SECTION XLI

LA DOCTRINE DES AVATARS

 

Une étrange histoire – une légende plutôt – est racontée avec persistance parmi les disciples de certains grands Gourous Himalayens et aussi parmi les laïques, d'après laquelle Gautama, le Prince de Kapilavastou, n'a jamais quitté les régions terrestres, bien que son corps soit mort, ait été brûlé et que des reliques en soient conservées jusqu'à présent. Il existe parmi les Bouddhistes Chinois une tradition orale et un récit écrit dans les livres secrets des Lamaïstes du Tibet, de même qu'une tradition parmi les Aryens, d'après lesquels Gautama BOUDDHA avait deux doctrines : l'une pour les masses et Ses disciples laïques, l'autre pour Ses "élus", les Arhats. Il semble que Sa tactique et, après Lui, celle de Ses Arhats, était de ne refuser l'admission de personne dans les rangs des candidats Arhats, mais de ne jamais divulguer les mystères ultimes qu'à ceux qui s'étaient montrés, pendant les longues années de probation, dignes de l'Initiation. Une fois acceptés, ceux-ci étaient consacrés et initiés sans distinction de race, de caste ou de richesse, comme ce fut le cas pour Son successeur occidental. Ce sont les Arhats qui ont donné naissance à cette tradition et ont permis qu'elle s'enracinât dans l'esprit des gens, et elle constitue aussi la base du dogme postérieur de la réincarnation Lamaïque, ou succession de Bouddhas humains.

Le peu que l'on puisse dire ici sur ce sujet, peut guider, ou non, l'étudiant psychique dans la bonne direction. Comme on a laissé à l'auteur le choix et la responsabilité d'exposer les faits comme elle les a compris personnellement, tout le blâme, au cas où cela donnerait naissance à des malentendus, doit retomber sur elle. La doctrine lui a été enseignée, mais on a laissé à sa seule intuition – comme on laisse maintenant à la sagacité du lecteur – le soin de grouper les faits mystérieux et embarrassants. Les renseignements incomplets donnés ici, sont des fragments de ce que renferment certains volumes secrets, mais il n'est pas permis de divulguer les détails.

 La version ésotérique du Mystère donnée dans les Volumes Secrets peut être très brièvement exposée. Les Bouddhistes [VI 53] ont toujours nié que leur BOUDDHA ait été, comme le prétendent les Brahmanes, un Avatar de Vishnou dans le même sens qu'un homme est une incarnation de son ancêtre karmique. Ils nient cela, en partie, peut-être, parce que la signification ésotérique du terme "Maha Vishnou" ne leur est pas connue dans son sens complet, impersonnel et général. Il y a dans la Nature un Principe mystérieux appelé "Maha Vishnou" qui n'est pas le Dieu de ce nom, mais un principe qui renferme Bîja, la semence des Avatars ou, en d'autres termes, qui est la puissance et la cause de ces incarnations divines. Tous les Sauveurs du Monde, tous les Bodhisattvas et tous  les Avatars, sont les arbres de salut sortis de l'unique semence, le Bîja ou "Maha Vishnou". Qu'on l'appelle Adi-Bouddha (Sagesse Primordiale) ou Maha Vishnou, c'est tout un. Esotériquement interprété, Vishnou est à la fois Sagouna et Nirgouna (avec et sans attributs). Sous le premier aspect, Vishnou est l'objet d'un culte et d'une dévotion exotériques ; sous  le second, en tant que Nirgouna, il est le point culminant de la totalité de la sagesse spirituelle dans l'Univers – bref, Nirvâna 73 – et a pour adorateurs tous les esprits philosophiques. Dans ce sens ésotérique, le Seigneur BOUDDHA fut une incarnation de Maha Vishnou.

Ceci, en se plaçant au point de vue philosophique et purement spirituel. Sur le plan de l'illusion, néanmoins, pourrait-on dire, ou en se plaçant au point de vue terrestre, ceux qui sont initiés savent qu'Il fut une incarnation directe de l'un des "Sept Fils de la Lumière" primordiaux, que l'on trouve dans toutes les Théogonies – les Dhyân Chohans, dont la mission, d'une éternité (æon) à l'autre, est de veiller sur la prospérité spirituelle des régions confiées à leurs soins. Cela a déjà été énoncé dans le Bouddhisme Esotérique.

Un des plus grands mystères du Mysticisme spéculatif et philosophique – et c'est l'un des mystères qui doit être dévoilé maintenant – c'est le modus operandi dans les degrés de tels transferts  hypostatiques. Il va de soi que les incarnations, tant divines qu'humaines, doivent rester comme un livre fermé pour les théologiens comme pour les physiologistes, à moins que les Enseignements Esotériques ne soient acceptés et ne deviennent la religion du monde. Ces Enseignements ne peuvent jamais être complètement expliqués à un public non [VI 54] préparé, mais une chose est certaine et peut être dite dès à présent : c'est qu'entre le dogme d'une âme nouvellement créée pour chaque nouvelle naissance et la supposition physiologique d'une âme animale temporaire, gît la vaste région de l'enseignement Occulte 74, avec ses démonstrations logiques et raisonnables, dont l'enchaînement logique et philosophique peut être relevé dans la Nature.

