POURQUOI LA THÉOSOPHIE EST-ELLE ACCEPTÉE ?
Question – Oui, je comprends jusqu'à un certain point ; mais je vois aussi que vos enseignements sont infiniment plus compliqués et plus métaphysiques que ceux du Spiritisme ou de la religion, telle qu'elle est généralement comprise. Pourriez-vous me dire pourquoi ce système de Théosophie, dont vous prenez la défense, a éveillé tant d'intérêt et tant d'animosité à la fois ?
Réponse – Il y a, je crois, plusieurs raisons pour cela : – entre autres, en premier lieu, la grande réaction produite contre les grossières théories matérialistes qui sont actuellement en vigueur dans les enseignements scientifiques. Secondement, le mécontentement général dû à la théologie formaliste des différentes Églises chrétiennes, et au nombre toujours croissant de sectes hostiles les unes aux autres. Troisièmement, une compréhension de plus en plus claire du fait que les croyances, qui se contredisent ainsi elles-mêmes, d'une façon si évidente, ne peuvent pas être vraies, et que les prétentions qui ne se vérifient pas, ne peuvent pas être réelles. La défiance naturelle qu'inspirent ces religions conventionnelles est encore [53] fortifiée par leur complet insuccès à conserver les principes de la morale et à purifier la société et la foule. Quatrièmement, la conviction de plusieurs personnes, et la certitude d'un petit nombre d'entre elles, qu'il doit exister un système philosophique et religieux qui, au lieu d'être basé sur des suppositions, soit scientifique. Enfin, peut-être aussi, la croyance que ce système doit être cherché en des enseignements infiniment plus anciens que les religions modernes.
Question – Mais comment se fait-il que ce système ait paru tout juste à présent ?
Réponse – Parce que le moment est venu, comme le prouve la détermination avec laquelle tant de travailleurs sérieux se sont mis à la recherche de la Vérité, dans le désir de la trouver à tout prix et n'importe où elle se trouve cachée. Voilà pourquoi les gardiens de cette Vérité ont permis que quelques parties, au moins, en fussent divulguées. Si la Société théosophique ne s'était organisée que quelques années plus tard, une moitié des Nations civilisées serait devenue foncièrement matérialiste, tandis que l'autre moitié se serait divisée en Anthropomorphistes (chrétiens orthodoxis) et en phénoménalistes (spirites).
Question – La Théosophie doit-elle être considérée en quelque sorte comme une révélation ?
Réponse – En aucune façon ; pas même comme une divulgation nouvelle venant directement d'êtres supérieurs, surnaturels, ou tout au moins [54] surhumains. Mais le voile qui couvre les plus anciennes vérités a été soulevé, afin de les faire apercevoir de ceux qui, non-seulement les avaient ignorées jusqu'ici, mais qui ne se doutaient pas même de l'existence et de la conservation de cette connaissance archaïque 4.
4 Il est en vogue, surtout depuis quelque temps, de tourner en ridicule l'idée qu'il pût y avoir autre chose que l'imposture des prêtres dans les "Mystères" des grands peuples civilisés, comme les Égyptiens, les Grecs ou les Romains. Même les Rose-Croix ne doivent avoir été que des hommes fous et trompeurs à la fois. Ils ont fait le sujet de bon nombre de livres ; et bien des débutants qui, il y a quelques années, avaient à peine entendu le nom de Rose-Croix, se sont posés en critiques profonds, parfaitement renseignés au sujet de l'alchimie, des philosophes du feu, et du mysticisme en général. Et pourtant une longue série de Hiérophantes, en Égypte, aux Indes, en Chaldée et en Arabie, avec les plus grands philosophes et les sages de la Grèce et de l'Occident, comprenaient toute connaissance sous la désignation de Sagesse et de Science divine ; car ils considéraient comme essentiellement divines la base et l'origine de chaque science. Les mystères étaient sacrés aux yeux de Platon, et Clément d'Alexandrie, qui avait lui-même été initié aux mystères d'Eleusis, a déclaré que "les doctrines qui y étaient enseignées renfermaient le dernier mot de la connaissance humaine". Nous nous demandons si Platon et Clément étaient deux imposteurs, deux fous – ou l'un et l'autre ?
