QUELQUES MOTS AU SUJET DES SKANDHAS
Question – Quelle est, après la mort, la destinée des Skandhas inférieurs, ceux de la personnalité ? – Sont-ils entièrement détruits ?
Réponse – Ils le sont et ne le sont pas : – vous voilà placé devant un nouveau mystère occulte et métaphysique. Comme facultés actives de la personnalité, ils sont détruits ; mais comme effets karmiques, ils restent sous forme de germes, suspendus dans l'atmosphère du plan terrestre, prêts à revenir à la vie, comme autant d'ennemis criant vengeance, qui s'attachent à la, nouvelle personnalité de l'Ego, lorsqu'il se réincarne.
Question – Voilà ce qui dépasse ma compréhension, et me semble très difficile à saisir. [217]
Réponse – Cela ne vous paraîtra plus ainsi, lorsque vous en aurez assimilé tous les détails ; car vous verrez alors que cette doctrine de la Réincarnation n'a pas sa pareille sur la terre, en logique, en conséquences, en profonde philosophie, en divine miséricorde, en équité. C'est une croyance de progrès perpétuel pour chaque Ego, ou chaque âme divine, qui s'incarne ; c'est l'évolution de l'extérieur vers l'intérieur, du matériel vers le spirituel, qui, à la fin de chaque phase, atteint à l'Unité absolue avec le Principe divin. De force en force, de la beauté et de la perfection d'un plan à la plus grande beauté et à la perfection plus grande d'un autre plan, avec accroissement de gloire et de connaissances nouvelles, ainsi que de pouvoir nouveau, dans chaque cycle, telle est la destinée de chaque Ego, qui ainsi devient son propre Sauveur, dans chaque monde et à chaque incarnation.
Question – Mais ce n'est pas autre chose que l'enseignement du christianisme, qui prêche aussi le progrès.
Réponse – Oui, mais en y ajoutant encore autre chose. Le Christianisme nous dit qu'il est impossible d'obtenir le salut, sans l'intervention d'un Sauveur miraculeux ; et, par conséquent, tous ceux qui ne veulent pas accepter ce dogme sont condamnés à la perdition. Voilà précisément la différence qui existe entre la Théologie Chrétienne et la Théosophie. La première oblige à [218] croire à la descente de l'Ego spirituel dans le Soi inférieur ; la seconde inculque la nécessité de chercher à s'élever vers le Christos, qui est l'état de Bouddha.
Question – Ne croyez-vous pas que l'enseignement de l'annihilation de la conscience, lorsqu'il y a insuccès, revient à enseigner l'annihilation du Soi, dans l'opinion des individus peu versés dans la métaphysique ?
Réponse – Certainement, au point de vue de ceux qui croient littéralement à la résurrection du corps, et qui veulent que chaque atome de chair, chaque artère et chaque os, ressuscitent matériellement, au Jour du Jugement. Nous ne réussirons guère à nous entendre, si vous tenez absolument à ce que ce soit la forme périssable et les qualités finies qui constituent l'homme immortel. Et si vous ne comprenez pas qu'en limitant à une seule vie sur la terre l'existence de chaque Ego, vous faites de la Déité l'Indra éternellement ivre, mentionnée dans la lettre morte des Purânas, un cruel Moloch, un dieu qui ne produit sur la terre qu'un inextricable chaos et qui exige, néanmoins, que l'on en soit reconnaissant, nous ferons bien de mettre fin à notre conservation le plutôt possible.
Question – Puisque vous n'avez plus rien à me dire au sujet des Skandhas, revenons au sujet de la conscience qui survit après la mort ; car c'est le point qui intéresse à peu près tout le monde. [219] Possédons-nous une plus grande connaissance en Dévakhan que durant la vie terrestre ?
Réponse – Nous pouvons, dans un sens, acquérir plus de connaissance ; c'est-à-dire qu'il nous est possible de continuer à développer les facultés que nous avons préférées et recherchées durant notre vie, pourvu que ces facultés ne concernent que des choses abstraites et idéales, telles que la musique, la peinture, la poésie, etc., puisque Dévakhan n'est qu'une continuation idéalisée et subjective de la vie terrestre.
Question – Mais puisque l'Esprit est, en Dévakhan, libéré de la matière, pourquoi ne possèderait il pas toute connaissance ?
