède à la cérémonie de l'évocation. [246]
Après quelques ferventes prières, dites la face contre la terre sur la tombe, elle tire quelques gouttes de sang de son sein gauche, qu'elle laisse couler sur la tombe. Cela donne vigueur à l'esprit qui erre par-là, pour lui permettre de prendre pendant quelques instants une forme visible et murmurer ses instructions à l'oreille du théurgiste chrétien, s'il en a à donner, ou simplement pour "bénir celle qui mène le deuil", après quoi il disparaît jusqu'à l'année suivante. Cette croyance est si bien enracinée que nous avons ouï dire que, dans le cas d'une difficulté de famille, une femme moldave pria sa sueur de surseoir à sa décision jusqu'à la nuit de l'Ascension, pour que son père défunt pût leur exprimer lui-même sa volonté et son bon plaisir ; la sueur y consentit comme si leur parent avait été dans la chambre à côté.
On ne peut douter qu'il y ait de terribles secrets dans la nature, ainsi que nous l'avons vu dans le cas du Znachar russe, lorsque le sorcier ne parvient pas ci mourir avant d'avoir transmis le mot à un autre, et les hiérophantes de Magie Blanche ne le font que rarement. Il paraîtrait que la terrible puissance du "Mot"ne puisse être transmise qu'à un seul homme d'un certain district ou à un seul groupe. Lorsque le Brahmâtma était prêt à abandonner le poids de l'existence physique, il transmettait son secret à son successeur, soit oralement, ou par un écrit, renfermé dans un coffret bien scellé qui ne devait être remis qu'en mains propres. Moïse "appose les mains" à son néophyte, Josué, dans les solitudes de Nebo et disparaît pour toujours. Aaron initie Eleazar sur le mont Hor et meurt. Siddhartha- Bouddha promet à ses mendiants avant sa mort, de vivre dans celui qui en sera digne, il embrasse son disciple favori, lui murmure à l'oreille, et meurt ; et comme la tête de saint Jean repose sur le sein de Jésus, celui-ci lui dit "d'attendre" sa venue. Comme les feux-signaux de l'antiquité, qu'on allumait ou éteignait par intervalles au sommet d'une colline, puis d'une autre, portaient les nouvelles d'un bout du pays à l'autre, nous voyons que les "sages" depuis les temps immémoriaux jusqu'à nos jours communiquent au monde la parole de sagesse à leurs successeurs. Transmis d'un "voyant" à un autre, le "Mot" brille comme un éclair et emportant à tout jamais l'initiateur, il met en vue le nouvel initié. Pendant ce temps, des nations entières s'entretuent au nom d'un autre "Mot", substitut vide de sens, accepté au pied de la lettre par chacune et faussement interprété par toutes.
Nous n'avons rencontré que peu de sectes pratiquant véritablement la sorcellerie. Une de celles-ci sont les Yézidis, que quelques-uns considèrent comme une branche des Kurdes, mais nous croyons que c'est à tort. Ils résident principalement dans les montagnes et les districts arides de la Turquie d'Asie, du côté de Mosoul [247] en Arménie, et on les rencontre jusqu'en Syrie 388 et en Mésopotamie. On les connaît comme adorateurs du diable et c'est le nom qu'on leur donne partout ; et certes, ce n'est ni par ignorance, ni par étroitesse d'esprit qu'ils ont fondé le culte et une communication régulière avec les éléments et les élémentaires les plus malfaisants et de la plus basse classe. Ils reconnaissent la malignité actuelle du chef des "puissances noires" ; mais en même temps ils craignent son pouvoir et cherchent par conséquent, à se concilier ses faveurs. Celui-ci est en lutte ouverte avec Allah, disent-ils, mais une réconciliation peut intervenir à n'importe quel moment ; et ceux qui ont manqué de respect au "noir", peuvent en souffrir à l'avenir, et ils auront ainsi contre eux Dieu et le Diable. Ce n'est qu'une ruse politique pour se propitier sa Majesté Satanique, qui n'est que le grand Tchernobog (le dieu noir) des Variagi Russ, les anciens Russes idolâtres, antérieurs à Vladimir.
388 Les Yézidis comptent en tout un peu plus de 200.000 âmes. Les tribus qui habitent le pachalik de Bagdad, et qui sont répandues sur toutes les montagnes de Sindjar, sont les plus dangereuses et sont universellement détestées à cause de leurs méchantes pratiques. Leur principal cheik habite constamment prés du tombeau de leur prophète et réformateur Adi, mais chaque tribu choisit son propre Cheik parmi les plus versés dans l'art de la "Magie noire". Cet Adi, ou Ad est un de leurs ancêtres mystiques, et il n'est autre que Adi – le Dieu de la sagesse ou le Ab-ad des Parsis, le premier ancêtre de la race humaine, ou bien encore 1 Adh-Bouddha des hindous, antropomorphisé et dégénéré.
De même que Wierus, le célèbre démonographe du XVIème siècle (qui donne dans son Pseudomonarchia Dæmonum, une description et une nomenclature régulière de la cour diabolique, avec ses dignitaires, ses princes, ses ducs, ses nobles et ses officiers), les Yezidis reconnaissent tout un panthéon de diables et ils se servent des Jakshas, les esprits de l'air, pour transmettre leurs prières et leurs compliments à Satan, leur maître, et aux Afrites du désert. Pendant leurs réunions de prières, ils joignent les mains, et forment d'immenses cercles, avec leur cheik ou un prêtre officiant au centre, qui bat des mains et entonne chaque verset en honneur de Sheitan (Satan) Ils tournoient alors en rond en sautant en l'air. Lorsque la frénésie est parvenue à son comble, ils s'infligent souvent des blessures et se coupent avec leurs poignards, et rendent, à l'occasion, le même service à leurs voisins. Mais leurs blessures ne se cicatrisent ni ne se guérissent aussi facilement que celles des lamas et des saints, car trop souvent ils meurent victimes de ces blessures qu'ils se sont infligées. Tout en dansant, et brandissant leurs poignards sans desserrer les mains – car ce serait considéré comme un sacrilège, et l'enchantement serait aussitôt brisé – ils supplient et louent Sheitan afin que celui-ci se manifeste dans ses œuvres par des "miracles" Leurs rites ayant lieu surtout la nuit, ils ne manquent pas d'obtenir des manifestations de [248] différentes sortes, dont les moindres sont d'énormes boules de feu, qui prennent la forme d'animaux les plus extraordinaires.
