CHAPITRE VIII

QUELQUES MYSTERES DE LA NATURE

 

Ne croyez point que mes merveilles magiques soient accomplies

Avec l'aide des anges du styx évoqués de l'Enfer ; Elles sont l'effet de la perception des pouvoirs secrets

Des sources minérales, dans la cellule intime  de  la nature ;

Des herbes qui forment un rideau de leurs vertes tonnelles

Et des astres mouvants au-dessus des montagnes et des tours.

 TASSE. Chant XIV.

Mon cœur déteste à l'égal de l'Enfer

Celui qui pense une chose et en dit une autre.

 HOMERE. L'Iliade (Trad. Pope).

Si l'homme cesse d'exister lorsqu'il descend dans le tombeau, vous êtes obligé d'affirmer qu'il est la seule créature existante que la nature ou la Providence aient voulu tromper et abuser en lui donnant des aptitudes pour lesquelles il n'y a point d'objet ni de but.

 BULWER-LYTTON. A Strange Story.

 

La préface du dernier livre de Richard Proctor sur l'astronomie, intitulé : Our Place among Infinities, contient ces extraordinaires paroles  :

 "C'est leur ignorance de la place de la terre dans l'infini qui porta les anciens à considérer les corps célestes comme réglant favorablement ou défavorablement les destinées des hommes et des nations, et à dédier les jours, par série de sept, aux sept planètes de leur système astrologique."

Dans cette phrase M. Proctor formule deux assertions distinctes : 1° Que les anciens ignoraient la place de la terre dans l'espace infini. Et 2° qu'ils considéraient les corps célestes comme réglant favorablement ou non le destin des hommes et des nations. 422 Nous sommes certains qu'il y a au moins de bonnes raisons pour soupçonner que les anciens étaient au courant des notions du mouvement, de l'emplacement et des relations mutuelles des [333] corps célestes. Les témoignages de Plutarque, du professeur Draper et de Jowett sont assez explicites. Mais nous voudrions demander à M. Proctor comment il se fait, si les anciens étaient aussi ignorants de la loi de la naissance et de la mort des mondes, que, dans les rares fragments que la main du temps a épargnés et qui nous sont parvenus, l'on trouve, bien que donnés dans un langage obscur, tant de renseignements reconnus exacts à la suite des dernières découvertes de la science ? En commençant par la dixième page de l'ouvrage en question, M. Proctor esquisse une théorie de la formation de la terre et des changements successifs par lesquels elle a passé avant de devenir habitable pour l'homme. Il peint avec de vives couleurs la condensation graduelle de la matière cosmique, en sphères gazeuses revêtues d'une "coque liquide non permanente" ; leur condensation et la solidification définitive de la croûte extérieure ; le lent refroidissement de la masse ; les résultats chimiques qui accompagnent l'action de l'intense chaleur sur la matière  terrestre primitive ; la formation des terrains et leur distribution ; les changements dans la constitution de l'atmosphère ; l'apparition de la végétation et de la vie animale ; et enfin l'avènement de l'homme.

Or, reportons-nous aux plus anciennes écritures que nous ont léguées les Chaldéens, le Livre hermétique des Nombres 423, et voyons ce que nous trouverons dans le langage allégorique d'Hermès, Kadmus ou Thuti, le trois fois grand Trismegiste. "Au commencement des temps, le Grand invisible avait les mains pleines de matière céleste, qu'il répandit à travers l'infini ; ô prodige ! Voilà qu'elle devint des boules de feu et des boules de limon ; et elle s'éparpilla, comme le métal mouvant (le mercure), en une foule de petites boules et elles commencèrent à tourner sans cesse. Quelques-unes, qui étaient des boules de feu, se transformèrent en boules de terre ; et les boules de terre se transformèrent en boules de feu ;les boules de feu attendaient le moment de devenir des boules de terre ; et les autres leur portaient envie, en attendant de devenir des globes de pur feu divin.".

422 Nous n'avons pas besoin de remonter bien loin pour nous assurer que beaucoup de grands hommes croyaient la même chose. Kepler, l'éminent astronome, admettait pleinement l'idée que les astres et tous les corps célestes et même notre terre, étaient doués d'âmes vivantes et pensantes.

423 Nous n'avons pas connaissance qu'un exemplaire de cet antique ouvrage figure dans le catalogue d'aucune bibliothèque d'Europe ; mais il fait partie des livres d'Hermès", et un grand nombre d'auteurs philosophiques de l'antiquité et du moyen âge y font allusion et en citent des passages. Parmi ces autorités figurent le Rosarium philosophia d'Arnaud de Villeneuve, le Lucensis opus de lapide de Francesco Arnolphius, le Tractatus de transmutatione Metallorum d'Hermès  Trismegiste et sa Table d'Emeraude, et surtout le traité de Raymond Lulle intitulé : Ab angelis opus diainum de quintâ essentiâ.

 

Pourrait-on exiger une définition plus claire des changements cosmiques, que M. Proctor expose avec tant d'élégance ?

Nous y trouvons la distribution de la matière dans l'espace ; puis sa concentration sous forme de sphère ; la séparation des [334] sphères plus petites se détachant des plus grandes ; la rotation axiale, le changement graduel des globes, de l'état incandescent à la consistance terrestre ; et finalement la perte totale de chaleur, qui marque leur entrée dans la phase de mort planétaire. Le changement des boules de terre en boules de feu serait, pour les matérialistes, un phénomène comme celui de l'incandescence subite d'une étoile dans Cassiopée, en 1572, et d'une autre, dans Serpentaire, en 1604, qui fut notée par Kepler. Mais les Chaldéens, dans cet exposé, donnent-ils des preuves d'une philosophie plus profonde que celle de nos jours ? Ce changement en globes de "pur feu divin" signifie-t-il une existence planétaire continue, correspondant à la vie spirituelle de l'homme, après le redoutable mystère de la mort ? Si, comme nous le disent les astronomes, les mondes ont leurs périodes embryonnaires, d'enfance, d'adolescence, de maturité, de décadence et de mort, ne peuvent-ils, comme l'homme, continuer leur existence sous une forme sublimée, éthérée ou spirituelle ? Les mages l'affirment. Ils nous disent que la Terre, mère féconde, est sujette aux mêmes lois que chacun de ses enfants. Au temps fixé pour elle, elle enfante toutes les choses créées ; dans la plénitude de ses jours, elle descend dans le tombeau des mondes. Son corps grossier, matériel, se sépare lentement de ses atomes, en  vertu  de  la  loi  inexorable,  qui  exige  leur  arrangement  nouveau en combinaisons différentes. Son esprit vivifiant, perfectionné, obéit de son côté à l'attraction éternelle, qui l'entraîne vers le soleil spirituel  central, d'où il est originairement sorti, et que nous connaissons vaguement sous le nom de DIEU.

"Et le ciel était visible en sept cercles, et les planètes apparurent avec tous les signes, sous forme d'étoiles, et les étoiles furent divisées et comptées avec leurs régents, et leur cours rotatoire fut limité par l'air, et entraîné dans une orbite circulaire par l'action de l'ESPRIT divin. 424"

424 Esprit dans ce passage signifie la Divinité... Pneuma ό θέος. Hermès, IV, 6.

 

Nous mettons quiconque au défi d'indiquer un seul passage, dans l'œuvre d'Hermès, qui puisse le faire accuser d'avoir jamais admis cette énorme absurdité de l'Eglise Romaine, qui prétend, d'après la théorie du système géocentrique, que les corps célestes ont été créés pour notre usage et notre plaisir, et qu'il valait la peine pour le fils unique de Dieu de descendre sur ce fragment cosmique, et d'y mourir en expiation de nos péchés ! M. Proctor nous parle d'une enveloppe non permanente de matière fluide, enfermant un "océan plastique visqueux", dans lequel "se trouve un autre globe solide en rotation." Nous, de notre côté, prenant le  livre : Magia Adamica d'Eugenius Philaléthes, publié en 1650, nous trouvons à la page 12, cette citation de Trismégiste : [335] "Hermes affirme qu'au Commencement la terre était un marécage, une sorte de boue liquide, faite d'eau congelée, par l'incubation et la chaleur de l'esprit divin ; cum adhuc Terra tremula esset, Lucente sole compacta esto".

Dans le même ouvrage, Philalèthes, parlant toujours dans son langage étrange et symbolique, dit : "La terre est invisible... sur mon âme elle l'est, et qui -plus est, l'œil de l'homme n'a jamais vu la terre, et elle ne peut point être vue sans le secours de l'art. Faire cet élément invisible est le plus grand secret de la magie... quant à ce corps féculent et grossier, sur lequel nous marchons, c'est un composé, et non point de la terre, mais il y a de la terre en lui... en un mot, tous les éléments sont visibles, sauf un, c'est-à- dire la terre et lorsque tu auras atteint un degré de perfection suffisant, pour savoir pourquoi Dieu a placé la terre in abscondito 425, tu auras une excellente figure pour connaître Dieu lui-même, et comment il est visible, et comment il est invisible. 426" [336]

Des centaines d'années avant que nos savants du XIXème  siècle vinssent au monde, un sage de l'Orient s'exprimait comme suit, en s'adressant à la Divinité Invisible : "Car Ta Main Toute puissante qui fit le Monde d'une matière sans forme 427."

 

425 Magia Adamica, p. 11.

426 L'ignorance des anciens de la sphéricité de la terre est afirmée sans preuve. Quelle preuve avons- nous de ce fait ? Ce n'étaient pas les illettrés qui manifestaient cette ignorance. Même du temps de Pythagore, les païens l'enseignaient ; Plutarque l'attesta et Socrate est mort à cause d'elle. D'ailleurs, ainsi que nous l'avons déjà dit à plusieurs reprises, tout le savoir était confiné dans les sanctuaires des temples, d'où il se répandait fort rarement parmi les non-initiés. Si les sages et les prêtres de l'antiquité la plus reculée n'avaient été au courant de cette vérité astronomique, comment se fait-il qu'ils représentaient Kneph, l'esprit de la première heure, avec un œuf placé sur ses lèvres, l'œuf symbolisant notre globe, auquel il communique la vie au moyen de son souffle ? De plus, si, vu la difficulté de consulter le Livre des Nombres Chaldéen, nos critiques nous demandaient la citation des autres autorités, nous pourrions les renvoyer à Diogène Laërce, qui attribue à Manetho d'avoir enseigné que la terre avait la forme d'une boule. Le même auteur, citant très probablement le "Compendium de Philosophie Naturelle" fait l'exposé suivant de la doctrine des Egyptiens. "Le commencement est de la matière ΑρΧχην ρεū έιναι ūλην, de laquelle sont sortis les quatre éléments... La véritable forme de Dieu est inconnue ; mais le monde a eu un commencement et il est par conséquent périssable... La lune est éclipsée lorsqu'elle croise l'ombre de la  terre." (Diog. Laerce. Proain, 10, 11). D'ailleurs Pythagore est reconnu comme ayant enseigné que la terre était ronde, qu'elle tournait autour de son axe et qu'elle n'était qu'une planète comme n'importe quel autre corps céleste. (Voy. Fénelon : Vie des grands Philosophes) Dans la plus récente des traductions de Platon (Les dialogues de Platon, par Jowett), l'auteur. dans son introduction au Timée, nonobstant "un doute malheureux", né du mot ίίλεσθαι, qui peut se traduire par tournant ou par condensé, semble porté à croire que Platon était familier avec la notion de la rotation de la terre. La doctrine de Platon est exposée dans la phrase suivante : "La terre qui est notre nourrice (condensée ou) tournant autour du pôle qui s'étend à tout l'univers". Si nous en croyons Proclus et Simplicius, Aristote avait compris ce mot dans le Timée, dans le sens de tournant ou faisant une révolution (De Cœlo) et M. Jowett lui-même admet plus loin, qu' "Aristote attribuait à Platon la doctrine de la rotation de la terre". Il eût été extraordinaire, pour ne pas dire plus, que Platon, grand admirateur de Pythagore, et qui, comme initié devait connaître les doctrines les plus secrètes du grand sage de Samos, ait pu ignorer cette vérité astronomique élémentaire.

427 Sagesse de Salomon, XI, 17.

 

Il y a dans cette expression, plus de choses que nous ne voulons en indiquer ; mais nous dirons que le secret qu'elle renferme vaut la peine d'être scruté ; peut-être dans cette matière informe, la terre pré-Adamique, il y a-t-il une "puissance", avec laquelle MM. Tyndall et Huxley seraient bien aisé de faire connaissance.

Mais pour descendre des universaux aux particuliers, de l'ancienne théorie de l'évolution planétaire à l'évolution de la vie animale et végétale, en tant qu'opposée à la théorie de création spéciale, comment M. Proctor appellera-t-il le langage d'Hermès dans le passage suivant, s'il n'y voit pas une anticipation de la théorie moderne de l'évolution des espèces ? "Lorsque Dieu eut rempli ses puissantes mains de toutes les choses qui sont dans la nature, et dans ce qui l'entoure, les fermant de nouveau, il dit : Reçois de moi, ô terre sacrée, qui est destinée à être la mère de tout, afin que tu n'aies besoin de rien. Et alors ouvrant ces mains, telles  qu'il convient à un Dieu d'en avoir, il répandit sur elle tout ce qu'il était nécessaire pour la constitution des choses." Nous y voyons la matière primitive investie "de la promesse et de la puissance de produire toute forme future de vie", et la terre déclarée prédestinée à être la mère de tout ce qui jaillira désormais de son sein.

Plus explicite encore est le langage de Marcus Antoninus, dans son entretien avec lui-même. "La nature de l'Univers ne se complaît à rien, autant qu'à modifier les choses, et à les présenter sous une autre forme. Son idée est de jouer un jeu, et d'en commencer un autre. La matière est placée devant elle, comme un morceau de cire, et elle la pétrit et lui donne toute sorte de formes et de figures. Maintenant elle en fait un oiseau, et ensuite, de l'oiseau elle forme une bête, et d'autres fois une fleur, et puis une grenouille, et elle est satisfaite de ses opérations magiques, comme les hommes le sont de leurs propres fantaisies. 428"

428 Eugenius Philalèthes. Magia Adamica.

 

Avant qu'aucun de nos maîtres modernes ne songeât à l'évolution, les anciens nous apprenaient, par Hermès, que rien n'est brusque dans  la nature ; qu'elle ne procède pas par bonds et par sauts ; que toutes ses œuvres sont le fruit d'une lente harmonie, et qu'il n'y a rien de soudain, pas même la mort violente. [337]

Le développement lent de formes préexistantes était une doctrine professée par les Illuminés Rose-croix. Les Tres Matres montrèrent à Hermès la marche mystérieuse de leur œuvre, avant de condescendre à se révéler aux alchimistes médiévaux. Or dans le dialecte Hermétique, ces trois mères sont le symbole de la lumière, la chaleur, et l'électricité ou magnétisme, les deux derniers étant aussi convertibles que toutes les autres forces ou agents, qui ont une place assignée dans la moderne "corrélation des forces." Synesius fait mention de livres de pierre qu'il a trouvés dans le temple de  Memphis,  et  sur  lequel est gravée la  phrase  suivante :   "Une nature se complaît dans une autre ; une nature en maîtrise une autre, une nature en dirige une autre ; et, ensemble, elles n'en font toutes qu'une seule."

Le mouvement incessant, inhérent à la matière est indiqué dans la sentence suivante d'Hermès : "l'action est la vie de Phta" ; et Orphée appelle la nature ΙΙολuµήχάνος µάτηρ, "la mère qui fait beaucoup de choses", ou la mère ingénieuse, inventive, industrieuse.

