SECTION XXX

LE MYSTERIEUX "SOLEIL DE L'INITIATION"

 

On peut mieux se rendre compte de l'antiquité de la DOCTRINE SECRETE quand on montre à quelle époque de l'histoire ses Mystères avaient déjà été profanés, en étant mis au service de l'ambition personnelle du roi despote et du prêtre rusé. Ces drames religieux, composés avec beaucoup de science et une profonde philosophie, et dans lesquels étaient représentées les plus grandioses vérités de l'Univers Occulte ou Spirituel, ainsi que le savoir caché, avaient commencé à être persécutés bien avant l'époque où florissaient Platon et même Pythagore. Malgré tout, les révélations primordiales faites au genre humain n'ont pas disparu avec les Mystères ; elles sont encore conservées comme l'héritage de générations futures, plus spirituelles.

Il a été exposé, dans Isis Dévoilé 516, que, même à l'époque lointaine d'Aristote, les grands Mystères avaient déjà perdu leur grandeur et leur solennité primitives. Leurs rites étaient tombés en désuétude, ils avaient notablement dégénéré en simples spéculations sacerdotales et étaient devenus des duperies religieuses. Il est inutile d'exposer à quelle époque ils firent leur première apparition en Europe et en Grèce, puisqu'il est possible de dire que l'histoire reconnue commence avec Aristote,  puisque tout ce qui le précède semble être dans une inextricable confusion chronologique. Il suffit de dire qu'en Egypte les Mystères étaient connus depuis l'époque de Ménès et que les Grecs les reçurent seulement lorsque Orphée les importa de l'Inde. Dans un article intitulé : "L'écriture était-elle connue avant Pânini 517 ?" il est dit que les Pandous avaient conquis la domination universelle et avaient enseigné les Mystères "sacrificiels" aux autres races dès l'an 3 300 avant J.-C. En fait, lorsque Orphée, fils d'Apollon ou Hélios, reçut de son père le phorminx – la lyre à sept cordes, symbole du  septuple mystère de l'Initiation – ces Mystères étaient [V 305] déjà d'une antiquité reculée, dans le centre de l'Asie et en Inde. Selon Hérodote, ce fut Orphée qui les importa de l'Inde, et Orphée est bien antérieur à Homère et à Hésiode. Ainsi donc, à l'époque d'Aristote, il ne restait plus que de rares Adeptes en Europe et même en Egypte. Les héritiers de ceux qui avaient été dispersés par l'épée victorieuse des différents envahisseurs de l'antique Egypte, avaient été dispersés à leur tour. De même que 8 000 ou 9 000 ans auparavant, le courant du savoir était lentement descendu, des plateaux de l'Asie Centrale dans l'Inde et vers l'Europe et l'Afrique du Nord, de même, environ 500 ans avant J.-C., il avait commencé à remonter vers son antique point de départ. Durant les deux mille ans qui suivirent, la connaissance de l'existence de grands Adeptes s'éteignit presque complètement en Europe. Pourtant, en certains endroits secrets, les Mystères continuèrent à être célébrés dans toute leur pureté primitive. Le "Soleil de Justice"  continuait à briller haut dans le ciel de minuit et tandis que les ténèbres s'étendaient sur le monde profane, il y avait la lumière éternelle dans les Sanctuaires Occultes durant les nuits d'Initiation. Les vrais Mystères ne furent jamais rendus publics. Eleusis et Agra, pour les multitudes ; le Dieu Εύβουλή "de bon conseil", la grande Divinité Orphique, pour le Néophyte.

516 Op. cit., I, p. 93.

517 Five Years of Theosophy, p. 258. Curieuse question à poser et à résoudre négativement, alors qu'il est bien connu, même des Orientalistes, pour ne citer qu'un exemple, qu'il y a Yaska, qui précéda Pânini et dont les œuvres existent encore ; il y a dix-sept auteurs de Nireukta (Glossaires) connus comme ayant précédé Yaska.

