VII
—
ÉTATS DIVERS APRÈS LA MORT
L'HOMME PHYSIQUE ET L'HOMME SPIRITUEL
Question – Je me réjouis de vous entendre dire que vous croyez à l'immortalité de l'Ame.
Réponse – Pas à celle de l' "Ame", mais à celle de l'Esprit divin ; ou plutôt à l'immortalité de l'Ego réincarnant.
Question – Quelle différence cela fait-il ?
Réponse – Une très grande différence, d'après notre philosophie ; mais cette question est trop abstruse et trop difficile pour être traitée légèrement. Il faudra analyser l'Ame et l'Esprit séparément, et puis conjointement. Commençons par l'Esprit.
Nous disons que l'Esprit (le "Père en Secret" dont parle Jésus) ou Atman, n'est la propriété individuelle d'aucun homme, mais est l'Essence Divine, sans corps ni forme, impondérable, invisible et indivisible, ce qui n'existe point et qui pourtant est, comme disent les Bouddhistes, au sujet de Nirvana. Cet Esprit couvre seulement le [145] mortel de son ombre ; ce qui entre dans l'homme et envahit le corps tout entier n'étant que les rayons omniprésents, ou la lumière qui rayonne à travers Buddhi, le véhicule et l'émanation directe de l'Esprit. Telle est la signification secrète des assertions de la plupart des anciens philosophes, lorsqu'ils disent que "la partie rationnelle de l'Ame humaine" 23 n'entre jamais entièrement dans l'homme, mais le couvre plus ou moins de son ombre, à travers l'Ame Spirituelle irrationnelle ou Buddhi 24.
23 Dans son sens générique, le mot "rationnel" signifie quelque chose qui émane de la Sagesse Éternelle.
24 Irrationnelle, dans ce sens que, prise comme émanation pure de l'Intelligence Universelle, elle ne peut avoir aucune raison individuelle, qui lui soit propre, sur notre plan matériel ; mais, de même que la Lune emprunte sa lumière au Soleil et sa vie à la terre, Buddhi reçoit sa lumière de Sagesse d'Atma et ses qualités rationnelles de Manas. En soi, en tant qu'homogène, Buddhi n'a pas d'attributs.
Question – J'avais l'impression que l' "Ame Animale" seule était irrationnelle, et non point l'Ame Divine.
Réponse – Il vous faudra apprendre la différence qui existe entre ce qui est négativement ou passivement "irrationnel", parce que ce n'est point différencié, et ce qui, étant trop actif et trop positif, devient par cela même également irrationnel. L'homme est un ensemble de pouvoirs spirituels, aussi bien qu'un ensemble de forces chimiques et [146] physiques, le tout mis en fonctionnement par ce que nous appelons des "principes".
Question – J'ai beaucoup lu à ce sujet ; et il me semble que les notions des anciens philosophes différent beaucoup de celles des Kabbalistes du Moyen-âge, bien qu'elles aient quelques points de rapport entre elles.
Réponse – Voici quelle est la différence la plus importante entre les Kabbalistes et nous : tandis que nous croyons, d'après les enseignements Orientaux et Néo-Platoniciens, que l'esprit (Atma) ne descend jamais en entier dans l'homme vivant, mais baigne plus ou moins de son rayonnement l'homme intérieur (le composé psychique et spirituel des principes astraux), les Kabbalistes soutiennent que l'Esprit humain, se détachant de l'océan de lumière de l'Esprit Universel, entre dans l'Ame de l'homme et y reste, durant la vie, emprisonné dans la capsule astrale. Telle est aussi l'opinion de tous les Kabbalistes Chrétiens, qui ne réussissent pas à s'affranchir complètement de leurs doctrines Bibliques et anthropomorphiques.
Question – Et que dites-vous ?
