CHAPITRE VII
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LES ELEMENTS, LES ELEMENTALS ET LES ELEMENTAIRES
O toi, Grande Cause Première, la moins comprise.
POPE.
D'où vient ce doux espoir, et ce désir profond Et ces aspirations vers l'immortalité ?
D'où ce secret effroi, cette horreur instinctive
De la chute dans le néant ? Pourquoi l'âme craintive Recule-t-elle ainsi devant la destruction ?
C'est le rayon divin qui brille en nous C'est le ciel qui nous montre notre au-delà Et qui s'annonce à l'homme pour l'éternité. Eternité ! Pensée terrible et douce.
ADDISON.
II y a un autre et meilleur monde.
KOTZEBUE. L'Etranger.
Après avoir accordé tant de place aux opinions contradictoires des savants au sujet de certains phénomènes occultes de notre temps, il est juste de prêter attention aux spéculations des alchimistes médiévaux, et de certains autres hommes illustres. Presque sans exception, les savants de l'antiquité et du moyen âge croyaient aux doctrines secrètes de la sagesse. Ces doctrines comprenaient l'Alchimie, la Cabale Chaldéo-Judaïque, les systèmes ésotériques de Pythagore et des anciens Mages, et ceux des philosophes et théurgistes Platoniciens postérieurs. Nous nous proposons aussi, dans les pages suivantes, de parler des gymnosophes Indiens, et des astrologues Chaldéens. Nous ne devons point négliger de montrer les grandes vérités sous-jacentes aux religions incomprises du passé. Les quatre éléments de nos pères, la terre, l'air, l'eau, et le feu, contiennent pour l'étudiant de l'Alchimie et de l'ancienne psychologie, ou, comme on la désigne maintenant, de la magie, bien des choses dont notre philosophie n'a jamais rêvé. Nous ne devons pas non plus oublier que ce que l'Eglise appelle aujourd'hui Nécromancie, et les croyants modernes Spiritisme, ce qui englobe l'évocation des esprits défunts, est une science qui, [281] depuis l'antiquité reculée, a été à peu près universellement répandue sur la surface du globe.
Bien que ni alchimiste, ni magicien, ni astrologue, mais tout simplement grand philosophe, Henry More de l'Université de Cambridge, homme universellement estimé, doit être aussi considéré comme logicien perspicace, savant et métaphysicien. Pendant toute sa vie il a cru fermement à la sorcellerie. Sa foi en l'immortalité, et ses solides arguments en faveur de la survie de l'esprit, après la mort, sont tous basés sur le système de Pythagore, adopté par Cardan, Van Helmont, et autres mystiques. Selon lui, l'esprit, infini et incréé, que nous nommons habituellement Dieu, substance de la plus haute vertu et excellence, a produit tout par causalité émanante. Dieu est ainsi la substance primordiale, et tout le reste la substance secondaire ; si la première a créé la matière, avec la faculté de se mouvoir par elle-même, elle, la substance primitive, est quand même la cause de ce mouvement, aussi bien que de la matière, et, pourtant, c'est avec raison que nous disons que la matière se meut elle-même. "Nous pouvons définir le genre d'esprit dont nous parlons, comme une substance insaisissable, qui peut se mouvoir, se pénétrer, se contracter et se dilater et aussi pénétrer, mouvoir et modifier la matière" 345 qui est la troisième émanation. Il croyait fermement aux apparitions, et défendit énergiquement la théorie de l'individualité de chaque âme, chez qui "la personnalité, la mémoire et la conscience subsisteront sûrement dans l'état futur". Il divisait l'esprit astral humain, après son départ du corps, en deux entités distinctes : le "véhicule aérien" et le "véhicule æthéré". Pendant le temps que l'homme désincarné agit dans son enveloppe aérienne, il est soumis au destin, c'est-à-dire au mal et à la tentation, attaché à ses intérêts terrestres, et par conséquent pas tout à fait pur ; Ce n'est que lorsqu'il quitte ce vêtement des premières sphères, et qu'il devient éthéré, qu'il est assuré de son immortalité. "Car quelle ombre ce corps peut-il jeter, lui qui est une lumière pure et transparente, comme l'est le véhicule éthéré ? Et c'est ainsi que s'accomplit l'oracle, lorsque l'âme est montée dans cet état déjà décrit où seulement elle est hors des atteintes du destin et de la mortalité". Il termine son ouvrage en déclarant que cette condition transcendante et divinement pure était le but unique des Pythagoriciens.
345 Antidote, lib. I, cap. 4.
Quant aux sceptiques de son temps, il les traite avec mépris et sévérité. Parlant de Scot, d'Adie et de Webster, il les nomme "nos saints nouvellement inspirés… les avocats jurés des sorcières, qui follement et témérairement, en dépit du bon sens et de toute raison, contrairement à toute l'antiquité, tous les interprètes et [282] même contrairement à l'Ecriture, ne veulent pas même admettre Samuel en scène, mais seulement un abject compère. Lequel doit-on croire de l'Ecriture ou de ces bouffons, gonflés seulement d'ignorance, de vanité et de stupide incrédulité ? Que chacun en juge", ajoute-t-il 346.
Quel langage cet éminent mystique aurait-il employé pour combattre nos sceptiques du XIXème siècle ?
Descartes, bien qu'ayant le culte de la matière, était un des maîtres les plus dévoués de la doctrine magnétique et, jusqu'à un certain point de l'alchimie. Son système de physique ressemblait beaucoup à celui d'autres grands philosophes. L'espace, qui est infini, est composé ou plutôt rempli d'une matière fluide élémentaire, et c'est l'unique source de toute vie, comprenant tous les globes célestes et les conservant perpétuellement en mouvement, il mentionne les courants magnétiques de Mesmer, sous le masque des tourbillons cartésiens, et tous les deux reposent sur le même principe. Ennemoser n'hésite pas à dire que tous les deux ont plus en commun "que ne le supposent généralement ceux qui n'ont pas soigneusement examiné le sujet" 347.
346 Letter to Glanvil, auteur du Sadducismus Triumphatus, mai 25, 1678.
347 History of Magic, vol. II, p 272.
Le philosophe, Pierre Poiret-Naudé, était le plus ardent défenseur des doctrines du magnétisme occulte, et l'un de ses premiers propagateurs 348 en 1679. La philosophie magico-théosophique est amplement défendue dans ses ouvrages.
Le célèbre Dr Hufeland a écrit un livre sur la magie 349, dans lequel il propose la théorie de la sympathie magnétique universelle entre les hommes, les animaux, les plantes et même les minéraux. II confirme le témoignage de Campanella, de Van Helmont, et de Servius en ce qui concerne la sympathie existant entre les différentes parties du corps, aussi bien qu'entre toutes les parties des corps organiques et même inorganiques.
Telle était aussi la doctrine de Tenzel Wirdig. On peut même la trouver dans ses ouvrages, exposée avec beaucoup plus de clarté, de logique, et de vigueur que dans ceux d'autres auteurs mystiques qui ont traité le même sujet. Dans son fameux traité The New Spiritual Medicine, il démontre, sur le terrain du fait récemment reconnu de l'attraction et de la répulsion universelles – nommé aujourd'hui "gravitation" – que toute la nature est douée d'une âme. Wirdig appelle cette sympathie magnétique "l'accord des esprits". Chaque chose est attirée vers celles auxquelles elle ressemble, et converge vers les natures qui lui conviennent. De cette sympathie et de cette antipathie naît un mouvement constant dans [283] le monde entier et dans toutes ses parties et une communion ininterrompue entre le ciel et la terre qui produit l'harmonie universelle. Chaque chose vit et meurt par le magnétisme ; une chose en affecte une autre, même à de grandes distances, et ses "congénères" peuvent être influencés à tout instant soit pour la santé, soit pour la maladie, par la puissance de cette sympathie, malgré l'espace qui les sépare 350. "Hufeland", dit Ennemoser, "parle d'un nez qui avait été coupé dans le dos d'un portier, mais qui, lorsque le portier mourut, mourut aussi, et tomba de sa position artificielle. Les cheveux d'un morceau de peau, pris sur une tête vivante, grisonnèrent en même temps que ceux de la tête d'où il avait été prélevé."
348 Apologie pour tous les grands personnages faussement accusés de magie.
349 Berlin, 1817.
350 Nova Medicina Spirituum, 1675.
Kepler, le précurseur de Newton pour beaucoup de grandes vérités, et même pour celle de la "gravitation" universelle qu'il attribuait très justement à l'attraction magnétique, bien qu'il nomme l'astrologie, "la fille insensée d'une mère très sage", l'Astronomie, partage la croyance cabalistique que les esprits des étoiles sont autant d'intelligences. Il croit fermement que chaque planète est le siège d'un principe intelligent et qu'elles sont habitées par des êtres spirituels, qui exercent une influence sur les autres êtres habitant des sphères plus grossières et matérielles que les leurs, et spécialement notre terre 351. Comme les influences spirituelles, stellaires de Kepler ont été remplacées par les tourbillons de Descartes, plus matérialiste, que ses tendances athées n'ont pas empêché de croire qu'il avait trouvé un régime qui prolongerait sa vie de cinq cents ans et plus, de même les tourbillons de ce dernier et ses théories astronomiques pourront bien, un jour ou l'autre, faire place aux courants magnétiques intelligents, dirigés par l'Amina Mundi.
Baptista Porta, le savant philosophe italien, malgré ses efforts pour prouver au monde la fausseté de ses accusations que la magie n'est que superstition ou sorcellerie, n'a pas été mieux traité que ses collègues, par les critiques ultérieures. Ce célèbre alchimiste a laissé un ouvrage sur la Magie Naturelle 352, dans lequel il base tous les phénomènes occultes possibles, pour l'homme, sur l'âme du monde, qui relie toutes choses entre elles. Il montre que la lumière astrale agit en harmonie et sympathie avec la nature entière ; que c'est de son essence que nos esprits [284] sont formés ; Et que c'est en agissant à l'unisson avec leur source-mère, que nos corps sidéraux sont capables d'exécuter des merveilles magiques. Tout le secret réside dans la connaissance des éléments apparentés. Il croyait à la pierre philosophale "de laquelle le monde a une si haute opinion, que de tous temps on a tant vantée, et que quelques-uns ont heureusement découverte". Finalement, il émet bien des aperçus de valeur sur sa "signification spirituelle". En 1643, entre autres mystiques, parut un moine, le père Kircher, qui professa un système complet de philosophie du magnétisme universel. Ses nombreux ouvrages 353 embrassent un grand nombre de sujets simplement effleurés par Paracelse. Sa définition du magnétisme est très originale, car elle contredit la théorie de Gilbert, que la terre est un gigantesque aimant. Il affirme que, quoique chaque parcelle de matière, et même les "forces" invisibles et intangibles soient magnétiques, elles ne constituent par elles-mêmes un aimant. Il n'y a qu'un AIMANT dans l'Univers et de lui procède la magnétisation de tout ce qui existe. Cet aimant, comme de juste, est ce que les Cabalistes nomment le Soleil central Spirituel, ou Dieu. Le soleil, la lune, les planètes et les étoiles sont, dit-il, éminemment magnétiques ; mais ils le sont devenus par induction, en vivant dans le fluide magnétique universel – la lumière Spirituelle. Il démontre la mystérieuse sympathie qui existe entre les corps des trois règnes principaux de la nature, et il appuie sa démonstration d'un étonnant catalogue d'exemples. Un grand nombre de ces derniers ont été vérifiés, par les naturalistes, mais il y en a d'autres, bien plus nombreux, dont l'authenticité n'a pas été reconnue ; Aussi, nos savants, fidèles à leur politique traditionnelle et à leur logique équivoque, les nient. Il montre, par exemple, la différence qui existe entre le magnétisme minéral et le zoomagnétisme ou magnétisme animal. Il le démontre par le fait que, hors le cas du minerai magnétique de fer, tous les minéraux sont magnétisés par la puissance plus élevée du magnétisme animal, tandis que celui-ci le possède sous la forme d'émanation directe de la cause première, le Créateur. On peut aimanter une aiguille en la faisant simplement tenir par un homme doué d'une volonté puissante, et l'ambre développe sa propriété magnétique, plus par le frottement de la main de l'homme que par celui de tout autre objet ; ce qui prouve que l'homme peut communiquer sa propre vie, et, jusqu'à un certain point, animer les objets inorganiques. Cette faculté, "aux yeux des insensés est de la sorcellerie". "Le Soleil est le plus magnétique de tous les corps", dit-il, devançant ainsi de plus de deux siècles, la théorie moderne du général Pleasonton. "Les anciens philosophes n'ont jamais contesté ce fait", ajoute-t-il, "mais ils ont de tout temps compris que les émanations du soleil reliaient toutes choses à lui, et qu'il exerce cette puissance de lien sur tout ce qui se trouve directement placé sous ses rayons."
351 Il serait vain et trop long de prendre ici la défense de la théorie de Kepler au sujet de la relation entre les cinq solides réguliers de la géométrie et les magnitudes des orbites des cinq planètes principales, théorie qui fut assez raillée par le professeur Draper dans son Conflict. Nombreuses sont les théories des anciens auxquelles les découvertes modernes ont rendu justice. Quant aux autres, il faudra attendre le moment propice.
352 Magia Naturalis, Lugduni, 1569.
353 Athanase Kischer. Magnes sive de arte magnetici, opus tripartitum, Coloniae, 1654.
354 Lib. III, p. 643.
Comme preuve de cette affirmation, il allègue l'exemple d'une quantité de plantes qui sont tout spécialement attirées par le soleil, et d'autres qui le sont par la lune, et qui, toutes, montrent leur irrésistible sympathie pour le premier en suivant sa course dans le ciel. La plante connue sous le nom Githymale 354 suit fidèlement son seigneur, même lorsque le brouillard le rend invisible. L'acacia ouvre ses pétales à son lever, et les ferme à son coucher. De même, le lotus égyptien et le tournesol commun. La belladone témoigne la même prédilection pour la lune.
Comme exemples d'antipathies et de sympathies des plantes, il cite l'aversion que la vigne manifeste à l'égard du chou et son amitié pour l'olivier ; l'amour de la renoncule pour le nénuphar et de la rue pour le figuier. L'antipathie qui parfois existe, même entre des substances apparentées, est clairement démontrée, dans le cas du grenadier du Mexique dont les pousses, une fois coupées en morceaux, se repoussent avec "la plus extraordinaire férocité."
Kircher explique chaque sentiment dans la nature humaine, comme le résultat de changements dans notre condition magnétique. La colère, la jalousie, l'amitié, l'amour et la haine, sont tous des modifications de l'atmosphère magnétique qui se développe en nous, et qui émane constamment de nous. L'amour est une des plus variables, et, c'est pourquoi ses aspects sont innombrables. L'amour spirituel, celui d'une mère pour son enfant, d'un artiste pour son art particulier, l'amour en tant qu'amitié pure, sont des manifestations purement magnétiques de sympathie, entre deux natures de même genre. Le magnétisme de l'amour pur est la source de toutes choses créées. Dans son acception ordinaire, l'amour entre les deux sexes est de l'électricité, et il le dénomme amor febris species, la fièvre des espèces. Il y a deux sortes d'attraction magnétique, la sympathie et la fascination ; l'une, sainte et naturelle, l'autre, mauvaise et contre nature. C'est à cette dernière, la fascination, que nous devons attribuer le pouvoir du crapaud venimeux qui, simplement, en ouvrant la gueule, force le reptile ou l'insecte qui passe, à s'y jeter et courir à sa perte. Le daim, aussi bien que de plus petits animaux sont attirés par l'haleine du boa, et sont irrésistiblement entraînés à se placer à sa portée. Le poisson électrique, la torpille, repousse le bras par un choc électrique, capable de l'engourdir pendant quelque temps. Pour que l'homme exerce [286] une pareille puissance dans un but bienfaisant, il faut trois conditions : 1° la noblesse de l'âme ; 2° une volonté forte et une faculté imaginative ; 3° un sujet plus faible que le magnétiseur ; autrement, il résistera. Un homme libre de préjugés mondains et de sensualité peut guérir, de cette façon, les maladies les plus "incurables", et sa vision devenir lucide et prophétique.
Un exemple curieux de l'attraction universelle ci-dessus mentionnée entre tous les corps du système planétaire et tout ce qui est en relation avec eux, organique ou inorganique, est rapporté dans un étrange livre ancien du XVIIème siècle. Il contient les notes de, voyage, et le rapport officiel
adressé au Roi de France, par son Ambassadeur, de La Loubère, sur ce qu'il avait vu dans le royaume de Siam. "Au Siam", dit-il, "il y a deux espèces de poissons d'eau douce, que l'on nomme le pal-out et le pla-cadi. Une fois salés et placés entiers dans la marmite, on les voit suivre exactement le mouvement de flux et de reflux de la mer, s'élevant ou descendant dans le récipient, au fur et à mesure que le flot monte ou descend" 355. De La Loubère a fait pendant longtemps des expériences dans ce sens sur ce poisson, de concert avec un ingénieur du Gouvernement, nommé Vincent, et par conséquent, il atteste et certifie avec toute l'autorité nécessaire ce fait, qu'au début on écarta comme une simple fable. Cette attraction mystérieuse est tellement puissante, qu'elle s'exerçait encore sur les poissons entièrement décomposés et tombant en lambeaux.
355 Notes d'une nouvelle Relation Historique du Royaume de Siam, par de La Loubère ambassadeur de France au Siam dans les années 1687-1688. Edition de 1692.
