SECTION XXXVII

LES AMES DES ETOILES

HELIOLATRIE UNIVERSELLE

 

Afin d'établir que les Anciens n'ont jamais "pris les étoiles pour des Dieux" ou des Anges et le soleil pour les suprêmes Dieux et Dieu, mais n'ont voué de culte qu'à l'Esprit de toutes et ont vénéré les  Dieux inférieurs, qui étaient supposés avoir leurs résidences dans le Soleil et les planètes – il nous faut mettre en évidence la différence qui sépare ces deux cultes. Saturne, "le Père des Dieux", ne doit pas être confondu avec son homonyme – la planète du même nom avec ses huit lunes et ses trois anneaux. Ces deux Saturnes – bien qu'identiques en un sens, comme le sont, par exemple, l'homme physique et son âme – doivent être séparés lorsqu'il s'agit de culte. On doit surtout le faire avec le plus grand soin lorsqu'il s'agit des sept planètes et de leurs Esprits, car toute la formation de l'univers leur est attribuée dans les Enseignements Secrets. Il faut encore signaler la même différence entre les Etoiles de la Grande Ourse, la Riksha et la Chitra shikhandin, "au cimier brillant" et les Richis – les Sages mortels qui apparurent sur la Terre pendant le Satya Youga. S'ils ont tous été jusqu'à présent aussi étroitement réunis dans les visions des voyants de toutes les époques – y compris les voyants de la Bible – il faut qu'il y ait eu une raison pour cela. Il ne faudrait pas remonter jusqu'aux périodes de "superstition" et d' "imaginations anti-scientifiques" pour découvrir des grands hommes de notre époque qui les partagent. Il est bien connu que Kepler, l'éminent astronome, d'accord en cela avec beaucoup d'autres grands hommes qui croyaient que les corps célestes avaient une influence favorable ou néfaste sur la destinée des hommes et des nations – ajoutait, en outre, pleinement foi au fait que les corps célestes, même notre propre terre, sont dotés d'âmes vivantes et pensantes.

A ce propos, l'opinion de Le Couturier mérite d'être citée :

 Nous sommes trop portés à critiquer sans pitié tout ce qui concerne l'astrologie et ses idées ; pourtant, notre critique, pour mériter ce nom, devrait, sous peine de manquer son but, savoir au moins ce que sont en réalité ces idées. Et lorsque parmi les hommes ainsi critiqués, nous relevons les noms de Regiomontanus, de Tycho- Brahé, de Kepler, etc., nous avons des raisons de nous [VI 22] montrer prudents. Kepler était un astrologue de profession et finit par devenir un astronome. Il gagnait sa vie en traçant des horoscopes qui indiquaient l'état des cieux au moment de la naissance des individus,  comme le faisaient tous ceux qui traçaient des horoscopes. Ce grand homme croyait aux principes de l'astrologie, sans en accepter tous les résultats insensés 35.

On proclame cependant que l'astrologie est une science coupable et, de même que l'Occultisme, condamnée par les Eglises. Il est cependant douteux que le "culte mystique des étoiles" puisse être tourné, aussi facilement qu'on le croit, en dérision – au moins par les Chrétiens. Les légions des Anges, des Chérubins et des Archanges Planétaires sont identiques aux Dieux mineurs des Païens. Quant à leurs "grands Dieux", si l'on a prouvé que Mars – de l'aveu même des ennemis des astrologues païens – était considéré par eux comme personnifiant simplement la force de l'unique Divinité suprême impersonnelle, si Mercure personnifiait son omniscience, Jupiter son omnipotence et ainsi de suite, il s'ensuit que la "superstition" des Païens est vraiment devenue la "religion" des masses des nations civilisées. En effet, pour ces dernières, Jéhovah est la synthèse des sept Elohim, l'éternel centre de tous ces attributs et de toutes ces forces, l'Aléi des Aléim et l'Adonaï des Adonim. Et si, chez elles, Mars s'appelle aujourd'hui saint Michel, la "force de Dieu", si Mercure s'appelle Gabriel, "l'omniscience et le courage de Dieu" et Raphaël, "la bénédiction ou le pouvoir de guérir de Dieu", ce n'est qu'un changement de noms, et les personnages restent les mêmes derrière les masques.

 35 Musée des sciences, p. 230.

 

La mitre du Dalaï-Lama 36 a sept arêtes en honneur des sept principaux Dhyâni Bouddhas. Dans le rituel funéraire des Egyptiens, on fait dire au défunt :

 Salut à vous, ô Princes, qui vous tenez en présence d'Osiris... Envoyez-moi la grâce de voir mes péchés détruits, comme vous l'avez fait pour les sept esprits qui suivent leur Seigneur 37.