Lady Hester Stanhope, dont le nom a été pendant longtemps une puissance parmi les fraternités maçonniques de l'Orient, assista, dit-on, en personne à plusieurs de ces cérémonies Yézidéennes. Un Ockhal de la secte des Druses, nous a dit qu'après avoir assisté à une de ces "Messes du Diable" des Yézidis, comme on les appelle, cette dame extraordinaire, si célèbre pour son courage et son audacieuse bravoure, s'évanouit, et que, malgré son accoutrement habituel d'Emir masculin, on eut toutes les peines du monde à la rappeler à la vie et à la santé. A notre grand regret, nous n'avons jamais réussi malgré nos efforts à assister à une de ces séances.
Dans un récent article d'un journal catholique au sujet du Nagualisme et du Vaudou, on prétend que Haïti serait le centre des sociétés secrètes, où l'on pratiquerait de terribles formes d'initiations et des rites sanglants, et où des enfants nouveau-nés seraient sacrifiés et mangés par les adeptes ! On y cite un certain voyageur français, nommé Piron, décrivant, tout au long, une horrible scène à laquelle il assista à Cuba, dans la maison d'une dame, qu'il n'aurait jamais soupçonnée d'aucun lien avec une secte aussi monstrueuse ! Une jeune fille blanche, tout à fait nue remplissait l'office de prêtresse vaudou et devenait frénétique par des danses et des incantations qui suivirent le sacrifice d'une poule blanche et d'une autre noire. Un serpent dressé à ce rôle, et agissant sous l'influence de la musique, s'enroulait autour des membres de la jeune fille, et ses mouvements étaient surveillés par les fidèles qui dansaient autour d'elle ou qui restaient à épier ses contorsions. Le spectateur s'enfuit enfin, horrifié, en voyant la malheureuse jeune fille tomber tordue dans une crise d'épilepsie."
Tout en regrettant un pareil état de choses dans des pays chrétiens, l'article catholique en question voit dans l'attachement tenace aux rites religieux de leurs ancêtres, la preuve de la dépravation du cœur humain, et il fait un fervent appel au zèle des catholiques. Outre qu'il se fait l'écho de l'absurde fiction des nouveau-nés mangés, l'auteur paraît être tout à fait inconscient du fait que la dévotion pour une croyance que des siècles de cruelles et sanglantes persécutions n'ont pas réussi à réprimer, fait des héros et des martyrs d'un peuple, tandis que la conversion à une autre religion ne ferait d'eux que des renégats. Une religion de contrainte ne peut donner naissance qu'à la tromperie. La réponse donnée par quelques Indiens au missionnaire Margil, vient corroborer cette banalité. La question qui leur avait été posée était la suivante : "Comment se fait-il que vous soyez si païens dans l'âme après avoir été des chrétiens depuis si longtemps ?" Ils répondirent : [249] "Que feriez-vous, père, si des ennemis de votre foi entraient dans votre pays ? Ne prendriez-vous pas tous vos livres, vos vêtements sacerdotaux et tous les attributs de votre religion, pour vous retirer dans les cavernes les plus secrètes de vos montagnes ? C'est justement ce que nos prêtres, nos prophètes, nos devins et nos nagualistes ont fait jusqu'à maintenant et ce qu'ils font encore."
Une réponse de cette nature venant d'un catholique romain, à la question d'un missionnaire de l'Eglise grecque ou protestante lui vaudrait la couronne de saint dans le martyrologe papal. Quoi de plus beau que la religion "païenne", qui oblige saint François Xavier à rendre hommage aux Japonais en disant que "en ce qui concerne la vertu et la probité ils surpassaient toutes les nations à sa connaissance" ; une telle religion "païenne" est préférable à un christianisme qui, pour avancer sur la terre, anéantit des nations aborigènes comme un ouragan de feu 389. La maladie, l'ivrognerie et la démoralisation sont les résultats immédiats de l'apostasie de la foi de leurs pères et d'une conversion à une religion de pure forme.
389 En moins de quatre mois, nous avons trouvé dans les journaux hebdomadaires quarante-sept cas de crimes, allant de l'ivrognerie jusqu'au meurtre, commis par des ecclésiastiques dans les seuls Etats-Unis d'Amérique. A la fin de 'année nos correspondants de l'Orient auront de précieux faits à mettre en regard des dénonciations des missionnaires au sujet des écarts "païens" de conduite.
Inutile de demander à ses antagonistes ce que le christianisme est en train de faire de l'Inde anglaise. Le capitaine O'Grady, exfonctionnaire anglais nous dit : "Le Gouvernement anglais commet une action honteuse en transformant les sobres indigènes de l'Inde en une nation d'ivrognes. Et cela par pure cupidité. La religion des Hindous aussi bien que celle de Mahomet prohibe l'usage des liqueurs fortes. Mais... la boisson devient de jour en jour plus fréquente... Ce que le maudit trafic de l'opium imposé à la Chine par la rapacité anglaise, a fait pour cet infortuné pays, la vente des liqueurs fortes par le gouvernement va probablement le faire pour l'Inde. Car c'est un monopole du Gouvernement, à peu près du même modèle que le monopole gouvernemental du tabac en Espagne... Les domestiques indigènes des familles européennes vivant en dehors de la maison deviennent généralement des ivrognes invétérés... Les domestiques intérieurs ont en général, horreur de l'ivrognerie et en cela ils sont infiniment plus respectables que leurs maîtres... tout le monde est adonné à la boisson... les évêques, les prêtres, tous, jusqu'aux demoiselles fraîchement débarquées de leurs pensionnats."
Voilà, certes, les "bénédictions" que la religion chrétienne moderne apporte aux "pauvres païens" avec ses Bibles et ses Catéchismes. Le rhum et l'abâtardissement en Hindoustan ; [250] l'opium en Chine ; le rhum et les désordres impurs à Tahiti ; et pire que tout, l'exemple de l'hypocrisie dans la religion ; un athéisme et un scepticisme pratiques, qui puisqu'ils semblent assez bons pour les gens civilisés, peuvent bien, avec le temps, l'être également pour ceux que la théologie n'a que trop maintenus sous un joug écrasant. D'autre part, tout ce qui est noble, spirituel, élevé dans l'ancienne religion est répudié s'il n'est pas délibérément falsifié.