C'est tout particulièrement dans les pays qui ne jouissent pas des bienfaits de la civilisation, que nous devons chercher des explications de la nature, et observer les effets de cette subtile puissance, que les anciens philosophes nommaient "l'âme du monde". C'est uniquement dans l'Orient, et dans les immenses déserts inexplorés d'Afrique, que l'étudiant de la psychologie trouve une nourriture abondante pour son âme affamée de vérité. La raison en est manifeste. L'atmosphère des centres populeux est physiquement viciée par la fumée et les émanations des usines, des machines à vapeur, des chemins de fer, et des bateaux à vapeur ; et spécialement par les mauvaises émanations des vivants et des morts. La nature est aussi bien soumise que l'être humain, à certaines conditions pour pouvoir agir, et sa puissante respiration, pour ainsi dire, est aussi facilement gênée, arrêtée et empêchée, et la corrélation de ses forces détruite sur un point donné, que si elle était un homme. Non seulement le climat, mais aussi les influences occultes subies journellement modifient la nature physio-psychologique [287] de l'homme et même altèrent la constitution de la matière prétendue inorganique, à un degré que la science européenne est incapable de concevoir. C'est ainsi, que le London Medical and Surgical Journal engage les chirurgiens à ne pas emporter de lancettes à Calcutta, parce que l'expérience a démontré que l'acier anglais ne peut supporter l'atmosphère de l'Inde ; de même qu'un trousseau de clés anglaises ou américaines se couvre de rouille, vingt-quatre heures après avoir été apporté en Egypte ; tandis que des objets en acier du pays y restent inoxydés.
On a constaté de même qu'un Shaman de Sibérie, qui avait donné de stupéfiantes preuves de sa puissance occulte, parmi ses concitoyens Tschuktschens, a été graduellement et quelquefois complètement privé de ce pouvoir, dès son arrivée dans la brume et la fumée de Londres. L'organisme intérieur de l'homme est-il moins sensible aux influences climatériques qu'un bout d'acier ? Sinon, pourquoi douterions-nous du témoignage des voyageurs qui ont suivi le Shaman et l'ont vu exécuter journellement des phénomènes surprenants dans son pays natal, et révoquerions-nous en doute la possibilité de ces pouvoirs et de ces phénomènes, uniquement parce qu'il n'en peut faire autant à Paris ou à Londres ? Dans sa conférence sur les Arts perdus, Wendell Philipps prouve que sans compter que la nature psychologique de l'homme est affectée par un changement de climat, les peuples Orientaux sont doués de sens beaucoup plus développés que ceux des Européens. Les teinturiers français de Lyon, qu'on ne peut surpasser en habileté, dit-il, "ont une théorie, qu'il existe une certaine nuance délicate de bleu, que les Européens ne peuvent voir. Et au Cachemire, où les jeunes filles font des châles qui valent 30.000 dollars, elles feraient voir (à ce teinturier lyonnais) trois cents couleurs distinctes, que, non seulement il ne pourra reproduire, mais qu"il ne pourra même pas distinguer". S'il existe une différence si grande entre l'acuité des sens extérieurs de deux races, pourquoi n'existerait-elle pas également dans leurs pouvoirs psychologiques ? Bien plus, si l'œil de la Cachemirienne voit objectivement une couleur, qui existe réellement, mais que l'Européen est incapable de distinguer, elle n'existe donc pas pour lui. Pourquoi donc refuser d'admettre que certains organismes particulièrement doués, auxquels on attribue la faculté mystérieuse dénommée seconde vue, voient leurs tableaux aussi objectivement que la jeune fille voit les couleurs ; et, que, par conséquent, ces tableaux, au lieu d'être de simples hallucinations subjectives créées par l'imagination, sont, au contraire, des réflexions de choses réelles et de personnes, empreintes sur l'éther astral, ainsi que cela est expliqué par l'ancienne philosophie des Oracles Chaldéens, et exposé par des modernes inventeurs Babbage, Jevons et les auteurs de Unseen Universe ? [288]
"Trois esprits animent et font agir l'homme", enseigne Paracelse ; "trois mondes projettent sur lui leurs rayons ; mais tous les trois opèrent uniquement comme l'image et l'écho d'un seul et même principe constructeur et unificateur. Le premier est l'esprit des éléments (corps terrestre, et force vitale dans sa condition grossière) ; le second, l'esprit des astres (corps sidéral ou astral, l'âme) ; le troisième est le divin esprit (Augoeides)". Notre corps, étant en possession de "l'étoffe terrestre primitive", ainsi que Paracelse la nomme, nous pouvons, volontiers accepter la tendance des recherches scientifiques modernes, "de considérer le processus de la vie animale et végétale comme simplement physiques et chimiques". Cette théorie corrobore d'autant plus les assertions des philosophes de l'antiquité et de la Bible Mosaïque, que nos corps ont été faits de la poussière de la terre, et qu'ils y retourneront. Mais n'oublions pas que :
"Tu es poussière, et à la poussière tu retourneras N'a point été dit de l'âme."
L'homme est un petit monde, un microcosme dans l'intérieur du grand univers. Comme un fœtus, il est suspendu par ses trois esprits, dans la matrice du macrocosme ; et tandis que son corps terrestre est en sympathie constante avec la terre, sa mère, son âme astrale vit à, l'unisson de l'anima mundi sidérale. II est en elle, comme elle est en lui, car l'élément qui pénètre tout remplit tout l'espace et il est, lui-même, l'espace infini et sans bords. Quant à son troisième esprit, le divin, qu'est-il, sinon un rayon infinitésimal, une des innombrables radiations procédant directement de la plus Haute Cause – la Lumière Spirituelle du Monde ? C'est la trinité de la nature organique et inorganique, spirituelle et physique, trois en un, dont Proclus dit que "la première monade est le Dieu Eternel ; la seconde l'éternité ; Et la troisième le paradigme, ou modèle de l'univers", les trois constituant la Triade intelligible. Toute chose, en cet univers visible, découle de cette Triade, et est elle-même une triade microcosmique. Elles se meuvent, donc en une majestueuse procession, dans le champ de l'éternité, autour du soleil spirituel, comme, dans le système héliocentrique, les corps célestes se meuvent autour des soleils visibles. La Monade de Pythagore, qui vit "dans la solitude et les ténèbres", peut demeurer éternellement invisible sur cette terre, impalpable, et indémontrable par la science expérimentale. Toutefois, l'univers tout entier gravitera autour d'elle comme il l'a fait depuis le "commencement des temps", et à chaque seconde, l'homme et l'atome se rapprochent de plus en plus de ce moment solennel, dans l'éternité, où la Présence Invisible se révélera à leur vue spirituelle. Lorsque chaque parcelle de matière, même la plus sublimée, aura été rejetée [289] de la dernière forme qui constitue l'ultime chaînon de cette chaîne de la double évolution qui, à travers des millions de siècles et de transformations successives, a poussé l'entité en avant, et lorsqu'elle se retrouvera vêtue de l'essence primordiale, identique à celle de son Créateur, cet atome organique, jadis impalpable, aura terminé sa carrière et les fils de Dieu "crieront de joie" une fois de plus au retour du pèlerin.
"L'homme, dit Van Helmont, est le miroir de l'univers, et sa triple nature est en relation avec toutes choses". La volonté du Créateur, à travers qui toutes choses ont été faites, et de qui elles ont reçu leur impulsion première, est la propriété de tout être vivant. L'homme, doué d'une spiritualité additionnelle, en a la plus large part sur cette planète. De la proportion de matière qui existe en lui dépend son plus ou moins grand degré d'aptitude à exercer sa faculté magique, avec plus ou moins de succès. Partageant cette puissance divine avec chaque atome inorganique, il l'exerce pendant tout le cours de sa vie, d'une façon consciente ou inconsciente. Dans le premier cas, lorsqu'il est en pleine possession de ses pouvoirs, il sera le maître, il dirigera et guidera le magnale magnum (l'âme universelle). Dans le cas des animaux, des plantes, des minéraux, et même de la moyenne de l'humanité, ce fluide éthéré, qui pénètre toutes choses, n'éprouvant pas de résistance, et étant abandonné à lui-même, les fait mouvoir comme son impulsion les dirige. Tout être créé dans cette sphère sublunaire est formé de ce magnale magnum avec lequel il est apparenté. L'homme possède un double pouvoir céleste, et il est allié au ciel. Ce pouvoir existe "non seulement dans l'homme extérieur, mais, à un certain degré aussi, chez les animaux, et peut-être dans toutes autres choses, car toutes choses dans l'univers se trouvent en relation les unes avec les autres ; ou, du moins, Dieu est dans toutes choses, comme l'ont fait observer les anciens avec une exactitude qui mérite notre admiration. Il faut que la force magique soit éveillée dans l'homme extérieur, aussi bien que dans l'homme intérieur. Et si nous appelons cela une puissance magique, seuls les ignorants seront effrayés par cette expression. Mais, si on le préfère, disons que c'est un pouvoir spirituel – spirituale robur vocitaveris. Un pareil pouvoir existe donc dans l'homme intérieur. Mais comme il y a une certaine relation entre l'homme intérieur et l'homme extérieur, cette force doit être diffusée dans l'homme tout entier" 356. [290]
356 Batiste d'an Helmont. Opera omnia, 1682, p. 720 et autres.
357 De la Loubère. Notes, etc. (voir ante), p. 115.
Dans une description détaillée des rites religieux, de la vie monastique et des superstitions des Siamois, de la Loubère cite, entre autres, l'étonnante puissance que possèdent les Talapoins (les moines ou les saints hommes de Bouddha), sur les bêtes féroces. "Un Talapoin du Siam", dit-il "passera des semaines entières dans les bois touffus, sous un petit abri de branches et de feuilles de palmier, sans jamais faire de feu la nuit, pour écarter les bêtes féroces, comme le font tous ceux qui voyagent à travers les forêts de ce pays". Le peuple attribue à un miracle que les Talapoins ne sont jamais dévorés. Les tigres, les éléphants et les rhinocéros – dont le pays abonde – les respectent ; et les voyageurs, placés en embuscade en lieu sûr, ont souvent vu les bêtes féroces lécher les mains et les pieds des Talapoins endormis. "Tous font usage de la magie" ajoute le gentilhomme Français "et ils croient que toute la nature est animée (douée d'une âme) 357 ; Ils croient aux génies tutélaires". Mais ce qui paraît le plus choquer l'auteur, c'est l'idée qui prévaut chez les Siamois, "que tout ce que l'homme a été durant sa vie corporelle, il le sera encore après sa mort". "Lorsque le Tartare qui règne maintenant sur la Chine" remarque de la Loubère "voulut contraindre les Chinois à se raser la tête, à la mode Tartare, plusieurs d'entre eux préférèrent souffrir la mort que d'aller, disaient-ils, dans l'autre monde, et paraître devant leurs ancêtres sans cheveux ; s'imaginant qu'ils avaient rasé aussi la chevelure de leur âme" 358 ! Mais ce qui est tout à fait erroné" ajoute l'ambassadeur "dans cette absurde opinion c'est que les Orientaux attribuent à l'âme la forme humaine plutôt que toute autre". Sans faire connaître aux lecteurs la forme particulière que ces enténébrés Orientaux devraient adopter pour leurs âmes désincarnées, de la Loubère continue à exhaler sa bile contre ces "sauvages". Il attaque finalement la mémoire du vieux roi de Siam, le père de celui à la cour duquel il avait été envoyé, en l'accusant d'avoir follement dépensé plus de deux millions de livres à la recherche de la pierre philosophale. "Les Chinois, dit-il, réputés si sages, ont eu pendant trois ou quatre mille ans la folie de croire à l'existence d'un remède universel et de rechercher ce remède au moyen duquel ils espèrent s'affranchir de la nécessité de mourir. Ils se basent sur une tradition insensée, concernant quelques rares personnes qu'on dit avoir fabriqué de l'or, et avoir vécu pendant plusieurs siècles ; il y a quelques exemples enracinés chez les Chinois, les Siamois et autres Orientaux, relativement à ceux qui se seraient rendus immortels, soit d'une façon absolue, [291] soit de manière à ne mourir que de mort violente 359. Par conséquent ils donnent les noms de quelques individus qui se sont soustraits à la vue des hommes, pour jouir d'une vie libre et paisible. Ils racontent des merveilles, au sujet des connaissances de ces prétendus immortels."
358 Ibidem, p. 120.
359 Ibidem, p. 63.
Si Descartes, un Français et un savant, a pu, au sein de la civilisation croire fermement qu'on avait trouvé ce remède universel et que s'il pouvait s'en procurer, il vivrait au moins cinq cents ans, pourquoi les Orientaux n'auraient-ils pas le droit d'avoir la même croyance ? Le problème capital de la vie et de la mort est encore non résolu par les physiologistes Occidentaux. Même le sommeil est un phénomène, sur la cause duquel leurs opinions divergent grandement. Comment prétendent-ils alors assigner des limites au possible et définir l'impossible ?
Dès les temps les plus reculés, les philosophes ont affirmé la singulière puissance de la musique, sur certaines maladies, spécialement sur celles de nature nerveuse. Kircher la recommande en ayant expérimenté les bons effets sur lui-même, et il donne une description détaillée de l'instrument dont il se servait. C'était un harmonica composé de cinq verres minces, placés en rang. Deux d'entre eux contenaient deux sortes de vin ; le troisième de l'eau-de-vie ; le quatrième de l'huile et le cinquième de l'eau. Il en tirait cinq sons mélodieux de la façon ordinaire, en frottant simplement ses doigts sur les bords des gobelets. Le son a une propriété d'attraction ; il chasse le mal qui accourt se mêler aux ondes sonores, et tous les deux réunis disparaissent dans l'espace. Asclepiades employait la musique dans le même but, il y a environ vingt siècles ; il sonnait une trompette pour guérir la sciatique, et ses sons prolongés faisant palpiter les fibres des nerfs, la souffrance cédait invariablement. Démocrite affirmait, de la même manière, que bien des maladies pouvaient être guéries par les sons harmonieux d'une flûte. Mesmer faisait usage du même harmonica que Kircher pour ses cures magnétiques. Le célèbre Ecossais Maxwell offrait de prouver aux diverses facultés de médecine qu'au moyen de certains procédés magnétiques à sa disposition il guérirait n'importe quelle maladie qu'elles auraient déclarée incurable telle que l'épilepsie, l'impuissance, l'aliénation mentale, la claudication, l'hydropisie et les fièvres les plus rebelles 360.
Le récit bien connu de l'exorcisme du "mauvais esprit de Dieu" qui obsédait Saül, se présentera à l'esprit de chacun à ce propos. Elle est rapportée ainsi : "Il arriva que lorsque le mauvais esprit venant de Dieu était sur Saül, David prit une harpe et [292] joua de sa main ; Saül fut soulagé et se trouva bien et le mauvais esprit se retira de lui" 361.
360 Voir ses Conf., XIII, 1. c. in præfatione.
361 I Samuel, XVI, 14-23.
Maxwell, dans sa Medicina Magnetica, expose les propositions suivantes qui sont les doctrines des alchimistes et des cabalistes.
"Ce que les hommes nomment l'âme du monde est une vie, comme le feu, spirituelle, légère, lumineuse et éthérée, comme la lumière elle-même. C'est un esprit de vie partout, et partout le même... Toute matière est dépourvue d'action, à moins d'être animée par cet esprit. Il maintient toutes choses dans leur condition particulière. On le trouve dans la nature, libre de toute entrave, et celui qui connaît la manière de l'unir avec un corps en harmonie avec lui, possède un trésor qui surpasse toute richesse.
Cet esprit est le lien commun de toutes les parties de la terre ; il vit en toutes et par toutes. Adest in mundo quid commune omnibus mextis, in quo ipsa permanent.
Celui qui connaît cet esprit de vie universel et ses applications évitera tous les maux 362.
Si tu sais utiliser cet esprit et le fixer sur un corps particulier, tu accompliras les mystères de la magie.
Celui qui sait agir sur les hommes, au moyen de cet esprit universel, peut guérir tous les maux, et cela à n'importe quelle distance. 363
Celui qui parviendrait à fortifier l'esprit particulier par l'esprit universel, pourrait continuer à vivre jusqu'à l'éternité. 364
II y a un mélange des esprits ou des émanations, même lorsqu'ils sont séparés et loin les uns des autres. Et quel est ce mélange ? C'est un épanchement éternel et incessant des rayons d'un corps dans un autre.
En attendant", ajoute Maxwell, "il n'est pas sans danger de parler de ces choses. Cela peut donner lieu à de nombreux et abominables abus."
Voyons maintenant quels sont les abus de la puissance magnétique chez quelques médiums guérisseurs.
362 Aphorisme, 22.
363 Ibidem, p. 69.
364 Ibidem, p. 70
L'art de guérir, pour mériter son nom, exige de la foi de la part du patient, ou une santé robuste, unie à une forte volonté chez l'opérateur. Avec de la patience et de la foi, on peut se guérir de presque toute disposition morbide. Le tombeau d'un saint ; une relique sacrée ; un talisman ; un morceau de papier ou d'étoffe, que [293] le supposé guérisseur a eu en mains ; un élixir ; une pénitence ou une cérémonie ; l'imposition des mains, ou quelques mots prononcés d'une façon impressionnante, n'importe quoi fera l'affaire. C'est affaire de tempérament, d'imagination, d'autosuggestion. Dans des milliers de cas, les guérisons portées au crédit du docteur, du prêtre ou de la relique, sont simplement le résultat de la volonté inconsciente du malade. La femme affligée d'une perte de sang, qui se glissait dans la foule, pour toucher la robe de Jésus, fut assurée que sa "foi" l'avait guérie.
L'influence du mental sur le corps est si puissante que, de tout temps, elle a accompli des miracles.
"Combien de guérisons inespérées, subites et prodigieuses ont été opérées par l'imagination, dit Salverte. Nos livres de médecine sont remplis de faits de cette nature, qu'il serait facile de faire passer pour des miracles 365."
365 Philosophie des Sciences Occultes.
366 1 Rois, I, 1-4, 15.
Mais qu'arrive-t-il si le patient n'a pas la foi ? S'il est physiquement négatif et réceptif, et si le guérisseur de son côté est robuste, fort, positif et déterminé, le mal peut être extirpé par l'impérieuse volonté de l'opérateur, volonté qui consciemment ou inconsciemment, attire l'esprit universel de la nature, s'en renforce et rétablit l'équilibre dans l'aura du malade. Qu'il se serve en plus d'un crucifix, comme le fit Gassner ; qu'il impose les mains et la "volonté", comme le zouave français Jacob, ou comme le célèbre américain Newton qui a guéri plusieurs milliers de malades, ainsi que tant d'autres ; ou bien comme Jésus et quelques apôtres qu'il guérisse par une parole de commandement, le processus dans tous les cas est le même.