Question – Vous avez parlé de "persécution". Si la vérité est telle que la Théosophie la représente, pourquoi, au lieu d'être généralement acceptée, a-t-elle rencontré tant d'opposition ?
Réponse – Encore une fois, pour bien des raisons, [55] parmi lesquelles se trouve la haine avec laquelle les hommes accueillent, d'ordinaire, ce qu'ils appellent des "innovations". L'Egoïsme est essentiellement conservateur, et déteste tout ce qui le trouble ; il préfère un mensonge qui n'est pas gênant, un mensonge facile, à la plus grande vérité, si celle-ci exige le sacrifice de son moindre confort. L'inertie mentale est puissante en présence de tout ce qui ne promet pas immédiatement un avantage et une récompense. Notre siècle est pratique avant tout, et manque de spiritualité. De plus, les enseignements de la Théosophie ont une apparence peu familière ; ses doctrines sont d'une nature très abstruse et contredisent entièrement plusieurs conceptions humaines chéries des sectaires et profondément enracinées dans les croyances populaires. Ajoutons à cela les efforts personnels, ainsi que la grande pureté de mœurs, exigés de ceux qui voudraient devenir disciples du cercle intérieur ; ensuite le nombre très restreint de personnes qui se sentent attirées vers une vie d'entière abnégation ; et il sera facile de comprendre pourquoi la Théosophie est condamnée à progresser si lentement et si péniblement. Car c'est essentiellement la philosophie de ceux qui souffrent, et qui ont perdu tout espoir de sortir de la fange de la vie par d'autres moyens. Du reste, l'histoire de tout système de croyance ou de morale, nouvellement planté dans un sol étranger, prouve que les premiers progrès en ont [56] été entravés par tout ce que l'égoïsme et l'ignorance ont pu suggérer en fait d'obstacles. Vraiment, "la couronne de l'innovateur est une couronne d'épines !" Ce n'est pas sans danger que l'on peut démolir les vieux édifices tombant en ruines.
Question – Tout ce que vous me dites-là concerne la philosophie et les principes de Morale de la Société Théosophique. Pourriez-vous me donner une idée générale de la Société en elle-même de ses objets et de ses statuts ?
Réponse – Voilà ce qui n'a jamais été un secret. Demandez, et l'on vous répondra catégoriquement.
Question – Mais j'ai entendu dire que vous prêtez serment ?
Réponse – Cela ne regarde que la Section "Exotérique" ou secrète.
Question – Il paraît aussi que quelques-uns des Membres, après s'être retirés, ne se sont pas considérés liés par le serment qu'ils avaient prêté. Ont-ils raison ?
Réponse – C'est preuve qu'ils ne possèdent qu'une notion imparfaite de l'honneur. Comment peuvent-ils avoir raison ? Le Path, notre organe théosophique, à New-York, dit fort bien, en parlant de circonstances analogues :
"Supposons qu'un soldat soit jugé pour avoir trahi son serment et avoir manqué à la discipline, et qu'il soit dégradé du service. Furieux de [57] s'être attiré cette condamnation, quoiqu'il eût été clairement averti à l'avance des peines qu'il encourait, s'il transgressait la loi, il tourne à l'ennemi avec de faux renseignements ; il se fait traître et espion pour se venger de son ancien chef, et il prétend que son châtiment l'a délié de son serment de loyauté à la cause qu'il a servie".
Pensez-vous qu'il soit justifié dans sa conduite ? Ne mérite-t-il pas d'être appelé un homme sans honneur et un lâche ?
Question – Telle est aussi mon opinion ; mais il y a des personnes qui ne pensent pas ainsi.
Réponse – Plaignons-les. Et remettons ce sujet à plus tard, si vous voulez.
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