SECTION XXIV

LES CABALISTES MODERNES DANS LA SCIENCE ET DANS L'ASTRONOME OCCULTE

 

Il y a un Univers physique, un Univers astral et un Univers super- astral, dans les trois divisions principales de la Cabale, de même qu'il y a des êtres terrestres, superterrestres et spirituels. Les "Sept Esprits Planétaires" peuvent être tournés en ridicule par les Savants  tant qu'il plaira à ceux-ci ; néanmoins, le besoin de Forces dirigeantes intelligentes se fait si bien sentir jusqu'à présent que les hommes de science et les spécialistes, qui ne veulent pas entendre parler d'Occultisme ou des systèmes anciens, se voient dans l'obligation de générer dans le fond de leur conscience une sorte de système semi-mystique. La théorie de la "force solaire" de Metcalf et celle de Zaliwsky, savant polonais qui faisait de l'Electricité la Force Universelle et en plaçait le  réservoir  dans  le Soleil 405, n'étaient que des rééditions des enseignements Cabalistiques. Zaliwsky chercha à prouver que l'électricité, qui produisait "les plus puissants effets attractifs, caloriques et lumineux", existait dans la constitution physique du Soleil et en expliquait les particularités. Cela rapproche beaucoup de l'enseignement occulte. Ce n'est qu'en admettant la nature gazeuse du Soleil-réflecteur et la puissance du Magnétisme et de l'Electricité, de l'attraction et de la répulsion solaires, que l'on peut expliquer l'absence évidente de toute perte de puissance et de luminosité par le Soleil – inexplicable par les lois ordinaires de la combustion, et la manière d'être des planètes, si souvent en contradiction avec les lois reconnues de la pesanteur et de la gravitation. De plus, Zaliwsky est d'avis que cette "électricité solaire" diffère de toutes choses connues sur la terre.

405 La Gravitation par l'Electricité, p. 7, citée par de Mirville, IV, 156.

 

Le Père Secchi peut être soupçonné d'avoir cherché à introduire Des forces d'un genre tout nouveau, complètement étrangères à la gravitation et qu'il avait découvertes dans l'Espace 406. dans le but de concilier l'Astronomie avec l'Astronomie théologique. Mais Nagy, un des membres de l'Académie des [V 240] Sciences de Hongrie, n'était pas clerc et pourtant il exposait une théorie sur la nécessité des Forces intelligentes dont la complaisance "se prêtait à tous les caprices des comètes". Il soupçonnait que :

Malgré les recherches réelles sur la rapidité de la lumière – cet éblouissant produit d'une force inconnue... que nous voyons trop souvent pour le comprendre – cette lumière est immobile, en réalité 407.

C. E. Love, ingénieur en France et bien connu comme constructeur de chemins de fer, fatigué des forces aveugles, subordonna à l'électricité tous les "agents impondérables" d'alors – aujourd'hui appelés "forces" – et déclara que l'électricité était une Intelligence – bien que moléculaire par nature et matérielle 408.

Dans l'opinion de l'auteur, ces Forces sont des agents atomiques doués d'intelligence, de volonté spontanée et de mouvement 409 et, de la sorte, tout comme les Cabalistes. Il considère les Forces causales comme substantielles, tandis que les Forces qui agissent sur ce plan sont simplement les effets des premières, de même que pour lui la matière est éternelle et les Dieux aussi 410. Il en est ainsi de l'Ame, bien  qu'elle possède, inhérente en elle, une Ame encore supérieure (l'Esprit), préexistante, douée de mémoire et supérieure à la Force Electrique. Cette dernière est soumise aux Ames supérieures, qui la forcent à agir conformément aux lois éternelles. La conception est plutôt obscure, mais elle est évidemment orientée dans le sens occulte. En outre, le système proposé est absolument panthéiste et il est développé dans un volume purement scientifique. Les Monothéistes et les Catholiques Romains l'attaquent naturellement, mais celui qui croit aux Esprits Planétaires et qui dote la Nature d'Intelligences vivantes doit toujours s'y attendre.

A ce propos, il est curieux, après que les modernes se sont  tant moqués de l'ignorance des anciens, Qui, ne connaissait que sept planètes [et ayant pourtant une ogdoade dans laquelle la Terre n'était pas comprise], inventèrent sept Esprits pour concorder avec ce nombre...

