LA THÉOSOPHIE POUR TOUS
Question – Et vous croyez que l'on réussirait, avec le secours de la Théosophie, à faire disparaître ces maux, en dépit des conditions pratiques et adverses qui résultent de notre vie moderne ? [347]
Réponse – Je suis fermement convaincu que cela se pourrait, si nous avions plus d'argent à notre disposition, et si la plupart des Théosophes n'étaient pas forcés de travailler pour gagner leur pain.
Question – Et comment cela s'effectuerait-il ? Pensez-vous que vos doctrines, si abstruses et si difficiles à comprendre, même pour les gens instruits, pourraient jamais s'imposer à la foule ?
Réponse – Vous oubliez une chose : c'est que cette éducation moderne, dont vous vantez tellement les avantages, est précisément ce qui vous rend la Théosophie si difficile à comprendre. Votre intuition et votre perception naturelles de la vérité ne peuvent pas agir dans ce dédale de préjugés, de subtilités intellectuelles. Ni l'éducation, ni la métaphysique, ne sont indispensables pour faire comprendre à un homme les grandes vérités de Karma et de la Réincarnation. Voyez plutôt ces millions de Bouddhistes et d'Hindous, pauvres, sans éducation, pour qui, cependant, karma et la Réincarnation sont des vérités inébranlables, simplement parce que leur intelligence, n'ayant jamais été forcée de suivre une route contraire à la nature, ne se trouve ni déformée ni tordue. On n'a pas perverti en eux le sens inné de la justice, en leur disant que leurs péchés seraient pardonnés, parce qu'un autre homme a été mis à mort à leur place. Et remarquez bien que les Bouddhistes, ajoutant la pratique à la [348] croyance, se gardent de murmurer contre karma, qu'ils considèrent comme une juste rétribution ; tandis que la foule chrétienne ne vit pas d'après son idéal de moralité et ne supporte pas son sort avec résignation. Voilà d'où proviennent les plaintes, le mécontentement et l'intensité de la lutte pour l'existence dans les pays Occidentaux.
64 Personnage d'un des romans de Charles Dickens.
Question – Mais ce contentement, dont vous dites, tant de bien, bannirait tout motif d'activité et arrêterait le progrès.
Réponse – Les Théosophes vous répondront que le progrès et cette civilisation, dont vous êtes si fiers, ne sont qu'un essaim de feux follets éclairant de leur lueur vacillante un marécage d'où s'exhalent des miasmes empoisonnés et mortels ; car on voit l'égoïsme, le crime, l'immoralité et tous les maux imaginables, fondre sur l'humanité malheureuse, en s'échappant de cette boîte de Pandore que vous appelez une époque de progrès, et augmenter, pari passu, en même temps que votre civilisation matérielle. A ce prix-là, mieux vaut ce que l'on rencontre dans les contrées Bouddhistes c'est-à-dire l'inertie et l'inactivité, qui ne sont que les conséquences de longues périodes d'esclavage politique.
Question – Alors, toute cette métaphysique et tout ce mysticisme, dont vous vous occupez tant, n'ont, au font aucune importance ?
Réponse – Ils ne sont pas d'une grande utilité pour la foule, qui a surtout besoin d'être guidée et [349] soutenue d'une façon pratique ; mais ils ont une haute importance pour les gens instruits, pour ceux qui sont les conducteurs de la foule, et dont le mode de penser et d'agir doit, tôt ou tard, être adopté par la foule. La philosophie seule peut préserver un homme intelligent et instruit de ce suicide intellectuel qui s'appelle la foi aveugle ; et la vérité des doctrines, sinon ésotériques, du moins orientales, ne peut être comprise que de celui qui en saisit la stricte continuité et la cohérence pleine de logique. La conviction produit l'enthousiasme ; et "l'enthousiasme", dit Bulwer Lytton, "est le génie de la sincérité, sans lequel la vérité ne peut remporter aucune victoire" ; tandis qu'Emerson observe judicieusement que "chaque grand mouvement rapporté dans les annales du monde est dû au triomphe de l'enthousiasme". Et où pourrait-on trouver, pour éveiller un sentiment de ce genre, une philosophie plus grande, plus conséquente, plus logique, et plus étendue, que celle de nos Doctrines Orientales ?