Prenez saint Paul, par exemple, et lisez le peu qui reste d'original dans les écrits qu'on attribue à cet homme courageux, honnête et sincère, et voyons si nous y trouvons une seule expression pour démontrer que saint Paul reconnaissait dans le mot Christ autre chose que l'idéal abstrait de la divinité personnelle latente dans chaque homme. Pour Paul, le Christ n'est point un personnage, mais une idée incorporée. "Si un homme est en Christ, il est une nouvelle création", il est né de nouveau, comme après l'initiation, car le Seigneur est esprit – l'esprit de l'homme. Paul était le seul de tous les apôtres qui eût compris les idées secrètes à la base des enseignements de Jésus, bien que ne l'ayant jamais rencontré. Mais Paul était passé par l'initiation ; et, désireux d'inaugurer une nouvelle et large réforme, qui embrasserait l'humanité entière, il éleva sa doctrine en toute sincérité bien au-dessus de la sagesse des âges, au-dessus des anciens Mystères et de la révélation ultime des époptae. Ainsi que le prouve avec beaucoup de raison le professeur A. Wilder, dans divers articles, ce ne fut pas Jésus, mais bien Paul le véritable fondateur du christianisme. "Ce fut à Antioche que, pour la première fois, les disciples furent appelés chrétiens", disent les Actes des Apôtres XI, 26. "Les hommes comme Irénée, Epiphane et Eusèbe ont transmis à la postérité une réputation de mensonge et de pratiques malhonnêtes ; et le cœur se serre aux récits des crimes commis pendant cette période", écrit cet auteur dans un récent article 390. "N'oublions pas, ajoute-t-il, que lorsque les Musulmans envahirent la Syrie et l'Asie Mineure pour la première fois, ils furent accueillis avec joie par les Chrétiens de ces contrées, comme des libérateurs de l'oppression intolérable des autorités gouvernantes de l'Eglise."
390 Evolution, art. Paul, le fondateur du Christianisme.
Mahomet ne fut jamais considéré comme un dieu, et il ne l'est pas non plus aujourd'hui ; néanmoins, sous l'empire de son nom, des millions de Musulmans ont servi leur Dieu avec une ardeur qui n'a jamais été égalée par les sectaires chrétiens. Qu'ils aient lamentablement dégénéré depuis l'époque de leur prophète, ne change rien à la chose elle-même, mais prouve, au contraire, la prépondérance de la matière sur l'esprit dans le monde entier. En [251] outre ils n'ont pas dégénéré de leur foi primitive plus que les chrétiens eux-mêmes. Pourquoi, alors, Jésus de Nazareth, mille fois plus grand, plus noble et moralement plus élevé que Mahomet, ne serait-il pas vénéré et suivi pratiquement par les chrétiens, au lieu d'être aveuglément et stérilement adoré, comme un dieu, et invoqué à la façon de certains bouddhistes, qui tournent leur moulin à prières. Nul ne doute aujourd'hui que cette religion ne soit devenue stérile, et qu'elle ne mérite pas plus le nom de christianisme que le fétichisme des Kalmouks ne mérite celui de la philosophie prêchée par Bouddha. "On ne devrait pas nous imputer la croyance, dit le Dr Wilder, que le christianisme moderne ait un rapport quelconque avec la religion prêchée par Paul. Il manque de sa largeur de vues, de son sérieux, de sa subtile perception spirituelle. Subissant l'influence des nations qui la professent, il présente autant de formes qu'il y a de races. Il est en Italie et en Espagne une chose, mais il diffère grandement en France, en Allemagne, en Hollande, en Suède, en Grande-Bretagne, en Russie, en Arménie, au Kurdistan et en Abyssinie. Comparé aux cultes qui l'ont précédé, le changement semblerait être plus dans le nom que dans l'essence. Les hommes s'étaient couchés païens et réveillés chrétiens. En ce qui concerne le Sermon sur la Montagne, ses doctrines principales sont plus ou moins répudiées par chaque communauté chrétienne de quelque importance. La barbarie, l'oppression et la cruauté des punitions sont aussi communes aujourd'hui qu'à l'époque du paganisme.
"Le christianisme de Pierre n'existe plus ; il a été supplanté par celui de Paul, et celui-ci, à son tour, s'est fondu dans les autres religions mondiales. Lorsque l'humanité sera éclairée, ou que les races barbares auront été remplacées par celles d'instincts et de sentiments plus nobles, les excellences idéales deviendront des réalités.
"Le Christ de Paul est une énigme qui demande les plus grands efforts pour être résolue. Il était quelque chose d'autre que le Jésus des Evangiles. Paul méprisait leurs généalogies interminables, l'auteur du IVème Evangile, lui-même gnostique d'Alexandrie, décrit Jésus comme ce que nous appellerions aujourd'hui, un esprit divin "matérialisé". Il était le Logos, ou la Première Emanation – le Métathron... La mère de Jésus, de même que la princesse Maya, Danaé, ou peut-être Périktioné, avait donné naissance, non à un enfant de l'amour, mais à un rejeton divin. Aucun Juif d'une secte quelconque, aucun apôtre, aucun croyant primitif, n'a jamais mis en avant une pareille idée. Paul parle du Christ comme d'un personnage plutôt que d'une personne. Les leçons sacrées des assemblées secrètes personnifiaient souvent la bonté et la vérité divines sous une forme humaine, sujette aux passions et aux appétits [252] humains, mais leur étant supérieure ; et cette doctrine émergeant de la crypte, fut accaparée par des gens d'église et les esprits grossiers comme celle d'une conception immaculée et d'une incarnation divine."
Dans le vieux livre, publié en 1693, œuvre du sieur de la Loubère, ambassadeur de France auprès du roi de Siam, nous trouvons de nombreux faits fort intéressants au sujet de la religion siamoise. Les observations du caustique français sont si à propos, que nous donnons, ci-après, ses appréciations sur le sauveur siamois – Sommona-Cadom.