Réponse – Parce que, ainsi que je vous l'ai dit, l'Ego est, pour ainsi dire, enchaîné au souvenir de sa dernière incarnation. Si donc vous réfléchissez à tout ce que je vous ai dit et que vous reliez les faits ensemble, vous comprendrez que l'état Dévakhanique n'est pas un état d'omniscience, mais une continuation transcendante de la vie personnelle que l'on vient de terminer. C'est le repos de l'âme, après les labeurs de la vie.
Question – Mais les matérialistes scientifiques assurent qu'après la mort de l'homme, il ne reste rien du tout ; que le corps humain se désagrège de façon à ne laisser que les éléments qui le composaient ; Et que ce que nous appelons âme n'est qu'une conscience soi-temporaire, accessoire, produite par l'action organique, et qui se dissipera [220] comme de la vapeur. Leur état d'esprit n'est-il pas étrange ?
Réponse – Je ne le trouve pas. S'ils disent que la soi-conscience cesse d'exister avec le corps, ils ne font que prononcer une prophétie inconsciente, pour ce qui les concerne ; car, du moment qu'ils sont. Fermement convaincus de ce qu'ils maintiennent, il n'y aura pas de vie consciente possible pour eux, après la mort. Il y a des exceptions à toutes les règles.
DE LA CONSCIENCE APRÈS LA MORT ET APRÈS LA NAISSANCE
Voir 44
44 Quelques parties de ce chapitre et du précédent ont été publiées dans Lucifer sous la forme d'un "Dialogue sur les Mystères de l'Au-delà" n° de janvier 1889. Cet article qui n'était pas signé (comme article de la Rédaction), provenait néanmoins, de la même plume que le présent volume.
Question – Mais pourquoi y aurait-il des exceptions, si, d'après la règle, la conscience humaine survit après la mort ?
Réponse – Il n'y a point d'exception possible dans les principes fondamentaux du monde spirituel. Mais il y a des règles pour ceux qui voient, et des règles pour ceux qui préfèrent demeurer aveugles.
Question – Parfaitement ; je comprends. Il ne s'agit que de l'aberration d'un aveugle qui nie l'existence du soleil, parce qu'il ne le voit pas. Mais, après la mort, sa vue spirituelle le forcera [221] certainement à voir. N'est- ce pas là, ce que vous voulez dire ?
Réponse – Il ne sera pas forcé de voir, et il ne verra rien du tout. Après avoir réfuté avec persistance la continuation de l'existence, comme ses capacités spirituelles se seront atrophiées durant la vie et ne pourront pas se développer après la mort, il restera aveugle. Évidemment si vous croyez qu'il sera forcé de voir, vous parlez d'autre chose que moi. Vous parlez de "l'Esprit de l'esprit", de "la flamme de la flamme", d'Atma en un mot, que vous confondez avec l'âme humaine, Manas... Vous ne me comprenez pas ; je vais tâcher de m'expliquer. Le seul but de votre question est de savoir si, lorsqu'il s'agit d'un homme parfaitement matérialiste, la perte complète de la conscience de Soi et de la perception de Soi après la mort, est possible ? N'est-ce pas là le sens de votre question ? Ma réponse est que c'est possible, parce que, croyant fermement, comme je le fais, en notre Doctrine Esotérique qui décrit la période post morterm, c'est-à-dire l'intervalle entre deux vies ou deux naissances, comme un état qui n'est que transitoire, je dis que, soit que cet intervalle entre deux actes du drame illusoire de la vie dure une seule année, soit qu'il dure un million d'années, l'état après la mort peut, sans porter atteinte à la loi fondamentale, n'être absolument autre chose que l'état d'un homme plongé dans un profond évanouissement. [222]
Question – Mais comment cela se peut-il, Puisque vous venez de dire que les lois fondamentales, de l'état après la mort, n'admettent aucune exception ?
Réponse – Et je ne parle pas d'exception. Mais la loi spirituelle de la continuité ne s'applique qu'aux seules choses qui sont réelles. Cela paraîtra fort clair à qui a lu et compris Mundakya Upanishad et Vedanta-Sara. Je dirai même qu'il suffit de comprendre ce que nous entendons par Buddhi et la dualité de Manas, pour obtenir une claire perception de la raison pour laquelle un matérialiste ne pourra avoir de soi-conscience, après la mort. L'aspect inférieur de Manas étant le siège de l'intelligence terrestre, il ne peut, conséquemment, donner d'autre perception de l'Univers que celle qui repose sur le témoignage de cette intelligence, et il ne peut pas produire de vision spirituelle. L'Ecole Orientale dit qu'en réalité il n'existe entre Buddhi et Manas (l'Ego), ou entre Iswara et Pragna 45, d'autre différence que celle qui existe entre une forêt et ses arbres, ou un lac et ses eaux, pour nous servir des expressions de la Mundakya. Une forêt ne cessera pas d'être une forêt parce qu'un de ses arbres, ou même une centaine de ses arbres, se sont desséchés ou ont été déracinés. [223]
45 Iswara est la conscience collective de la déité manifestée, Brahmâ, c'est a dire, la conscience collective de l'armée des Dhyans Chohans (voyez La Doctrine Secrète) : et Pragna est leur sagesse individuelle.