Babinet avait lui-même inconsciemment justifié la  "superstition". Dans la Revue des Deux Mondes, cet éminent Astronome français écrit que : [V 241]

L'ogdoade des Anciens comprenait la terre [ce qui est une erreur] c'est-à-dire huit ou sept selon que la Terre était comprise, ou non, dans le nombre 411.

De Mirville déclare à ses lecteurs que :

M. Badinet me disait il y a quelques jours que nous n'avions en réalité que huit grandes planètes y compris la Terre et un certain nombre de petites, entre Mars et Jupiter... et que Herschel offrait d'appeler astéroïdes toutes celles qui sont situées au-delà des sept planètes primaires 412.

Il y a un problème à résoudre à ce propos. Comment les Astronomes savent-ils que Neptune est une planète, ou même que c'est un corps appartenant à notre système ? On a découvert Neptune aux confins extrêmes de ce qu'on appelle notre Monde Planétaire, et celui-ci a été arbitrairement élargi pour le recevoir, mais quelle preuve réellement mathématique et infaillible les Astronomes possèdent-ils qui établisse que c'est une planète et une de nos planètes ?  Aucune !   Neptune est à une si incommensurable distance de nous, que le diamètre apparent du Soleil n'est pour Neptune qu'un quarantième de ce qu'il est pour nous et cet astre, examiné à l'aide du meilleur télescope, est si vague et si brumeux, que l'on semble faire du roman astronomique en l'appelant une de nos planètes. La chaleur et la lumière de Neptune sont réduites au 1/900 de la chaleur et de la lumière reçues par la Terre. Son mouvement, comme celui de ses satellites, a toujours paru suspect. Ils ne concordent pas – en apparence du moins – avec ceux des autres planètes. Son système est rétrograde, etc., mais ce dernier fait anormal a eu seulement pour  résultat la création par nos Astronomes, de nouvelles hypothèses, qui imaginèrent ensuite un renversement probable de Neptune, sa collision avec un autre corps, etc. La découverte d'Adams et de Leverrier ne fut-elle donc si bien accueillie que parce que Neptune était aussi nécessaire que l'Ether pour jeter un nouvel éclat sur les prévisions astronomiques, sur la certitude des données scientifiques modernes et principalement sur la puissance de l'analyse mathématique ? Il semble qu'il en ait été ainsi. Une nouvelle planète qui augmente notre domaine planétaire de plus de quatre cent millions de lieues, vaut la peine d'être annexée. Pourtant, comme c'est le cas pour les annexions terrestres, il se pourrait que l'autorité scientifique n'ait pour elle le "droit" que parce qu'elle possède la "force". Le mouvement de Neptune semble être vaguement entrevu ; Eurêka !  c'est une planète ! Un simple mouvement prouve [V 242] cependant fort peu de chose. L'astronome considère aujourd'hui comme un fait établi qu'il n'existe  dans  la  Nature  aucune  étoile  absolument  fixe 413,  même  si l'on continue à se servir de cette expression, bien qu'elle soit écartée par l'imagination scientifique. Néanmoins l'Occultisme possède, au sujet de Neptune, une étrange théorie qui lui est propre.

413 Si, comme le pensait Sir W. Herschel, les étoiles dites fixes sont le produit de la combustion nébulaire, à laquelle elles doivent leur origine, elles ne peuvent être plus fixes que ne l'est notre Soleil qu'on croyait immobile, tandis qu'on sait aujourd'hui qu'il accomplit une révolution autour de son axe, en vingt-cinq jours. Comme l'étoile fixe la plus proche du soleil est cependant huit mille fois plus loin de lui que ne l'est Neptune, les illusions que donnent les télescopes doivent être aussi huit mille fois plus grandes. Nous laisserons donc la question en suspens, nous bornant à répéter ce que disait A. Maury dans son ouvrage (La Terre et l'Homme) publié en 1858 : "Il est absolument impossible, jusqu'à présent, de rien décider au sujet de la constitution de Neptune, l'analogie seule nous autorisant à lui attribuer un mouvement de rotation semblable à celui des autres planètes." (De Mirville, IV, 140.).

 

L'occultisme dit que si plusieurs hypothèses ne reposant que sur des simples suppositions – et qui n'ont été acceptées que parce qu'elles étaient enseignées par des savants éminents – étaient enlevées à l'Astronomie Moderne, qui s'en sert comme de points d'appui, on constaterait que la loi probablement universelle de la gravitation est elle-même contraire aux vérités les plus ordinaires de la mécanique. Et vraiment l'on ne peut guère blâmer les Chrétiens – et avant tous les Catholiques Romains – si savants que puissent être quelques-uns d'entre eux, de refuser de chercher querelle à leur Eglise à propos de croyances scientifiques. Nous ne saurions non plus les blâmer d'accepter, dans le secret de leurs cœurs – comme le font certains d'entre eux – les "Vertus" et les "Archons" théologiques des Ténèbres, au lieu de toutes les forces aveugles que leur offre la Science.

