SECTION XLIX
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TSONG-KHA-PA
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LOHANS EN CHINE
Tout ce qui pouvait être dit au sujet de Tsong-Kha-Pa a été publié dans un article intitulé "Reincarnation in Tibet" 158. Il fut dit que ce réformateur n'était pas, comme le prétendent les Parsis érudits, l'incarnation de l'un des Dhyânis célestes, ou des cinq Bouddhas célestes, représentés comme ayant été créés par Shakyainouni après qu'il se fut élevé jusqu'au Nirvâna, mais qu'il était l'incarnation d'Amita Bouddha Lui- même. Les archives conservées à Gon-pa, la principale Lamaserie de Tda- shi-Hlumpo [Tashi-hlumpo], prouvent que Sang-gyas quitta les régions du "Paradis Occidental" pour S'incarner dans Tsong-Kha-Pa, en raison du grand état de dégradation dans laquelle Ses doctrines secrètes étaient tombées.
Toutes les fois qu'elle fut rendue trop publique, la Bonne Loi de Cheu [les pouvoirs magiques] se transforma invariablement en sorcellerie ou "magie noire". Aux Dwijas, aux Hoshang [moines chinois] et aux Lamas seuls, on pouvait confier sans crainte les formules.
Jusqu'à l'époque de Tsong-Kha-Pa, il n'y avait pas eu d'incarnations de Sang-gyas (Bouddha) au Tibet.
Tsong-Kha-Pa fit connaître les signes permettant de reconnaître la présence de l'un des vingt-cinq Bodhisattvas 159 ou des Bouddhas Célestes (Dhyân Chohans) dans un corps humain et Il interdit formellement la nécromancie. Ceci provoqua une scission parmi les Lamas, et les mécontents firent alliance avec les Bons aborigènes, contre le Lamaïsme réformé. Même aujourd'hui, ils constituent une secte puissante, mettant en pratique les rites les plus répugnants dans tout le Sikkhim, le Bhoutan, le Népal et même sur les confins du Tibet. C'était pire alors. Avec la permission du Tda-shou [VI 107] ou Teshou-Lama 160, une centaine de Lohans (Arhats), pour éviter les luttes, allèrent s'établir en Chine, dans le fameux monastère proche de Tien-t'-ai, où ils servirent bientôt de thème aux légendes populaires et cela dure jusqu'à présent. Ils avaient déjà été précédés par d'autres Lohans [arhan, arhat], les disciples de Tathâgata, célèbres dans le monde entier et surnommés "ceux à la voix douce" en raison de leur habileté à chanter les Mantras avec un effet magique 161.
158 Voyez The Theosophist de mars 1882 (p. 146).
159 Le rapport intime qui existe entre les vingt-cinq Bouddhas Bodhisattvas et les vingt-cinq Tattvas (Conditionnées ou Limitées) des Hindous, est intéressant.
160 Il est curieux de remarquer la grande importance que les Orientalistes Européens donnent aux Dalaï Lamas de Lhassa et leur complète ignorance de tout ce qui concerne les Tda-shou (ou Teshou) Lamas, alors que ce fut par ces derniers que commença la série hiérarchique des incarnations de Bouddha et que de facto ce soient eux les "papes" du Tibet : les Dalaï Lamas ont été créés par Nabang-lob-Sang, le Tda-shou-Lama, qui était Lui-même la sixième incarnation d'Amita, par Tsong-kha-pa, bien que très peu de personnes paraissent être au courant de ce fait.
161 Le chant d'un Mantra n'est pas une prière, mais plutôt une phrase magique dans laquelle la loi de causation Occulte se rattache à la volonté et aux actes de celui qui la chante et de qui elle dépend. C'est une succession de sous Sanscrits et lorsque les mots et les phrases sont prononcés conformément aux formules magiques de l'Atharva Véda, que peu de gens comprennent, certains Mantras produisent un effet aussi instantané que merveilleux. Dans leur sens ésotérique ils contiennent le Vach (le "langage mystique"), qui réside dans le Mantra, ou plutôt dans ses sons, puisque c'est suivant les vibrations imprimées à l'éther, dans un sens ou dans l'autre, que l'effet est produit. Les "doux chanteurs" étaient ainsi dénommés parce qu'ils étaient experts en Mantras. De là vient la légende chinoise d'après laquelle le chant et la mélodie des Lohans sont entendus à l'aube par les prêtres, du fond de leurs cellules du monastère de Fang-Kwang. (Voyez Biography of Chi- Kai dans Tien-tai-nan-tchi). [Voir Chinese Buddhism, p. 177.]
