CE QUE SIGNIFIE VÉRITABLEMENT L'ANNIHILATION

 

Question – J'ai entendu quelques Théosophes parler d'un fil d'or, auquel leurs vies sont enfilées ; qu'est-ce qu'ils veulent dire par là ?

Réponse – Les livres sacrés Indous nous enseignent que ce qui passe par l'incarnation périodique est le Sutratma, littéralement "l'Ame-Fil", synonyme de l'Ego Réincarnant – Manas uni à Buddhi – qui absorbe les réminiscences manasiques de toutes nos vies précédentes ; il doit son nom au fait que la longue série des vies humaines est enfilée, comme le seraient des perles, à ce seul et unique fil. Ces renaissances périodiques sont comparées, dans quelques Upanishads, à la vie mortelle, dans laquelle reparaissent régulièrement le sommeil et la veille. [229]

Question – Voilà ce qui ne me semble pas très clair : et je vais vous dire pourquoi. Un nouveau jour commence pour l'homme qui se réveille, mais cet homme est d'âme et de corps ce qu'il était la veille ; tandis que, il se fait, à chaque incarnation, un changement complet qui s'étend, non seulement à l'enveloppe extérieure, au sexe et à la personnalité, mais qui atteint même les capacités physiques et mentales. Il me semble que l'exemple que vous avez choisi n'est pas tout à fait juste. L'homme qui se lève, après avoir dormi, se rappelle parfaitement ce qu'il a fait hier, le jour auparavant et même ce qui s'est passé, il 'y a des mois et des années. Mais aucun d'entre nous n'a conservé le moindre souvenir d'une vie précédente, ni de faits ou d'événements qui s'y rapportent... Je puis, au matin, oublier ce que j'ai rêvé pendant la nuit ; Néanmoins, je sais que j'ai dormi, et j'ai la certitude d'avoir vécu durant mon sommeil. Mais, avant le moment de la mort, quelle réminiscence puis-je avoir de ma dernière incarnation ?

Comment réussissez-vous à réconcilier ces contradictions ?

Réponse – Il y a des personnes qui se rappellent, pendant cette vie, leurs incarnations passées ; mais ce sont des Bouddhas et des Initiés. C'est ce que les Yogis appellent Samma-Sambouddha, ou la connaissance de la série entière des incarnations précédentes. [230]

 Question – Mais comment pouvons-nous comprendre cette comparaison, nous autres, mortels ordinaires, qui n'avons pas atteint "Samma-Sambouddha" ?

Réponse – Par l'étude ; et en tâchant de mieux comprendre les traits caractéristiques des trois formes de sommeil. Le sommeil est une loi générale et immuable, pour l'homme et pour l'animal ; mais il y  a différents genres de sommeil, et il existe des rêves et des visions d'un genre plus différent encore.

Question – Ceci nous conduirait à un autre sujet. Retournons au matérialiste qui, bien qu'il ne puisse refuser d'admettre l'existence des rêves, nie, cependant, l'immortalité en général et la persistance de  sa propre individualité.

Réponse – Et sans le savoir, le matérialiste a raison. Si un homme n'a aucune perception intérieure de l'immortalité de son âme et n'y croit en aucune façon, cette âme ne pourra jamais devenir Buddhi-Taijasi, mais restera simplement Manas ; or, il n'y a point d'immortalité possible pour Manas seul. Pour vivre d'une vie consciente, dans le monde à venir, il faut, avant tout, y croire, durant l'existence terrestre. Toute la philosophie de la conscience et de l'immortalité de l'âme, après la mort, est bâtie sur ces deux aphorismes de la Science Secrète : – L'Ego est toujours traité comme il le mérite ; après la décomposition du corps, commence pour lui une période de conscience parfaitement [231] lucide, ou un chaos de rêves confus, ou un sommeil absolument exempt de rêves et en tout semblable à l'annihilation ; – ce sont les trois genres de sommeil. Si nos physiologistes découvrent la cause des rêves et des visions dans une sorte de préparation inconsciente, qui a lieu durant les heures de veille, pourquoi ne pas admettre la même possibilité pour les rêves d'après la mort ? Je le répète : La mort est un sommeil.