Dans tous ces exemples, la cure est radicale et réelle, sans fâcheux effets secondaires. Mais lorsqu'on est soi-même malade, et qu'on essaye de guérir les autres, non seulement on n'y réussit pas, mais encore il peut arriver que l'on communique au patient son propre mal, et qu'on lui enlève le peu de forces qu'il peut avoir. Le roi David, parvenu à la décrépitude, renforçait sa vigueur défaillante par le magnétisme vigoureux de la jeune Abischag 366 ; et les ouvrages de médecine nous parlent d'une dame âgée, de Bath en Angleterre, qui ruina successivement la constitution robuste de deux servantes, de la même façon. Les anciens sages, et Paracelse également, enlevaient le mal en appliquant un organisme sain sur la partie malade, et dans les ouvrages de ce philosophe du feu, leur théorie est nettement et catégoriquement exposée. Si une personne malade – médium ou non – tente de guérir, sa force peut être assez intense pour déplacer le mal, pour le chasser [294] de son siège actuel, et le transférer ailleurs, où il ne tardera pas à se montrer ; en attendant le malade se croit guéri.
Mais, qu'arrive-t-il si le guérisseur est malade moralement ? Les conséquences sont infiniment plus préjudiciables ; car il est plus aisé de guérir une maladie corporelle que de purifier une constitution atteinte de turpitude morale. Le mystère de Morzine dans les Cévennes, et celui des Jansénistes sont encore aujourd'hui un mystère pour les physiologistes, aussi bien que pour les psychologues. Si le don de prophétie, comme l'hystérie et les convulsions peuvent être transmis par "contagion", pourquoi pas tout autre vice ? Dans ce cas, le guérisseur communique à son patient devenu maintenant sa victime, le poison moral qui infecte son mental et son cœur. Son contact magnétique est une souillure ; son regard une profanation. Contre cette tare insidieuse le sujet passivement réceptif n'a aucune défense. Le guérisseur le tient en son pouvoir, sous le charme, et impuissant, comme le serpent tient un pauvre et faible oiseau. Le mal qu'un tel "médium guérisseur" peut faire est incalculable ; et malheureusement ils se comptent par centaines.
Mais, comme nous l'avons dit précédemment, il y a de véritables guérisseurs divins qui, malgré toute la malice et le scepticisme de leurs fanatiques adversaires, sont devenus célèbres dans l'histoire du monde. Tels sont le curé d'Ars, Jacob de Lyon, Newton et d'autres. Tels aussi furent Gassner, l'ecclésiastique de Klorstele, et Valentin Greatrakes, l'ignorant et pauvre Irlandais, que patronna le célèbre Robert Boyle, président de la Société Royale de Londres en 1670. En 1870, on l'aurait enfermé dans un asile en compagnie d'autres guérisseurs, si un autre président de la même société avait eu à trancher son cas ; Ou le professeur Lankester l'eût assigné devant les tribunaux, en vertu de la loi sur le vagabondage, pour avoir traité des sujets de Sa Majesté, "par chiromancie ou autres pratiques".
Pour clore une liste de témoignages qu'on pourrait prolonger à l'infini, il suffit de dire que, du premier au dernier, de Pythagore à Eliphas Levi, du plus illustre au plus humble, tous enseignent que la puissance magique n'est jamais le fait de ceux qui s'adonnent à des vices. Seuls, les cœurs purs "voient Dieu", ou exercent les dons divins, seuls ils peuvent guérir les maux du corps, et compter pour eux-mêmes, avec une certaine sécurité, sur l'aide de "puissances invisibles". Seuls, ils peuvent rendre la paix aux esprits troublés de leurs frères et sœurs, car les eaux qui guérissent ne jaillissent point de sources empoisonnées ; les ronces ne produisent pas de raisins, et les chardons ne donnent pas de figues. Mais, malgré cela, "la magie n'a rien de surnaturel" ; c'est une science, et même le pouvoir de "chasser les démons" [295] n'en est qu'une branche, dont les initiés faisaient et font encore une étude spéciale. "L'art qui chasse les démons du corps des hommes est une science utile et profitable à l'humanité", dit Josèphe 367.
367 Josèphe. Antiquités, VIII, 2.
Ces aperçus suffisent pour montrer pourquoi nous nous en tenons à la sagesse des anciens, de préférence à toutes les théories nouvelles imaginées, d'après des événements modernes, concernant les lois des relations entre les mondes et les pouvoirs occultes de l'homme. Si les phénomènes d'une nature physique ont leur valeur comme moyen d'exciter l'intérêt des matérialistes, et de confirmer, tout au moins notre croyance en la survivance de nos âmes et esprits, on peut se demander si, sous leur aspect actuel, les phénomènes modernes ne font pas plus de mal que de bien. Combien y en a-t-il qui, en quête de preuves de l'immortalité, tombent bien vite dans le fanatisme ; et, comme le remarque Stow, "les fanatiques sont plutôt guidés par l'imagination que par le jugement".
Sans aucun doute, ceux qui croient aux phénomènes modernes peuvent se prévaloir, en faveur de leur foi, d'une grande variété d'avantages, mais le "discernement des esprits" ne figure évidemment pas dans ce catalogue de dons "spirituels". En parlant des "Diakkas", qu'un beau matin il avait découverts sous les frais ombrages du Summer Land, A.-J. Davis, le grand voyant américain, dit : "Un Diakka est un être qui prend un plaisir stupide à jouer des rôles, à faire des niches et à personnifier les personnages les plus divers ; les prières ou les paroles frivoles ont pour lui la même valeur ; dominé par sa passion pour les récits lyriques… et dépourvu de sens moral, il n'a aucun sentiment de justice, de philanthropie, ni d'affection. Il n'a aucune notion de ce que les hommes appellent la gratitude ; la haine ou l'amour se valent pour lui ; sa devise est souvent redoutable et terrible pour les autres ; L'EGOISME est tout ce qu'il connaît de la vie privée ; et l'annihilation est pour lui la fin de toute existence privée. Tout dernièrement, l'un d'eux disait à une dame médium, en signant Swedenborg : Tout ce qui a été, est, sera ou pourra être, tout cela JE LE SUIS. La vie particulière d'un être n'est pas autre chose que les fantômes agrégés d'atomes pensants, s'élevant dans leur course jusqu'au cœur central de la mort éternelle." 368 et 369
368 "Les Diakkas et leurs victimes terrestres ; une explication du faux et du repoussant dans le spiritisme", New-York, 1873, p. 10-11.
369 Voir le chapitre sur les esprits humains devenant habitants de la huitième sphère, et dont la fin est généralement l'annihilation de l'individualité personnelle.
370 Porphyre. Au sujet des bons et des mauvais démons ?
371 De mysteriis Egyptorum, lib. III, c. 5.
Porphyre, dont les ouvrages (pour emprunter l'expression d'un partisan aigri des phénomènes) "moisissent, comme tout [296] vieux rebut, dans les armoires de l'oubli, parle ainsi de ces Diakkas, si tel est leur nom, redécouverts de nouveau au XIXème siècle : "C'est avec le concours direct de ces mauvais démons, que sont accomplis toute espèce de sortilèges…
C'est le résultat de leurs opérations, et les hommes qui font du tort à leurs semblables par leurs incantations, rendent habituellement de grands honneurs à ces méchants démons, et tout particulièrement à leur chef. Ces esprits passent leur temps à nous tromper, par un grand déploiement de prodiges et d'illusions faciles. Leur ambition est d'être pris pour des dieux et leur chef voudrait être reconnu pour le Dieu suprême 370."
L'esprit qui signe Swedenborg – cité par Davis dans Diakka – et déclarant qu'il est le JE SUIS, ressemble singulièrement à ce chef des mauvais démons de Porphyre.
Quoi de plus naturel que certains médiums vilipendent les théurgistes anciens et expérimentés, lorsque nous voyons Jamblique, le professeur de la théurgie spirituelle, interdisant strictement tout effort pour produire de pareilles manifestations de phénomènes, si ce n'est à la suite d'une longue préparation, par une purification morale et physique, et sous la direction de théurgistes expérimentés. Il ajoute encore qu'à part de très rares exceptions, "paraître allongée ou épaissie, ou bien être soulevée dans les airs" est, pour une personne, un indice certain d'obsession par de mauvais démons 371.
Chaque chose, en ce monde, en son temps, et la vérité, quoique fondée sur des preuves irréfutables, ne prendra pas racine, ni ne poussera, si, de même que la plante, elle n'est pas semée à l'heure convenable. "Le siècle doit être préparé", dit le professeur Cooke ; et il y a une trentaine d'années, cet humble ouvrage lui-même aurait été voué à la destruction à cause de son contenu. Mais le phénomène moderne, malgré les scandales quotidiens, le ridicule dont l'accablent tous les matérialistes, et ses nombreuses erreurs, grandit et s'enrichit de faits, sinon de sagesse et d'esprit. Ce qui, il y a vingt ans, aurait paru tout simplement absurde, est écouté aujourd'hui que les phénomènes sont défendus par d'illustres savants. Malheureusement, si les manifestations augmentent chaque jour de puissance, il n'y a pas d'amélioration correspondante dans le domaine de la philosophie. Le discernement des esprits laisse autant à désirer que jamais.
Parmi tous les auteurs spirites d'aujourd'hui, il n'en est peut-être pas un qui soit tenu en plus haute estime, pour le caractère, l'éducation, la sincérité et le talent, que Epes Sargent, de [297] Boston (Massachusetts). Sa monographie intitulée La preuve palpable de l'Immortalité, occupe, à juste titre, un haut rang parmi les ouvrages publiés sur cette question. Quoique tout à fait disposé à être charitable et indulgent envers les médiums et leurs phénomènes, M. Sargent se voit forcé de leur tenir ce langage : "Le pouvoir des esprits de reproduire les formes des personnes qui ont quitté la vie terrestre, suggère cette question ; jusqu'à quel point pouvons-nous être assuré de l'identité d'un esprit quelconque, quelles que soient les preuves données ? Nous ne sommes pas encore arrivés à ce degré de connaissance qui nous permette de répondre avec confiance à cette question… Le langage et les actes de cette sorte d'esprits matérialisés est encore une énigme pour nous." Quant à la portée intellectuelle de la plupart des esprits qui se cachent derrière les phénomènes physiques, M. Sargent est, sans aucun doute, considéré comme un juge très compétent et voici ce qu'il dit : "la grande majorité de ces esprits, de même que dans ce monde, sont d'une nature inintelligente". Nous serait-il permis de demander, si la question n'est pas indiscrète, pourquoi ils manquent ainsi d'intelligence, si ce sont des esprits humains ? Ou bien les esprits humains intelligents ne peuvent pas se matérialiser, ou alors les esprits qui se matérialisent n'ont pas d'intelligence humaine et par conséquent, suivant l'assertion même de M. Sargent, ils peuvent tout aussi bien être des esprits "élémentaires" qui ont entièrement cessé d'être humains ; ou ce sont les démons qui, suivant les Mages de la Perse et Platon, tiennent un rang intermédiaire entre les dieux et les hommes désincarnés.
L'expérience de M. Crookes est un sûr garant que de nombreux esprits "matérialisés" parlent à voix intelligible. Or nous avons montré, sur le témoignage des anciens, que la voix des esprits humains n'est pas et ne peut pas être articulée ; elle est comme un "profond soupir", ainsi que le déclare Emmanuel Swedenborg. Auquel des deux témoins devons-nous ajouter foi ? Est-ce le témoignage des anciens qui avaient l'expérience de tant de siècles de pratique théurgique, ou est-ce celui des spirites modernes qui n'en ont absolument aucune, et qui n'ont point de faits sur lesquels baser une opinion, sauf ceux qui leur ont été communiqués par des "esprits", dont ils n'ont pas les moyens de prouver l'identité ? Il y a des médiums dont les organismes ont évoqué parfois des centaines de ces formes prétendues humaines ; et cependant nous ne nous rappelons pas en avoir vu ni entendu un seul qui ait exprimé autre chose que les idées les plus banales, les lieux communs les plus vulgaires. Ce fait devrait certainement appeler l'attention des spirites les moins critiques. Si un esprit est capable de parler, et si la voie est ouverte aux êtres intelligents aussi bien qu'aux inintelligents, pourquoi ne nous donnent-ils [298] pas quelquefois des allocutions, qui approchent, dans une mesure quelconque, de la qualité des communications obtenues, au moyen de "l'écriture directe ?" M. Sargent met en avant une idée suggestive et pleine de conséquences, dans la phrase suivante : "La question de savoir jusqu'à quel point le fait de la matérialisation limite leurs opérations mentales et leurs souvenirs, ou jusqu'à quel point il sont limités par l'horizon intellectuel du médium, est encore à résoudre". 372 Si c'est le même genre d'"esprits" qui se matérialise et qui produit l'écriture directe et si, dans les deux cas, c'est par l'entremise des médiums qui produit l'écriture directe et si dans les deux cas, c'est par l'entremise des médiums qu'il se manifeste, dans l'un ne disant que des niaiseries, tandis que dans l'autre il nous donne souvent des enseignements philosophiques sublimes, pourquoi leurs opérations mentales seraient-elles limitées "par l'horizon intellectuel du médium", dans un cas plus que dans l'autre ? Les médiums à matérialisations – du moins dans l'étendue de notre observation – ne sont pas plus dépourvus d'instruction que bien des paysans et des ouvriers qui à diverses époques, ont présenté au monde, sous des influences supérieures, des idées profondes et d'une grande élévation. L'histoire psychologie abonde en exemples à l'appui de cette thèse, et, dans le nombre, on remarque ceux de Jacob Boehme, le cordonnier ignorant mais inspiré, et de notre Davis. En fait d'inintelligence, point n'est besoin de chercher d'exemples plus frappants que ceux des enfants prophètes des Cévennes, poètes et voyants, comme ceux que nous avons cités dans les chapitres précédents. Lorsque des esprits se sont emparés d'organes vocaux, qui leur permettent de parler, il ne devait certainement pas leur être plus difficile de s'exprimer d'une façon conforme à leur éducation, à leur intelligence, et à leur rang social, que de tomber invariablement dans ce monotone niveau de lieux communs et, trop souvent même, de platitudes. Quant à l'espoir exprimé par M. Sargent, que "la Science du Spiritisme étant encore dans l'enfance, nous pouvons espérer voir un jour plus de lumière sur elle", nous craignons bien d'être dans le vrai, en répondant que ce n'est pas des "cabinets noirs", que cette lumière jaillira jamais. 373
373 Voir saint Mathieu, XXIV, 26.
Il est tout simplement ridicule et absurde d'exiger de quiconque apporte son témoignage sur les merveilles du jour et des phénomènes psychologiques, le diplôme de maître ès arts et ès sciences. L'expérience des quarante dernières années prouve que ce ne sont pas toujours ceux qui ont le plus d'entraînement scientifique qui sont les meilleurs juges en fait de sens commun et de bonne foi. Rien n'aveugle autant que le fanatisme ou le parti pris. [299] Nous en voulons pour preuve la Magie orientale ou le Spiritualisme des Anciens aussi bien que les phénomènes modernes. Des centaines, que dis-je des milliers de témoins, parfaitement dignes de foi, de retour d'un séjour ou de voyages en Orient, ont attesté le fait que des fakirs ignorants, des sheiks, des derviches et des lamas, avaient opéré des merveilles en leur présence, sans compères ni appareils. Ils ont affirmé que les phénomènes exhibés par ces hommes étaient tous en contradiction avec toutes les lois connues de la science et tendaient donc à démontrer qu'il existe dans la nature bon nombre de forces encore inconnues, dirigées, manifeste, en apparence, par des intelligences surhumaines. Quelle a été l'attitude prise par nos savants à cet égard ? Jusqu'à quel point ces témoignages d'hommes "scientifiquement" entraînés ont-ils fait impression sur leur esprit ? Les recherches de Hare, de Morgan, de Crookes, de Wallace, de Gasparin, de Thury, de Wagner, de Buttleroff, etc…, ont-elles ébranlé pour un moment leur scepticisme ? Comment ont-ils accueilli le récit des expériences personnelles de Jacolliot fakirs de l'Inde, et les explications psychologiques du professeur Perty de Genève ? Dans quelle mesure, le cri poussé par le genre humain, réclamant des preuves palpables et démontrées d'un Dieu, de l'âme individuelle et de l'éternité, les a-t-il émus, et quelle a été leur réponse ? Ils renversent et détruisent tout vestige des choses spirituelles, mais, ne savent rien édifier. "Nos creusets et les cornues de nos laboratoires ne nous donnent aucun de ces résultats", disent-ils "par conséquent, tout cela n'est qu'illusion". Dans ce siècle de froide raison et de préjugés, l'Eglise elle-même est tenue de demander l'aide de la Science. Des croyances bâties sur le sable, des dogmes orgueilleux, mais sans racines, croulent sous le souffle glacial de l'examen, entraînant dans leur chute la véritable religion. Mais le besoin de quelque signe extérieur, d'un Dieu et d'une vie future, reste aussi tenace que jamais, dans le cœur de l'homme. Tous les sophismes de la science sont vains ; elle ne fera jamais taire la voix de la nature. Seulement ses représentants ont empoisonné les eaux limpides de la foi candide, et aujourd'hui l'humanité se mire dans les eaux troublées par la vase remuée au fond de cette source, jadis pure. Le Dieu anthropomorphe de nos pères est remplacé par des monstres anthropomorphes ; et, ce qui est pire encore, par le reflet de l'humanité elle-même dans ces eaux dont les vagues lui renvoient des images déformées de la vérité et des faits que fait surgir l'imagination égarée. Ce n'est point de miracle dont nous avons besoin", dit le révérent Brooke Herfort, mais bien des preuves palpables du spirituel et du divin. Ce n'est point aux prophètes que l'homme demande des "signes", mais plutôt aux savants. Les hommes sentent qu'en tâtonnant au bord, ou dans les retraites les plus [300] cachées de la création le chercheur doit à la fin atteindre les faits profonds sous-jacents à toutes choses, et quelques signes non équivoques de Dieu." Les signes sont là, et les savants aussi ; que pouvons-nous attendre encore de ces derniers, maintenant qu'ils ont si bien fait leur devoir ? Ces Titans de la pensée n'ont-ils pas fait tomber Dieu hors de Son sanctuaire Mystérieux, pour nous donner à sa place un protoplasme ?