73 Bien des malentendus sont causés par une confusion des plans de l'être et par l'emploi d'expressions impropres. Par exemple, certains états spirituels ont été confondus avec le Nirvâna de BOUDDHA. Le Nirvâna de BOUDDHA diffère entièrement de tout autre état spirituel de Samadhi, ou même de la plus haute Théophanie, dont jouissent de moindres Adeptes. Après la mort physique, les genres d'états spirituels qu'atteignent les Adeptes diffèrent grandement.

 

Ce "Mystère" se découvre, pour celui qui en comprend bien la signification, dans le dialogue entre Krishna et Arjuna, au chapitre IV de la Bhagavad Gîta, versets 5 à 8 L'Avatar s'exprime ainsi :

Nombreuses sont mes incarnations passées, comme aussi les tiennes, ô Arjuna ! Je les connais toutes, mais, toi, tu ne connais pas les tiennes, ô terreur de tes ennemis !

Bien que je ne sois pas né, que mon  Atmâ soit inépuisable et que je sois le Seigneur de tout ce qui est ; pourtant, acceptant, la domination de ma nature, je suis né par le pouvoir de l'illusion 75.

Toutes les fois, ô fils de Bharata, que Dharma [la juste loi] décline et qu'Adharma [l'opposé de Dharma] se dresse, je me manifeste.

Pour le salut des bons et la destruction des méchants, pour l'établissement de la loi, je nais dans chaque youga.

 74 Cette région constitue l'unique point de conciliation possible entre les deux pôles diamétralement opposés de la religion et de la science, l'une avec ses champs arides de dogmes fondés sur la foi, l'autre débordant d'hypothèses vides, toutes deux envahies par l'ivraie de l'erreur. Elles ne se rencontreront jamais. Elles sont en lutte, une guerre éternelle règne entre elles, mais cela ne les empêche pas de s'unir contre la Philosophie Esotérique, qui depuis deux mille ans a dû lutter contre leurs deux infaillibilités, ou "leur pure vanité et leurs prétentions", suivant l'expression d'Antonin et qui voit maintenant le matérialisme de la Science Moderne se dresser contre ses vérités.

75 D'où viennent quelques-unes des idées des Gnostiques ? Cerinthe enseignait que le monde et Jéhovah étant déchus de la vertu et de la dignité primitive, le Suprême permit à un de ses glorieux Æons, dont le nom était "l'oint" (le, Christ) de s'incarner dans l'homme Jésus. Basilide niait la réalité du corps de Jésus et le qualifiait "d'illusion", soutenant que ce fut Simon le Cyrénéen qui souffrit sur la croix à sa place. Tous ces enseignements sont des échos des Doctrines orientales.

 

Celui qui comprend vraiment ma naissance divine  et mon action, ô Arjuna, celui-là ayant abandonné le corps, ne renaît pas ; il vient à moi.

Ainsi tous les Avatars ne font qu'un : ce sont les Fils de leur "Père" en ligne directe ; le "Père" ou l'une des sept Flammes devenant, pour le moment, le Fils, et les deux ne faisant qu'un – dans l'Eternité. Qu'est-ce que le Père ? Est-ce [VI 55] la Cause absolue de tout ? – l'insondable Eternel ? Non ; assurément. C'est Kâranâtmâ "l'Ame Causale" qui, dans son sens général, est appelé par les Hindous, Ishvara, le Seigneur, et par les Chrétiens "Dieu", le Seul et Unique. Au point de vue de l'unité, il en est ainsi ; mais alors, le plus inférieur des Elémentals pourrait, dans ce cas, être aussi considéré comme le "Seul et Unique". En outre, chaque être humain possède son propre Esprit divin ou Dieu personnel. Cette Entité ou Flamme divine, d'où émane Bouddhi, a avec l'homme, bien que sur un plan inférieur, les mêmes rapports que ceux qu'a le Dhyâni-Bouddha avec son Bouddha humain. Le monothéisme et le polythéisme ne sont donc pas irréconciliables ; ils existent dans la Nature.

En vérité, ce fut "pour le salut des bons et la destruction du mal" que les personnalités connues sous les noms de Gautama, Shankara, Jésus et quelques autres, naquirent chacune à son époque, comme il est déclaré – "Je nais dans chaque Youga" – et elles naquirent toutes par l'entremise du même Pouvoir.

Il y a un grand mystère dans de telles incarnations, et elles sont en dehors et au-delà du cycle des renaissances générales. Les renaissances peuvent être divisées en trois classes : les incarnations divines, appelées Avatars ; celle des Adeptes qui renoncent au Nirvâna dans le but d'aider l'humanité – les Nirmânakâyas ; et la suite naturelle des renaissances pour tous – la loi commune. L'Avatar est une apparence que l'on peut appeler une illusion spéciale au milieu de l'illusion naturelle qui règne sur les plans soumis à la puissance de Mâyâ ; l'adepte renaît consciemment, quand bon lui semble 76 ; les unités du troupeau ordinaire obéissent inconsciemment à la grande loi de double évolution.