162 Le célèbre Lohan Mâdhyyantika, qui convertit au Bouddhisme le roi et tout le pays de Cachemire, envoya un groupe de Lohans pour prêcher la Bonne Loi. Ce fut le sculpteur qui éleva à Bouddha la fameuse statue de cent pieds de haut, que hiuen-Tsaung vit à Dardou, au nord du Pundjab. Comme le même voyageur chinois fait mention d'un temple à dix lis de Péshawor – de 350 pieds de tour et de 850 pieds de haut – qui, à son époque (en 550 de notre ère), datait déjà de 850 ans, Kœppen pense qu'en l'an 292 av. J.-C. le Bouddhisme était déjà la religion dominante du Pundjab.
163 Voir Chinese Buddhism, p. 254 et en général au sujet du Bouddhisme en Chine.
Les premiers vinrent de Cachemire en l'an 3000 du Kali Youga (environ un siècle avant l'ère Chrétienne) 162, tandis que les derniers arrivèrent à la fin du XVIème siècle, 1.500 ans plus tard et, ne trouvant pas de place pour eux dans la lamaserie de Yihig-ching, ils construisirent, pour leur propre usage, le plus grand des monastères de l'île sacrée de Pou-to
(Bouddha, ou Pout, en Chinois), dans la province de Chousan. La Bonne Loi, la "Doctrine du Cœur", y fut florissante durant plusieurs siècles. Mais lorsque l'île fut profanée par une masse d'étrangers Occidentaux, les principaux Lohans la quittèrent pour gagner les montagnes de -. Dans la Pagode de Pi-yun-ti, [VI 108] près de Pékin, on peut encore voir le "Hall des Cinq Cents Lohans". Les statues des premiers arrivés y sont rangées dans le bas, tandis qu'un Lohan solitaire est placé juste sous le toit de la construction, qui semble avoir été élevée en commémoration de leur visite 163.
Les œuvres des Orientalistes regorgent de repères directs d'Arhats (Adeptes) possédant des pouvoirs thaumaturges, mais ils n'en parlent – lorsqu'il n'est pas possible d'éviter ce sujet – qu'avec un mépris non déguisé. Ignorant innocemment ou de propos délibéré, l'importance de l'élément Occulte et du symbolisme dans les diverses Religions qu'ils entreprennent d'expliquer, ils résument généralement ces passages et ne les traduisent pas. En simple justice, cependant, on devrait admettre que, si exagérés qu'aient pu être tous ces miracles par le respect et l'imagination populaires, ils n'en sont ni plus ni moins attestés dans les annales "païennes", que ne le sont, dans les chroniques de l'Eglise, ceux des nombreux Saints Chrétiens. Ils ont, les uns et les autres, un droit égal à une place dans leurs histoires respectives.
Si l'on n'entendit plus parler des Arhats aux Indes, après le commencement des persécutions contre le Bouddhisme, ce fut parce que leurs vœux leur interdisaient les représailles, de sorte qu'ils durent quitter le pays pour chercher la solitude et la sécurité en Chine, au Tibet, au Japon et ailleurs. La puissance sacerdotale des Brahmanes étant illimitée à cette époque, les Simon et les Apollonius du Bouddhisme avaient autant de chances d'être reconnus et appréciés par les Irénée et les Tertullien du Brahmanisme, qu'en eurent leurs successeurs dans les mondes Judaïque et Romain. Ce fut une répétition historique des drames qui se déroulèrent, des siècles plus tard, dans la Chrétienté. Comme ce fut le cas pour les prétendus "Hérésiarques" du Christianisme, ce ne fut pas parce qu'ils repoussaient les Védas ou la Syllabe sacrée, que les Arhats Bouddhistes furent persécutés, mais parce qu'ils comprenaient trop bien le sens secret des deux. Ce fut seulement parce qu'on considérait leur savoir comme dangereux et leur présence aux Indes comme peu désirable, qu'ils durent émigrer.
Le nombre des Initiés parmi les Brahmanes eux-mêmes n'était pas non plus inférieur. Encore maintenant on rencontre des Saddhous et des Yogis merveilleusement doués, qui sont obligés de se tenir à l'écart et dans l'ombre, non [VI 109] seulement à cause du secret absolu qui leur a été imposé lors de leur Initiation, mais encore par crainte des tribunaux Anglo- Indiens, dont les juges sont déterminés à considérer comme du charlatanisme, de l'imposture et de la fraude, l'exhibition de pouvoirs anormaux ou la prétention à des pouvoirs anormaux, et l'on peut juger du passé par le présent. Plusieurs siècles après notre ère, les Initiés des temples intérieurs et des Mathams (communautés monastiques) élirent un conseil supérieur présidé par un tout-puissant Brahm-Atmâ, Chef Suprême de tous ces Mahâtmas. Ce pontificat ne pouvait être exercé que par un Brahmane ayant atteint un certain âge ; il était le seul gardien de la formule mystique et c'était le Hiérophante qui créait les grands Adeptes. Lui seul pouvait expliquer la signification du mot sacré AUM et de tous les symboles et rites religieux. Celui des Initiés du Suprême Degré qui révélait à un profane une seule des vérités qui lui avaient été confiées, fut-ce la plus petite, devait mourir, et celui qui avait reçu la confidence était mis à mort.