Sir William Thomson disait en 1871 à la réunion British Association à Edimbourg : "La Science est tenue, par l'éternelle loi de l'honneur, de regarder en face et sans crainte tout problème qui peut lui être convenablement posé." Et, à son tour, le professeur Huxley remarque : "En ce qui concerne la question des miracles, je puis seulement dire que le mot impossible n'est pas applicable à mon avis, à la philosophie". Le grand Humboldt exprime l'opinion, qu' "un scepticisme présomptueux, qui repousse les faits sans examen de leur vérité est, à bien des égards, plus malfaisant qu'une crédulité aveugle."
Ces hommes n'ont pas été conséquents avec leurs propres enseignements. Ils ont repoussé l'occasion qui leur avait été offerte, par l'ouverture de l'Orient, d'examiner par eux-mêmes les phénomènes que tout voyageur a affirmé avoir vus là-bas. Nos physiologistes et nos pathologistes ont-ils seulement songé à s'en servir pour résoudre cette question si importante de la pensée humaine ? Oh ! non ; ils n'auraient pas osé. Il ne faut pas s'attendre à ce que les principaux Académiciens d'Europe et d'Amérique entreprennent jamais un voyage au Tibet et en Inde, pour y étudier sur place les merveilles des fakirs. Et si l'un d'eux se décidait, en pèlerin solitaire, à aller contempler tous les miracles de la création, dans cette terre des prodiges, pourrait-on s'attendre à ce qu'un de ses collègues prêtât foi à son témoignage ?
Il serait aussi fastidieux qu'inutile de recommencer un exposé des faits si vigoureusement faits par d'autres. MM. Wallace et W. Howitt 374 ont, à bien des reprises, admirablement signalé les mille et une absurdes erreurs, dans lesquelles les sociétés savantes de France et d'Angleterre sont tombées, par suite de leur scepticisme aveugle. Si Cuvier a pu négliger le fossile déterré en 1828, par Boué, le géologue français, uniquement parce que l'anatomiste se croyait plus sage que son collègue, et n'a pas voulu croire que des squelettes humains étaient enfouis à quatre-vingt pieds de profondeur dans la vase du Rhin ; si l'Académie des Sciences n'a point ajouté foi aux assertions de Boucher de Perthes en 1846, pour seulement se voir critiquée à son tour en 1860, lorsque la vérité [301] des découvertes et des observations de Boucher de Perthes fut pleinement confirmée par tout le corps des géologues qui avaient trouvé des armes de silex dans les alluvions du nord de la France ; et si l'on s'est moqué du témoignage de Mac Enery en 1825, sur sa découverte de silex travaillés, trouvés avec des débris d'animaux disparus, dans la Hole Cavern 375 du comté de Kent, et de celui de Godwin Austen en 1848 attestant les mêmes faits et encore plus ridiculisé, si c'est possible tout ce scepticisme scientifique, toute cette ironie a été pour les savants un sujet de confusion en 1865, quand suivant Wallace, "tous les rapports précédents, depuis quarante ans, furent complètement confirmés, et où l'ont acquit la certitude que tout ce qui avait été dit était encore moins surprenant que la réalité". Qui donc serait désormais assez crédule pour admettre un seul instant l'infaillibilité de notre science moderne
Ainsi, les faits ont été discrédités les uns après les autres. De tous côtés on ne cesse de se plaindre. "On ne sait que peu de chose en psychologie !" soupire un F.R.S. 376 "Nous devons confesser que nous savons bien peu de chose, peut-être rien en physiologie", dit un autre ; et un troisième remarque que, "de toutes les sciences, il n'y en a pas une qui soit assise sur une base aussi incertaine que la médecine". "Que savons- nous, dit un quatrième, sur les fluides nerveux supposés… ? Rien encore" ; et ainsi de suite pour toutes les sciences sans exception. Et, en attendant, des phénomènes surpassant en intérêt tous les autres phénomènes naturels, et qui ne peuvent être expliqués qu'à l'aide de la physiologie, de la psychologie, et des fluides "encore inconnus" sont rejetés comme des illusions, ou même s'ils sont réels, ils "n'intéressent pas" les savants. Ou bien et c'est bien pire : Si un sujet dont l'organisme présente les particularités les plus essentielles des pouvoirs occultes, bien que naturels, s'offre spontanément pour être étudié, au lieu d'expérimenter sur lui d'une façon loyale et honnête, les savants (?) lui tendent un piège et on le récompense par une peine de trois mois de prison. Cela promet en vérité.
II est aisé de comprendre qu'un fait produit en 1731, pour prouver un autre fait survenu durant le pontificat de Paul III, par exemple, soit révoqué en doute en 1876. Et lorsqu'on dit aux savants que les Romains conservaient des flambeaux allumés dans leurs sépulcres, pendant des années sans nombre, grâce à la nature huileuse de l'or ; et qu'une de ces lampes perpétuelles avait [302] été trouvée, brûlant avec un vif éclat, dans le tombeau de Tullia, fille de Cicéron, bien que ce tombeau n'eût pas été ouvert depuis quinze cent cinquante ans 377, ils sont, jusqu'à un certain point, en droit de douter, même de refuser de croire ce fait, jusqu'à ce qu'ils se soient assurés, par le témoignage de leurs sens, que la chose est possible. Dans ce cas, ils peuvent rejeter le témoignage de tous les philosophes de l'antiquité et du moyen âge. L'enterrement d'un fakir vivant, et sa résurrection après trente jours d'inhumation pourra leur paraître suspecte. Il en sera de même des blessures mortelles que s'infligent certains lamas, qui présentent leurs entrailles aux assistants et guérissent, presque instantanément, ces horribles blessures.
374 Voir Miracles and Modem Spiritualism de Wallace et History of the supernatural de Howit vol. II.
375 Voir la conférence de Wallace faite devant la Société de Dialectique en 1871 : Réponse à Hume, etc.
376 Fellow Royal Society, membre de la Société Royale. (N.d.T.).
377 Φιλοζογος, Seconde édition de Bailey.
Pour ceux qui nient jusqu'au premier témoignage de leurs propres sens au sujet de phénomènes qui ont lieu dans leur pays même, et devant de nombreux témoins, les récits répandus dans les livres classiques et les récits de voyages, doivent naturellement paraître absurdes. Mais ce que nous ne parvenons pas à comprendre, c'est l'entêtement collectif des Académies, en présence des amères leçons du passé infligées à ces institutions qui ont si souvent "obscurci les choses par des discours sans intelligence". Comme le Seigneur répondant à Job "dans le tourbillon", la magie peut dire à la science moderne : "Où étais-tu quand j'ai posé les fondations de la terre ? Dis-le si tu as de l'entendement." Et qui es-tu pour oser dire à la Nature : "Tu n'iras pas au-delà ; ici s'arrêtera l'orgueil de tes flots ?"
Mais qu'importe s'ils contestent et nient les faits ? Peuvent-ils empêcher les phénomènes de se produire aux quatre coins du globe, quand même leur scepticisme serait mille fois plus amer ? Les fakirs n'en continueront pas moins à être enterrés et ressuscités pour satisfaire la curiosité des voyageurs européens ; les lamas et les ascètes hindous n'en continueront pas moins à se blesser, à se mutiler, et à s'enlever les entrailles, sans pour cela, s'en porter plus mal ; et toutes les négations du monde entier n'auront jamais un souffle assez puissant pour éteindre les lampes inextinguibles, qui continuent à brûler dans les sanctuaires souterrains de l'Inde, du Tibet et du Japon. Le Rév. S. Mateer des missions de Londres parle d'une de ces lampes. Dans le temple de Trevandrum, dans le royaume de Travancore, Inde du Sud, "il y a, à l'intérieur d'un temple, un puits très profond dans lequel d'immenses richesses sont jetées tous les ans, et, dans un autre endroit, dans un creux recouvert d'une pierre, une grande lampe en or, dit-on, qui fut allumée il y a plus de 120 ans, continue encore à brûler, dit ce missionnaire, dans sa description de l'endroit. [303] Comme de raison, les missionnaires catholiques attribuent ces lampes à l'amabilité du diable. Le prêtre protestant, plus prudent, mentionne le fait, sans commentaire.
L'abbé Huc a vu et examiné une de ces lampes, et de même ont fait d'autres personnes qui ont eu la bonne fortune de gagner la confiance et l'amitié des lamas et des prêtres d'Orient. On ne peut pas contester davantage les merveilles dont fut témoin le capitaine Lane en Egypte, les expériences à Bénarès de Jacolliot, et celles de sir Charles Napier ; ni la lévitation d'êtres humains, en pleine lumière du jour, qui ne peut s'expliquer que par la théorie que nous avons présentée dans l'Introduction de ce livre (voir article sur l'Aéthrobatie). Ces lévitations sont attestées – outre M. Crookes – par le professeur Perty, qui affirme qu'elles se sont produites en plein air, et qu'elles ont duré quelquefois vingt minutes ; tous ces phénomènes et beaucoup d'autres ont été, sont et seront produits, dans tous les pays du globe, et cela malgré tous les sceptiques et savants qui sont issus de la boue silurienne.
Parmi les prétentions ridiculisées de l'alchimie se trouve justement celle des lampes perpétuelles. Si nous affirmons au lecteur que nous en avons vu, on nous demandera – si l'on ne révoque pas en doute notre sincérité – comment nous pouvons dire que les lampes que nous avons observées sont perpétuelles, puisque la durée de notre observation a été nécessairement limitée ? Simplement parce que, connaissant les ingrédients employés dans leur composition, la manière dont elles sont construites, et la loi naturelle applicable au cas, nous savons que notre déclaration peut être confirmée par un examen approprié. Quant à connaître l'endroit où s'adresser et comment arriver à la connaissance nécessaire, nos critiques l'apprendront, s'ils veulent s'en donner la peine, ainsi que nous l'avons fait. En attendant, citons quelques-unes des cent soixante-treize autorités qui ont écrit sur cette question. Aucun de ces auteurs, selon nos souvenirs, n'a dit que ces lampes sépulcrales brûleraient perpétuellement, mais bien un nombre indéfini d'années ; et l'on cite des exemples où elles ont brûlé pendant plusieurs siècles. S'il existe une loi naturelle en vertu de laquelle une lampe peut brûler, sans être alimentée, pendant dix ans, il n'y a pas de raison pour que la même loi ne lui permette de brûler pendant cent, et même mille années.
Parmi les personnages bien connus qui croyaient fermement, et soutenaient énergiquement que ces lampes sépulcrales brûlaient pendant des centaines d'années, et qu'elles auraient pu continuer à brûler peut-être toujours si elles n'avaient pas été éteintes ou brisées accidentellement, nous pouvons mentionner les noms suivants : Clément d'Alexandrie ; Hermolaus Barbarus ; Appien ; Burattinus ; Citesius ; Cœlius ; Costœus ; Casalius ; Cedrenus ; [304] Delrius ; Eric ; Fox ; Gesner ; Jacoboni ; Leander ; Libavius ; Lazius ; Pic de la Mirandole ; Philalèthes ; Licetus ; Maiolus ; Maturantius ; Baptista Porta ; Pancirollus ; Ruscellius ; Scardonius ; Ludovic Vives ; Volateranus ; Paracelse ; plusieurs alchimistes Arabes, et finalement Pline, Solinus, Kircher, et Albert le Grand.
Ce sont les Egyptiens qui en revendiquent l'invention, ces fils de cette terre de la Chimie. 378. Du moins, ce sont eux qui ont fait usage de ces lampes beaucoup plus que toutes les autres nations, à cause de leurs doctrines religieuses. L'âme astrale de la momie était censée s'attarder autour du corps, pendant le laps de trois mille années du cercle de nécessité. Attachée à lui par un fil magnétique qui ne pouvait être rompu que par un effort de sa part, les Egyptiens espéraient que la lampe perpétuelle, symbole de leur esprit incorruptible et immortel, déciderait enfin la partie la plus matérielle de l'âme à se séparer de sa demeure terrestre, et à s'unir pour toujours à son SOI divin. C'est pour cela que les lampes étaient suspendues dans les tombeaux des riches. Ces lampes sont souvent trouvées dans les caveaux souterrains des sépultures, et Licetus a écrit un grand ouvrage, pour prouver que, de son temps, partout où l'on ouvrait un sépulcre, on y trouvait une lampe brûlant, mais qu'elle s'éteignait aussitôt, par suite de la profanation. Tite-Live, Burattinus et Michel Schatta, dans leurs lettres à Kircher 379 affirment que l'on trouvait beaucoup de ces lampes dans les cavernes souterraines de l'ancienne Memphis. Pausanias parle de la lampe l'or du temple de Minerve à Athènes, qui était l'œuvre de Callimaque, et brûlait une année entière. Plutarque 380 dit avoir vu dans le temple de Jupiter Ammon, une de ces lampes, ajoutant que les prêtres lui avaient assuré qu'elle brûlait depuis des années sans discontinuer et que, bien que placée en plein air, ni vent ni eau ne pouvaient l'éteindre. Saint Augustin, une autorité catholique, décrit aussi une lampe du sanctuaire de Vénus, du même genre que les autres, inextinguible par le vent le plus violent ou par l'eau. On trouva une lampe à Edessa, dit Kedrenus, qui "cachée en haut d'une certaine porte, brûla pendant cinq cents ans". Mais, de toutes ces lampes, celle mentionnée par Olybius Maximus de Padoue est de beaucoup la plus extraordinaire. Elle fut trouvée dans les environs d'Atteste, et Scardonius 381 en donne une brillante description. "Une grande urne de terre cuite en contenait une autre de dimension plus petite, et dans celle-ci une lampe allumée brûlait sans discontinuer depuis [305] 1.500 ans, au moyen d'une liqueur des plus pures, contenue dans deux flacons, l'un en or, et l'autre en argent. Ces flacons étaient confiés à la garde de Franciscus Maturantius, qui les estimait un prix énorme."
378 Psaume CV, 23. Le Pays de Cham ou chem, en Grec Ζδµι d'où viennent les termes alchimie et chimie.
379 Œdipi Ægyptiaci theatrum Hieroglyphicum, p. 544.
380 Lib. De defecta Oraculorum.
En faisant la part des exagérations, et en laissant de côté comme une négation gratuite et sans preuves, l'assurance donnée par la science moderne de l'impossibilité de pareilles lampes, qu'on nous dise si, dans le cas où il serait démontré que ces lampes inextinguibles ont réellement existé aux siècles des "miracles", les lampes qui brûlent dans les sanctuaires chrétiens et dans ceux de Jupiter, de Minerve et autres divinités païennes devraient être envisagées sous des aspects différents. D'après certains théologiens, il paraîtrait que les premières (car le Christianisme revendique aussi de telles lampes) brûlaient en vertu d'une puissance miraculeuse divine, et que la lumière des autres, produite par un art "païen", était entretenue par les artifices du démon. Kircher et Licetus font voir qu'elles fonctionnaient de ces deux façons. La lampe d'Antioche, qui brûla quinze cents ans sur une place publique au-dessus de la porte d'une église, était entretenue par la "Puissance de Dieu" qui "a fait un nombre infini d'étoiles, pour donner une lumière éternelle". Quant aux lampes païennes, saint Augustin nous assure qu'elles étaient l'œuvre du diable, "qui nous trompe de mille manières". Quoi de plus aisé pour Satan, que de faire apparaître un éclair de lumière, ou une flamme brillante aux yeux de ceux qui les premiers entrent dans un tel caveau souterrain ? C'est aussi ce qu'affirmaient tous les bons Chrétiens, pendant le pontificat de Paul III, lorsque à l'ouverture d'une tombe sur la voie Appienne, à Rome, on trouva le corps entier d'une jeune fille, nageant dans un liquide brillant, qui l'avait si bien conservée que le visage était fort beau, et comme plein de vie. A ses pieds brûlait une lampe, dont la flamme s'éteignit lorsqu'on ouvrit le sépulcre. D'après une inscription gravée sur la pierre, le corps avait été
inhumé depuis plus de quinze cents ans, et l'on supposa que ce devait être celui de Tulliola ou Tullia, fille de Cicéron. 382
381 Lib. 1, class. 3, Cap ult.
382 Tous les détails de cette histoire se trouvent dans l'ouvrage d'Erasmus Franciscus qui cite Pflaumerus, Pancirollus et beaucoup d'autres.
Les chimistes et les physiciens contestent que ces lampes perpétuelles soient possibles, en alléguant que toute substance qui se résout en vapeur ou en fumée ne peut être permanente, mais doit infailliblement se consumer ; et comme l'aliment huileux d'une lampe allumée s'exhale en vapeur, il s'ensuit que la flamme ne peut durer perpétuellement, faute d'aliment. Les alchimistes, d'autre part, contestent que tout ce qui sert à l'entretien d'un feu [306] allumé doive nécessairement se convertir en vapeur. Ils disent qu'il existe, dans la nature, des choses qui non seulement résistent à l'action du feu et, partant, ne sont pas consumées, mais qui ne sont éteintes ni par le vent, ni par l'eau. Dans un ancien livre de chimie de l'année 1700, intitulé NEKPOKH∆EIA, l'auteur réfute quelques-unes des prétentions des divers alchimistes. Mais bien qu'il nie qu'un feu puisse brûler perpétuellement, il est presque disposé à croire à la possibilité qu'une lampe brûle pendant plusieurs centaines d'années. Nous avons en outre de nombreux témoignages d'alchimistes qui ont consacré des années à ces expériences et sont arrivés à la conclusion que la chose était possible.