M. Proetor dit : "Tout ce qui est sur et dans la terre, toutes les formes végétales et toutes les formes animales, nos corps, nos cerveaux, sont formés de matériaux, qui ont été tirés de ces profondeurs de l'espace qui nous environne de toutes parts." Les Hermétiques et les Rose-croix soutenaient que toutes choses visibles et invisibles, étaient produites par la lutte de la lumière avec les ténèbres, et que chaque parcelle de matière contient en elle une étincelle de la divine essence – ou lumière, esprit – qui par sa tendance à s'affranchir de ses liens et à retourner à la  source centrale, produisit le mouvement dans les parcelles, et de ce mouvement naquirent les formes. Hargrave Jennings, citant Robert Fludd, dit : "Ainsi, tous les minéraux, dans cette étincelle de vie, ont la possibilité rudimentaire des plantes et des organismes qui grandissent ; ainsi, toutes les plantes ont des sensations rudimentaires qui leur permettraient (au cours des siècles) de se perfectionner et de se transformer en créatures nouvelles et mobiles d'un degré plus ou moins élevé ou de fonctions plus ou moins nobles ; ainsi toutes les plantes et toute la végétation pourraient (en empruntant des voies détournées) passer dans des voies plus élevées, de progrès plus indépendant et plus complet, en laissant leur divine étincelle originelle de lumière se développer et briller d'un éclat plus vif, et pousser plus avant avec un but plus assuré, tout tracé par l'influence planétaire dirigée par les esprits (ou travailleurs) invisibles du grand architecte originel. 429" [338]

429 Hargrave Jennings. The Rosicrucians.

 

La lumière (la première mentionnée dans la Genèse), est appelée par les Cabalistes : Sephira, ou la Divine Intelligence, la mère de toutes les Sephiroth, dont la Sagesse Cachée est le père. La Lumière est le premier engendré, et la première des émanations du Suprême, et la Lumière est la Vie, dit l'Evangéliste. Toutes deux sont de l'électricité – le principe de vie, l'anima  mundi,  pénétrant  l'univers,  le  vivificateur  électrique  de toutes choses. La lumière est le grand magicien Protée, et, sous l'action de la Volonté Divine de l'architecte, ses vagues multiples et toutes-puissantes donnent naissance à toutes les formes, ainsi qu'à tout être vivant. De son sein gonflé d'électricité, sortent la matière et l'esprit. Dans ses rayons, se cache le commencement de toute action physique et chimique, et de tout phénomène spirituel et cosmique ; elle vivifie et désorganise ; elle donne la vie et produit la mort, et de son point primordial émergent graduellement à l'existence les myriades de mondes, corps célestes visibles et invisibles. Ce fut au rayon de cette Première mère, une en trois, que  Dieu, suivant Platon, "alluma un feu, que nous nommons maintenant le soleil 430", et qui n'est la cause ni de la lumière ni de la chaleur, mais seulement le foyer, ou, si l'on peut s'exprimer ainsi, la lentille, par laquelle les rayons de la lumière primordiale se matérialisent, sont concentrés sur notre système solaire, et produisent toutes les corrélations des forces.

Voilà pour ce qui concerne la première proposition de M. Proctor ; passons maintenant à la seconde.

L'ouvrage dont nous parlons comprend une série de douze essais, dont le dernier est intitulé : Thoughts on Astrology (Pensées sur l'Astrologie). L'auteur traite le sujet avec plus de considération que ce n'est l'habitude chez les hommes de sa classe, si bien qu'il est évident qu'il y a apporté toute son attention. Il va même jusqu'à dire : " Si nous envisageons la question sous son véritable aspect, nous devons reconnaître que, de toutes les erreurs dans lesquelles les hommes sont tombés, par suite de leur désir de pénétrer l'avenir, l'astrologie est la plus respectable, nous pourrions même dire la plus raisonnable. 431"

430 Timée.

431 Our Place among Infinites, p. 313.

432 Ibidem.

 

Il admet que "Les corps célestes règlent les destinées des hommes et des nations, de la façon la moins équivoque, vu que, sans l'influence souveraine et bienfaisante du principal de ces globes, le Soleil, toute créature vivante sur la terre périrait." 432 Il admet aussi l'influence de la lune, et ne voit rien d'étrange à ce que les anciens, raisonnant par analogie, prétendissent que si deux [339] de ces corps célestes étaient si puissants en influences terrestres, il était "naturel de penser que les autres globes en mouvement, connus des anciens, devaient aussi posséder leurs pouvoirs spéciaux. 433" En vérité, le professeur ne voit rien de déraisonnable dans la supposition que les influences exercées par les planètes aux mouvements plus lents "pussent être même plus puissantes que celles du soleil." M. Proctor pense que le système de l'astrologie "fut formé graduellement, et peut-être expérimentalement." On a pu déduire des  faits observés, certaines influences, la destinée de tel ou tel chef ou roi, par exemple, ayant servi de guide aux astrologues dans la détermination des influences particulières à tels ou tels aspects planétaires, qui s'étaient présentés au moment de sa nativité. D'autres ont pu être inventées et avoir été ensuite généralement acceptées, parce qu'elles étaient confirmées par quelques coïncidences curieuses.

Un trait d'esprit peut toujours être placé à propos, même dans un traité scientifique, et le mot "coïncidence" est aisément applicable à tout ce que l'on ne veut pas accepter. Mais un sophisme n'est point un truisme ; encore moins une démonstration mathématique, qui seule devrait servir de phare, au moins aux astronomes. L'astrologie est une science aussi infaillible que l'astronomie elle-même, à la condition, toutefois, que ses interprètes soient également infaillibles ; et c'est cette condition, sine qua non, d'une réalisation si difficile, qui a toujours été la pierre d'achoppement pour les deux. L'astrologie est à l'astronomie exacte ce que la psychologie est à la physiologie exacte. Dans l'astrologie et dans la psychologie, on fait un pas en dehors du monde visible de la matière, pour entrer dans le domaine de l'esprit transcendant. C'est la vieille lutte entre les écoles Platonicienne et Aristotélienne, et ce n'est pas dans notre siècle de scepticisme Sadducéen, que la première l'emportera sur son adversaire, M. Proctor, dans son rôle professionnel, est comme la personne peu charitable du sermon de la Montagne, qui, toujours prête à attirer l'attention sur la paille qui se trouve dans l'œil de son voisin dédaigné, ne sait pas s'apercevoir qu'elle a une poutre dans le sien. Si nous devions rappeler tous les échecs et les bévues ridicules des astronomes, nous craignons fort que la liste n'en soit de beaucoup plus longue que celle des erreurs des astrologues. Les événements actuels donnent pleinement raison à Nostradamus, que nos sceptiques ont tant tourné en ridicule. Dans un vieux livre de prophéties publié [340] au XVème siècle (l'édition est de 1453), nous lisons, parmi d'autres prédictions astrologiques, la prédiction suivante 434 :

433 Ibidem, p. 314.

434 La bibliothèque d'un parent de l'auteur du présent livre possède une copie de l'édition française de cet ouvrage unique. Les prophéties sont écrites en vieux français, et sont fort difficiles à déchiffrer pour ceux qui étudient le français moderne. Nous en donnons par conséquent  la traduction d'après une version anglaise qu'on dit avoir été prise d'après un livre dans la possession d'un propriétaire dans le Comté de Sommerset en Angleterre.

 

Dans deux fois deux cents ans, l'Ours attaquera le Croissant ; Mais si le coq et le taureau s'unissent, l'Ours ne vaincra pas. En deux fois dix ans ensuite, que l'Islam le sache et tremble, La Croix se lèvera, et le croissant à son déclin se dissoudra et disparaîtra.

Et juste deux fois deux cents ans après la date de la prophétie, nous avons eu la guerre de Crimée, durant laquelle l'alliance du Coq Gaulois avec le Taureau Anglais, vint mettre obstacle aux projets politiques de l'Ours Russe. En 1856, la guerre fut terminée, et la Turquie ou le Croissant fut sauvée de la destruction. Dans l'année 1876, les événements les plus inattendus d'un caractère politique se sont produits, juste encore  au moment où deux fois dix ans avaient passé depuis la conclusion de la paix. Tout semble annoncer l'accomplissement de la vieille prophétie ; l'avenir nous apprendra si le Croissant Musulman, qui semble en vérité décliner, "déclinera irrévocablement, s'il se dissoudra, et s'il disparaîtra."

En écartant par une explication apparente certains faits hétérodoxes, qu'il paraît avoir rencontrés sur son chemin, dans sa recherche du savoir,

M. Proctor est obligé plus d'une fois de recourir à ses chères "curieuses coïncidences". Une des plus curieuses est indiquée par lui dans une note (p. 301) en ces termes : "Je ne m'arrêterai pas à la curieuse coïncidence – si toutefois les astrologues chaldéens n'avaient pas découvert l'anneau de Saturne – qu'ils représentaient le dieu correspondant avec un anneau triple. Une faible connaissance de l'optique – telle qu'on peut l'inférer de la présence d'instruments d'optique dans les ruines Assyriennes – pourrait avoir fait découvrir les anneaux de Saturne et les lunes de Jupiter... Bel, le Jupiter Assyrien, était représenté quelquefois avec quatre ailes terminées par une étoile. Mais", dit-il, "il est possible que ce ne soit que de simples coïncidences."

 En somme, la théorie des coïncidences de M. Proctor suggère, en définitive, davantage l'idée du miracle, que les faits eux-mêmes. Nos amis les sceptiques paraissent très friands de coïncidences. Nous avons, dans le chapitre précédent, donné assez de témoignages pour montrer que les anciens doivent avoir eu des instruments d'optique aussi bons que les nôtres. Les instruments que possédait Nabuchodonosor étaient-ils donc d'une si faible puissance, [341] et le savoir de ses astronomes tellement à dédaigner, lorsque, suivant l'interprétation de Rawlinson des briques assyriennes, on voit que le Birs-Nemrod, ou temple de Borsippa, avait sept étages, symbolisant les cercles concentriques des sept sphères, chacun construit de briques et de métaux, correspondant à la couleur de la planète régente de la sphère qu'il représentait ? Est-ce encore une coïncidence que ce fait d'avoir appliqué, à chaque planète, la couleur que nos dernières découvertes télescopiques ont démontré être la vraie 435 ? Est-ce également une coïncidence qui fait indiquer par Platon, dans le Timée, sa connaissance de l'indestructibilité de la matière, de la conservation de l'énergie, et de la corrélation des forces ? "Le dernier mot de la philosophie moderne, dit Jowett, est la continuité et le développement, mais pour Platon, c'est le commencement et la base de la science. 436"

435 Rawlinson, vol. XVII, p. 30-32.

436 Jowett. Introduction au Timée, Dial. de Platon, vol. I, p. 509.

 

L'élément radical des plus anciennes religions était essentiellement sabaistique, et nous soutenons que leurs mythes et allégories, correctement et complètement interprétés, concorderont parfaitement avec les notions astronomiques les plus exactes d'aujourd'hui. Nous dirons plus ; il n'y a guère de loi scientifique – soit d'astronomie physique, soit de géographie physique – qui ne se retrouve dans les ingénieuses combinaisons de leurs fables. Ils ont allégorisé les causes les plus importantes, ainsi que les plus insignifiantes, des mouvements célestes ; la nature de chaque phénomène y était personnifiée ; et, dans les biographies mythiques des dieux et des déesses de l'Olympe, un homme bien versé dans les derniers principes de la physique et de la chimie peut retrouver leurs causes, leurs influences mutuelles et leurs relations, incorporées dans la conduite et les actes de ces capricieuses divinités. L'électricité atmosphérique, dans ses états neutres et latents, est symbolisée d'habitude par des demi-dieux et déesses, dont le champ d'action est plus limité à la terre, et qui, dans leur essor exceptionnel  vers  les  régions  plus  élevées,  déploient leur puissance électrique, toujours dans la stricte proportion de l'accroissement des distances de la terre ; les armes d'Hercule et de Thor n'étaient jamais plus terribles et plus mortelles que lorsque les dieux s'élevaient dans les nuages. Nous ne devons pas perdre de vue qu'avant l'époque où le  Jupiter Olympien fut anthropomorphisé par le génie de Phidias en Dieu Tout- Puissant, le Maximus, le Dieu des dieux, et abandonné ainsi à l'adoration des multitudes, dans la primitive et abstraite science des symboles, il était avec ses attributs la personnification de l'ensemble des forces cosmiques. Le Mythe était moins métaphysique [342] et moins compliqué, mais plus véritablement éloquent, comme expression de la philosophie naturelle. Zeus, l'élément masculin de la création, avec Chthonia ou Vesta (la terre), et Métis (l'eau) la première des Océanides (les principes féminins), était considéré, suivant Porphyre et Proclus, comme le zoon ek zoon,  le principal des êtres vivants. Dans la théologie Orphique, la plus ancienne de toutes, il représentait, métaphysiquement parlant, à la fois la potentia et l'actus, la cause non révélée, et le Démiurge, ou le créateur actif, considéré comme émanation de l'invisible puissance. Dans cette dernière fonction démiurgique, conjointement avec ses consorts, nous trouvons en lui tous les agents les plus puissants de l'évolution cosmique – l'affinité chimique, l'électricité atmosphérique, l'attraction et la répulsion.

C'est en suivant ses représentations dans cette signification physique, que nous voyons combien les anciens étaient versés dans toutes les branches de la science physique, dans ses développements modernes. Plus tard, dans les doctrines de Pythagore, Zeus devint la trinité métaphysique ; la monade évoluant de son SOI invisible, la cause active, l'effet, et la volonté intelligente, qui, ensemble, formaient la Tetractys. Plus tard encore, nous voyons les Néoplatoniciens laissant de côté la monade primitive, en raison de son incompréhensibilité pour l'intellect humain, ne plus spéculer que sur la triade démiurgique de cette divinité, visible et intelligible dans ses effets ; la suite métaphysique aboutit avec Plotin, Porphyre, Proclus et autres, à considérer Zeus comme le père, Zeus Poseidon ou dunamis, le fils ou pouvoir, et l'esprit ou nous. Cette triade fut aussi acceptée dans son ensemble par l'école d'Irénée au IIème siècle ; la différence la plus substantielle entre les Néoplatoniciens et les chrétiens, consistant simplement dans le mélange, opéré de force, par ceux-ci, de la monade incompréhensible, avec sa trinité créatrice réalisée.

Sous son aspect astronomique, Zeus-Dionysus a son origine dans le Zodiaque, l'ancienne année solaire. Dans la Lybie, il prenait la forme d'un bélier, et il était identique avec l'Amun Egyptien qui engendra Osiris le dieu-Taureau. Osiris est aussi une émanation personnifiée du Père Soleil, étant lui-même le Soleil dans le Taureau, le Père Soleil étant le Soleil dans le Bélier. Comme ce dernier, Jupiter est figuré par un bélier, et comme Jupiter Dionysus ou Jupiter-Osiris, il est le taureau. Cet animal, c'est bien connu,  est  le  symbole  de  la  puissance  créatrice ;  de  plus,  la Cabale explique, par l'entremise d'un de ses principaux maîtres, Simon-ben-Jochai (qui vivait au Ier siècle avant J.-C.), l'origine de cet étrange culte des taureaux et des vaches. Ce ne sont ni Darwin ni Huxley – les fondateurs de la doctrine d'évolution, et de son complément nécessaire, la transformation des espèces – [343] qui pourront trouver quelque chose contre la justesse de, ce symbole, à moins que ce ne soit le malaise qu'ils  pourraient éprouver d'avoir été devancés par les anciens jusque dans cette découverte moderne. Nous donnerons ailleurs la doctrine des cabalistes, telle que l'enseigne Simon-ben-Jochai.