"Bien qu'ils prétendent que la naissance de leur sauveur ait été miraculeuse, ils n'hésitent pas à lui reconnaître un père et une mère 391. Sa mère, dont le nom se trouve dans quelques livres Balie (Pali ?) s'appelait, disent-ils, Maha MARIA, qui signifie, parait-il, la grande Marie, car Maha veut dire grand. Quoi qu'il en soit, cela ne cesse d'attirer l'attention des missionnaires, et a, peut-être, donné l'occasion aux Siamois de croire que Jésus étant le fils de Marie, il était le frère de Sommona-Cadom et que, ayant été crucifié, il était le méchant frère qu'ils attribuent à SommonaCadom, sous le nom de Thevetat, et ainsi, disent-ils, fut puni en enfer, sa punition participant du supplice de la croix... Les Siamois attendent la venue d'un autre Sommona-Cadom, c'est-à-dire, d'un autre homme miraculeux comme lui, auquel ils ont déjà donné le nom de Pronarote, et dont Sommona a annoncé la naissance. Il fit toutes sortes de miracles... Il avait deux disciples, représentés debout de chaque côté de son idole, un à droite et l'autre à gauche... le premier se nomme Pra-Magla, et l'autre Pra-Scaribout... Le père de Sommona-Cadom était, toujours suivant ce livre Balie, un roi de Teve Lanca, c'est-à-dire de Ceylan. Mais les livres Balie ne portant aucune date, ni le nom de l'auteur n'ont pas plus de valeur que toutes les traditions dont l'origine est inconnue 392.
391 Nous lisons dans l'Epître aux Galathes, IV, 4 : "Mais lorsque les temps ont été accomplis, Dieu a envoyé son Fils, né d'une femme, né sous la loi."
392 La date de ces livres Pali a été pleinement établie dans le siècle actuel, assez bien du moins, pour démontrer qu'ils existaient à Ceylan en l'an 316 avant J.-C., lorsque Mahinda, le fils d'Asoka y vivait. (Voyez Max Muller, Chips, etc. Vol. I, sur le Bouddhisme).
393 A New Historical Relation of the Hingdom of Siam, par M. de la Loubère, Envoyé de France au Siam, 1687-1688, chap. XXV, Londres ; Divers Observations to be Made in Preaching the Gospel to the Orientale.
Ce dernier argument est aussi mal avisé qu'il est naïf. Nous ne connaissons pas de livre, dans le monde entier, dont l'authenticité soit moins établie en tant que date, noms d'auteurs ou traditions, que notre Bible chrétienne. Dans ces conditions les Siamois ont autant de raison pour croire à leur Sommona-Cadom miraculeux, que les chrétiens à leur Sauveur de naissance miraculeuse. Ceux-ci n'ont, en outre, pas plus de droit d'imposer leur religion aux Siamois chez eux, ou à n'importe quel autre peuple, [253] contre leur volonté, que les prétendus païens "de forcer à la pointe de l'épée la France ou l'Angleterre à se convertir au Bouddhisme". Un missionnaire bouddhiste, même dans la libre Amérique, risquerait fort d'ameuter la foule contre lui, mais cela n'empêche pas les missionnaires de diffamer ouvertement la religion des Brahmanes, des Lamas et des Bonzes, et ceux-ci ne sont pas toujours libres de leur répondre. C'est ce qu'on appelle répandre la bienfaisante lumière du christianisme et de la civilisation, sur les ténèbres du paganisme !
Néanmoins, nous voyons que ces prétentions – qui pourraient paraître ridicules si elles n'étaient aussi fatales pour des millions de nos semblables, qui ne demandent qu'à ce qu'on les laisse en paix, étaient pleinement appréciées déjà au XVIIème siècle. Car voici que ce même spirituel M. de la Loubère, sous prétexte d'une pieuse sympathie, donne de fort curieuses indications aux autorités ecclésiastiques en Europe 393, indications qui condensent l'âme même du Jésuitisme.
Le rapport du sieur de la Loubère au roi, fut fait, ainsi que nous le constatons, en 1687-1688. On voit jusqu'à quel point sa proposition pour supprimer et dissimuler l'enseignement du christianisme donné aux Siamois, eut l'approbation des Jésuites, par le passage, cité d'autre part, de la Thèse prononcée par les Jésuites de Caen (Thesis propugnata in regio. Soc. Jes. Collegio, celeberrimae Academiae Cadoniensis, die Veneris, 30 janv. 1693), où il est dit : "… ni les Pères de la Société de Jésus ne dissimulent lorsqu'ils adoptent les préceptes et les vêtements des Talapoins du Siam". Dans l'espace de cinq années la parcelle de levain de l'Ambassadeur avait fait lever toute la pâte.
"D'après ce que j'ai déjà dit au sujet des opinions des Orientaux, remarque-t-il, il est aisé de se faire une idée de la difficulté qu'on éprouve à leur faire accepter la religion chrétienne ; et combien il est important que les missionnaires qui prêchent l'Evangile en Orient, sachent comprendre les coutumes et les croyances de ces peuples. Car, de même que les apôtres et les premiers chrétiens, lorsque Dieu confirmait leur enseignement par de nombreux miracles, ne révélèrent pas d'un seul coup aux païens tous les mystères que nous adorons, mais leur cachèrent pendant longtemps ainsi qu'aux catéchumènes, la connaissance de ceux qui auraient pu leur causer du scandale ; il semble fort rationnel que les missionnaires qui ne possèdent pas le don de miracle, ne devraient pas révéler d'emblée aux Orientaux tous les mystères et les pratiques du christianisme.
"Il serait prudent, par exemple, ou je me trompe fort, de ne leur parler qu'avec les plus grandes réserves, du culte des saints ; et quant à ce qui a rapport à Jésus-Christ, je crois qu'il serait bon de le leur faire connaître, pour ainsi dire, mais sans mentionner le [254] mystère de l'Incarnation, jusqu'à ce qu'ils aient été convaincus de l'existence d'un Dieu Créateur. Car quelle probabilité y aurait-il en premier lieu, de persuader aux Siamois d'enlever de leurs autels Sommona-Cadom, Pra-Magla et Pra-Scaribout, pour y mettre à la place, Jésus-Christ, saint Pierre et saint Paul ? Il serait peut-être plus prudent de ne point leur prêcher Jésus-Christ crucifié, jusqu'à ce qu'ils aient compris qu'on puisse être infortuné et innocent ; et que, suivant la règle reconnue par eux- mêmes, que l'innocent puisse prendre sur lui tous les crimes des coupables, il a été nécessaire qu'un dieu fût fait homme afin que cet homme-Dieu, par une vie laborieuse et une mort ignominieuse mais volontaire, rachetât tous les péchés des hommes ; mais avant tout, il serait nécessaire de leur donner une idée véritable du Dieu Créateur, justement courroucé contre les hommes. Après cela, l'Eucharistie ne scandalisera point les Siamois, comme elle scandalisa anciennement les païens d'Europe ; car les Siamois ne croient pas que Sommona- Cadom puisse donner sa femme et ses enfants à manger aux Talapoins.