 76 Un Adepte authentique initié conservera son Adeptat, bien que pour notre monde d'illusion, ses incarnations puissent être innombrables. Le pouvoir qui donne naissance à une série de pareilles incarnations n'est pas Karma, tel qu'on le conçoit ordinairement, mais une puissance encore plus inscrutable. Durant la période de ses existences, l'Adepte ne perd pas son Adeptat, bien qu'il ne puisse s'y élever à un degré supérieur.

 

Qu'est-ce donc qu'un Avatar ? Car avant d'employer le terme  il faudrait le bien comprendre. C'est une descente de la Divinité manifestée – que ce soit sous le nom de Shiva, Vishnou ou Adi-Bouddha – dans une forme illusoire d'individualité, sous un aspect qui, pour les hommes de ce plan illusoire, est objectif, mais qui ne l'est pas en réalité. Cette forme illusoire qui n'a ni passé ni futur, parce qu'elle n'a pas eu d'incarnations précédentes et qu'elle n'aura pas de renaissances ultérieures, n'a rien à faire avec Karma, qui n'a, par suite, aucune prise sur elle. [VI 56]

Gautama BOUDDHA naquit, dans un sens, comme un Avatar. Mais cela, en raison des objections inévitables sur le terrain dogmatique, nécessite une explication. Il y a une grande différence entre un Avatar et un Jîvanmoukta ; l'un est, comme nous venons de le dire, un aspect illusoire, sans Karma, et qui ne s'est jamais incarné précédemment, tandis que l'autre, le Jîvanmoukta, est un être qui obtient le Nirvâna par ses mérites individuels. Un philosophe Védantin, ennemi de tout compromis, protesterait encore contre cette expression. Il pourrait dire que la condition de l'Avatar et du Jîvanmoukta constituant un seul et même état, aucun mérite personnel durant un nombre quelconque d'incarnations n'en pourrait conduire le possesseur jusqu'au Nirvâna. Le Nirvâna, dirait-il,  est dépourvu d'action ; comment donc une action quelconque pourrait-elle y conduire ? Ce n'est ni un résultat ni une cause, mais un Etre toujours présent et éternel, suivant la définition de Nâgaséna. Il s'ensuit qu'il ne peut avoir aucun rapport avec l'action, le mérite, ou l'absence de mérite, puisque ceux-ci dépendent de Karma. Tout cela est très vrai, mais cependant, pour notre esprit, il y a une grande différence entre les deux. Un Avatar est ; un Jîvamoukta le devient. Si l'état des deux est identique, il n'en est pas de même des causes qui y mènent, Un Avatar est la descente d'un Dieu dans une forme illusoire ; un Jîvanmoukta, qui peut avoir passé par d'innombrables incarnations et qui peut y avoir accumulé des mérites, ne devient certainement pas Nirvânî à cause de ces mérites, mais seulement à cause du Karma généré par ces mérites, qui le conduit et le guide dans la direction du Gourou qui doit l'initier aux mystères du Nirvâna et qui, seul, peut l'aider à atteindre ce séjour.

Les Shastras disent que c'est par nos œuvres seules que nous obtenons Moksha, que si nous ne nous donnons pas de mal, nous ne gagnerons rien et nous ne serons ni assistés, ni favorisés par la Divinité [le Mâhâ Gourou]. Aussi soutient-on que Gautama, bien qu'étant un Avatar dans un sens, est un véritable Jîvanmoukta humain qui devait sa position à ses mérites personnels et était, par suite, plus qu'un Avatar. C'est son mérite personnel qui lui permit d'atteindre Nirvâna.

Il y a deux types d'incarnations d'Adeptes, volontaires et conscientes – celles des Nirmânakâyas et celle des chélâs en probation qui sont soumis aux épreuves.

Le mystère le plus grand et le plus embarrassant du  premier type réside dans le fait que ces renaissances, dans un corps humain, de l'Ego personnel d'un Adepte – après avoir habité le Mâyâvi ou le Kâma Roûpa et être demeuré en Kâma Loka – peuvent se produire même lorsque ses "Principes Supérieurs" [VI 57] sont dans l'état de Nirvâna 77. Qu'il soit bien compris que les expressions ci-dessus sont employées dans un but populaire et, qu'en conséquence, ce qui est écrit ne traite pas de cette profonde et mystérieuse question en se plaçant au point de vue du plan le plus haut, celui de la spiritualité absolue, ni même en se plaçant au point de vue philosophique le plus haut, qui ne serait compris que par un très petit nombre de personnes. Il ne faut pas supposer que quelque chose puisse entrer en Nirvâna qui n'y soit pas éternellement, mais l'intellect humain, en concevant l'Absolu, doit faire de Lui le plus haut terme d'une série infinie. Si l'on se souvient de cela, on évitera beaucoup de conceptions erronées. Le contenu de cette évolution spirituelle, ce sont les matériaux de divers plans avec lesquels le Nirvânî fut en contact avant d'atteindre le Nirvâna. Le plan sur lequel cela est vrai, faisant partie de la série des plans illusoires, ne peut indubitablement être le plus haut. Ceux qui le cherchent doivent aborder la vraie source d'études,  les enseignements des Oupanishads et l'aborder avec l'esprit qu'il faut. Nous ne cherchons ici qu'à indiquer la direction dans laquelle doivent s'opérer les recherches et, en montrant quelques-unes des possibilités Occultes mystérieuses, nous ne conduisons pas effectivement nos lecteurs jusqu'au but. La vérité ultime ne peut être communiquée que de Gourou à disciple initié.

