CHAPITRE II

PHENOMENES ET FORCES

 

"L'orgueil, lorsque l'esprit de répartie fait défaut, accourt à notre défense et prend toute la place laissée libre par le bon sens…"

 POPE.

"Mais pourquoi les opérations de la nature seraient-elles changées ? II peut y avoir une philosophie plus profonde que nous ne l'avons rêvé, une philosophie qui découvre les secrets de la nature mais qui, en les pénétrant n'en altère pas la marche."

 BULWER-LYTTON.

 

Est-ce assez pour l'homme de savoir qu'il existe ? Suffit-il qu'un être humain soit formé pour qu'il mérite le nom d'HOMME ? Voici notre opinion bien arrêtée et notre conviction : pour devenir une véritable entité spirituelle digne de ce titre, l'homme doit commencer pour ainsi dire par se recréer : c'est-à-dire éliminer complètement de son mental et de son âme, non seulement toute influence dominante d'égoïsme et d'autre impureté, mais aussi toute infection de la superstition et du préjugé. J'entends par-là toute autre chose que l'antipathie et la sympathie prises dans l'acception commune. L'énergique courant magnétique qui se dégage des idées aussi bien que des corps physiques, génère une influence particulière, un sombre tourbillon qui, tout d'abord, nous entraîne irrésistiblement. Il nous enveloppe et nous finissons par n'en plus pouvoir sortir. C'est que nous n'en avons point le courage, arrêtés que nous sommes par une honteuse lâcheté morale : la crainte de l'opinion publique. Il est rare que les hommes envisagent une chose sous son jour, faux ou vrai, par libre exercice de leur jugement personnel. Bien au contraire. Ordinairement, la conclusion procède d'une aveugle adoption des opinions courantes parmi ceux avec lesquels nous frayons. Un paroissien ne croira jamais payer trop cher, si absurde qu'en soit le prix, sa place au banc d'œuvre. De même un matérialiste n'ira pas deux fois entendre M. Huxley traiter de l'évolution parce qu'il croit bon de le faire, mais parce que Monsieur un Tel et Madame une Telle, personnages considérés comme donnant le ton, le font. [100]

Il en va de même pour toutes choses. Si la psychologie avait eu son Darwin, on aurait peut-être démontré qu'au point de vue de nos qualités morales, l'origine de l'homme était étroitement liée à celle de sa forme physique. Par la servilité de sa condition et sa mimique, la société suggère à l'observateur attentif l'idée d'une parenté, entre les êtres humains et ceux de l'espèce simiesque, encore plus frappante peut-être que ne l'indiquent les signes extérieurs relevés par le grand anthropologiste. Les nombreuses variétés du singe, cette "caricature de l'homme", paraissent avoir évolué exprès pour fournir à certaines catégories de personnes, dispendieusement attifées, les éléments de leurs arbres généalogiques.

La science, chaque jour, avance rapidement dans le sens des grandes découvertes en chimie, en physique, en organologie, en anthropologie. Les savants devraient être libres de toute conception a priori et de tout préjugé. Et malgré la liberté de pensée et d'opinion, les savants d'aujourd'hui sont les mêmes hommes qu'autrefois. C'est le fait d'un rêveur et d'un utopiste, d'imaginer que l'évolution, le développement des idées nouvelles ont changé l'homme. Il est possible que le sol soit convenablement fertilisé, préparé pour une récolte annuelle de fruits plus abondants et meilleurs ; mais, si vous bêchez un peu profondément, sous la couche utile à la récolte, vous retrouverez le sous-sol tel qu'il était avant le premier sillon.

Il y a peu d'années, mettre en doute l'infaillibilité d'un dogme théologique quelconque, suffisait pour mériter la réputation d'iconoclastes et d'hérétiques ! Væ victis... La Science a vaincu. Mais, à son tour, le vainqueur réclame la même infaillibilité. Bien qu'il ne prouve pas mieux son droit. "Les temps changent et nous changeons avec eux". Ce dicton du bon vieux Lotharius s'applique au cas dont il s'agit. Néanmoins notre sentiment est que nous avons quelque droit à mettre en question les grands prêtres de la Science.

Depuis bien des années, nous avons surveillé le développement de la croissance de cette pomme de discorde : LE SPIRITISME MODERNE. Familiers avec sa littérature, en Europe comme en Amérique, nous avons suivi avec une attention intéressée ses interminables disputes et nous avons comparé ses hypothèses contradictoires. De nombreuses personnes instruites, hommes et femmes – spirites hétérodoxes, naturellement – ont essayé de sonder ces phénomènes Protéens. Ils ont simplement abouti à la conclusion suivante : quelles que soient les raisons de ces échecs constants – qu'on les attribue aux investigateurs ou à la Force secrète qui agit – il est au moins prouvé que plus les manifestations psychologiques sont fréquentes et variées, plus aussi sont impénétrables les ténèbres qui entourent leur origine. [101]

II est oiseux de le nier : nous sommes aujourd'hui témoins de phénomènes dont la nature est mystérieuse. On les désigne généralement et peut-être, à tort, sous le nom de spirites. Consentons une importante défalcation pour des fraudes astucieuses, il en reste cependant assez pour solliciter l'attentif examen de la science. "Et cependant elle tourne" ; cette phrase, prononcée il y a des siècles, est passée dans le langage courant. De nos jours, il n'est plus indispensable d'avoir le courage de Galilée pour la jeter à la face de l'Académie. Déjà les phénomènes psychologiques en sont à l'offensive.

Les savants modernes déclarent que, même si la production  de certains phénomènes mystérieux en présence des médiums est un fait avéré, rien ne prouve que ces phénomènes ne soient pas attribuables à quelque anomalie dans la constitution nerveuse de ces individus. Il faut que cette question soit tranchée avant d'envisager s'il est possible que les phénomènes soient produits par des esprits humains revenant ici-bas. Une légère objection peut être faite à cette manière de voir. Sans doute, l'obligation de la preuve incombe à ceux qui affirment l'intervention des esprits. Si les hommes de science voulaient aborder le sujet en toute bonne foi, avec l'ardent désir de résoudre un mystère angoissant, s'ils n'affichaient pas un mépris peu digne et peu professionnel, ils ne s'exposeraient à aucun blâme. Certes, les communications "spirites" sont, pour la plupart, de nature à dégoûter les chercheurs, même d'intelligence moyenne. Quand elles sont authentiques, elles sont triviales, quelconques et, souvent, vulgaires. Depuis vingt ans, par l'intermédiaire de certains médiums, nous avons, reçu des messages supposés émaner de Shakespeare, Byron, Franklin, Pierre le Grand, Napoléon, Joséphine, voire de Voltaire. Notre impression était que le conquérant français et son épouse semblaient avoir oublié l'orthographe, que Shakespeare et Byron étaient tombés dans l'ivrognerie chronique et Voltaire dans l'imbécillité. Qui pourrait blâmer des hommes habitués à des principes exacts, ou même des personnes instruites tout simplement si elles concluent que lorsque des fraudes aussi évidentes sont en surface, il leur serait difficile de trouver la vérité en allant au fond. Accoler des noms célèbres à des communications idiotes, a infligé une telle indigestion à l'estomac des savants qu'ils ne peuvent plus assimiler même la grande vérité qui repose  sur  les  plateaux télégraphiques 106 de cet océan de phénomènes psychologiques. Ils jugent d'après une surface souillée d'écume et de mousse. Mais ils pourraient, avec une égale exactitude, nier l'existence de toute eau claire dans les [102] profondeurs de la mer, sous prétexte qu'une écume graisseuse flotte à la surface. Par conséquent, si, d'un côté, nous ne pouvons les blâmer de reculer au premier aspect de ce qui semble réellement répulsif, nous avons par contre le droit de les critiquer – et nous en usons – pour leur répugnance à explorer plus profondément. Ni perles, ni diamants taillés ne peuvent être trouvés sur le sol. Et ces gens agissent aussi follement qu'un plongeur de profession, qui rejetterait une huître perlière en raison de son aspect malpropre et vaseux alors qu'en l'ouvrant il aurait trouvé une perle précieuse dans la coquille.

106 Il s'agit des fonds marins où reposent les câbles télégraphiques (N.d.T)

 

Même les reproches justes et sévères formulés par quelques-uns de leurs chefs de file sont sans effet. La peur des savants de se livrer à des recherches, sur un sujet aussi impopulaire, semble avoir tourné maintenant à une panique générale. "Les phénomènes poursuivent les savants, et les savants fuient les phénomènes". Cette remarque pleine d'à propos fut faite par M. A. N. Aksakof dans un excellent article sur le Médiumnisme et le Comité scientifique de Saint-Pétersbourg. L'attitude de ce  corps professoral en ce qui concerne le sujet qu'il s'était spontanément engagé à étudier, fut simplement honteuse, d'un bout à l'autre. Son rapport, prématuré et combiné à l'avance, était si évidemment partial et si peu concluant qu'il suscita une protestation méprisante de la part des incrédules eux-mêmes.

Le manque de logique chez nos savants messieurs, contre la philosophie du spiritisme proprement dit est admirablement dénoncée par le professeur John Fisk, un des leurs. Dans un récent travail philosophique, The Unseen World, tout en montrant bien que d'après la définition même des termes matière et esprit l'existence de l'esprit ne peut être démontrée aux sens, et, qu'ainsi, aucune théorie n'est justiciable des preuves scientifiques, il porte un coup sévère à ses collègues, dans ces lignes : "Le témoignage dans un cas de ce genre, dit-il, dans les conditions de la vie présente, doit forcément rester pour toujours inaccessible. Les preuves sont entièrement hors du domaine de l'expérience. Si abondantes qu'elles soient, nous ne pouvons espérer les rencontrer. Et, par conséquent, l'impossibilité où nous sommes de les produire ne peut susciter la moindre présomption contre notre théorie. Quand on l'envisage ainsi, la croyance à la vie future n'a pas d'appui scientifique, mais, en même temps, elle est au-delà du besoin d'une base scientifique et elle échappe à la critique scientifique. C'est une croyance que ne pourront combattre, en quoi que ce soit, tous les progrès futurs et imaginables des découvertes physiques. C'est une croyance qui n'est en aucune façon irrationnelle et qu'on peut avoir logiquement sans affecter notre tournure scientifique d'esprit et sans que nos conclusions scientifiques en soient influencées". "Si, [103] maintenant, ajoute-t-il, les hommes de science veulent accepter ce point de vue que l'esprit n'est pas la matière, qu'il n'est pas régi par les lois de la matière ; s'ils s'abstiennent, dans les spéculations sur l'esprit, de le restreindre par leur connaissance des choses matérielles, ils auront supprimé ce qui, de nos jours, est, pour les hommes religieux, la principale cause d'irritation".

Mais, ils ne le feront pas. Ils s'exaltent quand des hommes aussi supérieurs que Wallace ont le courage, la loyauté, le mérite de s'incliner, et refusent d'accepter la manière de voir, si prudente et si restrictive soit-elle, de M. Crookes.

Pour réclamer l'attention en faveur des opinions contenues dans le présent ouvrage, notre seul titre est qu'elles sont fondées sur bien des années d'études concernant à la fois l'ancienne magie et le Spiritisme, sa forme moderne. La première, même maintenant où les phénomènes, semblables à ceux d'autrefois, sont devenus familiers à tous, est communément écartée comme une adroite jonglerie ; le second, alors que la force de l'évidence exclut toute possibilité de crier franchement au charlatanisme, est dénoncée comme une hallucination universelle.

Beaucoup d'années d'errances parmi les magiciens "païens"et "chrétiens", parmi les occultistes, les magnétiseurs et tutti quanti appartenant à la magie blanche ou noire, doivent suffire, pensons-nous, pour nous donner un certain droit de nous sentir compétente, pour considérer pratiquement cette question douteuse et très compliquée.   Nous avons frayé avec les fakirs, les saints de l'Inde, et les avons vus en communication avec les Pitris. Nous avons surveillé les actes et le modus operandi des derviches tourneurs et hurleurs ; entretenu d'amicales relations avec les marabouts de Turquie d'Europe et d'Asie : les charmeurs de serpents de Dansas et de Bénarès n'ont guère de secrets que nous n'ayons eu la bonne fortune d'étudier. Aussi, quand des hommes de science qui n'ont jamais eu l'occasion de vivre parmi ces jongleurs orientaux et, ne peuvent tout au plus, que juger superficiellement, nous disent que dans leurs performances il n'y a rien que de simples tours de prestidigitation, malgré nous nous ne pouvons que regretter profondément des conclusions aussi précipitées. Se réclamer aussi prétentieusement d'une analyse approfondie des forces de la nature et, en même temps, étaler une aussi impardonnable négligence pour les questions d'un caractère purement physiologique et psychologique, rejeter sans appel et sans examen des phénomènes aussi surprenants, c'est faire montre d'une inconséquence fortement teintée de timidité, si ce n'est de déviation morale.

