SECTION XXIII

CE QUE LES OCCULTISTES ET LES CABALISTES ONT A DIRE

 

Les auteurs catholiques romains ont souvent recours au Zohar, insondable magasin de sagesse occulte et de mystères. Un très savant Rabbin, devenu le Chevalier Drach, ayant été converti au Catholicisme romain et étant un grand hébraïsant, jugea opportun de suivre les traces de Pic de la Mirandole et de Jean Reuchlin et de certifier à ses nouveaux coreligionnaires que le Zohar renfermait presque tous les dogmes du Catholicisme. Il ne nous appartient pas d'établir jusqu'à quel point il réussit ou échoua dans cette tentative ; nous nous bornerons à exposer une de ses explications, en la faisant précéder de ce qui suit :

Le Zohar, ainsi que nous l'avons déjà montré, n'est pas un produit authentique de l'esprit hébreu. C'est le recueil, l'abrégé des plus antiques doctrines de l'Orient, transmises d'abord verbalement, puis transcrites dans les traités indépendants durant la captivité à Babylone et enfin rassemblées par le rabbin Siméon Ben Iochai, vers le commencement de l'ère chrétienne. De même que la cosmogonie mosaïque naquit, sous une forme nouvelle, en Mésopotamie, de même le Zohar fut un véhicule dans lequel se trouvaient concentrés des rayons de la lumière de la Sagesse Universelle. Quelque ressemblance que l'on y découvre avec les enseignements chrétiens, les compilateurs du Zohar ne pensaient jamais au Christ, autrement il ne resterait plus de nos jours un seul juif de la loi mosaïque. De même, si l'on devait accepter littéralement ce que dit le Zohar, toutes les religions qui existent sous le soleil pourraient trouver leur corroboration dans ses symboles et ses descriptions allégoriques et cela simplement parce que cet ouvrage est l'écho des vérités primitives, et que toute croyance est basée sur quelques-unes de celles-ci, le Zohar n'étant lui-même qu'un voile de la DOCTRINE SECRETE. C'est si évident que nous n'avons, pour prouver le fait, qu'à renvoyer au Chevalier Drach, l'ex- Rabbin dont nous avons fait mention.

Dans la IIIème partie, fol. 87 (col. 346) le Zohar traite de l'Esprit qui guide le Soleil, de son Recteur, et explique que ce n'est pas du Soleil lui-même qu'il est question, mais de l'Esprit "au-dessus ou au-dessous" du Soleil. Drach cherche anxieusement à démontrer que c'était le Christ que l'on voulait [V 235] désigner par ce "Soleil" ou par l'Esprit solaire qu'il renfermait. Dans son commentaire sur le passage qui parle de l'Esprit solaire comme de "la pierre que les constructeurs ont rejetée", il affirme positivement que cette Pierre-Soleil est identique au Christ, qui est cette pierre. et que, par suite, Le soleil est sans contredit la seconde hypostase de la Divinité 401, ou le Christ.

401 Harmonie entre l'Eglise et la Synagogue, t. II, p. 427 par le Chevalier Drach. Voyez de Mirville, IV, 38, 39.

 

Si c'est vrai, les Aryens Védiques ou pré-Védiques, les Chaldéens et les Egyptiens, de même que tous les Occultistes passés, présents et futurs, y compris les Juifs, ont été Chrétiens de toute éternité. Si ce n'est pas vrai, le moderne Christianisme d'Eglise n'est exotériquement, que du Paganisme pur et simple, et, ésotériquement, de la Magie transcendante et pratique, ou de l'Occultisme.

En effet, cette "pierre" a une multiple signification, une double existence, avec des gradations, une progression et une rétrogression régulières. C'est un "mystère" en vérité.

Les Occultistes sont prêts à admettre avec saint Jean Chrysostome, que les infidèles – ou plutôt les profanes – Aveuglés par la lumière solaire perdent de vue le Soleil véritable dans la contemplation du faux.

