SECTION XIX
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SAINT CYPRIEN D'ANTIOCHE
Les Æons (Esprits Stellaires) – émanés de l'inconnu des Gnostiques et identiques aux Dhyan-Chohans de la Doctrine Esotérique – et leur Plérôme, ayant été transformés en Archanges et en "Esprits de la Présence" par l'Eglise Grecque et l'Eglise Latine, les prototypes ont déchu. Le Plérôme 296 fut désormais appelé la "Légion Céleste", de sorte qu'il fallut identifier l'ancien nom avec Satan et sa "Légion". A toute époque la puissance constitue le droit et l'Histoire est pleine de contrastes. Manès avait été surnommé le "Paraclet 297", par ses disciples. C'était un Occultiste, mais il passa à la postérité, grâce aux bons soins de l'Eglise, en qualité de Sorcier, de sorte qu'il fallut lui découvrir un équivalent par voie de contraste. Nous reconnaissons cet équivalent en saint Cyprien d'Antioche, qui, s'il ne l'était réellement pas, du moins semblait s'accuser d'être un "Magicien Noir" et que l'Eglise – en récompense de sa contrition et de son humilité – promut par la suite au rang élevé de Saint et d'Evêque.
Ce que l'histoire connaît de lui ne représente que peu de choses, basées surtout sur sa propre confession, dont la véracité est garantie, nous dit-on, par saint Grégoire, l'Impératrice Eudoxie, Phot-lus et la Sainte Eglise. Ce curieux document fut découvert, au Vatican, par le Marquis de Mirville 298 qui le traduisit en français pour la première fois, ainsi qu'il le déclare au lecteur. Nous lui demandons la permission d'en reproduire quelques pages, non pas dans l'intérêt du Sorcier repenti, mais dans celui de quelques étudiants de l'Occulte, qui auront ainsi l'occasion de comparer les méthodes de l'antique Magie (ou Démonisme, comme l'appelle l'Eglise) avec celles de la Théurgie et de l'Occultisme modernes.
296 Le Plérôme constituait la synthèse ou la totalité de toutes les entités spirituelles. Saint Paul employait encore ce mot dans ses épîtres.
297 Le "Consolateur" second Messie, intercesseur. "Terme appliqué au Saint-Esprit" Manès était le disciple de Terebinthe, philosophe égyptien qui, suivant le Socrate chrétien (I, 1, cité par Tillemont, IV, 584), en invoquant un jour les démons de l'air tomba du haut d'une maison et fut tué."
298 Cf. Op. cit., VI, 169-183.
Les scènes décrites se passèrent à Antioche vers le milieu du IIIème siècle, l'an 252, dit le traducteur. Cette confession fut [V 179] écrite par le Sorcier repenti, après sa conversion ; aussi ne sommes-nous pas surpris que, dans ses lamentations, il consacre tant de place à salir son Initiateur "Satan", ou le "Serpent Dragon" 299, comme il l'appelle. La nature humaine nous fournit d'autres exemples plus modernes de la même manière d'agir. Les Hindous, Pârsîs, ou autres "païens" convertis de l'Inde, sont portés à attaquer en toutes occasions les religions de leurs pères. La confession est conçue en ces termes :
Vous tous qui repoussez les vrais mystères du Christ, voyez mes larmes ! Vous qui croupissez dans vos pratiques démoniaque, apprenez par mon triste exemple toute la vanité des appâts dont ils [les démons] se servent... Je suis ce Cyprien qui, voué à Apollon depuis son enfance, fut initié de bonne heure à tous les artifices du dragon. Avant même d'atteindre l'âge de sept ans, j'avais déjà été introduit dans le temple de Mithra : trois ans après, mes parents me conduisirent à Athènes pour y être reçu comme citoyen, et là, il me fut également permis de pénétrer les mystères de Cérès pleurant sa fille 300, et je devins aussi gardien du Dragon dans le temple de Pallas.
Montant ensuite jusqu'au sommet du Mont Olympe, le siège des Dieux, comme on l'appelle, je fus, là encore, initié au sens et à la vraie signification de leurs discours [des Dieux] et de leurs manifestations bruyantes (strepituum). C'est là que je fus mis à même de voir, en imagination (phantasia) [ou mâyâ], les arbres et toutes les herbes qui opèrent de tels prodiges avec l'aide de démons... et je vis leurs danses, leurs combats, leurs pièges, leurs illusions et leurs promiscuités. J'entendis leurs chants 301. Je vis enfin, durant quarante jours consécutifs, la phalange des Dieux et des Déesses, qui envoyaient du haut de l'Olympe, comme s'ils eussent été des Rois, des esprits chargés de les représenter sur la terre et d'agir en leur nom au milieu de toutes les Nations 302.