Réponse – Nous n'admettons que la présence de la radiation de l'Esprit (Atma) dans l'enveloppe astrale, et seulement en tant qu'il s'agit du rayonnement spirituel. Nous disons que l'homme et l'Ame doivent conquérir leur immortalité, en s'élevant vers l'Unité, à laquelle, s'ils réussissent, ils seront enfin unis et dans laquelle ils finiront par [147] être, pour ainsi dire, absorbés ; l'individualité de l'homme, après la mort, dépend de l'Esprit, et non point de l'Ame ou du corps. Bien que l'expression de "personnalité", dans le sens que l'on y attache d'ordinaire, soit une absurdité, lorsqu'elle est appliquée littéralement à notre essence immortelle, notre personnalité est, cependant, comme notre Ego individuel, une entité distincte, immortelle et éternelle, en soi. Ce n'est que lorsqu'il s'agit des Magiciens noirs ou de criminels sans rédemption possible, qui ont été criminels pendant une longue série d'existences, que le fil lumineux qui relie l'Esprit à l'âme personnelle, depuis le moment de la naissance de l'enfant, est violemment rompu, et que l'entité désincarnée est séparée de l'âme personnelle, ne conservant pas la plus légère impression de celle-ci, qui est complètement annihilée. Si cette union du Manas inférieur et personnel avec l'Ego individuel et réincarnant n'a pas lieu pendant la vie, le Manas personnel partage le sort des animaux inférieurs : il se dissout peu à peu dans l'éther, et sa personnalité est détruite. Mais l'Ego reste, même alors, un être distinct. Il (l'Ego Spirituel) ne perd, après cette vie devenue inutile, que le seul état Dévakhanique, dont il aurait joui, comme cette Personnalité idéalisée, et il se réincarne presque immédiatement, après une courte période de liberté comme Esprit planétaire.
Question – Il est dit, dans Isis dévoilée, que ces [148] Esprits Planétaires ou ces anges, "les dieux des Payens et les Archanges des Chrétiens", seront jamais des hommes sur notre planète.
Réponse – C'est parfaitement juste ; non point "ceux-Là", mais quelques classes d'Esprits Planétaires supérieurs. Ils ne seront jamais hommes sur cette planète, parce que ce sont des Esprits libérés d'un monde précédent, et que, par conséquent, ils ne peuvent pas redevenir hommes dans ce monde-ci. Pourtant, ils revivront tous dans le prochain Mahâmanvantara, bien supérieur à celui-ci, lorsque ce "Grand Age" et le "Brahma pralaya" (une petite période qui ne compte pas moins de 16 chiffres) seront passés. Car vous avez naturellement entendu dire que l'humanité est composée de tels "Esprits"emprisonnés dans les corps humains. La différence qui existe entre les animaux et les hommes consiste en ceci : les animaux sont animés potentiellement par les "principes", tandis que les hommes le sont activement. Comprenez-vous cette différence ?
Question – Oui, mais cette spécification a été, de tous temps, la "pierre d'achoppement" des métaphysiciens.
Réponse – Certainement. Tout l'ésotérisme de la philosophie Bouddhiste est basé sur cet enseignement mystérieux, compris de bien peu de personnes et tout à fait mal interprété par une grande partie des savants modernes les plus érudits. Les métaphysiciens eux-mêmes commettent [149] trop souvent l'erreur de confondre l'effet avec la cause. Un Ego qui, comme esprit, a gagné son immortalité, restera toujours le même Soi intérieur à travers toutes ses renaissances sur la terre ; mais il n'en résulte pas nécessairement qu'il devra rester le Mr. Smith ou le Mr. Brown qu'il a été sur la terre, ou perdre son individualité. Voilà pourquoi, dans le sombre ci-après, l'âme astrale et le corps terrestre de l'homme peuvent être absorbés dans l'Océan Cosmique d'éléments sublimés, le dernier Ego personnel peut cesser d'exister (s'il n'a pas mérité de s'élever plus haut) ; mais l'Ego divin reste toujours la même entité, bien que cette expérience terrestre de son émanation puisse être entièrement effacée, dès l'instant de sa séparation d'avec ce véhicule indigne de lui.
Question – Si "l'Esprit", ou la partie divine de l'Ame, a préexisté, comme être distinct, de toute éternité, ainsi que l'ont enseigné Origéne, Synésius et d'autres philosophes. à moitié Chrétiens et à moitié Platoniciens, et si ce n'est autre chose que l'âme métaphysiquement objective, comment pourrait-elle ne pas être éternelle ? Et, dans ce cas-là, qu'importe que l'homme mène une vie pure ou une vie animale, puisque, de toute façon, il ne peut jamais perdre son individualité ?