Après la mort, les yeux spirituels de l'âme voient défiler devant eux les différentes scènes d'une représentation, dont nous avons appris et souvent composé nous-mêmes le programme. C'EST LA RÉALISATION DES CROYANCES JUSTES OU DES ILLUSIONS QUE NOUS NOUS SOMMES CRÉÉES A NOUS MÊMES. – LE MÉTHODISTE RESTE MÉTHODISTE, LE MUSULMAN RESTE MUSULMAN, POUR QUELQUE  TEMPS, DU MOINS ;  ET CHACUN VIT  DANS UN PARADIS IMAGINAIRE QU'IL A LUI-MÊME RÊVÉ  ET INVENTÉ.

Tels sont les fruits que l'arbre de vie porte après la mort.

Il va sans dire que la réalité de l'existence de ce fait, en lui-même, ne peut pas être influencée par notre croyance ou notre manque de croyance à une immortalité consciente. Mais, évidemment aussi, la croyance ou le manque de croyance en cette immortalité, comme apanage d'entités séparées ou indépendantes, ne peut manquer de donner à ce fait  une nuance spéciale, lorsqu'il s'applique à chacune de ces entités en particulier. [232]

Commencez-vous à comprendre, maintenant ?

Question – Je crois que oui. Le matérialiste qui, ne croyant à rien de ce qui ne peut lui être prouvé par le témoignage de ses cinq sens, ou par un raisonnement scientifique basé exclusivement, sur les données obtenues par ces mêmes sens, en dépit de leur insuffisance – et rejetant toute manifestation spirituelle – voit dans cette vie l'unique existence consciente. Et il lui sera fait selon sa foi. Il perdra son Ego personnel et sera plongé dans un sommeil sans rêves, jusqu'au moment d'un nouveau réveil. N'est- ce pas ainsi ?

Réponse – A peu près ainsi. Souvenez-vous de  l'enseignement pratique et universel des deux espèces d'existences conscientes : celle qui est terrestre et celle qui est spirituelle. La dernière doit être considérée comme la réelle, par le fait seul qu'elle appartient à la Monade éternelle, immortelle, toujours la même ; tandis que l'Ego réincarnant se couvre de vêtements nouveaux et complètement différents les uns des autres, dans chaque incarnation, tous, à l'exception de leur prototype spirituel, voués à une transformation radicale qui en efface jusqu'à la dernière trace.

Question – Mais comment cela se fait-il ? Mon "Moi" conscient et terrestre peut-il périr, non seulement pour un temps, comme la conscience du matérialiste, mais encore si complètement qu'il n'en reste aucune trace ?

Réponse – Il faut, d'après ce qui nous est enseigné, [233] que tout périsse entièrement, à l'exception du principe qui, s'étant uni, à la Monade, est devenue par-là une essence purement spirituelle et indestructible, un avec elle pour l'Eternité. Mais, lorsqu'il s'agit d'un complet matérialiste, dont le "Moi" personnel n'a jamais pu servir de réflexion à Buddhi, comment ce dernier pourrait-il emporter dans l'Eternité une seule  parcelle de cette personnalité terrestre ? Votre "Moi" spirituel est immortel, mais ne peut emporter dans l'Eternité, de votre Soi actuel, que ce qui est devenu digne de l'immortalité, c'est-à-dire l'arôme seul de la fleur que la mort a fauchée.

Question – Et la fleur, le "Moi" terrestre ?

Réponse – La fleur, comme toutes les fleurs passées et futures qui ont fleuri et qui devront fleurir sur le rameau maternel, le Sutratma, tous enfants d'une seule racine, Buddhi, retournera en poussière. Comme vous le savez vous-même, votre "Moi" actuel n'est pas le corps assis devant moi, en ce moment, et ce n'est pas non plus ce que j'appellerais "Manas- Sutratma", mais "Sutratma-Buddhi".