Il existe certaines préparations spéciales d'or, d'argent et de mercure, et aussi de naphte, de pétrole et d'autres huiles bitumineuses. Les alchimistes mentionnent également l'huile de camphre et d'ambre, le Lapis Asbestos seu Amianthus, le Lapis Carystius, Cyprius, et le Linum vivum seu Creteum comme ayant été employés pour ces lampes. Ils affirment que cette matière peut être préparée avec de l'or ou de l'argent, réduits en fluide, et ils indiquent l'or comme l'aliment le plus convenable pour cette flamme merveilleuse parce que, de tous les métaux, l'or est celui qui subit le moins de déperdition lorsqu'il est chauffé ou fondu, et que de plus, on peut lui faire réabsorber son humidité oléiforme aussitôt qu'elle se dégage, alimentant ainsi continuellement sa propre flamme une fois qu'elle est allumée. Les Cabalistes assurent que le secret en était connu de Moïse qui le tenait des Egyptiens, et que la lampe que le "Seigneur" ordonna de faire brûler sur le tabernacle était une lampe inextinguible. "Et tu ordonneras aux enfants d'Israël de t'apporter de l'huile pure d'olives concassées, afin d'entretenir les lampes continuellement." (Exode XXVII, 20)
Licetus conteste de même que ces lampes aient été faites de métal, mais à la page 44 de son ouvrage, il fait mention d'une préparation de mercure filtré sept fois par le feu à travers du sable blanc, avec laquelle, dit-il, on pouvait fabriquer des lampes qui brûleraient toujours. Maturantius et Citesius croient fermement, tous deux, que ce résultat peut être obtenu par un procédé purement chimique. Cette liqueur de mercure était connue des alchimistes sous les noms de Aqua mercuriales, Materia metallorum, Perpetua Dispositio, et Materia prima Artis, et aussi d'Oleum Vitre. Tritenheim et Bartolomo Korndof ont fait tous deux des préparations pour le feu inextinguible, et ils en ont laissé la recette. 383 [307]
383"Sulphur. Alum ust. a 3 iv. ; sublimez-les en fleur à 3 ij auxquels ajoutez 3 j de borax de Venise cristallin (en poudre) ; versez là-dessus de l'esprit de vin fortement rectifié et laissez-le digérer, puis réduisez-le et versez-le de nouveau dessus ; répétez cette opération jusqu'à ce que le soufre fonde comme de la cire sans produire de fumée, sur une plaque de laiton chaude : Ceci est pour le pabulum, mais la mèche doit être préparée de la façon suivante : prenez des fils ou des bouts de Lapis Asbestos, environ de l'épaisseur de votre doigt médian et de la longueur de votre petit doigt, et mettez-les dans un verre de Venise et couvrez-les avec le soufre épuré ou aliment ci-dessus décrit, mettez le verre pendant vingt-quatre heures dans du sable si chaud que le soufre reste tout le temps en ébullition. La mèche ainsi imprégnée et enduite sera placée dans un verre de la forme d'une coquille, de telle manière qu'une partie dépasse la masse de soufre préparé ; mettez alors ce verre sur du sable chaud, et faites fondre le soufre de façon à saisir la mèche et lorsque celle-ci sera enflammée elle brûlera d'une flamme perpétuelle et vous pourrez placer cette lampe où vous voudrez."
Et voici l'autre :
"R. Salis tosti, lb j. ; versez dessus du vinaigre de vin très fort, et réduisez-le jusqu'à consistance d'huile ; ajoutez-y de nouveau du vinaigre, macérez et distillez-le comme auparavant. Répétez cette opération quatre fois de suite, et mettez ensuite dans ce vinaigre une livre de vitr. antimonii subtilis lœvigat lb. j. ; placez-le sur des cendres dans un récipient fermé pendant l'espace de six heures, afin d'en extraire la teinture, décantez la liqueur, remettez-en de nouveau et extrayez-la de nouveau ; répétez cette opération jusqu'à ce que vous en ayez fait sortir toute la teinte rouge. Faites coaguler tous vos extraits à la consistance de l'huile et rectifiez-les dans le bain-marie. Prenez ensuite l'antimoine, dont la teinture a été extraite et réduisez-le en poudre très fine, et mettez-le ainsi dans un récipient de verre ; versez dessus l'huile rectifiée que vous réduirez et distillerez sept fois jusqu'à ce que la poudre ait absorbé toute l'huile et qu'elle soit tout à fait sèche. Faites extraire avec de l'esprit de vin jusqu'à ce que toute l'essence en ait été extraite et mettez celle-ci dans un filtre avec du papier plié cinq fois et distillez-le alors, de façon que l'esprit en ait été retiré et qu'il ne reste au fond qu'une huile qui ne se consume pas, à utiliser avec une mèche de la même manière qu'avec le soufre décrit ci-dessus."
"Ce sont les lumières éternelles de Tritenheimus", dit son commentateur Libavius, "qu'en vérité, bien qu'elles ne s'accordent pas avec la constance de la naphte ces choses peuvent cependant illustrer mutuellement. La naphte n'est pas durable au point de ne pas brûler, car elle se volatilise et s'enflamme, mais si on la fixe en y ajoutant le suc du Lapis asbestinos, elle est capable de fournir un combustible perpétuel", dit ce savant.
L'asbestos, qui était connu des Grecs sous le nom d'Aσδεστος ; ou inextinguible, est une sorte de pierre qui, une fois allumée, ne peut plus s'éteindre, comme nous l'apprennent Pline et Solinus. Albert le Grand le décrit comme une pierre couleur de fer, qui se trouve le plus souvent en Arabie. On le trouve généralement couvert d'une humidité presque imperceptible de matière oléagineuse, qui s'enflamme aussitôt qu'on l'approche de la flamme d'une bougie. Les chimistes ont fait des expériences sans nombre pour en extraire son huile insoluble, mais tous ont échoué, dit-on. Toutefois, nos chimistes sont-ils en mesure de dire que cette opération est absolument impraticable ? Si on parvenait à extraire cette huile, il ne peut y avoir de doute qu'elle constituerait un [308] combustible perpétuel. Les anciens pouvaient donc bien se vanter d'en posséder le secret, car, nous le répétons, certains expérimentateurs encore vivants ont réussi à le faire. Les chimistes qui l'ont vainement essayé affirment que le fluide ou liqueur extrait chimiquement de cette pierre avait plutôt la nature de l'eau que celle de l'huile, et qu'elle était tellement impure et épaisse qu'elle était incapable de brûler ; d'autres assurent, au contraire, que cette huile, aussitôt qu'on l'expose à l'air, devient si épaisse et si solide que c'est à peine si elle coule et qu'une fois allumée elle ne produit pas de flamme, mais une fumée épaisse ; tandis que les lampes des anciens brillaient dit-on avec une flamme des plus pures et des plus brillantes, sans la moindre fumée. Kircher, qui montre qu'on peut l'épurer, pense néanmoins qui c'est si difficile que ce n'est accessible qu'aux plus hauts adeptes de l'alchimie.
Saint Augustin, qui attribue tous ces arts au bouc émissaire des Chrétiens, le diable, est carrément contredit par Ludovic Vives 384, qui prouve que toutes ces prétendues opérations magiques sont tout simplement le fruit de l'industrie de l'homme et d'une profonde étude des mystérieux secrets de la nature, tout merveilleux et tout miraculeux qu'ils paraissent. Podocattarus, chevalier Cypriote 385, possédait du lin et de l'étoffe fabriqués avec un autre asbestos, que Porcacchius dit 386 avoir vus chez ce chevalier. Pline appelle ce lin linum vinum et lin indien, et il dit qu'il est fabriqué avec l'asbeston sive asbestinum, espèce de lin dont on fait une étoffe qu'on nettoie en la mettant dans le feu. Il ajoute que ce lin était aussi précieux que les perles et les diamants, car non seulement on n'en trouvait que très rarement, mais encore il était extrêmement difficile à tisser, en raison du peu de longueur des fils. Battu et aplati au marteau, et plongé ensuite dans de l'eau chaude, ce lin, une fois sec, peut facilement être divisé en fils comme de la filasse, et être tissé. Pline déclare avoir vu des serviettes faites de cette matière, et avoir assisté à leur nettoyage par le feu. Baptista Porta dit également avoir vu la même chose à Venise chez une dame de Chypre ; il appelle cette découverte de l'alchimie un secretum optimum.
Nous ajouterons que nous avons vu, de nos propres yeux, une lampe préparée de cette manière, et on nous a affirmé que depuis qu'elle a été allumée, le 2 mai 1871, elle ne s'est pas éteinte. Comme nous savons que la personne qui fait cette expérience est tout à fait incapable de tromper qui que ce soit, étant elle-même un expérimentateur zélé des secrets hermétiques, nous n'avons aucune raison de mettre en doute ses affirmations.
384 Commentaires sur le Traité de la Cité de Dieu de saint Augustin.
385 Auteur de De Rebus Cypriis, 1566 AD.
Dans sa description des curiosités du collège de Gresham, au XVIIème siècle, le Dr Grew exprime l'opinion que cet art et l'usage de cette étoffe sont tout à fait perdus ; Mais ce ne doit pas être à ce point, puisque nous voyons le Musée Septalius se glorifiant de posséder du fil, des cordages, du papier, et du filet fabriqué avec cette matière encore en 1726 ; quelques-uns de ces [309] articles même avaient été faits par Septalius, de ses propres mains, comme nous l'apprend Greenhill dans l'Art of Embalming, p. 361 (l'Art d'embaumer). "Grew" dit cet auteur, "paraît confondre l'asbestinus lapis avec l'amianthus et il les nomme en anglais thrumstone" ; il dit que cela pousse en fils ou filaments courts, d'un quart de pouce à un pouce de long, parallèles et brillants, aussi fins que ces petits fils que filent les vers à soie, et très flexibles comme du chanvre ou de l'étoupe. Que le secret n'en soit pas tout à fait perdu est prouvé par le fait que quelques couvents Bouddhistes de Chine et du Tibet en possèdent. Nous ignorons s'ils sont faits avec les fibres de l'une ou de l'autre de ces pierres, mais nous avons vu dans un monastère de femmes Talapoins, une robe jaune, comme en portent les moines Bouddhistes, jetée dans un foyer rempli de charbons ardents, et retirée deux heures après, aussi propre que si elle avait été lavée avec de l'eau et du savon.
L'asbestos ayant été soumis dernièrement en Europe et en Amérique à d'aussi sévères épreuves, on utilise maintenant cette substance pour des usages industriels, tels que la couverture de toits, des vêtements incombustibles et des coffres-forts à l'épreuve du feu. Un dépôt très important, établi à Staten Island, dans la baie de New-York, livre le minéral en paquets, comme du bois sec, avec des fibres de plusieurs pieds de long, La variété d'asbestos la plus fine, nommée χµιχντος (sans tache) par les anciens, tirait son nom de son lustre blanc satiné.
Les anciens fabriquaient encore les mèches de leurs lampes perpétuelles avec une autre pierre, qu'ils nommaient Lapis Carystius. Les habitants de la ville de Carystos paraissent n'avoir fait aucun mystère du procédé, car Matthœus Raderus dit 387 qu'ils "peignaient, filaient, et tissaient cette pierre duveteuse dont ils faisaient des tuniques, des nappes, et autres objets, qu'ils nettoyaient quand ils étaient sales par le feu, au lieu de l'eau". Pausanias, dans Atticus, et Plutarque 388 affirment également que des mèches de lampes étaient fabriquées avec cette pierre ; mais Plutarque ajoute qu'on n'en trouvait déjà plus de son temps. Licetus est porté à croire que les lampes perpétuelles dont les anciens faisaient usage dans les tombes, n'avaient pas de mèche du tout, car on n'en avait trouvé que fort peu ; mais Ludovic Vives est d'un avis contraire, et il affirme qu'il en a vu un grand nombre.
De plus, Licetus est fermement persuadé qu'un "aliment pour le feu peut être mesuré avec une telle exactitude, qu'il met des siècles à se consumer de telle façon que la matière, sans produire d'exhalation, résiste énergiquement à l'action du feu, et que celui-ci [310] ne consume pas la matière, mais est empêché par elle, comme avec une chaîne, de monter". A cela, Sir Thomas Brown 389 répond, parlant des lampes qui ont brûlé pendant plusieurs centaines d'années enfermées dans de petits espaces, que "cela est dû à la pureté de l'huile, qui ne produit pas d'exhalaisons fuligineuses, qui étouffent le feu ; car si l'air avait alimenté la flamme, elle n'aurait duré que fort peu de temps, car l'air aurait été vite absorbé et épuisé par le feu." Mais, il ajoute : "le secret de la préparation de cette huile incombustible est perdu"
386 Book of Ancient Funerals.
387 Comment. on the 77th. Epigram of the IXth. book of Martial.
388 De Defectu Oraculorum.
389 Vulgar errors p. 124.
Non pas tout à fait ; le temps le prouvera, bien que tout ce que nous écrivons soit condamné d'avance, comme tant d'autres vérités.
On nous dit, en faveur de la science, qu'elle n'accepte aucun autre mode d'investigation que l'observation et l'expérience. D'accord ; mais n'avons-nous pas les archives d'au moins trois mille années d'observation de faits qui démontrent les pouvoirs occultes de l'homme ? Quant à l'expérience, quelle meilleure occasion que celle fournie par les prétendus phénomènes modernes ? En 1869, divers savants Anglais furent invités, par la London Dialectical Society, à assister à l'examen de ces phénomènes. Voyons quelle fut la réponse de nos philosophes. Le professeur Huxley écrivit : "Je n'ai pas de temps à consacrer à cette enquête qui occasionnerait beaucoup de tracas et d'ennuis (à moins qu'elle ne soit bien différente de toutes les enquêtes de ce genre à ma connaissance)… Je ne m'intéresse pas à la question… et même en admettant que les phénomènes soient authentiques, ils ne m'intéressent pas. 390 " M. George Lewes écrit sagement : "Lorsqu'un homme dit que les phénomènes ne sont produits par aucune loi physique connue, il déclare qu'il connaît les lois en vertu desquelles ils sont produits. 391" Le professeur Tyndall exprime des doutes sur la possibilité d'obtenir de bons résultats dans une séance à laquelle il assisterait. Sa présence, de l'avis de M. Varley, jette partout la confusion. 392 Quant au professeur Carpenter, il écrit : "Je me suis assuré, par des recherches personnelles, que, tandis qu'une bonne partie de ce qui se passe pour des manifestations spirites est le résultat de fraudes intentionnelles, l'autre partie n'est qu'illusion. Il y a cependant certains phénomènes qui sont tout à fait authentiques, et doivent être considérés comme des sujets légitimes d'étude scientifique… mais la source de ces phénomènes ne réside pas dans une communication ab extra, mais dans la conditions subjective de l'individu qui opère, selon certaines lois physiologiques bien connues… Je donne à ce procédé le nom de [311] cérébration inconsciente…, et suivant moi, c'est à celle-ci qu'il faut attribuer une grande partie de la production des phénomènes dits spirites" 393
C'est ainsi que le monde est instruit par l'organe de la science exacte, que la cérébration inconsciente a la faculté de faire voler des guitares en l'air et de forcer les meubles à exécuter toutes sortes d'acrobaties !
390 Rapport sur le Spiritisme de la London Dialectical Society, p. 229.
391 Ibidem, p. 230
392 Ibidem, p 265.
393 Ibidem, p. 266.
Voilà pour ce qui concerne les opinions des savants anglais. Les savants américains n'ont pas fait mieux. En 1857, un comité de l'Université de Havard prémunit le public contre l'étude de la question car elle "corrompt le sens moral et dégrade l'intelligence." On la taxait en outre "d'influence contagieuse, qui tend sûrement à affranchir la franchise chez l'homme et la pureté chez la femme." Plus tard, le professeur Hare, l'éminent chimiste, bravant l'opinion de ses contemporains, étudia le spiritisme et devint un croyant ; il fut aussitôt, non compos mentis ; et en 1874, lorsqu'un des journaux de New-York adressa une circulaire aux principaux savants de ce pays, leur demandant de faire des recherches et offrant de payer les frais, comme les invités de la parabole évangélique, "ils s'excusèrent d'un commun accord."
Cependant, malgré l'indifférence d'Huxley, la jactance de Tyndall, et la cérébration inconsciente de Carpenter, maint savant aussi célèbre que ceux-là entreprit d'étudier l'indésirable question, et, convaincu par l'évidence, s'est converti. Et voici qu'un autre savant, un grand auteur, quoique non spirite, apporte ce loyal témoignage : "Que les esprits des morts reviennent occasionnellement parmi les vivants, ou hantent leurs anciennes demeures, a été, de tous temps, et dans tous les pays d'Europe, une croyance fixe, non pas restreinte au vulgaire, mais partagée aussi par les intelligents…Si le témoignage humain en pareille matière a une valeur quelconque, l'ensemble des preuves qui s'étendent depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours est aussi important et indiscutable que tout ce que l'on pourrait trouver en faveur de quoi que ce soit." 394
Malheureusement, le scepticisme humain est une forteresse qui défie tous les témoignages. Pour commencer par M. Huxley, nos savants n'acceptent que ce qu'ils veulent bien et rien de plus.
Oh shame to men ! devil with devil damn'd Firm concord holds – men only disagree, Of creatures rational…" 395. [312]
394 Draper. Conflict between Religion and Science, p. 121.
395 "Oh honte à l'homme ! Le diable est constamment d'accord avec un autre diable ; les hommes seuls – de toutes les créatures rationnelles – ne s'entendent pas…" (Milton.Paradise Lost)
Comment expliquer ces divergences de vues entre des hommes qui furent instruits par les mêmes manuels et qui tirent leur savoir de la même source ? C'est sans doute une nouvelle preuve de l'aphorisme, qu'il n'y a pas deux hommes pour voir une même chose de la même façon. Cette idée est admirablement formulée par le Dr J.-J. Garth Wilkinson, dans une lettre adressée à la Dialectical Society.