Mais si ce Saint, d'accord maintenant avec l'hébraïsant Drach, voulait voir dans le Zohar et le Soleil cabalistique "la seconde hypostase", ce n'est pas une raison pour que tous les autres soient aveuglés par eux. Le mystère du Soleil est peut-être le plus grand de tous les innombrables mystères de l'Occultisme : un véritable nœud gordien, mais un nœud que ne saurait couper le glaive à deux tranchants de la casuistique scolastique. C'est un véritable deo dignus vindice nodus, qui ne peut être dénoué que par les Dieux. La signification en est claire et tous les Cabalistes la comprendront.

 Ce n'est pas à propos du Soleil visible que Pythagore a dit Contra solem ne loquaris [Ne parle pas contre le soleil]. Il voulait  parler du "Soleil de l'Initiation" sous sa triple forme dont deux sont le "Soleil de jour" et le "Soleil de nuit".

Si le luminaire physique ne cachait pas un mystère que les gens sentent instinctivement, pourquoi toutes les Nations, depuis les peuples primitifs jusqu'aux Parsis d'aujourd'hui, se sont-elles tournées du côté du Soleil pendant leurs prières ? La Trinité Solaire n'est pas Mazdéenne, mais universelle et [V 236] aussi antique que l'homme. Tous les temples de l'Antiquité faisaient invariablement face au Soleil et leurs portails s'ouvraient à l'Est. Voyez les antiques temples de Memphis et de Baalbek, les Pyramides de l'Ancien et du Nouveau (?) Monde, les Tours Bondes de l'Irlande et le Serapeum d'Egypte. Seuls les Initiés pourraient en donner une explication philosophique, en fournir une raison – malgré son mysticisme – si le monde était prêt à la recevoir, ce qui, hélas ! n'est pas. Le dernier des Prêtres Solaires de l'Europe fut l'Impérial Initié, Julien, connu aujourd'hui sous le nom d'Apostolat 402. Il voulut faire du bien au monde en révélant au moins une partie du grand mystère du τριπλασιος 403 et – il mourut. "Ils sont trois en un", dit-il du Soleil – le Soleil central 404 étant une précaution de la Nature : le premier est la cause universelle de tout,  Souverain  Bien  et  perfection ;  le  Second  Pouvoir  est  l'Intelligence suprême,  exerçant  son  autorité  sur  tous  [V 237]  les  êtres  raisonnables νοεροι̃ς ; le troisième est le Soleil visible. La pure énergie de l'intelligence solaire procède du siège lumineux qu'occupe notre Soleil au milieu du ciel et cette pure énergie est le Logos de notre système : le "Mystérieux Verbe Esprit  produit  tout  à  l'aide  du  Soleil  et  n'opère  jamais  à  l'aide  d'un  autre milieu",  dit  Hermès  Trismégiste.  En  effet,  c'est  dans  le  Soleil  plus  que dans tout autre corps céleste que le pouvoir [inconnu] a fixé le siège de son habitation. Seulement, ni Hermès Trismégiste, ni Julien (Occultiste initié), ni  aucun  autre,  n'a  jamais  voulu,  par  cette  Cause  Inconnue,  désigner Jéhovah ou Jupiter. Ils faisaient allusion à la cause qui produisit tous les "grands Dieux" manifestés ou Démiurges de notre système (y compris le Dieu hébreu). Il n'était pas non plus question de notre Soleil matériel, car celui-ci  n'était  que  le  symbole  manifesté.  Le  Pythagoricien  Philolaus explique et complète Trismégiste en disant :

Le Soleil est un miroir de feu, dont la splendeur des flammes, grâce à leur réflexion dans ce miroir [le Soleil], se répand sur nous et c'est cette splendeur que nous appelons image.