"Bien au contraire, comme les Chinois professent un respect scrupuleux pour leurs parents, je crains fort que si on mettait les Evangiles entre leurs mains, ils seraient scandalisés par le passage où, lorsqu'on dit à Jésus que sa mère et ses frères le demandaient, il répondit de manière à faire comprendre le peu de cas qu'il en faisait, et affecta de ne les point connaître. Ils ne s'offenseraient pas moins de ces autres paroles mystérieuses que notre divin Sauveur prononça lorsque le jeune homme désirait aller enterrer ses parents : "laissez les morts enterrer leurs morts dit-il. Qui ne connaît la gêne que les Japonais, exprimèrent à saint François-Xavier, par rapport à la damnation éternelle, ne pouvant croire que leurs parents décédés étaient voués à une si terrible infortune par la seule raison qu'ils n'avaient pas embrassé le Christianisme dont ils n'avaient jamais entendu parler... Il serait donc nécessaire, pour détruire et adoucir cette pensée, par les moyens employés par ce grand apôtre des Indes, d'établir, avant tout, la notion d'un Dieu tout- puissant, omniscient et souverainement juste, créateur de tout ce qui est bien, et auquel tout est dû, et à la volonté duquel nous sommes redevables du respect que nous devons aux rois, aux évêques, aux magistrats et à nos propres parents.
"Ces exemples suffisent pour démontrer quelles précautions sont nécessaires pour préparer les esprits des Orientaux à penser comme nous, et d'éviter qu'ils ne s'offensent de la plus grande partie des articles de foi de la religion chrétienne" 394. [255]
394 Dans un discours entre Hermès et Thoth, le premier dit : "Il est impossible que la pensée puisse avoir une conception correcte de Dieu... On ne peut décrire au moyen d'organes matériels ce qui est immatériel et éternel... L'un est une perception de l'esprit et l'autre une réalité.
395 Contemporary Review, p. 588, juillet 1870.
396 Livre de Ser Marco Polo, vol. II.
397 Ibidem.
398 Dec., v. lib. VI, chap. 2
Que reste-t-il, alors, à prêcher ? nous est-il permis de demander. Sans Sauveur, sans rédemption, sans crucifixion pour les péchés des hommes, sans Evangile, sans la menace d'une damnation éternelle, sans miracles à faire miroiter à leurs yeux, que restait-il alors aux Jésuites à mettre devant les Siamois, sinon la poussière des sanctuaires païens pour leur aveugler la vue ? Le sarcasme est acerbe, en vérité. La moralité que pratiquent ces pauvres païens, enseignée par la foi de leurs ancêtres est si pure, que le Christianisme doit être dépouillé de toute marque distinctive avant que ses prêtres puissent se permettre de le leur proposer. Une religion qu'on ne peut laisser scruter par un peuple sans malice, modèle de piété filiale, foncièrement honnête, qui professe une vénération profonde pour son Dieu et une horreur instinctive pour tout ce qui pourrait profaner Sa Majesté, une telle religion, disons-nous, ne peut être fondée que sur l'erreur. Et que ce soit le cas, notre siècle est en train d'en faire, petit à petit, l'expérience.
Il ne fallait pas s'attendre, dans cette spoliation en règle du Bouddhisme pour édifier la nouvelle religion chrétienne, à ce qu'un caractère aussi sublime que celui de Gautama-Bouddha restât inaperçu. Il était tout naturel qu'après avoir adopté son histoire légendaire pour combler les vides de celle fictive de Jésus, et après avoir fait usage de tout ce qu'on pouvait prendre dans celle de Christna, on s'emparât de l'homme Sakya-muni pour le faire figurer dans le calendrier sous un nom d'emprunt. C'est ce qu'ils firent, et le sauveur hindou prit place, en temps opportun, dans la liste des saints sous le nom de Josaphat, en compagnie des martyrs de la religion : saints Aura, Placida, Longinus et Amphibolus.
Il existe même à Palerme, une église dédiée au Divo Josaphat. Entre autres vains efforts des auteurs ecclésiastiques pour établir la généalogie de ce saint mystérieux, le plus original de tous fut celui qui en fit Josué, fils de Nun. Mais, ces légères difficultés une fois surmontées, nous retrouvons l'histoire de Gautama prise dans les livres sacrés bouddhistes et reproduite mot à mot dans la Légende Dorée. Les noms des personnages sans forme ne peut être saisi au moyen de nos sens ordinaires. C'est ainsi que je comprends O Thoth, que Dieu est ineffable.
Dans le Catéchisme des Parsis traduit par M. Dadabhai Naoroji, on lit ce qui suit : "Q. – Quelle est la forme de Dieu ?".
"R. – Notre Dieu n'a ni figure ni forme, ni couleur, ni proportion, ni place fixe. Il ne ressemble à aucun. Il est Lui-même, unique, et sa gloire est telle que nous ne pouvons ni faire Sa louange ni Le décrire ; notre esprit est incapable de Le comprendre".
sont changés, mais le lieu de l'action, l'Inde, demeure le même, aussi bien dans la légende chrétienne [256] que dans la bouddhique. On la trouve également dans le Speculum Historiale, de Vincent de Beauvais, qui date du XIIIème siècle. La découverte fut faite par l'historien de Couto, bien que le professeur Müller attribue la première reconnaissance de l'identité des deux récits de M. Laboulaye, en 1859. Le colonel Yule, nous dit que 395 les histoires de Barlaam et de Josaphat étaient connues de Baronius, et qu'on les trouve à la page 348 de Roman Martyrology, édité sur l'ordre du pape Grégoire XIII, et revu sous l'autorité du pape Urbain VIII, traduit du latin en anglais par G. K., de la Société de Jésus 396.
II serait oiseux et inutile de reproduire ici ne fut-ce qu'une partie de toutes ces sottises ecclésiastiques. Que celui qui aurait des doutes à cet égard, ou qui voudrait en prendre connaissance, lise le récit tel que le donne le colonel Yule. Quelques-unes 397 des données chrétiennes et ecclésiastiques paraissent même avoir embarrassé Dominie Valentyn car il dit : "II y en a qui prétendent que ce Boudhum était un Juif fugitif de la Syrie ; d'autres veulent qu'il ait été un disciple de l'apôtre Thomas ; mais alors, dans ce cas, comment aurait-il pu naître 622 ans avant le Christ ; je les laisse répondre à cette question. Diego de Couto maintient que c'était certainement Josué, ce qui est encore plus absurde".