A cette époque, je ne vivais que de fruits secs, mangés seulement [V 180] après le coucher du soleil et dont les vertus me furent expliquées par les sept prêtres des sacrifices 303.
Lorsque j'eus quinze ans, mes parents exprimèrent le désir que l'on me fît connaître, non seulement toutes les lois naturelles qui se rattachent à la génération et à la corruption des corps sur la terre, dans l'air et dans les mers, mais aussi toutes les autres forces greffées 304 (insitas) sur elles par le Prince du Monde dans le but de contrecarrer leur constitution primordiale et divine 305. A vingt ans, je me rendis à Memphis, où je pénétrai dans les Sanctuaires et où j'appris à discerner tout ce qui se rattache aux communications des démons [Daimones ou Esprits] avec les choses terrestres, à leur aversion pour certaines places, à leur sympathie et à l'attraction qu'ils éprouvent pour d'autres, à leur expulsion de certaines planètes, de certains objets, et de certaines lois, à leur persistance à préférer les ténèbres et à leur résistance à la lumière 306. Là, j'appris le nombre des Princes déchus 307
299 "Le Grand Serpent placé pour surveiller le temple", explique de Mirville. "Combien de fois n'avons-nous pas répété que ce n'était pas un symbole, une personnification, mais un vrai serpent occupé par un Dieu", s'écrie-t-il. Nous répondons qu'au Caire, dans un temple musulman et non pas païen, nous avons vu, comme l'ont vu des milliers d'autres visiteurs, un énorme serpent qui, nous disait-on, y vivait depuis des siècles et pour lequel on avait un grand respect. Etait-il donc aussi "occupé par un Dieu" ou, en d'autres termes, possédé ?
300 Les Mystères de Cérès ou de la "Mère affligée".
301 Ceux des Satyres.
302 Cela parait plutôt suspect et semble avoir été interpolé. De Mirville cherche à faire corroborer par l'ex-sorcier ce qu'il dit de Satan et de sa Cour, envoyant leurs suppôts sur la terre pour tenter l'humanité et parader aux séances.
303 Cette nourriture n'a rien de coupable. C'est, jusqu'à présent, le régime des Chélâs.
304 "Greffées" est bien l'expression. "Les sept Constructeurs greffent les forces divines et bienfaisantes sur la grossière nature matérielle du règne végétal et du règne minéral de chaque Seconde Ronde" – dit le Catechism of Lanoos.
305 Seulement le Prince du Monde n'est pas Satan, comme voudrait nous le faire croire le traducteur, mais c'est l'ensemble de la Légion des Planétaires. C'est une petite calomnie théologique.
306 On veut évidemment parler ici des Elémentals et des Esprits Elémentaires.
307 Le lecteur a déjà appris la vérité en ce qui les concerne, en lisant cet ouvrage.
J'appris l'analogie qui existe entre les tremblements de terre et les pluies, entre le mouvement de la terre 308 et le mouvement des mers ; je vis les esprits des Géants plongés dans les ténèbres Souterraines et semblant porter la terre comme un homme porte un fardeau sur ses épaules 309.
Vers la trentaine, je fis un voyage en Chaldée pour y étudier la vraie puissance de l'air, que certaines personnes placent dans le feu et que les plus savants placent dans la lumière [Akâsha]. J'appris à reconnaître que, dans leur variété, les planètes étaient aussi différentes entre elles que le sont les plantes sur la terre, et que les étoiles étaient semblables à des armées rangées en ordre [V 181] de bataille. Je connaissais la division Chaldéenne de l'Ether en 365 parties 310 et j'avais remarqué que chacun des démons qui se la partagent entre eux 311, était doué d'une force matérielle qui lui permettait d'exécuter les ordres du Prince et d'y guider tous les mouvements [dans l'Ether] 312. Ils [les Chaldéens] m'expliquèrent comment ces Princes étaient arrivés à faire partie du Conseil des Ténèbres, toujours en opposition avec le Conseil de la Lumière.
308 Il est regrettable que le Saint repentant n'ait pas communiqué plus tôt à son Eglise ce qu'il savait au sujet de la rotation de la Terre et du système héliocentrique. Cela aurait pu sauver plus d'une vie humaine – celle de Bruno, entre autres.
309 Durant les épreuves de l'Initiation, les Chélâs ont aussi au cours de transes artificiellement produites par eux, une vision de la Terre portée par un éléphant debout sur une tortue qui ne repose sur rien – et cela pour leur apprendre à discerner le vrai du faux.