La tête de Brahmâ est ornée de sept rayons et il est suivi par les sept Richis dans les sept Svargas. La Chine a ses sept pagodes ; les Grecs avaient leurs sept Cyclopes, sept Démiurges [VI 23] et les Dieux de Mystère, les sept Kabires, dont le chef était Jupiter-Saturne et, pour les juifs, Jéhovah. Aujourd'hui, cette dernière Divinité est devenue le chef de toutes, le Dieu suprême et unique et son ancienne place est occupée par Mikaël (Michel). Il est le "chef de la Légion" (tsaba) ; l"Archistratège de l'armée du Seigneur" ; le "Vainqueur du Diable" – Victor diaboli – et "l'Archisatrape de la Milice Sacrée", celui qui tua le "Grand Dragon". Malheureusement l'astrologie et le symbolisme, n'ayant aucune raison de voiler les choses anciennes sous de nouveaux masques, ont conservé le nom véritable de Mikaël – "c'était Jéhovah" – Mikaël étant l'Ange de la face du Seigneur 38, "le gardien des planètes" et la vivante image de Dieu. Il représente la Divinité dans ses visites à la terre ; en effet, ainsi que le fait est bien exprimé en Hébreu, c'est un לאכימ qui est comme Dieu, ou qui ressemble à Dieu. C'est lui qui chasse le serpent 39.

Mikaël étant le régent de la planète Saturne, n'est autre que Saturne 40. Son nom de mystère est Sabbathiel, parce qu'il préside au Sabbat juif, ainsi qu'au Samedi astrologique. Une fois qu'on l'a identifié, la réputation du vainqueur Chrétien du démon est encore plus menacée par d'autres identifications. Les anges bibliques sont appelés Malachim, les messagers entre Dieu (ou plutôt les dieux) et les hommes. En Hébreu ךלמ Malach, veut dire aussi "un Roi" et Malach ou Melech c'était aussi Moloch, ou encore Saturne, le Seb de l'Egypte, à qui était dédié le Dies Saturni ou Sabbat. Les Sabéens établissaient, entre la planète Saturne et son Dieu, une distinction encore plus grande que celle que les Catholiques Romains conservent entre leurs anges et leurs étoiles ; et les Cabalistes font de l'Archange Mikaël le patron de la septième œuvre de magie.

36 [Lâma (le Lama Tibétain) veut dire un Supérieur. Le "titre" était à l'origine réservé aux chefs de monastère et il n'est encore applicable dans son sens strict aux abbés et moines de rang supérieur ; cependant, par politesse on donne maintenant ce titre à presque tous les moines et  prêtres Lamaïstes. – Waddell.]

37 Traduction du Vicomte de Rougemont. Voyez les Annales de Philosophie Chrétienne, 7ème année, 1861.

38 Isaïe, LXIII, 9. "L'Ange de sa présence."

39 Chapitre XII de l'Apocalypse : La guerre régnait au ciel, Mikaël et ses anges combattirent contre le Dragon", etc. (7), et le grand dragon fut chassé (9).

40 C'est aussi l'esprit qui anime le Soleil et Jupiter et même Vénus.

 

Dans le symbolisme théologique... Jupiter [le Soleil] est le Sauveur élevé et glorieux et Saturne est Dieu le Père, ou le Jéhovah de Moïse 41. dit Eliphas Lévi qui devait le savoir. Jéhovah et le Sauveur, Saturne et Jupiter, ne faisant qu'un et Mikaël étant appelé la vivante image de Dieu, il semble vraiment dangereux pour l'Eglise d'appeler Saturne, Satan – le dieu mauvais 42. Cependant Rome est forte en casuistique et se tirera de cela comme [VI 24] elle s'est tirée de toutes les autres identifications, à sa gloire et à sa complète satisfaction. Néanmoins tous ses dogmes et ses rituels semblent être des pages arrachées à l'histoire de l'Occultisme, puis ensuite déformées. La très mince cloison qui sépare les Théogonies cabalistique et Chaldéenne, de l'Angélologie et de la Théodicée des Catholiques Romains, est aujourd'hui avouée par au moins un auteur Catholique Romain. On a de la peine à en croire ses yeux, en découvrant ce qui suit (on devrait étudier avec soin les passages que nous avons mis en italiques) :

Un des traits les plus caractéristiques de nos Saintes Ecritures réside dans la discrétion calculée avec laquelle on y énonce les mystères moins directement utiles au salut... Ainsi, au-delà de ces "myriades de myriades" de créatures angéliques que nous venons de mentionner 43 et de toutes ces divisions prudemment élémentaires, il en existe certainement beaucoup d'autres, dont les noms mêmes ne sont pas encore parvenus jusqu'à nous 44. "En effet, comme le dit excellemment saint Jean Chrysostôme, il y a sans aucun doute (sine dubio), beaucoup d'autres Vertus (êtres célestes), dont nous sommes encore loin de connaître les noms... Les neuf ordres ne constituent en aucune façon les seules populations du ciel où, au contraire, se trouvent d'innombrables tribus d'habitants infiniment variés  et dont il serait impossible de donner la moindre idée en langage humain... Paul, qui avait appris leurs noms, nous révèle leur existence" (De incomprehensibili Natura Dei, Livre IV).