Réponse – Cette doctrine, telle que vous venez de la présenter, a des conséquences aussi funestes que celles du sacrifice expiatoire. Si ce dogme [150] (du sacrifice expiatoire), ainsi que l'idée fausse "l'immortalité universelle du genre humain, avaient été démontrés au monde, sous leur vraie lumière l'humanité en aurait retiré un véritable avantage pour son développement.
Je vous répéterai, encore une fois, ce qui en est.
Pythagore, Platon, Timée de Locris, et l'antique école d'Alexandrie, faisaient descendre l'Ame de l'homme (ou ses "principes" et attributs supérieurs) de l'Ame Universelle du Monde, qui, d'après leurs enseignements, était Æther (Pater-Zeus). Par conséquent, aucun de ses "principes" ne peut être l'essence pure de la Monade de Pythagore, ou de notre Atma-Buddhi, car L'Anima Mundi n'en est que l'effet, l'émanation subjective ou plutôt la radiation.
L'esprit humain (ou l'individualité), l'Ego spirituel réincarnant, et Buddhi, l'Ame Spirituelle, sont l'un et l'autre préexistants. Mais, tandis que le premier des deux existe comme une entité distincte, individualisée, l'âme n'est qu'un souffle préexistant ; une partie inconsciente d'un entier intelligent. Tous deux tirent leur origine de l'Éternel Océan de lumière ; mais, comme le dirent les Philosophes du Feu, les Théosophes du Moyen- âge, il y a dans le feu un esprit visible et un esprit invisible. Ils voyaient une différence entre l'anima bruta et l'anima divina. Empédocle croyait fermement que tous les hommes et les animaux possédaient [151] deux âmes, et nous lisons dans Aristote qu'il appelait l'une l'âme raisonnante : voǔς, et l'autre, l'âme animale : ψuχή.
D'après ces philosophes, cette âme raisonnante provient de l'intérieur
de l'Ame Universelle, et l'autre, de l'extérieur.
Question – Appelleriez-vous matière l'Ame, c'est-à-dire l'Ame humaine pensante, ce que vous désignez sous le nom d'Ego ?
Réponse – Non pas matière, mais bien certainement Substance ; et l'on pourrait aussi employer le mot matière, pourvu qu'il fût précédé de l'adjectif primordiale. Cette matière, disons-nous, est co-éternelle avec l'Esprit, et ce n'est pas notre matière visible, tangible et divisible, mais son extrême sublimation. L'Esprit pur n'est éloigné que d'un degré de ce qui est Non-Esprit, le Tout absolu. A moins d'admettre que l'homme est issu de cet Esprit matière primordial et représente une véritable échelle progressive de "principes", depuis le Meta-Esprit jusqu'à la matière la plus grossière, comment pourrions-nous jamais en venir à considérer l'homme intérieur comme immortel, et à reconnaître dans l'être humain, en même temps, une Entité Spirituelle et un homme mortel ?
Question – Pourquoi, alors, ne voyez-vous pas en Dieu une Entité semblable ?
Réponse – Parce que ce qui est infini et non-conditionné ne peut avoir de forme et ne peut [152] pas être un être, d'après toute philosophie Orientale digne de ce nom. Une entité est immortelle, mais dans sa dernière essence seulement, et non dans sa forme individuelle ; arrivée au point final de son cycle, elle est absorbée par sa nature primordiale et perd le nom d'Entité, lorsqu'elle devient Esprit. Son immortalité, sous une forme quelconque, est limitée à son cycle de vie ou Mahâmanvantara ; après quoi, elle redevient une et identique avec l'Esprit Universel et cesse d'être une Entité séparée. Pour ce qui concerne l'Ame personnelle – c'est-à-dire l'étincelle de conscience qui, dans l'Ego Spirituel, conserve l'idée du "Moi" personnel de la dernière incarnation – elle ne dure, comme souvenir séparé et distinct, que l'espace de la période Dévakhanique ; Après quoi, elle est ajoutée à la série des autres incarnations innombrables de l'Ego, comme, dans notre mémoire, le souvenir d'une seule journée, dans une longue suite de jours, à la fin d'une année. Voudriez-vous enchaîner par des conditions finies l'Infini que vous connaissez comme notre Dieu ? Il n'y a d'immortel que ce qui est indissolument uni l'un à l'autre par Atma : Buddhi-Manas. L'Ame de l'homme (de la personnalité) n'est en soi-même ni immortelle, ni éternelle, ni divine. Voici ce que dit le Zohar (vol. III, p. 616) : "L'âme envoyée sur cette terre s'enveloppe d'un vêtement terrestre, afin de se garantir ici ; et de même elle reçoit, en haut, un vêtement brillant, [153] afin de pouvoir regarder sans danger dans le miroir qui reflète la lumière du Seigneur de Lumière".