On peut aisément démontrer que, de temps immémorial, Saturne ou Kronos, dont l'anneau fut très positivement découvert par les astrologues Chaldéens, et dont le symbolisme n'est nullement une "coïncidence", était regardé comme le père de Zeus, avant que celui-ci ne devînt lui-même le père de tous les dieux, et la plus haute divinité. Il était le Bel ou Baal des Chaldéens, chez qui il avait été originairement importé par les Akkadiens. Rawlinson soutient que ce dernier venait de l'Arménie ; mais s'il en est ainsi, comment expliquer le fait que Bel n'était que la personnification Babylonienne du Siva Hindou, ou Bala, le dieu du feu, le créateur omnipotent, et en même temps, la Divinité destructrice, à bien des égards supérieure à Brahma lui-même ?

"Zeus, dit un hymne orphique, est le premier et  le dernier, la tête et les extrémités ; de lui procèdent toutes choses. Il est un homme et une nymphe immortelle (élément mâle et femelle) ; l'âme de toutes choses ; et le principal moteur dans le feu ; il est le soleil et la lune ; la source de l'océan ; le demiurge de l'univers ; une puissance, un Dieu ; le puissant créateur et le gouverneur du cosmos. Tout, le feu, l'eau, la terre, l'éther, la nuit, les cieux, Métis, l'architecte primitive (la Sophia des Gnostiques,  et  la  Sephira  des  Cabalistes),  le  bel Eros, Cupidon, tout est contenu dans les vastes dimensions de son corps glorieux". 437

437 Stobœus. Eclogues.

 

Ce bref hymne de louange contient le plan de toute conception mythopœique. L'imagination des anciens était aussi illimitée que les manifestations visibles de la Divinité elle-même, qui leur fournissaient les thèmes de leurs allégories. Encore ces dernières, pour exubérantes qu'elles paraissent, ne s'écartent jamais des deux idées principales, que l'on peut toujours retrouver marchant de pair dans leur imagerie sacrée ; ils s'attachaient étroitement aux aspects de la loi naturelle aussi bien physique que morale ou spirituelle. Leurs recherches métaphysiques ne se heurtent jamais aux vérités scientifiques, et l'on peut avec raison qualifier leurs religions de croyances psycho-physiologiques des prêtres et des savants qui les fondèrent sur les traditions du monde à son enfance, telles que les esprits non faussés des races primitives les avaient reçues, et sur leurs propres connaissances expérimentales, mûries de toute la sagesse des siècles écoulés. [344]

En tant que soleil, quelle meilleure image pouvait-on trouver pour Jupiter émettant ses rayons dorés, que de personnifier cette émission en Diane, la vierge Artemis, illuminant tout, dont le plus ancien nom est Diktynna, littéralement le rayon émis, du verbe dikein. La lune n'est pas lumineuse, et elle ne brille qu'en reflétant la lumière du soleil ; de là sa représentation comme la fille du soleil, la déesse de la lune, elle-même Lune. Astarté, ou Diane. Comme la Diktynna crétoise, elle porte une couronne faite avec la plante magique diktamnon ou  dictamnus, l'arbrisseau toujours vert, dont le contact, dit-on, développe et guérit à la fois le somnambulisme ; et comme Eilithyia et Junon Pronuba, elle est la déesse qui préside aux naissances ; c'est une divinité Esculapienne, et l'usage de la couronne de dictame, en association avec la lune, montre une fois de plus la profonde observation des anciens. Cette plante est connue en botanique comme douée de propriétés sédatives puissantes ; elle croit sur le mont Dicté, montagne de Crète, en grande abondance ; d'un autre côté, la lune, selon les meilleures autorités en magnétisme animal, agit sur les humeurs et le système ganglionnaire, ou les cellules nerveuses, siège d'où procèdent toutes les fibres nerveuse qui jouent un rôle si prépondérant dans la magnétisation. Pendant l'enfantement, les femmes de Crète  étaient couvertes de cette plante, et ses racines étaient administrées, comme les plus propres à calmer les douleurs aiguës, et à tempérer l'irritabilité si dangereuse dans cette période. Elles étaient placées en outre  dans l'enceinte du temple consacré à la déesse, et si possible, sous les rayons directs de la resplendissante fille de Jupiter, la brillante et chaude lune orientale.

Les Brahmanes hindous et les Bouddhistes ont des théories compliquées sur l'influence du soleil et de la lune (les éléments masculin et féminin) qui contiennent des principes positifs et négatifs, les contraires de la polarité magnétique. "L'influence de la lune sur les femmes est bien connue", écrivent tous les auteurs anciens sur le magnétisme ; et Ennemoser, de même que Du Potet, confirme dans tous leurs détails les théories des voyants hindous.

Le respect que les Bouddhistes professent pour le saphir, qui était aussi consacré à la Lune dans tous les autres pays, est peut-être fondé sur quelque chose de plus scientifiquement exact qu'une pure et simple superstition. Ils lui attribuent une puissance magique, que tout étudiant du magnétisme psychologique comprendra aisément, car sa surface polie d'un bleu sombre produit des phénomènes somnambuliques extraordinaires. L'influence variée des couleurs du prisme sur le développement de la végétation, et spécialement celle du "rayon bleu" n'a été reconnue que récemment. Les Académiciens se querellaient sur l'inégale puissance calorique des rayons du prisme, jusqu'à ce qu'une série d'expériences du [345] Général Pleasonton soit venue démontrer que, sous le rayon bleu, le plus électrique de tous, le développement tant animal que végétal augmentait dans une proportion véritablement magique. Ainsi, les recherches d'Amoretti sur la polarité électrique des pierres précieuses montrèrent que le diamant, le grenat et l'améthyste sont – E, tandis que le saphir est + E. 438 Nous sommes donc en mesure de faire voir que les plus récentes expériences de la science ne font que confirmer ce que les sages hindous savaient déjà, avant qu'aucune Académie moderne ne fût fondée. Une ancienne légende hindoue dit que Brahma, étant devenu amoureux de sa propre fille Oushas (le ciel et parfois aussi l'aurore) il prit la forme d'un chevreuil (ris'ya), et Oushas celle d'une biche (rôhit) et ils commirent ainsi le premier péché. 439. Témoins de cette profanation, les dieux furent tellement épouvantés, que prenant, d'un commun accord, leur corps le plus effrayant (chaque dieu possédant autant de corps qu'il le désire), ils produisirent Boûthavan (l'esprit du mal) qui fut créé par eux dans le but de détruire cette incarnation du premier péché commis par le Brahma lui- même. Ce que voyant, Brahma-Hiranyagarbha 440 se repentit amèrement et commença à répéter les Mantras ou prières de la purification ; et, dans sa douleur, il versa sur la terre une larme, la plus chaude qui fût jamais tombée d'un œil ; Et c'est de cette larme que fut formé le premier saphir.

438 Kieser. Archiv., vol. IV, p. 62. En fait, beaucoup des anciens symboles étaient de simples jeux de mots sur les noms.

439 Voir Rig Vedas, le Aitareya-Brahmanes.

 

Cette légende moitié sacrée, moitié populaire, montre que les Hindous connaissaient quelle était la plus électrique des couleurs prismatiques ; bien plus, l'influence particulière du saphir était aussi bien définie que celle des autres minéraux. Orphée enseigne comment il est possible d'impressionner toute une assistance avec la pierre d'aimant ; Pythagore accorde une attention particulière à la couleur et à la nature des pierres précieuses ; tandis qu'Apollonius de Tyane apprend à ses disciples les vertus secrètes de chacune d'elles, et change chaque jour ses bagues, faisant usage d'une pierre particulière pour chaque jour du mois, selon les lois de l'astrologie judiciaire. Les Bouddhistes affirment que le saphir produit la paix du mental, l'équanimité, qu'il chasse toutes les mauvaises pensées, en établissant une circulation saine dans l'homme. Une batterie électrique agit de même si son fluide est bien dirigé, disent nos électriciens. "Le saphir", disent les Bouddhistes, "ouvre les portes closes et les demeures pour l'esprit de [346] l'homme ; il inspire le désir de la prière, apporte avec lui plus de paix que toute autre gemme ; mais celui qui le porte doit mener une vie pure et sainte." 441

440 Brahma est aussi appelé par les Brahmanes hindous, Hiranyagarbha, ou l'âme unité, tandis qu'Amrita est l'âme suprême, la cause première qui émana d'elle-même le Brahma créateur.

441 Marbod. Liber lapid. ed Beekmann.

 

Diane-Lune, est fille de Zeus et de Proserpine qui représente la Terre dans son travail actif, et, selon Hésiode, comme Diane Eilythia-Lucina, elle est fille de Junon. Mais Junon, dévorée par Saturne ou Kronos, et rendue à la vie par Métis l'Océanide, est connue aussi comme la Terre. Saturne, comme évolution du Temps, avale la terre dans un des cataclysmes préhistoriques, et c'est seulement lorsque Métis (les eaux), en se  retirant  dans  ses  nombreux  lits, dégage le continent, que l'on dit que Junon est rendue à sa première forme. L'idée est exprimée aux 9° et 10° versets du premier chapitre de la Genèse. Dans les fréquentes querelles conjugales entre Jupiter et Junon, Diane est toujours représentée comme tournant le dos à sa mère, et souriant à son père, quoiqu'elle le réprimande souvent pour ses nombreuses fredaines. Les magiciens de Thessalie, dit- on, étaient obligés, pendant ces éclipses, d'attirer son attention sur la terre, par la puissance de leurs charmes et de leurs incantations, et les astrologues Babyloniens et les mages ne cessaient leurs charmes qu'après avoir ramené entre le couple irrité une réconciliation, à la suite de laquelle Junon "souriait radieuse à la brillante déesse" Diane, qui, ceignant son front du croissant, retournait à ses lieux de chasse dans les montagnes.

Il nous semble que cette fable représente les différentes phases de la lune. Nous, habitants de la terre, nous ne voyons jamais qu'une moitié de notre radieux satellite, qui tourne ainsi le dos à sa mère Junon. Le soleil, la lune et la terre changent constamment de position, l'un par rapport  à l'autre. Avec la nouvelle lune, survient toujours un changement de temps ; et parfois le vent et les tempêtes pourraient bien suggérer l'idée d'une querelle entre le soleil et la terre, surtout quand celui-là est caché par des nuées d'orage grondantes. De plus, la nouvelle lune, lorsque sa partie sombre est tournée de notre côté, est invisible pour nous ; et ce n'est qu'après une réconciliation entre le soleil et la terre, qu'un croissant lumineux devient visible du côté le plus proche du soleil, quoiqu'en ce moment-là, Luna ne soit pas illuminée par les rayons directs de cet astre, mais par la lumière solaire reflétée de la terre à la lune, et renvoyée par celle-ci à la terre. C'est pour cela, disait-on, que les astrologues de la Chaldée et les magiciens de Thessalie, qui probablement surveillaient et déterminaient aussi soigneusement que Babinet le cours des corps célestes, forçaient, par leurs incantations, la lune à descendre sur [347] la terre, c'est-à-dire à montrer son croissant, ce qu'elle ne pouvait faire qu'après avoir reçu le " sourire radieux " de la terre, sa mère, qui ne le lui accordait qu'après la réconciliation entre les époux. Alors Diane-Luna, ayant orné sa tête du croissant, s'en retournait chasser dans ses montagnes.

Quant à mettre en doute la science intrinsèque des anciens, à cause de leurs "superstitieuses déductions des phénomènes naturels", cela serait aussi juste que, si dans cinq siècles d'ici, nos descendants considéraient les disciples du professeur Balfour Stewart comme d'anciens ignorants, et lui- même comme un philosophe superficiel. Si la science moderne, dans la personne   de   ce   docteur,   condescend   à   faire   des   expériences pour déterminer si l'apparition de taches sur la surface du soleil a quelque rapport direct ou indirect avec la maladie des pommes de terre, et trouve qu'il en existe, et que, de plus, "la terre est très sérieusement affectée par ce qui se passe dans le soleil" 442, pourquoi les anciens astrologues seraient-ils tenus pour des insensés ou pour de fieffés coquins ? Il y a la même relation entre l'astrologie naturelle et la judiciaire, qu'entre la physiologie et la psychologie, entre le physique et le moral. Si, dans les derniers siècles, ces sciences ont dégénéré en charlatanisme, du fait de quelques imposteurs âpres au gain, est-il juste d'englober dans cette accusation ces hommes puissants et sages de jadis, qui, par leurs persévérantes études et la sainteté de leur vie, ont immortalisé le nom de la Chaldée et de Babylone ? Assurément, ceux que l'on reconnaît aujourd'hui pour avoir calculé exactement les observations astronomiques "remontant jusqu'à cent ans après le déluge", du haut de l'observatoire de "Bel entouré de nuages", comme le dit Draper, ne peuvent guère être considérés comme des imposteurs. Si leur manière d'enseigner au peuple les grandes vérités astronomiques diffère du "système d'éducation" actuel, et si elle paraît ridicule à quelques-uns, la question subsiste de savoir laquelle des deux méthodes est la meilleure. Pour les anciens, la science marchait toujours de pair avec la religion, et l'idée de Dieu était inséparable de celle de ses œuvres. Tandis que dans notre siècle il n'y a pas une seule personne, sur dix mille, qui sache (si jamais elle en a eu seulement une idée), que la planète Uranus vient après Saturne, et qu'elle tourne autour du soleil en quatre-vingt-quatre ans ; que Saturne suit Jupiter et met vingt-neuf ans et demi à faire sa révolution complète dans son orbite ; Tandis que Jupiter accomplit la sienne en douze années, les masses sans éducation de Babylone et de la Grèce, avaient l'esprit pénétré de la notion qu'Uranus était le père de Saturne, et Saturne celui de Jupiter, les [348] considérant de plus comme des divinités ainsi que leurs satellites et compagnons. Nous pouvons peut-être en conclure que les Européens n'ayant découvert Uranus qu'en 1781, on relève une curieuse coïncidence dans les mythes ci-dessus mentionnés.

442 The Sun and the Earth. Conférence par le Professeur Balfour Stewart.

 

Nous n'avons qu'à ouvrir le premier livre venu sur l'Astrologie, et à comparer les descriptions données dans la fable des douze maisons, avec les découvertes les plus récentes de la Science sur la nature des planètes et des   éléments dans chaque astre, pour voir que, sans le moindre spectroscope, les anciens avaient acquis ces mêmes connaissances. A moins que l'on ne veuille encore envisager ce fait comme une "coïncidence", nous pouvons apprendre, jusqu'à un certain point, le degré de la chaleur solaire, la lumière et la nature des planètes, en étudiant tout simplement leurs représentations symboliques dans les dieux de l'Olympe et les douze signes du Zodiaque, à chacun desquels on attribue, en Astrologie, une propriété particulière. Si les déesses de notre  propre planète ne diffèrent pas des autres dieux et déesses, ayant tous une nature physique analogue, cela n'indique-t-il pas que les guetteurs, qui jour et nuit veillaient au haut de la tour de Bel, en communion avec les divinités évhémérisées, avaient remarqué, avant nous, l'unité physique de l'Univers et le fait que les planètes qui brillent au-dessus de nos têtes  sont composées précisément des mêmes éléments chimiques que la nôtre. Le Soleil dans le Bélier, Jupiter, est en Astrologie un signe masculin, diurne, cardinal, équinoxial, oriental, chaud et sec, et répond parfaitement au caractère attribué au volage "Père des dieux". Lorsque le coléreux Zeus- Akrios arrache de son ardente ceinture la foudre qu'il lance du haut des cieux, il déchire les nuages et descend en Jupiter Pluvius, en torrents de pluie. Il est le plus grand et le plus élevé des dieux, et ses mouvements sont aussi rapides que ceux de la foudre elle-même. Or, la planète Jupiter, on le sait, tourne si rapidement sur son axe, que chaque point de son équateur parcourt une distance de 450 milles par minute ; un excès immense de développement de force centrifuge à l'équateur, résultat de cette vitesse, a, croit-on, extrêmement aplati cette planète aux pôles ; et en Crète, sa personnification, le dieu Jupiter, était représentée sans oreilles. Le disque de la planète est zébré de raies sombres ; variant en largeur, celles-ci paraissent être en relation avec sa rotation sur son axe et sont produites par des perturbations dans son atmosphère. La face  du Père Zeus, dit Hésiode, devint mouchetée de fureur, lorsqu'il vit les Titans prêts à se révolter.

