SECTION I

COUP D'ŒIL PRELIMINAIRE

 

On peut retrouver les traces d'initiés ayant acquis des pouvoirs et un savoir transcendants, en remontant jusqu'à la Quatrième Race-Racine. Comme la multiplicité des sujets à traiter ne nous permet pas de placer un pareil chapitre historique qui, tout en étant véritablement historique en fait, serait repoussé a priori comme un blasphème et une fable par l'Eglise aussi bien que par la Science, nous nous bornerons à effleurer le sujet. La Science raye, suivant son caprice et sa fantaisie, des douzaines de noms d'anciens héros, simplement parce qu'un trop grand élément de mythe entre dans leur histoire : l'Eglise insiste pour que les patriarches bibliques soient considérés comme des personnages historiques et donne à ses sept "Anges- Etoiles" le nom de "canaux et agents historiques du Créateur". Elles ont raison toutes deux, puisque chacune trouve un puissant parti pour la soutenir. L'humanité n'est tout au plus qu'un triste troupeau de moutons de Panurge, qui suit aveuglément le chef qui a momentanément la vogue. L'humanité – la majorité tout au moins – déteste penser par elle-même. Elle considère comme une insulte, la plus humble invitation d'avoir à quitter pour un instant les antiques sentiers battus et, jugeant par elle- même, d'avoir à s'engager dans une autre voie suivant une nouvelle direction. Donnez-lui à résoudre un problème qui ne lui soit pas familier et s'il déplaît à ses mathématiciens et que ceux-ci refusent de s'en occuper, la foule, peu familiarisée avec les mathématiques, considérera avec stupéfaction la quantité inconnue et se perdant sans espoir au milieu des x et des y, se retournera furieuse en cherchant à mettre en pièces le fâcheux qui trouble son Nirvâna intellectuel. Cela pourrait expliquer peut-être les facilités et les succès extraordinaires de l'Eglise Romaine dans ses conversions de Protestants et de Libres Penseurs nominaux, dont le nom est légion, mais qui ne se sont jamais donnés la peine de penser par eux- mêmes à ces très importants et terribles problèmes de la nature intime de l'homme.

Et pourtant, si l'on ne tient pas compte de l'évidence des faits, des traditions conservées par l'Histoire et des anathèmes [V 21] incessants que l'Eglise lance contre la "Magie Noire" et les Magiciens de race maudite de Caïn, nos efforts paraîtront en vérité bien mesquins. Alors que depuis près de deux milliers d'années un groupe d'hommes n'a jamais cessé d'élever la voix contre la Magie Noire, la conclusion irréfutable devrait être que si la Magie Noire est un fait réel, sa contrepartie – la Magie Blanche– doit exister quelque part. Il ne pourrait exister de fausses pièces d'argent s'il n'y en avait pas de véritables. La Nature est double dans tout ce qu'elle entreprend et cette persécution ecclésiastique aurait dû, à elle seule, ouvrir depuis longtemps les yeux du public. Si disposés que soient certains voyageurs à dénaturer les faits, lorsqu'il s'agit des pouvoirs anormaux dont quelques hommes sont doués dans les pays païens ; si empressés qu'ils soient à édifier sur ces faits une construction mensongère et – pour employer un vieux proverbe – "à appeler un cygne blanc, oie noire" et à le tuer, il n'en faut pas moins tenir compte des preuves fournies même par des missionnaires Catholiques Romains, alors qu'ils affirment unanimement certains faits, et parce qu'il leur plaît d'attribuer certaines manifestations à une intervention Satanique, ce n'est pas non plus une raison pour dédaigner la preuve qu'elles fournissent de l'existence de ces pouvoirs. Que disent-ils en effet, au sujet de la Chine ? Les missionnaires qui ont vécu de longues années dans ce pays, qui ont étudié tous les faits et toutes les croyances pouvant mettre obstacle au succès des conversions qu'ils entreprennent et qui se sont familiarisés avec tous les rites exotériques de la religion officielle et des sectes – affirment tous l'existence d'un certain groupe d'hommes, dont personne ne peut approcher, sauf l'Empereur et quelques hauts fonctionnaires de choix. Il y a quelques années, avant la guerre du Tonkin, l'archevêque de Pékin [Peiping], sur les rapports de quelques centaines de missionnaires et de Chrétiens, transmis à Rome identiquement le même récit qui avait déjà été transmis vingt-cinq ans auparavant et auquel les journaux cléricaux avaient donné une grande publicité. On avait sondé, disait-on, le mystère de certaines ambassades officielles envoyées, aux jours de danger, par l'Empereur et par les Gouverneurs, à leurs Sheu et à leurs Kiuay, comme on les appelle dans le peuple. Ces Sheu et ces Kiuay, explique t-on, sont les Génies des montagnes, qui sont doués des pouvoirs les plus miraculeux. Les masses "ignorantes" les considèrent comme les protecteurs de la Chine et les bons et "savants" missionnaires les tiennent pour des incarnations du pouvoir Satanique.

 Les Sheu et les Kiuay sont des hommes appartenant à un état d'être différent de celui des hommes ordinaires, ou de celui qui était le leur alors qu'ils étaient revêtus de leurs corps. Ce sont [V 22] des esprits désincarnés, des fantômes et des larves, qui vivent néanmoins sur terre sous une forme objective et qui habitent les solitudes de montagnes inaccessibles à tous, sauf à ceux qu'ils autorisent à leur rendre visite 24.

Au Tibet, certains ascètes sont aussi appelés Lha, Esprits, par ceux avec lesquels il ne leur plaît pas d'entrer en communication. Les Sheu et les Kiuay, qui jouissent de la plus haute considération de l'Empereur et des Philosophes, ainsi que de celles des Confucianistes qui ne croient pas aux "Esprits", sont simplement des Lohans – des Adeptes qui vivent dans la solitude la plus grande au fond de leurs retraites inconnues.

Mais l'exclusivisme des Chinois, ainsi que la Nature, semblent s'être alliés contre la curiosité européenne et – suivant l'opinion sincère des Tibétains – contre ses profanations. Le fameux voyageur Marco Polo, fut peut-être l'Européen qui s'aventura le plus loin dans l'intérieur de ces contrées. Nous pouvons répéter maintenant ce qui fut dit de lui en 1876.