Le roman religieux intitulé : L'Histoire de Barlaam et de Josaphat, fut pendant plusieurs siècles un des ouvrages les plus populaires de la chrétienté", dit le colonel Yule. "On le traduisit dans toutes les principales langues européennes, y compris le scandinave et le slavon... Ce récit paraît pour la première fois dans les ouvrages de saint Jean de Damas, théologien de la première partie du VIIIème siècle. C'est donc le secret de son origine, car ce saint Jean, avant de devenir prêtre, occupait un emploi élevé à la cour du Khalife Abou Jafar Almansour, où il entendit probablement raconter l'histoire et il l'adapta, plus tard, aux besoins de la nouvelle orthodoxie de Bouddha devenu un saint chrétien.
Après avoir répété le plagiat, Diego de Couto, qui semble peu disposé à abandonner la notion que Gautama était Josué, dit : "Les Gentils de l'Inde entière, ont élevé de grandes et superbes pagodes à ce nommé Budâo. Parlant de ce récit, nous avons recherché avec soin si les anciens Gentils de ce pays avaient eu connaissance dans leurs écritures d'un saint Josaphat, qui avait été converti par Balaam, lequel, dans la légende est représenté comme étant le fils d'un grand roi de l'Inde, et qui fut élevé de la même manière que le récit que nous avons fait de la vie du Budâo. Et [257] comme je voyageais dans l'île de Salsette, j'allai voir cette rare et admirable pagode qu'on nomme Canara Pagoda (les grottes de Kanhàri) ayant plusieurs salles creusées à même la roche de la montagne, et ayant demandé à un vieillard ce qu'il pensait de l'ouvrage et qui l'avait exécuté, il nous dit, que sans aucun doute il avait été creusé par ordre du père de saint Josaphat, afin de l'élever dans la réclusion, ainsi que le dit l'histoire. Et comme on nous informe qu'il était fils d'un grand roi de l'Inde, il se peut bien, comme je l'ai déjà dit, qu'Il était le Budâo, dont on raconte tant de merveilles 398."
De plus la légende chrétienne est puisée, dans presque tous les détails, dans la tradition cingalaise. C'est sur cette île que naquit la tradition de Gautama refusant le trône de son père et du roi lui faisant élever un superbe palais, où il le garda demi prisonnier, entouré de toutes les tentations de la vie et du luxe. Marco Polo la reproduisit telle qu'il l'avait eue des Cingalais et, aujourd'hui, sa version se trouve être la fidèle répétition de ce qu'on lit dans divers ouvrages bouddhiques. Comme le dit Marco Polo avec naïveté, le Bouddha vécut une vie si austère et si sainte, il pratiqua l'abstinence à un tel point, "qu'on aurait pu le prendre pour un chrétien. Et, en vérité, ajoute-t-il, s'il l'avait été, il aurait été un des grands saints de notre Seigneur Jésus-Christ, tellement sa vie était pure et bonne". A ce pieux apophtègme, son éditeur remarque avec raison que "Marco n'est pas le seul qui ait exprimé une pareille appréciation de la vie de Sakya-muni". De son côté le professeur Max Müller dit : "Malgré tout ce que nous pouvons penser de la sainteté des saints, que ceux qui doutent du droit du Bouddha de prendre place parmi eux, lisent le récit de sa vie tel qu'il est relaté dans les canons bouddhiques. S'il vécut la vie qu'ils décrivent, il y a peu de saints qui mériteraient mieux ce nom que le Bouddha ; et ni l'Eglise grecque ni l'Eglise Romaine n'ont à rougir d'avoir honoré sa mémoire dans saint Josaphat, le prince, l'ermite et le saint."
Jamais l'Eglise Catholique Romaine n'eut une meilleure occasion de christianiser toute la Chine, le Tibet et la Tartarie, qu'au XIIIème siècle, pendant le règne de Kublai-Khan. Il semble étrange qu'elle n'en ait pas saisi l'occasion lorsque Kublai hésitait, à un moment donné, entre les quatre religions du monde, et peut être bien qu'à cause de l'éloquence de Marco Polo, il aurait favorisé le Christianisme plutôt que le Mahométisme, le Judaïsme ou le Bouddhisme. Marco Polo et Ramusio, un de ses interprètes nous disent pourquoi. Il paraît que, malheureusement pour Rome, l'ambassade du père et de l'oncle de Marco, échoua par suite du décès [258] de Clément IV juste à ce moment-là. Il n'y eut pas de Pape pendant plusieurs mois, pour recevoir les ouvertures amicales de Kublai Khan ; et ainsi, les cent missionnaires chrétiens invités par lui ne purent être envoyés au Tibet et en Tartarie. Pour ceux qui croient qu'une divinité intelligente prend soin, là-haut, du bien-être de notre misérable petit monde, ce contre-temps est une preuve évidente que le Bouddhisme, devait l'emporter sur le Christianisme. Qui sait, si le Pape Clément ne tomba pas malade à la seule fin d'empêcher les Bouddhistes de sombrer dans l'idolâtrie du catholicisme Romain ?
Du bouddhisme pur, la religion de ces contrées a dégénéré en Lamaïsme ; mais celui-ci, malgré tous ses défauts, qui ne sont que dans la forme et ne nuisent en rien à la doctrine elle-même, est encore bien au- dessus du Christianisme. Le pauvre abbé Hue s'en aperçut bien vite à ses dépens. Voyageant avec sa caravane, il écrit : "tout le monde nous disait, lorsque nous avancions vers l'ouest, que nous verrions les doctrines devenir de plus en plus claires et plus sublimes. Lha-Ssa était le grand foyer de lumière, dont les rayons s'affaiblissaient à mesure de leur éloignement."Un jour il exposa à un lama tibétain un bref sommaire de la doctrine chrétienne ; elle n'apparut à celui-ci en aucune manière étrangère [ce qui ne nous étonne point] et il affirma qu'il [le catholicisme] ne différait pas beaucoup de la religion des grands lamas du Tibet... "Ces paroles du Tibétain ne nous surprirent pas peu", écrit le missionnaire ; "nous constatâmes l'unité de Dieu, le mystère de l'Incarnation, le dogme de la présence véritable, dans sa religion... La lumière nouvelle jetée sur la religion du Bouddha, nous laissa vraiment croire que nous trouverions chez les lamas du Tibet une doctrine plus pure" 399. Les louanges du lamaïsme de cette nature qui abondent dans l'ouvrage de l'abbé Hue, furent la raison de sa mise à l'Index à Rome, et lui valurent d'être défroqué.