Aussi, dussions-nous jamais recevoir de quelque Faraday contemporain le même trait que celui décoché par ce gentleman, [104] il y a des années, avec plus de sincérité que de bonne éducation il est  à craindre que nous persisterions dans notre croyance. Faraday prétendit : "Bien des chiens ont le pouvoir d'arriver à des conclusions beaucoup plus logiques que certains spirites 107". L'injure n'est pas un argument, encore moins une preuve. Des hommes comme Huxley et Tyndall auront beau nommer le spiritisme "une croyance dégradante" et la magie orientale "jonglerie", ils ne peuvent cependant faire que la vérité ne soit pas la vérité. Le scepticisme, qu'il procède d'une cervelle scientifique ou ignorante, est incapable de détruire l'immortalité de nos âmes – si cette immortalité est un fait – et les plonger dans l'anéantissement post-mortem. "La Raison est sujette à l'erreur", dit Aristote : l'opinion aussi. Les vues personnelles du plus savant philosophe risquent plus souvent de se montrer erronées que le bon sens naïf de sa cuisinière illettrée. Dans les Contes du Calife impie, Barrachias-Hassan-Oglu, le sage arabe, tient ce discours très sensé : "Garde-toi, ô mon fils, de t'exalter. C'est un empoisonnement agréable et, par conséquent, très dangereux. Profite de ta propre sagesse mais apprend à respecter aussi la sagesse de tes ancêtres. Et rappelle-toi, ô mon  bien-aimé,  que  souvent  la  lumière  de  la  vérité  d'Allah entrera beaucoup plus facilement dans une tête vide que dans une autre si remplie de savoir que maint rayon d'argent est laissé dehors, faute de place... C'est ce qui arrive pour notre trop sage Cadi".

107 W. Crookes, F.R.S. Recherches sur les Phénomènes du Spiritisme

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Jamais les représentants de la science moderne, dans les deux hémisphères, ne semblent avoir eu autant de mépris, autant d'amertume, envers l'insondable mystère, que depuis le jour où M. Crookes entreprit, à Londres, d'étudier les phénomènes. Le premier, ce savant présenta courageusement au public une de ces sentinelles  prétendues "matérialisées" qui gardent les portes interdites. Après lui, plusieurs autres érudits appartenant au corps scientifique mirent la main au travail et s'attaquèrent aux phénomènes. Belle et courageuse probité qu'on pourrait qualifier d'héroïsme tant l'objet de leurs recherches était impopulaire !

Hélas, si l'esprit, c'est certain, était prompt, il se trouva que la chair était faible. Le ridicule était plus que la majorité de ces hommes ne pouvait supporter, de sorte que le fardeau le plus lourd retomba sur les épaules de M. Crookes. Un aperçu des profits que ce vaillant retira de ses recherches désintéressées, les remerciements qu'il reçut de la part de ses savants confrères, vous les trouverez dans ses trois brochures intitulées : Recherches sur les phénomènes du Spiritisme. [105]

Quelque temps après, les membres désignés pour le comité de la Société de dialectique et M. Crookes, après avoir soumis ses médiums aux épreuves les plus sévères, furent, sommés par un public impatient de rapporter en termes compréhensibles ce qu'ils avaient vu. Mais que pouvaient-ils dire, sinon la vérité ? C'est ainsi qu'ils furent forcés de reconnaître les points suivants : I. Les phénomènes, dont ils avaient, au moins, eux-mêmes été les témoins, étaient authentiques, impossibles à simuler ; donc que des manifestations produites par quelque  force inconnue pouvaient avoir lieu et avaient eu lieu. II. Ils ne pouvaient affirmer si ces phénomènes étaient produits par des esprits désincarnés ou par d'autres entités analogues, mais des manifestations qui renversent toutes les théories préconçues des lois naturelles avaient certainement lieu. Plusieurs de ces manifestations avaient eu lieu dans leurs propres  familles.

  1. A part le fait indiscutable de la réalité des phénomènes, "aperçus d'une action naturelle dont la loi n'est pas encore établie" 108, ils ne pouvaient, malgré tous leurs efforts, rien en tirer. Ça n'avait "ni queue ni tête" selon l'expression du Comte de Gabalis.

108 W. Crookes. Experiments on psychie Force, p. 25

 

Or, c'était précisément ce qu'un public sceptique n'avait pas prévu. Avant que les conclusions de MM. Crookes, Varley et la Société de la Dialectique fussent publiées, on escomptait impatiemment la déconfiture des fervents du Spiritisme. De tels aveux, venant de leurs confrères en science, humiliaient trop l'orgueil de ceux-là même qui s'étaient timidement abstenus de toute investigation. On trouvait vraiment trop fort que se fussent manifestés ces phénomènes si vulgaires et si répugnants, qui du consentement commun des gens instruits étaient considérés comme des contes de nourrices, bons tout au plus à distraire des bonniches hystériques et à faire la fortune des somnambules de profession ? Et voilà que ces manifestations, vouées à l'oubli par l'Académie et l'Institut de Paris, avaient l'impertinence d'échapper à des chercheurs, experts ès-sciences physiques !

Une tempête d'indignation suivit cette confession, M. Crookes la dépeint dans sa brochure sur la Force Psychique. Avec beaucoup d'à propos il met en épigraphe cette citation de Galvani : "Je suis attaqué par deux sectes très opposées : les savants et les ignares. Cependant je sais avoir découvert une des plus grandes forces de la nature". Puis il continue :

"On considérait comme acquis que les résultats de mes expériences devaient concorder avec leurs opinions préconçues. Ce qu'ils désiraient ce n'était pas la vérité mais un témoignage supplémentaire en faveur de leurs conclusions arrêtées d'avance. Quand [106] ils trouvèrent que les faits établis par cette investigation ne pouvaient pas être adaptés à leurs opinions, eh bien… ce fut tant pis pour les faits. Ils essayèrent alors de se dérober à leurs propres recommandations, autrefois si confiantes, concernant l'enquête et déclarèrent "que M. Home est un adroit escamoteur qui nous a tous dupés". "M. Crookes aurait aussi bien fait d'étudier les tours d'un jongleur indien". "M. Crookes devra se procurer de meilleurs témoins avant de pouvoir obtenir créance". "La chose est trop absurde pour être traitée sérieusement". "C'est impossible, donc cela ne peut pas être…" (Je n'ai jamais dit que ce fût possible, j'ai dit seulement que c'était vrai).

 "Les observateurs ont tous été hallucinés, ils s'imaginent qu'ils ont vu se produire des choses qui, réellement, n'ont jamais eu lieu", etc., etc. 109.

109 W. Crookes. Spiritualism Viewed by the Light of Modern Science. Voir Quarterly Journal of Science.

110 A. Aksakof. Phenomena of Mediumnism. Voir Quarterly Journal of Science.

 

Après avoir dépensé leur énergie sur des théories aussi enfantines que "la cérébration inconsciente", la contraction musculaire involontaire" et celle parfaitement ridicule "du muscle craqueur" ; après avoir subi de honteux échecs grâce à l'obstination que la nouvelle force mettait à survivre, et, finalement, après tous les efforts les plus désespérés pour supprimer cette force en l'oblitérant, ces fils de la défiance – comme saint Paul appelle les hommes de cette catégorie – crurent que le mieux était d'abandonner le tout. Sacrifiant ceux de leurs frères qui avaient le courage de persévérer sur l'autel de l'opinion publique ils se retirèrent dans un silence compassé. Laissant l'arène de l'investigation à des champions moins timorés, ces expérimentateurs malheureux ne sont, vraisemblablement pas disposés à y rentrer 110. Nier la réalité de telles manifestations quand on s'en tient prudemment éloigné, est beaucoup plus facile que de trouver la place qui leur convient dans les classes qui se répartissent les phénomènes acceptés par la science exacte. Comment le pourraient-ils puisque tous ces phénomènes sont du domaine de la psychologie et que celle-ci, avec ses pouvoirs occultes et mystérieux, est une terre inconnue pour la science moderne ? Ainsi, impuissants à expliquer ce qui procède directement de la nature même de l'âme  humaine – dont la plupart d'entre eux nient l'existence – peu désireux, en même temps, d'avouer leur ignorance, les savants se vengent bien injustement sur ceux qui croient au témoignage de leurs sens et n'ont aucune prétention à la science.

"Un coup de pied de toi est doux, ô Jupiter !" Dit le poète Tretiakowsky, dans une vieille tragédie russe. Si grossiers que ces Jupiters de la science soient, à l'occasion, susceptibles d'être envers [107] nous, mortels crédules, leur immense savoir – dans des questions moins obtuses, s'entend – leur donnerait, à défaut de bonnes manières, des titres au respect public. Mais, malheureusement, les dieux ne sont pas ceux qui crient le plus fort.

 L'éloquent Tertullien, parlant de Satan et de ses suppôts qu'il accuse sans cesse de contrefaire les œuvres du Créateur, les appelle "les singes de Dieu". Il est heureux pour nos philosophicules que nous n'ayons pas un Tertullien moderne pour leur assurer l'immortalité du mépris, en tant que "singes de la science".

Mais revenons aux véritables savants : "Les phénomènes d'un caractère seulement objectif, dit A.-N. Aksakof, s'imposent  à l'investigation et à l'explication des représentants des sciences exactes ; mais les grands prêtres de la science, en face d'une question si simple en apparence… sont totalement déconcertés ! Ce sujet paraît avoir le privilège de les amener à trahir, non seulement la règle la plus sublime du Code de moralité, la Vérité ; mais aussi la loi suprême de la Science, l'expérimentation"… Ils sentent que la question a des fondements trop sérieux. Les cas de Hare, Crookes, de Morgan, Varley, Wallace et Butleroff créent la panique ! Ils craignent d'être contraints à céder tout le terrain s'ils lâchent un seul pied. Les principes, vénérables par leur antiquité, les spéculations contemplatives d'une vie entière, voire d'une longue suite de générations, tout cela est en jeu sur une seule carte 111 !"

111 A. Aksakof. Phenomena of Mediumnism.

 

Que pouvons-nous attendre de nos flambeaux d'érudition en présence d'expériences comme celles de Crookes, de la Société de Dialectique, de Wallace et de feu le professeur Hare ? Leur attitude devant  les phénomènes indéniables est en soi un phénomène. Elle est simplement incompréhensible à moins d'admettre la possibilité d'une autre maladie psychologique aussi mystérieuse et aussi contagieuse que l'hydrophobie. Nous ne voulons pas nous enorgueillir de l'avoir découverte, nous nous contenterons de proposer le nom de psychophobie scientifique.

L'école d'une amère expérience aurait dû leur apprendre qu'on ne peut se fier que jusqu'à un certain point à ce que les sciences positives présument d'elles-mêmes ; tant qu'un seul mystère dans la nature reste inexpliquée, le mot "impossible" est un mot qu'il leur est dangereux de prononcer.

Dans ses Recherches sur les phénomènes du Spiritisme, M. Crookes soumet à l'opinion huit théories "pour expliquer les phénomènes qui ont été observés". Les voici :

 "Première Théorie. – Tous les phénomènes résultent de tours de mains, d'habiles dispositions mécaniques ou de trucs de [108] prestidigitation ; les médiums sont des imposteurs et les autres assistants des imbéciles.

"Seconde Théorie. – Ceux qui assistent à la séance sont victimes d'une sorte de manie, d'illusion ; ils imaginent des phénomènes qui n'ont aucune véritable existence objective.

"Troisième Théorie. – Le tout est le résultat d'une action cérébrale consciente ou inconsciente.

"Quatrième Théorie. – Le tout provient de l'esprit du médium, associé peut-être avec les esprits d'une partie ou de la totalité des personnes présentes.

"Cinquième Théorie. – C'est l'action des mauvais esprits, ou des diables, personnifiant qui ils veulent ou ce qu'ils veulent afin de saper le christianisme et de perdre les, âmes humaines (c'est la théorie de nos théologiens).

"Sixième Théorie. – L'action d'êtres habitant la terre, immatériels, invisibles pour nous, appartenant à une catégorie distincte, capables cependant, à l'occasion, de manifester leur présence connus dans presque tous les pays et à toutes les époques comme des démons (pas nécessairement mauvais), sous les noms de gnomes, fées, kobolds, elfes, lutins, puck, etc…(c'est une des opinions des cabalistes).