Question – Mais cela ne m'explique en aucune façon pourquoi vous dites que la vie, après la mort, est immortelle, infinie et réelle, tandis que la vie terrestre n'est qu'un simple fantôme, une illusion ; car, enfin, cette vie d'après la mort a, pourtant, ses limites, bien que ces limites  soient beaucoup plus étendues que celles de la vie terrestre. [234]

Réponse – Sans doute. L'Ego spirituel l'homme se meut dans l'éternité, comme un pendule qui oscille entre les heures de la vie et de la, mort. Mais, bien que les heures qui indiquent les périodes de la vie terrestre et de la vie spirituelle ; soient d'une durée limitée, et bien que le nombre même de ces relais à travers l'Eternité, entre le sommeil et le réveil, l'illusion et la réalité, ait un commencement et une fin, le pèlerin spirituel, néanmoins, est éternel. Voilà pourquoi la seule réalité, que nous puissions concevoir, est composée des heures de sa vie d'après la mort, durant lesquelles, désincarné, il se voit placé en face de la vérité et non point devant les mirages de ses existences terrestres et passagères, pendant la période de ce pèlerinage que nous appelons le "Cycle des Renaissances". Ces intervalles, en dépit de leurs limites, n'empêchent pas l'Ego, qui se perfectionne de plus en plus, de suivre sans dévier, bien que lentement et graduellement, le sentier qui le mène à sa dernière transformation, lorsque cet Ego, ayant atteint son but, devient un être divin. Ces intervalles et ces degrés, au lieu d'entraver ce résultat final, y conduisent ; et l'Ego divin, sans ces intervalles limités, ne pourrait jamais atteindre sa destination. Je vous ai déjà donné une démonstration familière de ce processus, en comparant l'Ego, ou l'individualité, à un acteur, et ses nombreuses et diverses incarnations aux rôles qu'il remplit. Est-ce que vous [235] considéreriez ces rôles ou leurs costumes comme l'individualité de l'acteur lui-même ? Comme cet acteur, l'Ego est forcé de remplir, durant le Cycle de Nécessité, et jusqu'au seuil même de Paranirvana, plusieurs rôles qui peuvent lui être désagréables. Mais, pareille à l'abeille qui va recueillant son miel de fleur en fleur et laissant ce qui reste aux vers de terre, notre individualité spirituelle, soit que nous l'appelions Ego ou Sutratma, rassemblant de chaque personnalité terrestre, dans laquelle Karma la force à s'incarner, le nectar seul des qualités et de la conscience spirituelle, réunit-le tout en un ensemble, et sort de sa chrysalide sous la forme de Dhyan Chohan glorifié. Il ne faut plaindre que les personnalités dont rien n'a pu être recueilli ; il est évident qu'elles ne peuvent pas survivre consciemment à leur existence terrestre.

Question – Il paraît, alors, que l'immortalité est  toujours conditionnelle pour la personnalité terrestre ; l'immortalité, en elle-même, n'est-elle donc pas non conditionnelle ?

Réponse – Pas du tout. Mais l'immortalité ne peut pas toucher le non- existant : l'immortalité et l'Éternité sont absolues pour tout ce qui existe comme Sat, ou émane de Sat. La Matière est le pôle opposé à l'Esprit, et toutefois les deux sont UN. L'essence des trois en un, c'est-à-dire  l'Esprit, la Force et la Matière, est sans fin, comme sans commencement ; mais la forme que cette [236] triple unité revêt, durant ses incarnations, son extérieur, n'est certainement que l'illusion de nos conceptions personnelles. Voilà pourquoi nous ne donnons le nom de réalité qu'à Nirvana et à la, Vie Universelle seulement, tandis que nous reléguons la vie terrestre, avec sa personnalité terrestre, et même son existence Dévakhanique, dans, le royaume chimérique de l'illusion.

Question – Mais, dans ce cas, pourquoi faire, du sommeil, la réalité, et du réveil, l'illusion ?

Réponse – Ce n'est qu'une comparaison destinée à rendre le sujet plus facile à saisir ; et cette comparaison est parfaitement juste, au point de vue des conceptions terrestres.

Question – Et pourtant, si la vie future est basée sur un principe de justice et sur une compensation méritée par toutes nos souffrances terrestres,  je  ne  puis  comprendre  comment  il  se  fait  que  bien des matérialistes véritablement honnêtes et charitables ne laisseraient absolument de leur personnalité qu'une fleur fanée.

Réponse – Personne n'a, jamais dit cela. Il n'est point de matérialiste, quelque incrédule qu'il soit, dont l'individualité spirituelle puisse mourir entièrement. Nous avons dit que, lorsqu'il s'agit d'un matérialiste, la conscience peut disparaître complètement ou partiellement, de sorte qu'il ne subsiste point de reste conscient de sa personnalité.