399 Voyages en Tartarie, etc., pp. 121-122.
Lorsqu'on demanda à Kublai Khan, pourquoi, puisqu'il considérait la religion chrétienne comme étant la meilleure de celles qu'il protégeait, il ne l'adoptait pas, sa réponse fut aussi suggestive qu'elle est curieuse : "Comment voulez-vous que je me fasse chrétien ? Quatre prophètes sont vénérés et adorés dans le monde. Les Chrétiens disent que leur Dieu est Jésus-Christ ; les Sarrasins, Mahomet ; les Juifs, Moïse ; les idolâtres, Sogomon-Borkan (Sakya-muni Burkham, ou Bouddha) qui était le premier dieu parmi les idoles ; moi je les adore et les respecte tous les quatre, et je prie celui, parmi eux, qui est le plus grand au ciel, de me venir en aide". [259]
Le prudence du Khan prêterait à rire ; on ne saurait le blâmer de s'en remettre plein de foi, à la Providence elle-même, pour la solution du dilemme. Une de ses objections les plus insurmontables pour embrasser le christianisme fut donnée à Marco : "Vous voyez que les chrétiens de par ici sont si ignorants, qu'ils ne font rien et ne peuvent rien faire, tandis que les idolâtres font tout ce qu'ils veulent, au point que lorsque je suis à table, les tasses viennent à moi du centre de la salle, pleines de vin ou de liqueurs, sans être touchées par qui que ce soit, et que je les bois. Ils contrôlent les orages, les faisant passer par où ils veulent, et ils font beaucoup d'autres merveilles ; tandis que, vous le savez bien, leurs idoles parlent, et font des prédictions sur tous les sujets voulus. Mais si je me tourne vers le christianisme pour devenir un chrétien, alors mes barons et les autres qui ne sont pas convertis me diraient pourquoi vous êtes-vous fait baptiser ?... quels sont les pouvoirs et les miracles que vous constatez de la part du Christ ? Vous n'ignorez pas que les idolâtres, ici, prétendent que leurs miracles sont produits par la sainteté et le pouvoir de leurs idoles. Or, je ne saurais que leur répondre, et ils ne seraient que confirmés dans leur erreur, car les idolâtres qui sont des adeptes dans ces arts surprenants, comploteraient aisément ma mort. Vous allez aller vers votre Pape et vous le prierez de ma part de m'envoyer cent hommes bien versés dans vos lois ; et s'ils sont capables de mettre à néant les pratiques des idolâtres, et de leur prouver qu'eux aussi ils savent faire ces choses, mais qu'ils ne le veulent point, parce qu'elles sont l'œuvre du Diable et des autres mauvais esprits ; s'ils contrôlent les idolâtres au point que ceux-ci ne pourront rien faire en leur présence, et que j'en sois témoin, je dénoncerai les idolâtres et leur religion et je recevrai le baptême ; tous mes barons et mes chefs, seront aussi baptisés et il y aura alors ici plus de chrétiens qu'il n'en existe dans votre partie du monde" 400.
400 Livre de Ser Marco Polo, Vol. II, p. 340.
La proposition était équitable. Pourquoi les chrétiens n'en profitèrent- ils pas ? On prétend que Moïse accepta un défi de cette nature devant Pharaon et qu'il en sortit vainqueur.
A notre avis, la logique du Mongol ignorant était sans réplique, son intuition était impeccable. Il voyait les bons résultats dans toutes les religions et il sentait que si les pouvoirs spirituels du bouddhiste, du chrétien, du musulman ou du juif étaient également développés, leur foi leur ferait atteindre les plus hauts sommets. Tout ce qu'il demandait avant de faire le choix d'une religion pour son peuple, c'était la preuve sur quoi s'appuyer.
Si nous n'en jugeons que par ses jongleurs, l'Inde doit être bien mieux versée en alchimie, chimie et physique que toutes les [260] académies européennes. Les merveilles psychologiques produites par quelques fakirs de l'Hindoustan méridional et par les shaberons et les hobilhans du Tibet et de Mongolie viennent à l'appui de nos dires. La science de la psychologie a atteint le summum de la perfection, atteint nulle par ailleurs dans les annales du merveilleux. Que de tels pouvoirs ne soient pas seulement le résultat de l'étude, mais qu'ils soient naturels chez tous les êtres humains est prouvé, aujourd'hui, en Amérique et en Europe par les phénomènes mesmériques et ce qu'on se plait à appeler "le spiritisme". Si la plus grande partie des voyageurs étrangers, et ceux qui résident dans l'Inde anglaise sont disposés à considérer toutes ces manifestations comme de simples tours de passe-passe, il n'en est pas ainsi pour quelques européens qui ont eu le rare bonheur d'être admis derrière le voile dans les pagodes. Certes ceux-ci ne se moqueront point des rites, et ne sous-estimeront pas non plus les phénomènes produits dans les loges secrètes de l'Inde. Le mahadthévassthanam des pagodes (communément appelé goparam, d'après le portique pyramidal sacré par lequel on entre dans l'édifice) est connu depuis longtemps d'Européens, bien que ceux-ci ne soient qu'une poignée.
Nous ignorons si le prolifique Jacolliot 401 a jamais été admis dans une de ces loges. C'est fort douteux, croyons-nous, si l'on en juge par ses nombreux récits fantastiques sur les immoralités des rites mystiques des Brahmanes, des fakirs des pagodes, et même des Bouddhistes (!!) dans tous lesquels il fait figure de Joseph. Quoi qu'il en soit, il est évident que les Brahamnes ne lui ont point divulgué de secrets, car, en parlant des fakirs et de leurs miracles, il remarque, "que sous la direction des Brahmanes initiés, ils pratiquent les sciences occultes dans le silence des sanctuaires... et qu'on ne soit point étonné de ce mot, qui donnerait à croire qu'on ouvre la porte du surnaturel, tandis qu'il y a dans les sciences que les Brahmanes nomment occultes, des phénomènes assez extraordinaires pour déconcerter toute investigation, il n'y en a pas un seul qui ne puisse être expliqué et qui ne soit sujet à la loi naturelle". [261]
Sans doute, n'importe quel Brahmane initié serait capable, s'il le voulait, d'expliquer tous ces phénomènes. Mais il ne le veut pas. Jusque-là, nous en sommes encore à attendre que nos meilleurs physiciens nous fournissent une explication du phénomène occulte le plus trivial, produit par un élève fakir d'une pagode.