"Septième Théorie. – L'action d'êtres humains désincarnés (c'est la théorie spirite par excellence).

"Huitième Théorie. – (La force psychique)… c'est un appoint aux quatrième, cinquième, sixième et septième théories".

La première de ces théories n'ayant été reconnue juste que dans des cas exceptionnels, mais malheureusement encore trop fréquents, doit être rejetée parce qu'elle n'a pas de portée matérielle sur les phénomènes eux- mêmes. Les seconde et troisième théories sont les retranchements croulants des sceptiques et des matérialistes, elles restent, comme disent les juristes : "Ad huc sub judice lis est". Dans cet ouvrage nous n'avons, donc, à nous occuper que des quatre théories qui restent. La huitième et dernière, de l'avis même de M. Crookes, est tout simplement "un appoint nécessaire" aux autres.

Il nous est facile de voir combien une opinion scientifique est elle- même sujette à l'erreur : en comparant les divers articles sur les phénomènes spirites, articles dus à la plume de ce savant qui parurent de 1870 à 1875. Dans l'un des premiers nous lisons : …"l'emploi plus fréquent des méthodes scientifiques donnera lieu à des observations plus exactes, à un plus grand respect de la vérité de la part des chercheurs : il suscitera une race d'observateurs grâce auxquels le résidu sans valeur du spiritisme sera évacué [109] d'ici pour retomber dans les limbes ignorés de la magie et de la nécromancie". Et cependant, en 1875, sous la même signature, nous trouvons la description la plus intéressante et la plus détaillée concernant un esprit matérialisé : Katie King 112 !

Nous ne pouvons guère imaginer que M. Crookes soit resté pendant deux ou trois années consécutives sous une influence électro-biologique, ou une hallucination. "L'esprit" apparut dans sa propre maison, dans sa bibliothèque, à la suite d'épreuves décisives… il a été vu, palpé, entendu par des centaines de personnes.

Mais M. Crookes se défend d'avoir jamais pris Katie King pour un esprit désincarné. Qu'était-ce, alors ? Si ce n'était pas miss Florence Cook (et sa parole nous suffit à cet égard) c'était donc ou l'esprit de quelqu'un ayant vécu sur terre ou l'un de ceux qui se classent directement dans la sixième des huit théories offertes par ce savant éminent au choix du public. Ce serait un des êtres classés sous les noms de fées, Kobolds, gnomes, elfes, lutins ou alors un Puck 113.

112 The Last of Katie King, pamphlet IV, p. 119.

113 Ibid., par. I, p. 7.

 

Certes, Katie King a dû être une fée, une Titania, car, seule, une fée justifierait le poétique hommage cité par M. Crookes en  décrivant cet esprit merveilleux :

"Round her she made an atmosphere of life ; The very air seemed lighter from her eyes ; They were so soft and beautiful and rife With all we can imagine of the skies ;

Her overpowering presence makes you feel It would not be idolatry to kneel !" 114

Ainsi, après avoir écrit en 1870 sa sévère déclaration contre le spiritisme et la magie ; après avoir même déclaré, alors, que, selon lui, tout se réduisait à une superstition, ou pour le moins, à un truc inexpliqué, à une illusion des sens 115, M. Crookes, en 1875, termine sa lettre par ces mots mémorables : "Imaginer, dis-je, que la Katie King des trois dernières années puisse être le résultat d'une imposture, est plus révoltant pour le bon sens et la raison que de croire qu'elle est ce qu'elle prétend être 116". Cette dernière remarque, en outre, prouve, d'une manière concluante, les points suivants : I. En dépit de la pleine conviction de M. Crookes, [110] que la personnalité prétendant se nommer Katie King n'était ni le médium ni un compère, mais une force inconnue de la nature, qui, semblable à l'amour, "se rit des serrures". II. Que cette espèce de force inconnue jusqu'alors était pour lui "non pas une question d'opinion mais bien de connaissance absolue". Le célèbre chercheur garda toujours jusqu'à la fin son attitude sceptique à ce sujet. Bref, il croit fermement au phénomène mais il ne peut admettre l'idée qu'il s'agisse de l'esprit humain d'un désincarné quelconque.

114 "Autour d'elle, elle crée une atmosphère de vie ; Dans ses yeux, l'air semble plus limpide, Tant ils sont doux et beaux et pleins De ce que nous connaissons des cieux Sa présence triomphale nous fait sentir, Que ce ne serait point de l'idolâtrie de s'agenouiller."

(The Last of Katie King, pamphlet IV, p. 112)

115 Ibid., p. 112.

116 Recherches sur les phénomènes du Spiritisme, p. 45.

 

Aussi loin qu'aille le préjugé public, il nous semble que M. Crookes résout un mystère mais seulement pour en créer un autre, plus insondable encore : Obscurum per obscurius. En d'autres termes, rejetant le résidu sans valeur du spiritisme, le courageux savant plonge intrépidement lui- même dans les limbes inconnus de la magie et de la nécromancie.

Les lois reconnues de la science physique n'expliquent que quelques- uns des plus objectifs parmi les prétendus phénomènes spirites. Tout en prouvant bien la réalité de certains effets visibles d'une force inconnue elles ne permettent pas au savant de contrôler à volonté même cette partie du phénomène. La vérité est que les professeurs n'ont pas encore découvert les conditions nécessaires pour les produire. Ils devront étudier aussi profondément la triple nature de l'homme, physiologique, psychologique ou divine – que l'ont fait leurs prédécesseurs : les magiciens, les théurgistes et les thaumaturges de jadis... Jusqu'à ce jour, tous ceux qui ont étudié les phénomènes avec la même conscience et la même impartialité que M. Crookes ont abandonné le problème parce que, d'après eux, la solution n'est pas susceptible d'être trouvée présentement, si elle doit l'être. Ils ne s'en soucient pas davantage que de la cause première des phénomènes cosmiques de la corrélation des forces à propos desquelles ils se donnent tant de peine pour en observer et classer les effets infinis.

En agissant de la sorte, ils sont aussi mal avisés que celui qui, pour essayer de découvrir les sources d'une rivière, se dirigerait vers l'embouchure. Leurs notions sur les possibilités de la loi naturelle sont si limitées qu'ils se sont vus obligés de nier la possibilité de phénomènes occultes même les plus simples, à moins de miracles. Or, comme c'est scientifiquement absurde, il en résulte, pour la science physique, la perte récente d'une partie de son prestige. Si les savants avaient étudié les prétendus "miracles", au lieu de les nier, bien des lois secrètes de la nature, que les anciens comprenaient, auraient été découvertes de nouveau. "La conviction, dit Bacon, ne vient pas par l'argumentation mais par l'expérimentation". [111]

Les anciens s'étaient toujours distingués – surtout les astrologues et les mages de la Chaldée – par leur ardent amour du savoir et sa poursuite dans toutes les branches de la science. Ils essayèrent de pénétrer les secrets de la nature comme le font nos naturalistes modernes et par la seule méthode susceptible de mener au but, c'est-à-dire par les recherches expérimentales et la raison. Si nos philosophes modernes ne peuvent concevoir que ces précurseurs aient pénétré plus avant qu'eux dans les mystères de  l'univers, il ne s'ensuit pas valablement qu'on puisse nier la possession de ces savoir et connaissances ou les accuser de superstition. Rien ne justifie cette accusation tandis que chaque découverte nouvelle en archéologie milite en leur faveur. Comme chimistes, ils n'ont pas été égalés et dans sa fameuse conférence sur les arts perdus, Wendell Philipps dit : "La chimie, aux époques les plus reculées, avait atteint un développement dont nous n'avons même jamais approché". Le secret du verre malléable qui, "suspendu par une de ses extrémités, s'étire grâce à son propre poids et, au bout  de  vingt-quatre  heures,  devient  un  gracieux  filament  qu'on peut enrouler autour de son bras", constituerait dans nos pays civilisés une redécouverte aussi difficile que s'il s'agissait de nous transporter dans la lune.

Une coupe de verre, sous le règne de Tibère, fut apportée à Rome par un exilé. "Il la jeta sur les dalles de marbre sans qu'elle fût brisée ni fêlée par sa chute". Mais comme elle était "un peu bosselée", quelques coups de marteau la remirent en forme. C'est un fait historique. S'il est mis en doute, aujourd'hui, c'est simplement parce que les modernes sont incapables d'en faire autant. Cependant, à Samarcande et dans quelques monastères du Tibet on trouve encore de nos jours des coupes et des verreries de ce genre. Bien plus, certaines personnes prétendent pouvoir produire ce verre grâce à leur connaissance de l'Alkahest, le fameux solvant universel dont on s'est tant moqué et dont on a tant douté. Selon Paracelse et Van Helmont, cet agent serait dans la nature un certain fluide "capable de réduire tous les corps sublunaires, homogènes ou mixtes, à leur ens primum, c'est-à-dire de les ramener à la matière d'origine dont ils sont composés ; ou encore les convertir en une liqueur uniforme, pondérable et potable qui, sans perdre ses propres vertus radicales, se mélangera à  l'eau et aux sucs de tous les corps ; remélangée à elle-même, cette liqueur sera convertie en eau pure élémentaire". Quelles impossibilités nous empêcheraient de croire à cette assertion ? Pourquoi cet agent n'existerait- il pas et pourquoi cette idée serait-elle considérée comme une utopie ? Est- ce encore parce que nos chimistes modernes sont incapables de la produire" ? Mais on peut assurément concevoir, sans faire de grands efforts d'imagination, que tous les [112] corps, à l'origine, doivent avoir été formés d'une matière première et que cette matière, si nous nous en rapportons aux leçons de l'astronomie, de la géologie et de la physique doit avoir été fluide. Pourquoi donc l'or, dont nos savants connaissent si peu la genèse, n'aurait pas été, originairement, une primitive ou basique matière d'or, un fluide pondérable qui, comme dit Van Helmont, "en raison de sa nature propre ou d'une forte cohésion entre ses molécules, aurait acquis plus tard une forme solide ?" Il n'est pas si absurde de croire à l'existence d'un "ens universel qui résout tous les corps en leur ens genitale". Van Helmont l'appelle "le plus grand et le plus efficace de tous les  sels. Parvenu au suprême degré de simplicité, de pureté, de subtilité, ce sel jouit seul de la propriété de rester inaltérable, inchangé par les substances sur lesquelles il agit. Aussi peut-il dissoudre les corps les plus réfractaires et les  plus  durs  tels  que  les  pierres,  les  pierreries,  le  verre,  la  terre, les métaux, le soufre, etc. Il les transforme en un sel rouge d'un poids égal à la matière dissoute et cela tout aussi facilement que l'eau bouillante fait fondre la neige".

C'est dans ce fluide que les fabricants de verre malléable prétendaient et prétendent encore aujourd'hui plonger le verre commun qui, en quelques heures, deviendrait ainsi malléable.

Nous avons sous la main une preuve palpable de ces possibilités. Un correspondant étranger de la Société Théosophique, médecin très connu, après avoir étudié les sciences occultes pendant plus de trente ans, réussit à obtenir ce qu'il appelle "la véritable huile d'or", c'est-à-dire l'élément primaire. Les chimistes et les physiciens qui l'ont examinée ont dû reconnaître qu'ils ignoraient comment elle était obtenue et  déclaraient qu'ils ne pourraient en produire. Il est bien naturel que ce savant ne veuille pas faire connaître son nom. Le ridicule et les préjugés du public sont, parfois, plus dangereux que l'inquisition d'autrefois. Cette "terre Adamique" est proche voisine de l'alkahest et constitue l'un des plus importants secrets des alchimistes. Aucun cabaliste ne consentirait à le révéler au monde car, selon l'expression dont il se sert dans son jargon bien connu, "ce serait expliquer les aigles des alchimistes et comment les ailes des aigles sont écourtées". C'est un secret que Thomas Vaughan (Eugénius Philalèthe) mit vingt ans à apprendre.