Le district du désert de Gobi et, par le fait, toute la surface de la Tartarie Indépendante et du Tibet sont soigneusement gardés contre l'intrusion des étrangers. Ceux auxquels on accorde la permission de les traverser sont confiés aux soins et mis sous la direction de certains agents de l'autorité suprême et ils ont pour devoir de ne transmettre au monde extérieur aucun renseignement sur les localités et sur les gens. Si cette restriction n'existait pas, beaucoup de personnes pourraient, ajouter à ces pages des récits d'explorations, d'aventures et de découvertes, que l'on lirait avec intérêt. Un jour viendra, tôt ou tard, où le terrible sable du désert livrera ses secrets enfouis depuis si longtemps et, ce jour-là, notre vanité moderne éprouvera, certes, des mortifications très inattendues.

 24 Ce fait, comme bien d'autres, se trouve dans les Rapports des Missionnaires de Chine et dans un ouvrage écrit par Mgr Delaplace, évêque en Chine, Annales de la propagation de la Foi.

 "Les gens de Pashai 25, dit Marco Polo, l'audacieux voyageur du XIIIème siècle, sont de grands adeptes en sorcellerie et en arts diaboliques." Et son savant éditeur ajoute : "Ce Pashai, ou Oudiana, était le pays natal de Padma Sambhava, un des principaux apôtres du Lamaïsme, c'est-à-dire du Bouddhisme Tibétain, et un grand maître en enchantements. Les doctrines de Sakya, telles qu'elles avaient cours à Oudiana dans l'antiquité, étaient probablement fortement teintées de magie sivaïtique et les Tibétains [V 23] considèrent encore la localité comme la terre classique de la sorcellerie."

Les "temps anciens" sont absolument comme les "temps modernes" ; rien n'est changé en ce qui concerne les pratiques de magie, sauf qu'elles sont devenues encore plus ésotériques et secrètes et que les précautions prises par les adeptes augmentent de pair avec la curiosité des voyageurs. Hiouen-Thsang dit des habitants : "Les hommes... aiment l'étude, mais étudient sans ardeur. La Science des formules magiques est devenue pour eux un véritable travail professionnel 26." Nous ne contredirons pas les vénérables pèlerins Chinois sur ce point et nous sommes prêts à admettre qu'au VIIème siècle quelques personnes faisaient de la magie un "travail professionnel", tout comme quelques personnes le font encore maintenant, mais certainement pas les   véritables adeptes. De plus, à cette époque, le Bouddhisme avait à peine pénétré dans le Tibet et les races qui l'habitaient étaient plongées dans les sorcelleries du Bon – la religion pré-lamaïque. Ce n'est pas Hiouen-Thsang, l'homme pieux qui risqua cent fois sa vie pour avoir le bonheur d'apercevoir l'ombre de Bouddha dans la caverne de Peshawur, qui aurait accusé les bons lamas et les moines thaumaturges "de faire profession" de la montrer aux voyageurs. L'injonction de Gautama, contenue dans sa réponse à son protecteur le roi Prasenajit, qui l'invitait à accomplir des miracles, devait être toujours présente à l'esprit de Hiouen-Thsang. "Grand Roi, dit Gautama, je n'enseigne pas la loi à mes disciples en leur disant : Allez, ô saints, et, sous les yeux des Brahmanes et des chefs de familles, accomplissez, grâce à vos pouvoirs surnaturels, des miracles supérieurs à ceux  qu'aucun autre homme ne pourrait accomplir. Je leur dis, au contraire, lorsque je leur enseigne la loi : Vivez, ô saints, en cachant vos bonnes actions et en laissant voir vos péchés."

Frappé par les récits de spectacles magiques dont furent témoins et que racontèrent les voyageurs de toutes les époques qui visitèrent la Tartarie et le Tibet, le colonel Yule arrive à la conclusion que tous les indigènes devaient "disposer de toutes les encyclopédies des Spirites modernes". Duhalde mentionne parmi leur sorcellerie, l'art de produire dans les airs, par leurs invocations, l'apparition de Lao-Tseu 27 et de leurs divinités et de faire écrire des réponses à des questions par un crayon sans que personne ne le touche 28.

25 Région qui se trouve quelque part du côté d'Oudiana et le Cachemire d'après ce que pense le traducteur et l'éditeur de Marco Polo (le colonel Yule), I, 173.

26 Voyage des Pèlerins Bouddhistes, Vol. I ; Histoire de la Vie de Hiouen-Tshang, etc., traduit du chinois en français par Stanislas Julien.

 27 Lao-tseu, le Philosophe Chinois.

28 The Book of Ser Marco Polo, I, 318. Voir Isis Dévoilée, I, p. 599-601.

 

Les premières invocations font partie des mystères religieux de leurs sanctuaires ; si on les accomplit autrement, ou dans un but de gain, on les considère comme de la sorcellerie, de la nécromancie  [V 24] et elles sont strictement interdites. Le dernier artifice, celui de faire écrire un crayon sans contact, était connu et pratiqué en Chine et dans d'autres pays avant l'ère Chrétienne. Cela constitue l'A. B. C. de la magie, dans ces pays.

Lorsque Hiouen-Thsang éprouva le désir  d'adorer l'ombre de Bouddha, ce ne fut pas à des "magiciens de profession" qu'il s'adressa, mais il fit appel aux pouvoirs d'invocation de sa propre âme ; aux pouvoirs que confèrent la prière, la foi et la contemplation. Tout était sombre et lugubre auprès de la caverne dans laquelle on disait que le miracle se produisait parfois. Hiouen- Thsang entra et commença ses dévotions. Il se prosterna cent fois mais ne vit ni n'entendit rien. Alors, se considérant comme un trop grand pécheur, il pleura amèrement et se désespéra, mais au moment où il allait renoncer à tout espoir, il aperçut une faible lueur sur la paroi du côté est, puis cette lueur disparut. Il recommença à prier, plein d'espoir cette fois et, de nouveau, il vit la lueur, qui brilla et disparut encore. Il fit alors un vœu solennel : celui de ne pas quitter la caverne avant d'avoir eu le bonheur de voir enfin l'ombre du "Vénérable des Ages". Il attendit longtemps encore, car ce ne fut qu'après deux cents prières que, tout à coup, la sombre caverne "fut inondée de lumière et l'ombre de Bouddha, d'une brillante couleur blanche, s'éleva majestueusement sur la paroi, comme lorsque des nuages s'entrouvrent soudain et laissent voir la merveilleuse image de la "Montagne de Lumière". Une éblouissante splendeur éclairait les traits du personnage divin. Hiouen-Thsang était abîmé dans la contemplation et l'admiration et ne voulait pas détacher ses yeux de cet objet sublime et incomparable". Hiouen-Thsang ajoute, dans son propre journal, See-yu-Kee, que ce n'est que lorsqu'un homme prie avec une foi sincère et s'il a reçu d'en haut une impression cachée, qu'il voit clairement l'ombre, mais ne peut jamais jouir longtemps de ce spectacle (Max Müller, Buddhis Pilgrims).