Jacolliot dit qu'il serait de toute impossibilité de donner un récit de tous les faits merveilleux auxquels il a assisté. Mais il ajoute avec parfaite bonne foi "qu'il suffit de dire, qu'en ce qui concerne le magnétisme et le spiritisme, l'Europe en est encore à balbutier les premières lettres de l'alphabet et que les Brahmanes ont atteint dans ces deux départements de la science, en ce qui concerne les manifestations, des résultats, qui sont vraiment stupéfiants. En présence de ces étranges phénomènes dont la puissance ne peut être niée, sans connaître les lois que les Brahmanes tiennent jalousement secrètes, on est rempli d'étonnement et on serait tenté de fuir pour briser le charme qui nous retient."
401 Ses vingt et quelques volumes sur des sujets orientaux sont certes un curieux ensemble de fiction et de vérité. Ils contiennent de nombreux faits au sujet des traditions de l'Inde, de sa philosophie et de sa chronologie, accompagnés de réflexions courageusement énoncées. Mais il semble toujours que le philosophe cède la place au romancier. C'est comme si deux hommes collaboraient au même ouvrage, l'un soigneux, sérieux, érudit et savant, l'autre un romancier français sensationnel et sensuel, qui juge les faits, non pas comme ils sont, mais comme il les imagine. Ses traductions du Manou sont admirables, ses controverses, pleines d'adresse ; son jugement au sujet de la morale des prêtres est injuste, et dans le cas des bouddhistes, absolument calomnieux. Mais dans tous les volumes il n'y a pas une seule ligne fastidieuse ; il a l'œil d'un artiste et la plume d'un poète de la nature.
"L'unique explication que nous ayons pu obtenir, à ce sujet, d'un savant brahmane avec lequel nous étions en termes d'une étroite intimité, est la suivante : Vous avez étudié la nature physique et vous avez obtenu des résultats merveilleux par les lois de la nature – vapeur, électricité, etc. ; depuis vingt mille ans et plus, nous avons étudié les forces intellectuelles, et nous avons découvert leurs lois ; nous obtenons donc, en les faisant agir seules, ou d'accord avec la matière, des phénomènes encore plus extraordinaires que les vôtres."
Jacolliot a dû, vraiment, être émerveillé par ces merveilles, car il dit : "Nous avons vu des choses qu'il est impossible de décrire, de peur de faire douter au lecteur de son intelligence... Mais nous les avons néanmoins vues. Et certes, on comprend comment, devant de pareilles manifestations le monde ancien... croyait à la possession par le Diable et aux exorcismes" 402.
402 Les Fils de Dieu. L'Inde Britannique, p. 296.
Et cependant cet ennemi intraitable des prêtres, des ordres monastiques et du clergé de n'importe quelle religion et de n'importe quel pays – y compris les Brahmanes, les Lamas et les Fakirs – a été si frappé du contraste entre les cultes de l'Inde qui s'appuient sur des faits, et les vaines prétentions du catholicisme, qu'après avoir décrit les terribles tortures que les fakirs s'imposent volontairement, il donne libre cours à son indignation dans les paroles suivantes : "Quoi qu'il en soit ces fakirs, ces mendiants brahmanes ont quand même grand air, lorsqu'ils se flagellent, lorsque, au cours du martyre qu'ils s'infligent eux-mêmes, leur chair est arrachée morceau par morceau, et que le sang ruisselle sur le sol. Mais vous, (les mendiants catholiques) que faites-vous [262] aujourd'hui ? Vous autres, les moines gris, les capucins, les franciscains, qui jouez aux fakirs avec vos cordes à nœuds, vos pierre à feu, vos cilices, et vos flagellations à l'eau de rose, vos pieds nus et vos mortifications pour rire – fanatiques sans foi, martyrs sans tortures ? N'a-t-on pas le droit de vous demander si c'est pour obéir à la loi divine que vous vous enfermez derrière vos épaisses murailles, et que vous échappez, ainsi, à la loi du travail qui pèse si durement sur les autres hommes ?... Fi, vous n'êtes que des mendiants !"
Laissons-les, nous ne nous sommes déjà que trop occupés d'eux et de leur théologie de pièces et de morceaux. Nous les avons pesés les uns et l'autre sur la balance de l'histoire, de la logique, de la vérité, et nous les avons reconnus insuffisants. Leur doctrine engendre l'athéisme, le nihilisme, le désespoir et le crime ; ses prêtres et ses prédicateurs sont incapables de prouver par des œuvres qu'ils ont reçu le pouvoir divin. Si, tant l'Eglise que les prêtres pouvaient disparaître du monde aussi facilement que leurs noms des yeux du lecteur, ce jour serait un jour béni pour l'humanité. New-York et Londres pourraient redevenir bientôt des villes aussi morales que les cités païennes avant l'occupation des chrétiens ; Paris plus pure que l'ancienne Sodome. Lorsque les catholiques et les protestants seront aussi certains que les bouddhistes et les brahmanes que tous leurs crimes recevront leur punition, que chaque bonne action aura sa récompense, ils pourront employer pour leurs propres païens, ce qui aujourd'hui sert à procurer à leurs missionnaires de longs picnics, et qui rend le nom de chrétiens détesté et méprisé par toutes les nations en dehors des limites de la chrétienté.
Nous avons appuyé nos arguments, suivant les besoins, par la description de quelques-uns des innombrables phénomènes auxquels nous avons assisté dans différentes parties du monde. Nous utiliserons la place qui nous reste à des sujets semblables. Ayant posé la base en élucidant la philosophie des phénomènes occultes, il est tout indiqué d'illustrer notre thèse par des faits qui se sont passés sous nos propres yeux, et qui peuvent être contrôlés par n'importe quel voyageur. Les peuples primitifs ont disparu, mais la connaissance primitive survit, et peut être atteinte par ceux qui "veulent", qui a osent", et qui savent "se taire