Comme l'aube de la science devenait la clarté du jour, les sciences spirituelles s'immergeaient de plus en plus dans l'obscurité de la nuit : on en vint finalement à les nier. Aussi, de nos jours, les plus grands maîtres de la psychologie sont-ils considérés comme "des ancêtres ignorants et superstitieux", comme des empiriques et des saltimbanques. Pour nous le soleil du savoir moderne brille, d'un éclat si vif, que c'est un axiome que les [113] philosophes et les savants de l'antiquité étaient des ignorants et vivaient dans la nuit de la superstition. Mais leurs détracteurs oublient que le soleil d'aujourd'hui, comparé à l'astre de demain, à tort ou à raison, semblera bien sombre. Si les hommes de notre époque estiment que leurs ancêtres étaient ignorants, leurs descendants, peut-être, les jugeront ignares. Le monde se meut par cycle ! Les races à venir seront simplement la reproduction de races très longtemps disparues : Nous, peut-être, nous sommes les images de celles qui vécurent il y a cent siècles. Le moment viendra où recevront leur dû tous ceux qui, publiquement, calomnient les hermétistes, dont ils méditent en cachette les ouvrages poudreux, dont ils plagient les idées et s'en attribuent la paternité. "Qui donc", s'écrie loyalement Pfaff, "quel homme eut jamais une notion plus intelligente de la nature que Paracelse ? Il fut l'intrépide créateur de la médication chimique, le fondateur de sociétés courageuses : controversiste victorieux, il est un de ces esprits qui créèrent parmi nous un nouveau mode de pensée touchant l'existence naturelle des choses. Les vues dont ses ouvrages sont semés concernant la pierre philosophale, les pygmées, les esprits des mines, les présages, les homunculi, l'élixir de vie qui, toutes, servent à le rabaisser dans notre estime, mais ne peuvent éteindre notre dette de gratitude envers lui pour ses ouvrages généraux ni notre admiration pour la libre hardiesse de ses efforts et pour sa vie noble et intellectuelle 117.

Parmi les pathologues, les chimistes, les homéopathes et les magnétiseurs, plus d'un est venu étancher sa soif de savoir dans les ouvrages de Paracelse. Frédéric Hufeland a conçu ses doctrines spéculatives sur l'infection, grâce aux écrits de ce "charlatan médiéval", comme Sprengel se plaît à nommer celui qui fut infiniment plus grand que lui. Hemman, qui s'efforce de défendre ce grand philosophe et qui, noblement, cherche à réhabiliter sa mémoire calomniée, en parle comme du plus grand chimiste de son temps 118. De même font le "professeur Molitor 119 et le Dr Ennemoser, l'éminent psychologue allemand" 120. Leur critique des travaux de cet Hermétiste montre Paracelse comme "l'intelligence la plus merveilleuse de son temps", comme un  "noble génie". Mais nos lumières modernes se prétendent mieux informées : les idées des Rose-Croix sur les esprits élémentaires, les gibelins et les elfes sont tombées dans les "limbes de la magie"et des contes de fées pour petits enfants 121. [114]

 117 Astrology de Pfaff. Berlin.

118 Medico Surgical Essays.

119 La Philosophie de la Tradition.

120 On Theosoph. Paracelsus. Magic.

121 Kemshead, dans sa "chimie inorganique" dit que "l'élément hydrogène fut, pour la première fois, mentionné par Paracelse au XVIème siècle, mais, de toutes manières, on savait fort peu de chose à son sujet" (p. 66). Pourquoi ne pas être sincère et confesser d'emblée que Paracelse redécouvrit l'hydrogène de même qu'il avait redécouvert les propriétés cachées de l'aimant et du magnétisme humain ? En vertu des serments rigoureux qui les astreignaient au secret, serments qui liaient tous les Rose-Croix et qu'ils tenaient loyalement, surtout les alchimistes, il est aisé d'établir qu'il garda son savoir secret. Un chimiste au courant des travaux de Paracelse n'aurait peut-être pas grand peine à démontrer que l'oxygène, dont la découverte est attribuée à Priestley, était connue des Rose-Croix, tout comme l'hydrogène.

 

Nous concédons aux sceptiques que la moitié et même plus des prétendus phénomènes provient de fraudes plus ou moins habiles. Ce n'est que trop bien prouvé par de récents scandales, surtout en ce qui concerne les médiums "à matérialisations". On nous en réserve encore d'autres, c'est certain : il en sera de même jusqu'au jour où les preuves seront devenues assez parfaites et les spirites assez raisonnables pour ne pas fournir d'occasions aux médiums ni d'armes à leurs adversaires.

Que doivent penser les spirites sensés de la nature de ces guides angéliques qui après avoir monopolisé, peut-être pendant des années, le temps, la santé et les ressources d'un pauvre médium, l'abandonnent d'un moment à l'autre lorsqu'il a le plus grand besoin de leur secours ? Il n'y a que des créatures sans âme et sans conscience qui puissent se rendre coupables d'une telle injustice. Les conditions ? simple sophisme. A quelle catégorie peuvent bien appartenir de tels esprits qui ne réunissent pas, au besoin, toute une armée d'esprits amis (s'il en existe) pour arracher l'innocent médium à l'abîme ouvert sous ses pas ? Il y eut des cas de ce genre jadis : ils pourraient se reproduire aujourd'hui. Les apparitions ne datent pas du spiritisme moderne, des phénomènes semblables à ceux d'aujourd'hui se sont produits dans chacun des siècles passés. Si les manifestations modernes sont réelles, si ce sont des faits palpables, les prétendus "miracles" et les exploits des thaumaturges de l'antiquité l'étaient aussi. Par contre, si les uns se résument en des fictions dues à la superstition, les autres ne valent pas mieux car ils ne reposent point sur des preuves meilleures.

Mais dans ce torrent toujours grossissant des phénomènes occultes qui déferle d'un bout du monde à l'autre, compte tenu de la fausseté des deux tiers des manifestations, que penser de celles qui sont authentiques sans le moindre doute ? Parmi celles-ci, on peut trouver des communications venant par des médiums non professionnels aussi bien que par des médiums de métier, qui sont sublimes et d'une élévation divine. Souvent, par l'entremise de jeunes enfants, de personnes ignorantes et simples d'esprit, nous recevons des enseignements philosophiques et des préceptes, des oraisons poétiques et inspirées, des productions musicales et des tableaux tout à fait dignes de la réputation des auteurs auxquels [115] on les attribue. Les prophéties se réalisent souvent et leurs incitations morales sont bienfaisantes quoique ce dernier cas soit plus rare. Quels sont ces esprits, quelles sont ces forces et ces intelligences qui sont, évidemment, extérieurs au médium lui-même et qui constituent des entités per se ?  Ces intelligences méritent bien ce nom : elles diffèrent autant que le jour de la nuit des fantômes et des lutins qui errent autour des cabinets consacrés aux manifestations physiques.

Il faut avouer que la situation nous semble très grave. Chaque jour davantage, les médiums tombent au pouvoir d'esprits sans principes et mensongers, les effets pernicieux d'un diabolisme apparent se multiplient sans cesse. Quelques-uns des meilleurs médiums délaissent l'estrade publique, se soustraient à son influence et le mouvement tend à se porter du côté de l'église. Nous nous hasardons à prédire que si les spirites ne se mettent pas à l'étude de la philosophie antique afin d'apprendre à distinguer les esprits les uns des autres pour se protéger contre les esprits inférieurs, avant un quart de siècle, ils se réfugieront dans le sein de l'Eglise Romaine, espérant échapper à ces "guides", à ces "contrôles" qui leur furent si longtemps chers. Les signes précurseurs de cette catastrophe sont déjà visibles. Dans une convention, tenue récemment à Philadelphie, fut agitée la question d'organiser une secte de Spirites chrétiens ! La raison c'est que s'étant séparés de l'église, ces spirites n'ont rien appris touchant la philosophie des phénomènes, ni la nature de leurs esprits : ils sont donc ballottés sur la mer de l'incertitude comme un vaisseau sans compas et sans gouvernail. Ils n'échapperont pas au dilemme ;Ils auront à choisir entre Porphyre et Pie IX.

Beaucoup de vrais savants : Wallace, Crookes, Wagner, Butlerof, Varley, Buchanan, Hare, Reichenbach, Thury, Perty, de Morgan, Hoffmann, Goldschmidt, W. Gregory, Flammarion, Sergeant Cox et tant d'autres, croient fermement aux phénomènes courants, mais beaucoup d'entre eux se refusent à admettre la théorie des esprits désincarnés. Aussi, logiquement, on arrive à la conclusion que si la "Katie King" de Londres, unique quelque chose matérialisé que le respect de la science impose à la croyance publique, n'est pas l'esprit d'un ex-mortel et il faut alors que ce soit l'ombre astrale solidifiée de quelque fantôme Rosicrucien, "fantaisie de superstition", ou alors de quelque force encore inexpliquée de la nature. Que ce soit "un honnête esprit ou un infernal lutin", peu nous importe. En effet, si on peut prouver que son organisme n'est pas composé de matière solide, il faut alors que ce soit "un esprit", une apparition, un souffle. C'est une intelligence agissant en dehors de notre organisme et, par conséquent, elle appartient à quelque race d'êtres existant quoique invisibles. Mais qu'est-ce [116] donc ? Quel est ce quelque chose qui pense, qui parle même, mais qui n'est pas humain ? Qui est impalpable et qui, cependant, n'est pas un esprit désincarné ? Qui simule l'affection, la passion, le remords, la peur, la joie et qui, néanmoins, ne les ressent pas ? Quelle est cette créature hypocrite qui se plaît à tromper l'investigateur sincère et se moque des sentiments humains sacrés ? Car, si la Katie King de M. Crookes ne l'a pas fait, d'autres créatures semblables en sont coupables. Qui sondera ce mystère ? Seul le véritable psychologue. Et où ira-t-il chercher ses manuels si ce n'est sur les rayons négligés des bibliothèques où dorment, dans la poussière, depuis tant d'années,  les ouvrages dédaignés des hermétistes et des théurgistes Webster 122, sceptique d'alors, ayant attaqué ceux qui croyaient aux phénomènes spirituels et magiques, Henry More, le Platonicien anglais révéré lui répondit : "Au sujet de l'opinion selon laquelle la majeure partie des théologiens réformés soutiendrait que le diable serait apparu sous la forme de Samuel, cette opinion ne vaut pas une réponse. Certes, j'en suis convaincu, dans beaucoup de ces apparitions nécromanciennes, ce sont des esprits trompeurs et non les âmes des défunts qui apparaissent. Cependant, je suis certain que l'âme de Samuel apparut. Tout aussi certain que dans d'autres cas de nécromancie, il s'agit de ce genre d'esprits qui, selon Porphyre, prennent mille formes et apparences diverses, jouent tantôt le rôle de démons, tantôt celui d'anges ou de dieux, tantôt, enfin, celui d'âmes des défunts. Je reconnais qu'un de ces esprits a fort bien pu personnifier Samuel, ce que Webster, quoi qu'il en dise, ne réussit point à établir. Car ses arguments sont étonnamment faibles et creux."

122 Lettre à J. Glanvil, chapelain du roi et membre de la Société Royale. Glanvil est l'auteur d'un ouvrage célèbre sur les Apparitions et la Démonologie, intitulé : Sadducismus Triumphatus ou Traité complet et raisonné sur les sorcières et les apparitions. Ouvrage, en deux parties, "démontrant, soit à l'aide des Ecritures, soit par une collection choisie de récits modernes, l'existence réelle des apparitions, des esprits et des sorcières, 1700.

 

Lorsqu'un métaphysicien et un philosophe comme Henry More donne un tel témoignage, nous estimons que nous ne nous sommes point trompés. Les investigateurs érudits, hommes fort sceptiques au sujet des esprits, en général, et, particulièrement, au sujet des "esprits humains défunts", au cours des vingt dernières années, se sont creusé la cervelle pour trouver un nouveau nom à une vieille chose. Ainsi M. Crookes et Sergeant Cox disaient : "force psychique". Le professeur Thury, de Genève dit : "psychode" ou force ecténique ; le professeur Balfour Stewart : "puissance électro-biologique" ; Faraday, "grand maître en philosophie expérimentale en physique" mais apparemment novice en psychologie se prononce dédaigneusement pour une "action musculaire [117] inconsciente", une "cérébration inconsciente". Est-ce tout ? Pour Sir William Hamilton, c'est une "pensée latente" ; pour le Dr Carpenter, c'est "le principe idéo- moteur"…, etc... Autant de savants, autant de noms.

Il y a des années, le vieux philosophe allemand, Schopenhauer, écartait, en même temps, cette force et la matière ; et, depuis la conversion de M. Wallace, ce grand anthropologiste a, évidemment, adopté sa manière de voir. La doctrine de Schopenhauer voit uniquement dans l'univers la manifestation de la volonté. Toute force dans la nature est également un effet de la volonté représentant un degré plus ou moins grand de son objectivité. C'est ce qu'enseignait Platon, selon qui, toute chose visible était créée ou évoluée par la VOLONTÉ invisible et éternelle, et à sa guise. Notre ciel, dit-il, a été coulé dans le moule du "Monde Idéal", contenu, comme tout le reste, dans la dodécahédren, le type géométrique adopté par la Divinité 123. Pour Platon, l'Etre Primaire est une émanation de l'Esprit Démiurgique (Nous) qui, de toute éternité, contient "l'idée" du "monde à créer", et qui tire cette idée de lui-même 124.