 77 Depuis ce que l'on appelle le Brahmâ Loka – le septième et le plus haut des mondes, au-delà duquel tout est aroûpa, sans forme, purement spirituel – jusqu'au monde le moins élevé et jusqu'à l'insecte, ou même jusqu'à un objet tel qu'une feuille, il y a une perpétuelle révolution des conditions de l'existence : évolution et renaissance. Quelques êtres humains atteignent des états ou des sphères d'où l'on ne retourne que dans un nouveau Kalpa (un jour de Brahmâ) : il y a d'autres états ou sphères d'où l'on ne revient qu'après 100 jours de Brahmâ (Mâhâ Kalpa, période qui couvre 311.040.000.000.000 d'années). Nirvâna, dit-on, est un état d'où l'on ne revient pas. Pourtant on soutient qu'il peut y avoir, dans des cas exceptionnels, des réincarnations provenant de cet état, seulement ces incarnations sont des illusions, comme tout ce qui est le plan physique, ainsi qu'on le montrera.

 

Après ce que nous avons dit, l'exposé paraîtra et devra même paraître incompréhensible, sinon absurde à bien des gens. D'abord à tous ceux qui ne sont pas familiarisés avec la doctrine de la nature multiple et  des aspects divers de la Monade humaine ; et en second lieu à ceux qui étudient la division septénaire de l'entité humaine, en se plaçant à un point de vue trop matérialiste. Pourtant l'Occultiste intuitif, qui a étudié à fond les mystères du Nirvâna – qui le sait identique à Parabrahman et, par suite, inchangeable, éternel, non pas une Chose, mais le Tout Absolu – se rendra compte de la possibilité du fait. Il sait que tandis qu'un Dharmakâya – un Nirvânî "sans restes", suivant la traduction de nos [VI 58] Orientalistes, car il est absorbé dans ce Néant, qui est l'unique Conscience réelle, parce qu'Absolue – ne peut être représenté comme retournant en incarnation sur la Terre, le Nirvânî, qui n'est plus ni "Il", ni "Elle", ni même "cela", le Nirmânakâya – ou celui qui a obtenu le Nirvâna "avec restes", c'est-à-dire qui est revêtu d'un corps subtil qui le rend impénétrable à toutes les impressions extérieures et à toutes les sensations mentales et chez qui la notion de son Ego n'a pas entièrement cessé – peut être ainsi représenté. Tous les Occultistes Orientaux savent aussi qu'il y a deux sortes de Nirmânakâyas – le naturel et celui qui est assumé ; que le premier est le nom ou épithète qui sert à désigner la condition d'un ascète d'un rang élevé, ou d'un Initié, qui a atteint un état de béatitude au-dessus duquel il n'y a que le Nirvâna, tandis que le second indique le sacrifice de soi-même d'un être qui renonce volontairement au Nirvâna absolu afin d'aider l'humanité et de continuer à faire le bien, ou, en d'autres termes, afin de sauver ses frères en humanité, en les dirigeant. On peut objecter que le Dharmakâya, étant un Nirvânî ou Jîvanmoukta, ne peut laisser "de restes" après sa mort, attendu qu'ayant atteint l'état après lequel il n'y a plus d'incarnations possibles, il n'y a plus besoin d'un corps subtil, ou de l'Ego individuel qui se réincarne d'une vie à l'autre, et que, par suite, ce dernier disparaît logiquement, à cela on répond : il en est ainsi en ce qui concerne toutes fins exotériques et comme loi générale. Mais le cas que  nous traitons est un cas exceptionnel et sa réalisation est du domaine des pouvoirs Occultes du haut Initié qui, avant d'entrer dans l'état de Nirvâna, peut  faire  en  sorte  de  laisser  ses  "restes"  (appelés  parfois, mais assez improprement, son Mâyâvi Roûpa) derrière lui 78, qu'il soit destiné à devenir un Nirvânî, ou bien à se trouver dans un état inférieur de béatitude.

Il y a ensuite des cas – rares, mais pourtant plus fréquents qu'on ne serait disposé à le croire – qui constituent [VI 59] les réincarnations volontaires et conscientes d'Adeptes 79 durant leurs épreuves. Tout homme possède un Soi interne, un "Soi Supérieur", ainsi qu'un Corps Astral. Mais rares sont ceux qui, en dehors des degrés supérieurs de l'Adeptat, sont capables de diriger ce dernier, ou de diriger un des principes qui l'animent, une fois que la mort a mis un terme à leur courte Vie terrestre. Pourtant cette direction, ou son transfert, du mort à un corps vivant, est non seulement possible, mais encore fréquente suivant les enseignements Occultes et Cabalistiques. Les degrés de ce pouvoir varient naturellement beaucoup. Nous n'en mentionnerons que trois : le moins élevé de ces degrés permettrait à un Adepte, qui, durant sa vie, aurait été très entravé dans ses études et dans l'emploi de ses pouvoirs, de choisir, après sa mort, un autre corps dans lequel il continuerait ses études interrompues, bien qu'en perdant ordinairement tout souvenir de sa précédente incarnation. Le degré suivant lui permettrait, en outre, de transférer dans son nouveau corps le souvenir de sa vie passée, et le degré le plus haut n'imposerait guère de limites à l'exercice de cette merveilleuse faculté.