41 Dogme et Rituel, II, 116.

42 En français dans le texte (N.d.T.).

43 Si on les énumérait, on constaterait que ce sont les "divisions" et les chœurs de Dévas des Hindous et les Dhyân Chohans du Bouddhisme Esotérique.

 

Ce serait donc se tromper grossièrement de ne voir seulement des erreurs dans l'Angélologie des Cabalistes et des Gnostiques, dont parle si sévèrement l'Apôtre des Gentils, car son imposante censure ne s'adressait qu'à leurs exagérations et à leurs interprétations vicieuses et surtout à l'attribution de ces nobles titres aux misérables personnalités d'usurpateurs démoniaques 45. Souvent rien ne se ressemble plus que le langage des juges et celui des forçats (des Saints et des Occultistes). On doit se plonger profondément dans cette double étude (celle de la foi et celle de sa profession), et, encore mieux, accepter aveuglément l'autorité du tribunal (l'Eglise de  Rome, bien entendu) afin d'arriver à [VI 25] saisir exactement le point où se trouve l'erreur. La Gnose condamnée  par saint Paul reste néanmoins, pour lui comme pour Platon, la connaissance suprême de toutes les vérités et l'Etre par excellence, ὸντως ν (Republ., Livre VI). Les Idées, les types, χαρὶὰ du philosophe grec, les Intelligences de Pythagore, les æons ou émanations, causes de tant de reproches adressés aux premiers hérétiques, le Logos ou Verbe, Chef de ces Intelligences, le Demiurgos, l'architecte du monde sous la direction de son père (des Païens), le Dieu inconnu, l'En-Soph, ou Celui de l'Infini (des Cabalistes), les périodes 46 angéliques, les sept esprits, les Abîmes d'Ahriman, les Recteurs du monde, les Archontes de l'air, le Dieu de ce monde, le plérôme des intelligences, jusqu'à Métatron l'ange des Juifs, tout cela se retrouve, mot pour mot, comme autant de vérités dans les œuvres de nos plus grands docteurs et dans saint Paul 47.

44 Mais ce fait n'a pas empêché l'Eglise Romaine de les adopter quand même, en les recevant de Pères de l'Eglise ignorants, bien que peut-être sincères, qui les avaient empruntés aux Cabalistes – Juifs et Païens.

45 Appeler "usurpateurs" ceux qui ont précédé les Etres Chrétiens, au bénéfice desquels ces mêmes titres furent empruntés, c'est pousser un peu trop loin l'anachronisme paradoxal.

 

Si un Occultiste, désireux d'accuser l'Eglise d'une série sans nombre de plagiats, venait à écrire ce qui précède, que pourrait-il écrire de plus ? Avons-nous ou n'avons-nous pas le droit, après une confession aussi complète, de renverser les rôles et de dire des Catholiques Romains et des autres, ce que l'on dit des Gnostiques et des Occultistes ? "Ils employèrent nos expressions et repoussèrent nos doctrines." En effet, ce ne sont pas les "promoteurs de la fausse Gnose" – qui avaient reçu toutes ces expressions de leurs ancêtres archaïques – qui s'approprièrent les expressions chrétiennes, mais ce sont vraiment les Pères et les Théologiens Chrétiens qui s'emparèrent de notre nid et n'ont cessé depuis lors de chercher à le souiller.

Les lignes citées ci-dessus expliqueront bien des choses à ceux qui cherchent la vérité et rien que la vérité. Elles montreront l'origine de certains rites de l'Eglise, jusqu'à présent inexplicables pour les esprits simples et expliqueront la raison pour laquelle des expressions telles que "Notre Seigneur le Soleil" étaient employées par les Chrétiens dans leurs prières jusqu'au Vème et même jusqu'au VIème siècle de notre ère et étaient incorporées dans la Liturgie, jusqu'au moment où on les changea en "Notre Seigneur Dieu". N'oublions pas que les premiers Chrétiens peignaient le Christ sur les murs de leurs nécropoles souterraines, comme un berger ayant les dehors et tous les attributs d'Apollon et chassant le loup, Fenris, qui cherche à dévorer le Soleil et ses Satellites.

 46 Ou les âges divins, les "jours et les ans de Brahmâ".

47 De Mirville, II, 325, 326. C'est aussi ce que nous disons. Et cela prouve que c'est aux cabalistes et aux Magiciens que l'Eglise est redevable de ses noms. Paul n'a jamais condamné la vraie Gnose, mais la fausse, qu'accepte aujourd'hui l'Eglise.