123 Platon. Timœus sœrius, 97.

124 Voir Movers. Esplanations, 268.

125 Cory. Chaldean Oracles, 243.

126 Philon le Juif. On the Creation, X.

 

Les lois de la nature sont les relations établies de cette idée avec les formes de ses manifestations ; "ces formes", dit Schopenhauer, "sont le temps, l'espace et la causalité. A travers le temps et l'espace, l'idée varie dans ses innombrables manifestations".

Ces idées sont loin d'être nouvelles, et n'étaient pas originales même chez Platon. Voici ce que nous lisons dans les Oracles Chaldéens 125 : "L'œuvre de la nature est coexistante avec la Lumière intellectuelle spirituelle du Père (νοέρψ). C'est en effet l'âme (οuхŕ) qui embellissait le grand ciel et qui l'embellit d'après le Père".

"Le monde incorporel était déjà terminé, son siège étant dans  la Raison Divine", dit Philon 126 qu'on accuse à tort d'avoir déduit sa philosophie de celle de Platon.

 Dans la Théogonie de Mochus, nous avons en premier lieu l'Æter, puis l'air, les deux principes desquels naît Ulom, l'intelligible (voητος) Dieu, l'univers matériel visible 127.

Dans les Hymnes Orphiques, l'Eros Phanès sort de l'Œuf Spirituel, fécondé par les vents Æthériques : le Vent étant "l'Esprit de Dieu" qui, selon la tradition, se meut dans l'Ether, "planant sur le Chaos", "l'Idée" Divine. Dans le Kathopanishad hindou, [118] Pourousha, l'Esprit Divin, déjà, précède la matière originelle : de son union naît la grande âme du Monde, "Maha-Atma, Brahm, l'Esprit de Vie" 128. Ces dernières appellations sont celles adoptées par les théurges et les cabalistes : Ame Universelle, Anima mundi, Lumière astrale.

Pythagore rapporta ses doctrines des sanctuaires d'Orient et Platon les compila, pour les esprits non initiés, sous une forme plus intelligible que les nombres mystérieux du sage dont il avait entièrement adopté les doctrines. Ainsi, le Cosmos, pour Platon est "le Fils" dont le père et la mère sont la Pensée Divine et la Matière 129.

"Les Egyptiens", dit Dunlap 130, distinguaient les deux Horus, l'aîné et le cadet : l'aîné, frère d'Osiris ; le cadet, fils d'Osiris et d'Isis. Le premier correspond à l'Idée du monde confinée dans l'Esprit du Démiurge, "né dans les ténèbres avant la création du monde". Le second Horus est cette "Idée", sortant du Logos, se revêtant de matière et prenant une existence réelle 131.

C'est "le Dieu du monde, éternel, infini, vieux et jeune, d'une forme sinueuse", selon les Oracles Chaldéens 132.

127 Movers. Phoinizer, 282.

128 Weber. Akad. Vorles, 213, 214, etc.

129 Plutarque. Isis et Osiris, 1, VI.

130 Spirit History of man, p. 88.

131 Movers. Phoinizer, 268.

132 Cory. Fragments, 240.

 

Cette "forme sinueuse" est une figure pour exprimer le mouvement vibratoire de la Lumière Astrale que les prêtres anciens connaissaient parfaitement, bien qu'au sujet de l'éther ils aient pu différer d'opinion avec les savants modernes. Ils plaçaient, en effet, l'Æther dans l'Idée Eternelle pénétrant l'univers, ou la Volonté qui devient Force pour créer ou organiser la matière.

"La volonté, dit Van Helmont, est la première des puissances. C'est par la volonté du Créateur que toutes choses ont été créées et mises en mouvement… La volonté est la propriété de tous les êtres spirituels et elle s'exerce en eux d'autant plus activement qu'ils sont plus dégagés de la matière". Et Paracelse "le divin", comme on l'a appelé, renchérit sur le même sujet : "La foi doit fortifier l'imagination car la foi engendre la volonté... Une volonté ferme est le commencement de toutes les opérations magiques… C'est parce que les hommes ne conçoivent pas et ne croient point parfaitement aux résultats, que les arts sont incertains alors qu'ils pourraient avoir une certitude parfaite".

L'incrédulité, le scepticisme, c'est le pouvoir contraire. A force égale, il peut seul tenir l'autre en échec le neutralisant même, parfois, complètement. Les spirites ne doivent donc pas être étonnés si la présence de quelques forts sceptiques, si l'opposition déclarée [119] aux phénomènes, si l'effort inconscient de volontés s'exerçant en sens inverse gênent et souvent même arrêtent entièrement les manifestations. S'il n'est pas au monde de force consciente qui n'en puisse trouver une autre pour lui résister et même pour la contre-balancer, quoi de surprenant à ce que la force passive et inconsciente d'un médium soit, tout à coup, paralysée dans ses effets par une force opposée bien qu'également inconsciente ? Les professeurs Faraday et Tyndall se vantaient de ce que, dans un cercle, leur présence arrêtait immédiatement toute manifestation. Ce fait aurait dû suffire à prouver aux savants qu'il y avait dans ces phénomènes une force digne d'attirer leur attention. Comme savant, le professeur Tyndall était peut-être le personnage le plus important du cercle parmi ceux qui étaient présents à la séance. Comme observateur averti qu'un médium tricheur aurait eu de la peine à tromper, peut-être n'était-il pas plus habile, peut-être même l'était-il moins que d'autres assistants. Si les manifestations avaient constitué des fraudes assez ingénieuses pour tromper les autres,  sa présence n'aurait rien arrêté. Quel médium a jamais pu se vanter de produire, les phénomènes que produisait Jésus et, après lui, l'apôtre Paul ? Or, Jésus, lui-même, s'est trouvé dans des cas où une force inconsciente de résistance paralysait entièrement le courant pourtant si bien dirigé de sa volonté : "et il ne fit point d'œuvres, en ce lieu, à cause de leur incrédulité".

 Il y a un reflet de chacune de ces idées dans la philosophie de Schopenhauer. Nos savants "investigateurs" pourraient consulter ses œuvres avec profit. Ils y trouveraient bien des hypothèses étranges fondées sur des idées anciennes, des spéculations sur les "nouveaux" phénomènes qui sont peut-être aussi raisonnables que toute autre et ils s'épargneraient ainsi l'inutile peine d'inventer de nouvelles théories. Forces psychiques ou ecténiques, idéo-moteur, forces électro-biologiques, pensée latente, et même cérébration inconsciente ; toutes ces théories se résument en deux mots : LUMIÈRE ASTRALE des cabalistes.

Les théories et les opinions hardies exprimées dans les œuvres de Schopenhauer diffèrent complètement de celles de la majorité de nos savants orthodoxes. "En réalité, remarque cet audacieux penseur, il n'y a ni matière ni esprit. La tendance à la gravitation dans une pierre est aussi inexplicable que la pensée dans le cerveau humain. Si la matière peut – personne ne sait pourquoi – tomber sur la terre, elle peut donc aussi penser sans qu'on sache pourquoi. Même en mécanique, dès que nous  dépassons la limite de ce qui est purement mathématique, dès que nous touchons à l'incrustable : l'adhérence, la gravitation et le reste ; nous nous trouvons en présence de phénomènes aussi mystérieux pour nos sens que  la VOLONTE et la PENSEE, dans l'homme ; nous sommes [120]  en présence de l'incompréhensible et c'est le cas pour chacune des forces de la nature. Où donc est cette matière que, tous, vous prétendez si bien connaître ? Celle qui vous est si familière que vous en tirez vos conclusions et vos explications et lui attribuez tout ?… Notre raison, nos sens ne parviennent à percevoir que le superficiel et non pas à comprendre la véritable substance des choses. Telle était l'opinion de Kant. Si vous considérez qu'il existe dans la tête de l'homme une sorte d'esprit, vous êtes, dès lors, obligé de l'admettre dans la pierre. Si votre matière morte et passive est capable de manifester une tendance à la gravitation, ou, comme l'électricité peut attirer, repousser, émettre des étincelles, alors tout comme le cerveau, elle peut aussi penser. Bref, chaque parcelle du prétendu esprit peut être remplacée par son équivalent de matière et chaque parcelle de matière par son équivalent d'esprit. Ce n'est donc pas la division cartésienne de toutes choses en matière et esprit qu'on peut trouver philosophiquement correcte. Pour être exacts, il nous faut diviser toutes choses en volonté et manifestation ce qui est bien différent parce qu'ainsi chaque chose se trouve spiritualisée. Tout ce qui, dans le premier cas, est objectif et réel – corps et matière – est transformé en représentation et toute manifestation en volonté" 133.

133 Parerga, II, p. 111-112.

134 Voir Huxley. Physical Basis of Life.

 

Ces opinions confirment ce que nous avons dit au sujet des noms différents donnés à une même chose. Les adversaires se battent pour des mots. Appelez les phénomènes force, énergie, électricité, ou magnétisme, volonté ou puissance de l'esprit, il s'agira toujours d'une manifestation partielle de l'âme désincorporée ou encore emprisonnée pour un temps dans son corps, d'une portion de cette VOLONTE intelligente, toute puissante et individuelle, pénétrant la nature entière, connue sous le nom de DIEU parce que le langage humain est insuffisant pour exprimer correctement les images psychologiques.

Les idées de quelques-uns de nos lettrés au sujet de la matière sont, pour les cabalistes, erronées à beaucoup d'égards. Hartmann dit qu'elles sont "un préjugé instinctif". Bien plus, il démontre qu'aucun expérimentateur n'a rien à faire avec la matière proprement dite. C'est aux forces en lesquelles il la divise qu'il aura affaire. Les effets visibles de la matière ne sont que des effets de force. Sa conclusion est que ce qu'on appelle, actuellement, matière, n'est qu'un agrégat de forces atomiques exprimé par le mot matière. En dehors de cela le mot "matière" est pour la science, vide sens. Nos spécialistes, physiciens, physiologistes, chimistes avouent loyalement qu'ils ne savent rien de la matière et pourtant ils la déifient 134. Chaque nouveau phénomène qu'ils [121] se voient dans l'impossibilité d'expliquer est trituré par eux, métamorphosé en un encens qu'ils brûlent sur l'hôtel de la déesse, patronne des savants modernes.

Nul ne peut traiter ce sujet mieux que ne le fait Schopenhauer dans la Parerga. C'est là qu'il discute longuement le magnétisme animal, la clairvoyance, les cures sympathiques, la seconde vue, la magie, les présages, les fantômes et d'autres sujets spirituels. "Toutes ces manifestations", dit-il, "sont les branches d'un seul et même arbre. Elles nous fournissent la preuve irrécusable de l'existence d'une chaîne d'êtres fondée sur un ordre différent de cette nature dont la fondation est les lois de l'espace, du temps et de l'adaptabilité. Cet autre ordre des choses est bien plus profond car il est l'ordre direct et originaire. Les lois ordinaires de la nature qui sont de pure forme, n'ont pas de prise sur lui. Aussi, sous l'influence de son action immédiate, le temps et l'espace n'ont plus le pouvoir de séparer les individus. La séparation des formes n'est plus une barrière infranchissable pour échanger leurs pensées, ou faire agir directement leur volonté. D'où la possibilité de changements par un procédé tout à fait différent de la causalité physique. La manifestation de la volonté exercée d'une façon particulière va agir – en dehors même de l'individu. Par conséquent, les caractères propres de toutes ces manifestations sont la visio in distante et actio in distante (vision et action à distance) dans leurs relations avec le temps aussi bien qu'avec l'espace. Une telle action à distance est justement ce qui constitue le caractère fondamental de ce qu'on appelle magique. Telle est, en effet, l'action immédiate de notre volonté, une action libérée des conditions causales de l'action physique, c'est-à-dire du contact".

"En outre, poursuit Schopenhauer, ces manifestations nous offrent une contradiction substantielle et parfaitement logique du matérialisme et même du naturalisme, car à la clarté de ces manifestations, l'ordre des choses dans la nature que ces deux philosophies essaient de nous présenter comme absolu, comme le seul vrai, cet ordre nous apparaît au contraire comme simplement phénoménal et superficiel : il renferme en lui-même une substance de choses à part, tout à fait indépendante de ses propres lois. C'est ainsi que ces manifestations – du moins à un point de vue purement philosophique – sont, sans conteste, les plus importantes parmi tous les faits qui s'offrent à nous dans le domaine de l'expérience. C'est donc un devoir, pour les savants, de les étudier" 135.