Comme exemple d'un Adepte qui jouissait de la première des facultés que nous venons de mentionner, certains Cabalistes citent un personnage bien connu du XVème siècle – le Cardinal de Cues ; le Karma qu'il devait à son merveilleux goût pour les études ésotériques et pour la Cabale, conduisit le malheureux adepte à chercher le repos intellectuel et un abri contre la tyrannie ecclésiastique, dans le corps de Copernic. Se non è vero è ben trovato [si ce n'est pas vrai, c'est bien imaginé] ; et l'étude de la vie de ces deux hommes amènerait facilement celui qui croit à ces facultés à accepter le fait. Le lecteur qui est à même de le faire est invité à se reporter au formidable in-folio latin du XVème siècle, intitulé De Docta Ignorantia, écrit par le Cardinal de Cues et dans lequel toutes les théories  et hypothèses  –  toutes les idées  –  de Copernic se retrouvent comme les toniques des découvertes, du grand astronome 80. Qui était-ce que ce Cardinal si [VI 60] extraordinairement savant ? Le fils d'un  pauvre batelier, qui devait toute sa carrière, son chapeau de Cardinal et la crainte respectueuse, plutôt que l'amitié, des Papes Eugène IV, Nicolas V et Pie II, à l'extraordinaire savoir qui semblait être inné en lui, puisqu'il n'avait étudié nulle part jusqu'à un âge comparativement avancé. De Cues mourut le 11 août 1464 ; en outre, ses meilleurs ouvrages furent écrits avant qu'il n'eût été forcé d'entrer dans les ordres – pour échapper à la persécution. Et l'Adepte n'y échappa pas.

78 Le fait de la disparition du véhicule de l'Egotisme chez le Yogi complètement développé, qui est supposé avoir atteint le Nirvâna sur terre, bien des années avant sa mort corporelle, a donné naissance à la loi de Manou, sanctionnée par des millénaires d'autorité, Brahmanique, d'après laquelle un tel Paramâtmâ devrait être considéré comme absolument sans reproche et libre de tout péché et de toute responsabilité, quoi qu'il fît (voyez le dernier chapitre des Lois de Manou). En vérité, la loi des castes – ce tyran si despotique, si intransigeant et si autocratique des Indes – peut être impunément enfreinte par le Yogi, qui est au-dessus des castes. Cela donne la clef de nos déclarations.

79 [Le mot "Adepte" est très librement employé par H. P. B. qui semble souvent ne lui faire signifier que la possession de certaines connaissances spéciales. Ici, le mot semble signifier d'abord un disciple non-initié, puis ensuite un disciple initié. – Ed. de l'édition de 1897.]

 80 Environ cinquante ans avant la naissance de Copernic, le cardinal de Cues écrivit ce qui suit : "Bien que le monde puisse ne pas être absolument infini, personne ne peut se le représenter comme fini, puisque la raison humaine est incapable de lui assigner un terme... En effet, de même que notre terre ne peut être au centre de l'Univers, comme on le croyait, la sphère des étoiles fixes ne peut y être davantage... Ainsi ce monde est comme une vaste machine, ayant son centre [la Divinité] partout et sa circonférence nulle part [machina mundi, quasi habens ubique centrum et nullibi circumferentiam]... Par suite, la Terre, n'étant pas au centre, ne peut être immobile... et bien qu'elle soit plus petite que le Soleil, on n'en doit pas conclure qu'elle soit pire [vilior, plus vile]... On ne peut voir si ses habitants sont supérieurs à ceux plus près du Soleil, ou dans d'autres étoiles, car l'espace sidéral ne peut être privé d'habitants... La Terre qui est très probablement [fortasse] l'un des plus petits globes, est néanmoins le berceau d'être intelligents, très nobles et très parfaits." On ne peut s'empêcher d'être d'accord avec le biographe du Cardinal de Cues qui, ne soupçonnant pas la vérité Occulte et la raison d'une telle érudition chez un auteur des XIVème et XVème siècles, est simplement émerveillé par ces pré-connaissances miraculeuses et les attribue à Dieu, en disant de l'auteur que c'était un homme incomparable dans tous les genres de philosophie, par qui bien des mystères théologiques inaccessibles à l'esprit humain (!) voilés et négligés durant des siècles (velata et neglecta) furent, une fois encore, amenés à la lumière. "Pascal peut avoir lu les œuvres de de Cues, dit Moreri, mais à qui le Cardinal a-t-il pu emprunter ses idées ?" Evidemment à Hermès et aux œuvres de Pythagore, même si l'on écarte le mystère de son incarnation et de sa réincarnation.

 

Dans le volumineux ouvrage du Cardinal que nous avons cité plus haut, on trouve une phrase très suggestive, dont la paternité a été diversement attribuée, tantôt à Pascal, tantôt à de Cues lui-même et tantôt au Zohar et qui appartient de droit aux Livres d'Hermès.

Le monde est une sphère infinie, dont le centre est partout et la circonférence n'est nulle part.