46 Taijasi signifie le radieux (le rayonnant), à cause de son union avec Buddhi ; c'est Manas, l'âme humaine, illuminée du rayonnement de l'âme divine. Manas-Taijasi peut donc être décrit comme l'Intelligence radieuse (ou rayonnante), la raison humaine éclairée par la lumière de l'esprit ; et Buddhi-Manas est la révélation de l'intelligence et de la conscience divines et humaines.
Question – Mais, si je comprends bien, dans cette allégorie, Buddhi représente la forêt, et Manas-Taijasi 46, les arbres. Si donc Buddhi est immortel, comment se peut-il que ce qui lui est semblable, Manas-Taijasi, perde entièrement sa conscience, jusqu'au jour d'une nouvelle incarnation ? Voilà ce que je ne comprends pas.
Réponse – Et vous ne pouvez pas comprendre, parce que vous confondez une représentation abstraite de l'ensemble, avec un de ses changements de forme. Rappelez-vous que, si l'on peut dire que Buddhi- Manas est absolument immortel, il n'en est pas de même du Manas- inférieur, et encore moins de Taijasi, qui n'est qu'un attribut. Ni l'un ni l'autre, ni Manas, ni Taijasi, ne peuvent exister sans Buddhi, l'âme divine, parce que "Manas" est, dans son aspect inférieur, un attribut qualificatif de la personnalité terrestre, et que le second "Taijasi" est identique au premier, car ce n'est autre chose que ce même Manas, éclairé de la lumière de Buddhi. Buddhi, à son tour, resterait un Esprit impersonnel, s'il était privé de l'élément qu'il emprunte à l'âme humaine qui le limite et lui donne, dans cet Univers [224] illusoire, l'apparence d'être séparé de l'Ame Universelle, pour toute la période du cycle d'incarnation. Dites plutôt que Buddhi-Manas ne peut pas mourir et ne peut perdre, ni sa conscience complexe pour l'Eternité, ni le souvenir de ses incarnations précédentes, dans lesquelles les deux : – l'âme Spirituelle et l'âme humaine – ont été intimement unies l'une à l'autre. Mais il n'en est pas ainsi du matérialiste, dont l'âme humaine non seulement ne reçoit rien de l'âme divine, mais refuse même de reconnaître l'existence de cette dernière. Vous ne pourriez guère appliquer cet axiome aux attributs et aux qualifications de l'âme humaine ; car autant vaudrait dire que la fraîcheur de votre joue doit être immortelle, parce que votre âme divine est immortelle – tandis que cette fraîcheur, de même que Taijasi, n'est tout simplement qu'un phénomène transitoire.
Question – Vous voulez dire par là qu'il ne faut pas que nous confondions, dans notre pensée, le Noumène avec le Phénomène, la cause avec ses effets ?
Réponse – C'est bien ce que je veux dire ; et je répète que la gloire de Taijasi, limitée à Manas ou à l'âme humaine, seule, n'est qu'une question de temps ; car, après la mort, l'immortalité et la conscience ne sont, pour la personnalité terrestre de l'homme, que des attributs sujets à des conditions, et dépendant entièrement de croyances et de situations créées par l'âme humaine elle-même, [225] durant la vie du corps. Karma agit sans cesse ; nous ne faisons que moissonner dans la vie de l'au-delà, ce que nous avons semé nous-mêmes en celle-ci.
Question – Mais si, après la destruction de mon corps, mon Ego peut être plongé dans un état d'inconscience complète, comment les péchés de ma vie passée seront-ils punis ?