 135 Schopenhauer. Parerga, article sur la Volonté dans la Nature.

 

Passer des spéculations philosophiques d'un homme tel que Schopenhauer aux généralisations superficielles de quelques membres de l'Académie des Sciences, en France, serait sans utilité si ce [122] n'est qu'il nous sera permis d'apprécier la portée intellectuelle de ces deux écoles savantes. Nous venons de voir comment l'Allemand traite les profondes questions psychologiques. Mettons en regard maintenant ce que l'astronome Babinet et le chimiste Boussingault ont de mieux à nous offrir pour expliquer un phénomène spirite important. Ces éminents spécialistes ont présenté à l'Académie, en 1854-1855, un mémoire, une monographie dont le but évident était de confirmer et, en même temps, de rendre plus claire la théorie trop compliquée émise par Chevreul pour expliquer les tables tournantes ; il était membre de la commission d'enquête.

Citons textuellement : "Quant aux mouvements et aux prétendues oscillations qu'éprouvent certaines tables, elles n'ont d'autre cause que les vibrations invisibles et involontaires du système musculaire de l'expérimentateur. La contraction étendue des muscles se manifeste elle- même, à ce moment, par une série de vibrations, devient un tremblement visible qui communique à l'objet un mouvement circumrotatoire. Ce mouvement de rotation est ainsi susceptible de se manifester avec une énergie considérable, par un mouvement graduellement accéléré ou par une résistance énergique lorsqu'on désire l'arrêter. Donc, l'explication du phénomène devient claire et n'offre pas la moindre difficulté" 136.

136 Revue des Deux Mondes, 15 janv. 1855, p. 108.

 

Aucune en vérité. Cette hypothèse scientifique (dirons-nous cette démonstration ?) Est aussi claire en réalité que les nébuleuses de M. Babinet, examinées par une nuit de brouillard.

Et, cependant, toute claire qu'elle puisse paraître, elle manque d'une qualité essentielle : le sens commun. Nous sommes dans l'impossibilité de décider si, oui ou non, M. Babinet, en désespoir de cause, accepte cette proposition de Hartmann : "les effets visibles de la matière ne sont que les effets d'une force et que, pour se former une idée claire de la matière, on doive d'abord s'en former une de la force ? La philosophie de l'école à laquelle appartient Hartmann, acceptée en partie par plusieurs des plus grands savants allemands, veut que le problème de la matière ne puisse être résolu que par cette Force invisible, dont Schopenhauer appelle la connaissance "le savoir magique" et aussi "l'effet magique ou action de la Volonté". Ainsi, il faut d'abord nous assurer si "les vibrations involontaires du système musculaire de l'expérimentateur" – qui sont simplement des "actes de la matière" – sont influencées par une volonté intérieure ou extérieure à l'expérimentateur. Dans le premier cas, M. Babinet en fait un épileptique inconscient. Le second cas, nous [123] verrons, plus loin, qu'il le rejette absolument pour attribuer à une "ventriloquie inconsciente" toutes les réponses intelligentes que traduisent les mouvements des tables et les coups frappés par elles.

 Nous savons que chaque acte de la volonté se traduit par de la force. D'après l'école allemande déjà citée, les manifestations des forces atomiques est un acte individuel de la volonté d'où l'agglomération inconsciente des atomes en une image concrète subjectivement créée déjà par la volonté. Démocrite enseigne, d'après son maître Leucippe, que les premiers principes de toutes choses dans l'univers furent des atomes et un vacuum. Dans son sens cabalistique, ce vacuum veut dire ici la Divinité latente ou la force latente qui, à sa première manifestation, devint la VOLONTÉ et, ainsi, communiqua la première impulsion à ces atomes dont l'agglomération est la matière. Ce vacuum n'est qu'un synonyme, très peu satisfaisant, de chaos puisque, d'après les Péripatéticiens, "la nature a horreur du vide."

Avant Démocrite, les anciens étaient familiers avec l'idée de l'indestructibilité de la matière. C'est ce que montrent leurs allégories et d'autres faits nombreux. Movers donne une définition de l'idée phénicienne de la lumière solaire idéale comme une influence spirituelle émanant du Dieu le plus élevé : IAO, "la lumière qu'on peut seulement concevoir par l'intellect, le principe physique et spirituel de toutes choses ; duquel donc l'âme émane". C'était l'Essence masculine, ou Sagesse, tandis que la matière primitive ou Chaos était féminine. Ainsi, les deux premiers principes – coéternels et infinis – étaient déjà pour  les  Phéniciens primitifs : esprit et matière. Par conséquent, cette théorie est aussi vieille que le monde ; Démocrite ne fut pas le premier à la professer, et l'intuition existait dans l'homme avant l'ultime développement de sa raison. L'impuissance de toutes les sciences matérialistes à expliquer les phénomènes occultes provient du fait qu'elles nient l'Entité sans limite et sans fin, maîtresse de cette invisible Volonté que, faute d'un meilleur nom, nous appelons Dieu. C'est dans le rejet, a priori, de tout ce qui pourrait les forcer à franchir la frontière des sciences exactes et à entrer dans le domaine de la physiologie psychologique ou, si l'on préfère, métaphysique, que nous trouvons la cause secrète de leur défaite devant  les manifestations et de l'impuissance de leurs absurdes théories à les expliquer. La philosophie ancienne affirmait que c'est par la manifestation de cette Volonté – nommée par Platon, l'Idée Divine – que toutes choses, visibles et invisibles vinrent à l'existence. De même que cette Idée Intelligente, par le seul fait de diriger sa puissante Volonté sur un centre de forces localisées appelaient les formes objectives à l'existence ;  l'homme, le  microcosme  du  grand   [124]  Macrocosme en fait autant avec le développement de sa force de Volonté. Les atomes imaginaires – langage figuré qu'employa Démocrite et dont les matérialistes se sont emparés avec une joie reconnaissante – sont comme des ouvriers automates, mus intérieurement par l'afflux de cette Volonté Universelle dirigé sur eux et qui se manifestant comme force les met en mouvement. Le plan  de l'édifice à construire existe dans le cerveau de l'Architecte et reflète sa volonté : abstrait encore, dès l'instant de la conception, il devient concret par ces atomes qui suivent fidèlement chaque ligne, point et figure tracés dans l'imagination du Divin Géomètre.

L'homme peut créer comme Dieu. Etant donnée une certaine intensité de Volonté, les formes imaginées par le mental deviennent subjectives. On les appelle hallucinations quoiqu'elles soient aussi réelles pour leur auteur que n'importe quel objet visible pour tout autre. Augmentez l'intensité et l'intelligente concentration de cette même volonté, la forme deviendra concrète, visible, objective ; l'homme a appris le secret des secrets ; c'est un MAGICIEN.

Les matérialistes ne devraient rien objecter à cette logique puisqu'ils considèrent la pensée comme de la matière. Admettons qu'il en soit ainsi : le mécanisme ingénieux agencé par l'inventeur, les scènes féeriques nées dans le cerveau du poète, les splendides tableaux évoqués par la fantaisie du peintre, la statue sans égale ciselée dans l'éther par le sculpteur, les palais et les châteaux élevés dans l'air par l'architecte ; toutes ces œuvres bien qu'invisibles, sont subjectives, doivent exister car c'est de la matière façonnée et moulée. Qui pourra dire, par conséquent, qu'il n'existe pas d'hommes doués d'une volonté assez puissante pour rendre visibles aux regards des hommes ces œuvres de fantaisie dessinées dans l'air, revêtues d'une rude enveloppe de matière grossière pour les rendre tangibles ?

Si les savants Français n'ont pas cueilli de lauriers dans le nouveau domaine ouvert à l'investigation, qu'a-t-on fait de plus qu'eux  en Angleterre jusqu'au jour où M. Crookes s'est offert pour expier les péchés des corps savants ? M. Faraday, il y a une vingtaine d'années, a bien voulu se prêter, une ou deux fois, à des conversations sur ce sujet. Dans toutes les discussions relatives aux phénomènes, les antispirites prononcent ce nom de Faraday comme s'il équivalait à quelque charme puissant contre le mauvais œil du spiritisme. Or Faraday, qui rougissait d'avoir publié ses études sur une question aussi compromettante, Faraday (c'est prouvé, nous le savons de bonne source) ne s'est jamais assis devant une table tournante.

 Nous n'avons qu'à déplier quelques numéros du Journal des Débats, publiés alors qu'un médium [125] Ecossais bien connu se trouvait en Angleterre, pour rendre aux faits anciens toute leur fraîcheur primitive. Dans un de ces numéros, le Dr Foucault de Paris se pose en champion de l'éminent expérimentateur anglais. "N'allez pas vous imaginer,  je vous prie, dit-il, que ce grand physicien ait jamais consenti à s'asseoir prosaïquement devant une table sautante." D'où vient alors cette rougeur qui colorait les joues du "Père de la Philosophie expérimentale ?" En rappelant ce fait, nous allons examiner la nature de "l'Indicateur", l'extraordinaire "Piège à Médiums" inventé par Faraday pour découvrir les fraudes des médiums. Cette machine compliquée dont le souvenir hante, comme un cauchemar, les rêves des médiums malhonnêtes, est soigneusement décrite dans le livre Des Esprits et de leurs manifestations fluidiques, du comte de Mirville.

Pour mieux prouver aux expérimentateurs la réalité de leur propre impulsion, le professeur Faraday plaça plusieurs disques de carton collés ensemble et fixés à la table au moyen d'une colle à moitié liquide qui, tout en faisant adhérer les disques et en les collant à la table, devait néanmoins céder à une pression continue. La table s'étant mise à tourner – eh, oui ! Elle se permit de tourner devant M. Faraday ! Ce fait a bien son importance – on examina les disques et, comme on trouva qu'ils s'étaient graduellement déplacés en glissant dans la même direction que la table, on obtint ainsi une preuve irréfutable que les expérimentateurs avaient, eux- mêmes, poussé la table.

Une autre de ces prétendues épreuves scientifiques, si utiles dans un phénomène que l'on dit être spirituel ou psychique, fut fournie par l'emploi d'un petit instrument qui avertissait immédiatement les assistants de la plus petite impulsion provenant d'eux-mêmes, ou plutôt, suivant la propre expression de Faraday, "les avertissaient lorsqu'ils changeaient d'état et, de passifs, devenaient actifs". Cette aiguille qui signalait le mouvement ne prouvait qu'une chose : l'action d'une force émanant des assistants ou subie par eux. Or, qui a jamais nié l'existence de cette force ? Tout le monde l'admet, soit que cette force passe par l'opérateur, comme cela arrive généralement ; soit qu'elle s'exerce indépendamment de lui, comme cela se produit souvent. "Tout le mystère de la chose consistait dans la disproportion de la force employée par ces pousseurs malgré eux, avec certains effets de rotation ou plutôt de course vraiment merveilleuse ; devant   ces   effets   prodigieux, comment voulait-on que toutes ces expériences lilliputiennes conservassent quelque valeur dans ce nouveau pays des géants ?" 137. [126]

137 Marquis de Mirville. Question des Esprits (1863), p. 24.

 

Le professeur Agassiz qui, en Amérique, occupait comme savant, à peu près la même situation que Faraday en Angleterre, agit avec encore plus de mauvaise foi. Le professeur J. Buchanan, anthropologiste distingué, qui a traité le spiritisme, à bien des égards, plus scientifiquement que qui que ce soit, en Amérique, parle d'Agassiz, dans un récent article, avec une très juste indignation. En effet, le professeur Agassiz aurait dû croire, mieux que tout autre, à un phénomène dans lequel il avait joué lui- même le rôle de sujet. Mais maintenant que Faraday et Agassiz sont, tous deux, désincarnés, nous ferons mieux d'interroger les vivants plutôt que les morts.

Ainsi, une force, dont la puissance secrète était absolument familière aux théurgistes de l'antiquité, est niée par les sceptiques modernes. Les enfants antédiluviens qui jouaient probablement avec elle, comme les enfants que Bulwer Lytton fait jouer avec le terrible vril, dans son livre The Coming Race, l'appelaient "l'eau de Phtha" ; leurs descendants l'appelèrent Anima Mundi, l'âme de l'univers et, plus tard, les hermétistes du Moyen Age lui donnèrent le nom de "Lumière sidérale", de "Lait de la Vierge Céleste", de "Grand Aimant", et d'autres noms encore. Mais nos lettrés modernes ne veulent ni l'accepter ni la reconnaître sous ces diverses désignations, car elle appartient à la magie et la magie, à leur sens, est une pitoyable superstition.

