XIII

SUR LES FAUSSES CONCEPTIONS CONCERNANT LA SOCIÉTÉ THÉOSOPHIQUE

  

LA THÉOSOPHIE ET L'ASCÉTISME

 

Question – J'ai entendu raconter que vos règles exigent de tous vos membres de se soumettre au régime végétarien, au célibat et à un rigoureux ascétisme mais, jusqu'à présent, vous ne m'avez dit rien de semblable. Pourrais-je savoir la vérité, à ce sujet ?

Réponse – Voici la vérité : nos règles n'exigent rien de tout cela. Non seulement la Société Théosophique n'exige aucune sorte d'ascétisme de ses membres, mais elle ne s'y attend pas même, à moins que vous n'appeliez ascétisme les efforts pour se rendre utile aux autres et pour mener une vie exempte d'égoïsme.

Question – Pourtant, il y a plusieurs de vos membres qui sont strictement végétariens et qui [365] déclarent franchement leur intention de ne pas se marier ; et cela se trouve surtout parmi ceux qui prennent une part si importante à l'œuvre de votre Société.

Réponse – C'est tout naturel, parce que la plupart de nos travailleurs sérieux appartiennent à la SECTION INTERIEURE de la Société, dont je vous ai déjà parlé.

Question – Il est donc vrai que l'ascétisme est obligatoire dans cette Section Intérieure ?

Réponse – Nullement ; même là, nous n'exigeons et n'ordonnons rien. Mais je crois que je ferai bien de vous exposer nos vues sur l'ascétisme en général, et alors vous comprendrez le but du végétarisme et de tout le reste.

Question – Je vous écoute.

 Réponse – Comme je vous l'ai déjà dit, la plupart de ceux qui entreprennent l'étude sérieuse de la Théosophie et qui se vouent  à un travail actif pour la Société, désirent ne pas se borner à la simple théorie des vérités que nous enseignons. Ils désirent savoir la vérité par leur propre expérience personnelle, et étudier l'Occultisme, dans le but d'acquérir la sagesse et le pouvoir dont ils reconnaissent la nécessité, afin d'être capables d'aider les autres, avec jugement et avec efficacité, au lieu de le faire aveuglément et sans connaissance de cause. Et voilà pourquoi, tôt ou tard, ils se joignent à la Section Intérieure.

Question – Et vous dites que les "pratiques [366] ascétiques" ne sont pas obligatoires, même dans cette Section Intérieure ?

Réponse – Je le répète ; mais la première chose que les membres apprennent là est une conception vraie de la relation du corps, ou de l'enveloppe physique, avec l'homme intérieur et véritable. La relation et l'action réciproque et mutuelle de ces deux aspects de la nature humaine leur sont expliquées et démontrées de façon qu'ils sont promptement convaincus de la suprême importance de l'homme intérieur, en comparaison de la boîte extérieure, ou du corps. On leur enseigne que l'ascétisme, aveugle et pratiqué sans intelligence, n'est qu'une folie ; et que la conduite de Saint-Labre, déjà cité plus haut, ou celle des Fakirs Hindous et des ascètes de la jungle, qui se brûlent, se macèrent et se torturent le corps de la façon la plus horrible et la plus cruelle, ne vise pas à autre chose qu'un but égoïste : celui de développer le pouvoir de la volonté ; mais ce but est tout à fait inutile au véritable développement spirituel ou Théosophique.

Question – Je comprends ; c'est l'ascétisme moral qui, seul, vous semble nécessaire. C'est le moyen qui conduit vers une fin ; et cette fin est l'équilibre parfait de la nature intérieure de l'homme, ainsi que la complète soumission du corps avec toutes ses passions et tous ses désirs ? [367]

Réponse – C'est cela même. Mais il faut que ce moyen soit employé avec intelligence et sagesse et non pas aveuglément et follement. C'est l'athlète qui se forme et se prépare à combattre sérieusement ; ce n'est pas l'avare qui se prive de nourriture, afin de satisfaire sa passion pour l'or.

 Question – Je saisis votre plan général ; mais comment vous y prenez- vous pour le mettre en pratique ? Quel est  votre  végétarisme,  par exemple ?

Réponse – Il a été prouvé par un célèbre savant allemand que tout genre de tissu animal conserve, même après une forte cuisson, certaines propriétés caractéristiques de l'animal auquel le tissu a appartenu ; ces propriétés sont reconnaissables. Du reste, chaque personne sait par le goût quelle est la viande qu'elle mange. Nous allons plus loin, et nous démontrons que l'homme qui se nourrit de la chair des animaux, absorbe aussi quelques-unes des propriétés de l'animal dont cette chair provient Enfin, la Science occulte enseigne et prouve à ses disciples, par une démonstration oculaire que l'effet "abrutissant" et "animal" produit sur l'homme par cette nourriture, a le plus de force, lorsqu'il s'agit de la chair des grands animaux, moins par celle des oiseaux, moins encore par celle des poissons et des autres animaux à sang froid ; mais que la nourriture qui a le moins d'influence de ce genre est celle provenant des végétaux. [368]

Question – Alors, l'homme ferait mieux de ne pas manger du tout ?

Réponse – Cela vaudrait mieux, sans aucun doute, s'il était capable de vivre sans manger ; mais, puisqu'il est obligé de manger pour vivre, nous conseillons réellement à ceux qui veulent se vouer à une étude sérieuse, de ne prendre que la nourriture qui sera la moins lourde pour leurs cerveaux et pour leur corps et qui contribuera le moins à retarder et à entraver le développement de leur Intuition, ainsi que de leurs pouvoirs et de leurs facultés intérieures.

Question – Alors vous n'adoptez pas tous les arguments que les végétariens emploient d'ordinaire ?

Réponse – Non, certes ; quelques-uns de leurs arguments sont très faibles, et souvent basés sur des assertions complètement fausses. Mais, d'un autre côté, ils disent bien des choses qui sont vraies. Nous croyons, par exemple, que beaucoup de maladies, et surtout la grande prédisposition à contracter des maladies, qui est un des traits frappants de notre époque, sont dues à la viande et surtout à la consommation de la viande conservée. Mais il nous faudrait trop de temps pour développer cette question du végétarisme et de son utilité ; passons donc à autre chose.

 Question – Permettez-moi encore une question. Lorsque les membres de la Section Intérieure sont malades, que faut-il qu'ils fassent ? [369]

Réponse – Ils devront naturellement suivre le meilleur avis pratique qui leur sera donné. Ne comprenez-vous pas que nous n'imposons aucun, obligation à cet égard ? Rappelez-vous, une fois pour toutes, que nous traitons toutes ces questions d'après un point de vue raisonnable, et non pas fanatique. Si un homme, soit par suite de maladie, soit par conséquence d'une longue habitude, ne peut pas se passer de viande, il faudra naturellement qu'il en mange. Ce n'est pas un crime ; et cela ne fera que retarder un peu son progrès ; car, somme toute, les fonctions et les actions purement corporelles sont infiniment moins Importantes que ce qu'un homme pense et sent, que les désirs qu'il encourage dans son cœur et  qu'il y laisse prendre racine et croître sans les restreindre.

Question – Je suppose que vous déconseillez l'usage du vin et des boissons fortes.

Réponse – L'alcool est un pire ennemi que la viande  pour l'avancement spirituel et moral : car, sous quelque forme que l'on s'en serve, la condition psychique de l'homme en éprouve une influence directe marquée et très nuisible. Le vin et les boissons fortes ne sont guère moins destructeurs du développement des facultés intérieures, que l'usage habituel du haschich, de l'opium et autres produits semblables. [370]