Dans le livre de M. Proctor, les astronomes paraissent spécialement condamnés par la Providence à rencontrer toute espèce de curieuses "coïncidences", car il cite beaucoup de cas, parmi une "multitude", et même des "milliers de faits" (sic). A cette liste [349] nous  pourrions ajouter l'armée d'Egyptologues et d'Archéologues, qui, dans ces derniers temps, ont été les favoris de la capricieuse Dame Chance, qui choisit généralement plutôt des "Arabes aisés" et autres gentlemen de l'Orient, pour jouer auprès d'eux le rôle de bienveillants génies venant au secours des Orientalistes dans l'embarras. Le professeur Ebers a été un des derniers ainsi favorisés. C'est un fait bien connu, que toutes les fois que Champollion avait besoin de quelque renseignement important, il le trouvait toujours de la façon la plus originale et, souvent, la plus inattendue.

Voltaire, le plus grand des "infidèles" du XVIIIème siècle, avait coutume de dire que, si Dieu n'existait pas, il aurait fallu  l'inventer. Volney, autre "matérialiste", ne nie nulle part, dans ses  nombreux ouvrages, l'existence divine. Au contraire, il affirme nettement, dans plusieurs endroits, que l'univers est l'œuvre de la "Sagesse Suprême", et il est convaincu qu'il existe un Agent Suprême, un Artisan universel et identique, désigné sous le nom de Dieu 443. Voltaire devient Pythagoricien sur la fin de sa vie, et conclut en disant : "J'ai passé quarante ans de mon pèlerinage... à chercher cette pierre philosophale qui a nom la vérité. J'ai consulté tous les adeptes de l'antiquité, Epicure et saint Augustin, Platon et Malebranche, et je reste encore dans l'ignorance. Tout ce que j'ai pu obtenir, en comparant et en combinant le système de Platon, celui du précepteur d'Alexandre, de Pythagore, et celui de l'Orient, est ceci : Le hasard est un mot vide de sens. Le monde est organisé d'après des lois mathématiques" 444.

Il nous est naturel de suggérer que la pierre d'achoppement de M. Proctor est celle contre laquelle viennent buter tous les savants matérialistes, dont il reproduit les idées : Il confond les opérations physiques et les opérations spirituelles de la nature. Sa théorie même du raisonnement probable des anciens par induction, relativement aux influences subtiles des planètes les plus éloignées, par comparaison avec les effets familiers et puissants produits par le soleil et la lune sur la terre, montre la tendance de son esprit. Parce que la science affirme que le soleil nous communique la chaleur et la lumière, et que la lune agit sur les marées, il pense que les anciens doivent avoir considéré les autres corps célestes comme exerçant le même genre d'influence sur nous physiquement, et indirectement sur nos destinées 445. Ici, nous nous permettrons une digression.

 443 Volney. La Loi Naturelle.

444 Diction. philosophique, art. Philosophie.

445 "Boston Lecture", déc. 1875.

 

Il est fort difficile de déterminer, lorsqu'on n'est pas au courant de l'explication ésotérique de leurs doctrines, comment les [350] anciens envisageaient les corps célestes. Lorsque la philologie et la théologie comparée ont abordé la tâche ardue de l'analyse, elles n'ont, jusqu'à présent, donné que de maigres résultats. La forme allégorique du  discours a souvent égaré nos commentateurs, jusqu'à leur faire plus d'une fois confondre les causes et les effets, et vice versa. Dans le phénomène embarrassant de la corrélation des forces, nos plus grands savants eux- mêmes trouveront beaucoup de difficultés pour expliquer laquelle de ces forces est la cause, et laquelle est l'effet, puisque chacune peut être, tour à tour, l'une et l'autre, et qu'elles sont toutes également convertibles. Ainsi, si nous demandons aux physiciens : "Est-ce la chaleur qui engendre la lumière, ou bien est-ce la lumière qui produit la chaleur ?" Ils nous répondraient probablement que c'est certainement la lumière qui crée la chaleur. Fort bien ; mais comment ? Le grand Artisan a-t-il d'abord produit la lumière, ou bien a-t-Il construit en premier lieu le soleil, que l'on dit être l'unique dispensateur de la lumière et conséquemment de la chaleur ? Ces questions peuvent paraître au premier abord un indice d'ignorance ; mais, peut-être, en les scrutant avec soin, prendront-elles un autre aspect. Dans la Genèse, le "Seigneur" crée d'abord la lumière, et l'on prétend que trois jours et trois nuits s'écoulent avant qu'Il crée le soleil, la lune et les étoiles. Cette grossière bévue contre la science exacte a fait beaucoup rire les matérialistes. Ils seraient parfaitement en droit d'en rire si leur doctrine que la lumière et la chaleur dérivent du soleil était inattaquable. Jusqu'à une époque très récente, rien n'est survenu pour ébranler cette théorie qui, à défaut d'une meilleure, règne, suivant l'expression d'un prédicateur, "en souveraine dans l'Empire de l'Hypothèse." Les anciens adorateurs du soleil regardaient le Grand Esprit comme un dieu de la nature, identique à elle, et le soleil comme la divinité dans laquelle "réside le Seigneur de vie". D'après la théologie hindoue, Gama est le soleil, et "le soleil est la source des âmes et de toute vie." 446 Agni, le "Feu Divin", la divinité des hindous, est le soleil 447 aussi, car le feu et le soleil sont la même chose. Ormazd est la lumière, le Dieu-Solaire, ou le Vivificateur. Dans la philosophie hindoue, "les âmes proviennent de l'âme du monde et retournent à elle, comme les étincelles au feu." 448 Mais, dans un autre endroit, il est dit que "le Soleil est l'âme de toutes choses ; que tout est sorti de lui, et doit retourner à lui" 449 ; ce qui montre bien que dans ces [351] passages le soleil est pris dans un sens allégorique, et représente le soleil central, invisible, DIEU, dont la première manifestation fut Sephira, l'émanation d'En-Soph – bref la Lumière.

446 Weber. Ind. Stud, I, 290.

447 Wilson. Rig Veda Sanhita, 11, 143.

448 "Duncker", II, 162.

449 "Wultke", II, 262.

450 Daniel, VII, 9 et 10.

451 Livre d'Enoch, XIV, 7, ff.

 

"Je regardai, et voici, il vint du septentrion un vent impétueux, une grosse nuée et une gerbe de feu, qui répandait de tous côtés une lumière éclatante... Il y avait quelque chose en forme de trône… et sur cette forme de trône apparaissait comme une figure d'homme placé dessus, en haut... Je vis encore comme du feu… et qui rayonnait tout autour", dit Ezéchiel. (chap. I, 4, 22) Et Daniel parle de "l'ancien des jours", le cabalistique En- Soph, dont le trône "était comme des flammes de feu et les roues comme un feu ardent... Un fleuve de feu coulait et sortait de devant lui."  450 Comme le Saturne Païen qui avait son palais de flammes dans le septième ciel, le Jehovah des Juifs avait "son château de feu au-dessus des septièmes cieux." 451.

Si l'espace limité de cet ouvrage nous le permettait, nous pourrions facilement montrer que nul, parmi les anciens, y compris les adorateurs du soleil, ne considérait notre soleil visible autrement que comme un emblème de leur dieu-solaire métaphysique, central que notre science et invisible. De plus, ils ne croyaient pas ce moderne nous apprend, savoir que la lumière et la chaleur procèdent de notre soleil, et que c'est cet astre qui donne la vie à toute la nature visible. "Son rayonnement est impérissable", dit le Rig-Veda, "les rayons d'Agni à l'éclat intense, incessant, pénétrant tout, ne s'arrêtent jamais, ni le jour ni la nuit." Cela se rapporte évidemment au soleil central spirituel, dont les rayons pénètrent sans cesse partout, le vivificateur éternel et infini. IL est le Point ; le centre (qui est partout) du cercle (qui n'est nulle part), le feu éthéré, spirituel, l'âme et l'esprit du mystérieux éther qui pénètre tout ; l'énigme des matérialistes, qui quelque jour trouveront que la cause des innombrables forces cosmiques en éternelle corrélation n'est qu'une divine électricité,  ou plutôt un galvanisme, et que le soleil n'est qu'un des myriades d'aimants disséminés dans l'espace, un réflecteur, selon le général Pleasonton. Ils trouveront que le soleil n'a pas, en lui, plus de chaleur que la lune, ou que l'innombrable essaim d'étoiles étincelantes qui fourmillent dans  l'espace. Ils reconnaîtront qu'il n'y a point de gravitation dans le sens Newtonien, mais seulement une attraction [352] et une répulsion magnétiques 452 ; et que c'est en vertu de leur magnétisme que les mouvements des planètes du système solaire sont réglés, dans leurs orbites respectives, par le magnétisme encore plus puissant du soleil, et non point par leur poids ou gravitation. Ils apprendront cela et bien d'autres choses encore ; mais jusque-là, nous nous contenterons d'être raillés, au lieu d'être brûlés vifs pour impiété, ou enfermés dans un asile d'aliénés.

Les lois du Manou sont les doctrines de Platon, Philon, Zoroastre, Pythagore et la Cabale. C'est cette dernière qui peut résoudre l'ésotérisme de chaque religion. La doctrine cabalistique du Père et du  Fils allégoriques, IIατηρ et ∆ογος, est identique à la base du Bouddhisme. Moïse ne pouvait pas révéler à la multitude les sublimes secrets de la spéculation religieuse, ni la cosmogonie de l'univers ; tout cela reposant sur l'Illusion hindoue, masque ingénieux voilant le Sanctum Sanctorum, et qui a égaré tant de commentateurs théologiens. 453 [353]

 452 Cette proposition, qui sera flétrie de l'épithète d'absurde, mais que nous sommes prêts à soutenir, et à montrer, sur l'autorité de Platon (cf. Jowett : Introduction au Timée, dernière page), comme une doctrine de Pythagore, de même que cette autre qui affirme que le soleil n'est que la lentille à travers laquelle passe la lumière, est singulièrement confirmée aujourd'hui par les observations du général Pleasonton de Philadelphie. Cet expérimentateur s'avance résolument pour révolutionner la science moderne, et il ne craint pas de dire que les forces centripète et centrifuge, et la loi de gravitation de Newton sont autant d' "erreurs". Il soutient sa thèse avec beaucoup d'énergie, contre les Tyndalls et Huxleys du jour. Nous sommes heureux de trouver un défenseur aussi instruit des plus anciennes hallucinations hermétiques (jusqu'à présent qualifiées d'absurdes) (voir le livre du général Pleasonton : L'Influence du rayon bleu de la lumière solaire et de la couleur bleue du ciel sur le développement de la vie animale et végétale, adressé à la Société pour l'avancement de l'agriculture de Philadelphie).

453 Dans aucun pays, les véritables doctrines ésotériques ne furent consignées par écrit. Le Brahma Maia hindou a passé de génération en génération par tradition orale. La Cabale n'a jamais été écrite ; et Moïse n'en confia les enseignements, toujours oralement, qu'à ceux qu'il avait choisis. Le pur gnosticisme primitif de l'Orient a été complètement dégradé et corrompu par les diverses sectes qui suivirent. Philon, dans le livre De Sacrificiis Abeli et Caini, déclare qu'il y a là un mystère, qui ne doit pas être révélé aux non initiés. Platon garde le silence sur une foule de points, et ses disciples font constamment allusion à ce fait. Tout homme qui a étudié ces philosophes, ne fût-ce que superficiellement, en lisant les Lois de Manou, apercevra clairement que toutes ces doctrines ont été puisées à la même source. "Cet univers, dit Manou, existait seulement dans l'idée divine primitive,  encore  non  déployé,  comme  enveloppé  de  ténèbres,  imperceptible, indéfinissable, impossible à découvrir par le raisonnement, et non dévoilé par la révélation, comme s'il était entièrement plongé dans le sommeil ; alors la seule Puissance existant par Elle-même, inconnue, apparaissait avec une gloire non amoindrie et, développant son idée et dissipant l'obscurité." Ainsi s'exprime le premier Code du Bouddhisme. L'idée de Platon c'est la Volonté, ou le Logos, la divinité, qui se manifeste elle-même. C'est l'Eternelle Lumière, dont procède, comme une émanation, la lumière visible et matérielle.

 

Les hérésies cabalistiques reçoivent un appui inespéré des théories hétérodoxes modernes du Général Pleasonton. D'après ses dires (fondés sur des faits bien plus incontestables que ceux des savants orthodoxes), l'espace entre le soleil et la terre doit être rempli par un agent matériel, qui, autant que nous en pouvons juger par ses descriptions, répond à la lumière astrale cabalistique. Le passage de la lumière à travers ce milieu doit produire un frottement énorme. Le frottement développe de l'électricité, et c'est cette électricité et les forces magnétiques corrélatives qui forment ces forces effrayantes de la nature, qui déterminent sur, dans et autour de notre planète les divers changements que l'on y remarque partout. Il démontre que la chaleur terrestre ne peut pas dériver directement du soleil, car la chaleur monte. La force par laquelle la chaleur est produite est une force répulsive, dit-il, et comme elle est associée à l'électricité positive, elle est attirée vers la haute atmosphère par son électricité négative, toujours associée avec le froid, qui est l'opposé de l'électricité positive. Il affermit sa position en montrant que la terre qui, lorsqu'elle est couverte de  neige, ne peut être affectée par les rayons du soleil, est plus chaude là où la neige est plus épaisse. Il explique ce fait par la théorie que le rayonnement de la chaleur de l'intérieur de la terre électrisée positivement, rencontrant à la surface de la terre la neige électrisée négativement en contact avec cette surface, produit la chaleur.

Il montre ainsi que ce n'est nullement au soleil que nous sommes redevables de la lumière et de la chaleur ; que la lumière est une création sui generis, qui est venue à l'existence lorsque la Divinité voulut et prononça son fiat : "Que la lumière soit" ; Et que c'est cet agent matériel indépendant qui produit la chaleur par le frottement, en raison de son énorme et incessante rapidité de mouvement. Bref, c'est auprès de la première émanation des Cabalistes, que le général Pleasonton nous introduit, auprès de la Sephira, ou Intelligence divine (le principe féminin) qui, unie à En-Soph, ou sagesse divine (le principe masculin), a produit toutes choses visibles et invisibles. Il rit de la théorie couramment admise de l'incandescence du soleil et de sa substance gazeuse. La réflexion de la photosphère solaire, dit-il, passant par les espaces planétaires et stellaires, doit avoir créé une grande quantité d'électricité et de magnétisme. L'électricité, par l'union de ses polarités opposées, émet de la chaleur, et transmet du magnétisme à toutes les substances capables de le recevoir. Le soleil, les planètes, les étoiles, et les nébuleuses sont tous des aimants, etc.