 

Ce Dieu mystère – que nos Symbologues confondent avec le Soleil – qu'était-Il ?  Tous  ceux  qui  ont  une  idée  de  l'antique  foi  exotérique  des Egyptiens, savent parfaitement que pour la multitude Osiris était le Soleil dans  le  Ciel,  "le  Roi  Céleste",  Ro-Imphab :  que  les  Grecs  appelaient  le Soleil, "l'œil de Jupiter", de même que, pour le Pârsi orthodoxe moderne, il est "l'œil d'Ormuzd" : que l'on invoquait en outre le Soleil comme le "Dieu qui  voit  tout"  (πολνόφθαλµος),  comme  le  "Dieu  Sauveur"  et  le  Dieu  de Salut" (Αίτιον τη̃ς σωτηρίας). Lisez à Berlin le papyrus de Paphéronmès et la stèle, telle que l'a traduite Mariette Bey 518   et voyez ce qu'ils disent :

Gloire à toi, ô Soleil, enfant divin !... Tes rayons apportent la vie aux purs et à ceux qui sont prêts... Les Dieux [les "Fils de Dieu"] qui t'approchent, tremblent de joie et de terreur... Tu es le premier né, le Fils de Dieu, le Verbe 519.

 L'Eglise s'est maintenant emparée de ces termes et voit l'annonce de la venue du Christ dans ces expressions du [V 306] rituel de l'Initiation et dans les paroles prophétiques des Oracles Païens. Ce n'est nullement exact, car elles s'appliquaient à tous les dignes Initiés. Si les expressions employées dans les écrits hiératiques et dans les glyphes, des milliers d'années avant notre ère, se retrouvent maintenant dans les hymnes et les prières des Eglises chrétiennes, c'est simplement parce que les Chrétiens latins n'ont pas rougi de se les approprier, espérant bien que la postérité ne s'en apercevrait jamais. On avait tout fait pour détruire les manuscrits païens originaux et l'Eglise se croyait à l'abri. Le Christianisme eut incontestablement ses grands Voyants et ses grands Prophètes, comme toute religion, mais le fait de nier leurs prédécesseurs ne renforce pas leurs prétention.

Ecoutez ce que dit Platon :

Sache, Glaucus, que lorsque je parle de la production du bien, c'est au Soleil que je fais allusion. Le Fils a une analogie parfaite avec le Père.

Jamblique appelle le Soleil "l'image de l'intelligence divine ou Sagesse". Eusèbe, répétant les paroles de Philon, appelle le Soleil levant (άνατοή), l'Ange principal, le plus ancien, en ajoutant que l'Archange, qui est polyonymous (titulaire de nombreux noms) est le Verbe ou Christ. Le mot Sol (Soleil) étant tiré de solus, l'Unique, ou de "Lui seul" et son nom grec de Hélios signifiant le "Très-Haut", l'emblème devient compréhensible. Néanmoins, les Anciens établissaient une différence entre le Soleil et son prototype.

Socrate saluait le Soleil levant, comme de nos jours le véritable Pârsi ou Zoroastrien et Homère ainsi qu'Euripide, comme souvent Platon après eux, font mention du Jupiter-Logos, le "Verbe" ou Soleil. Les Chrétiens soutiennent pourtant que l'oracle consulté au sujet du Dieu Iao ayant répondu : "C'est le Soleil", il en résulte que :

Le Jéhovah des Juifs était bien connu des Païens et des Grecs 520. et que "Iao est notre Jéhovah". La première partie de la proposition n'a, semble-t-il, rien à faire avec la seconde et la conclusion, surtout, ne peut être considérée comme correcte ; mais si les Chrétiens sont tellement anxieux d'établir l'identité, les Occultistes n'y voient aucun inconvénient. Seulement, dans ce cas, Jéhovah est aussi Bacchus. Il est bien étrange que les peuples de la Chrétienté civilisée continuent jusqu'à présent à se cramponner aussi désespérément aux vêtements des Juifs idolâtres – qui étaient Sabéens et adorateurs du Soleil 521, comme la plèbe de la Chaldée – et n'arrivent pas à se rendre compte que le Jéhovah postérieur n'est qu'un développement [V 307] Juif du Ja-va ou Iao des Phéniciens ; bref, que ce nom était le nom secret d'un Dieu Mystère, d'un des nombreux Kabires. Considéré comme le "Dieu suprême" Par une petite nation, il ne fut jamais tel pour les initiés qui dirigeaient les Mystères ; pour eux, ce n'était qu'un Esprit Planétaire attaché au Soleil visible, et le Soleil visible n'est que l'Etoile centrale et non pas le Soleil spirituel central.