Apollonius et Jamblique prétendent que ce n'est point "dans la connaissance des choses extérieures mais dans la perfection de  l'âme intime que se trouve l'empire de l'homme quand il aspire à devenir plus qu'un homme 138. Ainsi, ils étaient arrivés à une parfaite connaissance de leurs âmes divines, dont ils exerçaient les pouvoirs avec toute la sagesse, fruit de l'étude ésotérique de la science hermétique, dont ils avaient hérité de leurs aïeux. Mais nos philosophes se renfermant dans leur coquille de chair, ne peuvent ou n'osent porter leurs regards au-delà du compréhensible. Pour eux, il n'existe point de vie future, il n'y a point de rêves divins, ils les méprisent comme antiscientifiques. Pour eux, les hommes de l'antiquité ne sont que des "ancêtres ignorants"et, toutes les fois que dans leurs recherches physiologiques, ils se trouvent en présence d'un auteur persuadé que ces aspirations mystérieuses vers une science spirituelle sont inhérentes à la nature humaine et ne peuvent nous avoir été donnés en vain, ils considèrent cet auteur avec une pitié méprisante.

138 Bulwer-Lytton. Zanoni.

 

Un proverbe Persan dit : "Plus le ciel est sombre, plus les étoiles brillent." Aussi, les Frères mystérieux de la Rose-Croix commencèrent à apparaître sur le sombre firmament du Moyen [127] Age. Ils ne formèrent point d'associations, ils ne bâtirent pas de collèges car, pourchassés de toutes parts comme des fauves, quand ils étaient pris par l'Eglise Chrétienne, ils étaient brûlés sans façon. "Comme la religion défend", dit Bayle, "de répandre le sang, il fallait éluder la maxime : Ecclesia non novit sanguinem. Aussi brûlait-on les êtres humains, parce que brûler un homme ne fait pas couler son sang".

Beaucoup de ces mystiques, en suivant les enseignements de quelques traités secrètement conservés et transmis d'une génération à une autre, firent des découvertes que ne dédaigneraient pas, même de nos jours, les sciences exactes. Le moine Roger Bacon fut tourné en ridicule comme charlatan et aujourd'hui, généralement, on le met au nombre des "prétendants" à l'art magique ; cela n'a pas empêché, il est vrai, ses détracteurs d'accepter ses découvertes ni d'en faire un usage constant. Roger Bacon appartenait, de droit sinon de fait, à cette confrérie comprenant tous ceux qui se livraient aux sciences occultes. Il vivait au XVIIIème siècle. Il fut, par conséquent, presque le contemporain d'Albert le Grand et de Thomas d'Aquin ; ses découvertes comme la poudre à canon, et les verres d'optique ; ses travaux mécaniques, furent considérés partout comme autant de miracles. Aussi fut-il accusé d'avoir fait un pacte avec le Malin.

Dans l'histoire légendaire du moine Bacon "et aussi dans une pièce de théâtre écrite par Robert Green, auteur dramatique du temps d'Elisabeth, on raconte que, mandé par le Roi, le moine fut invité à montrer son habileté devant Sa Majesté la Reine. Il agita la main en l'air (le texte dit : il agita sa baguette) et, aussitôt, on entendit une musique si agréable que tous les assistants déclarèrent n'en avoir jamais entendu de pareille". On entendit ensuite une musique plus accentuée, quatre apparitions se montrèrent soudain et se mirent à danser jusqu'au moment où elles s'évanouirent dans l'air. Puis le moine agita de nouveau sa baguette et l'atmosphère de la salle fut imprégnée de parfums, "comme si tous les parfums de la terre eussent été préparés là avec tout l'art possible". Roger Bacon ayant promis à l'un des courtisans de lui montrer son amoureuse, souleva une des portières de l'appartement royal : "une fille de cuisine, tenant à la main une cuillère à pot", apparut aux yeux des assistants. L'orgueilleux gentilhomme, quoiqu'il eût reconnu cette fille dont l'image s'évanouit aussi vite qu'elle s'était produite, fut fort irrité de cet humiliant spectacle et menaça le moine de sa vengeance. Que fit le magicien ? Il se contenta de répondre très simplement : "Ne me menacez point, craignez que je ne vous humilie davantage, à l'avenir gardez-vous de démentir encore des gens instruits." [128]

En guise de commentaire, un historien 139 moderne  remarque : "Ce récit peut être considéré comme un exemple du genre d'exhibitions qui, sans doute, relevait d'une connaissance supérieure  des sciences naturelles". Personne n'a jamais douté que ce ne fût précisément le résultat de cette connaissance ; et les hermétistes, les magiciens, les astrologues et les alchimistes n'ont prétendu jamais autre chose. Ce ne fut certainement pas leur faute si les masses ignorantes, sous l'influence d'un clergé fanatique et sans scrupules, attribuaient ces faits à l'intervention du diable. En présence des tortures atroces infligées par l'Inquisition à tous ceux qui étaient soupçonnés de pratiquer la magie noire ou la magie blanche, il ne faut pas s'étonner que ces philosophes ne se soient jamais vantés d'une telle intervention et même ne l'aient jamais reconnue. Au contraire, leurs propres écrits prouvent qu'ils considéraient la magie "comme une simple application des causes naturelles actives aux choses ou aux sujets passifs. On réussit à produire par ces moyens beaucoup d'effets merveilleux mais, cependant, tout à fait naturels."

139  T. Wright. Narratives of Sorcery and Magic.

 

Les phénomènes musicaux et les odeurs mystiques présentés par Roger Bacon ont été souvent observés de notre temps. Pour ne point parler de notre expérience personnelle, des correspondants anglais de la Société Théosophique relatent que l'on a entendu des accords de la plus ravissante musique produite sans aucun instrument et senti des arômes délicieux attribués à l'intervention des esprits. Un correspondant nous écrit qu'un des parfums, obtenu de cette façon, celui du bois de santal, était si puissant que la maison en restait imprégnée plusieurs semaines après la séance. Le médium, dans le cas en question, était un membre de la famille et les expériences avaient été faites en présence des personnes de la maison. Un autre décrit ce qu'il appelle un "coup frappé musical". Les forces qui sont, maintenant, susceptibles de produire ces phénomènes, doivent avoir existé et avoir été tout aussi efficaces du temps de Roger Bacon. Quant aux apparitions, il suffit de dire qu'elles sont maintenant évoquées dans les cercles spirites et garanties par des savants. Donc les évocations par Roger Bacon semblent plus probables que jamais.

Baptiste Porta, dans son traité sur la Magie Naturelle, cite tout un catalogue de formules secrètes pour produire des effets extraordinaires au moyen des forces occultes de la nature. Les magiciens croyaient aussi fermement que nos spirites, au monde des esprits invisibles ; cependant, aucun d'eux n'a jamais prétendu produire ses phénomènes sous leur contrôle et avec leur seul concours. Ils savaient trop combien il est difficile de tenir à [129] l'écart les êtres élémentaires lorsqu'ils ont une fois trouvé la porte ouverte. Même la magie des anciens Chaldéens se résumait en la connaissance des plantes et des minéraux. Lorsque les théurgistes avaient besoin de l'aide divine dans les choses spirituelles et terrestres, c'est alors seulement qu'ils cherchaient la communication directe au moyen des rites religieux, avec de purs êtres spirituels. Pour eux aussi, les esprits qui restent invisibles et communiquent avec les mortels au moyen de leurs sens internes réveillés – comme dans la clairvoyance, la clair audience  et la transe – ne pouvaient être évoqués subjectivement et par la pureté de la vie et la prière. Mais tous les phénomènes physiques étaient produits simplement en usant de la connaissance des forces naturelles : rien de commun, certainement, avec les tours de passe-passe des escamoteurs d'aujourd'hui.

Les hommes qui possédaient ces connaissances et qui exerçaient ces pouvoirs travaillaient patiemment à quelque chose de mieux que la vaine gloire d'une renommée passagère. Ils ne la cherchaient pas. Aussi se sont- ils immortalisés comme tous ceux qui travaillent, oublieux d'eux-mêmes, pour le bien de la race. Illuminés par la lumière de l'éternelle vérité, ces alchimistes, pauvres riches, fixaient leur attention sur des objets dépassant de beaucoup la portée des connaissances ordinaires. Ils étaient persuadés qu'il n'est rien d'incompréhensible, hors la Cause Première, et qu'aucune question n'est insoluble. Oser, savoir, vouloir et GARDER LE SILENCE : telles furent leurs règles constantes. La bienfaisance sans égoïsme et sans prétentions était pour eux un besoin spontané. Dédaigneux d'un trafic mesquin et de ses profits, méprisant la richesse, le luxe, la pompe et la puissance terrestre, ils aspiraient au savoir comme à la plus précieuse des acquisitions. Ils estimaient que la pauvreté, les privations, le travail et le mépris des hommes n'étaient pas trop cher payer leurs précieuses connaissances. Eux, qui auraient pu coucher dans des lits de duvet et de velours, ils préféraient mourir à l'hôpital ou sur les grands chemins plutôt que d'abaisser leur âme et permettre à la cupidité de ceux qui les tentaient de triompher de leurs serments sacrés. Les vies de Paracelse, de Cornélius Agrippa et de Philaléthes sont trop connues pour qu'il soit nécessaire de répéter ici leur vieille et triste histoire.

Si les spirites sont désireux de rester strictement dogmatiques dans leurs notions du "monde des esprits", ils ne doivent pas convier les savants à l'étude de leurs phénomènes dans un véritable esprit expérimental. La tentative aboutirait très sûrement à la redécouverte partielle de l'antique magie : celle de Moïse et de Paracelse. Sous la beauté décevante de quelques-unes de leurs apparitions, ils pourraient trouver, un jour, les sylphes, les jolies [130] ondines des Rose-Croix, jouant dans des courants de force psychique et odique.

Déjà M. Crookes, qui croit pleinement à l'existence de l'être, sent que, sous la douce peau de Katie, couvrant un simulacre de cœur emprunté en partie au médium et en partie aux assistants, il n'y a point d'âme ! Quant aux doctes auteurs de l'Univers invisible, abandonnant leur théorie "électrobiologique", ils commencent à percevoir que l'éther universel pourrait bien être simplement un album photographique d'EN-SOPH, l'Illimité.

Nous sommes loin de croire que tous les esprits qui font des communications dans les cercles appartiennent aux classes dites Elémentaux et des Elémentaires. Beaucoup d'entre eux, et spécialement ceux qui font parler subjectivement le médium, qui le font écrire et agir de différentes manières, sont des esprits humains désincarnés 140. Ces esprits sont-ils bons ou mauvais, en majorité ? La réponse dépend beaucoup de la moralité privée du médium, de celle des membres du cercle, et  de l'intensité de leurs aspirations et du but qu'ils poursuivent. Si ce but est simplement de satisfaire la curiosité et passer le temps, il est inutile d'espérer rien de sérieux. Quoi qu'il en soit, les esprits humains ne peuvent jamais se matérialiser in propriâ personâ. Ils ne peuvent jamais apparaître revêtus de chair solide et chaude, les mains et le visage en sueur, dans les corps matériels grossiers. Le plus qu'ils puissent faire c'est projeter leur reflet éthéré sur les ondes atmosphériques et si l'attouchement de leurs mains et de leurs vêtements peut, dans certaines occasions, devenir objectif pour les sens d'un mortel vivant, cette sensation sera comme une brise qui passe en caressant l'endroit touché, et non comme une main humaine ni un corps matériel. Il est inutile de l'affirmer : les "esprits matérialisés" avec des cœurs dont on sentait les battements et des voix fortes (avec ou sans trompette) sont des esprits humains. Si les sons émis par eux peuvent être appelés des voix, les voix d'une apparition, une fois perçues, ne peuvent guère être oubliées. Celle d'un pur esprit est comme le murmure d'une harpe Eolienne entendue à distance ; la voix d'un esprit souffrant, et par conséquent impur sinon tout à faits mauvais, peut être comparée à celle d'un homme parlant dans un tonneau vide.

140 Ajoutons cependant – c'est de grande importance – que les véritables esprits humains, c'est-à- dire les personnalités des décédés ne descendent jamais vers le médium. C'est le médium au contraire, ou plutôt son esprit qui est attiré vers l'esprit communiquant et la sphère qu'il habite. (Note de la main de H.P.B. sur le manuscrit).