Il ne peut jamais y avoir d'intervention d'aucune sorte dans la marche et la précession des corps célestes ! La loi de la gravitation est la loi des lois ; qui a jamais vu une pierre s'élever dans les airs contrairement à la loi de la gravitation ? La permanence de la loi universelle est démontrée par la marche des mondes et des globes sidéraux, éternellement fidèles à leurs orbites primitifs, n'errant jamais au-delà de leurs voies respectives. Aucune intervention n'est, du reste, nécessaire, car elle ne pourrait être que désastreuse. Que le début de la première rotation sidérale ait été dû à un hasard intercosmique, ou au développement spontané de forces primordiales latentes, ou encore que cette impulsion ait été donnée, une fois pour toutes, par Dieu ou les Dieux, cela ne fait pas la plus petite différence. Durant cette phase de l'évolution cosmique, aucune intervention, supérieure ou inférieure, n'est admissible. S'il s'en produisait [V 243] une, l'universel mouvement d'horlogerie s'arrêterait et le Cosmos tomberait en morceaux.

Telles sont les phrases, véritables perles de sagesse, que laissèrent tomber de temps en temps les lèvres scientifiques et qui sont maintenant choisies au hasard pour éclairer une question. Nous levons nos humbles têtes et nous regardons vers le Ciel. La situation semble être la suivante : les mondes, les soleils et les étoiles, les étincelantes myriades des légions célestes, rappellent au Poète un océan infini, sans rivages, sur lequel se meuvent rapidement d'innombrables escadres de vaisseaux, des millions et des millions de navires, grands et petits, qui se croisent, tourbillonnent et tournent dans toutes les directions, et la Science nous enseigne que tout en ne possédant ni gouvernails, ni boussoles, ni aucun phare pour les guider, ils n'en sont pas moins à l'abri des collisions – presque à l'abri, tout au moins, sauf les accidents dus au hasard – car toute la machine céleste est construite et dirigée par une loi immuable, bien qu'aveugle, et par une force ou des forces constantes et accélératrices : "Construite" par qui ? "Par auto-évolution", répond-on. Comme le dynamique nous enseigne en outre, que un corps en mouvement tend à se maintenir dans le même état de repos et de mouvement relatif, à moins qu'une force extérieure n'agisse sur lui.

il faut considérer cette force comme auto-générée – sinon éternelle, puisque cela équivaudrait à la reconnaissance du mouvement perpétuel – et si bien auto-calculée et autoréglée, qu'elle puisse durer depuis le commencement jusqu'à la fin du Cosmos. Mais "l'auto-génération" n'en doit pas moins générer de quelque chose, car la génération ex nihilo est aussi contraire à la raison qu'à la Science. Nous nous trouvons donc placés encore une fois entre les deux termes d'un dilemme : devons-nous croire au mouvement perpétuel ou à la génération ex nihilo ? Et si nous ne devons croire ni à l'un ni à l'autre, qui est donc, ou quel est donc, le quelque chose qui a pour la première fois produit cette force ou ces forces ?

Il existe en mécanique ce qu'on appelle les leviers supérieurs, qui donnent l'impulsion et agissent sur les leviers secondaires ou inférieurs. Les premiers ont cependant besoin d'une impulsion renouvelée de temps en temps, sinon ils ne tarderaient pas à s'arrêter eux-mêmes et à retomber dans leur état originel. Quelle est la force extérieure qui les met et les maintient en mouvement ? Encore un dilemme !