Si ce courageux et savant amateur parvient à bien établir sa thèse, les générations futures seront peu portées à rire de Paracelse et de sa lumière sidérale ou astrale, ou de sa doctrine de [354] l'influence magnétique des étoiles et des planètes sur toute créature vivante, plante ou minéral de notre globe. De plus, si l'hypothèse de Pleasonton est reconnue exacte, la gloire transcendante de Tyndall sera grandement ternie. L'opinion publique est que le général livre un terrible assaut au savant physicien, qui a attribué au soleil les effets calorifiques qu'il a éprouvés, pendant une excursion dans les Alpes, et qui étaient tout simplement  dus  à  sa  propre  électricité vitale. 454

454 Il parait qu'en descendant du Mont Blanc, Tyndall souffrit beaucoup de la chaleur quoi qu'il eut de la neige jusqu'aux genoux. Le professeur attribue cela aux rayons ardents du soleil, mais, Pleasonton soutient que si les rayons du soleil avaient été aussi intenses que le prétend le voyageur, ils auraient fait fondre la neige, ce qui n'avait pas lieu ; il en conclut que la chaleur dont souffrait Tyndall provenait de son propre corps et était due à l'action électrique du soleil sur ses vêtements de laine sombre qui étaient électrisés positivement par la chaleur de son corps. L'éther froid et sec de l'espace planétaire et la haute atmosphère terrestre devinrent électrisés négativement et en tombant sur son corps et ses vêtements chauffés et électrisés positivement, ils produisirent un surcroît de chaleur (voir l'ouvrage précité, pp. 39, 40, 41, etc.)

 

La prépondérance de ces idées révolutionnaires en science, nous amène à demander à ses représentants, s'ils peuvent expliquer pourquoi la marée suit la lune dans son mouvement circulaire ? Le fait est qu'ils ne peuvent pas même faire la démonstration d'un phénomène aussi familier que celui-là, et qui n'est nullement un mystère pour les simples néophytes de l'alchimie et de la magie. Nous aimerions aussi savoir s'ils sont aussi incapables de nous dire pourquoi les rayons lunaires sont si toxiques et même mortels pour certains organismes ; pourquoi, dans certaines parties d'Afrique et d'Inde, une personne dormant au clair de lune devient très souvent folle ? Pourquoi les crises, dans certaines maladies, correspondent à des changements lunaires ; pourquoi les somnambules sont plus affectés à la pleine lune ; Et pourquoi les jardiniers, les fermiers et les bûcherons persistent avec tant de ténacité dans l'idée que la végétation subit les influences lunaires ? Plusieurs mimosas ouvrent ou ferment alternativement leurs pétales, suivant que la pleine lune se montre ou est cachée par les nuages. Les Hindous de Travancore ont un proverbe populaire extrêmement significatif, qui dit : "Douces paroles valent mieux que criailleries ; la mer est attirée par la froide lune, et non par le soleil ardent." Peut-être que celui ou ceux qui lancèrent ce proverbe dans le monde en savaient davantage sur la cause de cette attraction des eaux  par la lune, que nous n'en savons. Ainsi, si la science ne peut expliquer la cause de cette influence physique, que pourrait-elle savoir des influences morales et occultes exercées par les corps célestes, sur les hommes et sur leurs destinées ? Et pourquoi contredire toujours ce dont elle ne peut démontrer la [355] fausseté ? Si certains aspects de la lune produisent des effets tangibles, si courants de tous temps dans l'expérience des hommes, quelle violence fait-on à la logique, en admettant la possibilité qu'une certaine combinaison d'influences sidérales puisse aussi avoir une influence plus ou moins puissante ?

Si le lecteur veut bien se rappeler ce que disent les érudits auteurs de Unseen Universe, au sujet de l'effet positif produit sur l'éther universel par une cause aussi infime que la simple pensée d'un homme, combien plus raisonnable ne lui semblera-t-il pas qu'on dise que les terribles impulsions imprimées à ce milieu commun, par le mouvement de ces myriades de globes flamboyants, parcourant les profonds espaces  interstellaires, peuvent nous affecter à un très haut degré et affecter cette terre sur laquelle nous vivons ? Si les astronomes ne peuvent nous expliquer la loi occulte, par laquelle les parcelles flottantes de la matière cosmique s'agglomèrent pour former des mondes, et prendre ensuite leur place dans le majestueux cortège qui se meut sans cesse autour de quelque point central d'attraction, comment peut-on prétendre dire quelles influences mystiques peuvent ou ne peuvent pas se faire sentir à travers l'espace, et agir sur les éléments de la vie sur cette planète ou sur d'autres ? On ne sait presque rien des lois du magnétisme et des autres agents impondérables ; presque rien non plus de leurs effets sur nos corps et notre mental ; et même ce qui en est connu et parfaitement démontré est attribué au hasard, ou à de curieuses coïncidences 455. Mais nous savons, grâce à ces coïncidences, "qu'il y a des époques, où certaines maladies, certaines tendances, certaines bonnes ou mauvaises fortunes de l'humanité sont plus prononcées que dans d'autres." Il y a des périodes d'épidémie morale aussi bien que physique. A une époque, "l'esprit de controverse religieuse réveille les plus farouches passions dont la nature humaine soit susceptible, provoquant la persécution mutuelle, l'effusion de sang, les guerres ; à un autre, une épidémie de résistance à l'autorité constituée, se répand sur la moitié du monde (comme en 1848), rapide et simultanée comme la contagion corporelle la plus virulente."

455 A notre avis, la plus curieuse de toutes ces "curieuses coïncidences", est que nos savants écartent des faits assez frappants, pour leur faire employer cette expression, au lieu de se mettre à l'œuvre pour en donner une explication philosophique.

 

Le caractère collectif des phénomènes mentaux est démontré par une perturbation psychologique, qui envahit et domine des milliers d'individus, qu'elle dépouille de toute faculté, pour ne leur laisser qu'une action automatique, et qui fait naître l'idée populaire d'une possession démoniaque, idée justifiée, dans une [356] certaine mesure, par les passions sataniques, les émotions et les actes, qui accompagnent cette condition. A un moment donné, c'est la tendance collective à la retraite et à la contemplation, d'où le foisonnement  du  monachisme  et des anachorètes ; dans un autre c'est la manie de l'action, vers quelque but utopique, aussi impraticable qu'inutile. De là, les milliers d'individus qui ont abandonné leurs parents, leur foyer, leur patrie, pour chercher une terre dont les pierres étaient d'or, ou se sont lancés dans des luttes d'extermination pour la conquête de villes sans valeur ou de désert sans pistes. 456

456 Voyez Charles Elam M.D. A Physician's Problems. Londres, 1869, p159.

 

L'auteur auquel nous empruntons ces lignes dit que "la semence des vices et du crime paraît être répandue sous la surface de la société, et germer et porter ses fruits avec une rapidité déconcertante et une succession qui paralyse."

En présence de ces phénomènes émouvants, la  science  reste  sans voix ; elle n'essaye même pas de faire des conjectures sur leur cause, et c'est naturel, puisqu'elle n'a pas encore appris à regarder au-dehors de cette boule de boue sur laquelle nous vivons, et de sa lourde atmosphère, pour chercher les influences cachées qui agissent sur nous journellement et même à chaque minute. Mais les anciens, dont "l'ignorance" est affirmée par M. Proctor, avaient parfaitement compris que les relations réciproques entre les corps planétaires sont aussi parfaites que celles qui existent entre les globules du sang, qui flottent dans un fluide commun ; et que chacun d'eux est affecté par les influences combinées des autres, comme chacun affecte aussi tous les autres à son tour. Comme les planètes diffèrent en dimension, en distance et en activité, de même diffèrent aussi leurs impulsions sur l'éther ou la lumière astrale, et les forces magnétiques et autres forces subtiles qu'elles font rayonner sur certaines parties du ciel. La musique est la combinaison et la modulation des sons, et le son est l'effet produit par les vibrations de l'éther. Si l'impulsion donnée à l'éther par les différentes planètes est comparée aux notes d'un instrument de musique, il n'est pas difficile de comprendre que "la musique des sphères" de Pythagore est quelque chose de mieux qu'une lubie, et que certains aspects planétaires peuvent produire des perturbations dans l'éther de notre planète, et certains autres au contraire du calme et de l'harmonie. Certains genres de musique nous inspirent de la frénésie ; d'autres exaltent dans l'âme les aspirations religieuses. Enfin, il n'est guère de créature humaine qui ne réponde à certaines vibrations de l'atmosphère. Il en est de même des couleurs ; quelques-unes nous [357] surexcitent ; d'autres nous calment et nous font plaisir. La religieuse s'habille de noir, pour indiquer la tristesse d'une foi écrasée par le péché originel ; la mariée prend des vêtements blancs, le rouge excite la colère chez certains animaux. Si l'homme et les animaux sont ainsi affectés par des vibrations opérant sur une petite échelle, pourquoi ne serions-nous pas affectés en masse par des vibrations produites sur une vaste échelle, par les influences combinées des astres ?

"Nous savons", dit le Dr Elam, "que certaines conditions pathologiques ont une tendance à devenir épidémique sous l'influence de causes non encore étudiées... Nous voyons combien est forte la tendance de l'opinion, une fois promulguée, à prendre une forme épidémique – et il n'est pas d'opinion ou d'illusion, trop absurde pour prendre ce caractère collectif. Nous observons aussi de quelle façon remarquable les mêmes idées se reproduisent et reparaissent à des époques successives… nul crime n'est trop horrible pour devenir populaire : l'homicide, l'infanticide, le suicide, l'empoisonnement, toutes les conceptions diaboliques de l'humanité… En fait d'épidémies, la cause de leur rapide propagation à une époque particulière est et demeure un mystère."

Ces quelques lignes contiennent un fait psychologique indéniable, esquissé de main de maître, et en même temps une demi-confession de parfaite ignorance ("Causes non encore étudiées"). Pourquoi ne pas être franc et ajouter "qu'il est impossible de les étudier avec les méthodes scientifiques actuelles ?"

Signalant une épidémie d'incendiaires, le Dr Elam cite, des Annales d'Hygiène publique, les cas suivants : "Une jeune fille d'environ dix-sept ans est arrêtée… et elle avoue que deux fois elle a mis le feu à des habitations par instinct, poussée par un besoin irrésistible... Un garçon de dix-huit ans commet plusieurs actes de même nature. Il n'était mû par aucune passion, mais la montée des flammes lui procurait une émotion particulièrement agréable."

Qui n'a pas rencontré, dans les colonnes de journaux, des cas analogues ? Ils frappent constamment l'œil. Dans des cas de meurtre de toute nature, et d'autres crimes d'un caractère diabolique, l'acte est attribué dans neuf cas sur dix, par les coupables eux-mêmes, à des obsessions irrésistibles. "Quelque chose me répétait sans cesse à l'oreille… Quelqu'un me poussait constamment et m'engageait à agir". Telles sont les trop fréquentes confessions des criminels. Les médecins les attribuent à des hallucinations de cerveaux mal équilibrés, et ils nomment ces impulsions homicides une folie temporaire. Mais la folie elle-même est-elle bien comprise par les psychologues ? Sa cause a-t-elle jamais été formulée dans une hypothèse capable de soutenir l'examen d'un chercheur intransigeant ? Que les ouvrages de controverse de nos aliénistes répondent à cette question. [358]

Platon reconnaît que l'homme est le jouet de l'élément de nécessité, dans lequel il entre à son apparition dans ce monde de matière ; il est influencé par des causes extérieures, et ces causes sont des daïmonia, comme celui de Socrate. Heureux l'homme physiquement pur, car si son âme externe (le corps) est pure, elle ajoutera de la force, à la seconde (le corps astral), ou l'âme qu'il nomme l'âme mortelle plus élevée, laquelle, bien que susceptible de commettre des erreurs par ses propres mobiles, se range néanmoins, avec la raison, contre les penchants animaux du corps. Les désirs de l'homme naissent de son corps matériel périssable, et il en est de même des autres maladies ; mais quoiqu'il considère les crimes comme quelquefois involontaires, car ils sont le résultat, comme les maladies corporelles, de causes extérieures, Platon fait clairement une grande distinction entre ces causes. Le fatalisme qu'il accorde à  l'humanité n'exclut en aucune manière la possibilité de les éviter, car, si la douleur, la crainte,  la  colère  et  d'autres  sensations sont  imposées à  l'homme par la nécessité, "s'il sait en triompher, il vivra honnêtement, mais s'il se laisse vaincre par elles, il vivra malhonnêtement 457." L'homme double, c'est-à- dire, celui dont l'esprit divin immortel s'est enfui, en ne laissant que la forme animale et le corps astral (l'âme mortelle supérieure de Platon), est abandonné à ses seuls instincts, car il a été vaincu par tous les maux inhérents à la matière. Par conséquent, il devient le jouet docile des invisibles, êtres d'une matière sublimée, errant dans notre atmosphère et toujours prêts à influencer ceux qui ont été justement abandonnés par leur immortel conseiller, le Divin Esprit nommé "génie" par Platon. 458 Suivant ce grand philosophe initié, celui "qui a vécu honnêtement durant le temps qui lui avait été assigné, retournera habiter son étoile, et y mènera une existence bénie et conforme à sa nature. Mais s'il ne l'obtient pas dans la deuxième génération, il passera dans le corps d'une femme (deviendra faible et impuissant comme une femme) 459 ; et si, dans [359] cette condition, il ne se détourne pas du mal, il sera changé en une brute, qui lui ressemblera dans sa mauvaise conduite, et ses tourments et ses transformations ne cesseront point, jusqu'à ce que, suivant le principe originaire de ressemblance en lui-même, il surmonte, à l'aide de la raison, les dernières sécrétions des éléments irrationnels et turbulents (démons élémentaires) composés de feu, d'air, d'eau et de terre, et revienne à la forme de sa première et meilleure nature." 460

457 Jowett. Timœus.

458 Ibidem.

459 Suivant la théorie du général Pleasonton de l'électricité positive et négative qui forme la base de tous les phénomènes psychologiques, physiologiques et cosmiques, l'abus des  stimulants alcooliques transforme un homme en femme et vice-versa en transformant leurs électricités. "Lorsque ce changement dans la condition de leur électricité s'est opérée, les attributs (de l'ivrogne) deviennent féminins ; il est irritable, déraisonnable, excitable… ; devient violent, et s'il rencontre sa femme dont la condition électrique est la même que la sienne, ils se repoussent, s'insultent et se battent, et les journaux du lendemain enregistrent un nouveau cas de mort violente. Qui s'attendrait à trouver la découverte de la cause de tous ces crimes terribles dans la nature de la transpiration du criminel ? Et pourtant, la science a démontré que les métamorphoses de l'homme en femme en changeant la condition négative de son électricité en électricité positive de la femme avec tous ses attributs sont indiquées par la nature de la transpiration augmentée par l'usage des stimulants alcooliques." (The Influence of the Blue Ray, p. 119).

460 Platon. Timée.

 

Mais le Dr Elam pense autrement. A la page 194 de son livre, A physician's Problem, il dit que la cause de la propagation rapide de certaines maladies épidémiques, qu'il indique, "demeure un mystère" ; mais, en ce qui concerne la pyromanie, il remarque que, "dans tout cela,  il n'y a rien de mystérieux", quoique l'épidémie soit fortement développée. Etrange contradiction ! De Quincey, dans son pamphlet intitulé : Murder Considered as one of the fine arts, parle d'une épidémie d'assassinat, entre 1588 et 1635, au cours de laquelle sept des hommes les plus distingués de cette époque périrent par la main des assassins, et ni lui, ni aucun autre commentateur n'a pu expliquer la cause de cette manie homicide.