Le pays est, d'un bout à l'autre, rempli de mystiques, de philosophes religieux, de saints Bouddhistes et de magiciens. La croyance en un monde spirituel, plein d'êtres invisibles qui, dans certaines conditions, apparaissent aux mortels d'une façon objective, est universelle. "Suivant la croyance répandue parmi les peuples de l'Asie centrale, fait remarquer I. J. Schmidt, la terre et son intérieur, ainsi que l'atmosphère qui l'entoure, sont remplis d'êtres spirituels, qui exercent, sur toute la nature organique et inorganique une influence en partie bienfaisante et en partie maligne... Les déserts et les autres lieux sauvages ou inhabités, ou les régions dans lesquelles les influences de la nature se manifestent sur une échelle gigantesque et terrible, sont particulièrement considérés comme la principale demeure ou le lieu de rendez-vous des mauvais esprits, et c'est pour cela que les steppes du Turan et particulièrement le grand désert de sable de Gobi, [V 25] ont été considérés comme lieux de séjour d'êtres malfaisants et cela depuis l'antiquité la plus reculée."

Les trésors exhumés à Mycène par le Dr Schliemann ont éveillé la cupidité populaire et les yeux des spéculateurs audacieux se sont tournés, du côté des localités où l'on suppose que les richesses d'anciens peuples ont été enfouies, dans des cryptes ou des cavernes, ou sous le sable et les dépôts d'alluvions. Entre tous les pays, y compris le Pérou, c'est le désert de Gobi auquel se rattache le plus de traditions. La Tartarie  indépendante, ce désert de sables mouvants tout rempli de hurlements, fut jadis, si l'on en croit les traditions, le centre d'un des plus riches Empires que le monde eût jamais connus. On dit que sous sa surface sont cachées sous forme d'or, de joyaux, de statues, d'armes, d'ustensiles et de tout ce qui indique la civilisation, le luxe et les beaux-arts, des richesses comme aucune des capitales actuelles de la Chrétienté n'en saurait déployer aujourd'hui. Les sables du désert de Gobi se déplacent régulièrement de l'est à l'ouest, sous l'impulsion de terribles ouragans qui soufflent sans cesse. Parfois, quelques-uns des trésors cachés sont mis à découvert, mais aucun des indigènes n'ose y toucher, car la région tout entière est placée sous l'anathème d'un puissant enchantement. La peine encourue serait la mort. Les Bahti – gnomes hideux mais fidèles – gardent les trésors cachés de ce peuple préhistorique, en attendant le jour où la révolution des périodes cycliques fera de nouveau connaître son histoire pour l'instruction de l'humanité 29.

La citation Précédente est intentionnellement empruntée à Isis Dévoilée, pour rafraîchir la mémoire du lecteur. Une des  périodes cycliques vient précisément de prendre fin et il se peut qu'il ne nous faille pas attendre la fin du Mahâ-Kalpa pour qu'il nous soit révélé quelque chose de l'histoire du mystérieux désert, en dépit des Bahti et même des non moins "hideux" Râkshasas de l'Inde. Nous n'avons donné ni contes ni fictions dans nos premiers volumes, malgré leur état chaotique, que l'auteur, absolument dépourvu de vanité, reconnaît publiquement avec mille excuses.

On admet généralement aujourd'hui que, de temps immémorial, l'Extrême-Orient, l'Inde en particulier, était le pays du savoir et des connaissances de tous genres. Pourtant le pays des primitifs  Aryas [Aryens] est, entre tous, celui auquel on dénie le plus l'origine de tous ses Arts et de toutes ses Sciences. Depuis l'Architecture jusqu'au Zodiaque, toute science digne de ce nom était importée par les Grecs, les mystérieux Yavanas – si l'on en croit les Orientalistes ! Il est donc logique que l'on refuse à l'Inde jusqu'à la connaissance de la Science Occulte, puisque l'on en sait moins au sujet [V 26] de sa pratique générale dans ce pays, que chez tous les autres peuples antiques. S'il en est ainsi, cela tient simplement à ce que :

Chez les Hindous elle était, et elle est encore, plus ésotérique, si possible, que même chez les prêtres égyptiens. On considérait cette science comme si sacrée, que son existence n'était admise qu'à moitié et on ne la mettait en pratique qu'en cas de difficultés d'ordre public. C'était plus qu'une question religieuse, car elle était [et elle est encore] considérée comme divine. Les hiérophantes égyptiens, malgré la pratique d'une moralité rigide et pure, ne pouvaient être comparés un seul instant aux ascètes Gymnosophistes, tant au point de vue de la sainteté de la vie, qu'au point de vue des pouvoirs miraculeux qu'avait développés en eux le renoncement surnaturel  à  toutes  les  choses  terrestres.  Ceux  qui les connaissaient bien avaient pour eux encore plus de respect que pour les Mages de la Chaldée. "Se refusant le moindre confort dans la vie, ils habitaient dans les bois et menaient la vie des ermites les plus retirés 30", tandis que leurs frères égyptiens vivaient au moins groupés. Malgré le blâme qui s'attache à tous ceux qui pratiquent la magie et la divination, l'histoire a proclamé qu'ils possédaient les plus grands secrets dans la science médicale et une habileté incomparable dans sa pratique. Nombreux sont les volumes que l'on conserve dans les Mathams Hindous et dans lesquels sont consignées les preuves de ce savoir. Quant à essayer de dire si ces Gymnosophistes furent les réels fondateurs de la magie en Inde, ou s'ils ne firent que mettre en pratique ce qui leur avait été transmis en héritage par les Richis 31 – les sept sages primordiaux  – ce serait considéré comme une simple spéculation par les étudiants des sciences exactes 32.