Quant à la loi de non-intervention cosmique, elle n'aurait de raison d'être que si le mécanisme céleste était parfait, mais il ne l'est pas. Les mouvements soi-disant inaltérables des corps célestes se modifient et changent constamment ; ils sont [V 244] très souvent troublés, et les roues de la locomotive sidérale elle-même quittent parfois leurs rails invisibles, ainsi qu'il est facile de le prouver. Autrement pourquoi Laplace parlerait-il d'une réforme complète dans l'arrangement des planètes qui se produirait probablement dans des temps à venir ? 414 pourquoi Lagrande soutiendrait- il le rétrécissement graduel des orbites ? pourquoi encore nos Astronomes modernes déclareraient-ils que le combustible du Soleil  disparaît lentement ? Si les lois et les forces qui régissent la conduite des corps célestes étaient immuables, ces modifications et cette usure de substance et de combustible, de force et de fluides serait impossible, et pourtant elle n'est pas niée. Il faut donc supposer que ces modifications doivent reposer sur les lois des forces qui auront à se régénérer elles-mêmes dans ces occasions, en produisant ainsi une antinomie astrale et une sorte de palinomie physique, puisque, dit Laplace, on verrait alors des fluides se désobéir à eux-mêmes et réagir d'une façon contraire à tous leurs attributs et à toutes leurs propriétés.

Newton était très embarrassé au sujet de la Lune. Sa façon de rétrécir progressivement la circonférence de l'orbite qu'elle décrit autour de la Terre avait le don de l'énerver en lui faisant craindre que cela se terminât un beau jour par la chute de notre satellite sur la Terre. Il reconnaissait que le monde avait besoin de réparation et cela très souvent 415 et il avait à ce sujet l'appui de Herschel 416. Il parle de déviations réelles et tout à fait considérables, en dehors de celles qui ne sont qu'apparentes, mais il se console par la conviction que quelqu'un ou quelque chose verra probablement à arranger les choses.

414 Exposition du Système du Monde, p. 282.

415 Voyez le passage cité par Herschel dans Natural Philosophy, p. 273, de Mirville, IV, 105.

416 Loc. cit.

 

On pourra nous répondre que les croyances personnelles de quelques pieux Astronomes, si grands qu'ils puissent être en tant que Savants, ne prouvent aucunement la réelle existence et la présence dans  l'espace d'Etres intelligents supermondains, de Dieux ou d'Anges. C'est la manière d'être des étoiles et des planètes elles-mêmes qu'il faut analyser pour tirer de là des déductions. Renan affirme que rien de ce que nous savons des corps sidéraux n'y confirme la présence d'une Intelligence qui leur soit intérieure ou extérieure.

Voyons, dit Reynaud, si c'est là un fait, ou bien une nouvelle supposition scientifique vide de sens.

 Les orbites parcourues par les planètes sont loin d'être immuables. Elles sont, au contraire, soumises à de perpétuels changements de position et de forme. Allongements, contractions et élargissements [V  245] des orbites, oscillations de droite à  gauche, ralentissement et accélération de vitesse… et tout cela sur un plan qui semmble vacciller 417.

Ainsi que le fait très justement remarquer des Mousseux :

Voici une voie qui possède très peu de la précision mathématique et mécanique qu'on lui attribue ; nous ne connaissons, en effet, aucune horloge qui, après avoir retardé de plusieurs minutes, soit capable de rattraper le temps perdu d'elle-même et sans un tour de clef.

Voilà pour la loi et la force aveugles. Quant à l'impossibilité  physique – véritable miracle, en effet, aux yeux de la Science – de voir une pierre enlevée dans les airs contrairement à la loi de gravitation, voici ce qu'en dit Babinet – l'adversaire et le plus mortel ennemi des phénomènes de lévitation – (cité par Arago) :

Tout le monde connaît la théorie des bolides [météores] et des aérolithes... Dans le Connecticut on vit un immense aérolithe [une masse de dix-huit cents pieds de diamètre], bombarder toute une zone américaine et retourner [dans les airs] au point d'où il était parti 418.

417 Terre et Ciel, p. 28, Ibid.

418 Œuvres d'Arago, vol. I, p. 219 cité par de Mirville, III, 462.

 

Nous trouvons donc dans les deux cas que nous venons de citer – celui des planètes se corrigeant elles-mêmes et celui des gigantesques météores retournant dans les airs à leur point de départ – une "force aveugle" régularisant et domptant les tendances naturelles de la "matière aveugle" et, parfois même, réparant ses erreurs et corrigeant ses méprises.  C'est bien plus miraculeux et même "extravagant", serait-on tenté de s'écrier, qu'un élément "guidé par un Ange".

Il est audacieux celui qui se moque de l'idée de Von Haller, disant :

 Les étoiles sont peut-être les demeures de glorieux Esprits comme ici-bas le Vice règne, là-haut la Vertu est maîtresse 419.

419 "Die Sterne sind vielleicht ein Sitz Verklarter Geister ; Wie hier das Laster herrscht, ist dort die Tugend Meister."