Et l'Ange du Seigneur lui dit [à Manué] : "Pourquoi m'interroges-tu sur mon nom, voyant qu'il est secret 522."

Quoi qu'il en soit, il n'est guère possible de discuter l'identité du Jéhovah du mont Sinaï avec le Dieu Bacchus et il est certainement – comme cela est déjà exposé dans Isis Dévoilée – Dionysos 523. Partout où Bacchus était l'objet d'un culte, il existait une tradition au sujet de Nyssa 524 et une caverne où il avait été élevé. En dehors de la Grèce, Bacchus était le tout-puissant "Zagreus, le plus haut des Dieux", au service duquel était attaché Orphée, fondateur des Mystères. A moins, donc, de concéder que Moïse était un Prêtre-Initié, un Adepte, dont toutes les actions sont allégoriquement racontées, il faut admettre qu'il était personnellement et toutes ses légions d'Israélites avec lui, des adorateurs de Bacchus.

Et  Moïse  construisit  un  autel  et  lui  donna  le  nom de Jéhovah Nissi [ou Iao-nisi, ou encore Dionisi] 525.

Pour appuyer ce que nous disons, nous n'avons qu'à rappeler que l'endroit où naquit Osiris, le Zagreus ou Bacchus [V 308] Egyptien était le Mont Sinaï, qui est appelé par les Egyptiens le Mont Nissa. Le serpent d'airain était un nis שהנ et le mois de la pâque juive est Nisan.

[Cette Section est pratiquement la même que la sous-section 4 de la Section V du manuscrit de 1886. Note de l'Editeur.]

 

518 La Mère d'Apis, p. 47.

519 Celui qui vient d'être initié est appelé le "premier-né" et, en Inde, il ne devient dwija, "deux fois né" qu'après sa suprême et finale Initiation. Tout Adepte est un "Fils de Dieu" et un "Fils de Lumière" après avoir reçu le "Verbe", car il devient lui-même le "Verbe" après avoir reçu les sept attribut divins ou la "Lyre d'Apollon".

520 Voyez de Mirville, IV, 15.

521 IIème Livre des Rois, XXIII, 4-5.

522 Juges, XIII, 18, Samson, le fils de Manué, était un Initié de ce "Mystérieux" Seigneur Ja-va ; il avait été consacré avant sa naissance en vue de devenir un "Nazarite" (un chéla), un Adepte. Sa faute avec Dalila et la coupe de ses longs cheveux "qu'aucun rasoir ne devait toucher" montrent comment il tint son vœu sacré. L'allégorie de Samson prouve l'Esotérisme de la Bibleet aussi le caractère des "Dieux de Mystère" des Juifs. Il est vrai que Movers donne une définition de l'idée phénicienne de la lumière idéale du Soleil, en tant qu'influence spirituelle émanant du Dieu suprême Iao, "la lumière qui n'est concevable que par l'intellect – le Principe physique et spirituel de toutes choses, d'où l'Ame émane". C'était l'Essence mâle ou Sagesse, tandis que la matière primitive ou Chaos était la femelle. Ainsi les deux principes, co-éternels et infinis étaient déjà, pour les Phéniciens primitifs, esprit et matière. Mais ce n'est que l'écho de la pensée juive et non l'opinion des Philosophes païens.

523 Voyez Isis Dévoilée, IV, 240.

524 En Palestine, Beth-San ou Scythopolis était ainsi désignée ; il en était de même d'un point du Mont Parnasse. Mais Diodore déclare que Nyssa se trouvait entre la Phénicie et l'Egypte. Euripide dit que Dionysos fut importé de l'Inde en Grèce et Diodore ajoute son témoignage : "Osiris fut élevé à Nyssa, dans l'Arabie Heureuse ; c'était le fils de Zeus et il fut dénommé d'après son père (nominatif Zeus, génitif Dios) et d'après la localité Dio-Nysos" – le Zeus ou Jupiter de Nyssa.