Si nous pressons ces messieurs de s'expliquer, ce qu'en leur qualité de philosophes ils sont tenus de faire, on nous répond qu'il est bien plus scientifique d'assigner, pour cause à ces épidémies, "la surexcitation du mental"… "une époque d'agitation politique (1830)" "la fièvre d'imitation et l'impulsion"... "des garçons désœuvrés et faciles à entraîner", et des "filles hystériques"... que de s'attarder à d'absurdes recherches, pour vérifier des traditions superstitieuses, dans une hypothétique lumière astrale. Il nous semble cependant que si, par quelque  fatalité providentielle, l'hystérie venait à disparaître entièrement de l'organisme humain, la confrérie médicale se trouverait fort empêchée, pour donner l'explication de bien des phénomènes aujourd'hui commodément classés sous le titre de "symptômes normaux de certaines conditions pathologiques des centres nerveux." L'hystérie a été jusqu'à présent l'ancre de salut des pathologistes sceptiques. Qu'une jeune paysanne crasseuse se mette subitement à parler couramment différentes langues étrangères, jusqu'alors ignorées d'elle, et qu'elle écrive des poésies… "hystérie !". Qu'un médium s'enlève dans l'espace, en présence d'une douzaine de témoins ; qu'il sorte par une fenêtre à la hauteur du troisième étage et rentre par une autre... "trouble des centres nerveux, suivi d'illusion collective hystérique" 461… Un terrier écossais, enfermé dans une chambre, pendant une manifestation, est lancé par une main invisible à travers [360] la pièce, dont le plafond est haut de dix-huit pieds ; casse, dans son saut périlleux, un chandelier, et retombe mort 462… "hallucination canine !"

461 Littré. Revue des Deux-Mondes.

462 Voyez Des Mousseaux. Œuvres des Démons.

 

"La science véritable", dit le Dr Fenwick, dans Strange Story de Bulwer-Lytton "n'a pas de croyances ; elle ne connaît que trois états d'esprit : la négation, la conviction, et le vaste intervalle entre les deux, qui n'est pas la foi, mais la suspension du jugement." Telle était peut-être la science au temps du Dr Fenwick. Mais la véritable science de nos temps modernes procède d'autre façon ; elle nie catégoriquement, sans la moindre investigation préliminaire, ou bien elle s'asseoit dans l'intervalle, entre la négation et la conviction et, dictionnaire en main, elle invente de nouveaux termes gréco-latins pour désigner des genres d'hystérie inexistants.

Que de fois des clairvoyants puissants ou des adeptes du magnétisme ont décrit des épidémies et des manifestations physiques (bien qu'invisibles pour les autres) que la science attribuait à l'épilepsie, à des désordres hémato-nerveux, et que sais-je encore ? Manifestations d'origine somatique, qu'ils voyaient clairement, grâce à leur lucidité, dans la lumière astrale. Ils affirment que les "ondes électriques" étaient dans un état de perturbation violente et qu'ils discernaient une relation directe entre ce trouble de l'éther et l'épidémie mentale ou physique, qui faisait rage alors. Mais la science ne les a pas écoutés, et elle a continué son travail encyclopédique, qui consiste à donner des noms nouveaux à de vieilles choses.

 "L'histoire", nous dit M. Du Potet, le prince des mesmériseurs français, "ne conserve que trop bien les tristes enregistrements concernant la sorcellerie. Les faits n'étaient que trop réels et donnaient lieu à d'affreux abus, à des pratiques monstrueuses !… Mais comment ai-je trouvé cet art ? Où l'ai-je appris ? Dans mes idées ? Non ; C'est la nature elle-même qui me l'a fait connaître. Et comment ? En produisant sous mes yeux, sans que je les cherchasse d'abord, des faits indubitables de  sorcellerie et de magie. Qu'est-ce, en effet, que le sommeil magnétique ? Un résultat de la puissance magique. Et qui détermine ces attractions, ces penchants subits, ces faveurs, ces antipathies, ces crises, ces convulsions que l'on peut rendre durables si ce n'est le principe même que nous employons, l'agent trop certainement connu des hommes du passé ! Ce que vous appelez fluide nerveux ou magnétisme, les anciens l'appelaient  puissance occulte ou pouvoir de l'âme, sujétion, MAGIE !"

"La Magie est fondée sur l'existence d'un monde mixte, placé en dehors de nous ; et avec lequel nous pouvons entrer en communication, par l'emploi de certains procédés  et  de  certaines  [361]  pratiques...  Un élément existant dans la nature, inconnu de la plupart des hommes, s'empare de quelqu'un, le flétrit et le terrasse, comme un terrifiant ouragan le fait d'un jonc ; il éparpille au loin les hommes, les frappe en mille endroits à la fois, sans qu'il leur soit permis d'apercevoir l'ennemi invisible ou d'être capables de se protéger… tout cela est démontré. Mais que cet élément puisse choisir des amis et adopter des favoris, qu'il obéisse à leurs pensées, qu'il réponde à la voix humaine et comprenne le sens  de signes tracés, voilà ce que les gens ne peuvent réaliser, et ce que leur raison rejette, et c'est ce que j'ai vu et, je le dis résolument, ce qui est pour moi un fait et une vérité à jamais démontrée." 463

"Si j'entrais dans de plus longs détails, on pourrait aisément comprendre qu'il existe autour de nous, comme en nous-mêmes, des êtres mystérieux, qui ont un pouvoir et une forme ; Qui entrent et sortent à volonté, malgré les portes les mieux closes 464." En outre, le grand magnétiseur nous apprend que la faculté de diriger ce fluide est une "propriété physique résultant de notre organisation… il passe à travers tous les corps... toute chose peut être employée comme un conducteur pour les opérations magiques, et peut conserver le pouvoir de produire, à son tour, des effets"… Cette théorie est commune à tous les philosophes hermétiques. Le pouvoir de ce fluide est tel "qu'il n'est point de force physique ou chimique capable de le détruire… Il y a une très petite analogie entre les fluides impondérables connus des physiciens, et ce fluide magnétique animal. 465 "

 463 Du Potet. Magie dévoilée, p. 51-147.

464 Ibidem, p. 201.

465 Baron du Potet. Cours de Magnétisme, p. 17-108.

 

Si nous nous reportons maintenant au moyen âge, nous trouvons, entre autres, Cornélius Agrippa, qui nous dit précisément la même chose : "La force universelle toujours changeante, "l'âme du monde" peut féconder quoi que ce soit en lui infusant ses propriétés célestes. Préparés suivant la formule enseignée par la science, ces objets reçoivent le don de nous communiquer leur vertu. Il suffit de les porter, pour les sentir aussitôt opérer sur l'âme, aussi bien que sur le corps... L'âme humaine possède, par le seul fait d'être de même essence que toute la création, un pouvoir merveilleux. Celui qui en possède le secret, peut s'élever dans la science et les connaissances humaines aussi haut que son imagination peut atteindre ; mais il ne le peut qu'à la condition de devenir intimement uni à cette force universelle… La vérité, voire même l'avenir, peuvent être rendus présents aux yeux de l'âme ; et ce fait a été bien des fois démontré par des événements qui se sont accomplis, tels qu'ils avaient été vus et décrits d'avance… le [362] temps et l'espace disparaissent devant le regard d'aigle de l'âme immortelle… son pouvoir est sans limites… elle frappe à travers l'espace, et enveloppe de sa présence un homme, quelle que soit la distance, elle peut plonger en lui, et le pénétrer entièrement, et lui faire entendre la voix de la personne à qui elle appartient comme si cette personne était dans la chambre. 466"

Si, nous ne voulons pas chercher nos preuves ou nos renseignements dans la philosophie hermétique du moyen âge, nous pouvons aller plus avant encore dans l'antiquité, et choisir dans la grande pléiade des philosophes des siècles qui ont précédé notre ère, quelqu'un qui puisse le moins être accusé de superstition et de crédulité : Cicéron. Parlant de ceux qu'il appelle des dieux et qui sont des esprits humains ou des esprits atmosphériques, il dit : "Nous savons que de tous les êtres vivants, l'homme est le mieux formé, et comme les dieux sont de ce nombre, ils doivent avoir la forme humaine… Je ne veux pas dire que les dieux ont corps et sang en eux ; je dis qu'ils semblent avoir des corps avec du sang... Epicure, pour qui les choses cachées étaient aussi tangibles que s'il les eût touchées du doigt, nous apprend que les dieux ne sont pas généralement visibles, mais qu'ils sont intelligibles ; qu'ils ne sont pas des corps solides... mais que nous pouvons les reconnaître par leur image qui passe ; Que, comme il y a assez d'atomes dans l'espace infini pour produire de telles images, celles-là se produisent devant nous…, et nous donnent une idée de ce que sont ces bienheureux être immortels. 467"

 466 De Occulto Philosophiâ, p. 332-358.

467 Cicéron. De Natura Deorum, lib. I, cap. XVIII.

 

"Lorsqu'un initié", dit à son tour Eliphas Lévi, "est devenu tout à fait lucide, il communique et dirige à volonté les vibrations magnétiques dans la masse de la lumière astrale… Transformée en lumière humaine au moment de la conception, elle (la lumière) devient la première enveloppe de l'âme ; par combinaison avec les fluides les plus subtils, elle forme un corps éthéré ou le fantôme sidéral, qui n'est entièrement dégagé qu'au moment de la mort." 468 Projeter ce corps éthéré  à  n'importe  quelle distance ; le rendre plus objectif et tangible en condensant, sur sa forme fluidique, les ondes de son essence mère, voilà le grand secret de l'adepte- magicien.

468 Eliphas Lévi.

 

La magie théurgique est la dernière expression de la science psychologique occulte. Les Académiciens la repoussent, comme une hallucination de cerveaux malades, ou la flétrissent de l'opprobre du charlatanisme. Nous leur contestons, de la façon la plus formelle, le droit d'exprimer leur opinion sur un sujet qu'ils n'ont [363] jamais étudié. Ils n'ont pas plus le droit, dans l'état actuel de leurs connaissances, de juger la magie et le spiritisme, qu'un indigène des îles Fidgi de hasarder son avis, sur les travaux de Faraday ou d'Agassiz. Tout ce qu'ils peuvent faire un jour, c'est de corriger leurs erreurs du jour précédent. Il y a près de trois mille ans, antérieurement à Pythagore, les anciens philosophes professaient que la lumière était pondérable, et par conséquent de la matière, et que la lumière était une force. La théorie corpusculaire, par suite de certains échecs de Newton pour en rendre compte, fut tournée en ridicule, et la théorie ondulatoire, qui proclame que la lumière est impondérable, fut acceptée. Et maintenant, voilà le monde stupéfait de voir M. Crookes peser la lumière avec son radiomètre. Les Pythagoriciens soutenaient que ni le soleil ni les étoiles n'étaient les sources de la chaleur ou de la lumière ; que le premier n'était qu'un agent ; Mais les écoles modernes enseignent le contraire.

On en peut dire autant de la loi de gravitation de Newton. Suivant strictement la doctrine de Pythagore, Platon professait que la gravitation n'est pas simplement la loi de l'attraction magnétique des corps moindres par les corps plus grands, mais bien une répulsion magnétique des semblables et une attraction des contraires. "Les choses réunies, contrairement à la nature, se font naturellement la guerre et se repoussent mutuellement. 469" Cela ne veut pas dire que la répulsion a lieu nécessairement entre des corps de propriétés dissemblables, mais que, lorsque des corps naturellement en antagonisme sont mis en contact, ils se repoussent réciproquement. Les recherches de Bart et de Schweigger ne laissent que peu ou point de doutes sur le fait que les anciens étaient bien au courant des attractions mutuelles du fer et de l'aimant, aussi bien due des propriétés positives et négatives de l'électricité, quels que soient les noms qu'ils lui donnaient. Les relations magnétiques réciproques des globes planétaires, qui sont tous des aimants, étaient pour eux un fait démontré, et les aérolithes, non seulement étaient nommés par eux pierres magnétiques, mais encore étaient employés dans les Mystères, pour les usages auxquels maintenant nous employons les aimants. Par conséquent, lorsque le professeur Mayer de l'Institut de Technologie de Stevens disait en 1872, au Club Scientifique de Yale, que la terre est un grand aimant, et qu' "à la moindre agitation, survenant soudainement à la surface du soleil, le magnétisme de la terre éprouve une perturbation profonde d'équilibre, imprimant des [364] secousses aux aimants de nos observatoires, et produisant ces grands jaillissements de lumière polaire dont les flammes brillantes dansent au même rythme que l'aiguille instable 470", il ne faisait que redire, en bon anglais, ce qui avait été dit en bon dialecte Dorique, nombre de siècles avant que le premier philosophe chrétien n'ai vu le jour.

Les prodiges accomplis par les prêtres de la magie théurgique sont si bien prouvés, et l'évidence en est si accablante (si le témoignage des hommes a une valeur quelconque) que plutôt que de reconnaître que les théurgistes païens l'emportaient de loin sur les chrétiens, en fait de miracles, Sir David Brewster leur accorde pieusement qu'ils avaient atteint la plus haute efficacité en physique et en tout ce qui est du domaine de la philosophie naturelle. La science se trouve ainsi dans une désagréable alternative. Elle se voit obligée de confesser que les anciens physiciens étaient supérieurs en savoir à ses représentants modernes, ou bien qu'il existe quelque chose dans la nature, au-delà de la science physique, et que l'esprit possède des pouvoirs auxquels nos philosophes n'ont jamais songé.

 469 Timée. Ces expressions font dire à M. Jowett, dans son Introduction, que Platon enseignait l'attraction des corps similaires par leurs semblables. Mais cela équivaudrait à refuser au grand philosophe une connaissance rudimentaire des lois des pôles magnétiques.

470 Alfred Marshall, Mayer, Dr Phil. "The Earth a great Magnet", conférence faite devant le Club scientific de Yale, 14 fév. 1872.

 

"Les erreurs que nous commettons dans une science que nous avons cultivée tout spécialement", dit Bulwer- Lytton, "ne peuvent, le plus souvent, être aperçues qu'à la lumière d'une science différente, tout autant spécialement cultivée par un autre. 471"

Rien n'est plus aisé à expliquer que les possibilités les plus élevées de la magie. A la lumière radieuse de l'océan magnétique universel, dont les ondes électriques relient le cosmos et pénètrent chaque atome dans leur mouvement incessant, les disciples de Mesmer, malgré l'insuffisance de leurs expériences, perçoivent, par intuition, l'alpha et l'oméga du grand mystère. Seule, l'étude de cet agent, qui est le souffle divin, peut ouvrir les portes du secret de la psychologie et de la physiologie, des phénomènes cosmiques et spirituels.

"La Magie", dit Psellus, "formait la dernière partie de la science sacerdotale. Elle scrutait la nature, les  pouvoirs et les qualités de toutes les choses sublunaires ; les éléments et leurs parties ; les animaux, toutes les variétés de plantes et leurs fruits ; les pierres et les herbes. Bref, elle étudiait l'essence et le pouvoir de chaque chose. C'est donc ainsi qu'elle arrivait à produire ses effets. Elle formait des statues (magnétisées), qui procuraient  la santé ; elle faisait diverses figures ou objets (nommés talismans), qui pouvaient également devenir des instruments de maladie aussi bien que de santé. Souvent aussi, au moyen de la magie, on fait [365] apparaître le feu céleste, et alors les statues rient, et les lampes s'allument spontanément. 472"

471 "Strange Story".