 Cette phrase est parfois ainsi changée – "Le centre n'étant nulle part et la circonférence partout", idée plutôt hérétique pour un Cardinal, bien que parfaitement orthodoxe au point de vue cabalistique.

La théorie de la renaissance doit être exposée par des Occultistes, puis appliquée à des cas spéciaux. La compréhension correcte de ce fait psychique est basée sur une conception correcte de ce groupe d'Etres célestes universellement appelés les sept Dieux ou Anges Primordiaux – nos Dhyân Chohans – les "Sept Rayons Primordiaux", ou Pouvoirs, adoptés plus tard par la Religion Chrétienne sous le nom des "Sept Anges de la Présence". Aroûpa, sans forme, sur l'échelon supérieur de  l'échelle des Etres, ils se matérialisent de plus en plus au fur et à mesure qu'ils descendent sur l'échelle de l'objectivité et de la forme, pour aboutir au plus grossier et au plus imparfait de la Hiérarchie, [VI 61] l'homme – c'est ce groupe purement spirituel qui nous est indiqué dans nos enseignements Occultes, comme étant le berceau et la source des êtres humains. C'est là que germe la conscience qui constitue la première manifestation de la Conscience causale – l'Alpha et l'Oméga de l'être divin et de la vie éternelle. Et en accomplissant sa descente à travers toutes les phases de l'existence, passant par l'homme, l'animal et la plante, elle ne s'arrête que dans le minéral. Elle est représentée par le double triangle – le plus mystérieux et le plus suggestif de tous les signes mystiques, car c'est un double glyphe embrassant la conscience et la vie spirituelles et physiques ; le premier triangle pointant en haut et l'inférieur en bas, entrelacés tous deux et montrant les divers plans des deux fois sept modes de conscience, les quatorze sphères de l'existence, les Lokas des Brahmanes.

Le lecteur peut se faire maintenant une idée plus claire de l'ensemble. Il comprendra aussi ce que l'on entend par les "Veilleurs" dont un est placé comme Gardien ou Régent de chacune des sept divisions ou régions de la Terre, suivant d'antiques traditions, de même qu'il y en a un qui surveille et guide chacun des quatorze mondes ou Lokas 81. Néanmoins, ce n'est avec aucun de ceux-ci que nous avons à faire pour le moment, mais nous avons à nous occuper de ce qui est appelé les "Sept Souffles" fournissant à l'homme sa Monade immortelle pour son pèlerinage cyclique.

Le Commentaire du Livre de Dzyan dit :

Descendant d'abord dans sa région comme Seigneur de Gloire, la Flamme (ou Souffle), ayant appelé à l'existence consciente la plus haute des Emanations de cette région spéciale, remonte ensuite à Son siège primordial, d'où Elle surveille et dirige  Ses innombrables Rayons (Monades). Elle ne choisit comme Ses Avatars, que ceux qui avaient en eux Sept Vertus 82 durant leur précédente incarnation. Pour le reste, Elle couvre chacun d'eux de Ses innombrables Rayons... Néanmoins, le "rayon" lui-même est une portion du Seigneur des Seigneurs 83. [VI 62]

Le principe septénaire de l'homme – qui ne peut être considéré comme double qu'en ce qui concerne la manifestation psychique sur ce grossier plan terrestre – était connu de toute l'antiquité et on peut le retrouver dans toutes les Ecritures Antiques. Les Egyptiens le connaissaient et l'enseignaient et leur division des principes est, en tous points, la contrepartie de l'Enseignement Secret Aryen. Elle est ainsi donnée dans Isis Dévoilée :

Suivant les notions Egyptiennes, comme suivant  celles de toutes les autres croyances basées sur la philosophie, l'homme ne constituait pas seulement... l'union  d'un corps et d'une âme ; c'était une trinité lorsque l'Esprit y était ajouté. En outre, cette doctrine le faisait consister de Kha (le corps), Khaba (la forme ou ombre astrale), Ka (l'âme animale ou principe vital), Ba (l'âme  supérieure) et  Akh  (l'intelligence  terrestre).  Ils avaient aussi un sixième principe,    appelé Sah (ou momie), mais sa fonction commençait après la mort du corps 84.

82 Celui "aux Sept Vertus" est celui qui, sans le bénéfice de l'initiation, devient aussi pur qu'un Adepte, par le simple effort de son propre mérite. Etant si saint, son corps devient, à sa prochaine incarnation, l'Avatar de son "Veilleur" ou Ange Gardien comme diraient les Chrétiens.

83 Titre du plus haut des Dhyân Chohans.

84 Op. cit., IV. 27.

 

Le septième principe étant, bien entendu l'Esprit le plus haut, incréé, était génériquement appelé Osiris, aussi chaque personne décédée était Osirifiée – devenait un Osiris – après la mort.