29 Isis Dévoilée, I, 430 et suivantes.

30 Ammien Marcellin, XXIII, 6.

31 Les Richis – le premier groupe de sept – vivaient à une époque antérieure à la période védique. On les considère aujourd'hui comme des Sages et on les vénère comme des demi-dieux, mais on peut établir maintenant qu'ils sont quelque chose de plus que de simples philosophes mortels. Il y a d'autres groupes de dix, de douze et même de vingt et un. Haug montre qu'ils occupent dans la religion Brahmanique une position équivalente à celle qu'occupent les douze fils de Jacob dans la Bible Juive. Les Brahmanes prétendent descendre directement des Richis.

32 Isis Dévoilée, I, 199.

 

Il nous faut cependant le tenter. Dans Isis Dévoilée, tout ce que l'on pouvait dire au sujet de la Magie était donné sous forme d'allusions et, en raison de la grande quantité de matériaux éparpillés dans de forts volumes, beaucoup de son importance a été perdue par le lecteur, en même temps que les défauts de composition empêchaient encore l'éveil de son attention. Mais maintenant les allusions peuvent être transformées en explications. On ne saurait le répéter trop souvent – la Magie est aussi ancienne que l'homme. On ne peut plus la qualifier de charlatanisme ou d'hallucination, alors [V 27] que ses rameaux inférieurs – comme le mesmérisme, improprement appelé aujourd'hui "hypnotisme", "lecture de la pensée", "action par suggestion", et qui sait quoi encore ! uniquement pour éviter de lui donner son nom véritable et légitime – sont aujourd'hui si sérieusement étudiés par les plus fameux Biologistes et Physiologistes tant d'Europe que d'Amérique. La Magie est indissolublement mélangée à la religion de chaque pays et en est inséparable dès l'origine. Il est impossible à l'histoire d'indiquer l'époque où elle n'existait pas, ou celle à laquelle elle prit naissance, à moins de prendre en considération les doctrines conservées par les Initiés. La Science ne peut non plus résoudre le problème de l'origine de l'homme, si elle repousse les preuves que fournissent les plus antiques archives du monde et refuse de recevoir la clef du Symbolisme Universel des mains des légitimes gardiens des mystères de la Nature. Toutes les fois qu'un auteur a tenté de rattacher la fondation de la Magie à un pays déterminé, à un événement ou à un personnage historique, les recherches ultérieures ont prouvé que son hypothèse n'était pas fondée. On constate sur ce point de lamentables contradictions parmi les Symbologistes. Quelques-uns voudraient qu'Odin 33, le prêtre et monarque scandinave, ait créé la pratique de la Magie quelque soixante-dix ans avant Jésus-Christ, bien qu'il en soit fait fréquemment mention dans la Bible. Comme il a été prouvé que les rites mystérieux des prêtresses Valas (Voilers) étaient bien antérieurs à l'époque d'Odin, Zoroastre entra  en scène et on a cherché à établir qu'il a été le fondateur des rites des Mages, mais Ammien Marcellin, Pline et Arnobe, ainsi que d'autres historiens anciens, ont démontré que Zoroastre n'a été qu'un réformateur de la Magie, telle que la pratiquaient les Chaldéens et les Egyptiens, et nullement son fondateur 34.

Qui donc, parmi ceux qui se sont constamment détournés de l'Occultisme et même du Spiritisme, comme étant "antiphilosophique" et, par suite, indignes de la pensée scientifique, qui donc a le droit de dire qu'il a étudié les Anciens, ou que, les ayant étudiés, il a compris tout ce qu'ils ont dit ? Ceux-là seuls qui prétendent être plus sages que leur génération, qui croient savoir tout ce que savaient les Anciens et qui, par conséquent, en sachant beaucoup plus aujourd'hui, s'imaginent qu'ils ont le droit de se moquer de leur antique simplicité d'esprit et de leurs superstitions , ceux-là qui s'imaginent avoir découvert un grand secret en déclarant que l'antique sarcophage royal, aujourd'hui veuf de son Roi Initié, est une "huche" et la pyramide qui le renferme, un [V 28] grenier ou peut-être une cave à vin  35.

 33 Voyez Münter. "Sur les plus anciennes religions du Nord avant Odin". Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 11, 230.

34 Ammien Marcellin, XXVI, 6.

35 "Il est impossible de fixer, au moyen d'une des règles de la science moderne, la date de la construction des centaines de pyramides qui se trouvent dans la Vallée du Nil ; Hérodote nous

 