Réponse – D'après l'enseignement de notre philosophie, le châtiment Karmique n'est infligé à l'Ego que lors de son incarnation suivante. Et, après la mort, cet Ego ne reçoit que la compensation des souffrances imméritées qu'il vient d'endurer, pendant sa dernière incarnation 47. Donc, même pour un matérialiste, l'unique châtiment dont il soit atteint, après la mort, consiste précisément en l'absence de toute compensation, et en la perte entière de la conscience du repos et du bonheur. Karma est l'enfant de l'Ego terrestre, le [226] fruit des actions de cet arbre qui est la personnalité objective et visible pour tous, aussi bien que le fruit de toutes les pensées et même des motifs du "Moi" spirituel. Mais Karma est aussi la tendre mère qui guérit les blessures infligées par sa main dans une vie précédente, avant de recommencer à torturer l'Ego, en lui en infligeant de nouvelles. Si l'on peut dire, d'une part, qu'il n'y a pas une seule souffrance, mentale ou physique, dans la vie d'un mortel, qui ne soit le fruit direct et la conséquence de quelque péché commis dans une existence précédente ; comme, d'autre part, il n'en conserve pas le moindre souvenir dans sa vie actuelle, qu'il ne croit pas mériter de semblables châtiments, et que, par conséquent, il s'imagine souffrir par la faute des autres, cela seul suffit pour donner à l'âme humaine droit à une pleine mesure de consolation, de repos et de bonheur, dans son existence après la mort. Pour nos "Soi" spirituels, la Mort est toujours une libératrice et une amie. Pour le matérialiste qui, en dépit de son matérialisme, n'a pas été mauvais, l'intervalle qui s'écoule entre deux vies sera comme le sommeil paisible et profond d'un enfant parfaitement exempt de rêves ou peuplé de tableaux, dont il n'aura pas de perception définie ; tandis que, pour le mortel ordinaire, ce sera un rêve aussi lucide que la vie, animé de visions et plein de bonheur réel.
47 Il y a des Théosophes qui ont désapprouvé cette phrase, mais les paroles employées sont celles du Maître, et la signification du mot "imméritées" est celle que nous avons donnée plus haut. IL s'est trouvé dans le pamphlet N° 6 de B. P. H, une phrase, critiquée plus tard dans Lucifer, mais employée dans le but de rendre la même idée ; il est vrai que la forme en était fautive et attirait la critique, mais la pensée essentielle qui y était renfermée revenait à ceci : les homme souffrent souvent des effets d'actions commises par d'autres, et ces effets n'appartiennent pas strictement à leur propre Karma. – Il va sans dire qu'ils ont droit à une compensation pour des souffrances pareilles.
Question – L'homme personnel devra, par conséquent, [227] continuer à subir aveuglément les peines karmiques méritées par l'Ego ?
Réponse – Pas complètement. Au moment solennel de la mort, et même de la mort subite, tout homme revoit sa vie passée tout entière qui, dans les moindres détails, se déroule devant lui. Pour un court instant, l'être personnel devient UN avec l'Ego individuel et omniscient ; mais cet instant suffit pour lui montrer toute la chaîne des causes dont il a senti l'action durant sa vie. Il se voit maintenant et se comprend tel qu'il est ; dépouillé des voiles de la flatterie et de l'illusion. Il lit sa vie et regarde comme un spectateur, dans l'arène qu'il va quitter ; il sent et reconnaît la justice de toutes les souffrances dont il a été accablé.
Question – Et cela arrive-t-il à tout le monde ?
Réponse – A tout le monde sans exception. On nous dit que des hommes très avancés en sainteté peuvent voir, non seulement la vie qu'ils quittent, mais plusieurs vies précédentes, durant lesquelles furent produites les causes qui ont fait d'eux ce qu'ils sont devenus, pendant leur dernière incarnation. Ils reconnaissent la loi de Karma dans toute sa majesté et toute sa justice.
Question – Y a-t-il quelque chose de semblable avant la naissance ?
Réponse – Oui. De même que l'homme, au moment de la mort, jette un regard rétrospectif sur la vie qu'il a menée, au moment de renaître sur cette terre, l'Ego qui se réveille, en sortant de [228] l'état Dévakhanique, obtient une vision prophétique de la vie qui l'attend, et analyse toutes les, causes qui l'y ont conduit. Il se rend compte de tout cela, et il voit l'avenir ; parce que c'est entre Dévakhan et la renaissance que l'Ego retrouve sa conscience Manasique toute entière, et redevient, pour un court instant, le dieu qu'il était, avant que la loi de Karma ne le fît descendre dans la matière, pour s'incarner dans le premier homme de chair. Le "fil d'or" revoit toutes ses "perles", sans qu'il y en ait une seule qui manque.