402 Julien mourut pour le même crime que Socrate. Tous deux divulguèrent une partie du mystère solaire, le mystère héliocentrique ne constituant qu'une partie de ce qui était communiqué pendant l'Initiation – l'un consciemment, l'autre inconsciemment, car le Sage Grec n'avait jamais été initié. Ce n'était pas le véritable système solaire qui était gardé ainsi secret, mais les mystères se rattachant à la constitution du Soleil. Socrate fut condamné à mort par des juges terrestres de ce monde ; Julien périt de mort violente parce que la main qui le protégeait jusqu'alors l'abandonna et que, cessant d'être protégé par elle, il fut simplement abandonné à sa destinée ou Karma. Pour l'étudiant en Occultisme, il y a une différence suggestive entre ces deux genres de mort. Un autre cas mémorable de révélation inconsciente de secrets se rattachant aux mystères, est celui du poète P. Ovidius Naso (Ovide) qui, de même que Socrate, n'avait pas été initié. Dans son cas, l'Empereur Auguste qui était Initié, eut la clémence de commuer la peine de mort en un bannissement à Tomos, sur le Pont- Euxin. Ce passage soudain de la faveur royale illimitée à un bannissement, a servi de thème aux spéculations des classiques qui n'étaient pas initiés aux Mystères. Ils ont cité les propres écrits d'Ovide pour établir que ce changement avait pour cause une grande et hideuse immoralité de l'Empereur dont Ovide avait involontairement eu connaissance, L'inexorable loi d'après laquelle la peine de mort était toujours la conséquence de la révélation aux profanes d'une partie des Mystères, leur était inconnue. Au lieu de voir l'acte de bonté et de clémence de l'Empereur sous son véritable jour, ils s'en servirent comme d'un prétexte pour calomnier sa moralité. Les paroles du poète ne constituent pas une preuve, car, n'étant pas Initié, il n'était pas possible de lui expliquer en quoi consistait son offense. Il y a eu des cas relativement modernes de poètes qui révélèrent inconsciemment dans leurs vers assez de savoir occulte pour faire supposer, même à des Initiés, qu'ils étaient initiés comme eux et les amener à causer avec eux sur la question. Cela prouve simplement que le tempérament sensitif des poètes est souvent transporté assez loin des limites ordinaires des sens, pour entrevoir ce qui a été imprimé sur la Lumière Astrale. Dans La Lumière de l'Asie, il y a deux passages qui pourraient faire croire à un Initié du premier degré que M. Edwin Arnold a été lui-même initié dans les âshramas de l'Himalaya, mais il n'en est rien.

 

Il est évident que Philolaus faisait allusion au Soleil central spirituel, dont le rayonnement et la splendeur ne sont que réfléchis par notre Etoile centrale, le Soleil. C'est aussi clair pour les Occultistes que jadis pour les Pythagoriciens. Quant aux profanes de l'antiquité païenne, le Soleil physique était naturellement pour eux le "Dieu, suprême", comme il semble – s'il faut en croire le chevalier Drach – qu'il le soit devenu virtuellement de nos jours pour les catholiques romains modernes. Si les mots ont un sens, l'affirmation du chevalier Drach que "ce Soleil est incontestablement la seconde hypostase de la Divinité", implique ce que nous disons ; car les mots "ce Soleil" se rapportent au Soleil  Cabalistique et "hypostase" veut dire substance ou existence de la Divinité, ou Trinité clairement personnelle. L'auteur étant un ancien Rabbin, très versé dans la connaissance de l'Hébreu et des mystères du Zohar, il devait connaître la valeur des mots et comme, en outre, son but en écrivant cela était de concilier, suivant son expression, "les apparentes contradictions" entre le judaïsme et le christianisme, le fait devient tout à fait évident.

Mais tout cela se rattache à des questions et à des problèmes qui trouveront naturellement leur solution au cours du développement de la doctrine : L'Eglise catholique romaine est accusée, non pas d'adorer sous un autre nom les êtres divins qu'adoraient toutes les Nations de l'antiquité, mais de déclarer idolâtres, non seulement les Païens anciens et modernes, mais toutes les Nations chrétiennes qui ont secoué le joug de Rome. L'accusation qu'ont lancée contre elle plusieurs [V 238] savants, d'adorer les étoiles comme de véritables Sabéens de jadis, n'a jamais été contredite jusqu'à ce jour, pourtant aucun adorateur d'étoiles n'a jamais adressé son culte aux étoiles et aux planètes matérielles, comme nous le démontrerons avant que la dernière page de cet ouvrage ne soit écrite. Il n'en est pas moins vrai que, seuls les philosophes qui avaient étudié l'Astrologie et la Magie savaient qu'il fallait chercher le dernier mot de ces sciences dans les forces occultes qui émanent de ces constellations et qu'on ne pouvait le trouver que là.

[Cette Section est presque exactement la même que la sous-section 2 de la Section V dans le manuscrit de 1886. Note de l'Editeur.]