472 Voyez Pausanias de Taylor, M.S. Treatise on Dœmons, par Psellus et le Treatise on the Eleusinian and Bacchic Mysteries.

 

Si la découverte moderne de Galvani met en mouvement les membres d'une grenouille morte et force le visage d'un homme mort à exprimer, par la contorsion des traits, les émotions les plus variées, depuis la joie jusqu'à la colère diabolique, le désespoir et l'horreur, les prêtres païens, (à moins que les preuves combinées des témoignages d'hommes très dignes de foi de jadis n'aient plus aucune valeur), accomplissaient le prodige plus grand encore de faire transpirer et rire leurs statues de marbre et de métal. Le pur feu céleste des autels païens était de l'électricité, tirée de la lumière astrale. C'est pourquoi les statues, convenablement préparées pour cela, pouvaient, sans aucune accusation de superstition, être douées de la propriété de donner santé et maladie par contact, aussi bien qu'une ceinture galvanique moderne, ou qu'une batterie surchargée.

Les savants sceptiques, aussi bien que les matérialistes ignorants, se sont beaucoup amusés, pendant les deux derniers siècles, des absurdités attribuées à Pythagore par son biographe Jamblique. On dit que le philosophe de Samos avait persuadé un ours de ne plus manger de chair humaine ; qu'il a forcé un aigle blanc à descendre des nuages pour venir à lui, et qu'il l'a apprivoisé, en le caressant avec la main et en lui parlant. Dans d'autres circonstances, Pythagore dissuada un bœuf de manger des fèves, en murmurant tout simplement quelques mots à son oreille 473 ! O ignorance et superstition de nos ancêtres, que vous paraissez ridicules aux yeux de nos générations éclairées ! Analysons, néanmoins, ces absurdités. Chaque jour, nous voyons des hommes illettrés, propriétaires de ménageries ambulantes, apprivoiser et subjuguer complètement les animaux les plus féroces, uniquement par la puissance de leur volonté irrésistible. Bien plus nous avons en ce moment en Europe, plusieurs frêles jeunes filles de moins de vingt ans qui ne craignent pas de le faire. Tout le monde a pu voir ou entendre parler du pouvoir, aux allures magiques, de quelques magnétiseurs et psychologues. Ils tiennent leurs sujets sous leur domination pendant un temps illimité ; Regazzoni le magnétiseur, qui produisit une si grande sensation en France et à Londres, accomplissait des choses plus extraordinaires que celles attribuées à Pythagore. Pourquoi donc accuser les biographes anciens, d'hommes tels que Pythagore et Appolonius de Tyane d'imposture volontaire ou d'absurde superstition ? Lorsqu'on voit la majorité de ceux qui se montrent si incrédules de la puissance [366] magique que possédaient les philosophes de l'antiquité, et rient des anciennes théogonies et des mensonges de la mythologie, témoigner néanmoins leur foi implicite dans les récits et l'inspiration de leur Bible, osant à, peine exprimer un doute, même sur cette monstrueuse absurdité de Josué arrêtant la marche du soleil, l'on ne peut que s'associer à la juste réflexion de Godfrey Higgins : "lorsque je vois des hommes instruits, dit-il, croire au pied de la lettre à la Genèse que les anciens,  avec toutes leurs défaillances, avaient trop de bon sens pour admettre autrement que comme une allégorie, je suis tenté de douter de la réalité du progrès du mental humain. 474"

473 Jamblique."De vita Pythag".

474 Anacalypsis, vol. 1, page 807.

475 Jamblique. Life of Pythagoras, p. 297.

 

Un des rares commentateurs des auteurs de l'antiquité Grecque et Romaine qui se soit montré équitable envers eux au point de vue du développement mental, est Thomas Taylor. Dans sa traduction de la Vie de Pythagore de Jamblique, nous trouvons la remarque suivante : "Puisque Pythagore, comme nous l'apprend Jamblique, avait été initié à tous les Mystères de Byblos et de Tyr, aux opérations sacrées des Syriens et aux Mystères des Phéniciens, puisqu'il avait passé vingt-deux ans dans les mystérieux sanctuaires des temples Egyptiens, qu'il s'était associé aux Mages de Babylone, et avait été instruit par eux dans leur vénérable science, il n'est nullement surprenant qu'il fût très versé en magie, en théurgie, et qu'il fût, par conséquent, capable de faire des choses qui surpassent le pouvoir simplement humain, et qui paraissent parfaitement incroyables au vulgaire. 475"

L'éther universel n'était pas, à leurs yeux, simplement quelque chose remplissant toute l'étendue du firmament inhabité c'était un océan sans bornes, peuplé, comme nos mers, de créatures monstrueuses et d'autres plus petites, et possédant dans chacune de ses molécules des germes de vie. Comme les tribus aquatiques qui fourmillent dans nos océans et dans nos moindres cours d'eau, chaque espèce ayant un habitat curieusement adapté à sa nature, quelques-unes amicales, et d'autres hostiles à l'homme, quelques-unes agréables et d'autres effrayantes à voir, celles-ci cherchant un refuge dans des renfoncements tranquilles ou dans des rades bien abritées, celles-là parcourant de grandes surfaces d'eau, les diverses races d'esprits élémentals habitent, suivant eux, les différentes parties du grand océan de l'éther, étant exactement adaptés à leurs conditions respectives. Si nous ne perdons pas de vue le fait que la course des planètes, dans l'espace doit créer une perturbation aussi absolue, dans ce milieu plastique et atténué, que le passage d'un boulet de canon dans l'air, ou d'un bateau dans l'eau, [367] et cela sur une échelle cosmique, nous comprendrons, en admettant le bien-fondé de nos prémisses, que certains aspects planétaires peuvent produire une agitation beaucoup plus violente, dans ces vagues éthérées, et y occasionner des courants plus prononcés, dans une direction donnée, que d'autres. Nous pouvons aussi dans ce cas nous expliquer pourquoi du fait de ces diverses positions des astres, des multitudes d'esprits élémentals, ami ou ennemis, peuvent être déversés dans notre atmosphère, ou dans quelque partie de celle-ci, et rendre le fait sensible par les effets qui s'ensuivent.

Conformément aux doctrines anciennes, les esprits élémentals, dépourvus d'âme, étaient créés par le mouvement incessant inhérent à la lumière astrale. La lumière est une force, et celle-ci est produite par la volonté. Comme la volonté procède d'une intelligence qui ne peut se tromper, car elle est la Loi et n'a rien des organes matériels de la pensée humaine, étant la plus pure émanation de la divinité suprême ("le Père" de Platon) elle évolue depuis le commencement des temps, suivant d'immuables lois, le matériau nécessaire pour les générations subséquentes de ce que nous appelons les races humaines. Toutes ces races, qu'elles appartiennent à notre planète ou à une autre, parmi les myriades parsemées dans l'espace, ont leurs corps terrestres, élaborés dans la matrice avec les corps d'une certaine classe de ces êtres élémentals qui sont morts dans les mondes invisibles. Dans la philosophie ancienne, il n'y avait pas de chaînon manquant à reconstituer au moyen de ce que Tyndall appelle "une imagination éduquée" ; il n'y avait point de vide à remplir, avec des volumes de spéculations matérialistes, rendues nécessaires par l'absurde tentative de résoudre une équation en n'ayant qu'un seul terme ; nos ancêtres "ignorants" ont suivi la loi d'évolution dans l'univers entier. Or, comme cette règle tient bon, et qu'elle rend parfaitement compte de la progression graduelle des êtres, depuis la nébuleuse jusqu'à l'homme physique, de même ils suivent la trace d'une série ininterrompue d'entités depuis l'éther universel jusqu'à l'esprit incarné de l'homme. Ces évolutions s'opèrent en effet du monde de l'esprit à celui de la matière grossière ; et repassent à travers celle-ci pour retourner à la source de toutes choses. La "descendance des espèces" était pour les anciens une descente de l'esprit, source primitive de tout, dans "l'avilissement de la matière". Dans cette chaîne complète de développements, les esprits élémentaires avaient une place distincte, intermédiaire entre les extrêmes, comme le chaînon manquant de Darwin entre le singe et l'homme.

Aucun auteur n'a donné une description plus vraie et plus poétique de ces êtres que Sir Bulwer Lytton, l'auteur de Zanoni. Lui-même, non une chose de matière, mais une idée de joie et [368] de lumière", ces paroles semblent un écho fidèle du souvenir, plutôt qu'une exubérante saillie de l'imagination.

"L'homme est arrogant en proportion de son ignorance", fait-il dire par le sage Mejnour à Glyndon. "Pendant plusieurs siècles, il n'a vu dans les mondes innombrables qui resplendissent dans l'espace comme les bulles d'un océan sans rivages que de minuscules chandelles..., que la Providence a bien voulu allumer sans autre but que de rendre la nuit plus agréable à l'homme... L'astronomie a dissipé cette illusion de la vanité humaine ; et l'homme reconnaît maintenant, à contrecœur, que les astres sont des mondes plus grands et plus glorieux que le sien… Ainsi, partout, dans cet immense ensemble, la Science donne une nouvelle vie à la lumière… Raisonnant donc par analogie évidente, si ni une feuille d'arbre, ni une goutte d'eau, n'existe qui ne soit, aussi bien que l'étoile la plus éloignée, un monde habitable et vivant ; si l'homme lui-même est un monde pour d'autres vies et si des millions et des milliards d'êtres peuplent les rivières de son sang, et habitent son corps, comme les hommes peuplent la terre, le sens commun (si nos savants en avaient) devrait suffire pour nous apprendre que l'ambiance infinie que vous nommez l'espace, l'impalpable, sans bornes, qui sépare la terre de la lune et des étoiles, est rempli aussi de sa vie correspondante et appropriée. N'est-il pas absurde de supposer que  des êtres pullulent sur une feuille et qu'ils sont absents des immensités de l'espace ? La loi de la grande doctrine n'admet pas même la perte d'un atome ; elle ne reconnaît pas d'endroit où ne vive quelque être... Peut-on donc admettre que l'espace, qui est lui-même l'infini, soit seul désert, seul sans vie, seul plus inutile, dans le plan universel…, que la moindre feuille peuplée et que le globule habité ? Le microscope nous fait voir les créatures sur la feuille ; mais aucune lunette n'a encore été inventée pour découvrir les êtres plus nobles et mieux doués qui planent dans l'air illimité. Et pourtant entre eux et l'homme il existe une mystérieuse et terrible  affinité...

 Mais, d'abord, pour franchir cette barrière, l'âme, avec laquelle nous écoutons, doit être épurée par un ardent enthousiasme, qui la purifie de tous les désirs terrestres... Ainsi préparée, elle peut appeler la science à son aide ; la vue peut être rendue plus subtile, les nerfs plus sensibles, l'esprit plus vif et plus libre, et l'élément lui-même, l'air, l'espace peut être rendu, par certains secrets de haute chimie, plus palpable et plus clair. Et cela n'est pas de la magie comme disent les gens crédules ; Car, ainsi que je l'ai déjà dit, la magie (science qui viole la nature) n'existe pas ; c'est une science, grâce à laquelle la nature peut être contrôlée. Or, dans l'espace, il y a des millions d'êtres, non pas spirituels au sens littéral du mot, car ils ont tous, comme les animalcules invisibles à l'œil nu, certaines [369] formes de matière, mais d'une matière si délicate, si aérienne, si subtile, qu'elle est comme une pellicule qui enveloppe l'esprit... Cependant,  en vérité, ces races diffèrent beaucoup entre elles... quelques-unes se distinguent par une sagesse remarquable ; D'autres par une affreuse malignité ; Ceux-ci sont hostiles à l'homme comme les démons ; ceux-là lui sont dévoués comme des messagers entre la terre et le ciel... Parmi les habitants du seuil, il en est un qui surpasse en malice et en haine tous ceux de sa tribu ; un, dont l'œil a paralysé les plus braves, et dont la puissance en impose à l'esprit, précisément en proportion de la peur qu'il inspire. 476"

476 Zanoni, de Bulwer Lytton.

 

Telle est l'esquisse incomplète des êtres élémentaires dénués d'esprit divin, tracée par un homme que bien des gens soupçonnent d'en savoir beaucoup plus long qu'il n'est disposé à en convenir devant un public incrédule.

Dans le chapitre suivant, nous  tâcherons  d'expliquer quelques-unes des théories ésotériques des initiés du sanctuaire, sur ce que l'homme a été, est, et peut être. Les doctrines qu'ils enseignaient dans les Mystères (source d'où sont sortis l'Ancien, et, en partie, le Nouveau Testaments), appartiennent aux plus hautes notions de la morale et de la révélation religieuse. Tandis que leur sens littéral était abandonné en pâture au fanatisme des classes inférieures, qui ne raisonnent pas, les plus élevées, dont la majorité était composée d'Initiés, poursuivaient leurs études dans le silence solennel des temples, et leur culte du Dieu unique du Ciel.

Les théories de Platon, dans le Banquet sur la création des hommes primitifs, et l'essai de Cosmogonie du Timée doivent être prises allégoriquement, si nous devons les accepter du tout. C'est le sens Pythagoricien caché dans Timée, Cratyle et Parmenide, et quelques autres trilogies et dialogues, que les Néoplatoniciens ont essayé d'exposer, autant que le vœu théurgique du secret leur permettait de le faire. La doctrine Pythagoricienne, que Dieu est le mental universel répandu en toutes choses, et le dogme de l'immortalité de l'âme, sont les traits principaux de ces enseignements en apparence incongrus. La piété et la grande vénération de Platon pour les mystères sont une garantie suffisante qu'il n'aurait jamais consenti à se laisser entraîner à d'indiscrètes révélations, oubliant la responsabilité que ressent chaque adepte. "En se perfectionnant constamment dans les parfaits MYSTERES, dit-il dans le Phèdre, l'homme devient véritablement parfait par eux seuls."

Il ne dissimulait pas son mécontentement de ce que les Mystères étaient devenus moins secrets qu'auparavant. Au lieu de les [370] profaner en les mettant à la portée de la multitude, il aurait voulu qu'on les gardât avec un soin jaloux, contre tous, sauf les plus sérieux et les plus dignes de ses disciples 477. Tout en faisant mention des dieux à chaque page, son monothéisme est incontestable, car tout le fil de son discours indique que, par ce mot dieux, il entend une classe d'êtres placés fort bas sur l'échelle des divinités et d'un degré seulement plus haut que les hommes. Josèphe lui-même observa et reconnut ce fait, malgré le préjugé naturel de sa race. "Cependant, ceux qui, parmi les Grecs, ont philosophé d'accord avec la vérité", dit cet historien, dans sa célèbre attaque contre Apion " n'étaient ignorants de rien… ils n'avaient pas manqué de percevoir les étranges légèretés des allégories mythiques, qui les leur faisaient mépriser… C'est sous l'influence de ce sentiment, que Platon dit qu'il n'est point nécessaire d'admettre aucun des autres poètes dans "la communauté", et il écarte doucement Homère, après l'avoir couronné et l'avoir oint de baume, afin qu'il ne vînt point détruire, par ses mythes, la croyance orthodoxe au sujet du Dieu unique."

477 Cette assertion est clairement confirmée par Platon lui-mène qui dit : "Vous dites que, dans un discours antérieur, je ne vous ai point suffisamment expliqué la nature du Premier. J'ai parlé avec intention énigmatiquement, de sorte que, dans le cas où la tablette aurait éprouvé un accident, soit par terre, soit par mer, une personne, sans une certaine connaissance préalable du sujet, n'aurait pu en comprendre le contenu." (Platon ; Epitre II, p. 312 ; Cory. Ancient Fragments).