"Je suis depuis longtemps convaincu", dit-il, "par l'expérience de ma vie de pionnier dans plusieurs hétérodoxies, qui se sont rapidement transformées en orthodoxies, que presque toute vérité est affaire de tempérament, ou qu'elle nous vient d'affections ou d'intuitions, et que la discussion et l'examen ne font guère qu'alimenter le tempérament."
Ce profond observateur aurait pu ajouter à son expérience celle de Bacon, qui dit : …Un peu de philosophie porte l'homme à l'athélisme, mais la profondeur en philosophie conduit la pensée de l'homme à la religion."
Le professeur Carpenter vante la philosophie avancée du siècle actuel, qui "n'ignore aucun fait, si étrange qu'il soit, qui est établi par des preuves valables" ; et pourtant il serait le premier à repousser les prétentions des anciens au savoir philosophique et scientifique, quoique, chez eux aussi, il soit fondé sur des preuves "aussi valables" que celles sur lesquelles les hommes d'aujourd'hui appuient leurs propres prétentions à la distinction philosophique ou scientifique. Prenons par exemple dans le domaine de la science, l'électricité et l'électro-magnétisme, qui ont porté si haut les noms de Franklin et de Morse. Six siècles avant l'ère chrétienne, Thalès est censé avoir découvert les propriétés électriques de l'ambre ; et cependant, les dernières recherches de Schweigger, exposées dans ses ouvrages sur le symbolisme, ont parfaitement démontré que toutes les anciennes mythologies étaient fondées sur la science de la philosophie naturelle, et montrent que les propriétés les plus occultes de l'électricité et du magnétisme étaient connues des théurgistes des plus anciens Mystères mentionnés dans l'histoire, ceux de Samothrace. Diodore de Sicile, Herodote, et Sanchoniathon le Phénicien – les plus anciens historiens – nous disent que ces Mystères. viennent de la nuit des temps, remontant à des siècles, et peut-être des milliers d'années avant l'époque historique. Nous en trouvons une des meilleures preuves dans une très remarquable gravure, qui figure dans les Monuments d'Antiquité Figurés de Raoul Rochette, dans laquelle, comme le "Pan aux cheveux hérissés", tous les personnages ont leur chevelure coulant dans toutes les directions, excepté celui du centre, représentant la Demeter Kabeirienne, dont émane la puissance, [313] et un autre, un homme agenouillé 396. Cette gravure, selon Schweigger, représente évidemment une partie de la cérémonie d'initiation. Et cependant, il n'y a pas si longtemps que les ouvrages élémentaires sur la philosophie naturelle ont commencé à être illustrés de têtes électrisées dont les cheveux se dressent dans toutes les directions, sous l'influence du fluide électrique. Schweigger nous fait voir que les plus importantes cérémonies religieuses étaient en relation intime avec la philosophie naturelle de l'antiquité maintenant perdue. Il démontre de la façon la plus détaillée, que dans les temps préhistoriques, la magie faisait partie des mystères, et que les grands phénomènes, les prétendus miracles – Païens, Juifs, ou Chrétiens – reposaient en réalité sur la connaissance secrète que les prêtres de l'antiquité possédaient sur la physique et toutes les branches de la chimie ou plutôt de l'alchimie.
Au chapitre XI, entièrement consacré aux merveilleuses découvertes des anciens, nous nous proposons de faire d'une façon plus complète la preuve de nos affirmations. Nous montrerons, d'après le témoignage des classiques les plus dignes de foi, qu'à une époque bien antérieure au siège de Troie, les prêtres instruits des sanctuaires étaient parfaitement au courant de l'électricité et même des paratonnerres. Nous n'ajouterons maintenant que quelques mots avant de laisser ce sujet de côté.
Les théurgistes comprenaient si bien les propriétés les plus infimes du magnétisme, que, sans posséder la clé perdue de leurs arcanes, mais en se servant uniquement de ce qu'on savait au sujet de l'électro-magnétisme à leur époque moderne, Schweigger et Ennemoser ont pu établir l'identité des "Jumeaux", les Dioscures, avec la polarité de l'électricité et du magnétisme. Selon Ennemoser, les mythes symboliques, pris d'abord pour des fictions dénuées de sens, sont maintenant reconnus comme "l'expression la plus ingénieuse, et en même temps la plus profonde, de vérités naturelles bien définies, strictement scientifiques." 397
396 Voir Ennemoser. Histoire de la Magie, vol. II, et Schweigger. Introduction à la Mythologie par l'Histoire Naturelle.
397 Histoire de la Magie, vol. 2.
Nos physiciens s'enorgueillissent des découvertes de notre siècle, et chantent réciproquement leurs louanges. L'éloquence de leurs cours, leur phraséologie fleurie n'a besoin que de légères modifications pour se transformer en mélodieux sonnets. Nos modernes Plutarque, nos Dante, nos Tasse, rivalisent avec les troubadours de jadis, en poétiques effusions. Dans leur glorification sans bornes de la matière, ils chantent l'amoureux accouplement [314] des atomes errants, et les voluptueux enlacements des protoplasmes, en déplorant l'inconstance coquette des "forces", qui jouent d'une façon si provocante à cache cache, avec nos graves professeurs, dans le grand drame de la vie, qu'ils ont baptisé la "corrélation des forces". Proclamant la matière, seule et autocratique souveraine de l'Univers sans Limite, ils la font divorcer de force d'avec son conjoint, et ils placent leur reine devenue veuve, sur le grand trône de la nature, rendu vacant par l'exil de l'esprit. Et maintenant, ils cherchent à la faire paraître aussi attrayante que possible, en l'encensant et en se prosternant devant le sanctuaire élevé de leurs propres mains. Oublient-ils, ou ignorent-ils entièrement le fait, qu'en l'absence du souverain légitime, ce trône n'est plus qu'un sépulcre blanchi, au-dedans duquel tout n'est que pourriture et corruption ! Que la matière, sans l'esprit qui la vivifie, et dont elle n'est que la "grossière scorie", pour employer l'expression des hermétistes, n'est qu'un corps sans âme, un cadavre, dont les membres, pour se mouvoir dans une direction déterminée, exige un opérateur intelligent pour actionner la grande batterie galvanique, qu'on nomme LA VIE !
En quoi le savoir du siècle actuel est-il si supérieur à celui des anciens ? Lorsque nous parlons de connaissances, nous n'entendons point cette définition brillante et claire de nos érudits modernes pour les détails les plus insignifiants de chaque branche de science exacte ; ni cette intuition qui fait trouver un terme approprié pour chaque chose, toute insignifiante et microscopique qu'elle soit ; Un nom pour chaque nerf et chaque artère dans l'organisme humain ou animal ; Une appellation pour chaque cellule, filament ou nervure des plantes ; Ce que nous entendons, c'est l'expression philosophique et définitive de toutes les vérités de la nature.
On reproche aux plus grands philosophes de l'antiquité leur superficialité et leur ignorance de ces détails des sciences exactes dont les modernes sont si fiers. Les divers commentateurs de Platon l'accusent d'avoir entièrement ignoré l'anatomie et les fonctions du corps humain ; de n'avoir pas connu l'action des nerfs pour transmettre les sensations ; et de n'avoir rien de mieux à mettre en avant, que de vaines spéculations au sujet des questions physiologiques. Il a simplement généralisé les divisions du corps humain, disent-ils, et il n'a rien dit qui rappelle les faits anatomiques. Quant à ses idées sur la structure du corps humain, l'être microcosmique, image en miniature du macrocosme, elles sont beaucoup trop transcendantes pour que nos matérialistes sceptiques leur accordent la moindre attention. L'idée que cette structure est, comme l'univers, formée de triangles, parait par trop ridicule [315] à ses traducteurs. Seul, parmi ceux-ci, M. Jowett, dans son introduction au Timée, observe loyalement que le physicien moderne "ne consent qu'à contrecœur à admettre que ses connaissances ne sont que "les ossements d'un homme mort", qui lui ont permis de s'élever à de plus hautes connaissances. 398" Il oublie à quel point la métaphysique de l'antiquité est venue en aide aux sciences "physiques" d'aujourd'hui. Si au lieu de chercher chicane au sujet de l'insuffisance, et parfois même de l'absence de termes et de définitions strictement scientifiques dans les œuvres de Platon, nous les analysons avec soin, nous trouvons dans le seul Timée, tout limité qu'il soit, le germe de toutes les nouvelles découvertes. La circulation du sang et la loi de la gravitation y sont clairement mentionnées ; bien que le premier fait ne soit peut-être pas assez nettement défini, pour repousser les attaque réitérées de la science moderne ; Car, suivant le professeur Jowett, Platon ignorait totalement la découverte spécifique que le sang sort d'un côté du cœur par les artères, et revient de l'autre côté par les veines, quoiqu'il ait su parfaitement que le "sang est un fluide toujours en mouvement."
La méthode de Platon, comme celle de la géométrie, consiste à descendre des universaux aux particuliers. La science moderne cherche, en vain, la cause première dans les permutations des molécules ; Platon la chercha, et la trouva dans la majestueuse marche des mondes. Pour lui c'était assez de connaître le plan grandiose de la création, et de pouvoir suivre les mouvements majestueux de l'univers, à travers leurs changements, jusqu'à leur fin. Les menus détails, dont l'observation et la classification ont mis à l'épreuve la patience de nos savants modernes, ne préoccupaient guère les philosophes anciens. Aussi, tandis qu'un gamin de cinquième saura mieux discourir sur les menus détails de la science physique que Platon lui-même, par contre le plus obtus des disciples de Platon en savait plus long au sujet des grandes lois cosmiques et de leurs relations mutuelles et montrait une plus grande connaissance et un plus grand contrôle des forces occultes qui sont derrière ces lois, que le plus savant professeur de n'importe quelle Académie moderne.
398 B. Jowett, MA. The dialogues of Plato, vol. 11, p. 508.
Ce fait si peu apprécié et si négligé des traducteurs de Platon, explique les louanges que nos savants modernes se décernent aux dépens de ce philosophe et de ses compagnons. Leurs prétendues erreurs en anatomie et physiologie sont amplifiées outre mesure, pour satisfaire notre amour- propre ; si bien qu'à force [316] de nous bercer de l'idée de notre supériorité scientifique nous finissons par perdre de vue la splendeur intellectuelle des siècles passés. C'est comme si en grossissant par l'imagination démesurément les taches de soleil, on en venait à penser qu'on en a tout à fait éclipsé la lumière.
L'inutilité des recherches scientifiques modernes est montrée par le fait que, tout en ayant donné un nom aux plus infimes parcelles des minéraux, des plantes, des animaux et de l'homme, nos plus érudits professeurs sont incapables de nous dire quoi que ce soit de précis sur la force vitale, qui produit les changements dans ces différents règnes. Pour confirmer notre assertion, il faut chercher plus loin que les ouvrages de nos plus savantes autorités scientifiques.
II faut un certain courage moral à celui qui occupe une position élevée dans le monde savant, pour rendre justice aux anciens, en présence d'un sentiment public qui n'est satisfait que lorsqu'on les dénigre. Aussi, lorsque nous nous trouvons en présence d'un homme de cette catégorie, nous cueillons volontiers des lauriers, pour en faire hommage à ce savant courageux et loyal. Un tel homme est le professeur Jowett, maître au Collège de Baliol, et professeur de grec à l'Université d'Oxford, qui, dans sa traduction de Platon, parlant de la philosophie physique des anciens, en général, lui reconnaît les mérites suivants : 1° "Les physiciens des temps primitifs admettaient la théorie des nébuleuses". Elle ne date donc pas des découvertes télescopiques de Herschel ainsi que l'affirme Draper. 399 2° "Que les animaux proviennent des grenouilles qui vinrent sur terre, et l'homme des mammifères était déjà enseigné par Anaximène au VIème siècle avant Jésus-Christ". Le professeur aurait pu ajouter que cette théorie était antérieure de plusieurs milliers d'années peut-être, à Anaximène" ; c'était la doctrine des Chaldéens, et l'évolution des espèces de Darwin et sa théorie du singe sont d'origine antédiluvienne. 3° "Philoléus et les premiers Pythagoriciens affirmaient que la terre était un corps comme les autres planètes, évoluant dans l'espace." 400 Ainsi, Galilée, en étudiant quelques fragments de Pythagore – qui, affirme Reuchlin, existaient encore du temps du mathématicien Florentin – familier d'ailleurs avec les enseignements des anciens philosophes, n'a fait que remettre en lumière une doctrine astronomique, qui prévalait dans l'Inde depuis l'antiquité la plus reculée. 401 [317] 4° Les anciens "supposaient que les plantes avaient un sexe tout comme les animaux". Il est donc prouvé que nos naturalistes modernes n'avaient qu'à emboîter le pas de leurs prédécesseurs. 5° "Les notes de musique dépendaient de la longueur relative, ou de la tension des cordes qui les produisaient, et elles se mesuraient par des rapports de nombres". 6° "Le monde est régi par des lois mathématiques, et même les différences qualitatives ont leur origine dans les nombres". 7° Enfin, "ils niaient énergiquement l'anéantissement de la matière, et en réalité ce n'était qu'une transformation." 402 "Bien qu'une de ces découvertes puisse être considérée comme un heureux hasard", ajoute M. Jowett, "on ne peut pas toutes les attribuer à de simples coincidences." 403
399 Conflict between Religion and Science, p. 240.
400 Plutarque, traduit par Langhorne.
401 Quelques érudits cabalistes affirment que l'original Grec des sentences Pythagoriciennes de Sextus, qui passe aujourd'hui pour perdu, existait encore à cette époque dans un couvent de Florence et que Galilée en avait eu connaissance. Ils ajoutent, en outre, qu'un traité d'astronomie, manuscrit d'Archytas, disciple direct de Pythagore, dans lequel étaient consignées les plus importantes doctrines de leur école était en la possession de Galilée. Si quelque Rufinas s'en était emparé, nul doute qu'il ne l'eût dénaturé, comme le prêtre Ruffinas dénatura les sentences de Sextus ci-dessus mentionnées, les remplaçant par un texte frauduleux, dont il chercha à attribuer la paternité à un certain évêque Sextus. (Voir Introduction à la vie de Pythagore de Jamblique, traduite par Taylor.)
402 Jowett. Introduction du Timée, vol. II, p. 508.
403 Ibidem. Vie de Pythagore, p. 17.
En résumé, la philosophie platonicienne était une science d'ordre, de système et de proportion ; elle embrassait l'évolution des mondes et des espèces, la corrélation et la conservation de l'énergie, la transmutation des formes matérielles, l'indestructibilité de la matière et de l'esprit. Sa position, à ce dernier point de vue, était en avance sur la science moderne, surmontant son système philosophique par une clé de voûte parfaite et immuable. Si la science a progressé à pas de géant dans ces dernières années, si nous avons des idées plus claires que les anciens sur la loi naturelle – pourquoi nos investigations, sur la nature et les sources de la vie demeurent-elles sans réponse ? Si le laboratoire moderne est, comme on le dit, tellement plus riche en résultats de recherches expérimentales que ceux de l'antiquité, comment se fait-il que nous ne marchions que dans des sentiers déjà battus longtemps avant l'ère chrétienne ? Comment se fait-il que le sommet le plus élevé que nous ayons atteint aujourd'hui, ne nous permette de voir, dans le lointain mystérieux des cimes inaccessibles de la connaissance que les preuves monumentales laissées par les explorateurs antérieurs pour jalonner les sites qu'ils avaient atteints et occupés avant nous ? [318]
Si les maîtres modernes sont tellement en avance sur les anciens, pourquoi ne nous rendent-ils pas les arts perdus de nos ancêtres postdiluviens ? Pourquoi ne nous donnent-ils pas les couleurs impérissables de Luxor, la pourpre de Tyr ; le vermillon brillant, et le bleu éclatant qui décorent les murs de ce temple, où les teintes sont encore aussi fraîches qu'au premier jour ? Le ciment indestructible des pyramides et des aqueducs anciens ; la trempe des lames de Damas, que l'on pouvait tourner comme un tire-bouchon dans leur fourreau, sans les rompre ; les superbes et incomparables teintes des vitraux que l'on retrouve dans la poussière des ruines antiques et qui rayonnent aux fenêtres des anciennes cathédrales ; et le secret de la fabrication du verre malléable ? Et si la chimie est si peu en état de rivaliser même avec le moyen-âge dans certaines branches des arts, pourquoi se vanter de quelques découvertes qui, selon toute probabilité, étaient déjà connues il y a des milliers d'années ? Plus l'archéologie et la philologie font de progrès, plus humiliantes pour notre orgueil sont les découvertes que l'on fait de jour en jour ; plus glorieux aussi sont les témoignages qu'elles apportent en faveur de ceux que l'on a considérés jusqu'à ce jour, peut-être à cause de la distance qui nous sépare de leur antiquité éloignée, comme des ignorants, pataugeant dans la boue épaisse de la superstition.
Pourquoi oublierons-nous que, des siècles avant que la proue de l'aventureux Génois ait fendu les mers occidentales, les vaisseaux phéniciens avaient déjà voyagé autour du globe, et porté la civilisation dans des régions aujourd'hui silencieuses et désertes ? Quel est l'archéologue qui osera affirmer que la même main qui donna les plans des Pyramides d'Egypte, de Karnak, et des milliers de ruines, vouées aujourd'hui à l'oubli, sur les berges sablonneuses du Nil, n'a pas édifié le monumental Nagkonwat au Cambodge ? Ou gravé les inscriptions hiéroglyphiques sur les obélisques et les portiques du village Indien abandonné, récemment découvert par lord Dufferin, en Colombie Britannique ? Ou ceux des ruines de Palenque et d'Uxmal en Amérique Centrale ? Est-ce que les reliques que nous gardons comme des trésors dans nos musées, derniers souvenirs "d'arts perdus" depuis longtemps, ne parlent pas hautement en faveur de la civilisation antique, ne sont-elles pas la preuve mainte fois répétée, que les nations et les continents disparus ont emporté avec eux, dans la tombe, des arts et des sciences que ni le premier creuset chauffé dans un cloître au moyen-âge, ni la dernière cornue brisée par un chimiste moderne, n'ont pas fait revivre ni ne feront revivre – au moins dans le siècle actuel.