Se basant sur l'autorité de quelques Savants, la société moderne appelle la Magie du charlatanisme, mais il y a jusqu'à présent sur la surface du globe huit cent millions d'être qui y croient ; on dit qu'il y a vingt millions d'hommes et de femmes, parfaitement sains d'esprit et souvent très intellectuels, qui font partie de cette même société et qui, sous le nom de Spiritisme, croient aux phénomènes de la Magie. Tout l'ancien  monde, avec ses Savants et ses Philosophes, ses Sages et ses Prophètes, y croyait. Où est la contrée où elle n'est pas mise en pratique ? A quelle époque fut- elle bannie, même de notre propre pays ? Dans le Nouveau Monde comme dans l'Ancien (ce dernier bien plus jeune que l'autre), la Science des Sciences était connue et pratiquée depuis l'antiquité la plus reculée. Les Mexicains avaient leurs Initiés, leurs Prêtres-Hiérophantes et leurs Magiciens, ainsi que leurs cryptes servant aux Initiations. Une des deux statues découvertes dans les Etats du Pacifique représente un Adepte Mexicain, dans la posture prescrite à l'ascète Hindou et l'autre une Princesse Aztèque portant une coiffure que l'on pourrait retrouver sur la tête d'une Déesse Indienne ; en outre, la "Médaille Guatémaltèque" représente "l'Arbre de la Connaissance" – avec ses centaines d'yeux et d'oreilles, symbolisant la vue et l'ouïe – autour duquel s'enroule le "Serpent de la Sagesse" chuchotant à l'oreille de l'oiseau sacré. Bernard Diaz de Castilla, un des compagnons de Cortez, nous donne quelque idée du raffinement extraordinaire, de l'intelligence, de la civilisation et aussi des arts magiques du peuple que les Espagnols vainquirent par la force brutale. Leurs pyramides sont celles de l'Egypte, construites suivant le  même canon secret de proportions que celles des Pharaons et il semble que les Aztèques aient puisé de plus d'une façon leur civilisation et leur religion à la même source que les Egyptiens et, avant eux, les Indiens. Parmi ces trois peuples, les arcanes de la Philosophie Naturelle, ou Magie, étaient cultivées au plus haut degré. [V 29] Le fait que les Anciens  considéraient la Magie comme naturelle et non pas comme surnaturelle, ressort de ce apprend que chaque roi en érigea une pour commémorer son règne et lui servir de sépulture. Mais Hérodote n'a pas tout dit, bien qu'il sût que le but réel de la pyramide fut bien différent de celui qu'il lui assigne. S'il n'avait pas été retenu par ses scrupules religieux, il eût pu  ajouter, qu'extérieurement, la pyramide symbolisait le pouvoir créateur de la Nature et servait  aussi à éclairer les principes de la géométrie, des mathématiques, de l'astrologie et de l'astronomie. Intérieurement, c'était un temple majestueux, dans les profondeurs duquel s'accomplissaient les Mystères et dont les murs avaient été souvent témoins des scènes d'initiation de membres de la famille royale. Le sarcophage de porphyre, que le professeur Piazzi Smith, astronome royal d'Ecosse, ravale au niveau d'une huche à blé, constituait les fonts baptismaux en sortant desquels le néophyte "renaissait" et, devenait un Adepte." (Isis Dévoilée, I 320, 321.) que nous dit Lucien au sujet du "Philosophe rieur", Démocrite qui, dit-il à ses lecteurs,

Ne croyait pas [aux miracles]... mais s'appliquait à découvrir la méthode qu'employaient les théurgistes pour les produire ; en un mot, sa philosophie l'amène à conclure que la Magie se bornait entièrement à l'application et à l'imitation des lois et des œuvres de la nature.

Qui donc pourrait alors qualifier encore la Magie des Anciens de "superstition" ?

[A ce point de vue], l'opinion du "philosophe rieur" [Démocrite] a la plus grande importance pour nous, puisque les Mages laissés par Xerxès, à Abdère, furent ses instructeurs et qu'en outre il avait longtemps étudié la magie avec les prêtres égyptiens 36. Pendant près de quatre-vingt-dix ans, sur les cent neuf que dura sa vie, ce philosophe se livra à des expériences qu'il nota dans un livre qui, suivant Pétrone 37, traitait de la Nature – de faits qu'il avait vérifiés lui-même. Et nous le voyons non seulement nier et repousser absolument les miracles, mais encore affirmer que tous ceux qui étaient certifiés par des témoins oculaires avaient été et pouvaient être produits, car tous, même les plus incroyables, étaient produits suivant "les lois secrètes de la Nature 38"... Ajoutez à cela que la Grèce, le "berceau postérieur des arts et des sciences" et l'Inde, le berceau des religions, se consacrèrent, et que l'une des deux se consacre encore à l'étude et à la pratique de la Magie – et qui oserait discréditer son étude et sa profondeur en  tant  que science 39 ?

 36 Diog. Laërt., dans la Vie de Démocrite.

37 Satyricon, IX, 3.

38 Pline, Hist. Nat.

39 Isis Dévoilée, 1, 310.

 

Aucun vrai Théosophe ne le fera jamais. En sa qualité de membre de notre grand corps Oriental, il sait, en effet, d'une manière indubitable, que la DOCTRINE SECRETE de l'Orient renferme l'Alpha et l'Oméga de la Science Universelle ; il sait que dans ses textes obscurs, sous le débordement luxuriant, mais peut-être trop exubérant, du Symbolisme allégorique, se trouvent cachées la pierre d'assise et les clefs de voûte, toutes les connaissances anciennes et modernes. Cette Pierre, apportée ici- bas par le Divin Constructeur, est aujourd'hui repoussée par les ouvriers trop humains et, cela parce que, dans sa matérialité mortelle, l'homme a perdu tout souvenir non seulement de sa sainte enfance, mais même de son adolescence, alors qu'il était lui-même un des Constructeurs ; alors que "les étoiles du matin chantaient en chœur et que [V 30] les Fils de Dieu poussaient des cris de joie" après avoir pris les mesures pour les fondations de la terre – pour employer le langage profondément significatif et poétique de Job, l'Initié Arabe. Mais ceux qui sont encore capables de faire place au Rayon Divin au plus profond de leur for intérieur et qui acceptent, par suite, les données des Sciences Secrètes avec foi et humilité, ceux-là savent bien que c'est dans cette Pierre qu'est enfoui l'absolu  en Philosophie, qui constitue la clef de tous les obscurs problèmes de la Vie et de la Mort, dont quelques-uns au moins peuvent trouver une explication dans ces volumes.

L'auteur a pleine conscience des immenses difficultés que soulève la discussion de questions aussi abstraites et des dangers qu'implique cette tâche. Si honteux que ce soit pour la nature humaine de flétrir la vérité du nom d'imposture, nous le voyons faire journellement et nous l'acceptons. Toute vérité occulte doit, en effet, traverser cette phase de dénégation et ceux qui la défendent doivent subir le martyre avant qu'elle soit enfin acceptée ; même après cela, elle ne demeure que trop souvent :

... une couronne,

D'or, en apparence, mais pourtant une couronne d'épines.