 

Ceux qui comprennent le véritable esprit de la philosophie de Platon ne seront guère satisfaits de l'appréciation que Jowett en donne à ses lecteurs. Il nous dit que l'influence exercée sur la postérité par le Timée, est due, en partie, à une mauvaise interprétation de la doctrine de son auteur par les Néoplatoniciens. Il voudrait nous faire croire que le sens caché qu'ils trouvaient dans ce Dialogue est "tout à fait différent de l'esprit de Platon." Cela équivaut à dire que Jowett comprend ce qu'était réellement cet esprit ; tandis que sa critique sur ce point précisément indique plutôt qu'il ne l'a pas saisi du tout. Si, comme il nous le dit, les chrétiens y trouvent leur trinité, le verbe, l'église, et la création du monde, au sens juif, c'est parce que tout cela s'y trouve ; par conséquent, il n'y a rien d'extraordinaire à ce qu'ils l'y aient trouvé. L'édifice extérieur est le même ; mais l'esprit qui animait la lettre morte de l'enseignement du maître s'est envolé, et nous le chercherions en vain dans les dogmes arides de la théologie chrétienne. Le Sphinx est encore le même que des siècles avant l'ère chrétienne ; mais Œdipe n'est plus là. Il est mort, parce qu'il a donné au monde ce que le monde n'était pas assez mûr pour recevoir. C'était la personnification de la vérité et il fallait qu'il mourût, parce que [371] toute grande vérité doit périr, avant de renaître, comme le Phénix de ses cendres. Chaque traducteur des œuvres de Platon a remarqué l'étrange similitude entre la philosophie des ésotéristes et les doctrines chrétiennes, et chacun d'eux a essayé de l'interpréter conformément à ses propres sentiments religieux. Ainsi, Cory, dans ses Anciens Fragments, essaye de prouver que ce n'est qu'une ressemblance extérieure ; et il fait son possible pour rabaisser la Monade de Pythagore dans l'estime publique, pour élever, sur ses ruines, la divinité anthropomorphique postérieure. Taylor défendant la monade agit sans plus de façon avec le Dieu Mosaïque. Zeller se moque hardiment des prétentions des pères de l'Eglise qui, malgré l'histoire et la chronologie, que le monde le veuille ou non, soutiennent que Platon et son école ont pris au Christianisme ses principales vérités. Il est aussi heureux pour nous, que malheureux pour l'Eglise, que des tours de prestidigitation comme celui auquel Eusèbe a eu recours, soient difficiles dans  notre siècle. Il était plus aisé de tronquer la chronologie, "pour le synchronisme", à  l'époque  de  l'évêque  de  Césarée,  qu'aujourd'hui  et  tant  que l'histoire existe il n'est au pouvoir de personne d'empêcher le monde de savoir que Platon vivait six cents ans avant qu'il prit la fantaisie à Irénée d'établir une doctrine nouvelle, sur les ruines de l'Académie plus ancienne de Platon.

Cette doctrine de Dieu conçue comme le mental universel répandu dans toutes choses, se retrouve dans toutes les philosophies anciennes. Les données du Bouddhisme qui ne peuvent jamais être mieux comprises que lorsqu'on étudie la philosophie Pythagoricienne, leur fidèle reflet, dérivent de cette source, aussi bien que la religion de Brahma, et le Christianisme primitif. Le cours purificateur des transmigrations – les métempsychoses – quoique grossièrement anthropomophisées plus tard, ne peuvent être considérées que comme une doctrine supplémentaire, défigurée par la Sophistique des théologiens, pour avoir une emprise plus solide sur les croyants, par une superstition populaire. Ni le Bouddha Gautama, ni Pythagore n'ont prétendu enseigner cette allégorie purement métaphysique, dans un sens littéral. Esotériquement, elle est expliquée dans le mystère du Kounboun 478, et se rapporte aux pérégrinations purement spirituelles de l'âme humaine. Ce n'est point dans la lettre morte de la littérature sacrée des Bouddhistes que les penseurs peuvent s'attendre à trouver la véritable solution de ses subtilités métaphysiques. Celles-ci fatiguent la pensée par l'inconcevable profondeur de leur raisonnement ; et l'étudiant n'est jamais plus éloigné de la vérité que lorsqu'il se croit le plus près de la découvrir. On ne peut obtenir la clé des doctrines du système [372] embarrassant du Bouddhisme qu'en procédant strictement suivant la méthode de Pythagore et de Platon, c'est-à-dire des universaux aux particuliers. Cette clé  se trouve dans les données raffinées et mystiques de l'influx spirituel de la vie divine. "Quiconque ne connaît point ma loi, dit Bouddha, et meurt dans cet état, doit retourner à la terre, jusqu'à ce qu'il devienne un parfait Samanéen. Pour atteindre ce but, il faut qu'il détruise en lui la trinité de Maya 479. Il faut qu'il éteigne ses passions ; qu'il s'unisse et s'identifie avec la loi (l'enseignement de la doctrine secrète), et qu'il comprenne la religion de l'annihilation."

478 Voyez chap. IX.

479 "Illusion ; La matière dans sa triple manifestation dans l'âme terrestre, astrale ou primitive, ou le corps, et la double âme de Platon, la rationnelle et l'irrationnelle." (Voir chap. suivant).

 

 Ici l'annihilation s'applique uniquement à la matière, celle du corps visible, aussi bien que celle du corps invisible ; car l'âme astrale (périsprit) est encore de la matière, quelque subtile qu'elle soit. Le même livre dit que ce que Fo (Bouddha) entend, est que "la substance primitive est éternelle et immuable". Sa plus haute révélation est l'éther pur, lumineux, l'espace infini, sans limites, non pas un vide résultant de l'absence de formes, mais, au contraire, la source de toutes formes et antérieure à elles. "Mais la présence même de ces formes dénote que c'est la création de Maya, et toutes ses œuvres sont comme le néant, devant l'être incréé, l'ESPRIT, dans le profond repos sacré duquel tout mouvement doit pour toujours cesser."

Dans la philosophie Bouddhique, l'annihilation veut dire seulement une dispersion de la matière, sous quelque forme ou apparence que ce soit ; Car tout ce qui a une forme a été créé et doit, par conséquent, périr tôt ou tard ; C'est pourquoi, une chose temporaire, bien que permanente en apparence, n'est qu'une illusion, Maya ; car, comme l'éternité n'a ni commencement ni fin, la durée plus ou moins prolongée de quelque forme particulière passe, pour ainsi dire, comme un éclair. Avant que nous ayons eu le temps de nous rendre compte que nous l'avons vu, il est passé et disparu pour toujours ; Et il s'ensuit que, même notre corps astral, fait d'éther pur, n'est qu'une illusion de la matière, tant qu'il conserve sa forme terrestre. Cette dernière change, dit le Bouddhiste, suivant les mérites ou les démérites de la personne, durant sa vie, et c'est la métempsychose. Lorsque l'entité spirituelle se sépare entièrement de toute parcelle de matière, alors seulement elle entre dans l'éternel et immuable Nirvana. Elle existe en esprit, dans le néant ; en tant que forme, que  figure, qu'apparence, elle est complètement annihilée, et ainsi elle ne mourra plus, car l'esprit seul n'est point Maya, mais la seule REALITE, dans un univers illusoire de formes toujours transitoires. [373]

C'est sur cette doctrine Bouddhique que les Pythagoriciens ont basé les principaux dogmes de leur philosophie. "Cet esprit qui donne la vie et le mouvement, et tient de la nature de la lumière, disent-ils, peut-il être réduit à une non-entité ?" "Cet esprit sensible, qui, dans les bêtes, exerce la mémoire, une des facultés rationnelles, peut-il périr et être réduit à néant ?" Et Whitelock Bulstrode, dans sa remarquable défense de Pythagore, explique cette doctrine en ajoutant : "Si vous dites que les animaux exhalent leur esprit dans l'air, et qu'ils y disparaissent, c'est précisément ce que je prétends. L'air, en vérité, est l'endroit le plus convenable pour les recevoir, étant, d'après Laërce, rempli d'âmes, et, suivant Epicure, plein d'atomes, les principes de toutes choses ; car même cet espace, dans lequel nous marchons, et dans lequel les oiseaux volent, a une nature d'autant plus spirituelle qu'il est invisible, et c'est pour cela qu'il peut bien recevoir des formes, puisque les formes de tous les corps le sont aussi, et nous ne voyons ni n'entendons que leurs effets ; l'air lui-même est trop subtil, et au- dessus de la capacité du temps. Qu'est donc l'éther dans la région supérieure, et quelles sont les influences  ou  les  formes  qui  en descendent ?" Les esprits des créatures, disent les Pythagoriciens, qui sont les émanations des parties les plus sublimées de l'éther, des émanations, des SOUFFLES, mais non point des formes. L'éther est incorruptible, tous les philosophes s'accordent à ce propos ; et ce qui est incorruptible loin d'être annihilé, lorsqu'il se débarrasse de la forme, a de bons droits à l'IMMORTALITE. "Mais quelle est cette chose, disent les Bouddhistes, qui n'a point de corps, point de forme ; qui est impondérable, invisible, et indivisible ; qui existe et qui n'est point ? C'est Nirvana."Ce n'est RIEN, ce n'est pas une région, c'est plutôt un état. Dès qu'il a atteint le Nirvana, l'homme est exempt des effets des "quatre vérités" ; car un effet ne peut être produit que par une cause ; et toute cause est annihilée dans cet état.

Ces "quatre vérités" sont la base de toute la doctrine Bouddhique du Nirvana. Ce sont, dit le livre de Pradjnâ  Pâramitâ  (Perfection  de Sagesse) : 1° l'existence de la souffrance ; 2° la production de la souffrance ; 3° l'annihilation de la souffrance ; 4° la voie pour arriver à l'annihilation de la souffrance. Quelle est la source de la souffrance ? L'existence. La naissance existant, la décrépitude et la mort s'ensuivent ; car là où il y a une forme, il y a une cause pour la douleur et la souffrance. L'esprit seul, n'a pas de forme et, par conséquent, on ne peut pas dire qu'il existe. Lorsque l'homme (l'homme éthéré, intime) parvient au point où il devient complètement spirituel, par conséquent, sans forme, il a atteint l'état de bonheur parfait. L'HOMME, en tant qu'être objectif, est annihilé, mais l'entité spirituelle, avec son existence [374] subjective, vivra éternellement, car l'esprit est incorruptible et immortel.

C'est par l'esprit des enseignements de Bouddha et de Pythagore, que nous pouvons si aisément reconnaître l'identité de leurs doctrines. L'âme universelle, pénétrant tout, l'Anima mundi, est le Nirvana ; et le Boudhha en tant que nom générique est la monade anthropomorphisée de Pythagore. Lorsqu'il repose en Nirvana, la félicité finale, le Bouddha est la monade silencieuse, vivant dans les ténèbres et le silence ; il est aussi le Brahm sans forme, la Divinité sublime, mais inconnaissable, qui pénètre tout l'univers d'une façon invisible. Chaque fois qu'il se manifeste, désirant se faire connaître à l'humanité sous une forme intelligible pour notre esprit, que nous l'appelions un Avatar, ou un Roi Messie, ou une permutation de l'Esprit Divin, ou le Logos, ou Christos c'est tout un, c'est une seule et même chose. Dans chacun de ces cas, c'est "le Père" qui est dans le Fils, et le Fils qui est dans "le Père." L'esprit immortel adombre l'homme mortel. Il entre en lui et pénétrant tout son être, il en fait un dieu qui descend dans son tabernacle terrestre. Chaque homme peut devenir un Bouddha, dit la doctrine. Et ainsi, à travers l'interminable série des âges, nous voyons de temps à autre des hommes réussir plus ou moins à s'unir "avec Dieu", suivant l'expression reçue, avec leur propre esprit, comme nous devrions dire. Les Bouddhistes appellent ces hommes des Arhat. Un Arhat est presqu'un Bouddha, et nul ne l'égale en science infuse, ni en pouvoirs miraculeux. Certains fakirs démontrent pratiquement cette théorie, comme l'a prouvé Jacolliot.

On reconnaît même dans les soi-disant récits fabuleux de certains livres Bouddhiques lorsqu'ils sont dépouillés de leur masque allégorique, les doctrines secrètes enseignées par Pythagore. Les livres Pali nommés les Joutakâs donnent les 550 incarnations ou métempsychoses du Bouddha. Ils racontent comment il est apparu sous chaque forme de vie animale, et comment il a animé chaque être sensible sur la terre, depuis l'insecte infinitésimal. jusqu'à l'oiseau, le mammifère et finalement l'homme, l'image microcosmique de Dieu sur terre. Cela doit-il être pris au pied de la lettre ; cela nous est-il donné comme une description des transformations réelles, et de l'existence d'un seul et même esprit immortel, divin, qui, tour à tour, a animé chaque classe d'êtres sensibles ? Ne devons-nous pas plutôt l'interpréter, avec les métaphysiciens Bouddhistes, comme signifiant que, quoique les esprits individuels humains soient innombrables, collectivement ils n'en font qu'un, de même que chaque goutte d'eau de l'Océan peut, métaphoriquement parlant, avoir une existence individuelle, et en même temps ne faire qu'un avec les autres gouttes qui forment cet Océan ; car chaque esprit humain est une étincelle de la lumière [375] qui pénètre tout ? Que cet esprit divin anime la fleur, le fragment de granit au flanc de la montagne, le lion, l'homme ? Les hiérophantes Egyptiens, comme les Brahmanes et les Bouddhistes d'Orient, et  quelques philosophes Grecs soutenaient en principe que le même esprit qui anime les parcelles de poussière, latent en elles, anime aussi l'homme, se manifestant en lui, à son plus haut état d'activité. La doctrine de réabsorption graduelle de l'âme humaine dans l'essence de l'esprit primordial, duquel elle est issue, était universelle aussi à une époque. Mais cette doctrine n'a jamais impliqué l'idée de l'anéantissement de l'ego spirituel supérieur ; seulement la dispersion des formes extérieures de l'homme, après sa mort terrestre, aussi bien que durant son séjour sur la terre. Qui nous ferait mieux connaître les mystères d'après la mort qu'à tort on suppose impénétrables, que ces hommes qui, ayant réussi par la pureté de leur vie et de leurs aspirations, à s'unir avec leur "Dieu", obtinrent quelques aperçus, bien qu'imparfaits, de la grande vérité 480 ? Et  ces voyants nous racontent d'étranges histoires sur la variété des formes que prennent les âmes astrales désincarnées ; formes dont chacune est une réflexion spirituelle, mais concrète, de l'état abstrait du mental et des pensées de l'homme autrefois vivant.

Accuser la philosophie Bouddhique de rejeter un Etre Suprême – Dieu et l'immortalité de l'âme, la taxer d'athéisme, en un mot, parce que d'après ses doctrines Nirvana signifie anéantissement et que Swabhâvât n'est PAS une personnalité, mais rien, est tout simplement absurde. L'En (ou Ayîn) du En Soph juif signifie également nihil ou rien, ce qui n'est pas (quo ad nos) ; pourtant, jamais il n'est venu à l'idée de quiconque d'accuser les Juifs d'athéisme. Dans les deux cas, le sens véritable du terme rien comporte l'idée que Dieu n'est pas une chose, un être concret ou visible, auquel un nom exprimant un objet quelconque connu de nous sur terre puisse convenablement être appliqué.

 

FIN DE LA PREMIERE PARTIE DU TOME I

480 Porphyre attribue à Plotin, son maître, le privilège d'avoir été uni à "Dieu" six fois durant sa vie, et il se plaint de n'y être parvenu lui-même que deux fois.