404 Conflict between Religion and Science, p. 14.320
"Ils n'étaient point sans avoir quelque notion d'optique"concède aux anciens le professeur Draper, magnanime ; d'autres [319] vont jusqu'à la leur refuser. "La lentille convexe trouvée à Nemrod prouve qu'ils n'étaient pas sans connaître les instruments grossissants." 404. Oui-dà ? S'ils ne les connaissaient pas, tous les auteurs classiques ont donc menti. Car, lorsque Cicéron nous apprend qu'il a vu l'Iliade tout entière écrite sur une peau si petite qu'elle pouvait tenir dans une coquille de noix ; et quand Pline affirme que Néron avait une bague sertie d'un verre qui lui permettait de voir à distance les spectacles de gladiateurs, il serait difficile de pousser plus loin l'audace du mensonge. Certes, lorsque l'on nous dit que Maurice, du haut du promontoire de Sicile, pouvait voir toute la mer jusqu'à la côte d'Afrique, au moyen d'un instrument nommé nauscopite, nous devons croire de deux chose l'une : ou que tous ces témoins oculaires ont menti, ou que les anciens avaient une connaissance plus que superficielle en matière d'optique et de verres grossissants. Wendell Philips déclare qu'un de ses amis possède une bague extraordinaire "ayant à peu prèstrois quarts de pouce de diamètre, sur laquelle est gravée le corps nu du dieu Hercule. A l'aide d'une loupe on distingue l'entrelacement des muscles, et on compte chaque poil séparé des sourcils... Rawlinson rapporta une pierre d'environ vingt pouces de long et dix de large, contenant un traité complet de mathématiques, qui serait absolument illisible sans lentille... Au muséum du Dr Abbott, il y a un anneau de Cheops, que Bunsen déclare dater de 500 ans avant Jésus-Christ. Le sceau de l'anneau est de la grandeur d'une pièce d'un franc, et la gravure qui y est exécutée serait invisible sans le secours d'une loupe. On montre à Parme un bijou jadis porté par Michel-Ange, dont la gravure remonte à 2.000 années, et représente sept femmes. Il faut une loupe puissante pour en distinguer les formes... Par conséquent", ajoute le savant conférencier, "le microscope, au lieu de dater de nos jours, avait déjà des frères dans les livres de Moïse, des frères en bas âge."
Les faits qui précèdent ne paraissent donc pas indiquer une simple notion d'optique. C'est pourquoi, tout en différant complètement d'avis avec le professeur Fiske, dans la critique qu'il fait, dans son Unseen World, de l'ouvrage du professeur Draper, Conflict between Religion and Science, le seul reproche que nous adressions au livre admirable de Draper, c'est que, comme critique historique, il emploie parfois ses instruments d'optique à contre-sens. Ainsi, pour grossir le prétendu athéisme du Pythagoricien Bruno, il le regarde à travers la lentille convexe ; et lorsqu'il veut parler des connaissances des anciens, c'est de la lentille concave qu'il fait évidemment usage. [320]
Il est intéressant de suivre, dans divers ouvrages modernes, les essais prudents des auteurs érudits, aussi bien chrétiens qu'incrédules, pour tracer une ligne de démarcation entre ce que nous devons croire ou ne pas croire chez les auteurs anciens. On ne leur accorde aucun crédit sans réserve. Si Strabon nous dit que Ninive avait quarante-sept milles de circonférence, et que l'on accepte son témoignage, pourquoi agit-on autrement à son égard, lorsqu'il atteste la réalisation des prédictions Sibyllines ? Quel sens commun y a-t-il à appeler Hérodote le "Père de l'histoire", en l'accusant ensuite de radoter, toutes les fois qu'il rend compte de manifestations merveilleuses, dont il fut le témoin oculaire ? Qui sait, après tout, cette précaution est-elle plus que jamais nécessaire, dès qu'on a baptisé notre époque, le Siècle des Découvertes. Le désenchantement pourrait être trop cruel pour l'Europe. Voici que l'on enseigne maintenant dans les livres d'école que la poudre à canon, qu'on croyait être l'invention de Bacon et de Schwartz, était déjà, des siècles avant notre ère, employée par les Chinois, pour niveler les collines et faire sauter les rochers. Draper dit qu' "au musée d'Alexandrie, il y avait une machine inventée par Hero, le mathématicien, quelque 100 ans avant Jésus-Christ, qui marchait au moyen de la vapeur, et avait la forme de celles que nous nommons machines à réaction... Le hasard n'a rien eu à voir avec l'invention de la machine à vapeur moderne." 405 L'Europe s'enorgueillit des découvertes de Copernic et de Galilée, et nous savons maintenant que les observations astronomiques des Chaldéens remontent à peu prèsà l'époque du déluge fabuleux de Noé, que Bunsen fixe à 10.000 ans au moins avant notre ère. 406 Bien plus, un empereur de Chine, plus de 2.000 ans avant le Christ (donc avant Moïse), fit mettre à mort deux de ses principaux astronomes, pour n'avoir pas prédit une éclipse de soleil.
On peut noter, comme un exemple du peu d'exactitude des notions courantes au sujet des prétentions scientifiques de notre siècle, que les découvertes de l'indestructibilité de la matière et de la corrélation des forces, et surtout cette dernière, sont proclamées comme un de nos plus grands triomphes. C'est "la découverte la plus importante du siècle présent", dit Sir William Armstrong, président de la British Association. Mais cette "importante découverte" n'est pas une découverte du tout : Son origine, outre qu'on en trouve des traces dans les ouvrages des philosophes anciens, se perd dans la nuit des temps préhistoriques. On en découvre les premiers vestiges dans les rêveuses spéculations de la théologie Védique, dans la doctrine de l'émanation et de l'absorption, bref [321] dans le nirvana. Jean Erigène l'a esquissée, dans son audacieuse philosophie du VIIIème, siècle, et nous engageons le lecteur à lire De Divisione Naturae, pour se convaincre de cette vérité. La Science dit que lorsque la théorie de l'indestructibilité de la matière (une très, très vieille idée de Démocrite, par parenthèse) fut démontrée, il devint nécessaire de l'étendre également à l'énergie. Aucune particule de matière ne se perd jamais ; aucune énergie dans la nature ne peut disparaître ; par conséquent, on a la preuve que l'énergie est également indestructible, et que ses diverses manifestations, ou forces, sous différents aspects, sont interchangeables et ne sont que les modes différents de mouvement des particules de matière. C'est ainsi que fut redécouverte la corrélation des forces. M. Grove déjà en 1842, donna à chacune de ces forces chaleur, électricité, magnétisme et lumière... le caractère de convertibilité ; les reconnaissant capables d'être tantôt cause et tantôt effet. 407 Mais d'où viennent ces forces, et où vont-elles, lorsqu'elles nous échappent ? Sur ce point, la science est muette.
405 Conflict between Religion and Science, p. 311.
406 Bunsen. La place de l'Egypte dans l'histoire universelle, vol. V, p. 88.
407 W.R. Grove. Preface to the correlation of Physical Forces.
408 Timée, p. 22.
409 A commencer par Godfrey Higgins et jusqu'à Max Müller, chaque archéologue et philologue, qui a honnêtement et sérieusement étudié les religions anciennes, a compris que prises à la lettre, elles ne pouvaient conduire que sur une fausse piste. Le Dr Lardner a défiguré et dénaturé les doctrines anciennes, volontairement ou involontairement. La pravritti, ou l'existence de la nature vivante en activité, et la nirvritti ou repos, l'état de l'absence de vie, est la doctrine ésotérique Bouddhique. Le "pur néant" ou la non-existence, dans son sens ésotérique signifie "l'esprit pur", le SANS NOM, ou quelque chose que notre intellect est incapable de saisir, et donc, rien. Mais nous en parlerons plus loin.
La théorie de la "corrélation des forces", bien que passant aux yeux de nos contemporains, pour la "plus grande découverte de notre temps", n'explique ni le commencement ni la fin d'une seule de ces forces ; elle n'en indique pas non plus la cause. Les forces peuvent être convertibles et l'une produire l'autre, mais, malgré tout, la science exacte est incapable d'expliquer l'alpha ou l'oméga du phénomène. En quoi donc sommes-nous en avance sur Platon qui, discutant dans le Timée sur les qualités primaires et secondaires de la matière 408, et sur la faiblesse de l'intelligence humaine, fait dire à Timée : "Dieu connaît les qualités originelles des choses ; l'homme ne peut espérer atteindre qu'à la probabilité. Nous n'avons qu'à ouvrir une des brochures de Huxley et de Tyndall, pour y trouver précisément le même aveu ; mais ils renchérissent sur Platon en n'accordant même pas à Dieu qu'il en sait plus long qu'eux ; et c'est peut- être là-dessus qu'ils fondent leurs prétentions à la supériorité ! Les anciens hindous fondaient leur doctrine de l'émanation et de l'absorption précisément sur cette loi. Le Tó 'Ov, le point primordial dans le cercle sans limites, "dont la circonférence n'est nulle part et le centre partout" émanant toutes choses, et les manifestant sous des formes multiples dans l'univers visible ; les formes changeant sans cesse, se mêlant, et après une transformation graduelle de l'esprit pur (ou le "néant" bouddhique) en la matière la plus grossière, commençant à se rétracter, et, graduellement à se replonger dans leur état [322] primitif, qui est l'absorption en Nirvana 409 ; qu'est-ce que tout cela sinon la loi de la corrélation des forces ?
La Science nous dit que la chaleur développe de l'électricité, et que l'électricité produit de la chaleur ; que le magnétisme produit de l'électricité et vice-versa. Elle nous dit que le mouvement résulte du mouvement même, et ainsi de suite, à l'infini. C'est l'A. B. C. de l'occultisme des premiers alchimistes. L'indestructibilité de la matière et de l'énergie étant découverte et prouvée par nos savants modernes, le grand problème de l'éternité est résolu. Qu'avons-nous besoin désormais de l'esprit ? Son inutilité n'est-elle point scientifiquement démontrée ?
Ainsi, les philosophes modernes n'ont pas fait un pas au-delà de ce que savaient les prêtres de Samothrace, les hindous, et même les Gnostiques Chrétiens. Les premiers l'ont démontré, dans l'ingénieux mythe des Dioscures, les "fils du ciel", les jumeaux dont parle Schweigger, " qui meurent et reviennent constamment ensemble à la vie parce qu'il est absolument indispensable que l'un meure pour que l'autre vive." Ils savaient aussi bien que nos physiciens que lorsqu'une force a disparu, elle s'est tout simplement transformée en une autre force. Bien que l'archéologie n'ait pas découvert d'appareil ancien pour ces conversions spéciales, nous sommes néanmoins fondés à affirmer, par déductions d'analogies, que presque toutes les religions anciennes étaient fondées sur l'indestructibilité de la matière et des forces, et en plus sur l'émanation du tout, hors d'un feu éthéré spirituel – ou soleil central, qui est Dieu ou esprit. C'est sur la connaissance de la potentialité résidant dans cet esprit qu'était basée l'ancienne magie théurgique.
Dans le commentaire manuscrit de Proclus sur la magie, il donne l'explication suivante : "De même que les amoureux procèdent graduellement de la beauté apparente dans les formes sensibles à celle qui est divine ; de même les prêtres de l'antiquité, lorsqu'ils jugeaient qu'il y a une certaine alliance et sympathie mutuellement entre les choses de la nature, entre celles visibles et les forces occultes et qu'ils découvraient que toutes choses subsistent en tout, ils créaient une science sacrée, sur cette sympathie mutuelle et de cette similarité. Ils reconnaissaient ainsi, dans les [323] choses secondaires, les choses suprêmes dont les premières sont l'image grossière ; ils voyaient dans les régions célestes les propriétés terrestres subsistant d'une façon causale et céleste, et sur la terre, les propriétés célestes selon la condition terrestre."
Proclus signale ensuite certaines particularités mystérieuses des plantes, des minéraux, des animaux, qui toutes sont bien connues de nos naturalistes, mais dont aucune n'est expliquée. Tel est le mouvement de rotation du tournesol, de l'héliotrope et du lotus qui, avant le lever du soleil, replient leurs feuilles, retirant pour ainsi dire leurs pétales en elles- mêmes, et les étalent ensuite petit à petit, à mesure que le soleil se lève, pour les replier de nouveau, lorsqu'il descend au couchant. Telle aussi la conduite des pierres solaires et lunaires, de l'héliosélène, du coq, du lion et d'autres animaux. "Or, dit-il, les anciens ayant étudié cette sympathie mutuelle des choses (célestes et terrestres), les appliquèrent pour des fins occultes de nature terrestre et céleste, et, par ce moyen, grâce à certaine similitude, ils attirèrent les vertus divines dans ce séjour inférieur... Toutes choses sont remplies de natures divines ; les natures terrestres recevant la plénitude de celles qui sont célestes ; mais les natures célestes les reçoivent à leur tour des essences super célestes, et chaque ordre procède graduellement en une belle descente, du plus haut au plus bas. 410 Car les éléments particuliers rassemblés en un seul, dans une région au-dessus de l'ordre de choses, se dilatent ensuite en descendant, diverses âmes étant ainsi distribuées, sous la conduite de leurs diverses divinités." 411
410 C'est exactement l'opposé de la théorie moderne de l'évolution.
411 Ficinus. Voir Excerpta et "Dissertation on Magie" ; Taylor. Platon Vol. 1, p. 63.
Evidemment Proclus ne défend pas par là une simple superstition, mais la science ; car tout en étant occulte et inconnue de nos savants qui en contestent la possibilité, la magie est une science. Elle est solidement et uniquement établie sur les mystérieuses affinités existant entre les corps organiques et inorganiques, productions visibles des quatre règnes, et les puissances invisibles de l'Univers. Ce que la science appelle gravitation, les hermétistes de l'antiquité et du moyen âge le nommaient magnétisme, attraction, affinité. C'est la loi universelle qui est comprise par Platon, et expliquée dans le Tinée, sous le nom d'attraction des corps plus petits par les plus grands, des corps semblables par leurs semblables, ces derniers dégageant une force magnétique, plutôt qu'ils ne suivent la loi de la gravitation. La formule antiaristotélienne : que la gravité fait tomber tous les corps avec une égale rapidité sans égard à leur poids, la différence étant causée par quelque [324] autre agent inconnu, semblerait devoir forcément s'appliquer avec plus de vérité au magnétisme qu'à la gravitation, puisque celui-ci attire plus en vertu de la substance, que du poids. Une connaissance complète et absolue des facultés occultes de chaque chose dans la nature, visible aussi bien qu'invisible ; leurs relations, leurs attractions et leurs répulsions mutuelles ; la cause de ces dernières, remontant jusqu'au principe spirituel qui pénètre et anime toutes choses ; l'aptitude à donner à ce principe les meilleures conditions de manifestation, en d'autres termes, la connaissance profonde et étendue des lois de la nature – telle était et telle est la base de la magie.
En passant en revue, dans ses notes sur Fantômes et Lutins, certains faits mis en avant par quelques illustres défenseurs des phénomènes spirites, tels que le professeur de Morgan, M. Robert Dale Owen et M. Wallace, parmi tant d'autres, M. Richard A. Proctor, dit qu'il "ne voit pas la portée des remarques suivantes du professeur Wallace : "Comment peut- on réfuter ou expliquer de pareilles preuves", dit Wallace en parlant d'un récit d'Owen ? Les preuves de cette nature, toutes aussi bien fondées, sont produites par centaines, mais on n'essaie même pas de les expliquer. On les ignore, et dans bien des cas on prétend qu'une explication est impossible". A cela M. Proctor répond, avec infiniment d'esprit, que comme "nos philosophes déclarent que, depuis longtemps, ils ont décidé que ces histoires de revenants ne sont que des illusions ; par conséquent il n'y a qu'à les ignorer ; ils sont fort ennuyés de voir présenter de nouvelles preuves, et faire de nouveaux convertis dont quelques-uns sont assez déraisonnables pour demander qu'on fasse un nouveau procès en alléguant que le premier verdict était contraire aux preuves."
Et il ajoute : "Tout cela est une raison excellente pour que les convertis ne soient pas tournés en ridicule à cause de leur foi ; mais il s'agit de mettre en avant quelque chose de plus probant pour que les philosophes consacrent de leur temps à étudier la question. Il faudrait montrer que le bien-être de l'humanité est largement en jeu dans cette affaire, tandis que la nature triviale de la conduite des revenants est admise même par ceux qui y croient !"
Mme Emma Hardinge Britten a réuni un grand nombre de faits authentiques tirés des journaux mondains et scientifiques, qui tendent à montrer avec quelles sérieuses questions nos savants remplacent quelquefois le sujet irritant des "fantômes et lutins". Elle reproduit d'un journal de Washington le rapport d'un de ces conclaves solennels, qui eut lieu le soir du 29 avril 1854. Le professeur Hare, de Philadelphie, l'éminent chimiste, si universellement respecté pour son caractère individuel, ainsi que pour sa vie de travail [325] pour la science, "fut malmené et réduit au silence" par le professeur Henry, dès qu'il toucha au spiritisme. "L'attitude impertinente d'un des membres de l'American Scientific Association D, dit l'auteur, "fut sanctionnée par la plupart des membres de ce corps distingué, et mentionnée ensuite par tous dans le procès-verbal. 412" Le matin suivant, dans le compte rendu de la session, le Sipitual Telegraph commenta ces événements comme suit :
"Il semblerait qu'un sujet de cette nature" (présenté par le professeur Hare "serait capable d'intéresser tout spécialement les savants. Mais l'American Association for the Promotion of Science 413 décida qu'il était indigne d'attention, ou alors qu'il était dangereux de s'en occuper, et que, par conséquent, ils déposeraient la requête sur le bureau. N'oublions pas, à ce sujet, de rappeler que l'American Association for the Promotion of Science aborda, pendant la même session, une discussion très savante, très étendue, très grave et très profonde, sur la cause qui faisait que les coqs chantaient entre minuit et une heure du matin". Sujet digne des philosophes ; il concerne, en outre, largement le bien-être de l'humanité entière.