Les vérités qui reposent sur des mystères Occultes rencontreront mille lecteurs qui les flétriront du nom d'imposture, contre un seul qui les appréciera. C'est tout naturel et le seul moyen dont disposerait un Occultiste pour l'éviter, consisterait à se lier "par le vœu du silence" Pythagoricien et à renouveler ce vœu tous les cinq ans. Autrement, la société instruite – dont les deux tiers s'imaginent sincèrement tenus, par devoir, de croire que, depuis la première apparition du premier Adepte une moitié de l'humanité n'a pas cessé de tromper et d'abuser l'autre – la société instruite, disons-nous, ne manquerait pas d'affirmer son droit héréditaire et traditionnel de lapider l'intrus. Les bienveillants critiques qui promulguent très volontiers l'axiome aujourd'hui fameux que Carlyle appliquait à ses concitoyens, à savoir qu'ils étaient "pour la plupart fous", après avoir pris la précaution de se ranger eux-mêmes parmi les rares exceptions à cette règle, puiseront dans cet ouvrage une nouvelle force et la triste conviction que la race humaine n'est composée que de coquins et d'idiots  de naissance, mais cela importe peu, la justification des Occultistes et de leur Science Archaïque se fraye lentement mais sûrement un chemin jusqu'au cœur même de la société, heure par heure, jour par jour, année par année, sous forme de deux énormes branches, de deux rameaux égarés issus du tronc de la Magie – le Spiritisme et l'Eglise Romaine. Les faits se font souvent jour à travers la fiction. Semblable à un immense boa constrictor, l'Erreur, sous toutes ses [V 31] formes, enveloppe l'humanité, s'efforçant d'étouffer, dans ses replis mortels, toute aspiration vers la vérité et la lumière. Mais l'erreur n'est puissante qu'à la surface, grâce à la Nature Occulte qui l'empêche de pénétrer plus avant, car cette même Nature Occulte enveloppe le globe entier dans toutes les directions, sans que le coin le plus sombre soit privé de sa visite. Que ce soit par le phénomène ou le miracle, par le croc de l'esprit ou par la crosse de l'évêque, l'Occultisme doit  remporter  la  victoire  avant  que  l'ère  actuelle  n'atteigne  "le triple septénaire de Shani (Saturne)" du Cycle Occidental en Europe, ou, en d'autres termes, avant la fin du XXIème siècle.

En vérité, le sol du lointain passé n'est pas mort, mais n'a fait que se reposer. Les squelettes des chênes sacrés des anciens Druides peuvent encore faire jaillir des rameaux de leurs branches desséchées et renaître à une vie nouvelle, tout comme cette poignée de grains de blé, tirés du sarcophage d'une momie vieille de 4 000 ans et qui, une fois plantés, germèrent, grandirent et "donnèrent une belle récolte". Pourquoi pas ? La vérité est plus étrange que la fiction. Elle peut, le jour où l'on s'y attendra le moins, affirmer sa sagesse et démontrer la vanité de notre époque, en prouvant que la Fraternité Secrète ne périt pas avec les Philalèthes de l'ancienne école Electique, que la Gnose continue à fleurir sur la terre et que ses disciples sont nombreux bien qu'inconnus. Tout cela peut être accompli par un ou plusieurs des grands Maîtres, visitant l'Europe, et en démasquant,  à  leur  tour,  les  prétendus  interprètes  et  détracteurs de la Magie. Ces Fraternités secrètes ont été mentionnées par plusieurs auteurs très connus et on en parle dans la Royal Masonic Cyclopoedia de Mackenzie. L'auteur, faisant face aux millions de gens qui nient, répètent hardiment aujourd'hui ce qui a été dit dans Isis Dévoilée :

S'ils [les Initiés] ont été considérés comme de simples fictions des romanciers, cela n'a fait qu'aider les "frères- adeptes" à conserver plus facilement leur incognito...

Les Saint-Germain et les Cagliostro de ce siècle, se souvenant des amères leçons tirées des humiliations et des persécutions du passé, emploient aujourd'hui une tactique différente 40.

Ces Paroles prophétiques ont été écrites en 1876 et vérifiées en  1886.

Néanmoins, nous répétons encore :

Il y a nombre de ces Fraternités mystiques qui n'ont rien à faire avec les pays "civilisés" et c'est au sein de leurs communautés inconnues que sont cachés les squelettes du passé. Ces "adeptes" pourraient, s'ils le voulaient, se réclamer d'étranges [V 32] ancêtres et produire des documents vérifiables qui expliqueraient mainte page mystérieuse tant de l'histoire sacrée que de l'histoire profane 41. Si les Pères Chrétiens avaient possédé  les clefs des écrits hiératiques et le secret du symbolisme égyptien et hindou, ils n'auraient pas laissé sans mutilation un seul des monuments de jadis 42.