Question – Mais alors c'est l'annihilation ? [237]

Réponse – Nullement. Un homme peut dormir d'un sommeil profond, pendant un long trajet en chemin de fer, et passer ainsi plusieurs stations dont il n'aura pas la moindre conscience ni le moindre souvenir, pour se réveiller à une autre station et continuer sa route à travers un nombre infini d'autres points d'arrêt, jusqu'à ce qu'il ait terminé son voyage ou atteint sa destination. On vous a parlé de trois genres de sommeil : le sommeil sans rêves, le chaos de rêves, et le sommeil lucide, dont les rêves deviennent de véritables réalités pour la personne endormie. Si vous acceptez l'un, pourquoi ne pouvez-vous pas croire à l'autre ? La vie future de l'homme sera d'accord avec ce qu'il a cru et ce qu'il s'est représenté à ce sujet. Celui qui ne s'attend pas à vivre, ne trouvera, dans l'intervalle qui sépare deux renaissances, qu'un vide absolu, semblable à l'annihilation ; ce n'est que l'exécution du programme dont nous avons parlé ; et ce programme est l'œuvre des matérialistes eux-mêmes.

Mais, comme vous le dites bien, il y a plusieurs classes de matérialistes. L'égoïste méchant, sans cœur, qui n'a jamais versé de larmes sur un autre que sur lui-même, et qui, par conséquent, a ajouté à son incrédulité une complète indifférence pour le monde entier, doit déposer, pour toujours, sa personnalité au seuil de l'Au-delà. Cette personnalité n'a point de ramilles de sympathie pour les êtres qui l'entourent et par conséquent rien ne [238] peut la rattacher à Sutratma ; il s'en suit naturellement que, lors du dernier soupir, toute relation entre les deux est rompue. Et comme ce matérialiste n'a pas de Dévakhan, le Sutratma se réincarnera presque immédiatement. Mais ceux dont la seule erreur a été de ne pas croire à une autre vie, dormiront profondément et ne feront que perdre une station – et le temps viendra pour l'ex-matérialiste où, se voyant lui-même à travers l'Eternité, il se repentira peut-être d'avoir perdu un seul jour, une seule station de la vie éternelle.

 Question – Pourtant, ne serait-il pas plus juste de dire que mourir est naître à une vie nouvelle, ou que c'est un nouveau retour à l'Eternité ?

Réponse – Si vous le voulez. Mais n'oubliez pas que les naissances différent entre elles et qu'il existe des naissances d'êtres "mort-nés", qui sont les insuccès de la nature. Ensuite, d'après les idées reçues  en Occident, au sujet de la vie matérielle, les expressions "vivant" et "être" ne peuvent pas du tout être appliquées à l'état purement subjectif qui constitue l'existence de l'Au-delà. Et c'est précisément parce que, à l'exception de quelques rares philosophes, qui ne sont pas lus en général, et qui, du reste, ne possèdent pas eux-mêmes assez de clarté pour rendre ce sujet compréhensible, vos idées occidentales concernant la vie et la mort ont fini par devenir si étroites qu'elles ont conduit, les uns à un grossier matérialisme, [239] et les autres à cette conception plus matérielle encore de la vie future que les Spirites ont trouvée dans leur Summer-land (pays de l'été), où les âmes des hommes mangent, boivent, se marient et vivent dans un paradis aussi sensuel, mais seulement un  peu moins philosophique, que celui de Mahomet. Et les conceptions ordinaires du chrétien sans éducation ne sont guère meilleures, car elles sont encore un peu plus entachées de matérialisme ; le ciel chrétien, avec ses anges tronqués, ses trompettes de cuivre, ses harpes d'or, et l'enfer avec ses flammes matérielles, ont l'air d'être une des scènes féeriques d'une pantomime de Noël.

Ce sont ces conceptions étroites qui vous rendent notre sujet si difficile à comprendre.

C'est parce que la vie de l'âme désincarnée, bien que douée de toute la lucidité de la Réalité, comme dans certains rêves, est néanmoins affranchie de toutes les formes grossièrement objectives de la vie terrestre, que les philosophes de l'Orient l'ont comparée aux visions que l'on a pendant le sommeil.