310 Qui se rapportent aux jours de l'année et aussi à 7 fois 7 divisions de la sphère sublunaire de la Terre, divisée en sphères supérieures et sept inférieures, avec leurs propres Légions Planétaires, ou "armée".
311 "Daimon" ne veut pas dire "démon", comme le traduit de Mirville, mais bien "Esprit".
312 Tout cela a pour but de corroborer son affirmation dogmatique que Pater Æther ou Jupiter n'est autre que Satan ! et que les maladies pestilentielles, les cataclysmes et même des orages qui causent des désastres sont dus à la Légion Satanique qui habite l'Ether – un bon avertissement pour les Savants !
J'appris à connaître les Médiateurs [assurément pas des médiums, comme l'explique de Mirville] 313 et en voyant les conventions qui les liaient mutuellement, je fus émerveillé d'apprendre la nature de leurs serments et de leurs observances 314.
Croyez-moi, j'ai vu le Diable ; croyez-moi, je l'ai serré dans mes bras 315 comme les sorcières au Sabbat (?) lorsque j'étais encore tout jeune, et il me salua du titre de nouveau Jambres, en me déclarant digne de mon ministère (initiation). Il me promit une aide constante durant la vie et une principauté après la mort 316. Etant devenu très en honneur (un Adepte) sous sa direction, il plaça sous mes ordres une phalange de démons, et quand je pris congé de lui, il s'écria : "Courage et bon succès, excellent Cyprien" et, quittant son siège, il me reconduisit jusqu'à la porte, plongeant ainsi les personnes présentes dans une profonde admiration 317. [V 182]
Ayant pris congé de son Initiateur Chaldéen, le futur Sorcier et Saint se rendit à Antioche. Le récit de son "iniquité" et de son repentir ultérieur est long, mais nous l'abrégerons. Il devint "un Magicien accompli", entouré d'une légion de disciples et "de candidats à cet art périlleux et sacrilège". Il se représente comme distribuant des philtres d'amour et faisant commerce de charmes mortels "pour débarrasser de jeunes épouses de leurs vieux maris et pour perdre des vierges chrétiennes". Malheureusement Cyprien n'était pas lui-même à l'épreuve de l'amour. Il devint amoureux de la belle Justine, une jeune fille convertie, après avoir vainement cherché à lui faire partager la passion qu'un certain prodigue du nom d'Aglaïdes éprouvait pour elle. Ses "démons échouèrent", nous dit-il, et cela le dégoûta d'eux. Ce dégoût provoqua une querelle entre lui et son Hiérophante, qu'il persiste à identifier avec le Démon, et cette querelle est suivie d'un tournoi entre ce dernier et quelques Chrétiens convertis, tournoi dans lequel le "Malin" est, bien entendu, vaincu. Enfin, le Sorcier est baptisé et débarrassé de son ennemi. Ayant déposé tous ses livres de Magie aux pieds d'Anthime, évêque d'Antioche, il devint un Saint, en compagnie de la belle Justine qui l'avait converti. Ils furent tous deux martyrisés sous l'empereur Dioclétien et sont ensevelis côte à côte, à Rome, dans la Basilique de Saint-Jean-de-Latran, près du Baptistère.
313 Le traducteur remplace le mot de Médiateurs par celui de médiums et s'excuse dans une note marginale en disant que Cyprien doit avoir voulu parler des médiums modernes !
314 Cyprien faisait simplement allusion aux rites et mystères de l'Initiation, ainsi qu'à l'engagement de garder le secret et aux serments qui liaient les Initiés entre eux. Pourtant son traducteur a fait de cela un Sabbat de Sorcières.
315 "Douze siècles plus tard, en pleine renaissance et réforme, le monde vit Luther en faire autant (serrer le Diable entre ses bras, veut-il dire ?) – de son propre aveu et dans les mêmes conditions", nous explique, en note, de Mirville, nous donnant ainsi une preuve de l'amour fraternel qui unit les Chrétiens. Or, par le mot Diable (si ce mot se trouve réellement dans le texte original), Cyprien entendait désigner son Initiateur et Hiérophante. S'il en était autrement, aucun Saint – fût-il un Sorcier repenti – ne serait assez sot pour parler du Diable se levant de son siège pour le reconduire jusqu'à la porte.
316 Chaque adepte a "une principauté après sa mort".
317 Ce qui prouve qu'ils s'agissait de l'Hiérophante et de ses disciples Cyprien fait preuve, envers ses Instructeurs, d'autant de reconnaissance qu'en montrent la plupart des autres convertis (y compris les modernes).