Mais il existe en ce monde une autre classe d'adeptes, appartenant aussi à une Fraternité, plus puissante que toutes celles qui sont connues du profane. Beaucoup de ces adeptes sont personnellement bons  et charitables, parfois même purs et saints en tant qu'individus. Néanmoins, comme ils poursuivent collectivement un but égoïste, avec une vigueur et une détermination inlassables, il faut les classer parmi les adeptes de l'Art Noir. Ce sont nos modernes "pères" Catholiques Romains et le clergé. Depuis le Moyen Age, ils ont déchiffré la majeure partie des écrits et des symboles hiératiques. Cent fois plus versés dans le Symbolisme secret et dans les antiques Religions que ne le seront jamais nos Orientalistes, personnifiant l'astuce et l'habileté, chacun de ces adeptes tient les clefs du symbolisme dans sa main énergiquement fermée, et veille avec le plus grand soin à ce que le secret ne soit pas divulgué facilement, s'il peut l'empêcher. Il y a à Rome et dans toute l'Europe et l'Amérique, plus de cabalistes profondément instruits qu'on ne le soupçonne en général. Ainsi les "fraternités" d'adeptes "noirs" qui se déclarent publiques, sont plus puissantes et plus dangereuses pour les pays Protestants que toute une légion d'Occultistes Orientaux. Les gens se rient de la Magie !  Les Savants, les Physiologistes et les Biologistes, raillent la puissance et même la croyance à l'existence de ce qu'on appelle vulgairement "la Sorcellerie" et la "Magie Noire" ! Les Archéologues ont leurs Stonehenge en Angleterre, avec ses milliers de secrets et son frère jumeau de Karnac en Bretagne et pourtant il n'y a pas un seul d'entre eux qui soupçonne même ce qui s'est passé dans leur cryptes et dans leurs mystérieux coins et recoins, durant le dernier siècle. Bien plus, ils ne connaissent pas l'existence de "salles magiques" dans leur Stonehenge où se passent des scènes curieuses, toutes les fois qu'il s'agit d'une nouvelle conversion. Des centaines d'expériences ont été faites et se font journellement à la Salpetrière et aussi par des savants hypnotiseurs dans leurs domiciles privés. Il est aujourd'hui prouvé que certains sensitifs – hommes ou femmes – lorsqu'ils reçoivent du praticien qui opère sur eux, l'ordre d'exécuter telle [V 33] ou telle chose – depuis le fait de boire un verre d'eau, jusqu'à celui de simuler un meurtre – perdent, en revenant à leur état normal, tout souvenir de l'action qui leur a été inspirée – "suggérée", dit aujourd'hui la Science. Néanmoins, au moment fixé, le sujet, bien que conscient et parfaitement éveillé, est obligé par une irrésistible force interne d'accomplir l'acte qui lui a été suggéré par celui qui l'a mesmérisé et cela, quel que soit cet acte et quel que soit le moment fixé par celui qui exerce une influence sur le sujet, c'est-à-dire qui tient ce dernier courbé sous sa volonté, comme un serpent exerce sa fascination sur un oiseau et finit par l'obliger à sauter dans sa gueule ouverte. C'est même pire, car l'oiseau a conscience du danger ; il résiste, bien que  ses  efforts soient vains, tandis que le sujet hypnotisé ne se révolte pas, mais semble obéir à l'impulsion de son libre arbitre et de son âme. Quel est celui de  nos Savants Européens qui, croyant à ces expériences scientifiques – et il y en a aujourd'hui bien peu qui en doutent et qui ne soient pas convaincus de leur réalité – quel est celui d'entre eux, demandons-nous, qui serait prêt à admettre que ce soit là de la Magie Noire ? Pourtant c'est la véritable, indéniable et réelle fascination, la sorcellerie de jadis. Les Moûlou Kouroumbas des Nîlgiris ne procèdent pas autrement pour leurs envoûtements, lorsqu'ils cherchent à détruire un ennemi, et les Dougpas du Sikkim et du Bhoûtân ne connaissent pas d'agent plus puissant que leur volonté. Seulement, avec eux, cette volonté ne procède pas que par bonds, mais agit avec certitude : elle ne dépend pas du degré de réceptivité ou d'impressionnabilité nerveuse du "sujet". Ayant choisi sa victime et s'étant mis en rapport avec elle, le fluide du Dougpa est certain de se frayer un chemin, car sa volonté est incommensurablement plus forte et plus développée que celle de l'expérimentateur européen – le sorcier dans l'intérêt de la Science, qui s'est fait lui-même sans guide et qui est inconscient – qui n'a pas d'idée (ni de croyance) en ce qui concerne la diversité et la puissance des méthodes, vieilles comme le monde, que le sorcier conscient, le "Magicien Noir" de l'Orient et de l'Occident, emploie pour développer cette force.

Et maintenant nous posons ouvertement et carrément cette question : Pourquoi le prêtre fanatique et zélé, qui brûle du désir de convertir un membre riche et influent de la société, n'emploierait-il pas, pour atteindre son but, les mêmes moyens que ceux dont usent le médecin et l'expérimentateur français vis-à-vis de leurs sujets ? Il est plus que probable que rien ne trouble la conscience du prêtre Catholique Romain. Personnellement, il ne poursuit aucun but égoïste, mais il cherche  à "sauver une âme" de la "damnation éternelle". Dans son [V 34] opinion, s'il y a là de la Magie, c'est une Magie sainte, méritoire et divine. Telle est la puissance de la foi aveugle.

Aussi, lorsque des personnes respectables et dignes de foi, occupant une haute situation et jouissant d'une réputation inattaquable, nous affirment qu'il existe parmi les prêtres Catholiques Romains  de nombreuses sociétés bien organisées qui, sous prétexte de Spiritisme Moderne et de médiumnité, tiennent des séances dans le but d'obtenir, directement et à distance, des conversions sur suggestion –  nous répondons : Nous le savons. Et lorsque l'on nous déclare, en outre, que, toutes les fois que ces prêtres-hypnotiseurs éprouvent le désir d'acquérir de l'influence sur un ou plusieurs individus choisis par eux pour  être convertis, ils se retirent dans un souterrain choisi et consacré par eux  pour cet usage (c'est-à-dire pour la Magie cérémonielle) et que là, formant un cercle, ils projettent la puissance combinée de leurs volontés dans la direction de ces individus et, en le faisant à plusieurs reprises, obtiennent ainsi un contrôle complet de leurs victimes – nous répondons encore : C'est très probable. De fait, nous savons qu'il en est ainsi dans la pratique, que ce genre de Magie Cérémonielle et d'envoûtement soit pratiqué à Stonehenge ou ailleurs. Nous le savons par expérience personnelle et aussi parce que beaucoup des meilleurs et des plus chers amis de l'auteur ont été inconsciemment attirés dans l'Eglise Romaine et sous sa "bénigne" protection, par ces mêmes moyens. Aussi est-ce avec un sourire de pitié que nous contemplons l'ignorance et l'entêtement des Savants et  des érudits expérimentateurs plongés dans l'erreur, qui, tout en admettant que le docteur Charcot et ses disciples ont le pouvoir "d'envoûter" leurs sujets, ne trouvent rien de mieux qu'un sourire méprisant lorsque l'on parle en leur présence de la Magie Noire et de sa puissance. Eliphas Lévi, l'abbé Cabaliste, mourut avant que la Science et la Faculté de Médecine eussent accepté l'hypnotisme et l'influence par suggestion parmi les expériences scientifiques, mais voici ce qu'il disait, il y a vingt-cinq ans, dans son Dogme et Rituel de Haute Magie, sur les Envoûtements et les Sorts :