Mais il existait, et il existe encore jusqu'à présent, un Mot de beaucoup supérieur au mystérieux monosyllabe et qui rend celui qui entre en possession de sa clef, presque l'égal de Brahman. Les Brahmâtmâs seuls possèdent cette clef et nous savons que, jusqu'à présent, il y a dans l'Inde Méridionale deux grands Initiés qui la possèdent. Elle ne peut être transmise qu'à la mort, car c'est le "Mot Perdu". Aucune torture, aucune puissance humaine ne pourrait obliger le Brahmane qui la connaît à la dévoiler et elle est bien gardée au Tibet.
Ce secret et ce profond mystère sont pourtant décourageants, puisque, seuls, les Initiés de l'Inde et du Tibet seraient capables de dissiper complètement les épais brouillards qui voilent l'histoire de l'Occultisme, et imposer la reconnaissance de ses prétentions. L'injonction de Delphes "Connais-toi toi-même", semble ne concerner que le petit nombre, à notre époque ; mais on ne devrait pas en imputer la faute aux Adeptes, qui ont fait tout ce qu'il était possible de faire, et qui sont allés aussi loin que le leur permettaient Leurs règles, pour ouvrir les yeux du monde. Seulement si, d'un côté, les Européens reculent devant le blâme et le ridicule publics que l'on ne ménage pas aux Occultistes, les Asiatiques, de leur côté, sont découragés par leurs propres Pandits. Ceux-ci prétendent être sous la triste impression qu'aucune Bija Vidyâ, qu'aucun Adeptat n'est possible durant le Kali Youga ("l'Age noir") que nous traversons actuellement. On enseigne même aux Bouddhistes que le Seigneur Bouddha est réputé avoir prophétisé que la puissance expirerait "un [VI 110] millier" d'années après Sa mort, mais c'est là une erreur absolue. Dans la Digha Nikâyale Bouddha dit :
Ecoute, Soubhadra ! Le monde ne sera jamais dépourvu de Rabats, si les ascètes qui font partie de mes congrégations suivent bien et fidèlement mes préceptes.
Un démenti semblable de l'opinion émise par les Brahmanes est donné par Krishna dans la Bhagavad Gîta, sans parler de l'apparition effective de nombreux Sâddhous et faiseurs de miracles, dans le passé et même à l'époque actuelle. Il en est de même en Chine et au Tibet. Parmi les commandements de Tsong-Kha-Pa, il en est un qui enjoint aux Rahats (Arhats) de faire une tentative pour éclairer le monde, y compris les "barbares blancs", une fois par siècle, à un certain moment désigné du cycle. Jusqu'à présent, aucune de ces tentatives n'a été couronnée d'un grand succès. Les échecs ont succédé aux échecs. Devons-nous expliquer ce fait à l'aide d'une certaine prophétie ? Il y est dit que jusqu'au moment où Phan-chhen-rin-po-chhe (le Grand Joyau de Sagesse) 164 condescendra à renaître dans le pays des P'he-ling (Occidentaux) et, en y apparaissant comme le Conquérant Spirituel 165 à détruire les erreurs et l'ignorance des âges, il ne sera guère utile de chercher à déraciner les fausses interprétations de P'héling-pa (l'Europe), dont les fils n'écouteront personne. Une autre prophétie déclare que La Doctrine Secrètene subsistera dans toute sa pureté dans le Bhodyoul (Tibet), que tant que le pays demeurera à l'abri de l'invasion étrangère. Les visites mêmes d'Occidentaux, si amicales qu'elles puissent être, seraient funestes aux populations du Tibet. Là gît l'explication de l'exclusivisme des Tibétains.
164 Un des titres du Tda-shou-Hloum-po Lama. "Pan-chen" est l'abréviation de "Pandita chen po" et peut se traduire "Grand Pandit". "Rin-po-che" : précieux, joyau, ce qu'il y a de meilleur dans son espèce. "Son Eminence le Premier Pandit" paraît rendre assez bien ce titre du Grand Lama de Shi- ga-tsé.
165 Chom-den-da ou Bcom-Idan-sdas : celui qui, victorieux, est passé au-delà ; sanscrit : Bhâgavat.