Mais les Occultistes, tout en réaffirmant le fait antique et toujours présent de la réincarnation et de Karma – non pas comme l'enseignent les Spirites, mais comme l'enseigne la Science la plus Antique du monde – doivent enseigner la réincarnation cyclique et évolutionnaire : ce genre de renaissance, mystérieuse et encore incompréhensible pour beaucoup de gens qui ignorent l'histoire du monde et dont il a été prudemment fait mention dans Isis Dévoilée. Une renaissance générale pour chaque individu, avec intermède en Kâma Loka et en Dévachan et une réincarnation cyclique consciente, avec un but grandiose et divin, pour le petit nombre. Les grands personnages qui se dressent comme des géants dans l'histoire de l'humanité, comme Siddârtha BOUDDHA et Jésus dans le royaume spirituel, et Alexandre de Macédoine et Napoléon le Grand dans le royaume des conquêtes physiques, ne sont que les images reflétées de types humains ayant déjà existé – non pas dix mille ans auparavant, comme il est prudemment avancé dans Isis Dévoilée, mais durant des millions d'années consécutives depuis le commencement du Manvantara. En effet – à part les véritables Avatars, comme nous l'avons expliqué plus haut – ce sont les mêmes Rayons (Monades) ininterrompus de leurs propres Flammes-mères spéciales – appelées Dévas, Dhyân-Chohans ou Dhyâni-Bouddhas, [VI 63] Bouddhas, ou encore Anges Planétaires, etc., brillant dans l'éternité æonique comme leurs prototypes. C'est à leur image que naissent quelques hommes et, lorsqu'on a en vue un but humanitaire déterminé, ceux-ci sont animés hypostatiquement par leurs divins prototypes reproduits sans cesse par les mystérieuses Puissances qui surveillent et dirigent les destinées de notre monde.

On n'en pouvait dire plus à l'époque où Isis Dévoilée fut écrite, aussi se borna-t-on à faire remarquer que :

 Il n'y a pas de personnage marquant, dans toutes les annales de l'histoire sacrée ou profane, dont nous ne puissions retrouver le prototype dans les traditions, à moitié fictives et à moitié vraies, des religions et des mythologies disparues. De même que l'étoile, qui scintille à une incommensurable distance au-dessus de nos têtes, dans l'immensité infinie du firmament, se réfléchit dans les eaux calmes d'un lac, de même l'imagerie des hommes des époques antédiluviennes se réfléchit dans les périodes que nous pouvons embrasser dans une rétrospective historique.

Mais maintenant que tant de publications ont vu le jour, en exposant beaucoup de la doctrine et en donnant même parfois des vues erronées, nous pouvons amplifier et expliquer cette vague allusion. Cette déclaration ne s'applique pas seulement à des personnages éminents de l'histoire, en général, mais aussi aux hommes de génie, à tous les hommes remarquables de l'époque, qui s'élèvent au-dessus du troupeau par le développement anormal, en eux, de certaine capacité spéciale favorisant le progrès et le bien de l'humanité. Chacun d'eux est la réincarnation d'une individualité qui l'a précédé avec des capacités de même ordre, apportant comme dot à sa nouvelle forme cette puissante capacité ou qualité, facile à réveiller, qu'il avait complètement développée durant sa vie précédente. Ce sont très souvent des mortels ordinaires, les Egos d'hommes naturels dans le cours de leur développement cyclique.

Mais c'est des "cas spéciaux" que nous nous occupons actuellement. Supposons que durant le cours de son cycle d'incarnations, une personne – constituant un récipient suffisamment pur – soit ainsi choisie, dans un but déterminé, par son Dieu personnel, la Source (sur le plan du manifesté) de sa Monade, qui élit domicile en elle. Ce dieu, son propre prototype ou "Père dans les Cieux", n'est pas seulement, dans un sens, l'image d'après laquelle lui, l'homme spirituel, est fait, mais, dans le cas que nous considérons, c'est cet Ego spirituel et individuel lui-même. C'est un cas de Théophanie permanente, durant toute la vie. N'oublions pas que [VI 64] ceci n'est pas un Avatar, comme le comprend la Philosophie Brahmanique, et que l'homme ainsi choisi n'est ni un Jîvanmoukta, ni un Nirvânî, mais que cela constitue un cas tout à fait exceptionnel dans le royaume du Mysticisme.  L'homme  peut  avoir été, ou non, un Adepte  durant ses  vies précédentes ; c'est tout simplement un individu extrêmement pur et spirituel – ou quelqu'un qui était tout cela durant sa vie précédente, si le véhicule ainsi choisi est celui d'un enfant nouveau-né. Dans ce cas, après la translation physique d'un pareil saint ou Bodhisattva, ses principes astrals ne peuvent être soumis à une dissolution naturelle, comme ceux du commun des mortels. Ils demeurent dans notre sphère, à portée de l'attraction et de l'atteinte des humains ; c'est ainsi que l'on peut non seulement dire qu'un Bouddha, un Shankarâchârya, ou un Jésus, animent plusieurs personnes à la fois, mais encore que les principes d'un haut Adepte peuvent animer les tabernacles extérieurs de mortels ordinaires.

Un certain Rayon (principe) de Sanat Koumâra spiritualisait (animait) Pradyoumna, fils de Krishna, durant la grande période du Mahâbhârata, alors, qu'en même temps, Sanat Koumâra lui-même donnait des instructions au Roi Dhritarâshtra. Il faut, en outre, se rappeler que Sanat Koumâra est un éternel adolescent de seize ans" qui habite le Jana Loka, sa propre sphère ou son propre état spirituel.