"Ce que les sorciers et les nécromanciens cherchaient avant tout dans leurs évocations de l'Esprit du Mal, c'est le pouvoir magnétique qui est la propriété légale du véritable Adepte et dont ils désiraient obtenir la possession dans de mauvaises intentions... Un de leurs objectifs principaux était le pouvoir de jeter des sorts ou de produire des influences délétères... Ce pouvoir peut être comparé à un réel empoisonnement au moyen d'un courant de lumière astrale. A l'aide de cérémonies, ils exaltaient leur volonté au point de la rendre venimeuse à distance... Nous avons dit dans [V 35] notre "Dogme" ce que nous pensions des enchantements magiques et à quel point ce pouvoir était réel et dangereux. Le véritable Mage jette un sort sans avoir recours à des cérémonies et en se bornant à désapprouver ceux dont la conduite ne lui plaît pas et qu'il juge nécessaire de punir 43 ; il jette un sort même en pardonnant à ceux qui lui font du mal et les ennemis des Initiés ne jouissent jamais longtemps de l'impunité. Dans bien des circonstances, nous avons eu nous-mêmes des preuves de cette fatale loi. Les exécuteurs des martyrs périssent toujours misérablement et les Adeptes sont les martyrs de l'intelligence. La Providence [Karma] semble mépriser ceux qui les méprisent et met à mort ceux qui cherchent à les empêcher de vivre. La légende du Juif errant représente le côté poétique populaire de cet arcane. Un peuple avait crucifié un sage ; ce peuple lui avait crié "marche" lorsqu'il cherchait à se reposer un moment. Eh bien ! ce peuple sera désormais sous le coup d'une condamnation similaire ; il sera absolument proscrit et durant de longs siècles, il s'entendra dire "Marche ! marche" sans trouver ni repos, ni pitié 44."

43 C'est exprimé d'une façon incorrecte. Le véritable adepte de la "Main Droite" ne punit jamais personne, pas même le plus mauvais et le plus dangereux de ses ennemis ; il se contente de l'abandonner à son Karma, et Karma ne manque jamais de le punir, tôt ou tard.

 44 Op. cit., II, 239, 240, 241.

 

"Fables" et "superstition", nous répondra-t-on. Soit ! Sous le souffle mortel de l'égoïsme et de l'indifférence, tout fait gênant se trouve transformé en fiction dépourvue de sens et toutes les branches, jadis verdoyantes, de l'Arbre de la Vérité se sont desséchées et ont été dépouillées de leur signification spirituelle primordiale. Nos Symbologistes modernes ne sont superlativement adroits que pour découvrir un culte phallique et des attributs sexuels là où il n'en a jamais été question. Mais pour le véritable étudiant de Science Occulte, la Magie Blanche ou Divine ne pourrait pas plus exister dans la Nature sans sa contrepartie, la Magie Noire, que le jour ne pourrait exister sans la nuit, que sa durée soit de douze heures ou de six mois. Pour lui, tout dans la Nature a un côté Occulte – un côté brillant et un côté sombre. Les Pyramides et les chênes des Druides, les dolmens et les arbres-Bo, les plantes et minéraux tout avait un sens profond, tout était rempli des vérités sacrées de sagesse, lorsque l'Archi-Druide exécutait ses cures magiques et ses incantations et que le Hiérophante égyptien évoquait et dirigeait Chemnu, le "spectée charmant", la création féminine de Frankenstein de jadis, suscitée pour torturer et mettre à l'épreuve la force d'âme du candidat à l'initiation, simultanément avec le dernier cri d'agonie de sa nature humaine terrestre. Il est vrai que la Magie a perdu son nom, en même temps que le droit d'être reconnue, mais sa pratique est d'un usage journalier et sa [V 36] progéniture "l'influence magnétique", "la puissance oratoire", la "fascination irrésistible", "tout un public subjugué et tenu sous le charme", sont des termes reconnus et employés par tous, bien qu'aujourd'hui ils soient généralement dépourvus de sens. Cependant les effets de la Magie sont plus distincts, plus déterminés, parmi les congrégations religieuses comme celle des Shakers, des  nègres Méthodistes et des Salutistes qui les appellent "l'action du Saint-Esprit" et "la grâce". La vérité réelle c'est que la Magie bat toujours son plein au milieu de l'humanité, si inconsciente que cette dernière soit de sa présence et de son influence sur ses membres, si ignorante que puisse être et que soit encore la Société au sujet des effets bienveillants et malfaisants qu'elle produit journellement et heure par heure. Le monde est rempli de ces magiciens inconscients dans la politique comme dans la vie journalière, dans l'Eglise comme dans les bastions de la Libre Pensée. Malheureusement la plupart des Magiciens sont des "sorciers", non pas métaphoriquement mais réellement, en raison de l'égoïsme qui est inhérent à leur nature, vindicative, envieuse et méchante. Le véritable étudiant de la Magie, bien au courant de la vérité, se contente de jeter des regards de pitié et s'il est sage, garde le silence. En effet, tout effort qu'il ferait pour remédier à la cécité universelle, ne serait payé que par de l'ingratitude, des calomnies et souvent des malédictions qui, incapables de l'atteindre, réagiraient sur ceux qui lui voudraient du mal. Les mensonges et la calomnie – cette dernière, mensonge mordant qui ajoute de véritables morsures aux faussetés vides et inoffensives – deviennent son lot, de sorte que l'homme de bien est bientôt mis en pièces, en récompense de son charitable désir d'éclairer son prochain.

Nous pensons en avoir dit assez pour prouver que l'existence d'une Doctrine Secrète Universelle, à part ses méthodes pratiques de Magie, n'est nullement du domaine du roman ou de la fiction. Le fait était connu de tout l'ancien monde et cette connaissance a survécu en Orient et particulièrement en Inde. Or si cette Science existe, ses professeurs, ou Adeptes, doivent naturellement exister quelque part. En tout cas, il importe peu que les Gardiens du Trésor Sacré soient considérés comme des mythes ou comme des hommes vivants ayant une réelle existence. C'est leur Philosophie qui doit triompher ou s'effondrer par ses propres mérites et sans l'intervention d'aucun Adepte. Suivant les paroles que le sage Gamaliel adressait au Sanhédrin : "Si cette doctrine est fausse, elle périra et s'effondrera d'elle-même, mais si elle est vraie, alors elle ne peut être détruite."