Il suffit que l'on exprime la croyance qu'il existe une mystérieuse sympathie entre la vie de certaines plantes et celles des êtres humains pour être aussitôt tourné en ridicule. Malgré cela, les cas sont nombreux et bien prouvés, qui démontrent la réalité de cette affinité. Il y a eu des personnes qui sont tombées malades en même temps que l'on déracinait un arbre, planté le jour de leur naissance, et qui sont mortes le jour où l'arbre mourait. Et vice-versa, on a vu un arbre, planté dans les mêmes conditions, s'étioler et périr simultanément avec la personne, à la naissance de laquelle i1 avait été planté. M. Proctor dirait sans doute que le premier cas est un "effet de l'imagination", et le second une "curieuse coïncidence."
Max Müller cite un grand nombre de ces cas dans son essai On Manners and customs. Il montre que cette tradition populaire existe dans l'Amérique Centrale, dans l'Inde et en Allemagne. Il en suit la trace presque dans toute l'Europe, la constate chez les guerriers Maoris, en Guyane Britannique et en Asie. Passant en revue les Researches into the Early History of Mankind, de Tyler, ouvrage dans lequel sont réunies beaucoup de ces traditions, le grand philologue fait les observations très justes que voici : "Si on ne les trouvait que dans les récits hindous et allemands, nous pourrions les considérer comme appartenant aux anciens Aryens ; [326] mais lorsque nous les rencontrons encore en Amérique Centrale, il ne nous reste qu'à admettre une communication entre les colons européens et les conteurs américains indigènes... ou bien à chercher s'il n'y a pas d'élément intelligible et véritablement humain, dans cette prétendue sympathie entre la vie des fleurs et celle de l'homme."
412 Modern American Spiritualism, p. 119.
413 Le nom exact et complet de cette savante Société est The American Association for the Advancement of Science. On l'appelle toutefois pour simplifier The American Scientific Association.
La génération actuelle, qui ne croit à rien, en dehors de l'évidence superficielle de ses sens, rejettera sans doute jusqu'à l'idée d'un sympathique pouvoir, entre les plantes et les animaux et même les pierres. La taie qui couvre leur vue interne les empêche de voir autre chose que ce qu'il est impossible de nier. L'auteur du Dialogue Asclépien nous en fournit la raison, qui pourrait peut-être s'appliquer au temps présent, et expliquer cette épidémie d'incrédulité. Dans notre siècle, comme alors, "il y a une déplorable séparation entre la divinité et l'homme ; on ne croit ni n'entend plus rien en faveur du ciel, et toute voix divine est nécessairement réduite au silence." Ou, comme le disait l'empereur Julien, "la petite âme" du sceptique est "en vérité subtile ; mais elle ne voit rien par vision saine et sûre".
Nous sommes au bas d'un cycle, et évidemment dans un état de transition. Platon divise en périodes fécondes et stériles le progrès intellectuel de l'univers durant chaque cycle. Dans les régions sublunaires, les sphères des divers éléments, dit-il, restent éternellement en parfaite harmonie avec la nature divine ; "mais leurs parties", en raison d'une trop étroite proximité de la terre et de leur conjonction avec le terrestre (qui est matière et par conséquent le royaume du mal), "sont quelquefois en accord, et quelquefois en désaccord avec la nature (divine)." Lorsque ces circulations (qu'Eliphas Lévi nomme "les courants de lumière astrale"), dans l'éther universel, qui contient en lui chaque élément, s'opèrent en harmonie avec l'esprit divin, notre terre, et tout ce qui lui appartient jouissent d'une période fertile. Les puissances occultes des plantes, des animaux et des minéraux sympathisent magiquement avec les "natures supérieures", et l'âme divine de l'homme est en parfaite intelligence avec ces natures "inférieures". Mais pendant les périodes stériles, ces dernières perdent leur sympathie magique, et la vue spirituelle de la majorité du genre humain est aveuglée au point de perdre toute notion des pouvoirs supérieurs de son propre esprit divin. Nous sommes dans une période stérile : le XVIIIème siècle, durant lequel la fièvre maligne du scepticisme s'est si violemment déclarée, a greffé l'incrédulité, comme un mal héréditaire, sur le XIXème. L'intellect divin est voilé dans l'homme ; seul son cerveau animal raisonne.
La magie était jadis une science universelle, entièrement entre les mains du prêtre savant. Quoique le foyer en fût jalousement [327] gardé dans les sanctuaires, ses rayons illuminaient tout le genre humain. Comment expliquerait-on autrement l'extraordinaire identité de "superstitions", de coutumes, de traditions, et même de phrases, répétées en proverbes populaires, si répandus d'un pôle à l'autre, qu'on rencontre exactement les mêmes idées chez les Tartares et les Lapons, que chez les peuples du midi de l'Europe, les habitants des steppes russes, et les aborigènes d'Amérique du Nord et du Sud. Tyler montre par exemple qu'une des anciennes maximes de Pythagore : "Ne tisonnez point le feu avec un glaive", est aussi populaire chez une foule de nations qui n'ont jamais eu la moindre relation entre elles. Il cite De Plano Carsini, qui trouve que cette tradition était courante chez les Tartares dés 1246. Un Tartare ne consentirait à aucun prix à planter un couteau dans le feu, ni à le toucher avec un instrument tranchant ou pointu, de peur de couper "la tête du feu". Le Kamtchadal de l'Asie du Nord-Est le considère comme un grand péché. Les Indiens Sioux du Nord de l'Amérique ne toucheraient le feu, ni avec une aiguille, ni avec un couteau, ni avec un instrument tranchant. Les Kalmoucks partagent cette frayeur ; et un Abyssin mettrait plutôt ses bras nus jusqu'au coude dans un brasier, que de se servir auprès de lui d'un couteau ou d'une hache. Tyler qualifie également tous ces faits de "curieuses coïncidences." Toutefois Max Müller pense qu'ils perdent beaucoup de leur force, par le fait "qu'ils sont basés sur la doctrine de Pythagore."
Toute phrase de Pythagore, ainsi que c'est le cas pour la plupart des anciennes maximes, a une double signification ; et tandis qu'elle a un secs physique occulte, exprimé littéralement dans ses mots, elle renferme un précepte de morale qui est expliqué par Jamblique dans sa Vie de Pythagore. Ce "Ne creuse pas le feu avec un glaive" est le neuvième symbole, dans le Protreptique de ce Néo-platonicien. "Ce symbole, dit-il, exhorte à la prudence." II fait voir "qu'il ne faut pas opposer des mots tranchants à un homme plein du feu de la colère et ne pas discuter avec lui. Car, par des paroles impolies, vous troublerez et irriterez un ignorant, et vous-même vous en souffrirez. Héraclite atteste aussi la vérité de ce symbole. Car il dit : "II est difficile de lutter avec colère, car tout ce qu'on doit faire rachète l'âme." Et c'est très juste. En effet, en cédant à la colère, beaucoup changent les conditions de leur âme et rendent la mort préférable à la vie. Mais en gouvernant votre langue et en restant calme, l'amitié naît du conflit, le feu de la colère étant éteint et vous-même ne paraîtrez pas dépourvu d'intelligence." 414 [328]
414 Jamblique. De Vita Pythag., notes additionnelles (Taylor).
Nous avons eu parfois des craintes ; nous avons douté de l'impartialité de notre jugement, de notre compétence à critiquer avec tout le respect qui leur est dû les œuvres grandioses de nos philosophes modernes. Tyndall, Huxley, Spencer, Carpenter et quelques autres. Dans notre amour immodéré pour les "hommes de jadis", les sages primitifs, nous avons toujours craint de dépasser les limites de la Justice, et de refuser leur dû aux autres. Mais petit à petit, cette crainte naturelle a disparu, en présence de renforts inattendus. Nous avons constaté que nous n'étions qu'un faible écho de l'opinion publique, qui, malgré les obstacles, a trouvé quelque soulagement dans des articles pleins de valeur répandus dans les périodiques du pays. Un de ces articles parut dans le numéro de la National Quarterly Review de décembre 1875, sous le titre : "Nos philosophes sensationnels d'aujourd'hui." C'est un article très bien écrit, discutant sans crainte les prétentions de beaucoup de nos les savants à des découvertes nouvelles sur la nature de la matière, sur l'âme humaine, le mental, l'Univers. Comment l'Univers est venu à l'existence, etc... "Le monde religieux a été fort impressionné, dit l'auteur de l'article, et non peu ému des paroles d'hommes comme Spencer, Tyndall, Huxley, Proctor et quelques autres de la même école." Tout en reconnaissant volontiers ce que la Science doit à ces Messieurs, l'auteur leur conteste "très énergiquement" le droit de revendiquer la moindre découverte. Il n'y a rien de nouveau dans les spéculations même des plus avancés parmi eux ; rien qui ne fût connu et enseigné, sous une forme ou sous une autre, il y a des milliers d'années. Il ne dit pas que ces savants "présentent leurs théories comme s'ils les avaient découvertes ; mais ils laissent croire la chose, et les journaux font le reste... Le public qui n'a ni le temps, ni l'envie d'examiner les faits, adopte, de confiance, l'opinion des journaux... et se demande ce qui suivra ! Les prétendus inventeurs de ces étonnantes théories sont attaqués dans les journaux. Parfois, les fâcheux savants entreprennent leur propre défense, mais nous n'avons pas connaissance d'un seul cas où ils soient venus franchement dire : "Messieurs, ne nous en veuillez pas ; nous ne faisons que rééditer des histoires aussi vieilles que le monde." Cela eût été conforme à la vérité ; "Mais les savants et les philosophes eux-mêmes, ajoute l'auteur, ne sont pas toujours à l'épreuve de la faiblesse d'encourager toute opinion qui leur assurerait une place parmi les immortels. 415" [329]
Huxley, Tyndall et les autres sont devenus depuis peu les grands oracles, les "papes infaillibles" des dogmes du protoplasme, des molécules, des formes primordiales, et des atomes. Ils ont cueilli plus de lauriers et de palmes, pour leurs grandes découvertes, que Lucrèce, Cicéron, Plutarque et Sénèque n'avaient de cheveux sur la tête. Et pourtant, les œuvres de ces derniers fourmillent d'idées sur le protoplasme, les formes primordiales, sans parler des atomes, qui ont fait donner à Démocrite, le nom de philosophe atomiste. Dans la même Revue, nous trouvons cette dénonciation suivante surprenante :
"Qui, parmi les gogos, n'a été surpris dans le courant de l'année dernière, des merveilleux résultats obtenus avec l'oxygène ! Quel étonnement Tyndall et Huxley n'ont-ils pas déchaîné en proclamant de leur manière doctorale et ingénieuse exactement les mêmes doctrines que nous avions citées d'après Liebig ; et cependant, en 1840 le professeur Lyon Playfair avait traduit en Anglais œuvres les plus avancées du baron Liebig 416 !"
Et l'auteur ajoute : "Une autre récente déclaration qui a surpris un grand nombre de personnes pieuses et simples, est celle que chaque pensée que nous exprimons, ou que nous essayons d'exprimer, produit un changement dans la substance cérébrale. Mais nos philosophes n'avaient qu'à consulter le livre du baron de Liebig pour trouver cela et bien d'autres choses encore. Ainsi, par exemple, ce savant proclame que "la physiologie a des raisons suffisantes et décisives pour formuler l'opinion que chaque pensée, chaque sensation est accompagnée d'un changement dans la composition de la substance cérébrale ; que chaque mouvement, chaque manifestation de force est le résultat d'une transformation dans sa structure ou dans sa substance." 417
415 The National Quarterly Review ; déc. 1875.
416 Ibidem, p. 94.
417 Force and matter, p. 151.
Ainsi, dans les sensationnelles conférences de Tyndall, nous pouvons suivre, page par page, les notions de Liebig, entremêlées de temps en temps de pensées encore plus anciennes, empruntées à Démocrite et autres philosophes Païens. Tout son bagage scientifique consiste en un pot pourri d'anciennes hypothèses, élevées par la grande autorité du jour au rang de formules quasi démontrées, et, présentées avec cette phraséologie pathétique, pittoresque, mielleuse et hautement éloquente qui lui est propre.
Le même chroniqueur nous fait voir en outre nombre d'idées identiques et les matériaux nécessaires pour démontrer les grandes découvertes de Tyndall et d'Huxley, dans les ouvrages du Dr Joseph Priestley, auteur de Disquisitions on matter and Spirit (Dissertations [330] sur la Matière et l'Esprit), et même dans la Philosophy of History (Philosophie de l'Histoire) de Herder.
"Priestley, dit l'auteur, ne fut pas inquiété par le gouvernement, uniquement parce qu'il n'avait pas l'ambition d'acquérir la renommée, en criant, sur les toits, ses opinions athées. Ce philosophe... est l'auteur de soixante-dix à quatre-vingts volumes, et il a découvert l'oxygène. C'est dans ces nombreux ouvrages qu'il a "mis en avant des idées identiques à celles qui ont été trouvées aussi "saisissantes", aussi "hardies", etc... que ce qu'ont déclaré nos philosophes modernes.
Nos lecteurs, ajoute-t-il, se souviennent de l'émotion produite dans le monde philosophique, par les déclarations de quelques-uns de nos idéologues modernes, sur l'origine et la nature des idées, mais ces déclarations, comme beaucoup d'autres qui les ont précédées et suivies, ne contenaient rien de nouveau." "Une idée, dit Plutarque, est un être incorporel, qui n'a point d'existence par lui-même, mais qui donne figure et forme à la matière informe, et devient la cause de sa manifestation" (Plutarque. De Placitio Philosophorum).
Certes, pas un athée moderne, y compris M. Huxley, ne peut dépasser Epicure en matérialisme ; il ne peut que le singer. Qu'est-ce que son "protoplasme", sinon un réchauffé des spéculations des Swabhavikas ou Panthéistes hindous, qui affirment que toutes choses, les dieux aussi bien que les hommes et les animaux, sont issus de Swabhava ou leur propre nature 418 ? Quant à Epicure, voici ce que lui fait dire Lucrèce : "L'âme produite de la sorte doit être matérielle, parce que nous la voyons sortir d'une source matérielle ; parce qu'elle existe et qu'elle existe seule dans un système matériel ; parce qu'elle est nourrie d'aliments matériels ; qu'elle se développe avec le corps, mûrit avec lui, et décline lorsqu'il déchoit ; d'où il suit que, qu'elle appartienne à l'homme ou à la brute, elle doit mourir à sa mort." Rappelons, toutefois, au lecteur, qu'Epicure parle ici de l'Ame Astrale, et non de l'Esprit Divin. Cependant, si nous comprenons bien ce qui précède, le protoplasme de mouton de M. Huxley est d'une très ancienne origine, et peut revendiquer Athènes comme patrie, et comme berceau le cerveau du vieil Epicure.
Dans un autre passage, l'auteur que nous citons, craignant d'être mal compris et accusé de déprécier les travaux de nos savants, termine son étude en disant : "Nous voulons simplement prouver que tout au moins la partie du public qui se considère comme intelligente et instruite, devrait cultiver ses souvenirs, [331] et se rappeler, mieux qu'elle ne le fait, les penseurs"de pointe" du passé. Ce sont surtout ceux qui, soit à la tribune, soit dans la chaire, entreprennent d'instruire ceux qui acceptent leur enseignement, qui devraient ne pas oublier aussi facilement les anciens. Il y aurait ainsi moins de conceptions mal fondées, moins de charlatanisme, et surtout moins de plagiats qu'il n'y en a 419."
418 Burnouf. Introduction, p. 118.
419 The National Quarterly Reniew, déc. 1875, p. 96.
Cudworth remarque, avec raison, que la plus profonde ignorance, dont nos prétendus sages modernes accusent les anciens, est leur croyance à l'immortalité de l'âme. Comme le vieux sceptique Grec, nos savants ont peur, s'ils admettent l'existence des esprits et des apparitions, d'être obligés d'admettre aussi l'existence de Dieu ; et rien ne leur paraît trop absurde, pourvu qu'ils réussissent à écarter l'existence de Dieu. La grande armée des matérialistes de l'antiquité, pour sceptiques qu'ils nous paraissent aujourd'hui, pensaient différemment ; Epicure, qui rejetait l'immortalité de l'âme, croyait néanmoins en Dieu, et Démocrite reconnaissait formellement la réalité des apparitions. La plupart des sages de l'antiquité croyaient à la préexistence et aux pouvoirs divins de l'esprit humain. C'est sur cette foi que la magie de Babylone et de la Perse fondait sa doctrine de machagistia. Les Oracles Chaldéens, que Plettho et Psellus ont tant commentés, exposaient et amplifiaient constamment leurs témoignages dans ce sens. Zoroastre, Pythagore, Epicharme, Empédocle, Kebes, Euripide, Platon, Euclide, Philon, Boëthe, Virgile, Cicéron, Plotin, Jamblique, Proclus, Psellus, Synesius, Origène, et enfin Aristote lui-même, loin de nier notre immortalité, l'affirment très formellement. Comme Cardon et Pompanatius, "qui n'étaient point partisans de l'immortalité de l'âme, dit Henry More, Aristote conclut expressément que l'âme rationnelle est un être distinct de l'âme du monde, quoique d'une même essence, et qu'elle préexiste avant de venir dans le corps. 420"
Des années se sont écoulées depuis que le comte Joseph de Maistre écrivait une phrase qui, si elle s'adapte à l'époque voltairienne pendant laquelle il vivait, s'appliquerait encore bien mieux à notre ère de scepticisme outrancier. "J'ai entendu", dit cet éminent écrivain,", j'ai entendu et lu des plaisanteries sans nombre sur l'ignorance des anciens qui voyaient toujours des esprits partout ; il me semble que nous sommes bien plus imbéciles encore que nos ancêtres, en nous obstinant à n'en voir jamais nulle part. 421"
420De Anima, lib. I, cap. 3.
421 De Maistre. Soirées de Saint-Pétersbourg.