Même dans ce qu'on appelle la vie médianimique ordinaire, on a assez bien démontré que pendant que le corps agit – ne fut ce  que machinalement – ou est en repos dans un endroit déterminé, son double astral peut apparaître et agir indépendamment dans un autre  endroit, parfois fort éloigné. Cela se produit couramment dans la vie et l'histoire mystiques et s'il en est ainsi pour les extatiques, les Voyants et les Mystiques de tous genres, pourquoi la même chose ne pourrait-elle pas se produire sur un plan d'existence supérieur et plus  développé spirituellement ? Si on admet la possibilité sur le plan psychique inférieur, pourquoi donc ne pas l'admettre sur un plan supérieur ? Dans les cas d'Adeptat supérieur, lorsque le corps est absolument aux ordres de l'Homme Interne, lorsque l'Ego Spirituel est complètement réuni à son septième principe, même durant la vie de la personnalité et que l'Homme Astral, ou Ego personnel, est devenu si pur qu'il s'est graduellement assimilé toutes les qualités et tous les attributs de la nature moyenne (Bouddhi et Manas sous leur aspect terrestre), cet Ego personnel se substitue, pour ainsi dire, au Soi Supérieur spirituel et il est, dès lors, capable de vivre sur la terre d'une vie indépendante : lorsque la mort corporelle a lieu, le mystérieux événement suivant se  produit fréquemment. En tant que Dharmakâya, [VI 65] que Nirvani "sans restes", complètement libre de tout mélange terrestre, l'Ego Spirituel ne peut revenir se réincarner sur la terre. Mais on affirme qu'en pareil cas l'Ego personnel, même d'un Dharmakâya, peut rester dans notre sphère en général et revenir s'incarner sur terre s'il y a lieu. En effet, il ne peut plus désormais être soumis, comme les restes astrals d'un homme ordinaire, à une dissolution graduelle en Kâma Loka (le limbus ou purgatoire des Catholiques Romains et le "Summer-land" 85 des Spirites) ; il ne peut encourir une seconde mort, selon l'expression employée par Proclus 86 pour désigner cette désagrégation. Il est devenu trop saint et trop pur, non plus par une lumière et une spiritualité réfléchies, mais en vertu de sa propre lumière et de sa propre spiritualité, pour dormir d'un sommeil inconscient dans un état Nirvanique inférieur, ou pour se dissoudre comme une coque astrale quelconque et disparaître entièrement.

Mais, dans la condition connue sous le nom de Nirmânakâya [le Nirvânî "avec restes"], il peut encore aider l'humanité.

"Que je souffre et porte le poids des péchés de tous [être réincarné de nouvelles misères], mais que le monde soit sauvé !", a dit Gautama BOUDDHA – exclamation dont le véritable sens est peu compris aujourd'hui par ses disciples. "Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ?" 87, demande le Jésus astral à Pierre. "Jusqu'à ce que je vienne" veut dire "jusqu'à ce que je me réincarne de nouveau" dans un corps physique. Pourtant le Christ de l'ancien corps crucifié pouvait dire en vérité : "Je suis avec mon Père et ne fais qu'un avec Lui", ce qui n'empêcha ni l'astral de reprendre une forme ni Jean de demeurer vraiment jusqu'à ce que son Maître fut revenu et n'empêcha pas non plus Jean de ne pas le reconnaître lorsqu'il revint et de s'opposer à lui. Mais, dans l'Eglise, cette remarque donna naissance à l'absurde idée du millénium ou chiliasme, dans son sens physique. [VI 66]

 85 [Pays du Soleil. N.d.T.]

86 "Après la mort, l'âme demeure dans le corps aérien (astral) jusqu'à ce qu'elle soit purifiée de toutes passions colères et charnelles ; puis elle abandonne, par une seconde mort, le corps aérien [lorsqu'elle monte en Dévachan], comme elle avait abandonné le corps terrestre. C'est pourquoi les anciens disent qu'il y a un corps céleste toujours joint à l'âme, qui est immortelle, lumineuse et semblable à une étoile". Il devient donc naturel que le "corps aérien" d'un Adepte ne subisse pas cette seconde mort, puisqu'il a été purifié de toutes ses impuretés naturelles, avant sa séparation d'avec le corps physique. Le haut Initié est un "Fils de la Résurrection", "égal aux anges" et il ne peut plus mourir (Voyez Luc. XX. 36).

87 Saint Jean, XXI. 22.

 

Depuis lors "l'Homme de Douleurs" est peut-être revenu plus d'une fois, inconnu de ses aveugles disciples qui ne l'ont pas découvert. Depuis lors aussi, ce grand "Fils de Dieu" a été constamment et très cruellement crucifié, jour par jour et heure par heure, par les Eglises fondées en son nom. Mais les Apôtres, à demi initiés seulement, ne surent pas attendre leur Maître et, ne le reconnaissant pas, le repoussèrent chaque fois qu'il revint 88.

   88 Voyez les extraits publiés par The Theosophist, nov. 1881, p. 38, et déc., p. 75, d'un admirable roman de Dostoievsky – un fragment intitulé "Le Grand Inquisiteur". C'est naturellement une fiction, mais une sublime fiction, du retour du Christ en Espagne, durant les beaux jours de l'Inquisition et de son emprisonnement et de sa mise à mort par l'Inquisiteur, qui craint que le Christ ne ruine l'œuvre des mains Jésuites.