Le Zohar enseigne, en outre, que l'âme ne peut point atteindre la région de la béatitude, sans avoir reçu le "saint baiser", ce qui signifie la réunion de l'âme avec la Substance dont elle est émanée : l'Esprit.
Toutes les âmes sont doubles, et tandis que l'âme proprement dite est un principe féminin, l'Esprit est masculin. Emprisonné dans son corps, l'homme forme une trinité, à moins que son impureté soit telle qu'elle amène son divorce d'avec l'Esprit.
"Malheur à l'âme qui préfère à son divin époux (l'Esprit), l'union terrestre avec le corps Matériel" – dit un texte d'un ouvrage Hermétique, le Livre des Clefs. Malheur, en effet, car il ne restera, de cette personnalité, absolument aucun souvenir sur les tablettes impérissables de la mémoire de l'Ego.
Question – Comment est-il possible que ce qui, d'après vos propres paroles, est d'une substance identique à la substance divine, bien que n'ayant pas été insufflé dans l'homme par Dieu, ne soit pas immortel ?
Réponse – Chaque atome et chaque grain de matière et non point de substance seulement, est impérissable dans son essence, mais non pas dans sa conscience individuelle. L'Immortalité n'est autre chose que notre état de conscience non interrompu ; [154] mais il faut avouer, n'est-ce pas ?
Que la conscience personnelle ne peut guère durer plus longtemps que la personnalité elle-même. Et, comme je viens de le dire, cette conscience ne survit que pendant la durée du Dévakhan, après quoi, elle est absorbée, d'abord, dans la conscience individuelle et ensuite dans la conscience universelle. Vous feriez mieux de demander à vos théologiens comment ils en sont venus à produire une telle confusion dans les Ecritures Juives. Lisez la Bible, si vous voulez obtenir urne preuve excellente que les auteurs du Pentateuque, et tout spécialement de la Genèse, n'ont jamais considéré Nephesh, ce que Dieu insuffle en Adam (Gen. ch. II), comme l'Ame immortelle. En voici des exemples : "Et Dieu créa... chaque nephesh, (vie) qui se meut" (Gen. I, 21). Cela se rapporte aux animaux. Ensuite il est dit (Gen. II, 7) : "Et l'homme devint un nephesh" (âme vivante), ce qui prouve que le mot nephesh est employé indifféremment pour indiquer l'homme immortel et la bête mortelle. "Et sûrement je vous redemanderai le sang de vos nepheshim (vies) ; je le redemanderai de chaque animal, et de l'homme" (Gen. IX, 5). "Sauve-toi pour nephesh" (on a traduit, sauve-toi pour ta vie) (Gen. XIX, 17). "Ne le tuons pas", dit la version Anglaise (Gen. XXXVII, 21). Le texte Hébreu est : "Ne tuons pas son nephesh". "Nephesh pour nephesh" (Lévitique, XVII, 8). "Celui qui tue un homme sera sûrement mis à mort", littéralement : "Celui qui frappe le [155] nephesh d'un homme" (Lév. XXIV, 17). Au verset 18 et aux suivants, il y a : "Et celui qui tue une bête (nephesh) la rendra bête pour bête", tandis que l'on trouve dans le texte original "nephesh pour nephesh". Comment l'homme pourrait-il tuer ce qui est immortel ? Voilà ce qui explique aussi pourquoi les Saducéens niaient l'immortalité de l'âme, et l'on y rencontre également une preuve de plus que, très probablement, les Juifs de la loi Mosaïque, ceux qui n'étaient pas initiés, au moins, ne crurent jamais à la persistance de l'existence de l'âme.