Question – Pourtant, cette philosophie a de nombreux ennemis ; et la Théosophie voit chaque jour grossir le nombre de ses opposants.
Réponse – Voilà précisément ce qui prouve sa valeur et son excellence intrinsèques. On ne hait que les choses que l'on craint – et personne ne se donne la peine de combattre ce qui ne menace pas de s'élever au-dessus de la médiocrité. [350]
Question – Et vous espérez pouvoir, un jour, communiquer cet enthousiasme aux masses ?
Réponse – Pourquoi pas ? L'histoire ne rapporte-t-elle pas que les masses adoptèrent le Bouddhisme avec enthousiasme, et n'avons-nous pas déjà constaté que l'influence pratique que cette philosophie de moralité a opéré sur elles se retrouve encore dans le nombre restreint des crimes qui ont lieu parmi les populations Bouddhistes, en comparaison des peuples de toute autre religion.
Il importe, avant tout, de détruire cette source trop fertile de crime et d'immoralité, c'est-à-dire la croyance qu'il est possible d'échapper aux conséquences de nos propres actions. Enseignez aux hommes, une fois pour toutes, la plus grande des lois : celle de Karma et de la Réincarnation ; – non seulement ils sentiront s'éveiller en eux la vraie dignité de la nature humaine, mais ils se détourneront du mal et l'éviteront, comme un danger physique.
COMMENT LES MEMBRES PEUVENT SE RENDRE UTILES A LA SOCIÉTÉ
Question – De quelle façon les membres de votre Société peuvent-ils contribuer à l'œuvre générale ?
Réponse – Ils doivent, en premier lieu, s'appliquer [351] à étudier et à comprendre les doctrines Théosophiques, de sorte qu'ils soient capables de les enseigner aux autres, surtout aux jeunes gens. En second lieu, il leur faut saisir chaque occasion de parler aux autres au sujet de la Théosophie, et de leur expliquer ce que c'est et ce que ce n'est pas ; en un mot, de détruire les erreurs et d'inspirer de l'intérêt à cet égard. Troisièmement, ils peuvent nous aider à répandre notre littérature, en achetant des livres, lorsqu'ils ont les moyens de le faire, puis en les prêtant ou en les donnant à d'autres et en persuadant leurs amis d'en faire autant. Quatrièmement, il est de leur devoir de défendre, par tous les moyens légitimes qui sont en leur pouvoir, la Société des calomnies injustes répandues contre elle.
Cinquièmement, le plus important de tout est de prêcher d'exemple par leur propre vie.
Question – Mais toute cette littérature qu'il vous semble si important de répandre, ne me paraît pas un moyen fort pratique de secourir l'humanité. Ce n'est pas de la charité pratique.
Réponse – Nous sommes d'un autre avis, à cet égard. Un bon livre, qui offre aux hommes de quoi penser, qui fortifie, et éclaire leur intelligence, et les rend capables de saisir des vérités qu'ils sentent vaguement, mais ne peuvent pas formuler, nous semble être un véritable bienfait. Quant à ce que vous appelez des œuvres pratiques de charité, dans le but de secourir matériellement [352] nos semblables, nous faisons le peu que nous pouvons ; mais, comme je vous l'ai déjà dit, nous sommes presque tous pauvres, tandis que la Société elle-même ne possède pas assez d'argent pour se payer un corps de travailleurs. Tous ceux d'entre nous qui se vouent à cette œuvre, y contribuent non seulement par un travail gratuit, mais d'ordinaire aussi par leur argent. Le petit nombre de ceux qui ont les moyens de faire ce que l'on appelle des actes de charité, suivant en cela les préceptes Bouddhistes, font le bien eux-mêmes, sans en charger d'autres et sans envoyer leurs cotisations à quelque œuvre de charité publique. Car, pour le Théosophe, il s'agit avant tout d'oublier sa personnalité.