 

Ce n'est point notre philosophie, mais celle qu'ont professée d'innombrables générations de théurgistes et de magiciens : elle est fondée sur leur expérience pratique. Le témoignage de [131] l'antiquité est positif à cet égard : "∆αιµονώ οωναί αναρθροι είοι. Les voix des esprits ne sont pas articulées 141." La voix des esprits produit l'impression d'une colonne d'air comprimé montant de bas en haut et se répandant autour de la personne de l'interlocuteur vivant. Les nombreux témoins oculaires qui ont attesté le cas d'Elisabeth Eslinger ont déclaré qu'ils virent l'apparition ayant la forme d'une colonne de vapeur. Ces témoins sont : le vice gouverneur de la prison de Weinsberg, Mayer, Eckhart, Theurer et Knorr (assermentés), Düttenhœfer et Kapff le mathématicien. Pendant onze semaines, le Dr Kerner et ses fils, plusieurs ministres luthériens, l'avocat Fraas, le graveur Düttenhœfer, deux médecins, Siefer et Sicherer, le juge Heyd, le baron Von Hugel et bien d'autres ont suivi journellement cette manifestation. Tant qu'elle dura, la prisonnière Elisabeth pria à haute voix sans interruption. Comme "l'esprit" parlait en même temps, il est impossible d'invoquer la ventriloquerie. Cette voix, disent les témoins, n'avait rien d'humain, personne n'aurait pu l'imiter 142.

 141 Voyez Des Mousseaux. Dodone et Dieu et les dieux, p. 326.

142 Apparitions, traductions Crowe, pp. 388, 391, 399.

 

Nous donnerons plus loin d'abondantes preuves, tirées des auteurs anciens, à l'appui de cette vérité négligée. Pour le moment, nous répéterons que pas un esprit, parmi ceux que les spirites croient être des esprits humains désincarnés, n'a jamais été prouvé tel, par des témoignages suffisants. L'influence désincarnée peut être ressentie et communiquée subjectivement par eux à des sensitifs. Ils peuvent produire des manifestations objectives, mais ils ne peuvent se manifester eux-mêmes que de la manière indiquée plus haut. Ils peuvent contrôler le corps du médium, exprimer leurs désirs et leurs idées de diverses façons bien connues des spirites, mais ils ne peuvent point matérialiser ce qui est immatériel et purement spirituel, leur essence divine. Ainsi, toutes les prétendues "matérialisations", lorsqu'elles sont authentiques, sont produites (peut-être), soit par la volonté de "l'esprit", que l'apparition prétend être, mais qu'elle peut tout au plus personnifier, soit par un Gobelin élémentaire trop stupide, généralement, pour mériter le nom de démon. Dans de rares occasions, les esprits ont le pouvoir de se faire obéir par ces êtres sans âme, toujours prêts à prendre des noms pompeux si l'on n'y met bon ordre, de telle façon que le malicieux "esprit de l'air" formé par l'image réelle d'un esprit humain peut être mu par ce dernier comme une marionnette incapable de faire un acte ou de dire un mot autres que ceux qui leur sont imposés par "l'âme immortelle". Mais cela exige certaines conditions généralement ignorées des cercles ou des spirites, même des plus assidus aux séances. N'attire pas qui veut les esprits humains. Une des attractions les plus puissantes [132] sur nos défunts est leur profonde affection pour ceux qu'ils ont laissés sur la terre. Elle les attire irrésistiblement, peu à peu, dans le courant de la Lumière Astrale qui vibre entre la personne qui leur est sympathique et l'Ame Universelle.

Une autre très importante condition est l'harmonie, la pureté magnétique des personnes présentes. Si cette philosophie est dans l'erreur, si toutes les formes matérialisées émergeant, dans des pièces obscures, de cabinets plus obscurs encore, sont les esprits de personnes qui ont vécu jadis sur cette terre, d'où vient la différence si grande qui existe entre elles, et les fantômes qui apparaissent inopinément, ex abrupto, sans le concours d'aucun cabinet noir ni d'aucun médium ? Qui a jamais entendu parler des apparitions "d'âmes tourmentées", errant autour des lieux où elles ont été assassinées, ou, revenant, pour des raisons personnelles mystérieuses, avec des "mains dont on sent la chaleur", donnant une impression de chair si vivante qu'on ne les distinguerait pas des êtres vivants si l'on ne savait positivement que ces personnalités sont mortes et enterrées ? Il y a des faits parfaitement attestés d'apparitions se rendant soudainement visibles, mais jamais, jusqu'au commencement de l'ère des "matérialisations", nous n'avons rien vu comme elles. Dans le journal Medium and Day Break, numéro du 8 septembre 1876, nous lisons une lettre d'une dame voyageant sur le continent rapportant un fait survenu dans une maison hantée. Elle dit :..."Un bruit étrange se fit entendre dans un coin sombre de la bibliothèque... regardant de ce côté, elle aperçut un nuage ou une colonne de vapeur lumineuse. L'esprit, enchaîné à la terre, errait autour du lieu rendu maudit par ses méfaits…" Comme cet esprit était indubitablement une véritable apparition élémentaire, rendue visible par sa volonté, ou, en un mot, une umbra ; Elle était, comme doit être toute ombre respectable, visible mais impalpable, ou, si elle était palpable à un degré quelconque, elle faisait, au toucher, l'effet d'une masse d'eau écrasée dans la main ou bien d'une vapeur condensée mais froide. Elle était lumineuse  et vaporeuse : tout ce qu'on peut dire c'est qu'elle pouvait être l'ombre personnelle réelle de l' "esprit" persécuté et attaché à la terre, soit par le remords de ses propres crimes, soit par les crimes d'une autre personne ou esprit. Les mystères d'outre-tombe sont nombreux et les "matérialisations" modernes ne font que les rendre sans valeur et ridicules aux yeux des indifférents.

A ces assertions on pourrait, peut-être, opposer un fait bien connu des spirites. L'auteur du présent livre a certifié publiquement avoir vu de ces formes matérialisées. Nous l'avons certainement fait et nous sommes prêts à répéter ce témoignage. Nous avons reconnu dans ces formes la représentation visible de connaissances, [133] d'amis et même de parents. Nous avons, en compagnie d'autres nombreux spectateurs, entendu ces apparitions prononcer des mots, en des langues qui, non  seulement n'étaient pas familières au médium ni à aucune des personnes présentes, nous exceptée, mais qui étaient encore étrangères pour presque tous sinon pour tous les médiums d'Amérique et d'Europe : en effet, c'étaient les idiomes de tribus et de peuples d'Orient. A ce moment, ces cas furent considérés, avec raison, comme une preuve concluante de la médiumnité réelle du fermier illettré de Vermont, qui était dans  le "cabinet". Néanmoins ces formes n'étaient pas les personnes  qu'elles paraissaient être. C'était tout simplement leur portrait statue, construit, animé et mû par les Elémentaires. Si, jusqu'à présent, nous n'avons pas élucidé ce point c'est parce que le public spirite n'était pas préparé, à cette époque-là, même pour prêter l'oreille à cette proposition fondamentale : il y a des esprits élémentaux et des esprits élémentaires. Depuis lors, le sujet a été entamé et discuté, plus ou moins largement. Il est donc moins dangereux de lancer sur l'Océan tourmenté de la critique la philosophie séculaire des sages de l'antiquité : l'esprit public a été quelque peu préparé à examiner la question avec une impartiale attention. Deux années d'agitation ont produit un changement très marqué en mieux.

Pausanias écrit que quatre cents ans après la bataille de Marathon, il était encore possible, sur l'emplacement où elle s'était livrée, d'entendre les hennissements des chevaux et les cris poussés par les ombres des combattants. En supposant que les spectres des soldats morts fussent leurs esprits véritables, ils avaient l'apparence "d'ombres" et non  point d'hommes matérialisés. Qui – ou quoi – produisait alors le bruit du hennissement des chevaux ? Des "esprits" équins ? Et si on déclare qu'il n'est pas vrai que les chevaux aient des "esprits" – certes, ni  les zoologistes, ni les physiologistes, ni les psychologues, ni même les spirites ne pourraient le prouver ou prouver le contraire, faudra-t-il, en ce cas, attribuer à des "âmes humaines immortelles" ces hennissements des chevaux de Marathon pour rendre la scène plus  vivante  et  plus dramatique ? Des fantômes de chiens, de chats et d'autres animaux ont été fréquemment vus et, à cet égard, le témoignage universel est aussi concluant que celui concernant les apparitions humaines. Qui personnifie ou quoi, si l'on peut s'exprimer ainsi, le fantôme d'un animal mort ? S'agirait-il encore d'esprits humains ? La question ainsi posée ne laisse point subsister de doute ; il faut admettre que les animaux ont un esprit et une âme qui leur survivent, comme les nôtres, ou comme Porphyre, qu'il existe dans le monde invisible une classe de démons malicieux et badins, être intermédiaires entre les hommes et les [134] "dieux", esprits qui se complaisent à apparaître sous toutes les formes imaginables, depuis la forme humaine jusqu'à celle du plus infime des animaux 143.

143 De abstinentia, etc…

 

Avant de nous hasarder à décider si les formes astrales d'animaux, très fréquemment vues et universellement attestées, sont les esprits de ces animaux morts, étudions soigneusement leur conduite. Ces spectres agissent-ils conformément aux habitudes des animaux vivants, déploient- ils le même instinct qu'on leur a connu ? Les bêtes de proie guettent-elles leurs victimes, les animaux timides fuient-ils devant l'homme ? Ou bien, au contraire, ces spectres font-ils preuve d'une malveillance, d'une disposition à tourmenter tout à fait étrangère à leur nature ? Nombreuses sont les victimes de leurs obsessions : rappelons les persécutés de Salem et d'autres cas de sorcellerie historiques. On affirme y avoir vu des chiens, des chats, des pourceaux et d'autres animaux, envahir la chambre de leurs victimes qu'ils mordaient, dont ils piétinaient les corps endormis. Ils leur parlaient aussi et, souvent, les incitaient au suicide ou à d'autres crimes. Dans le cas avéré d'Elisabeth Erlinger, mentionné par le Dr Kerner, l'apparition de l'ancien prêtre de Wimmenthal 144 était accompagnée par un gros chien noir qu'il appelait son père. Ce chien, en présence de nombreux témoins, bondissait sur les lits de tous les prisonniers. Une autre fois, le prêtre apparut avec un agneau, quelquefois aussi avec deux. Presque tous les accusés de Salem l'étaient par les voyantes de tramer et comploter de mauvaises actions avec des oiseaux jaunes qui venaient se percher sur leur épaule ou sur les solives au-dessus de leurs têtes 145. Et, à moins de révoquer en doute le témoignage de milliers de spectateurs, dans toutes les parties du monde, et à toutes les époques, et d'accorder le monopole de la voyance aux médiums modernes, il faut admettre que les spectres d'animaux apparaissent vraiment et manifestent tous les traits les plus dépravés de la nature humaine sans appartenir eux-mêmes à la race humaine. Que peuvent-ils donc être sinon des élémentaux ?

Descartes fut un des rares qui crût et osât dire que nous sommes redevables à la médecine occulte de découvertes "destinées à étendre le domaine de la philosophie". Brierre de Boismont non seulement partagea ces espérances, mais il avoua ouvertement sa sympathie pour le "surnaturalisme" qu'il considère comme "la grande croyance" universelle. "... Nous pensons, avec Guizot, dit-il, que l'existence de la société est intimement liée à cette croyance. C'est en vain que la raison moderne rejette le [135] surnaturel : malgré son positivisme, elle ne peut expliquer les causes intimes des phénomènes. Le surnaturel est universellement répandu et il se trouve au fond de tous les cœurs 146. Les esprits les plus élevés en sont, fréquemment, les plus fervents disciples."

 144 C. Crowne. On Apparitions, p. 398.

145 Upham. Salem Witchraft.

146 Brierre de Boismont. On Hallucinations, p. 60.

 

Christophe Colomb découvrit l'Amérique et Amérigo Vespuce récolta la gloire et usurpa ce qui lui était dû. Théophraste Paracelse redécouvrit les propriétés occultes de l'aimant, "l'os d'Horus" qui, douze siècles avant son temps, avait joué un rôle si important dans les mystères théurgiques : il devint, tout naturellement, le fondateur de l'école de magnétisme et de magicothéurgie médiévale. Mesmer qui vécut près de trois cents ans après lui et qui, disciple de son école, rendit publiques les étonnantes merveilles du magnétisme, récolta la gloire qui revenait au philosophe du feu ; le grand maître était mort à l'hôpital.

Ainsi va le monde : de nouvelles découvertes sortent des sciences anciennes ; des hommes nouveaux, toujours la même vieille nature.